Le Canada défend la
coopération multilatérale dans l’Arctique depuis plus de
20 ans. En effet, c’est lui qui, peu après la fin de la guerre froide, a milité
pour la création d’un conseil réunissant des représentants des huit États de
l’Arctique et des principales organisations autochtones concernées pour aborder
les problèmes communs, notamment en ce qui concerne la protection de
l’environnement particulièrement fragile de l’Arctique. Le Conseil a finalement
vu le jour en 1996, et le Canada en a été le premier président. Maintenant que
tous les États membres ont pris leur tour à la présidence de l’organisation, le
Canada s’apprête à en prendre les rênes pour la seconde fois, pour un mandat de
deux ans commençant en mai 2013. Après avoir mené des consultations dans le
Nord du pays à l’automne de 2012, le gouvernement du Canada a annoncé le thème
principal —
« Le développement au service de la population du Nord » — et les
sous-thèmes de sa présidence prochaine.
En prévision de cet
important second mandat, le Comité a effectué une étude de la politique
étrangère du Canada dans l’Arctique durant laquelle il a consulté plus de
40 témoins, dont des fonctionnaires fédéraux, des fonctionnaires territoriaux,
des universitaires, des scientifiques et des gens d’affaires. Dans le présent
rapport, le Comité fait le point sur les enseignements tirés de ses audiences
pour ensuite commenter le programme du Canada à l’égard du Conseil de
l’Arctique et mettre en relief les questions qui lui paraissent les plus
pressantes que les États de l’Arctique aient à régler.
Un message en particulier
ressort des audiences du Comité, à savoir que l’Arctique est en train de
s’ouvrir aux États qui le bordent et au reste du monde. Or, il apparaît que
cette évolution s’accélère, ce qui pose d’importants défis au Canada et à ses
partenaires du Conseil de l’Arctique, certains à caractère diplomatique ou
réglementaire et d’autres de nature pratique. Autrement dit, la zone arctique
présente des problèmes de gestion à la fois substantiels et impérieux. Les
témoins entendus ont fait valoir que le changement climatique, la mondialisation
et d’autres phénomènes concourent à ouvrir des perspectives et susciter des
complications tout à fait différentes de celles qui prévalaient en 1996, au
moment de la création du Conseil de l’Arctique.
On a par ailleurs fait
remarquer au Comité que, s’ils sont bien gérés, les phénomènes mondiaux qui
sont en train d’ouvrir l’Arctique peuvent contribuer à la prospérité et au
développement économique de la région et donc être avantageux pour les
populations qui y vivent, notamment les Canadiens du Grand Nord. Les études
produites par le Conseil de l’Arctique bénéficient de ressources publiques,
ainsi
que du savoir-faire des organisations autochtones, ce qui donne l’assurance que
les
politiques à venir reposeront sur des fondements scientifiques solides et
d’autres informations pertinentes.
La région de l’Arctique est
unique dans la mesure où la délimitation entre politique intérieure et
politique étrangère y est relativement plus floue qu’ailleurs. Par conséquent,
le présent rapport fait état des principales observations des témoins sur les
questions qui relèvent des deux. Enfin, le Comité formule des recommandations
sur les mesures que le Canada devrait prendre pour appuyer ses propres
politiques à l’égard de l’Arctique et
sur celles qu’il vaut mieux inscrire dans le contexte d’une collaboration
régionale
et multilatérale.
L’Arctique est de plus en
plus l’objet de trois phénomènes — la mondialisation, le changement climatique
et la demande mondiale de ressources naturelles — qui auront de profondes
répercussions sur l’environnement de cette région et sur les populations qui y
vivent. Il présente par ailleurs des périls et des promesses qui influent sur
l’intérêt national. Ainsi, cette région revêt une importance croissante pour la
politique intérieure comme pour la politique étrangère. Le fait que le Canada
assumera, à compter de mai 2013, la présidence tournante du Conseil de
l’Arctique, l’organisation régionale chargée de s’occuper de ces questions,
focalise l’attention sur celles-ci.
L’intérêt des médias et la
prolifération des conférences et des publications à ce sujet ces dernières
années témoignent de la place grandissante de l’Arctique dans la conscience
collective internationale. On note en parallèle une multiplication des visites,
des annonces, des actions et des engagements des gouvernements dans leurs
territoires arctiques et au sujet des questions relatives à l’Arctique.
Il est important de bien
comprendre d’entrée de jeu les raisons de cet intérêt soudain pour cette
région. Elles sont simples : les enjeux, nationaux et internationaux, y
sont considérables. En effet, l’Arctique recèle d’immenses ressources
naturelles très convoitées dont la plupart n’ont pas encore été pleinement mises
en valeur. À l’instar de l’Antarctique, l’autre région polaire du monde,
l’Arctique est aux avant-postes du changement climatique. C’est aussi une
région où la mise en œuvre du cadre juridique international régissant
l’exploitation des océans est suivie de près. C’est une région où se
rencontrent les intérêts nationaux et internationaux de deux grands adversaires
de la fin du XXe siècle, les États-Unis et la Russie, et qui
est l’objet des aspirations et des politiques de certaines des nouvelles puissances
du XXIe siècle comme la Chine et l’Union européenne. C’est une
région qui, si elle devient un point de transit, pourrait faire réaliser des
économies de temps considérables aux entreprises, à l’affût de tout avantage
dans une économie mondiale intégrée où la concurrence est vive. Enfin, et ce
détail
n’est pas des moindres, c’est une région aux caractéristiques géographiques et
démographiques uniques. Par exemple, sur les 4 millions de personnes qui vivent
dans l’Arctique, 500 000 environ sont des Autochtones, lesquels sont
proportionnellement plus nombreux dans les territoires arctiques du Groenland
(88,1 %), du Canada (50,8 %) et de l’Alaska aux États-Unis
(15,6 %). Ainsi, les habitants du Grand Nord sont les intendants d’un
territoire tout à la fois vaste, inhospitalier, fragile et spectaculaire.
