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CIIT Rapport du Comité

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Rapport sur l’Accord entre le Canada et les États-Unis en matiÈre de marchÉs publics

INTRODUCTION

À sa première réunion de la 3e session de la 40e législature, le Comité permanent du commerce international de la Chambre des communes (ci-après « le Comité ») a décidé que, compte tenu de l’importance que joue le rôle de la relation entre le Canada et les états-Unis dans la croissance économique et la prospérité des deux pays, l’étude des relations économiques entre le Canada et les états-Unis serait prioritaire dans le programme d’étude de la session. Dans le cadre de ce programme, le Comité a convenu que sa première activité consisterait à étudier l’Accord entre le Canada et les états-Unis en matière de marchés publics (AMP), qui est entré en vigueur le 16 février 2010.

L’AMP a été négocié en réponse aux dispositions « Buy American » de American Reinvestment and Recovery Act of 2009 (l’ARRA, ou la Recovery Act). Ces dispositions limitaient explicitement l’accès des entreprises étrangères aux quelque 275 milliards de dollars américains de marchés publics prévus dans le programme de relance de 787 milliards de dollars américains. Les marchés publics de fer, d’acier et de produits manufacturés financés par l’ARRA à l’échelle des états et des municipalités étaient effectivement inaccessibles aux soumissionnaires canadiens. De plus, à cause de l’incertitude quant à la portée des dispositions « Buy American », certains états, administrations locales et entreprises américaines ont choisi de couper les liens avec des fournisseurs canadiens, même lorsque les marchés n’étaient pas financés par l’ARRA, par crainte de ne pas pouvoir respecter les exigences en matière de contenu américain.

En contrepartie de l’accès des entreprises canadiennes à certains marchés publics infranationaux aux états‑Unis, le Canada s’est engagé officiellement, pour la première fois dans un traité international, à ouvrir partiellement les marchés d’approvisionnement provinciaux, territoriaux et municipaux aux entreprises américaines. Même si dans la pratique de nombreux contrats d’approvisionnement infranationaux au Canada étaient déjà ouverts aux soumissionnaires des deux pays avant l’entrée en vigueur de l’AMP, les administrations canadiennes n’étaient pas tenues d’offrir aux entreprises américaines l’accès à leurs possibilités d’approvisionnement.

Le Comité a tenu six réunions portant sur l’AMP entre le Canada et les états-Unis en mars et en avril 2010. Il visait à analyser l’accord afin de déterminer son incidence éventuelle sur les entreprises canadiennes et sur les marchés publics au Canada et aux états-Unis. Au cours des audiences, les membres du Comité ont entendu le ministre du Commerce international Peter Van Loan, des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI) et diverses parties intéressées, y compris des entreprises privées, des représentants syndicaux, des groupes de politique publique et des organisations non gouvernementales (ONG).

CONTEXTE

A. Les dispositions « Buy American » de l’ARRA

Avant même d’être adoptée, l’ARRA a soulevé une controverse mondiale parce que ses dispositions proposées sur les achats aux états-Unis (« Buy American ») menaçaient de limiter l’accès des entreprises étrangères aux possibilités d’obtenir des contrats d’approvisionnement aux états-Unis. Le problème pour ces pays n’était pas l’absence d’un marché d’approvisionnement libre et ouvert aux états-Unis. Comme l’a fait remarquer Jenny Ahn (directrice, Relations gouvernementales, mobilisation des membres et action politique, Syndicat des travailleurs et travailleuses canadiens de l’automobile), un grand nombre des principaux partenaires commerciaux au Canada « imposent systématiquement des exigences en matière de contenu national dans les achats publics[1] ». Pour de nombreux pays, le problème était le fait que les dispositions « Buy American » proposées dans la Recovery Act signalaient que les états-Unis imposaient de nouvelles exigences en matière de contenu national, en plus de celles qui existaient déjà.

À l’instar du Plan d’action économique du gouvernement du Canada et des programmes de relance semblables dans le monde, l’ARRA visait à atténuer les effets de la crise financière et économique mondiale et à accélérer l’éventuelle reprise. En même temps toutefois, les pays du G-20 ont demandé aux états du monde entier d’éviter la tentation de recourir à des mesures protectionnistes pour stimuler leur économie intérieure[2]. Ils faisaient valoir qu’ériger des barrières commerciales en période de ralentissement économique irait à l’encontre de la promotion d’une reprise soutenue de l’économie mondiale.

Malgré ces préoccupations, l’ARRA a été adoptée le 17 février 2009, sans que les dispositions « Buy American » soient modifiées. L’article 1605 de la Recovery Act prévoit que, sous réserve de certaines exceptions, le fer, l’acier et les produits manufacturés utilisés dans tout projet de construction, de rénovation, d’entretien ou de réparation d’immeuble ou d’ouvrage public financé en vertu de la Recovery Act doivent être produits aux états-Unis[3].

Reconnaissant les craintes exprimées par le Canada et d’autres pays, l’ARRA affirme également que les conditions « Buy American » doivent être conformes aux engagements pris dans les accords commerciaux internationaux signés par les états-Unis. Mais comme l’a fait remarquer Jean-Michel Laurin (vice-président, Politiques d’affaires mondiales, Manufacturiers et exportateurs du Canada), la promesse de respecter les accords commerciaux internationaux était une maigre consolation pour les entreprises canadiennes parce que l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ne porte pas sur les transferts fédéraux aux états et aux administrations locales ni sur l’approvisionnement des gouvernements infranationaux[4]. Par conséquent, malgré cette disposition de l’ARRA, les entreprises canadiennes continuaient d’être exclues des possibilités d’approvisionnement infranationales financées par cette loi.

B. Exigences américaines en matière de contenu national dans d’autres lois

Le Comité a appris que les exigences en matière de contenu national ne sont pas nouvelles dans la politique américaine sur les marchés publics. Les dispositions « Buy American » de l’ARRA chevauchent deux autres grandes lois américaines sur le contenu national : la Buy American Act et le Buy America Statute.

La Buy American Act est entrée en vigueur en 1933 et, dans son état actuel, s’applique à tous les marchés publics américains et à tous les projets de construction des organismes fédéraux visés par la Federal Acquisition Regulation. Sauf quelques exceptions, cette loi exige que toutes les fournitures destinées à des contrats d’approvisionnement admissibles soient fabriquées aux états-Unis et qu’au moins la moitié de toutes les composantes (d’après la valeur) soit d’origine américaine. De même, tous les matériaux utilisés dans les projets de construction doivent aussi être fabriqués aux états-Unis.

Comme l’a fait remarquer Carl Grenier (qui témoignait à titre personnel), la Buy American Act prévoit quelques pratiques préférentielles qui favorisent les fournisseurs locaux par rapport aux concurrents canadiens et d’autres pays. Pour obtenir un marché, les fournisseurs étrangers doivent faire des offres de 6 % ou 12 % inférieures à celles des entreprises locales, selon le type de contrat. Dans le cas des contrats militaires, l’offre étrangère doit coûter 50 % de moins[5].

Le Buy America Statute a été adopté pour la première fois en 1964 et s’applique actuellement aux achats liés au transport en commun d’une valeur de plus de 100 000 $. Presque tout le financement provient des subventions fédérales administrées par les états et les administrations locales, y compris les subventions de la Federal Transit Administration (FTA) et de la Federal Highway Administration (FHWA). En vertu de cette loi, tous les intrants de fabrication et les matériaux de construction utilisés dans les activités financées par la FTA doivent être fabriqués aux états-Unis pour que le produit fabriqué ou le matériel de construction final réponde aux exigences de la loi en matière de contenu national[6]. De même, tous les produits en fer et en acier et leurs revêtements utilisés dans les projets financés par la FHWA doivent être fabriqués à 100 % aux états-Unis.

