AGRI Rapport du Comité
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RAPPORT DISSIDENT
JEUNES AGRICULTEURS – LA PROSPÉRITÉ EN QUESTION
Le 16 novembre 2010
INTRODUCTION
L’avenir des jeunes agriculteurs est directement tributaire de la prospérité de la population agricole actuelle et des perspectives favorables qui s’ouvrent à elle. En bref, c’est la rentabilité de la production au départ de la ferme qui sera, en dernier ressort, l’élément clé pour attirer et fidéliser dans la profession de nouveaux et jeunes agriculteurs.
Compte tenu, en particulier, des politiques fédérales en vigueur, cet avenir offre des perspectives très intéressantes à certains; pour d’autres – vraisemblablement pour la majorité – les perspectives sont incertaines, voire déplorables.
Dans le plus récent Rapport sur les plans et priorités d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, on peut lire ceci à propos des programmes axés sur la prochaine génération de producteurs qui représentent l’avenir de l’agriculture canadienne :
Le Développement de l'agroentreprise fournit des fonds pour les activités liées aux saines pratiques de gestion des affaires et aux compétences qui : améliorent la capacité des entreprises du secteur d'évaluer les répercussions financières des améliorations commerciales, y compris l'incidence que pourraient avoir sur la rentabilité des entreprises les plans environnementaux, les systèmes de salubrité des aliments et les projets d'innovation; aident à gérer la transformation, à réagir aux changements et à adopter des méthodes commerciales innovatrices; aident les propriétaires d'agroentreprises à comprendre leur situation financière et à mettre en œuvre des mesures, des plans et des pratiques de gestion efficaces; favorisent une participation accrue des jeunes ou des nouveaux venus, des membres des Premières nations et des clients dans certains sous-secteurs particuliers en transition. (Agriculture et Agroalimentaire Canada, Rapport sur les plans et les priorités 2010-2011, p.30)
Il est essentiel que les encouragements et les soutiens qui sont apportés aux nouveaux venus dans la profession, et surtout aux jeunes agriculteurs, bénéficient d’un niveau de priorité beaucoup plus élevé qu’à l’heure actuelle.
Dans son rapport intitulé « Jeunes agriculteurs et l’avenir de l’agriculture », le comité formule plusieurs recommandations qui méritent d’être soutenues et qui, comme l’espère l’Opposition officielle, seront acceptées et reprises par le gouvernement. Mais, sous plusieurs aspects, ce rapport présente des lacunes que nous tentons ici de combler.
Le présent rapport dissident est fondé sur la conviction qu’une prospérité durable doit être le principal attrait de la profession pour attirer de futures générations d’agriculteurs. À bien des égards, à moins que l’avenir ne soit prometteur pour la jeune génération d’agriculteurs, les programmes gouvernementaux ou l’accès au crédit n’auront en réalité pour effet que de placer la prochaine génération dans la même situation que celle où se trouve globalement la génération actuelle – avec des perspectives subordonnées à un cycle d’endettement progressif, à peine compensé par des programmes gouvernementaux de protection du revenu changeants et incohérents. La perspective est peu séduisante.
Brochant sur le tout, le soutien offert aux agriculteurs canadiens apparaît pathétique quand on le compare à celui dont bénéficie le secteur agricole américain, notre principal concurrent.
Bien qu’ils soient abordés dans le rapport principal, les points suivants n’y sont pas suffisamment développés :
- le déphasage entre les programmes gouvernementaux de protection du revenu et les besoins du monde agricole;
- la mondialisation du secteur agricole qui a pour effet de gommer de plus en plus les principes de base de tout accord commercial loyal;
- la nécessité d’instaurer une Politique alimentaire nationale.
Tous ces points ont été abordés dans le cadre des délibérations du comité et ils sont notés dans son rapport. Il est toutefois indispensable de veiller à ce qu’ils fassent tous, individuellement, l’objet d’une plus grande attention, étant donné qu’ils constituent la pierre angulaire du futur secteur agricole canadien, un secteur diversifié et bénéficiant du soutien économique nécessaire à sa survie.
PROGRAMMES GOUVERNEMENTAUX DE PROTECTION DU REVENU
Un des facteurs clés qui hypothèquent l’avenir de l’agriculture est l’endettement toujours croissant de la population agricole, partout au Canada.
