PACP Rapport du Comité
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INTRODUCTION Dans le régime d’autocotisation du Canada, les sociétés préparent leurs déclarations de revenus, déclarent volontairement leurs revenus et leurs dépenses, et calculent les impôts à payer. Il est courant que l’Agence du revenu du Canada (l’Agence) réexamine les déclarations des sociétés et établisse de nouvelles cotisations. Les sociétés qui ont des impôts impayés versent habituellement de l’intérêt sur ceux-ci. Elles peuvent réduire ou éliminer entièrement le risque de frais d’intérêt sur les impôts à payer par suite d’une nouvelle cotisation en versant à l’Agence des fonds suffisants pour couvrir ces impôts, c’est-à-dire en versant des acomptes. En 1991, l’Agence a commencé à accepter des sociétés contribuables des versements volontaires en dépôt et à payer des intérêts sur ces montants. Le taux d’intérêt est défini par le Règlement de l’impôt sur le revenu, et il dépasse toujours d’au moins 2 % le taux payé par le gouvernement pour emprunter à court terme[1]. (D’après le site Web de l’Agence, le taux d’intérêt sur les impôts payés en trop s’élève actuellement à 3 %[2].) Les acomptes des sociétés conservés dans les comptes de l’Agence dépassent 4 milliards de dollars. Au cours de ses vérifications financières à l’Agence, le Bureau du vérificateur général (BVG) a appris que les nouvelles cotisations connues ou prévues ne justifiaient pas la plupart des acomptes versés. Le BVG a donc décidé de faire une vérification de gestion pour étudier les pratiques administratives de l’Agence du revenu du Canada en ce qui concerne les acomptes et de voir si elle gérait ces acomptes avec un souci d’économie. La vérification a porté sur les 50 acomptes de sociétés les plus importants au cours des trois derniers exercices. Le compte rendu de la vérification figure dans le Rapport de la vérificatrice générale présenté au printemps 2009[3]. Le Comité des comptes publics, estimant que le régime fiscal de l’État doit être bien géré si on veut en préserver la crédibilité, a consacré une séance à cette vérification le 26 octobre 2009[4]. Du Bureau du vérificateur général, le Comité a accueilli Sheila Fraser, vérificatrice générale du Canada, John Rossetti, vérificateur général adjoint, et Vicki Plant, directrice principale. De l’Agence du revenu du Canada, il a reçu Linda Lizotte-MacPherson, commissaire, George Arsenijevic, sous-commissaire, Direction générale des services de cotisation et de prestations, et Brian McCauley, sous-commissaire, Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires. Enfin, du ministère des Finances, il a rencontré Louise Levonian, sous-ministre adjointe, Direction de la politique de l’impôt, et Brian Ernewein, directeur général, Direction de la politique de l’impôt. CADRE ADMINISTRATIF ET PLAN D’ACTION Comme les contribuables doivent acquitter des frais d’intérêt sur les impôts d’une nouvelle cotisation, les sociétés ont demandé la permission de verser des acomptes pour limiter le risque de devoir payer des intérêts sur les arriérés d’impôt. Bien que la Loi de l’impôt sur le revenu ne prévoie pas l’acceptation d’acomptes pour payer à l’avance les impôts qui pourraient être exigibles en raison d’une nouvelle cotisation, l’Agence du revenu du Canada a adopté comme pratique administrative en 1991 d’accepter le versement d’acomptes. La pratique officielle de l’Agence est de n’accepter les acomptes qu’en cas de risque réel de nouvelle cotisation. Toutefois, la vérification effectuée par le BVG a révélé que l’Agence n’a pas de politique ou de lignes directrices complètes pour aider les employés à gérer les acomptes des sociétés. L’Agence accepte donc des acomptes des sociétés sans établir à quelle année d’imposition ils se rapportent ni vérifier la probabilité d’une nouvelle cotisation. En outre, l’Agence a omis de se doter d’un processus de vérification de ses dossiers pour déterminer si une cotisation est en voie d’être établie et si l’acompte versé correspond au montant probable de la nouvelle cotisation. D’après la vérification, l’Agence a conclu, en préparant ses états financiers, que, dans la plupart des cas, le montant des acomptes dépasse largement ses estimations de l’impôt supplémentaire qui pourrait être exigible par