C. Incidence des restrictions « Buy American » de l’ARRA sur les entreprises canadiennes

Le Comité a appris que de nombreuses entreprises canadiennes ont été touchées par les dispositions « Buy American » de l’ARRA. Lynda Watson (directrice, Politique commerciale avec l’Amérique du Nord, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international) a déclaré :

Dès que les dispositions favorisant les achats aux états-Unis sont apparues dans la loi sur la relance économique de ce pays, il était évident que les entreprises canadiennes allaient en souffrir. Mes collègues de nos consulats et de nos bureaux régionaux au Canada recevaient des appels des entreprises qui leur disaient : « Mon client me dit que je ne peux pas présenter une soumission, alors que dois-je faire? » Ou encore, elles disaient : « J’essaie de présenter une soumission, mais je ne comprends pas leurs exigences[7]. »

Le Comité a aussi entendu directement des représentants des entreprises canadiennes. Témoignant au sujet de l’incidence des dispositions « Buy American » de la Recovery Act sur les activités de son entreprise, Omar Hammoud (président et directeur général, APG-Neuros Inc.) a déclaré que, depuis l’entrée en vigueur de l’ARRA, son entreprise avait été écartée de 20 projets auxquels elle devait participer : « Les Américains ont utilisé nos concepts, nos renseignements techniques et nos renseignements commerciaux de nature exclusive et, à la dernière minute, ils nous ont annoncé que nous ne faisions plus partie du projet[8]. »

Selon M. Hammoud, ces projets perdus ont coûté 8 millions de dollars à son entreprise. Il a aussi déclaré au Comité que son entreprise avait dû s’implanter dans le nord de l’état de New York afin de ne pas continuer à perdre l’accès aux possibilités d’approvisionnement aux états-Unis. Il a ajouté que cette mesure, nécessaire pour assurer la survie et le fonctionnement de son entreprise, avait coûté 40 emplois canadiens, qui auraient été créés dans la région de Montréal.

L’expérience de Steve Ross (directeur général, Cherubini Group) est semblable. M. Ross a déclaré que, par le passé, son entreprise n’avait pas eu de mal à obtenir des contrats d’approvisionnement à l’échelle des états, en partie parce que peu de ces projets étaient financés par le gouvernement fédéral. Depuis l’entrée en vigueur de la Recovery Act, les dispositions « Buy American » ont êntrainé l’exclusion du marché des approvisionnements infranationaux depuis un an et demi[9].

Le Comité a appris que, dans certains cas, les états et les administrations locales n’envisagent pas des soumissions étrangères pour des contrats d’approvisionnement, même lorsque les entreprises étrangères sont autorisées à soumissionner. Certains ont informé le Comité que cette exclusion pourrait s’expliquer par le fait que les gouvernements n’étaient pas sûrs de pouvoir utiliser des produits de fabrication canadienne ou que certaines administrations municipales des états-Unis ont décidé de s’approvisionner auprès de fournisseurs américains afin d’éviter d’avoir deux stocks différents, soit un composé de biens de fabrication américaine pour les projets financés en vertu de l’ARRA, soit composé de biens provenant du Canada pour les projets auxquels l’ARRA ne s’applique pas. Le cas bien connu de la société torontoise qui a décroché un contrat d’approvisionnement en tuyaux de plastic d’un centre de santé en Californie, mais qui a vu la tuyauterie se faire arracher parce qu’elle avait été fabriquée au Canada, illustre bien l’incidence possible d’une telle exclusion, ou même d’une impression d’exclusion, sur les entreprises canadiennes.

Certains témoins étaient cependant sceptiques au sujet de l’incidence sur les entreprises canadiennes des dispositions « Buy American » de la Recovery Act. Teresa Healy (chercheuse principale, Service des politiques économiques et sociales, Congrès du travail du Canada) a indiqué qu’il y avait très peu de renseignements concrets sur l’ampleur des préjudices subis par les fournisseurs canadiens à cause de ces dispositions. Elle a également réfuté les affirmations que les exigences sur le contenu national aux états-Unis avaient contribué au déclin des échanges commerciaux entre le Canada et les états-Unis en 2009, et elle a ajouté :

Les données portant sur les préjudices subis par les fournisseurs canadiens en raison des dispositions privilégiant l’achat de biens américains, qui existent depuis les années 1930, ne sont pas des données scientifiques. À cause de l’exigence de confidentialité entourant les affaires des entreprises, les renseignements ne nous sont fournis que par l’entremise de la presse. Nous ne savons donc pas vraiment quelle a été la gravité de ces préjudices et nous ne pouvons tout simplement pas accepter l’idée selon laquelle ce sont les dispositions privilégiant l’achat de biens américains plutôt que la récession économique qui sont à l’origine de la baisse de nos exportations[10].

D. La réaction du gouvernement fédéral canadien aux dispositions « Buy American » de l’ARRA

Les témoins ont indiqué au Comité qu’avant même que l’ARRA soit adoptée, le gouvernement du Canada discutait activement avec le gouvernement américain au sujet des achats aux états-Unis et s’efforçait d’obtenir un accès aux contrats d’approvisionnement infranationaux américains pour les entreprises canadiennes. La question avait été soulevée à plusieurs reprises entre le premier ministre Stephen Harper et le président américain Barack Obama, et faisait l’objet d’un lobbying politique, diplomatique et administratif.

Le Comité s’est d’ailleurs rendu à Washington en avril 2009 pour rencontrer des membres du Congrès et des représentants de l’administration américaine. Il visait à attirer l’attention sur quelques problèmes commerciaux et frontaliers entre le Canada et les états-Unis, y compris l’incidence éventuelle sur certains secteurs intégrés dans les économies canadienne et américaine des restrictions sur les achats américains.

En plus de ce lobbying, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont commencé, au printemps et à l’été 2009, à élaborer une première proposition en vue d’un accord négocié. Comme l’a fait remarquer Dany Carriere (directrice, Accès aux marchés-multilatéral, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), le Canada se penchait, dans cette proposition, non seulement sur les enjeux particuliers de l’ARRA, mais aussi sur les contentieux commerciaux persistants dans le domaine des marchés publics entre le Canada et les états-Unis[11].

Le 20 août 2009, la proposition a été présentée au représentant au commerce des états-Unis (USTR). D’après Mme Carriere, les deux parties ont amorcé les négociations officielles le 1er octobre 2009. Après plusieurs séances de négociation, un accord de principe a été conclu le 3 février 2010, et l’AMP est entré en vigueur le 16 février.

Le succès des négociations de l’AMP entre le Canada et les états-Unis dépendait de l’étroite collaboration et du consentement unanime des provinces et des territoires. Bien que le gouvernement fédéral ait le pouvoir de négocier des traités internationaux au nom de l’ensemble du pays, les provinces et les territoires exercent une compétence exclusive sur leurs propres politiques d’approvisionnement. Pour que le Canada négocie un accord avec les états-Unis sur les marchés publics infranationaux, les provinces et les territoires devaient consentir à ouvrir leurs marchés d’approvisionnement et préciser les concessions qu’ils étaient prêts à accorder. Marie-Josée Langlois (directrice, Politique commerciale en Amérique du Nord, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international) a déclaré :

Les provinces et les territoires ont joué un rôle tout au long des discussions. L’accord représente leurs intérêts et ceux de leurs parties intéressées, de leurs électeurs et de leurs municipalités[12].

Lorsqu’il a témoigné devant le Comité, le ministre du Commerce international, Peter Van Loan, a décrit le processus de négociation comme suit :

Les termes de l'entente ont pour ainsi dire été établis par les provinces et par l'industrie, dans leur intérêt, d'après ce qu'elles considéraient être une entente intéressante et ce qu'il y avait de mieux pour leurs travailleurs et leurs entreprises. Le rôle du gouvernement fédéral s'est borné à mener les négociations […] les négociateurs du gouvernement du Canada étaient comme des avocats qui s'exprimaient au nom de leurs clients, à savoir l'industrie, les travailleurs ainsi que les provinces et les territoires du Canada[13].

Plusieurs témoins ont félicité les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux pour la rapidité avec laquelle ils sont parvenus à l’élaboration d’une proposition consensuelle à présenter au représentant au commerce des états-Unis. Michael Buda (directeur, Politiques et recherches, Fédération canadienne des municipalités) a qualifié de « tout à fait remarquable[14] » le fait que toutes les provinces et tous les territoires avaient signé un accord en moins de six mois. Shirley-Ann George (première vice-présidente, Politiques, Chambre de commerce du Canada) a aussi félicité les négociateurs du Canada et déclaré :

[…] si l’on tient compte du temps qu’il faut habituellement pour négocier des accords internationaux, le fait d’avoir conclu une telle entente en six mois est un accomplissement impressionnant. Si l’on tient compte du fait que l’accord nécessitait également l’adhésion des provinces, franchement, c’est carrément ahurissant que ce groupe ait pu parvenir à un accord en six mois[15].

Le Comité a cependant entendu des critiques au sujet de la manière dont le Canada a abordé les négociations. Ainsi, plusieurs témoins se sont plaints du manque de consultation avant et pendant les négociations officielles avec les états-Unis. Wayne Peppard (directeur général, British Columbia and Yukon Territory Building and Construction Trades Council) n’était pas au courant des consultations avec des groupes syndicaux ou des représentants des travailleurs dans son industrie avant la signature de l’accord :

Je peux simplement espérer qu'on tiendra pleinement compte des préoccupations des travailleurs s'il devait y avoir un élargissement des engagements à l'égard de tout accord permanent avec quelque pays que ce soit relativement aux marchés publics[16].