Selon Statistique Canada, l’endettement du secteur agricole se chiffre actuellement à 63 milliards de dollars, avec une progression de 5 % par rapport à l’année précédente ! Cet endettement s’accélère et empire, sous un gouvernement fédéral qui était censé « faire passer les agriculteurs en premier ». Or, alors que l’endettement des agriculteurs américains a progressé de 20 % au cours des deux dernières décennies, le niveau d’endettement des producteurs canadiens a triplé (voir “BMO sounds warning bells on interest rates” [La Banque de Montréal tire la sonnette d’alarme au sujet des taux d’intérêts], Ron Friesen, AgComm.com, 21 juin 2010). Toujours selon Statistique Canada, l’endettement agricole a progressé de 12,8 milliards de dollars depuis que le gouvernement actuel est au pouvoir (Dette agricole en cours : statistiques économiques agricoles – 21‑014‑XWF, 25 mai 2010). Aucun signe d’amélioration – et encore moins d’inversion – de cette situation n’a été constaté. Aux yeux de quiconque envisagerait une carrière dans l’agriculture, le niveau d’endettement des agriculteurs et l’incapacité du gouvernement actuel à remédier à ce problème ne seraient certainement pas des incitatifs positifs.
Pour ce qui concerne la première question, le comité a entendu au cours des ses audiences des observations et des déclarations positives et négatives à propos des programmes de protection du revenu du gouvernement fédéral en place. En réalité, l’objectif des programmes de protection du revenu est de permettre aux agriculteurs qui éprouvent des difficultés financières, sans qu’ils y soient pour rien, d’avoir recours à des aides fédérales pendant ces périodes difficiles. L’incapacité à satisfaire ce critère de base, selon le consensus des agriculteurs, illustre la faillite du gouvernement à cet égard.
Voici ce qu’avaient à dire des agriculteurs de tous bords et de toutes les régions du Canada à propos du programme phare du gouvernement, le programme Agri‑stabilité :
Pour ce qui est de sa compatibilité avec les autres initiatives du gouvernement fédéral actuel, il existe un grave déphasage par rapport aux besoins du monde agricole.
« Je connais des éleveurs qui ont reçu des prêts-relais dans le cadre du programme Agri-stabilité et aussi des fonds du programme Agri-relance. Or, l'argent qui leur a été versé a été récupéré l'année suivante quand ils ont présenté une demande en vue de participer au programme Agri-stabilité. » Jay Fox, mai 26, 2010 p.5
La réalité est que, compte tenu de la dépendance de notre pays vis-à-vis du commerce international dans le cas de certains produits de base – on pense aux céréales – s’il n’est pas possible de parvenir, à travers des négociations, à un cadre de compétition impartial, le gouvernement fédéral se devra de réagir par la mise en place de nouveaux programmes, lesquels, à l’heure actuelle, ne sont pas à la hauteur de l’enjeu.
« Nous croyons qu'il y a une nécessité de réviser les programmes actuels. C'est très important pour protéger le secteur de la production de grain, parce que les marchés de la production de grain sont faussés par les subventions internationales, et ça amène de très longs cycles de bas prix. C'est très difficile pour les producteurs. Nos simulations, quand on regarde les programmes actuels, nous montrent que si on avait eu ces programmes dans les années 1990, les interventions auraient été minimes, très peu importantes. La solution privilégiée par notre fédération à ce sujet, c'est d'avoir un volet de gestion du risque au programme d'Agri-flexibilité. Ça irait dans le sens des consultations faites par tous les intervenants agricoles en 2008. Pour nous, ce serait un programme de coûts et de risques partagés. Ça atténuerait l'effet des subventions internationales sur les marchés des grains subi par les producteurs agricoles du Canada. » (Luc Belzile, mai 10, 2010, p.4)
Le gouvernement fédéral actuel a mis de l’avant plusieurs programmes qui, bien qu’ils aient pour ambition de répondre à un large éventail de circonstances divergentes, souvent, ne remplissent pas les fonctions qu’ils devaient avoir. En conséquence, de nombreux producteurs ont le sentiment que ces programmes ont été conçus à leur intention, mais sans qu’ils aient leur mot à dire.
