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PACP Rapport du Comité

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LE CHAPITRE 4, LE PROGRAMME DES SERVICES À L'ENFANCE ET À LA FAMILLE DES PREMIÈRES NATIONS - AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADA DU RAPPORT DE MAI 2008 DE LA VÉRIFICATRICE GÉNÉRALE DU CANADA


INTRODUCTION

Les enfants comptent parmi les personnes les plus vulnérables de la société. Tous les efforts doivent être mis en œuvre pour les protéger contre la violence et la négligence, et pour aider les familles afin que leurs enfants puissent grandir dans un environnement familial sécuritaire. Il arrive parfois qu’il faille trouver aux enfants un foyer permanent et sûr, lorsque l’environnement familial n’est pas propice à leur épanouissement.

L’aide à l’enfance est une responsabilité provinciale, et toutes les provinces ont en place des lois sur le bien‑être des enfants et des services à l’intention des enfants à risque ou dans le besoin. L’accès à des services d’aide à l’enfance dans les collectivités des Premières nations est quelque chose de récent. Auparavant, un grand nombre d’enfants des Premières nations étaient adoptés à l’extérieur de leurs collectivités par des services d’aide à l’enfance provinciaux; de nos jours, la plupart des provinces confient à des organismes locaux des Premières nations les pouvoirs nécessaires pour assurer la sécurité et la protection des enfants ainsi que pour favoriser leur bien‑être.

Puisque les populations des Premières nations vivant dans les réserves relèvent de la responsabilité fédérale, Affaires indiennes et du Nord Canada a mis en place un Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations, qui vise à financer la prestation dans les réserves de services d’aide à l’enfance adaptés aux particularités culturelles, conformes à la législation et aux normes provinciales, et raisonnablement comparables aux services offerts à l’extérieur des réserves dans des circonstances semblables.

En mai 2008, le Bureau du vérificateur général a présenté au Parlement un rapport de vérification sur le Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations[1].

En raison de l’importance que revêtent la sécurité et le bien‑être de tous les enfants au Canada et des conclusions troublantes qui sont ressorties de la vérification, le Comité des comptes publics a consacré une séance à ce rapport de vérification, le 12 février 2009, en présence de fonctionnaires du Bureau du vérificateur général (BVG) et d’Affaires indiennes et du Nord Canada. Le BVG était représenté par Sheila Fraser, vérificatrice générale du Canada; Ronnie Campbell, vérificateur général adjoint; et Jérôme Berthelette, directeur principal. AINC était représenté par Michael Wernick, sous-ministre; Christine Cram, sous-ministre adjointe, Secteur des programmes et des partenariats en matière d’éducation et de développement social; Mary Quinn, directrice générale, Direction générale de la politique sociale et des programmes; Odette Johnston, directrice, Direction de la réforme des programmes sociaux.

CONTEXTE

En 1990, le gouvernement fédéral a approuvé une politique sur l’aide à l’enfance des Premières nations afin de favoriser la mise en place de services à l’enfance et à la famille adaptés aux particularités culturelles, qui seraient dirigés par les Premières nations et offerts aux enfants vivant dans les réserves et à leurs familles. Faisant fond sur cette politique, Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC) a établi le Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations. Dans le cadre de ce programme, AINC verse des fonds aux Premières nations, à leurs organismes et aux provinces pour couvrir les coûts de fonctionnement et d’administration des services d’aide à l’enfance offerts aux enfants et aux familles vivant dans les réserves ainsi que les coûts liés à la prise en charge d’enfants des Premières nations.

En 2007, AINC a consacré 450 millions de dollars au Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations, dont 270 millions de dollars pour le soutien direct des enfants des Premières nations qui sont pris en charge et 180 millions de dollars pour le fonctionnement et l’administration des services d’aide à l’enfance destinés aux Premières nations. Le Programme appuie 105 organismes qui fournissent des services à quelque 160 000 enfants et jeunes répartis dans environ 447 des 573 collectivités des Premières nations.