Michael Buda a exprimé son inquiétude au sujet de la manière dont le Canada a développé sa position de négociation initiale. Il a reconnu les compétences des provinces et des territoires sur les approvisionnements infranationaux au Canada, mais il a ajouté que les municipalités n’ont pas été consultées durant les premières discussions entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires. Il a déclaré que les experts en approvisionnement municipal auraient dû être consultés au sujet d’une entente qui porte aussi sur les approvisionnements municipaux[17].

Enfin, certains témoins estimaient que le Canada s’était placé lui-même en position d’échec par sa manière d’aborder les négociations avec les états-Unis. Ainsi, Carl Grenier a soutenu que, parce que le Canada était le seul pays qui souhaitait vraiment un accord sur les marchés publics, il était dès le départ en mauvaise position pour négocier. Il croyait que le Canada n’aurait jamais pu négocier une entente équitable en se mettant ainsi dans une position de demandeur, et il a ajouté :

Le Canada a dit aux états-Unis, « Il nous faut à tout prix une entente. » Quand vous dites cela à quelqu’un, vous êtes certain d’en avoir une. Nous avons obtenu une entente, mais à quel prix[18].

L'ACCORD CANADA — ÉTATS-UNIS SUR LES MARCHÉS PUBLICS

L’accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des états-Unis sur les marchés publics comprend trois volets :

  • un échange d’engagements permanents au titre de AMP de l’Organisation mondiale du commerce (OMC);
  • un accord temporaire, jusqu’à septembre 2011, garantissant un accès mutuel à certains projets d’infrastructure des états, des provinces et des municipalités;
  • un engagement à explorer la portée de négociations ultérieures, ainsi qu’un accord pour des consultations accélérées sur les questions touchant aux marchés publics à l’avenir[19].

Le Comité a examiné chacun de ces éléments, comme il en est fait état ci-dessous.

A. Engagements permanents à l’OMC

1. Contenu de l’accord

En élargissant ses engagements conformément à l’AMP de l’OMC de manière à inclure les approvisionnements infranationaux, le Canada accepte, pour la première fois dans un accord international, de donner aux entreprises américaines un certain accès permanent aux marchés d’approvisionnement de l’ensemble des provinces et territoires, sauf le Nunavut. En contrepartie, les états-Unis appliquent au Canada leurs engagements pris en 1994 dans l’AMP de l’OMC sur les approvisionnements infranationaux, soit dans 37 états américains.

Les états-Unis n’ont pas pris de nouveaux engagements à l’OMC en vertu de l’accord conclu avec le Canada. Les engagements relatifs à l’accès aux marchés ont été pris par les 37 états en 1994 et, jusqu’ici, s’étaient appliqués à tous les pays signataires de l’AMP de l’OMC sauf le Canada. Les états-Unis n’avaient pas voulu appliquer au Canada leurs engagements sur les approvisionnements infranationaux sans obtenir un accès comparable en contrepartie.

Tous les pays qui signent l’AMP de l’OMC décrivent leurs engagements spécifiques dans un appendice remis à l’OMC. L’annexe 2 de cet appendice décrit les engagements spécifiques et les exceptions pour chacune des entités infranationales assujetties à l’accord. D’autres exceptions à l’échelle nationale se trouvent dans les notes générales de chaque pays sur l’appendice.

Pour les états-Unis, les exceptions comprennent notamment :

  • Pour 12 des 37 états, l’AMP de l’OMC ne s’applique pas aux marchés portant sur l’acier de construction (y compris dans le cadre de sous-contrats), les véhicules moteur et le charbon.
  • L’AMP de l’OMC ne s’applique pas aux marchés réservés aux petites entreprises et aux entreprises détenues par des minorités.
  • L’AMP de l’OMC ne s’applique pas aux préférences ou restrictions visant à promouvoir le développement de régions économiques défavorisées et d’entreprises appartenant à des minorités, des anciens combattants invalides et des femmes.
  • Les états se réservent le droit d’appliquer des restrictions afin de promouvoir la qualité de l’environnement, à condition que ces restrictions ne constituent pas des obstacles déguisés au commerce international.
  • L’AMP de l’OMC ne s’applique pas aux marchés passés par une entité visée pour le compte d’entités non visées à un niveau de gouvernement différent.
  • L’AMP de l’OMC ne s’applique pas aux restrictions associées aux fonds fédéraux pour les transports publics et les projets routiers.

L’engagement du Canada d’ouvrir indéfiniment les marchés d’approvisionnement infranationaux aux états-Unis comprend les approvisionnements de la vaste majorité des ministères et de la plupart des organismes provinciaux et territoriaux. Mais ces engagements relatifs à l’accès aux marchés prévoient aussi quelques exceptions, certaines touchant à des provinces ou territoires en particulier et d’autres s’appliquant à tous les gouvernements. Voici quelques-unes de ces exceptions :

  • construction navale et réparation de navires
  • chemins de fer urbains et matériel de transport urbain, systèmes, composants et matériaux entrant dans leur fabrication, ainsi que tout le matériel en fer ou en acier destiné à des ouvrages;
  • préférences ou restrictions concernant des projets de routes;
  • marchés portant sur l’acquisition de produits, de services ou de services de construction pour le compte de conseils scolaires, d’établissements d’enseignement financés par le secteur public, d’entités de services sociaux ou d’hôpitaux (cette exception ne s’applique pas à l’Ontario ni au Québec);
  • marchés portant sur les produits relevant du n°58 de la Classification fédérale des approvisionnements (matériel de communication, matériel de détection des radiations et d’émission de rayonnement cohérent);
  • marchés réservés aux petites entreprises et aux entreprises détenues par des minorités ;
  • marchés de produits agricoles passés en application de programmes de soutien à l’agriculture ou de programmes d’aide alimentaire;
  • exemptions pour des raisons de sécurité nationale, visant notamment les achats de pétrole nécessaires au maintien de réserves stratégiques et marchés passés pour protéger les matières ou la technologie nucléaires.

Une liste complète des engagements et exceptions des provinces et des territoires à l’OMC sur l’accès aux marchés se trouve à l’appendice A de l’AMP entre le Canada et les états-Unis.

Les états-Unis sont le seul pays signataire de l’AMP de l’OMC pour lequel les engagements du Canada relativement aux approvisionnements infranationaux s’appliqueront au départ. Les autres pays signataires de l’AMP de l’OMC n’auront pas accès aux possibilités d’approvisionnement infranationales au Canada tant qu’ils n’auront pas négocié un accès mutuellement acceptable à leurs propres marchés d’approvisionnement.

Une restriction commune à tous les pays signataires de l’AMP de l’OMC est que les contrats d’approvisionnement doivent dépasser une certaine valeur de seuil afin d’être assujettis à l’accord. Pour les administrations infranationales aux états-Unis, ce seuil est de 554 000 $US pour les produits et services, et de 7,8 millions de dollars américains pour les services de construction. Au Canada, les seuils sont comparables : 604 500 $CA pour les produits et services, et 8,5 millions de dollars canadiens pour les services de construction. Comme l’a expliqué Carl Grenier au Comité, ces seuils sont en place en grande partie parce qu’il est long et coûteux d’ouvrir tous les contrats à la concurrence internationale. Ils évitent aux pays de devoir lancer des appels d’offres ouverts pour des contrats qui ne valent manifestement pas la peine qu’on lance un appel d’offres international[20].

2. Points de vue des témoins

Le Comité a entendu des témoins affirmer que, parce que l’AMP entre le Canada et les états-Unis garantit l’accès aux concessions sur les approvisionnements faites par 37 états dans l’AMP de l’OMC, il procure des avantages importants au Canada. Scott Sinclair a fait remarquer que, jusqu’à ce que l’AMP entre le Canada et les états-Unis soit signé, les fournisseurs canadiens n’avaient pas le droit de contester les décisions qui les excluaient des appels d’offres effectués par les 37 états signataires de l’AMP de l’OMC[21]. Lynda Watson était d’accord. Elle a fait observer que les engagements permanents à l’OMC donnent aux entreprises canadiennes une certaine certitude dont elles ont grandement besoin quant à leurs droits de poursuivre des contrats d’approvisionnement aux états-Unis. À son avis, l’AMP entre le Canada et les états-Unis protège jusqu’à un certain point, les entreprises canadiennes contre un traitement injuste dans l’attribution des contrats d’approvisionnement à l’échelle des états aux états-Unis[22]. Jean-Michel Laurin a fait remarquer que le Canada a obtenu le même accès aux états-Unis que celui dont jouissent les entreprises européennes depuis des années[23].