« Nous avons choisi de ne pas participer au programme Agri-stabilité parce qu'il entraîne un fardeau administratif et qu'il ne fonctionne pas pour la structure de notre entreprise. » David Nagel, mai 31, 2010, p. 3
Au risque de se répéter, il est essentiel d’admettre publiquement que les programmes fédéraux de protection du revenu actuellement en place n’ont pas répondu à l’ensemble des préoccupations du monde agricole. On trouvera ci-dessous un tour d’horizon à l’échelle nationale de ces préoccupations :
Pour les situer dans leur contexte, qu’on se rappelle quelques-unes des déclarations formulées devant le comité :
« Premièrement, nos programmes Agri-stabilité et Agri-investissement ne sont pas la solution. Le programme Agri-investissement n'est pas mal. Il offre un peu d'argent, mais ce n'est pas assez. Quant à Agri-stabilité et à la façon dont il est conçu, si vous avez deux ou trois mauvaises années d'affilée, ça y est, c'est foutu pour vous. Ce programme n'a aucune utilité. » David Machiel, avril 26, 2010, p.3
« L'ancien PCSRA a été remplacé par Agri-stabilité. Il s'agit essentiellement de la même idée, mais le programme ne fonctionne toujours pas pour mon exploitation. Tout agriculteur qui cultive des récoltes moyennes ou supérieures à la moyenne et qui pratique une culture de diversification ne recevra presque jamais de paiement. Habituellement, les pertes découlant d'une récolte en particulier seront compensées par la montée des prix d'une autre culture. La marge ne change donc jamais, même si on a budgétisé pour une augmentation en fonction des prix en vigueur. » Alan Brecka, avril 27, p. 16
« Les programmes actuels de gestion des risques ne favorisent pas les producteurs de bovins. Je vais parler de quelques problèmes. Le programme Agri-stabilité — quelqu’un d’autre en a parlé — pénalise en fait les gens qui veulent diversifier leurs activités. Il ne favorise que ceux qui n’ont qu’une activité, qui augmentent leurs marges et subissent des coups durs seulement pour recevoir un paiement. Nous n’avons pas besoin de tels programmes. Ils n’aident pas notre industrie. » Ryan Thompson, avril 28, 2010, p. 7
« Parlons du programme d'Agri-stabilité tel qu'il est aujourd'hui. Quand une crise dure un an ou deux, ce programme peut fonctionner. Par contre, quand des crises perdurent — comme celle que connaissent aujourd'hui les producteurs bœuf et les producteurs de porc et comme celle qui a frappé le secteur de la production de céréales il y a quelques années —, ce programme ne fonctionne plus. C'est pour cela que quelques organisations ont avancé un tiers programme, que l'on appelle Agri-flexibilité, qui peut donner la possibilité aux provinces de changer le programme qui ne fonctionne pas à long terme et d'en faire quelque chose de plus intéressant. » William Van Tassel, mai 10, p. 7
« Les besoins immédiats de nos entreprises agricoles doivent être comblés pour stabiliser les secteurs des grains, de l'horticulture et des animaux d'élevage. La meilleure façon de le faire, c'est de corriger les faiblesses du programme Agri-stabilité, qui n'a pas permis d'avoir une gestion des risques appropriée depuis sa création en 2008. » Ernie Mutch, mai 13, 2010
Même si certains témoins ont exprimé leur appui aux programmes gouvernementaux, il reste que faute d’élaboration par le gouvernement fédéral d’une approche plus globale eu égard aux programmes d’aide au monde agricole, l’incertitude perdurera.
Maintes et mainte fois, nous avons rencontré des représentants du monde agricole et des agriculteurs qui ont exprimé leur profonde frustration et leur méfiance à l’égard des programmes du gouvernement fédéral et de la manière dont ces programmes ont été élaborés. Il faut que cela prenne fin.
RECOMMANDATION
- Il faut que le monde agricole ait un intérêt direct dans l’élaboration des programmes de protection du revenu qui sont requis. À cette fin, le gouvernement fédéral doit avant tout « repartir sur des bases nouvelles » pour élaborer un nouveau train de programmes de protection du revenu.
Dans l’optique de cette recommandation, nous demandons au gouvernement fédéral d’organiser des audiences à l’intention des agriculteurs dans tout le Canada, afin de faire le point sur l’efficacité où l’inefficacité du train de programmes en vigueur, et de s’engager à procéder aux ajustements nécessaires de façon à ce que ces programmes répondent aux besoins des agriculteurs.