Les statistiques sur le nombre d’enfants des Premières nations pris en charge ont de quoi inquiéter. À la fin de mars 2007, environ 8 300 enfants des Premières nations résidant dans les réserves étaient pris en charge, ce qui correspond à un peu plus de 5 % de tous les enfants vivant dans les réserves. Cette proportion est près de huit fois supérieure à celle des prises en charge à l’extérieur des réserves. Les principaux facteurs qui entraînent la prise en charge d’un enfant sont la pauvreté, les mauvaises conditions de logement, l’abus d’alcool et d’autres drogues ainsi que la violence familiale.

La vérification effectuée par le BVG visait à déterminer si AINC assumait sa responsabilité, en vertu de la politique fédérale, d’offrir aux enfants et aux familles vivant dans les réserves des services d’aide à l’enfance adaptés à leur culture et raisonnablement comparables à ceux offerts par les provinces dans des circonstances semblables à l’extérieur des réserves.

PLAN D’ACTION

Les vérificateurs ont formulé six recommandations auxquelles le Comité souscrit entièrement. Comme Affaires indiennes et du Nord Canada s’est dit d’accord avec l’ensemble des recommandations, le Comité s’attend à ce qu’il les mette en œuvre intégralement.

Le Comité s’attend à ce que, en réponse aux vérifications du BVG, les ministères préparent un plan d’action où sont exposées en détail les mesures qu’ils entendent prendre pour donner suite à chaque recommandation, et où ils précisent le calendrier de mise en œuvre de ces mesures ainsi que le nom des personnes chargées de veiller à ce que celles-ci soient appliquées avec rapidité et efficacité. Un plan d’action concrétise la volonté de la direction de mettre en œuvre les recommandations du BVG, confère de la transparence aux plans du ministère et permet de demander des comptes au ministère sur des points précis.

Le Comité s’attend par ailleurs à ce que tout ministère convoqué en audition lui communique son plan d’action détaillé à l’avance de manière que ses membres puissent en prendre connaissance et préparer leurs questions.

La vérification du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations a été complétée le 9 novembre 2007 et le rapport de vérification a été déposé au Parlement le 6 mai 2008. Pourtant, le sous-ministre et administrateur des comptes d’AINC, Michael Wernick, s’en est tenu à de vagues généralités dans son exposé liminaire au sujet des mesures prises par le Ministère en réponse aux recommandations des vérificateurs; il s’est malgré tout engagé à remettre un rapport de suivi au Comité en avril. Lorsqu’on lui a demandé s’il avait un plan concret et précis à fournir au Comité, M. Wernick a répondu ce qui suit : « [N]ous avons un plan d'action en ce sens que nous avons entrepris ces divers projets. C'est ce que j'ai décrit au début en disant que je m'adresserais à mon comité de la vérification au mois d'avril et que je ferais ensuite part des résultats à votre comité. Mon comité examinera chaque recommandation et fournira davantage de précisions sur ce que nous faisons ou avons déjà fait[2]. »

Le sous-ministre s’est engagé verbalement à fournir au Comité un plan d’action et un rapport de suivi en avril, mais constatant qu’il ne semble pas y avoir de plan d’action en place, ce qu’il trouve très préoccupant, le Comité se demande pourquoi il faut tant de temps pour le finaliser. Le Comité convient que le comité de vérification du Ministère devrait examiner cette question à intervalles réguliers et veiller à faire avancer le dossier. Pour faire en sorte qu’AINC respecte ses engagements, le Comité recommande :

RECOMMANDATION 1

Que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien fournisse au Comité permanent des comptes publics d’ici le 30 avril 2009 un plan d’action détaillé sur la mise en œuvre des recommandations portant sur le Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations contenues dans le rapport de vérification de mai 2008 du Bureau du vérificateur général.