Cependant, des témoins ont reproché au gouvernement du Canada de ne pas avoir obtenu de meilleurs engagements permanents sur l’accès aux marchés des états-Unis. Ils ont fait remarquer que les engagements américains ne portent pas sur tous les ministères et organismes des états et ils ont attiré l’attention sur les nombreuses exclusions pour lesquelles le Canada n’a pas obtenu d’exemption. Parmi les exemptions encore en place, certains témoins ont insisté sur les restrictions relatives aux achats aux états-Unis rattachées notamment aux projets de transport en commun et de voirie, aux contrats des services d’utilité publique, à l’achat de véhicules, aux services d’édition et à l’acier de construction financés par le gouvernement fédéral. Ils ont indiqué que les exclusions et exceptions des états-Unis en vertu de l’AMP de l’OMC sont si vastes que les entreprises canadiennes ne constateront peut-être pas une grande amélioration de leur accès aux marchés d’approvisionnement infranationaux des états-Unis.

Guy Caron (représentant national, Projets spéciaux, Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier) a déclaré que l’une des principales exceptions prévues dans les engagements des états-Unis en vertu de l’AMP de l’OMC est celle qui touche aux petites entreprises et aux entreprises appartenant à un membre d’un groupe ethnique minoritaire. Il a fait remarquer que 23 % des fonds fédéraux consacrés aux marchés publics sont réservés à ces entreprises aux états-Unis[24]. Le Comité a appris qu’il existe des exceptions semblables au niveau des états, dont certaines varient de 25 à 40 %.

De fait, le Comité a appris que la question des marchés réservés aux petites entreprises était l’une des principales raisons pour lesquelles le Canada avait toujours résisté par le passé à conclure un accord sur les marchés infranationaux avec les états-Unis, aussi bien à l’OMC qu’en vertu de l’ALENA. Carl Grenier a présenté un historique détaillé des négociations sur les marchés publics à l’OMC, s’inspirant de son expérience personnelle au sein de l’équipe de négociation du Canada lors des négociations de l’Accord général sur les tarifs et le commerce (GATT) au cycle de Tokyo. M. Grenier a affirmé qu’à son avis, les états-Unis ont négocié une modification de dernière minute au premier accord du GATT sur les marchés de services en 1979, afin de protéger ses marchés réservés aux petites entreprises. Cette modification a représenté un important recul pour le Canada, qui s’attendait à profiter considérablement de sa proximité avec les marchés d’approvisionnement américains.

D’après M. Grenier, c’est à cause du refus permanent des négociateurs américains d’exempter les entreprises canadiennes des marchés réservés aux petites entreprises américaines que le Canada n’a pas élargi ses engagements en vertu de l’AMP de l’OMC afin d’inclure les approvisionnements infranationaux en 1994. D’après le Canada à l’époque, ces marchés réservés empêchaient les entreprises canadiennes d’avoir le même accès aux marchés d’approvisionnement américains que celui des états-Unis aux marchés d’approvisionnement fédéraux du Canada. M. Grenier a déclaré que le Canada ne souhaitait pas accentuer encore plus le déséquilibre en appliquant le traitement injuste aux approvisionnements infranationaux. Vu sous cet angle, M. Grenier estimait donc que l’AMP entre le Canada et les états-Unis était très inquiétant. Selon lui, le Canada a donné accès aux marchés publics provinciaux et territoriaux du Canada sans avancer dans le dossier des marchés réservés aux petites entreprises ou au sujet des autres exemptions américaines à l’OMC.

Dany Carriere a reconnu que les états-Unis ont prévu des exclusions dans leurs engagements en vertu de l’AMP de l’OMC, mais affirmé que les provinces et les territoires, qui ont travaillé à l’élaboration de la proposition canadienne, ont prévu quelques exclusions comparables. Elle a déclaré :

[…] je tiens à préciser que… nous avons l’exclusion équivalente pour les restrictions américaines relatives aux transports en commun. Nous avons l’équivalent pour les restrictions et les préférences concernant les projets de routes. Nous avons repris une exclusion équivalente qui ne s’applique pas aux préférences ni aux restrictions concernant des programmes qui favorisent le développement des régions défavorisées, ainsi qu’une exclusion pour les marchés visant à contribuer au développement économique de certaines provinces. L’accord ne s’applique pas à toute mesure adoptée ou maintenue relativement aux Autochtones[25].

Mme Carriere a aussi fait remarquer que les acquisitions pour le compte de municipalités, de conseils scolaires, d’entités de services sociaux et d’hôpitaux au Canada sont également exclues de l’AMP entre le Canada et les états-Unis pour faire contrepoids aux exclusions locales aux états-Unis. À son avis, les engagements permanents du Canada à l’égard de l’ouverture des marchés publics provinciaux et territoriaux, conformément à l’AMP de l’OMC, sont comparables aux engagements américains.

Quelques témoins craignaient qu’en élargissant les engagements de l’AMP de l’OMC de manière à inclure les marchés publics provinciaux et territoriaux, les gouvernements du Canada sacrifiaient leur capacité d’utiliser les marchés publics pour appuyer le développement économique futur. Teresa Healy a déclaré :

En pleine tourmente économique, les provinces et les territoires ont renoncé à un espace politique important qu’ils pourraient utiliser à meilleur escient pour appuyer la production de biens et de services canadiens, dans les secteurs à la fois public et privé[26].

Le Comité a aussi appris qu’en acceptant une ouverture partielle mais permanente des marchés publics provinciaux et territoriaux, le Canada a compromis sa capacité de mettre en œuvre des politiques d’achats au Canada. Plusieurs témoins croyaient que les exigences en matière de contenu national constituaient un élément important des marchés publics, afin qu’au moins une partie des sommes consacrées à ces marchés appuient l’économie canadienne. Angelo DiCaro (représentant national aux communications, Syndicat des travailleurs et travailleuses canadiens de l’automobile) a déclaré :

Les politiques sur les produits canadiens, lorsqu’elles sont utilisées correctement, peuvent servir de levier stratégique pour encourager le développement économique et social intérieur, particulièrement pour ce qui est de maintenir un secteur manufacturier solide et dynamique au Canada[27].

Wayne Peppard était d’accord et il a expliqué qu’il préférait que ses impôts servent à « encourager les entrepreneurs et des travailleurs canadiens contribuant à notre économie de même qu’à permettre aux travailleurs sans emploi et non inscrits, dont le pourcentage est évalué à 12 % et qui sont à court de prestations d’assurance-emploi, de contribuer à l’économie canadienne[28] ».

Jenny Ahn a qualifié l’acquisition récente par la ville de Toronto de véhicules légers sur rail d’exemple de politique réussie d’achats au Canada. Toronto a exigé 25 % de contenu canadien dans ces véhicules et, comme l’a affirmé Mme Ahn, cette condition a fait que « le Canada profitera d’une fraction notable des retombées économiques de ce contrat d’achat public d’une valeur sans précédent de 1,2 milliard de dollars[29],[30] ».

D’autres ont soutenu que, contrairement au Canada, les états-Unis ne semblaient pas hésiter à imposer des exigences en matière de contenu national qui protégeaient la capacité d’utiliser les deniers publics pour stimuler l’économie nationale. Steven Shrybman (avocat des affaires de commerce international et d’arbitrage d’intérêt public, Conseil des Canadiens) a fait remarquer :

Je crois donc que les états-Unis comprennent que les dépenses de fonds publics pour créer des biens publics constituent également un moyen raisonnable de créer des emplois. Je doute que les états américains renoncent à cette prérogative[31].

Le Comité a aussi entendu certains témoins affirmer que les seuils au-dessous desquels les engagements permanents sur l’accès ne s’appliquent pas sont trop élevés et qu’ils excluent une part importante des contrats d’approvisionnement. Omar Hammoud a fait observer que, pour son entreprise, le seuil de 7,8 millions de dollars américains constitue un grand obstacle à l’accès à des contrats d’approvisionnement aux états-Unis. M. Hammoud a déclaré que 80 % des projets américains sont inférieurs à ce seuil. Il a indiqué également que les gros contrats peuvent être fractionnés de manière à ce qu’ils soient tous inférieurs à ce seuil. Il a fait valoir que les gouvernements peuvent ainsi éviter d’ouvrir le processus aux fournisseurs étrangers.

Shirley-Ann George a cependant rappelé au Comité que le Canada a aussi des seuils semblables, qui ont été mis en place à la demande des provinces et des territoires. Ces seuils permettent aux gouvernements intérieurs de réserver certains marchés publics locaux aux entreprises locales.