QUESTIONS CONCERNANT LE COMMERCE AGRICOLE INTERNATIONAL
À l’heure actuelle, concrètement, la politique agricole canadienne émane du principe voulant que le commerce soit l’élément fondamental majeur de notre réussite. Le Canada est une nation commerçante et dépend donc, dans une très large mesure, d’un accès aux marchés étrangers dans des conditions qui, pour être loyales, doivent être uniformes.
En bref, commerce « libre » peut ne pas toujours être synonyme de commerce « loyal », et c’est cet aspect de nos échanges commerciaux auquel nous devons désormais donner priorité.
Concrètement, rien qu’aux États-Unis, le recours à divers programmes de subventions directes a eu pour effet de faire bénéficier le secteur agricole américain de près d’un quart de billion de dollars – 245,2 milliards de dollars US – au cours des quatorze dernières années. Nous avons pour partenaire commercial un pays qui a signé l’Accord de libre-échange nord-américain déterminé à faire en sorte qu’il continuerait de protéger son secteur agricole, quelles que soient les conséquences de cette politique sur les autres signataires.
Plus récemment, l’Union européenne a mis en place un nouveau programme de versements directs qui garantit aux producteurs l’accès à un fonds de 36 milliards d’euros pour la seule année 2010.
Les agriculteurs canadiens ne bénéficient pas de pareils programmes qui pourraient adéquatement compenser le type d’aide fournie à des producteurs agricoles en concurrence directe avec eux.
Dans presque tout le secteur agricole, le commerce international est un moteur de croissance.
« Si on est dans ce que j'appelle un système d'exploitations agricoles constituées en société, ce qui est le commerce international, dans lequel toutes les denrées circulent, ce qui demande de l'énergie bon marché, et nous en avons toujours, et s'il s'agit de sauver les petites exploitations agricoles, nous n'en sauverons pas beaucoup. On en sauvera une poignée pour leur valeur patrimoniale — il y a des gens qui veulent financer la protection du patrimoine, ce qui ne représentera qu'une petite partie de la population. Une petite partie de la population consentira à payer davantage les gens concernés parce qu'ils en obtiendront une valeur de provenance, n'est-ce pas?
Pour le gros de la population, la production de denrées alimentaires pour notre population principalement est de l'exploitation agricole constituée en société, parce que c'est le modèle en usage. Nous avons affaire à des sociétés constituées. Hors des sociétés constituées, point de salut. » Mark Sawler, mai 12, 2010, p. 17
Le rôle et l’effet des subventions ont été bien expliqués au comité dans des témoignages recueillis en Ontario :
« Traditionnellement, les subventions encouragent le maintien de productions agricoles qui, sans cela, ne seraient pas rentables. Nous voyons maintenant comment des politiques gouvernementales, des méthodes de production insoutenables et des subventions ont abouti au système alimentaire que nous connaissons aujourd'hui.
Les grandes multinationales de l'agroalimentaire sont ravies que nous ayons ce type de système en Amérique du Nord, parce que cela leur garantit un approvisionnement continu en matières premières bon marché. Ça leur permet également d'avoir un approvisionnement captif, étant donné les grandes quantités qu'elles achètent, et étant donné que les gouvernements continuent de subventionner les producteurs au niveau de la ferme, si bien que ces derniers ne sont pas encouragés à produire des cultures stables comme le maïs, le blé, le soja et le coton. Dans ces conditions, les prix accordés aux agriculteurs restent en dessous de leur coût de production, d'où leur incapacité à avoir une exploitation rentable. » Sean McGivern, mai 4, 2010, p. 19
Certains témoins se sont également montrés très préoccupés par le niveau de concentration des entreprises et par les conséquences de ce phénomène sur le producteur primaire. La question n’est certes pas nouvelle. Toutefois, c’est une question que tout gouvernement dont l’idée fixe est le libre-échange à n’importe quel prix est mal placé pour résoudre.
Sur le plan pratique, comme il a été souligné durant les audiences du comité, le problème est d’assurer l’expansion du commerce tout en tenant compte de la nécessité d’élaborer une politique alimentaire nationale qui traduise les demandes croissantes des Canadiens.