Jillian Stirk, sous-ministre
adjointe au ministère canadien des Affaires étrangères et du Commerce
international (MAECI) a souligné l’urgence et l’importance de ce qui se passe
dans l’Arctique pour le Canada, signalant que « le nord connaît des
changements rapides de sorte qu’il suscite désormais un intérêt sans précédent
sur le plan international », ajoutant que ce type de changement
« présente à la fois des possibilités et des défis ». Terry Hayden, sous-ministre par intérim du Développement
économique du Yukon, estime lui aussi que le Nord du Canada entre dans une
phase critique. Selon lui, nous « vivons des transformations majeures sur
les plans social, politique, environnemental et économique, et tous ces
changements pourraient nous procurer des avantages allant au-delà des
frontières nordiques ». Quand il a comparu devant le Comité, le président de la
Commission canadienne des affaires polaires, Bernard Funston, a fait remarquer
qu’un bon nombre des changements et des forces qui touchent l’Arctique sont des
phénomènes d’envergure mondiale. Il a dit :
Notre planète compte
présentement sept milliards d'êtres humains, et les changements que connaît
l'Arctique ne se produisent pas que dans l'Arctique. En fait, la plupart
d'entre eux se produisent à l'extérieur de l'Arctique. Qu'il s'agisse des
pressions exercées pour les routes de transport, des minerais, des polluants transfrontaliers
ou des changements climatiques, ils sont le résultat de facteurs extérieurs à
l'Arctique.
Dans la conception classique
des facteurs qui font de l’Arctique un élément de la politique étrangère, on
note que cinq États ont une frontière dans l’Arctique et entretiennent des
relations, car ils doivent s’entendre pour administrer la gouvernance des eaux,
des terres, des ressources naturelles et des navires qui s’y trouvent. Si ces
faits demeurent le fondement des relations internationales dans l’Arctique, il
reste que c’est le caractère véritablement mondial des forces qui animent bon
nombre des facteurs critiques en jeu dans l’Arctique — comme l’accroissement du
trafic maritime ou de l’exploration des ressources — qui font de cette région
une priorité de la politique étrangère du Canada.
En réponse à cette évolution
de la situation, le gouvernement du Canada a fait paraître en 2010 un Énoncé
de la politique étrangère du Canada pour l’Arctique dans lequel il
développait les dimensions internationales de la Stratégie pour le Nord intégrée, publiée en 2009. Cette dernière comporte quatre volets :
- exercer notre souveraineté;
- promouvoir le développement économique et
social;
- protéger notre patrimoine naturel;
- améliorer et décentraliser la gouvernance dans
le Nord.
Les
rapports entre les deux documents, présentés par le gouvernement comme un train
de mesures, reflètent bien les liens entre les dimensions nationale et
internationale de la gestion de l’Arctique. Dans l’énoncé de politique
étrangère du Canada, l’Arctique est décrit comme « une région stable et
fondée sur le respect des règles, avec des frontières clairement définies, une
croissance économique et un commerce dynamiques, des collectivités énergiques
ainsi que des écosystèmes sains et productifs ».
On y précise que « [l]’importance géopolitique de la région et ses
implications pour le Canada n’ont jamais été plus grandes ».
Le Canada joue depuis
longtemps un rôle de chef de file parmi les pays de l’Arctique, tant sur le
plan de sa politique intérieure que sur celui de la coopération multilatérale
avec ses homologues, dont un élément essentiel, depuis une vingtaine d’années,
est le Conseil de l’Arctique. Cet organe unique combine les ressources et le
savoir-faire de huit États de l’Arctique — Canada, Danemark (Groenland),
Finlande, Islande, Norvège, Russie, Suède et États-Unis — et de six
organisations autochtones internationales pour nourrir la coopération dans le
contexte d’un programme régional commun. Axée initialement surtout sur la
protection de l’environnement, cette coopération s’est élargie pour englober
des questions comme le développement durable et les
secours d’urgence.
Le Canada a été le premier à
occuper la présidence du Conseil de l’Arctique, de 1996 à 1998, qu’il dirigera
de nouveau de 2013 à 2015. La haute représentante du Canada pour l’Arctique,
Sigrid Anna Johnson, du MAECI, a dit au Comité :
[…] vous savez sans
doute que le premier ministre a récemment nommé l'honorable Leona Aglukkaq aux
postes de ministre du Conseil de l'Arctique et de présidente du Conseil de
l'Arctique pour le Canada […] La nomination, par le premier ministre, d'une
ministre désignée pour le Conseil de l'Arctique et d'une personne possédant une
remarquable connaissance du Nord du Canada et des peuples qui l'habitent,
témoigne de l'importance que le gouvernement accorde au Nord et au travail du
Conseil de l'Arctique.
La
démarche du Canada dans l’Arctique va forcément évoluer au gré des perspectives
et des difficultés qui se feront jour dans cette région, mais de par son
caractère unique et sa souplesse, le Conseil de l’Arctique demeure tout aussi
pertinent vis-à-vis des priorités du Canada qu’il l’était au moment de sa
création.