suite de cotisations ultérieures. En 1991, elle a reconnu que certaines sociétés déposaient peut-être des fonds en trop dans le but de profiter de taux d’intérêt à court terme avantageux. Le BVG a conclu que, si l’Agence garde en dépôt sans raison des sommes supérieures à l’impôt qui est ou sera probablement exigible, cela revient à dire que l’Agence emprunte des fonds à un taux d’intérêt plus élevé que nécessaire. Selon une estimation prudente du BVG, le gouvernement fédéral aurait ainsi engagé au moins 30 millions de dollars en frais d’intérêt excédentaires pour chacun des trois derniers exercices (2005-2006, 2006-2007 et 2007-2008). L’Agence a pris diverses mesures en termes de gestion pour rembourser le plus d’acomptes possible qui sont jugés excessifs, mais sans guère de succès. Si les sociétés, lorsque l’Agence communique avec elles, préfèrent maintenir les acomptes, l’Agence accepte leur décision. De l’avis du BVG, l’Agence n’est pas tenue par la Loi de l’impôt sur le revenu d’accepter ou de conserver des fonds si elle ne les juge pas nécessaires pour couvrir une cotisation éventuelle. Le BVG a recommandé que l’Agence informe la Direction de la politique de l’impôt du ministère des Finances des enjeux associés aux acomptes versés afin que le Ministère puisse évaluer la nécessité d’apporter une modification à la législation ou à la réglementation. En outre, toujours selon le BVG, l’Agence devrait établir et appliquer de manière uniforme un cadre de politique administrative solide pour la gestion des acomptes, recommandation que celle-ci a entérinée. Linda Lizotte-MacPherson, commissaire de l’Agence du revenu du Canada, a expliqué au Comité que l’Agence avait établi un cadre administratif et un plan d’action en vue d’améliorer sa gestion des acomptes. Selon elle : Lorsqu’un acompte important n’est pas affecté à une année d’imposition précise, on communiquera avec les sociétés contribuables dans le but d’obtenir cette information. L’ARC évaluera ensuite tous les risques anticipés afin de déterminer qu’un montant raisonnable est versé comme dépôt. Là où nos conclusions différeront grandement de celles des sociétés contribuables, nous demanderons des renseignements supplémentaires. Lorsqu’aucun renseignement supplémentaire n’est fourni, ou si nous déterminons que le montant versé n’est pas justifié, nous émettrons un remboursement[5]. En d’autres termes, l’Agence a mis ses procédures à jour, mis en place des exigences plus strictes et instauré un processus d’examen plus solide. Le Comité se réjouit que l’Agence du revenu du Canada ait élaboré un meilleur cadre administratif pour gérer les acomptes des sociétés. Il s’inquiète néanmoins du fait que l’Agence n’a agi qu’au terme d’une vérification du BVG, bien que des préoccupations au sujet de ce problème se soient fait entendre dès 1991. On aurait dû davantage soupçonner qu’il existait un problème lorsque les efforts déployés pour rendre les acomptes aux sociétés ont échoué et que des initiatives de gestion antérieures visant à régler le problème ont été stériles. Tout en espérant que le nouveau cadre de l’Agence du revenu du Canada aidera à régler certains des problèmes que posent les acomptes, en particulier du point de vue de l’uniformité de traitement, le Comité craint qu’il n’impose une importante charge administrative aux employés de l’Agence, qui devront faire une évaluation anticipée pour voir si une nouvelle cotisation sera nécessaire. Il se peut que cette solution occasionne des problèmes, car l’Agence sera responsable si des erreurs sont commises à cette étape et si les acomptes sont rendus à des sociétés qui recevront ensuite un avis de redressement et devront alors payer de l’intérêt sur l’arriéré d’impôt en vue duquel elles avaient justement versé un acompte. Et, fait le plus important, une solution administrative ne fait pas disparaître l’incitation, pour les sociétés, à verser des acomptes en trop à l’Agence. ÉTABLISSEMENT DU TAUX D’INTÉRÊT Il incombe au ministère des Finances d’élaborer la politique fiscale fédérale. Louise Levonian, sous-ministre adjointe à la Direction de la politique de l’impôt à ce ministère, a dit au Comité que le taux d’intérêt accordé aux sociétés qui versent des acomptes au gouvernement devrait être suffisant pour les inciter à