« C'est évident que c'est le commerce qui a permis de bâtir notre pays, et nous devons continuer à commercer, mais pour cela il faut que les bases soient équitables. Nous savons également que notre plus grand client — et le contraire est vrai aussi, nous sommes leur plus gros client — est les États-Unis, mais ses pratiques commerciales ne sont pas toujours équitables. Pour mon entreprise, c'est plus payant de transiger avec les Américains, mais pour le bien de l'agriculture canadienne, nous devons protéger notre propre approvisionnement alimentaire. » Layton Bezan, avril 28, 2010, p. 26
Dans le contexte de pourparlers en vue d’un accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, il est essentiel de procéder à une analyse beaucoup plus approfondie des effets que cela pourrait avoir sur notre secteur agricole. Bien entendu, des opinions divergentes ont été exprimées à propos de ces négociations :
« Nous avons aussi de grandes attentes en ce qui concerne les négociations de libre-échange avec l'UE. Nous avons commandé une étude pour évaluer les débouchés possibles que l'accès en franchise de droits au marché de l'UE créerait pour l'industrie canadienne du bœuf. Même si l'étude n'est pas encore achevée, à première vue, il semble qu'il y aura d'importants débouchés. » Travis Toews, mai 26, 2010, p.1
Cependant, à l’encontre de cette perspective optimiste, des témoins ont fait valoir, durant les audiences, que l’on ne devrait pas oublier les conséquences, pour le Canada et les agriculteurs canadiens, de précédents accords commerciaux :
« Si vous voulez un libre-échange, il doit être équitable. Et l'équité est actuellement absente. » David Machial, avril 26, 2010, p.3
L’avenir de nos activités agricoles, ainsi que les débouchés que ce secteur offre aux jeunes qui l’intègrent, devraient être définis en prenant pour base, entre autres, la préservation et la consolidation de nos atouts. L’un d’eux, de toute évidence, est la gestion de l’offre. Maints témoignages en faveur de la gestion de l’offre ont été présentés au comité. Regrettablement, on peut se demander si, en dépit de belles paroles, le gouvernement en place appuie sincèrement ce système.
Brian Lewis, un agriculteur ontarien, a déclaré que la gestion de l’offre lui garantissait un rendement du capital investi, ce qui lui permettait de jouir d’une certaine certitude pour gérer son exploitation.
« La gestion de l'offre est la seule chose qui nous permet d'obtenir notre 1,40 $. Ce n'est pas incroyable, mais cela nous aide à récupérer une partie de nos investissements. Je crois que cela fonctionne pour les propriétaires d'exploitations agricoles familiales, et que cela doit être appuyé au moyen de négociations commerciales. » Brian Lewis, mai 3, 2010
À ce propos, la campagne que le gouvernement fédéral actuel ne cesse de mener contre la Commission canadienne du blé (CCB), en vue de la supprimer à terme, est lourde de répercussions aussi larges que négatives. Jusqu’ici, le gouvernement fédéral en place a utilisé toutes les manœuvres possibles et imaginables – y compris des moyens qui ont fait l’objet de poursuites judiciaires plus d’une fois – pour miner une institution qu’il a l’obligation légale de soutenir. Au cours des audiences tenues en Saskatchewan, un témoin a fait valoir que l’on devrait soutenir la CCB et la laisser entre les mains de ceux qui l’administrent en vertu de la législation fédérale, tout en soulignant les manœuvres du gouvernement fédéral pour saper les fondements de cette institution. Voici ce qu’il a déclaré :
« Je trouve qu'il est frustrant que le gouvernement actuel dépense l'argent des contribuables en campagnes médiatiques et en frais de tribunaux pour mener bataille contre des groupes d'agriculteurs à la Commission canadienne du blé. Nous disposons déjà de mécanismes; si la majorité des agriculteurs le souhaitaient, nous pourrions nous passer de la Commission canadienne du blé. Après tout, nous élisons le conseil d'administration afin qu'il nous représente. Sur nos 10 représentants, nous en avons élu 8 qui étaient en faveur de la Commission canadienne du blé. Nous disposons déjà d'un mécanisme pour régler ce type de problèmes; il vaudrait donc peut-être mieux investir cet argent ailleurs. » Drew Baker, avril 29, 2010, p. 3
RECOMMANDATION
- Il est essentiel que le gouvernement fédéral se montre énergique et défende fermement nos producteurs, confrontés aux effets des subventions massives et des aides directes dont les autorités américaines et européennes font bénéficier leurs propres producteurs. Soit le gouvernement intervient directement en invoquant les dispositions de nos accords commerciaux, soit il décide d’instituer de nouveaux programmes équivalant aux aides fournies par les États-Unis et les pays de l’Union européenne aux agriculteurs.