L’éventualité d’une
véritable coopération dans l’Arctique a été évoquée pour la première fois à la
fin de la guerre froide, lorsque le président de l’Union soviétique
Mikhaïl Gorbatchev a lancé l’idée de la création d’une zone de paix dans cette
région dans un discours qu’il a prononcé en 1987. Quelques années plus tard,
une initiative de la Finlande destinée à mobiliser les États de l’Arctique et
trois organisations de peuples autochtones de la région pour régler des
problèmes environnementaux aboutissait à l’adoption de la Stratégie de
protection de l’environnement arctique (SPEA). En 1993, il a été convenu
d’élargir la stratégie pour englober le développement durable, et le Canada
s’est chargé d’établir à ce sujet un mandat et un plan de travail. Le Canada
militait depuis plusieurs années déjà pour la création d’une organisation
régionale d’une portée et d’une mission plus vastes. Sara French, directrice
des programmes du Programme de Munk-Gordon sur la sécurité de l'Arctique, a dit
au Comité à ce sujet :
Le Conseil de
l'Arctique trouve une bonne partie de ses origines ici, au Canada. Ce sont des
Canadiens qui ont poursuivi l'initiative finnoise de mettre sur pied une
stratégie de protection environnementale de l'Arctique afin de créer un forum intergouvernemental
plus permanent visant à faciliter la coopération entre les huit États de
l'Arctique auparavant divisés par les frontières de la guerre froide.
On est finalement convenu
d’établir le Conseil de l’Arctique en 1996. Dans la Déclaration sur la
création du Conseil de l’Arctique (la « Déclaration d’Ottawa »),
les ministres affirmaient ce qui suit :
- Le Conseil de l'Arctique, par la présente
établi, se veut un lieu de débats de haut niveau visant :
- à favoriser la coopération, la coordination et l'interaction entre
les États de l'Arctique, avec la participation des communautés indigènes de
l'Arctique et de ses autres habitants au regard des problèmes communs de
l'Arctique, plus précisément aux problèmes de développement soutenu et de
protection de l'environnement dans l'Arctique;
- à superviser et coordonner les programmes institués en vertu de la
SPEA [...];
- à adopter un cadre de référence relatif à un programme de
développement soutenu, à le superviser et à le coordonner;
- à diffuser des informations, à encourager l'éducation et à stimuler
l'intérêt pour les problèmes de l'Arctique.
Entre
autres précisions importantes, une note en bas de page établissait que le
« Conseil de l'Arctique n'est pas saisi des questions intéressant la
sécurité militaire ».
La structure du Conseil de
l’Arctique reflète largement celle de la SPEA : création de plusieurs
groupes de travail et inclusion de certaines organisations de peuples
autochtones de l’Arctique à titre de « participants permanents ». Le
financement du Conseil même et des travaux des groupes de travail est assuré à
titre volontaire par les huit États membres. La coordination des travaux est
surveillée au moyen de réunions régulières des hauts fonctionnaires des États
membres chargés de l’Arctique, avec l’appui d’un secrétariat qui tourne avec la
présidence tous les deux ans.
Les six groupes de travail
du Conseil de l’Arctique, composés de chercheurs et de fonctionnaires, sont les
suivants :
- Groupe de travail du plan d’action sur les
contaminants de l’Arctique;
- Groupe de travail du programme de surveillance
et d’évaluation de l’Arctique;
- Groupe de travail de la conservation de la flore
et de la faune arctiques;
- Groupe de travail de prévention des urgences, de
protection civile et d’intervention;
- Groupe de travail de protection de
l’environnement marin arctique;
- Groupe de travail du développement durable.
Outre
ces groupes de travail, des groupes d’étude ont été établis par les ministres
sur des sujets particuliers. Ceux-ci ont publié des rapports fondés sur des
travaux de recherche novateurs portant par exemple sur le climat de l’Arctique
(Arctic Climate Impact Assessment (2004)), sur le développement humain (Arctic
Human Development Report (2004)) et sur le transport maritime (Arctic
Marine Shipping Assessment (2009)).
Tandis que les travaux sur
les questions scientifiques et techniques se poursuivent, les États de
l’Arctique ont atteint un nouveau niveau de coopération en 2011 par la
conclusion, cette année-là, de l’Accord de coopération en matière de recherche
et de sauvetage aéronautiques dans l’Arctique, la première entente
exécutoire négociée par les États sous les auspices du Conseil de l’Arctique.
Selon Mme Johnson du MAECI, cette entente témoigne de l’évolution du
Conseil de l’Arctique qui, d’un organe à vocation essentiellement scientifique,
est en train de devenir un organe de décision. De manière plus générale, elle
estime que « [c]omme l'attention envers la région circumpolaire augmente,
c'est évident que c'est un rôle que le conseil assumera, pour veiller à ce que
la région soit bien administrée ».
Parlant de la structure, des
méthodes de travail et de la mission première du Conseil de l’Arctique, John
Crump, conseiller principal sur le changement climatique au Centre polaire
GRID-Arendal, a dit au Comité que « le monde a changé plus vite que le
Conseil ». Abondant dans le même sens, David Hik, professeur,
Département des sciences biologiques, de l’Université de l’Alberta, a fait
remarquer que, les États de l’Arctique ayant maintenant tous eu l’occasion de
présider le Conseil de l’Arctique, le « deuxième cycle des mandats à la
présidence, que commencera le Canada, est l'occasion de définir certains
problèmes de procédure quant à la priorité des questions visées par le mandat
du Conseil de l'Arctique ».