Même si les témoins divergeaient d’opinion sur les engagements permanents pris dans l’AMP entre le Canada et les états-Unis, un aspect qui faisait consensus est la difficulté d’estimer ou de prévoir l’effet sur les entreprises au Canada et aux états-Unis. Les engagements relatifs aux approvisionnements qui différent d’un endroit à l’autre, l’incidence de la valeur de seuil, la myriade d’exceptions et d’exclusions, et le fait que les états, les provinces et les territoires peuvent lever ces exceptions à leur gré[32] compliquent cette analyse.

De plus, le Comité a appris que les états-Unis ont de mauvais antécédents en ce qui concerne les rapports à présenter conformément à l’AMP de l’OMC. Les documents exigés arrivent avec plusieurs années de retard et, comme l’a fait remarquer Scott Sinclair, les états-Unis ne produisent pas de statistiques détaillées au niveau des états sur les marchés publics visés par l’AMP de l’OMC. Ces contraintes statistiques compliquent l’analyse de l’incidence des engagements permanents en vertu de l’AMP entre le Canada et les états-Unis.

B. Entente provisoire sur un champ d’application élargi

1. Contenu de l’accord

Le deuxième volet de l’AMP entre le Canada et les états-Unis est une série d’engagements pris par les deux pays en vue d’offrir un accès temporaire aux autres possibilités d’approvisionnement infranationales jusqu’en septembre 2011. Ces engagements temporaires d’accès se rajoutent aux engagements pris dans l’AMP de l’OMC décrits ci-dessus. Les engagements particuliers sont indiqués dans la partie B de l’AMP entre le Canada et les états-Unis et dans l’appendice C de cet accord.

Pour leur part, les états-Unis acceptent de lever leurs restrictions sur les achats locaux à l’égard du fer, de l’acier et des produits manufacturés canadiens utilisés dans les projets financés par l’ARRA et administrés par les états pour sept programmes désignés dans les 50 états[33]. Ces programmes sont les suivants :

  • US Department of Agriculture (USDA), Rural Utilities Services, Water and Waste Disposal Programs;
  • USDA Rural Housing Service, Community Facilities Program;
  • US Department of Energy, Office of Energy Efficiency and Renewable Energy, Energy Efficiency and Conservation Block Grants;
  • US Department of Energy, Office of Energy Efficiency and Renewable Energy, State Energy Program;
  • US Department of Housing and Urban Development, Office of Community Planning and Development, Community Development Block Grants Recovery;
  • US Department of Housing and Urban Development, Office of Public and Indian Housing, Public Housing Capital Fund;
  • US Environmental Protection Agency, Clean Water and Drinking Water State Revolving Funds, pour les projets financés par la réaffectation du financement de l’ARRA lorsque les contrats sont signés après le 17 février 2010.

Pour sa part, le Canada s’engage à donner aux entreprises américaines un accès aux marchés de services de construction de nombreux organismes gouvernementaux provinciaux et territoriaux, sociétés d’état et municipalités jusqu’en septembre 2011. À l’instar des engagements permanents du Canada décrits ci-dessus, les organismes gouvernementaux particuliers à qui s’appliquent les engagements temporaires varient d’une province ou d’un territoire à l’autre. Le seuil de 8,5 millions de dollars canadiens dans les engagements pris par le Canada dans l’AMP de l’OMC s’applique aussi aux engagements relatifs à l’accès élargi.

Les engagements du Canada relatifs à l’accès temporaire élargi font également l’objet de certaines exclusions. Dans la plupart des cas, ces exclusions ressemblent à celles qui figurent dans les engagements permanents du Canada à l’égard des approvisionnements infranationaux à l’OMC. Une différence notable cependant est le fait que, dans ses engagements temporaires, le Canada se réserve le droit d’imposer des plafonds à ses concessions afin de faire contrepoids aux nouvelles mesures restrictives d’approvisionnement préférentiel que pourraient prendre un état ou une administration locale aux états-Unis.

2. Points de vue des témoins

Tout comme pour le volet sur les engagements permanents de l’AMP entre le Canada et les états-Unis, les témoins divergeaient nettement d’opinion au sujet de l’entente provisoire sur un champ d’application élargi. Certains ont soutenu que le Canada a fait des importantes concessions sur les marchés publics provinciaux, territoriaux et locaux et obtenu en contrepartie un accès très limité aux marchés d’approvisionnement américains. D’autres croyaient que le Canada a fait des gains modestes mais importants sur les marchés d’approvisionnement américains en contrepartie de la reconnaissance des politiques d’approvisionnement municipales, provinciales et territoriales existantes.

Plusieurs témoins opposés à l’AMP ont déclaré au Comité que les gains que le Canada pourra tirer de l’exemption partielle des exigences de l’ARRA en matière de contenu national seront probablement minimes. Non seulement la plus grande partie du financement de l’ARRA a-t-elle été déjà affectée, mais l’AMP entre le Canada et les états-Unis n’ouvre aux entreprises canadiennes qu’une infime partie du financement qui reste.

Le Comité a entendu de nombreuses estimations différentes de la valeur des possibilités de contrats qui s’ouvrent aux entreprises canadiennes grâce aux engagements temporaires de l’AMP. Scott Sinclair a fait observer que, sur les 275 milliards de dollars américains prévus dans la Recovery Act, le budget total des sept programmes pour lesquels le Canada a obtenu une exception se chiffre à 18 milliards de dollars américains et que, au 31 décembre 2009, les deux tiers de ces fonds avaient déjà été affectés. Il a ajouté :

Autrement dit, les fournisseurs canadiens seront en lice pour seulement 6 milliards de dollars américains des projets de relance financés par le gouvernement fédéral, soit seulement 2 % des marchés publics financés par l’ARRA. Le reste échappe à la portée de l’accord. Et le montant ouvert, dans la pratique, aux fournisseurs canadiens sera considérablement moindre que ceux que j’ai indiqués. Le reste échappe à la portée de l’accord[34].

Steven Shrybman a déclaré que cette estimation est généreuse parce qu’elle ne tient pas compte de toutes les autres exceptions et exclusions prévues dans les règles américaines sur les approvisionnements pour lesquelles le Canada n’a pas obtenu d’exception. Dans son mémoire au Comité, il a fait observer que, conformément à l’AMP entre le Canada et les états-Unis, les opérations de compensation, les marchés réservés et les préférences locales aux états-Unis — qui sont presque tous établis par les états et au niveau local — restent en place. Il a expliqué :

Cela signifie que les états-Unis ont accepté de suspendre l’obligation d’acheter des biens américains comme condition à l’obtention de fonds dans le cadre des sept programmes fédéraux en question, mais qu’ils ne s’engagent pas à obliger les gouvernements des états ni les administrations municipales à enlever leurs propres barrières aux soumissions canadiennes à l’égard des projets financés dans le cadre de ces sept programmes fédéraux […][35].

Le Comité a aussi appris que des fonctionnaires du ministère du Développement économique du Québec ont évalué à 1,3 milliard de dollars américains les fonds non attribués en vertu des sept programmes désignés ci-dessus.

Les opposants à l’AMP entre le Canada et les états-Unis ont également soutenu que la modeste amélioration de l’accès du Canada aux marchés financés par l’ARRA avait un prix élevé. Guy Caron a laissé entendre que le Canada donnait aux entreprises américaines la possibilité de soumissionner, jusqu’en septembre 2011, pour obtenir des contrats provinciaux, territoriaux et municipaux d’infrastructure et de construction d’une valeur estimée à 25 milliards de dollars canadiens, comparativement aux 2 % des fonds prévus par l’ARRA qui restent pour les marchés ouverts aux entreprises canadiennes[36]. D’autres sources estimaient la valeur des marchés à près de 33 milliards de dollars canadiens[37].

M. Shrybman a aussi fait remarquer qu’il y a, selon lui, des asymétries dans les engagements temporaires sur l’accès aux marchés. Qualifiant l’accord d’« unilatéral, et ce, de façon monumentale », il a attiré tout particulièrement l’attention sur le fait que l’accord s’applique aux municipalités canadiennes, mais pas aux municipalités américaines. Il a déclaré :

Bien des municipalités américaines et des gouvernements d’états affichent exactement le même type de favoritisme local qu’interdit cet accord, et les états-Unis n’ont rien fait pour y mettre fin. Le déséquilibre est encore plus grand quand on pense que le favoritisme américain à l’échelle locale peut être maintenu en vertu de cet accord, mais doit disparaître au Canada[38].

