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PACP Rapport du Comité

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LE POUVOIR DES COMITÉS D’ORDONNER LA PRODUCTION DE DOCUMENTS ET DE DOSSIERS

Conformément à son mandat, le Comité permanent des comptes publics tient périodiquement des réunions, au cours desquelles il interroge des témoins sur des sujets qui peuvent être pertinents aux études qu’il mène. Lorsqu’un témoin comparaît devant eux, les membres du Comité peuvent lui demander de produire des documents en rapport avec le sujet à l’étude. L’article 108 du Règlement de la Chambre des communes confère aux comités le pouvoir d’ordonner la production de tels documents.

Le 24 mars 2009, le Comité a entendu des témoins de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC) sur le rapport de la vérificatrice générale de décembre 2008 portant sur les contrats de services professionnels[1]. Au cours de la réunion consacrée au rapport de vérification, les représentants de TPSGC ont été interrogés au sujet des Services de réseau d’entreprise du gouvernement (SREG), un projet d’initiative gouvernementale concernant les contrats informatiques[2]. En guise de réponse, M. François Guimont, sous-ministre de TPSGC, a indiqué qu’il allait remettre au Comité des vidéocassettes (qui se sont avérées être des enregistrements audio) des consultations menées auprès de l’industrie sur les SREG. Les enregistrements devaient être fournis au plus tard le 7 avril 2009[3].

Dans une lettre datée du 7 mai 2009, M. Guimont a confirmé qu’il allait fournir les documents demandés, mais qu’en conformité avec la Loi sur l’accès à l’information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, il lui fallait d’abord demander le consentement des participants aux consultations sur les SREG avant de remettre les enregistrements. Le 12 mai 2009, le Comité a adopté une motion exigeant que TPSGC dépose les documents demandés. Par la suite, TPSGC a fourni les documents, mais a informé le Comité qu’en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, certains passages avaient été coupés afin d’éliminer les noms de personnes qui n’avaient pas consenti à la communication.

La Loi sur la protection des renseignements personnels protège les renseignements personnels recueillis par les institutions gouvernementales. Le paragraphe 8(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels est une disposition applicable par défaut qui prévoit que les renseignements personnels qui relèvent d’une institution gouvernementale ne peuvent être communiqués sans consentement. Toutefois, en vertu de nos lois, le pouvoir du Comité d’exiger la production de documents n’est nullement diminué ou altéré par une disposition législative, à moins que celle-ci ne le stipule expressément[4]. Les dispositions de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne renferment aucune mention explicite en ce sens et ne restreignent pas les pouvoirs du Comité. En fait, et bien qu’il soit inutile de le préciser aux fins de notre analyse, en vertu de l’alinéa 8(2)c), la Loi sur la protection des renseignements personnels ne s’applique pas si les documents sont demandés par « une personne ou [un] organisme ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements ».

D’après La procédure et les usages de la Chambre des communes, le Comité a le pouvoir d’ordonner la production de documents :

Le pouvoir qui [est accordé aux comités] de convoquer des témoins et d’exiger des documents les autorise non seulement à inviter des personnes à comparaître et des parties intéressées à leur adresser des mémoires, mais aussi à ordonner, par voie de sommation, que des personnes se présentent devant eux et que certains documents leur soient remis. […] Lorsqu’un comité se heurte à un refus de fournir un document qu’il juge essentiel à ses travaux, il peut adopter une motion en ordonnant le dépôt. Si les intéressés n’obtempèrent pas à cet ordre, le comité n’a pas le pouvoir de les obliger à déposer le document, mais il peut faire rapport de ce fait à la Chambre et lui demander de prendre les mesures qui s’imposent. La Chambre n’a fixé aucune limite au pouvoir d’exiger le dépôt de documents et de dossiers, mais il peut ne pas être opportun d’insister pour qu’ils soient déposés dans tous les cas[5].

Le Parlement n’est pas assujetti à la Loi sur la protection des renseignements personnels, et il a le droit d’exiger que lui soit soumis tout document dont il estime avoir besoin. Ce principe a été établi au Canada par l’article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui a intégré les « privilèges, immunités et pouvoirs » de la Chambre des communes britannique au droit canadien au moment de la Confédération[6]. La Chambre des communes a délégué le pouvoir de convoquer des témoins et d’exiger des documents à ses comités, dans le cadre du Règlement de la Chambre des communes. Le pouvoir d’un comité de convoquer des personnes et d’exiger des documents est absolu, mais est rarement exercé sans prendre en considération l’intérêt public[7].