- Il est en outre recommandé que le Comité de l’agriculture entreprenne d’urgence un examen approfondi des pourparlers engagés par le gouvernement fédéral en vue de la conclusion d’un accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, et qu’il fasse rapport de ses conclusions à la Chambre.
- Il est essentiel que le gouvernement fédéral se déclare sans réserve en faveur de notre système de gestion de l’offre dont les trois piliers sont la gestion de la production, la prévisibilité des importations et un mécanisme d’établissement des prix – des facteurs qui garantissent une production alimentaire de qualité et un rendement raisonnable aux producteurs – et qu’il se déclare également en faveur de la Commission canadienne du blé, telle qu’elle est constituée actuellement, et admette ainsi que ce sont les agriculteurs de l’Ouest canadien affiliés à la CCB qui détermineront l’avenir de cette institution.
UNE POLITIQUE AGRICOLE NATIONALE OU UNE POLITIQUE ALIMENTAIRE NATIONALE ?
On soulève de plus en plus souvent la question de savoir si c’est d’une politique agricole ou d’une politique alimentaire dont notre pays devrait se doter. Les deux options peuvent paraître similaires, mais en réalité, elles ne le sont pas.
« Notre pays a besoin d'une stratégie alimentaire à long terme. Nous devons définir certains objectifs et mettre en place un processus pour leur réalisation. Ce développement de la stratégie n'est pas le travail du gouvernement. L'élaboration d'une stratégie alimentaire nationale à long terme est le travail de la collectivité agricole. Une fois que les intervenants de l'industrie agroalimentaire se seront réunis pour définir une stratégie alimentaire nationale, nous aurons besoin des gouvernements, tant fédéral que provinciaux, pour travailler avec nous à sa mise en œuvre. Cette stratégie axée sur l'alimentation est en voie d'élaboration au niveau national à l'heure actuelle et nous avons bon espoir que le gouvernement travaillera en collaboration avec la collectivité agricole pour réaliser ces objectifs à long terme de manière que l'avenir soit plus certain et encourageant pour les jeunes agriculteurs d'aujourd'hui. » Mike Nabuurs, mai 13, 2010, p. 5
Lors des audiences du comité, certains témoins ont soulevé la question du cadre dans lequel devrait s’inscrire l’aide fournie par le gouvernement fédéral aux agriculteurs. Une proposition a été formulée au Québec, alors que la nécessité d’un soutien accru était soulignée. La façon dont il devrait être offert a été évoquée ainsi :
« Cette aide ne devrait-elle pas faire partie d'une politique nationale sur l'agriculture avec des éléments bien précis pour être plus structurée?
Selon moi, c'est ce vers quoi il faudrait se diriger, soit une politique agricole canadienne. » Richard Lahoux, mai 2010, p. 21
En fait, les agriculteurs sont des preneurs de prix, en ce sens qu’ils ont peu d’influence sur le coût de leurs intrants ou sur le prix de leurs produits sur le marché concurrentiel. La conséquence est évidente, comme l’a ainsi souligné un agriculteur ontarien :
« Je qualifierais l’état d’esprit dans nos campagnes de cynique. Nous sommes tous devenus un peu cyniques. Nous avons affaire avec le consommateur, et ce qu’il veut, c’est une alimentation qui n'est pas chère. Tout le monde veut des aliments qui ne sont pas chers, mais je crois que ce qui nous agace vraiment, c'est que la portion du panier alimentaire qui revient à l’agriculteur ne fait que rétrécir. Quelqu’un d’autre s’empare de l’argent avant nous. Que nous achetions ou vendions, nous faisons affaire avec d’énormes multinationales. Certaines de ces entreprises nous ont imposé des prix exorbitants. « Keith Kirk, mai 4, 2010 p. 4
Même son de cloche en Saskatchewan, où là aussi, un témoin a fait remarquer que les producteurs primaires, à cause de la mondialisation accrue des marchés et de la concentration des entreprises, se retrouvent dans une situation de plus en plus précaire.
« Pour exploiter une ferme céréalière moderne, il faut de la machinerie, de l'engrais, des herbicides, des graines, de l'essence, des services ferroviaires et des capitaux empruntés. Ces biens et services que nous devons avoir et sans lesquels on ne peut exploiter une ferme sont tous contrôlés par une poignée de corporations internationales qui semblent être bien plus puissantes que de nombreux gouvernements. Au cours des dernières décennies, ces corporations agricoles se sont fusionnées et achetées entre elles au point où elles sont presque en mesure de fonctionner comme un monopole, et souvent, elles le font. La compétition entre ces quelques corporations agricoles internationales semble être chose du passé. » George Hickie, avril 28, 2010, p. 9
La solution ? L’adoption d’une approche globale pour élaborer une politique alimentaire nationale.