acquitter leurs impôts et permettre aux sociétés de se protéger contre la possibilité de devoir payer des intérêts, non déductibles, sur des arriérés d’impôt en cas de nouvelle cotisation. L’intérêt sur les acomptes est une juste indemnisation des contribuables parce que le gouvernement conserve des montants supérieurs à ce qui est demandé dans l’immédiat au cas où une nouvelle cotisation serait réclamée. Dans l’établissement du taux d’intérêt, il faut tenir compte du taux de rendement que les contribuables auraient obtenu s’ils avaient gardé cet argent. Le taux d’intérêt payé sur les acomptes est établi aux termes du Règlement de l’impôt sur le revenu. La vérificatrice générale a expliqué le mode de calcul de ce taux : « Le point de départ du calcul est le taux d’intérêt moyen sur les bons du Trésor de 90 jours vendus pendant le premier mois du trimestre précédent. Ce taux est ensuite arrondi au point de pourcentage supérieur, et majoré de deux points de pourcentage[6]. Il semble que le taux d’intérêt versé sur les acomptes soit très favorable, étant donné qu’il est de deux points supérieur au taux des bons du Trésor. Si les montants versés sont supérieurs à ce qui sera probablement nécessaire en cas de nouvelle cotisation, c’est sans doute que les sociétés gardent cet argent dans leur compte à l’Agence en raison du taux d’intérêt favorable pratiqué. La vérification dit même : « Dans la plupart des autres cas, l’Agence a conclu que les acomptes dépassaient considérablement son estimation[7]. » De là, le BVG a conclu que le gouvernement avait payé en intérêts 30 millions de dollars de plus qu’il n’aurait été nécessaire. La commissaire de l’Agence du revenu du Canada a toutefois contesté cette affirmation. Elle a dit à plusieurs reprises : « […] nous n’avons rien qui porte à croire que les sociétés versent des acomptes pour d’autres raisons qu’en prévision d’une nouvelle cotisation[8]. » Elle a ajouté : « La position de l’ARC, c’est que nous n’avons pas gaspillé l’argent des contribuables[9]. » La conclusion de l’Agence selon laquelle le montant des acomptes dépassait ses estimations des impôts supplémentaires à payer reposait sur « des principes comptables selon lesquels les montants des dépôts doivent être portés au passif des états financiers jusqu’à l’établissement des nouvelles cotisations à verser à l’égard de l’impôt[10] ». Le Comité juge ces déclarations troublantes, car elles semblent montrer que l’Agence ne croit pas vraiment qu’il existe un problème à régler, et elles permettent de douter de son engagement à agir. S’il n’y a eu aucun gaspillage, il est difficile de voir clairement pourquoi l’Agence consacre un temps et des efforts considérables à l’« amélioration » de ses pratiques administratives. Plus important encore, le Comité trouve fort préoccupant le fait que la commissaire semble contester les énoncés de faits qui figurent dans la vérification. Le BVG communique les rapports provisoires de vérification aux ministères et organismes concernés, et c’est à cette étape que doivent se régler les divergences de vues sur les faits. Il est inacceptable qu’un ministère ou un organisme attende l’audience au Comité des comptes publics pour révéler ces divergences de vues, qui plus est dans les dernières minutes de l’audience. Le Comité admet qu’il puisse y avoir des désaccords entre le BVG et le gouvernement, mais ils devraient être énoncés clairement – et de préférence réglés – à l’avance. Comme l’Agence n’a présenté aucun témoignage digne de foi qui permette de douter des conclusions du BVG, le Comité doit croire que les faits énoncés dans le rapport du BVG sont exacts. En d’autres termes, le Comité croit que le BVG a raison lorsqu’il signale que certaines sociétés gardent des acomptes excessifs à l’Agence et que cela a entraîné des paiements d’intérêt superflus de 30 millions de dollars par an. Cette conclusion tient du bon sens. Les sociétés ne laisseraient pas des montants excédentaires dans leur compte à l’Agence s’il n’était pas dans leur intérêt de le faire. Il n’est pas nécessaire d’avoir des preuves concrètes précises montrant que les sociétés essaient de profiter d’un taux d’intérêt avantageux : le seul fait qu’il existe des acomptes excessifs révèle l’existence d’un problème. Le Comité croit que c’est au