Il a aussi soutenu que, conformément aux engagements temporaires sur l’accès, le Canada est obligé de recourir à un processus de règlement des différends si une entreprise américaine estime qu’on ne lui a pas donné accès à un marché public municipal au Canada. M. Shrybman a déclaré qu’il n’y a pas d’obligation réciproque aux états-Unis.

Quelques témoins ont aussi exprimé la crainte que les engagements du Canada dans cette partie de l’AMP compromettent de nombreuses politiques d’approvisionnement municipales. Wayne Peppard a fait remarquer :

De nombreuses politiques sur les marchés publics municipaux renferment des dispositions d’approvisionnement visant la qualité, les qualifications, la formation, la sécurité et les normes d’emploi et, dans certains cas, des politiques d’équité salariale et de salaire minimum. Ces engagements sociaux et légaux sont susceptibles maintenant d’être remis en question. Les conventions collectives qui prévoient le recrutement à l’échelle locale ou des dispositions sur l’embauche à l’extérieur pourraient [aussi] être menacées[39].

De plus, le Comité a appris que le Canada n’a pas obtenu d’exemptions des dispositions « Buy American » autres que celles qui sont prévues expressément dans l’ARRA. Plusieurs témoins ont fait observer que des dispositions semblables figurent dans d’autres projets de loi américains. Guy Caron a fait remarquer que plusieurs projets de loi américains, dont le projet de loi « Jobs for Main Street », d’une valeur de 100 milliards de dollars américains, prévoient des préférences du type « Buy American ». Certains témoins ont laissé entendre qu’en ouvrant aux états-Unis l’accès à un large éventail de contrats municipaux de construction jusqu’en septembre 2011 en contrepartie d’un accès limité à des possibilités d’approvisionnement dans un seul programme, le Canada se retrouverait sans monnaie d’échange si l’un des projets de loi américains d’infrastructure est adopté sans modification des dispositions « Buy American ».

Enfin, Teresa Healy, notamment, s’est inquiétée du fait que le gouvernement du Canada n’a pas pu évaluer les coûts et les avantages prévus de l’accord. Elle s’inquiétait, par exemple, du fait qu’il n’y avait eu « aucune étude sur les préjudices éventuels pour l’économie canadienne découlant de la présence de grands fournisseurs américains de biens et services dans le secteur public[40] ».

Les témoins qui appuyaient les engagements sur l’accès temporaire de l’AMP entre le Canada et les états-Unis ont reconnu que les critiques de l’accord ont souvent soulevé des préoccupations légitimes. Ils acceptaient que la plus grande partie des fonds de l’ARRA ont déjà été versés et que l’accord n’ouvre aux entreprises canadiennes qu’une petite fraction de ce qui reste. Ils ont cependant fait observer que le Canada avait nettement avantage à conclure un accord plutôt qu’à s’en passer. Shirley-Ann George, par exemple, a affirmé que les Canadiens doivent voir la situation dans son ensemble. Elle a déclaré :

Cet accord est bon pour le Canada, d’abord parce que l’absence d’entente aurait été pire. Les entreprises canadiennes auraient continué de souffrir et les pertes d’emplois subies par le Canada auraient été permanentes[41].

D’autres témoins se sont interrogés sur l’utilisation des chiffres laissant supposer que le Canada aura accès à 2 % des 275 milliards de dollars américains de marchés possibles en vertu de la Recovery Act. Marie-Josée Langlois a prévenu qu’il ne fallait pas utiliser ces estimations et rappelé au Comité qu’il était « extrêmement difficile et hautement conjectural » d’essayer d’estimer la valeur des contrats ou l’ampleur des marchés parce que les méthodes de gestion des fonds varient selon les ministères et les programmes américains[42].

Mme Langlois a également fait remarquer que les estimations de la valeur totale des approvisionnements financés par l’ARRA ouverts aux entreprises canadiennes ne comprenaient pas les fonds réaffectés ni les contrats de sous-traitance qui n’étaient pas encore accordés. Elle a déclaré que des marchés continueront de s’ouvrir aux entreprises canadiennes à mesure que les ministères américains réaffecteront les dépenses. Elle a aussi rappelé au Comité que la date limite pour le versement final des fonds prévus par l’ARRA est septembre 2011, ce qui explique pourquoi les engagements sur l’accès temporaire dans l’AMP entre le Canada et les états-Unis expirent à cette date[43].

Steve Ross a déclaré au Comité qu’une bonne partie des travaux financés au début par l’ARRA étaient des projets « prêts à être mis en œuvre », comme le revêtement de routes et la peinture, et non des grands projets qui peuvent prendre un an ou deux à préparer[44].

Jean-Michel Laurin a aussi fait observer que l’un des principaux avantages de l’accord est le fait qu’il constituera un précédent si jamais des restrictions sur les achats aux états-Unis figurent dans des lois américaines futures. Il a déclaré que le Canada s’était fait dire à maintes reprises durant les négociations qu’il ne pouvait obtenir une exception au sujet des restrictions sur le contenu américain parce que cela créerait un précédent. Selon M. Laurin, le Canada a pu obtenir ce précédent, ainsi que la reconnaissance de la nature intégrée des économies canadienne et américaine.

Même si quelques témoins ont reproché au Canada d’avoir pris de vastes engagements en vue d’ouvrir les marchés de services de construction provinciaux, territoriaux et municipaux en contrepartie d’un accès minime aux projets financés par l’ARRA, d’autres ont fait ressortir que les concessions du Canada étaient en réalité plutôt modestes. Plusieurs témoins, dont Michael Buda, ont fait observer que la vaste majorité des marchés municipaux au Canada étaient déjà ouverts avant que l’AMP entre en vigueur. Le Comité a entendu qu’il était donc trompeur de laisser entendre que le Canada ouvrait aux entreprises américaines des possibilités d’approvisionnement municipal évaluées à 25 ou 33 milliards de dollars canadiens puisque le marché était déjà ouvert.

Le ministre du Commerce international Peter Van Loan a abondé dans le même sens. Témoignant devant le Comité, il a déclaré que le Canada n’a pas vraiment renoncé à quoi que ce soit pour obtenir l’accès aux marchés américains financés par la Recovery Act. Le ministre a indiqué que les provinces et territoires n’ont pas fait de nouvelles concessions dans leurs engagements temporaires dans l’AMP; ils ont simplement renoncé au droit de fermer des marchés qu’ils avaient déjà ouverts. Il a expliqué :

Les municipalités, participant par l'intermédiaire de la Fédération canadienne des municipalités, et les provinces ont toutes indiqué que leur processus d'approvisionnement n'avait subi aucune restriction, dans l'ensemble. Les restrictions se limitent aux exclusions prévues en vertu des dispositions de l’AMP de l'OMC. Ainsi, dans la mesure où ces intéressés souhaitaient protéger des secteurs fragiles, ils ont pu le faire[45].

Le ministre estime donc que l’AMP entre le Canada et les états-Unis est tout à fait avantageux pour le Canada. Bien qu’en répondant aux questions il ait admis que, contrairement à ce qui était indiqué dans le discours du Trône du 3 mars 2010, les entreprises canadiennes n’ont pas obtenu un accès permanent aux marchés publics des états et des administrations locales aux états-Unis, le ministre a précisé que les entreprises canadiennes ont obtenu une exemption partielle des exigences en matière de contenu américain dans la Recovery Act en contrepartie de la reconnaissance officielle des politiques d’approvisionnement municipales canadiennes existantes, y compris les exceptions et les exclusions. Le ministre a déclaré :

Par conséquent, chaque dollar gagné, tous les bénéfices réalisés dans le cadre de marchés publics conclus avec les états-Unis à la suite de cet accord, représentent un bénéfice net pour le Canada[46].

C. Consultations

1. Contenu de l’accord

La troisième partie de l’AMP entre le Canada et les états-Unis est une entente par laquelle les deux parties conviennent d’entamer des discussions sur les marchés publics. Les discussions prendront deux formes. Il y a d’abord un engagement des deux pays d’accélérer les consultations sur les questions relatives aux marchés publics, y compris l’interprétation de l’accord proprement dit. Les consultations devront débuter au plus tard dix jours après que la demande a été présentée.

Le deuxième élément est l’engagement des deux parties d’entamer des discussions exploratoires sur un accord élargissant, sur la base de la réciprocité, l’accès aux marchés publics. Ces discussions doivent avoir lieu d’ici février 2011.