La charge des groupes de
travail du Conseil a beaucoup augmenté ces dernières années. De nombreux
travaux, comme la mise à jour du rapport sur le développement humain dans
l’Arctique, arriveront à terme durant la présidence du Canada. Pour le reste,
mis à part l’établissement d’un secrétariat permanent en janvier 2013, le
fonctionnement interne du Conseil de l’Arctique a peu évolué depuis 1996. Le
président du Conseil circumpolaire inuit (Canada), Duane Smith, a dit au Comité
que le Conseil lui faisait l’impression « d’une organisation
adolescente » quant à la manière dont il mène ses affaires, mais que,
« avec la consolidation de ses assises » (puisque le Conseil dispose
maintenant d’un secrétariat permanent), il deviendra de plus en plus actif.
Par ailleurs, les États
membres du Conseil de l’Arctique devront, dans les mois et les années qui
viennent, déterminer comment s’y prendre pour mieux soutenir le travail des
participants permanents et s’entendre sur une procédure d’admission
d’observateurs permanents des délibérations du Conseil. De façon plus générale,
Mme Johnson a dit au Comité que, durant sa présidence, le
Canada « s'appuiera sur les efforts continus du Conseil visant à améliorer
la coordination dans l'ensemble des groupes de travail et des équipes spéciales
du Conseil et à améliorer le suivi et l'établissement des rapports en vue de
garantir la mise en œuvre efficace de notre travail ».
Depuis six ans, la Norvège,
le Danemark et la Suède se sont entendus sur un programme commun durant leur
présidence alternée pour renforcer la cohérence des travaux du Conseil et se
donner plus de temps pour atteindre leurs objectifs. Dans le même esprit, des
témoins ont suggéré que le Canada coordonne son action avec les États-Unis, qui
lui succéderont à la présidence du Conseil en 2015. Mme Johnson a
dit à ce sujet qu’on évoluait vers un type de « troïka », selon elle
« une manière très efficace » de travailler où le président courant
collabore étroitement avec le président sortant et le président à venir. Le
Canada a collaboré étroitement avec la Suède et il « fera de même quand il
passera le flambeau aux États-Unis ».
Comme les États de
l’Arctique ont réussi à négocier un texte exécutoire sur les opérations de
recherche et de sauvetage sous les auspices du Conseil et sont près de faire
aboutir une autre négociation sur la préparation et l’intervention en cas de
pollution marine par les hydrocarbures, certains recommandent que
ceux-ci concentrent leur action sur ces types d’instruments. Michael Byers, professeur
et titulaire d’une chaire de recherche du Canada, Département des sciences
politiques de l’Université de la Colombie-Britannique, a dit au Comité que,
dans le contexte du changement climatique :
Il ne faut pas
s'imaginer que ces choses-là peuvent se faire de manière informelle.
Nous savons tous que, quand il s'agit des questions les plus importantes au
monde, les pays négocient des traités exécutoires parce qu'ils peuvent être
exécutés. Ces questions sont tellement importantes que nous devons maintenant
nous mettre à légiférer.
Whitney
Lackenbauer, professeur agrégé et président, Département d’histoire de
l’Université St. Jerome’s est contre l’idée de faire de la conclusion
d’ententes exécutoires la mission et l’étalon du succès du Conseil de
l’Arctique. Pour lui, « [l]'objectif escompté, c'est des politiques
fondées sur des données scientifiques, dont la plupart devraient émaner des
États conformément à l'intention initiale du conseil. Cela permet d'établir des
politiques qui tiennent compte de la diversité régionale, parce que les gens
qui vivent
et travaillent dans différents endroits dans la zone circumpolaire ne vivent
pas tous la
même chose ».
Abstraction faite des
nombreuses réalisations du Conseil de l’Arctique depuis sa création, celui-ci
sera d’autant plus efficace qu’il saura distinguer ce qu’il peut faire de ce
qui lui échappe. S’il demeurera à coup sûr la principale tribune de discussion
des questions à caractère véritablement régional, on ne peut pas s’attendre à
ce qu’il puisse régler tous les problèmes — en particulier ceux qui ont une
envergure mondiale — qui touchent l’Arctique, bien qu’il puisse traiter de
leurs répercussions régionales. Dans sa politique étrangère, le Canada devra
donc décider comment le mieux distribuer ses efforts au niveau bilatéral,
régional et mondial sur les diverses questions qui concernent la région circumpolaire.
Les problèmes à résoudre
dans l’Arctique qui pourraient se retrouver devant le Conseil ne manquent pas. Plusieurs
ont été soulevés régulièrement durant les audiences du Comité, notamment la
sécurité maritime et les normes applicables aux navires, l’aboutissement de la
rédaction d’un instrument sur la préparation et la réponse aux déversements
accidentels d’hydrocarbures, la mise en œuvre de l’entente de 2011 sur les opérations
de recherche et de sauvetage et l’éventualité d’un accord de gestion des pêches
dans le centre de l’océan Arctique. Après une série de consultations dans le
Nord du Canada et des discussions tenues ailleurs, le gouvernement du Canada a
annoncé à l’automne de 2012 que le thème central de la présidence canadienne du
Conseil de l’Arctique serait « Le développement au service de la
population du Nord », avec trois sous-thèmes : L’exploitation
responsable des ressources de l’Arctique, La navigation sécuritaire dans
l’Arctique et Des collectivités circumpolaires durables.
Les questions portées à l’attention du Conseil de l’Arctique témoignent souvent
des liens entre politique intérieure et politique étrangère. La coopération
nécessaire à leur résolution dans un tel contexte multilatéral favorise la mise
en commun des connaissances et l’identification des démarches communes et des
pratiques exemplaires. La construction de collectivités durables, par exemple,
est une importante priorité de la politique intérieure du Canada, mais elle
revêt aussi une grande importance dans les autres États circumpolaires, comme
l’a signalé Mme Johnson.