EXIGENCES DE LA POLITIQUE

Selon les vérificateurs, dans sa politique sur les services d’aide à l’enfance des Premières nations, le gouvernement fédéral s’engage à financer la prestation dans les réserves de services d’aide à l’enfance adaptés aux particularités culturelles, conformes à la législation et aux normes provinciales, et raisonnablement comparables aux services offerts à l’extérieur des réserves dans des circonstances semblables[3]. On trouve une formulation semblable sur le site Web d’AINC, à savoir « [l]’objectif du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations est d’aider les Premières nations à obtenir au sein même de leurs collectivités des services à l’enfance et à la famille adaptés à leur culture et de faire en sorte que les services offerts aux enfants des Premières nations et à leurs familles dans les réserves soient comparables à ceux que reçoivent les autres résidants de la province dans des circonstances semblables[4] ».

Les vérificateurs ont toutefois constaté qu’AINC n’avait pas analysé les services offerts dans les réserves et ne les avait pas comparés avec ceux offerts dans les collectivités environnantes[5]. Dans certains cas, les comparaisons ne sont peut-être pas possibles, puisque souvent les collectivités des Premières nations ne peuvent pas compter sur d’autres services sociaux et de santé pour les aider à garder des familles unies. Les services sont parfois offerts dans des régions isolées et les collectivités des Premières nations peuvent être confrontées à des situations plus difficiles que les autres collectivités.

Il devrait néanmoins être possible de comparer le niveau de financement offert aux organismes des Premières nations qui dispensent des services à l’enfance et à la famille à celui dont bénéficient des organismes provinciaux semblables, et compte tenu de leur situation particulière et difficile, il serait raisonnable de s’attendre à ce que les organismes des Premières nations aient droit à un niveau de financement plus élevé. Pourtant, lorsqu’on lui a demandé comment le financement consenti aux organismes des Premières nations offrant des services à l’enfance et à la famille se compare à celui des organismes de services destinés aux non‑Autochtones, la sous-ministre adjointe a dit : « Excusez-moi, mais je n'ai actuellement pas la réponse[6]. » La même question a été posée au sous-ministre qui a répondu ceci : « Nous sommes responsables des services offerts par les organismes dans les réserves dans la mesure où nous les finançons[7]. »

Le Comité trouve ces réponses assez décevantes. La réponse du sous-ministre est insatisfaisante puisque la question à l’étude est justement le niveau de financement accordé aux organismes. De même, le fait que le sous-ministre et la sous-ministre adjointe ne savent pas comment le financement se compare à celui des organismes provinciaux incite le Comité à s’interroger sur la façon dont le niveau de financement est déterminé et sur la façon dont le Ministère peut être sûr que le traitement offert aux enfants des Premières nations est équitable.

Le Joint National Policy Review mené en 2000 donne certaines indications quant à la façon dont le niveau de financement des organismes d’aide à l’enfance des Premières nations se compare à celui des organismes provinciaux. Les auteurs de cet examen ont constaté que « les augmentations budgétaires d’AINC [Affaires indiennes et du Nord Canada] ne devaient pas dépasser 2 % pour l’ensemble du Ministère, alors que les dépenses des organismes offrant des SEFPN [services à l’enfance et à la famille des Premières nations] ont progressé en moyenne de 6,2 % par année. La moyenne des dépenses par enfant du système financé par AINC est inférieure de 22 % à la moyenne calculée pour les provinces choisies[8] ».

  Cet examen date toutefois de quelques années maintenant et n’est pas représentatif de la situation dans l’ensemble des provinces. Comme la politique exige que les services d’aide à l’enfance des Premières nations soient comparables aux services offerts à l’extérieur des réserves et que, de l’avis du Comité, les enfants des Premières nations doivent être traités équitablement, il serait normal qu’AINC dispose de renseignements étoffés sur le niveau de financement offert aux organismes provinciaux d’aide à l’enfance pour pouvoir les comparer au niveau de financement des organismes des Premières nations. Cela ne veut pas dire qu’AINC doit adopter une formule de financement provinciale pour les organismes des Premières nations, puisque les besoins de ces organismes sont particuliers et souvent plus grands. Il faudrait à tout le moins toutefois qu’AINC soit en mesure de faire des comparaisons. Par conséquent, le Comité recommande :

RECOMMANDATION 2

Que d’ici le 31 décembre 2009, Affaires indiennes et du Nord Canada fasse une étude comparative exhaustive du financement accordé aux organismes des Premières nations offrant des services d’aide à l’enfance et à la famille et de celui consenti pas les provinces à des organismes semblables, et en transmette les résultats au Comité des comptes publics.