En réponse au refus du Ministère de fournir les documents demandés, le Comité a tenu une réunion le 18 juin 2009, en présence des fonctionnaires du Ministère et du légiste de la Chambre des communes, pour discuter de la question. À cette réunion, le légiste a exposé son avis sur la question :

[C]e n’est pas la première fois que le Comité est aux prises avec un problème qui ne devrait nullement prêter à confusion. Lorsque le Comité demande des renseignements, il les obtient. Le Comité peut très bien réfléchir sérieusement avant de demander certains renseignements, mais c’est sa prérogative de les demander ou non. Il pourrait très bien ne pas les exiger pour des raisons de protection des renseignements personnels. C’est sa prérogative. Un fonctionnaire ne peut pas refuser de lui communiquer les renseignements parce qu’il estime avoir des raisons de ne pas les communiquer. C’est fondamental en droit. Ce n’est pas une question politique ni un point qui peut être débattu. C’est un droit fondamental parce que la Constitution accorde des droits aux comités de la Chambre et, naturellement, à la Chambre elle-même[8].

Le légiste a fourni au Comité un avis juridique au sujet des pouvoirs des comités en ce qui concerne la production de documents. L’avis juridique résume l’applicabilité des lois au Parlement en vertu de la Constitution canadienne et cite un précédent de la Cour suprême du Canada en vertu duquel le Parlement a un rôle décisionnel en tant que « grand enquêteur de la nation ». Le légiste en arrive à la conclusion suivante :

En résumé, le droit constitutionnel a préséance sur le droit législatif, c’est-à-dire sur les dispositions d’une loi, telle la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui doivent être interprétées d’une manière compatible avec les lois constitutionnelles du Canada. Selon la Cour suprême, aucune partie de la Constitution, pas même la Charte des droits et libertés, n’a préséance sur ses autres parties, y compris les pouvoirs constitutionnels, les immunités et autres droits qui constituent les privilèges parlementaires de la Chambre et de ses comités[9]. Par conséquent, il ne fait aucun doute que, sur le plan juridique, le pouvoir d’un comité de la Chambre d’ordonner la production de documents l’emporte sur les dispositions censément contraires d’une loi, notamment la Loi sur la protection des renseignements personnels.

Le Comité adopte l’interprétation du légiste. En vertu du droit canadien, l’exécutif est responsable de son activité envers le Parlement, et le Parlement est investi de certains privilèges et pouvoirs qui lui permettent de s’acquitter de sa fonction de surveillance.

À l’issue de la réunion de juin, TPSGC a remis au Comité les versions intégrales des documents en question, et tout est rentré dans l’ordre. Ce problème est toutefois récurrent, et il semble que les conseillers juridiques des ministères font souvent fausse route au sujet de l’application de loi lorsqu’il est question de documents exigés par des comités parlementaires. Le Comité recommande :

RECOMMANDATION 1
Que pour plus de certitude, le gouvernement révise ses politiques en matière de protection des renseignements personnels pour tenir compte du droit reconnu par la loi aux comités parlementaires de demander la production de documents et de dossiers.
RECOMMANDATION 2
Que Justice Canada donne à ses avocats-conseils une formation suffisante en droit parlementaire et les instruise notamment du droit des comités parlementaires de demander la production de documents et de dossiers.

[1] Rapport de la vérificatrice générale du Canada, « Chapitre 3 ─ Les contrats de services professionnels ─ Travaux publics et Services gouvernementaux Canada », décembre 2008.

[2] Les SREG font partie de l’initiative des Services partagés de TI du gouvernement fédéral, dans le cadre de laquelle TPSGC collabore avec des ministères en vue d’offrir une structure et des services de télécommunications communs à l’échelle du gouvernement.

[3] Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, réunion 11, 24 mars 2009, 16:00.

[4] Joseph Maingot, Le privilège parlementaire au Canada, 2e édition, Chambre des communes et les presses universitaires McGill-Queen’s, 1997, p. 21; Arthur Beauchesne, Règlement annoté et formulaire de la Chambre des communes du Canada, 4e édition, Toronto, Carswell, 1958, p. 99.

[5] Robert Marleau et Camille Montpetit, La procédure et les usages de la Chambre des communes, 2000, p. 860, 864-5.

[6] Voir Comité permanent de la justice et du Solliciteur général, Procès-verbaux et témoignages, 29 mai 1990, fascicule no 39, p. 3; 4 décembre 1990, fascicule no 56, p. 3; 18 décembre 1990, fascicule no 57, p. 4‑6; Journaux de la Chambre des communes, 19 décembre 1990, p. 2508; 28 février 1991, p. 2638; Débats de la Chambre des communes, 28 février 1991, p. 17745-17746; Journaux, 17 mai 1991, p. 42; 29 mai 1991, p. 92‑99; 18 juin 1991, p. 216‑217; Comité permanent de la justice et du Solliciteur général, Procès-verbaux et témoignages, 19 juin 1991, fascicule no 4, p. 5‑6.

[7] Journaux, 29 mai 1991.

[8] Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, 18 juin 2009, 16:05.

[9] New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée législative), [1993] 1 R.C.S. 319; Canada (Chambre des communes) c. Vaid [2005] 1 R.C.S. 667