fond à cause d’un taux d’intérêt favorable que les sociétés versent des acomptes supérieurs à ce que pourraient exiger de nouvelles cotisations. Une solution administrative ne ferait pas disparaître cette incitation à agir de la sorte, et il y pourrait donc y avoir des tensions considérables entre l’Agence et les sociétés au sujet du montant des acomptes qui est raisonnable. Le gouvernement du Canada n’a pas à accorder un taux d’intérêt aussi favorable, comme le montrent les exemples présentés dans le rapport de vérification, à savoir ceux de l’Alberta, de l’Ontario et des États-Unis[11]. Le Comité croit qu’un taux d’intérêt raisonnable se situerait à un niveau qui n’encourage pas les sociétés à laisser à l’Agence des acomptes trop élevés. Le Comité est heureux de constater que le gouvernement admet l’existence d’un problème et qu’il a annoncé dans le budget de 2010 que le taux d’intérêt créditeur pratiqué sur les trop-payés serait modifié. On propose en effet dans le budget que, à compter du 1er juillet 2010, « le taux d'intérêt payable par le ministre du Revenu national aux personnes morales soit égal au rendement moyen des bons du Trésor à trois mois du gouvernement du Canada vendus au cours du premier mois du trimestre précédent, arrondi au point de pourcentage supérieur le plus près[12] ». Autrement dit, le taux d’intérêt versé sur les acomptes ne sera plus supérieur de deux points au taux des bons du Trésor. Selon les estimations du gouvernement, cette mesure devrait entraîner des économies de 645 millions de dollars d’ici cinq ans. Ainsi, le gouvernement a réagi à la vérification et il entend bien ne plus inciter les sociétés à conserver des sommes excessives dans leur compte auprès de l’Agence du revenu du Canada. La modification du taux d’intérêt devrait régler le problème une fois pour toutes, mais le Comité déplore qu’il ait fallu un rapport de vérification pour faire connaître un problème qui durait depuis des années et que les représentants de l’Agence aient semblé contester les constats des vérificateurs. L’Agence ayant manifestement eu du mal à régler le problème jusqu’à maintenant, le Comité aimerait contrôler les suites de ce changement et il recommande : RECOMMANDATION 1 Que l’Agence du revenu du Canada fournisse au Comité des comptes publics, à la fin de 2009-2010 et de 2010-2011, des chiffres sur le total des acomptes des sociétés détenus en fin d’exercice et sur l’intérêt versé sur ces acomptes durant l’exercice. RECOMMANDATION 2 Que l’Agence du revenu du Canada informe le Comité des comptes publics de son cadre de politique et de la réglementation proposée pour la gestion des acomptes. CONCLUSION C’est une tâche difficile et complexe que de gérer le régime fiscal du Canada de façon que les contribuables soient traités équitablement et que le gouvernement reçoive les montants qui lui reviennent. Le Comité comprend pourquoi le gouvernement donne aux sociétés la possibilité de verser des acomptes auprès de l’Agence du revenu du Canada et pourquoi il paie des intérêts sur ces acomptes. Toutefois, le taux d’intérêt doit être établi de façon telle que l’intégrité du régime fiscal soit préservée et qu’on gère les fonds publics avec un souci d’économie. Le Comité félicite le gouvernement de s’être engagé, dans le budget de 2010, à résoudre le problème en abaissant le taux d’intérêt pratiqué sur les acomptes et espère que, avec cette mesure, les sociétés ne seront plus incitées à verser des acomptes excessifs à l’État. [1] Le taux est établi aux termes du Règlement de l'impôt sur le revenu, partie XLIII, paragraphe 4301b). [2] Voir http://www.cra-arc.gc.ca/nwsrm/rlss/2009/m12/nr091203-fra.html). La page a été consultée le 9 mars 2010 (en anglais : http://www.cra-arc.gc.ca/nwsrm/rlss/2009/m12/nr091203-eng.html). [3] Vérificatrice générale du Canada, Rapport du printemps 2009, chapitre 4, L’intérêt sur les acomptes versés par les sociétés — Agence du revenu du Canada. [4] Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, 40e législature, 2e session, réunion no 35. [5] Réunion no 35, 1540. [6] Réunion no 35, 1530. [7] Chapitre 4, paragraphe 4.20. [8] Réunion no 35, 1620. [9] Ibid., 1630. [10]Ibid., 1630. [11] Chapitre 4, pièce 4.1. [12] Gouvernement du Canada, Budget de 2010, annexe 5 : Mesures fiscales. |