Comme le Conseil de
l’Arctique fonctionne par consensus, ses priorités sont déterminées
collectivement. M. Funston, qui a travaillé de près avec le Conseil depuis sa
création jusqu’en 2010, a dit au Comité que :
[…] les priorités
seront déterminées en collaboration avec les autres États arctiques lors de la
réunion ministérielle qui se tiendra à Kiruna en mai 2013. Il ne faut pas
oublier la règle du consensus qui prévaut au sein du Conseil de l'Arctique.
Ainsi, le Canada ne pourrait pas imposer unilatéralement un programme visant le
développement durable des collectivités de l'Arctique canadien, par exemple.
Dans
son témoignage, Duane Smith a signalé qu’en date de mars 2013, le gouvernement
du Canada « consulte toujours et on collabore étroitement, pas seulement
avec nous, mais avec d’autres, à examiner et à essayer de tenir compte des
opinions et des points de vue de chacun, en essayant en même temps d’être
réaliste quant au programme, au mandat et au calendrier, de façon à atteindre
certains objectifs à l’intérieur de la période prescrite ». Andy Bevan, sous-ministre par intérim des Affaires
autochtones et des Relations intergouvernementales au gouvernement des
Territoires du Nord-Ouest, a résumé la situation qui se présente au Conseil de
l’Arctique à la veille de la présidence du Canada en ces termes :
En devenant président
du Conseil de l'Arctique, le Canada aura une occasion unique et emballante de
mettre de l'avant sa politique étrangère pour l'Arctique. C'est une période
importante pour les gens du Nord puisque la croissance économique et le
changement climatique auront un rôle considérable dans l'avenir de l'Arctique.
Le moment sera bien choisi pour œuvrer à la réalisation des priorités du Grand
Nord sur la scène nationale et internationale et de faire connaître l'immense
potentiel du Nord canadien.
Durant les audiences du
Comité, les témoins ont soulevé toutes sortes de questions, allant de problèmes
de longue date aux nouveaux enjeux cruciaux dont devront s’occuper ensemble les
États de l’Arctique durant la présidence du Canada et après.
Comme on l’a vu, le
gouvernement du Canada a annoncé le thème principal et les sous-thèmes qui
encadreront sa présidence du Conseil de l’Arctique de 2013 à 2015. L’envergure
et la complexité de ces thèmes et des grands enjeux de l’Arctique sont tels que
l’apport additionnel du point de vue d’un comité parlementaire ne peut que
contribuer au succès de la présidence. On trouvera donc dans les sections qui
suivent les principales constatations du Comité et les grands messages émanant
des témoignages dont il a été saisi. Le Comité souhaite ainsi clarifier
certaines idées au sujet de l’Arctique, mettre en évidence les problèmes et les
promesses de l’Arctique et exposer les questions les plus pressantes dont
devront s’occuper le Canada et le Conseil de l’Arctique dans les mois et les
années à venir.
Dans la première section du
rapport, on a donné un aperçu de la place de l’Arctique dans la politique
étrangère du Canada et fait valoir que les enjeux sont élevés pour les pays qui
bordent l’Arctique comme le Canada. Il ne faut pas croire pour autant que les
problèmes et les promesses de cette région sont une source de conflits ou
qu’ils le deviendront forcément. Journalistes et commentateurs ont pu donner
l’impression ces dernières années qu’il y avait une « course aux
ressources » dans l’Arctique et que cette région était devenue une sorte
de « Far West » où l’on se dispute des concessions et où les pays
concernés luttent pied à pied pour protéger leurs intérêts et faire valoir
leurs droits, mais à en juger par les témoignages reçus par le Comité, cette
façon de présenter la situation dans l’Arctique est exagérée, voire carrément
trompeuse. Les témoins ont expliqué qu’il n’y a pas de vide juridique dans
l’Arctique et qu’en fait, un cadre juridique solide régit les eaux arctiques
canadiennes, ce qui comprend le passage du Nord-Ouest, le plancher océanique et
les eaux de l’océan Arctique. Ainsi, les États de l’Arctique voient à leurs
intérêts dans le respect d’un cadre juridique établi.
Le Comité a entendu
plusieurs spécialistes du cadre juridique international qui régit l’Arctique,
notamment M. Byers, Donald McRae, professeur à l’Université d’Ottawa,
Alan Kessel, jurisconsulte au MAECI, Ted McDorman professeur, faculté de droit
de l’Université de Victoria, en affectation spéciale au service juridique du
MAECI, et
David VanderZwaag, professeur en droit et Chaire de recherche du Canada sur le
droit de la mer et la gestion des océans à l’Université Dalhousie. Tous ont
fait des présentations analogues quant aux principes juridiques clés qui
s’appliquent aux eaux canadiennes et à l’océan Arctique.
Il ressort de tous ces
exposés que les eaux de l’Arctique et les ressources naturelles qu’elles
recèlent sont, comme les eaux de toute la planète, assujetties à la Convention
des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après « la
Convention »), un traité international entré en vigueur en 1982. En
janvier 2013, quelque 165 États avaient ratifié la Convention, dont le Canada,
qui l’a ratifiée en 2003. La Convention est un traité international complet qui définit les
divers types d’eaux et les droits des États dans ces eaux, précise les lois et
règlements nationaux qui peuvent régir chaque type et énonce les règles en
matière de navigation, de lutte contre la pollution et de mise en valeur des
ressources. Comme on le voit à la figure 1, les principales définitions
applicables aux zones maritimes des États côtiers de l’Arctique sont les
« eaux territoriales », la « zone économique exclusive »,
le « plateau continental » et, au-delà, la « haute mer ».