Outre la question de la comparabilité, la politique exige aussi que les services d’aide à l’enfance soient « adaptés aux particularités culturelles ». Les vérificateurs ont constaté qu’AINC n’avait pas encore défini ce que l’on entend par « services adaptés aux particularités culturelles[9] ». Le principal indice utilisé par le Ministère pour vérifier que les services sont adaptés aux particularités culturelles est le nombre d’organismes bénéficiant d’un financement. Toutefois, bon nombre de ces organismes n’offrent qu’un éventail limité de services, tandis que les provinces continuent d’offrir le reste.

Lorsqu’on lui a demandé si le Ministère avait défini l’expression « services adaptés aux particularités culturelles », le sous-ministre a répondu de façon quelque peu cavalière en ces termes : « Ce n'est pas moi, fonctionnaire caucasien à Ottawa, qui vais définir pour les organismes de Premières nations qui évoluent au sein des différentes collectivités ce qu'il faut entendre par services adaptés aux particularités culturelles[10]. »  Le Comité ne s’attendait pas à ce que le sous-ministre donne une définition, mais celui‑ci aurait quand même dû avoir une idée précise des progrès accomplis par le Ministère et ses partenaires en vue de l’élaboration d’une définition, d’autant plus que la réponse du Ministère à la recommandation du BVG dit ceci : « On définira les services adaptés aux particularités culturelles en discutant avec diverses Premières nations selon la situation des collectivités et la date fixée pour compléter cette tâche est en 2012[11]. » Afin de pouvoir se faire une idée plus précise des progrès accomplis jusqu’ici, le Comité recommande :

RECOMMANDATION 3

Qu’Affaires indiennes et du Nord Canada fasse clairement état des progrès accomplis en ce qui concerne la définition de « services adaptés aux particularités culturelles » dans le rapport de suivi de la vérification du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations par le Bureau du vérificateur général, qu’il doit remettre au Comité des comptes publics en avril 2009.

FORMULE DE FINANCEMENT

Affaires indiennes et du Nord Canada utilise actuellement deux formules pour calculer le financement du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations : une formule, connue sous le nom de Directive 20‑1, qui date de 1988 et qui n’a pas été beaucoup modifiée depuis, et une nouvelle formule élaborée dans le cadre d’ententes tripartites conclues avec les Premières nations et les provinces. Des ententes tripartites sont actuellement en vigueur avec l’Alberta, la Saskatchewan et la Nouvelle-Écosse.

L’ancienne formule de financement a pour effet d’augmenter le nombre d’enfants pris en charge parce que les coûts des solutions axées sur la prise en charge – le placement en famille d’accueil, les foyers pour enfants et les soins en établissement – sont intégralement remboursés. En d’autres termes, conformément à la Directive 20‑1, le Ministère absorbera les coûts liés à la prise en charge des enfants, quel qu’en soit le montant, mais il offrira une aide minimale pour assurer un milieu de vie sûr aux enfants au sein de leur propre famille.

Les vérificateurs ont de plus fait remarquer que cette formule ne permet pas d’assurer une répartition équitable des fonds alloués dans le cadre du Programme[12]. La formule se fonde sur l’hypothèse que 6 % des enfants vivant dans les réserves sont pris en charge. En réalité, comme l’ont constaté les vérificateurs, le pourcentage réel des enfants pris en charge varie de 0 à 28 %. La formule ne tient pas compte des facteurs pouvant faire varier considérablement les coûts de fonctionnement, comme la capacité des petits organismes d’offrir les divers services d’aide à l’enfance nécessaires.