RECOMMANDATION
5. Il est recommandé que le gouvernement fédéral prenne des mesures ayant pour objectifs :
· des modes de vie sains, notamment en consacrant 80 millions de dollars à l’établissement d’un Fonds d’achat local pour promouvoir les marchés de produits locaux; en finançant à hauteur de 40 millions de dollars un programme « Bon départ », afin d’aider 250 000 enfants de familles à faible revenu à avoir accès à des aliments sains; en introduisant une réglementation progressiste sur l’étiquetage, axée sur la santé, ainsi que des normes rigoureuses sur les acides gras trans; et en lançant un programme « Choix sains », afin d’aider les Canadiens à savoir comment se nourrir sainement;
· la salubrité des aliments, en mettant en œuvre toutes les recommandations du rapport Weatherill et en finançant à hauteur de 50 millions de dollars l’amélioration des inspections alimentaires ainsi que des mesures visant à garantir que les produits alimentaires importés respectent les normes rigoureuses appliquées à nos propres produits;
· des revenus agricoles viables, en « repartant sur des bases nouvelles » afin de définir, en collaboration avec les agriculteurs, des programmes réalistes et sûrs, et en rétablissant le fonds Agri-Flexibilité afin d’offrir des programmes régionaux souples pour aider les agriculteurs à assumer leurs coûts de production;
· la gestion environnementale des terres agricoles, en renforçant les programmes environnementaux des terres agricoles du Canada; en améliorant la gestion des engrais et des pesticides; et en récompensant les agriculteurs pour des initiatives axées sur la production d’énergie propre ou la préservation de l’habitat faunique;
· le leadership international, en faisant la promotion des produits alimentaires canadiens et en élargissant notre part des marchés étrangers de grande valeur, tout en œuvrant pour la sécurité alimentaire en Afrique et dans les pays les plus pauvres du monde.
BESOINS EN MAIN‑D’œUVRE
Dans la conclusion du rapport du comité, on peut lire que « l’agriculture offre de belles perspectives de carrière aux jeunes. » Or, durant les audiences du comité, la question des besoins en main-d’œuvre dans notre secteur agricole, et plus précisément, des qualifications requises, n’a pas été soulevée.
Le Conseil canadien pour les ressources humaines en agriculture a évalué les besoins en main-d’œuvre dans l’industrie agricole au cours des trois à cinq prochaines années. Selon ces projections, fondées sur les indications fournies par les producteurs primaires, ils auront besoin de remplir plus de 50 000 emplois non saisonniers. Le Conseil a en outre indiqué qu’au cours des prochaines années, le secteur agricole aura besoin de 39 000 ouvriers saisonniers. À l’évidence, il existe des débouchés dans l’agriculture, notamment dans le secteur de la production primaire. Ce qui a manqué jusqu’ici, c’est un engagement ferme de la part du gouvernement fédéral et la volonté de collaborer avec les intéressés dans le but de constituer la main-d’œuvre qualifiée dont le secteur agricole canadien aura besoin à l’avenir.
CONCLUSION
Le gouvernement conservateur actuellement en place a échoué lamentablement en ne prenant pas les mesures voulues pour répondre aux besoins des agriculteurs, alors que ces derniers tentaient de trouver des moyens efficaces d’attirer la main-d’œuvre dont ils ont besoin pour mener à bien leurs activités et en assurer plus solidement la viabilité économique.
L’avenir de l’agriculture et la future viabilité des activités dans lesquelles se lancent nos jeunes agriculteurs pourraient être durablement assurés s’il existait une main-d’œuvre qualifiée.
RECOMMANDATION
6. Il est recommandé que le gouvernement fédéral, en collaboration avec les intervenants du secteur agricole ainsi que les autorités provinciales et territoriales, élabore une politique et instaure des programmes visant la mise en place de l’infrastructure éducative voulue pour soutenir le développement d’une main-d’œuvre qualifiée – tant permanente que saisonnière – répondant aux besoins de nos producteurs agricoles primaires.