Par définition, les
« eaux territoriales » sont constituées des eaux situées en deçà de
12 milles nautiques des côtes d’un État. Tous les navires bénéficient d’un
droit de passage inoffensif dans les eaux territoriales des États côtiers. Un
passage est dit inoffensif tant « qu’il ne porte pas atteinte à la paix,
au bon ordre ou à la sécurité de l’État côtier » (ce qui veut dire qu’un
navire ne peut pas se livrer à un exercice ou des manœuvres avec des armes de
tout type). Les sous-marins, pour leur part, « sont tenus de naviguer en
surface et d’arborer leur pavillon ». Les États peuvent adopter des lois et règlements sur le
passage inoffensif dans leurs eaux territoriales.
Dans l’océan Arctique, comme
dans tous les océans du monde, les États côtiers ont droit à une zone
économique exclusive (ZEE) qui s’étend de 12 à 200 milles marins à
l’extérieur de leur trait de côte. Tout État côtier jouit, à l’intérieur de sa ZEE
des droits souverains
aux fins d'exploration et d'exploitation, de conservation et de gestion des
ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, des eaux surjacentes aux
fonds marins, des fonds marins et de leur sous-sol, ainsi qu'en ce qui concerne
d'autres activités tendant à l'exploration et à l'exploitation de la zone à des
fins économiques [...].
Les
États côtiers ont également compétence sur la protection et la préservation de
l’environnement marin à l’intérieur de leur ZEE. Une disposition importante de
la Convention (l’Article 234) porte sur les zones recouvertes par les
glaces et autorise les États à « faire appliquer des lois et règlements
non discriminatoires afin de prévenir, réduire et maîtriser la pollution du
milieu marin par les navires dans les zones recouvertes par les glaces
[...] ». Le Canada exerce ce pouvoir dans sa ZEE arctique en vertu de la Loi
sur la prévention de la pollution des eaux arctiques.
Aux termes de la Convention,
chaque État côtier peut définir son propre plateau continental, lequel comprend
les fonds marins et leur sous-sol « sur toute l'étendue du prolongement
naturel du territoire terrestre de cet État jusqu'au rebord externe de la marge
continentale », jusqu’à 200 milles marins. Chaque État côtier jouit de certains droits souverains sur son
plateau continental « aux fins de son exploration et de l'exploitation de ses
ressources naturelles ». Ces ressources « comprennent les ressources minérales
et autres ressources non biologiques des fonds marins et de leur sous-sol,
ainsi que les organismes vivants qui appartiennent aux espèces
sédentaires » (ainsi, les dispositions de la Convention qui régissent
l’exploitation des ressources naturelles des plateaux continentaux s’appliquent
aux fonds marins, mais ne visent pas les eaux qui les recouvrent). Ces droits
« sont exclusifs en ce sens que si l’État côtier n’explore pas le plateau
continental ou n’en exploite pas les ressources naturelles, nul ne peut
entreprendre de telles activités sans son consentement exprès ». Au demeurant, ces droits « sont indépendants de
l'occupation effective ou fictive, aussi bien que de toute proclamation
expresse ». Par ailleurs, un État côtier « a le droit exclusif
d’autoriser et de réglementer les forages sur le plateau continental, quelles
qu’en soient les fins ». M. McRae a expliqué la portée juridique de ces
dispositions clés de la Convention en ce qui concerne la définition et
l’exploitation du plateau continental :
Nous parlons ici de
droits qui appartiennent automatiquement à l'État côtier et qu'il n'est donc
pas nécessaire que celui-ci revendique. Voilà pourquoi l'incident du dépôt d'un
drapeau russe il y a quelques années, même s'il était amusant et
scientifiquement intéressant, n'avait absolument aucune signification
juridique, ce dont que les Russes eux-mêmes convenaient.
Tout comme les États de
la région ne peuvent rehausser leur position en formulant des revendications,
les droits sur le plateau continental à l'intérieur de l’Arctique ne peuvent
être revendiqués par des États de l'extérieur de la région. D'un point de vue
juridique, le plateau continental est le prolongement du territoire côtier. Si
vous ne possédez pas de terres dans la région, vous ne pouvez pas avoir de
plateau continental.
En
conséquence, les idées reçues selon lesquelles de nombreux États seraient en
train d’établir leur droit de propriété sur le territoire maritime de
l’Arctique sont trompeuses.
Dans certains cas, un État
peut établir la limite de son plateau continental au-delà de la limite de
200 milles nautiques si son plateau s’étend naturellement au-delà de ce
point, mais cette détermination repose sur une formule complexe définie dans la
Convention. Comme l’a expliqué un représentant du ministère des Pêches et des
Océans, « [c]ette définition dépend de l’épaisseur des roches
sédimentaires, qui sous-tend l’idée que le plateau est le prolongement naturel
du territoire terrestre d’un État ». Pour porter l’étendue de son plateau continental au-delà de
la limite de 200 milles marins jusqu’à, dans la plupart des cas, au plus
350 milles marins, un État « doit communiquer l’information
scientifique, technique et juridique [...] à la Commission des limites du
plateau continental ».