Le sous-ministre a reconnu que l’ancienne formule de financement n’était pas parfaite et fait état de l’adoption d’une nouvelle approche :

Avant, le système consistait à financer les frais de prise en charge des enfants. [Alors, on prenait en charge les enfants; beaucoup d’enfants.  À l’époque,] les organismes de service [n’avaient pas par ailleurs à leur disposition] tout l'éventail des instruments actuels, soit la garde par la parenté, la garde en foyer nourricier, le placement, la déjudiciarisation, les services de prévention et ainsi de suite. Les nouvelles ententes de partenariat visent à financer les organismes au titre des frais de fonctionnement et d'entretien — c'est-à-dire essentiellement pour répondre aux besoins des enfants — de même qu'au titre des services de prévention, et visent à leur permettre de passer plus facilement d'un type de service à l'autre.

En d’autres termes, la nouvelle formule est davantage axée sur la prévention, dans le but d’améliorer les résultats du Programme pour les enfants et les familles et de réduire la nécessité d’avoir recours à des placements à l’extérieur du foyer. L’importance accrue accordée à la prévention confère aux organismes d’aide à l’enfance des Premières nations une plus grande marge de manœuvre pour financer des solutions comme le soutien à la famille, le soutien à domicile et la garde par la parenté. Cette nouvelle démarche, appelée « modèle d’intervention de l’Alberta », devrait permettre d’obtenir de meilleurs résultats pour les enfants et éventuellement aussi de réduire les coûts à terme. Le Comité souscrit à cette démarche fondée sur la prévention car elle rassemble divers partenaires locaux dans une intervention destinée à soutenir les enfants et leur famille.

Toutefois, les deux formules de financement sont actuellement en vigueur. Voici comment la sous-ministre adjointe, Christine Cram, a décrit la situation actuelle :

Nous appliquons actuellement deux formules. Dans le cas des provinces, nous ne sommes pas passés au nouveau modèle et nous remboursons tous les frais afférents à la prise en charge des enfants. C'est pour cette raison que les coûts ont tellement augmenté dans le temps. Il a été dit que l'ancienne formule ne permettait pas de financer les organismes pour la mise en œuvre des services de prévention. Cette critique est effectivement justifiée pour ce qui est de l'ancienne formule. En vertu de la nouvelle formule, comme le sous-ministre vient de vous le dire, nous appliquons désormais trois catégories de financement : le financement au titre du fonctionnement, le financement des services de prévention, et le financement au chapitre de l'entretien. Chaque cas obéit à des critères différents[13].

C’est donc dire que les organismes d’aide à l’enfance des Premières nations dans les trois provinces susmentionnées sont financés selon la nouvelle formule, mais que l’ancienne formule continue de s’appliquer aux organismes du reste du pays, d’ici à ce que de nouvelles ententes tripartites soient signées; ce que le Ministère espère pouvoir faire avec toutes les provinces d’ici 2012.

Le Comité trouve assez préoccupant que la majorité des enfants des Premières nations vivant dans les réserves continuent d’être assujettis à un régime de financement qui, selon de nombreuses études, ne fonctionne pas et devrait être modifié. Selon les auteurs du Joint National Policy Review, « La formule de financement inhérente à la directive 20‑1 est désuète et manque de souplesse[14] ». Les auteurs du rapport Wen:de publié en 2005 à la suite d’un examen approfondi des formules de financement utilisées pour calculer l’aide consentie aux organismes des Premières nations offrant des services à l’enfance et à la famille ont constaté qu’en vertu de la formule de financement en vigueur, les services d’intervention primaire, secondaire et tertiaire en cas de violence envers les enfants, notamment la mise en œuvre des mesures les moins perturbatrices possible, sont terriblement sous-financés. Comme il est mentionné dans le rapport, « le manque de services d’intervention précoce contribue à accroître le nombre d’enfants des Premières nations qui sont pris en charge et la durée de leur prise en charge[15] ». Une évaluation préparée en 2007 par la Direction générale de l’évaluation et de la vérification interne d’AINC recommandait que le Ministère « corrige la lacune du mode de financement du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations[16] ». Selon les conclusions du BVG, « [t]elle qu’elle est actuellement conçue et appliquée, la formule ne permet pas de traiter les Premières nations et les provinces de façon uniforme et équitable. Cette situation se traduit notamment par le fait qu’un grand nombre d’enfants et de familles vivant dans les réserves n’ont pas toujours accès aux services d’aide à l’enfance prévus dans la loi provinciale applicable et offerts aux personnes vivant à l’extérieur des réserves[17] ».