2. Points de vue des témoins

Quelques témoins se sont réjouis de l’engagement d’élaborer un mécanisme de consultations accélérées. Ils ont indiqué que ce mécanisme pourrait régler des différends semblables plus rapidement à l’avenir. Shirley-Ann George a indiqué que, compte tenu du « langage protectionniste » (autrement dit, les exigences sur le contenu national) plus musclé dans les projets de loi américains et du fait que le Canada n’a pas pu négocier une exception généralisée aux dispositions « Buy American » dans les lois américaines futures, il faudra probablement à l’avenir un mécanisme de règlement des différends accéléré.

D’autres, toutefois, ont mis en doute l’utilité de la consultation rapide. Guy Caron a fait remarquer que les engagements obligatoires prévus dans l’AMP entre le Canada et les états-Unis prennent fin à l’étape de la consultation : « il n’y a aucune garantie d’ententes contraignantes et satisfaisantes suivant cette procédure accélérée, et cette consultation pourrait très bien ne se révéler être qu’une simple notification ou qu’un simple avis[47] ».

Carl Grenier était d’accord et il a précisé que le libellé de l’accord qui permet la tenue de consultations n’était rien de plus que ce qui se trouve normalement dans d’autres accords internationaux. Il ne s’attendait donc pas à ce que le Canada en tire de grands avantages.

Au sujet de l’engagement de négocier un accord permanent plus large, le Comité a entendu plusieurs témoins en faveur d’une entente plus complète sur les marchés publics. La plupart des témoins qui appuyaient l’AMP entre le Canada et les états-Unis reconnaissaient que l’accord était un solide premier pas vers la libéralisation accrue des marchés publics canadiens et américains. Jean-Michel Laurin a fait remarquer qu’il reste un vaste éventail de marchés qui ne sont pas visés par l’accord. Il a exprimé l’espoir que les deux gouvernements pourront conclure une entente qui ouvrirait davantage les marchés et a ajouté :

[…] certains marchés américains restent fermés aux entreprises canadiennes en raison de politiques qui sont en place depuis un certain temps déjà (et) les municipalités américaines et canadiennes ne sont pas assujetties aux dispositions de cet accord qui s’applique à long terme. Il reste encore beaucoup de choses à négocier. La situation pourrait encore grandement s’améliorer en obtenant un meilleur accès aux marchés américains[48].

Certains témoins doutaient cependant que le Canada réussisse à négocier avec les états-Unis un accord permanent plus large sur les marchés publics. Scott Sinclair a rappelé au Comité que toute concession supplémentaire par les états-Unis devrait probablement être approuvée par le Congrès américain ou par les états. Il a déclaré que les politiques d’achats locaux sont populaires aux états-Unis et que le Canada ne pourrait probablement pas obtenir une exception à ces politiques sans faire des concessions importantes. M. Sinclair et Teresa Healy ont indiqué que le Canada aurait plutôt avantage à utiliser les marchés publics comme outil de développement économique. M. Sinclair a affirmé :

Je pense que c’est une politique intelligente qui peut contribuer à notre compétitivité internationale. D’autres penseront peut-être qu’il s’agit d’une façon d’augmenter nos avantages en négociation, à l’avenir[49].

Enfin, Steven Shrybman a indiqué au Comité que les négociations futures avec les états-Unis sur les obligations élargies en matière de marchés publics doivent être transparentes. Pour sa part, Michael Buda croyait que l’expérience du Canada dans la négociation de l’AMP serait utile à cet égard, et il a indiqué :

Si le gouvernement veut inclure les marchés publics provinciaux et municipaux dans le cadre des accords commerciaux à venir, il n’y a alors aucun doute que cette expérience a déjà préparé le terrain pour un processus plus rapide et plus ouvert[50].

CONCLUSION

Le Comité a entendu un vaste éventail d’opinions sur l’AMP. D’un côté il y avait des témoins comme Carl Grenier et Steven Shrybman. M. Grenier a indiqué que l’AMP était le « deuxième accord désastreux signé par le Canada », tandis que M. Shrybman l’a qualifié d’« unilatéral, et ce, de façon monumentale[51] ».

En règle générale, les témoins qui s’opposaient à l’AMP ont soutenu que le Canada n’a obtenu accès qu’à une petite fraction des marchés publics des états financés par le gouvernement fédéral en vertu de l’ARRA; que la plus grande partie du financement de la Recovery Act a déjà été affecté; que le processus de consultation rapide manque de mordant; et que le Canada a fait d’importantes concessions pour ouvrir ses marchés d’approvisionnement infranationaux, compromettant ainsi sa capacité d’utiliser les marchés publics comme outil de développement économique à l’avenir ainsi que sa capacité de négocier dans l’éventualité où d’autres lois américaines contiendraient des dispositions « Buy American » semblables. Finalement, des témoins comme Omar Hammoud ont laissé entendre que l’accord est trompeur en ce que les entreprises canadiennes n’ont pas, sur le marché américain, une position aussi sûre qu’on pourrait le croire à première vue.

De l’autre côté, il y avait des témoins comme Shirley-Ann George, qui considéraient l’AMP comme « un bon accord, qui mérite le soutien qu’il a obtenu du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux[52] ». Steve Ross a déclaré qu’obtenir l’accès au marché américain est important pour assurer la réussite à long terme des entreprises canadiennes et que l’accord est un pas dans la bonne direction. De plus, le Comité a entendu dire que les estimations de la valeur des contrats ouverts aux entreprises canadiennes grâce à l’accord ne tenaient pas compte des fonds réaffectés en vertu de l’ARRA, ni de la valeur des sous-contrats qui n’ont pas encore été attribués.

Les partisans de l’accord ont soutenu que, compte tenu des délais et de l’obligation d’obtenir le consentement unanime des provinces et des territoires pour élaborer une position de négociation, conclure l’accord à temps pour donner aux entreprises canadiennes un accès, même partiel, aux possibilités d’approvisionnement financées par l’ARRA, constitue en soi une réalisation importante. À leur avis, l’AMP est une réussite parce que le Canada a obtenu une exemption partielle des dispositions « Buy American » contenues dans l’ARRA; cette exemption partielle pourrait être invoquée comme précédent si des lois américaines futures contenaient des dispositions « Buy American » semblables; les entreprises canadiennes jouissent désormais des mêmes droits en vertu de l’AMP de l’OMC que leurs concurrents d’Europe et d’ailleurs s’ils veulent soumissionner pour obtenir des marchés d’approvisionnement infranationaux américains; et le Canada a obtenu des états-Unis l’engagement de négocier pour conclure un accord plus permanent sur les marchés publics.

Une question sur laquelle les témoins s’entendaient généralement tous est la difficulté d’évaluer l’incidence éventuelle de l’accord. En réponse aux questions du Comité, les témoins du MAECI ont reconnu qu’ils n’avaient pas accès à des données sur la valeur prévue des contrats que les entreprises canadiennes pourraient obtenir grâce à l’accord et qu’ils n’avaient pas accès non plus à des données sur la valeur des marchés d’approvisionnement canadiens qui sont désormais ouverts aux entrepreneurs américains.

Mais d’autres témoins ont déclaré au Comité que, compte tenu de la complexité des contrats d’approvisionnement, il est tout à fait compréhensible que ces données ne soient pas disponibles. De plus, le Comité a appris qu’il est non seulement difficile de prédire actuellement l’incidence de l’AMP sur les emplois et les approvisionnements au Canada, mais que mesurer l’incidence de l’accord sera également difficile à l’avenir. Carl Grenier a fait remarquer que les données sur l’attribution des marchés sont difficiles à obtenir et il croyait, comme l’a affirmé Shirley-Ann George, « que nos frustrations seront les mêmes quant au manque de données lorsque nous regarderons dans le rétroviseur l’an prochain[53] ». Le Comité accepte qu’il est peut-être impossible de déterminer précisément les coûts et les avantages de l’accord pour les Canadiens; il n’y a tout simplement pas de données actuellement pour pouvoir faire une estimation fiable de l’incidence de l’accord.

Il importe en outre de souligner que les marchés d’approvisionnement au Canada sont relativement petits par rapport à ceux des états-Unis ou de l’Union européenne, avec laquelle le Canada négocie actuellement un accord de partenariat économique global. À notre avis, il y a plus à gagner à améliorer l’accès à ces marchés qu’à réserver aux entreprises canadiennes l’accès aux marchés d’approvisionnement canadiens. Comme l’a indiqué Jean-Michel Laurin :

[…] les états-Unis ou l’Union européenne… sont 10 fois plus importants que notre propre marché. Les entreprises canadiennes souhaitent donc beaucoup plus avoir accès à ces marchés que d’avoir un accès privilégié à notre propre marché national[54].