Un État a 10 ans après la
ratification de la Convention pour faire valoir ses revendications en la
matière, ce qui donne au Canada jusqu’à la fin de 2013 pour le faire. M. Kessel
a signalé que les travaux techniques et scientifiques nécessaires étaient
réalisés en collaboration avec des partenaires comme les États-Unis et le
Danemark. Il a ajouté : « Lorsque nous aurons terminé, la superficie
du territoire sera équivalente à celle des trois provinces des Prairies; vous
pouvez imaginer tout le potentiel qu'il y aura là en matière d'hydrocarbure et
autres. » Cela dit, le professeur McRae a signalé que les travaux de
la Commission présentaient un important arriéré et qu’il faudrait peut-être à
celle-ci « jusqu'à une vingtaine d'années pour qu'elle exprime un avis
quelconque sur les thèses du Canada ».
Devant le Comité,
M. Kessel a déclaré que le Canada établira un jour les limites extérieures
de son plateau continental en se fondant sur ces recommandations. Pour ce qui
est de la possibilité que les plateaux continentaux des États côtiers empiètent
les uns sur les autres, il a précisé que « l'étendue et l'emplacement de
cet empiétement sont encore inconnus » et que, de toute façon, tout
« empiétement sera résolu de façon bilatérale conformément au droit
international ». Le professeur McRae a expliqué que les règles
régissant ces différends concernant les frontières maritimes « ne sont pas
très claires », mais qu’elles ont été « formulées dans le contexte de
la pratique des États et des décisions des tribunaux internationaux ».
Selon la définition que
donne la Convention, qui régit l’océan Arctique au sens large, toutes les mers
situées au‑delà des limites extérieures des mers territoriales et des ZEE
des États côtiers constituent la haute mer. La haute mer est ouverte à tous les
États, qui jouissent de la liberté de navigation, de la liberté de survol, de
la liberté de pêche (sous certaines conditions) et de la liberté de recherche
scientifique. M. McDorman a expliqué au Comité, afin de lui donner une idée
générale de l’enchevêtrement des définitions existantes, que, comme pour les
autres océans, « l'océan Arctique est simultanément une zone relevant de
la compétence exclusive du Canada et une zone où tous les États peuvent exercer
certains droits internationaux ». James Manicom, associé de recherche au Centre pour
l’innovation dans la gouvernance internationale, a fait valoir pour sa part que
les États d’Asie de l’Est, par exemple, s’intéressent à l’océan Arctique, c’est‑à‑dire
à la haute mer, et non aux mers territoriales.
La Déclaration d’Ilulissat
faite en 2008 par les cinq d’États bordant l’océan Arctique, soit le Canada,
les États-Unis, la Russie, la Norvège et le Danemark (Groenland), souligne
l’existence d’un cadre juridique établi dans l’Arctique, s’appuyant sur la
Convention sur le droit de la mer et le désir des États de l’Arctique de
collaborer en la matière. Les ministres des affaires étrangères de ces pays ont
rappelé :
… qu’un cadre juridique
international étendu s’applique à l’océan Arctique…
Notamment, le droit de
la mer prévoit d’importants droits et obligations concernant les limites
extérieures du plateau continental, la protection du milieu maritime, y compris
les secteurs pris par les glaces, la liberté de navigation, la recherche
scientifique maritime et d’autres utilisations de la mer. Nous demeurons
engagés envers ce cadre juridique et envers le règlement harmonieux de toutes
revendications concurrentes susceptibles de survenir.
S’ils
n’ont pas ratifié la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer,
les États-Unis appliquent toutefois le droit international coutumier en la
matière. D’après
le professeur McRae, « le fait que les États-Unis ne soient pas partie au
traité n’a, dans l’ensemble, aucune conséquence réelle ». Le Comité estime que la Convention des Nations Unies sur le
droit de la mer est, à titre de cadre juridique international, d’une importance
fondamentale. Comme l’a déclaré au Comité Andrea Charron, professeure
adjointe à l’Université du Manitoba, « La Convention des Nations Unies sur
le droit de la mer est effectivement l'outil juridique par excellence dans le
cas des océans et des mers ». Elle a également fait remarquer que la
Convention « est reconnue, et que les États-Unis, même s'ils ne l'ont pas
ratifiée, la considèrent comme un outil de droit coutumier ».
Le Comité se réjouit par conséquent d’avoir entendu, lors de ses audiences, que
le gouvernement du Canada croyait fermement en la Convention comme base commune
de référence.
Avec la Convention comme
point de référence, les témoins ont avancé bon nombre d’arguments communs sur
le fondement juridique de la souveraineté canadienne dans l’Arctique. M. Kessel
a fait observer que « la souveraineté du Canada sur les terres
et les eaux canadiennes situées dans l'Arctique est, depuis longtemps, une
réalité bien établie ».
Pour ce qui est du
territoire terrestre du Canada dans l’Arctique, les témoins ont convenu que
personne ne conteste la position juridique du Canada. M. McDorman a fait valoir
que, à l’exception de la minuscule île Hans, tout le territoire de l’Arctique
canadien « fait indéniablement partie du territoire souverain du Canada et
ne fait l'objet d'aucune contestation de la part d'aucun autre État ».
La situation dans les eaux baignant l’archipel Arctique canadien est un peu
plus complexe. Selon M. Kessel :
Personne ne conteste le
fait que les voies navigables connues sous le nom de passage du Nord-Ouest font
partie des eaux canadiennes. Le problème ne réside pas dans la souveraineté sur
les eaux ou les îles, mais dans le statut juridique de ces eaux et, par
conséquent, dans le degré de contrôle que peut exercer le Canada relativement à
la navigation internationale.