On continue pourtant d’appliquer cette formule de financement. Comme l’a exprimé la vérificatrice générale, « [t]rès honnêtement, il y a lieu de se demander pourquoi on continue d'administrer un programme pendant 20 ans, tandis que tout change autour, pourquoi la formule de financement demeure la même, pourquoi les services de prévention ne sont pas financés et pourquoi nombre d'enfants sont pris en charge[18] ».

  Le Comité apprécie les efforts déployés par le Ministère pour mettre en place de nouvelles ententes fondées sur le modèle de prévention, mais il ne comprend absolument pas pourquoi l’ancienne formule de financement est toujours en vigueur. La décision d’opter pour la conclusion de nouvelles ententes ne devrait en aucun cas empêcher l’adoption de mesures pour améliorer la formule actuelle, surtout qu’il faudra peut-être des années avant que d’autres ententes ne soient signées avec les provinces. Dans l’intervalle, beaucoup d’enfants des Premières nations sont pris en charge alors qu’il existe d’autres solutions. Cette situation est inacceptable et nettement injuste. C’est pourquoi le Comité recommande :

RECOMMANDATION 4

Qu’Affaires indiennes et du Nord Canada modifie sans délai la directive 20‑1 applicable au financement des organismes des Premières nations offrant des services à l’enfance et à la famille afin de permettre le financement de services axés sur la prévention, et que le Ministère fasse rapport au Comité des comptes publics de ses progrès à cet égard d’ici le 30 juin 2009.

La vérificatrice générale a aussi exprimé des réserves au sujet de la nouvelle formule de financement. Voici ce qu’elle a dit au Comité à ce propos :

[N]ous avons constaté que la nouvelle formule ne règle pas le problème des iniquités attribuables à la formule actuelle. En effet, on présume toujours qu'un pourcentage fixe d'enfants et de familles ont besoin de services d'aide à l'enfance. Les organismes dont le pourcentage d'enfants pris en charge est supérieur à 6 p. 100 continueront d'éprouver des difficultés à fournir des services de protection tout en travaillant à établir les services d'aide aux familles. Nous estimons que la formule de financement ne doit pas simplement être un moyen de répartir l'enveloppe budgétaire du programme; elle devrait aussi tenir compte des besoins variables des enfants et des collectivités des Premières nations.

Le Comité est tout à fait d’accord, surtout que le Ministère était au courant du problème posé par l’ancienne formule, mais l’a malgré tout reproduit dans la nouvelle formule. Le Comité est très déçu de voir que le Ministère adopte une approche bureaucratique à l’égard du financement des organismes, plutôt que de s’efforcer d’orienter le financement là où il en existe un besoin. À cause de cela, les collectivités qui ont le plus besoin de financement, c’est‑à‑dire celles où la proportion d’enfants pris en charge dépasse 6 %, continueront d’être sous-financées et ne seront pas en mesure d’offrir à leurs enfants les services dont ils ont besoin. Le Comité croit fermement qu’AINC doit élaborer une formule de financement suffisamment souple pour que les sommes allouées soient fonction des besoins plutôt que d’un pourcentage fixe. À cet égard, le Comité recommande :

RECOMMANDATION 5

Qu’Affaires indiennes et du Nord Canada veille à ce que sa formule de financement des organismes des Premières nations offrant des services à l’enfance et à la famille se fonde sur les besoins plutôt que sur un pourcentage fixe d’enfants présumément pris en charge, et que le Ministère fasse rapport au Comité des comptes publics de ses progrès à cet égard d’ici le 31 décembre 2009.