Toutefois, nous sommes également d’accord avec les témoins qui ont indiqué que le Canada devrait insister sur la manière d’accroître les possibilités d’approvisionnement par les entreprises canadiennes aux états-Unis et pour surmonter certaines des importantes exclusions, des seuils élevés et certains autres grands obstacles qui empêchent encore d’ouvrir complètement les marchés publics entre les deux pays. Dans cet esprit, nous avons hâte que débutent les discussions entre le Canada et les états-Unis en vue de conclure un nouvel accord permanent sur les marchés publics.

Compte tenu des témoignages recueillis sur les exigences en matière de contenu national dans les politiques sur les marchés publics en général, et sur l’AMP en particulier, et compte tenu aussi de ses propres délibérations sur ces questions, le Comité formule les recommandations suivantes :

Recommandation 1

Que le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international adopte des mesures concrètes et entreprenne les démarches nécessaires pour s’assurer que les autorités américaines respectent les droits des entrepreneurs canadiens qui veulent avoir accès aux marchés publics.

Recommandation 2

Que le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international mette en place un mécanisme de collecte de données économiques sur l’application de l’Accord entre le Canada et les états-Unis en matière de marchés publics, afin de lui permettre d’évaluer l’incidence de cet accord sur les entreprises et l’employabilité au Canada, et que le Ministère présente un rapport sur la question au Comité.

Recommandation 3

Que le gouvernement du Canada prenne les mesures nécessaires pour suivre l’incidence de l’Accord entre le Canada et les états-Unis en matière de marchés publics sur l’emploi au Canada, ainsi que sur les entreprises et les collectivités canadiennes. Que des renseignements soient recueillis afin que le gouvernement du Canada puisse déterminer : la valeur des marchés publics américains auxquels les entreprises canadiennes ont accès grâce à l’AMP; la valeur des marchés publics canadiens auxquels les entreprises américaines ont accès; le nombre d’emplois créés ou perdus en conséquence. Ce processus de suivi pourrait comprendre la collecte d’information quantitative et qualitative essentielle pour permettre une réelle analyse de l’effet de l’AMP sur les marchés publics au Canada et aux états-Unis, analyse que les négociateurs et les représentants canadiens du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international n’ont pas pu fournir au Comité. Les données recueillies, et tout rapport d’évaluation de l’incidence en découlant, devraient être mis à la disposition du Comité.

Recommandation 4

Que le gouvernement du Canada établisse un processus d’échange d’information constant avec les provinces, les municipalités et les représentants des principaux secteurs d’entreprises et de main-d’œuvre afin d’évaluer l’incidence nette des marchés publics fédéraux, provinciaux et municipaux sur la création d’emplois et l’économie au Canada. Cette information devrait être mise à la disposition du Comité.

Recommandation 5

Que le gouvernement du Canada demande des exemptions des dispositions « Buy American » pour l’acier et les autres secteurs fortement intégrés des économies canadienne et américaine.



[1]    Comité permanent du commerce international, 40e législature, 3e session, Témoignages, réunion no 7, 1er avril 2010.

[2]    Par exemple, les pays du G-20 ont publié le 15 novembre 2008 un communiqué conjoint qui contenait l’affirmation suivante : « Nous soulignons combien il est vital de rejeter le protectionnisme et ne pas nous replier sur nous-mêmes en ces temps d’incertitudes financières. » Le texte du communiqué est affiché à http://www.voltairenet.org/article158758.html.

[3]    American Recovery and Reinvestment Act 2009 P.L. 111-5, article 1605, alinéa a), http://frwebgate.access.gpo.gov/cgi-bin/getdoc.cgi?dbname=111_cong_bills&docid=f:h1enr.pdf.

[4]    Témoignages, réunion no 3, 16 mars 2010.

[5]    Témoignages, réunion no 4, 18 mars 2010.

[6]    Pour plus de renseignements, voir Foley & Lardner LLP, « Buy American Provision in Stimulus Legislation Poses Serious Compliance Challenges for Public Works Contractors and DHS Suppliers », http://www.foley.com/publications/pub_detail.aspx?pubid=5720.

[7]    Témoignages, réunion no 2, 11 mars 2010.

[8]    Témoignages, réunion no 4, 18 mars 2010.

[9]    Témoignages, réunion no 5, 23 mars 2010.

[10]    Témoignages, réunion no 3, 16 mars 2010.

[11]    Témoignages, réunion no 2, 11 mars 2010.

[12]    Ibid.

[13]    Témoignages, réunion no 6, 30 mars 2010.

[14]    Témoignages, réunion no 5, 23 mars 2010.

[15]    Témoignages, réunion no 4, 18 mars 2010.

[16]    Témoignages, réunion no 7, 1er avril 2010.

[17]    Témoignages, réunion no 5, 23 mars 2010.

[18]    Témoignages, réunion no 4, 18 mars 2010.

[19]    Témoignages, réunion no 3, 16 mars 2010.

[20]    Témoignages, réunion no 4, 18 mars 2010.

[21]    Témoignages, réunion no 3, 16 mars 2010.

[22]    Témoignages, réunion no 2, 11 mars 2010.

[23]    Témoignages, réunion no 3, 16 mars 2010.

[24]    Témoignages, réunion no 5, 23 mars 2010.

[25]    Témoignages, réunion no 2, 11 mars 2010.

[26]    Témoignages, réunion no 3, 16 mars 2010.

[27]    Témoignages, réunion no 7, 1er avril 2010.

[28]    Ibid.

[29]    Témoignages, réunion no 7, 1er avril 2010.

[30]    Il convient de souligner que, depuis l’entrée en vigueur de l’ALENA, le Canada a inclus les chemins de fer urbains et le matériel de transport urbain dans les exceptions aux dispositions sur les marchés publics de tous ses accords internationaux. Cette exception a aussi été ajoutée dans l’AMP entre le Canada et les états-Unis, ce qui signifie que la ville de Toronto, ou toute autre administration infranationale, reste libre de mettre en œuvre une telle politique si elle le souhaite.

[31]    Témoignages, réunion no 5, 23 mars 2010.

[32]    En vertu de certains accords internationaux sur les marchés publics, les pays peuvent se réserver le droit de prévoir certaines exceptions ou exclusions, mais ils peuvent aussi choisir de les lever.

[33]    Parce que cette concession figure dans les engagements pris par les états-Unis dans l’AMP de l’OMC, elle reste assujettie au seuil de 7,8 millions de dollars américains pour les services de construction.

[34]    Témoignages, réunion no 3, 16 mars 2010.

[35]    Shrybman, S., L’Accord entre le Canada et les états-Unis en matière de marchés publics (février 2010) et les marchés publics des municipalités canadiennes, mémoire présenté au nom du Conseil des Canadiens, 23 mars 2010.

[36]    Le montant de 25 milliards de dollars canadiens a d’abord été avancé dans Buy American Basics, un rapport de Scott Sinclair à l’intention du Centre canadien de politiques alternatives. Dans ce rapport, M. Sinclair indiquait qu’une estimation très approximative de la valeur des marchés municipaux ouverts en vertu de l’AMP se situait entre 25 et 30 milliards de dollars canadiens, étant donné que le gouvernement de l’Ontario évaluait que 10 milliards de dollars de marchés en Ontario étaient visés par l’accord et que l’Ontario représente 37 % du produit intérieur brut canadien. M. Sinclair, ainsi que de nombreux autres, ont depuis cité le montant le plus bas de la fourchette de 25 à 30 milliards de dollars canadiens.

[37]    Le montant de 33 milliards de dollars canadiens a été évoqué dans le témoignage de Guy Caron à la réunion no 5 le 23 mars 2010. Il était attribué à Manufacturiers et Exportateurs du Canada.

[38]    Témoignages, réunion no 5, 23 mars 2010.

[39]    Témoignages, réunion no 7, 1er avril 2010.

[40]    Témoignages, réunion no 3, 16 mars 2010.

[41]    Témoignages, réunion no 4, 18 mars 2010.

[42]    Témoignages, réunion no 2, 11 mars 2010.

[43]    Ibid.

[44]    Témoignages, réunion no 5, 23 mars 2010.

[45]    Témoignages, réunion no 6, 30 mars 2010.

[46]    Ibid.

[47]    Témoignages, réunion no 5, 23 mars 2010.

[48]    Témoignages, réunion no 3, 16 mars 2010.

[49]    Ibid.

[50]    Témoignages, réunion no 5, 23 mars 2010.

[51]    Témoignages, réunion no 4, 18 mars 2010 et Témoignages, réunion no 5, 23 mars 2010.

[52]    Témoignages, réunion no 4, 18 mars 2010.

[53]    Ibid.

[54]    Témoignages, réunion no 3, 16 mars 2010.