RÉAFFECTATIONS

Afin de limiter l’accroissement des dépenses de programmes, un plafond de 2 % a été imposé en 1995 à l’égard de la hausse des dépenses annuelles du Ministère au titre du financement. Le budget du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations a pourtant considérablement augmenté ces dernières années, passant de 193 millions de dollars, en 1997, à 450 millions, en 2007. Les besoins du Programme et les dépenses qui en découlent augmentent plus rapidement que le budget d’ensemble du Ministère. Il a donc fallu qu’AINC réaffecte les fonds attribués à d’autres programmes, notamment ceux destinés à l’infrastructure communautaire et au logement[19]. À cause de ces réaffectations, les dépenses en matière de logement n’ont pas crû au même rythme que la population et la détérioration de l’infrastructure communautaire s’est accélérée.

Le BVG recommande qu’AINC détermine l’ensemble des coûts nécessaires au respect des exigences du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations. C’est là une première étape positive, mais le Comité est d’avis qu’elle ne suffit pas à résoudre le problème d’AINC qui doit constamment réaffecter des fonds d’un programme à un autre pour répondre aux urgences, au risque de sous-financer d’autres besoins urgents. Les constantes réaffectations budgétaires effectuées par AINC inquiètent le Comité, c’est pourquoi il recommande :

RECOMMANDATION 6

Qu’Affaires indiennes et du Nord Canada détermine l’ensemble des coûts nécessaires au respect des exigences du Programme et que le gouvernement du Canada lui fournisse des fonds suffisants pour qu’il puisse respecter l’ensemble de ces exigences.

L’INTÉRÊT DES ENFANTS

Pour apprécier l’efficacité d’un programme, il faut donner à celui-ci des objectifs précis et concrets et recueillir des informations sur ses résultats pour les comparer aux objectifs. En l’occurrence, le Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations devrait avoir pour objectif de faire en sorte que les enfants visés soient protégés contre les mauvais traitements et la négligence et qu’ils puissent grandir en sécurité. Le Ministère devrait savoir si le programme permet effectivement d’améliorer la condition des enfants. En mesurant les résultats, le Ministère pourrait améliorer le programme sur la base de données empiriques solides.

Or, la vérification a permis de constater que les données recueillies par AINC visent essentiellement la budgétisation du programme. Le Ministère a peu d’informations sur les retombées des dépenses du programme sur la sécurité, la protection ou le bien-être des enfants vivant dans des réserves[20]. Autrement dit, le Ministère ne sait pas si le financement du programme est dans l’intérêt des enfants des Premières nations.

Si AINC recueillait ce type d’informations, il se serait peut-être rendu compte plus rapidement que l’ancienne formule de financement, la directive 20-1, encourageait le placement des enfants en dehors de leur famille au lieu de permettre d’offrir des services de prévention fondés sur la famille. Il n’est pas dans l’intérêt des enfants d’en placer plus qu’il ne le fait hors de leur famille pas plus qu’il n’est dans leur intérêt de fonder le financement sur un pourcentage fixe des coûts et non sur les besoins.

Le Comité est d’avis que si AINC fondait ses critères sur l’intérêt des enfants et s’il mesurait les résultats du programme en fonction de ces critères, il serait mieux en mesure de faire en sorte que le programme réponde aux besoins des enfants des Premières nations. En conséquence, le Comité recommande :

RECOMMANDATION 7

Que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien conçoive des mesures et recueille des informations fondées sur l’intérêt des enfants pour l’appréciation des résultats de son Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations.

CONCLUSION

Le Comité constate qu’il y a des progrès. Des ententes tripartites ont été conclues entre l’Alberta, la Nouvelle-Écosse et la Saskatchewan et des groupes des Premières nations. La nouvelle démarche adoptée par l’Alberta dans ses services à l’enfance est un modèle que le gouvernement voudrait voir se répandre dans l’ensemble du Canada. Comme l’a dit Mme Fraser : « Il y a lieu d'être optimiste quand on songe au modèle appliqué en Alberta, car force est de reconnaître que les services ont changé et que le financement destiné à ce genre de modèle va augmenter considérablement[21]. Le Comité constate aussi que le financement du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations a augmenté ces dernières années, passant de 193 millions de dollars en 1996-1997 à un montant projeté de 523 millions de dollars en 2008-2009.

Cela étant, les enfants des Premières nations demeurent particulièrement vulnérables, et la nécessité d’offrir un financement adéquat aux services à l’enfance et à la famille des Premières nations est indéniable. Le Comité est déçu de l’approche bureaucratique adoptée par Affaires indiennes et du Nord Canada à l’égard du financement de son Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations. Le Ministère continue en effet d’utiliser une formule de financement qui comporte d’importantes lacunes et sa nouvelle formule de financement n’en est pas exempte elle non plus. La formule ne se fonde pas sur ce qu’il en coûte réellement pour offrir les services, n’est pas suffisamment liée aux coûts nécessaires au respect des exigences et des normes provinciales, n’est pas représentative de l’éventail actuel de services d’aide à l’enfance et ne tient pas compte non plus de la taille et des besoins variables des collectivités des Premières nations.

Parce que le Ministère continue d’utiliser une formule de financement boiteuse, les organismes des Premières nations offrant des services à l’enfance et à la famille sont souvent sous‑financés, et les enfants des Premières nations de même que leurs familles ne reçoivent pas les services dont ils ont besoin. Au contraire, les enfants des Premières nations sont plus susceptibles d’être pris en charge et de le rester, et leurs familles n’ont pas accès à tout l’éventail des services de soutien qui les aideraient à offrir un milieu de vie sûr à leurs enfants. Cette situation est intenable. Le Comité espère sincèrement qu’AINC prendra rapidement les mesures qui s’imposent pour que les enfants des Premières nations soient traités équitablement et aient droit aux mêmes services que tous les autres enfants canadiens.



[1] Vérificatrice générale du Canada, rapport de mai 2008, Chapitre 4, Le programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations—Affaires indiennes et du Nord Canada.

[2] Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, 40e législature, 2e session, Réunion 4, 17:10.

[3] Chapitre 4, paragraphe 4.17.

[5] Chapitre 4, paragraphe 4.19.

[6] Réunion 4, 16:10.

[7] Réunion 4, 16:25.

[8] Rose-Alma J. McDonald, Peter Ladd et coll., First Nations Child and Family Services Joint National Policy Review, juin 2000, p. 14. [traduction] Ce rapport a été préparé pour l’Assemblée des Premières Nations avec l’aide de représentants de l’Agence des services à l’enfance et à la famille des Premières nations et en partenariat avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada.

[9] Chapitre 4, paragraphe 4.23.

[10] Réunion 4, 16:20.

[11] Chapitre 4, réponse à la recommandation 4.26.

[12] Chapitre 4, paragraphe 4.52.

[13] Réunion 4, 16:05.

[14] Rose-Alma J. McDonald, Peter Ladd et coll., First Nations Child and Family Services Joint National Policy Review, juin 2000, p. 17. [traduction]

[15] Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières nations, Wen:de : Nous poursuivons notre route, 2005, p. 35. [traduction]

[16] Affaires indiennes et du Nord Canada, Direction générale de l’évaluation et de la vérification interne, Évaluation du Programme des services à l’enfance et à la famille des Premières nations, mars 2007, p. 54.

[17] Chapitre 4, paragraphe 4.66.

[18] Réunion 4, 17:15.

[19] Chapitre 4, paragraphe 4.72.

[20] Chapitre 4, paragraphe 4.86.

[21] Réunion 4, 17:15.