Les États-Unis maintiennent
que le passage du Nord-Ouest est un détroit international ouvert à la
navigation. Cependant, comme l’a expliqué M. Kessel :
Le Canada est d'avis
qu'il s'agit de ses eaux intérieures en vertu d'un titre historique et qu'elles
ne constituent pas un détroit international. Par souci de clarté, le Canada a
tiré des lignes de base droites autour de ses îles arctiques en 1986. En
conséquence, le Canada a le droit inconditionnel de réglementer le passage du
Nord-Ouest comme il le ferait pour son territoire.
Pour
M. McDorman, qui s’est dit du même avis, « 'il ne fait absolument
aucun doute, en droit international, que les eaux, y compris le plancher
océanique et toutes les ressources qui se trouvent dans l'archipel Arctique et
dans le passage du Nord-Ouest, appartiennent au Canada ».
Pour lui, il n’est pas question de déterminer « si le passage du
Nord-Ouest est canadien, mais plutôt de déterminer dans quelle mesure le
passage du Nord-Ouest est canadien ». Et d’ajouter : « est-ce
comme le lac Wascana, à Regina, ou le port de Halifax […], qui sont, tout
compte fait, canadiens? C'est le point de vue du Canada. Est-ce que c'est un
passage canadien où la navigation est permise? C'est la position des
États-Unis ».
Pour ce qui est de la
position des États-Unis, M. Kessel a déclaré avec vigueur que le passage
du Nord-Ouest (voir figure 2) ne s’apparente pas au détroit de Malacca, de
Gibraltar ou d’Ormuz. Il a précisé que le passage du Nord-Ouest n’a jamais été
une voie internationale, surtout par rapport au détroit de Malacca où
10 000 navires passent chaque année, et que jusqu’à très récemment
les eaux du passage étaient infranchissables. M. Kessel a déclaré :
«On ne peut pas créer un droit simplement parce que la glace a fondu ».
Qui plus est, les navires qui naviguent actuellement dans les eaux arctiques
canadiennes ont obtenu une autorisation du Canada, ce qui fera l’objet d’une
section ultérieure du présent rapport sur le trafic maritime. Pour
M. Kessel, « nous détenons ce contrôle et l'avons renforcé au cours
de la période dont il est question ».
Figure 2 — Passage du Nord-Ouest

Source : Pêches
et Océans Canada, Garde côtière canadienne, exposé devant le Comité du
28 février 2013.
Malgré les différences de
positions entre le Canada et les États-Unis relativement au passage du
Nord-Ouest, « il s’agit plus là d’une question de principe que de pratique » selon M. McRae.
Pour ce dernier, les États-Unis « ne s'opposent pas en pratique à ce que
le Canada exerce concrètement sa compétence » et le véritable litige est
en fait d’ordre géopolitique et concerne l’établissement de précédents
concernant la liberté de navigation; il s’agit plus des « implications de la
position du Canada pour d'autres voies d'eau dans le monde » que
d’« une préoccupation quelconque sur ce que le Canada fait ou pourrait
faire ». Il y a une très forte collaboration entre le Canada et les
États-Unis dans l’Arctique malgré ce désaccord relatif à une interprétation
juridique
du passage du Nord-Ouest. Dans ce contexte, M. McRae a fait valoir que
« la meilleure manière pour le Canada de rehausser sa position à l'égard
du passage du Nord-Ouest est de simplement traiter et gérer ce dernier comme
faisant partie de ses eaux intérieures tout en le laissant ouvert à la
navigation internationale […] ».
La mise en application de la
position juridique du Canada pourrait devenir préoccupante, surtout compte tenu
de l’augmentation prévue de la navigation maritime dans l’Arctique et des
ressources qui seront nécessaires pour intervenir en cas d’incidents connexes.
Tout en insistant sur le fait que « la souveraineté du Canada sur les îles
de l'Arctique et sur le continent est assurée et n'est plus en danger »,
Shelagh Grant, professeure auxiliaire au Département d'études canadiennes de
l’Université Trent
a expliqué :
Ce qui pourrait être en
danger, c'est la capacité du Canada d'appliquer ses propres lois et règlements
dans les eaux adjacentes si la circulation maritime accrue venait à dépasser
les investissements pour avoir un nombre suffisant de navires de la garde
côtière ou de patrouille pour faire respecter les lois canadiennes.
C’est
la raison pour laquelle Mme Grant soutient que l’on doit tenir
compte des investissements dans l’infrastructure maritime ainsi que dans la
technologie permettant le signalement obligatoire des navires à la Garde
côtière canadienne, administré par la zone de services de trafic maritime du
Nord canadien. À son avis, « nous avons un retard en matière
d'infrastructure et une avance en ce qui concerne la technologie ».
Selon des témoins entendus
par le Comité, il est manifeste que, s’il existe des différends d’ordre
juridique touchant l’Arctique canadien, il ne s’agit pas de crise de
souveraineté. Du point de vue du gouvernement du Canada, il y a, d’après M. Kessel,
trois différends dans l’Arctique dont le Canada se soucie :
- un différend territorial — le seul dans
l’Arctique canadien — qui l’oppose au Danemark au sujet de l’île Hans;
- un différend sur les limites maritimes qui
l’oppose au Danemark relativement à deux petits secteurs (de 65 milles
marins carrés) dans la mer de Lincoln, au nord de l’île d’Ellesmere et du
Groenland;
- un différend sur les limites maritimes qui
l’oppose aux États-Unis dans la mer de Beaufort au nord du Yukon et de
l’Alaska.
Le
Canada collabore étroitement avec d’autres États de l’Arctique — en particulier
les États‑Unis — dans le cadre de diverses entreprises menées dans la
région et, selon M. Kessel, ces différends « sont gérés dans les
règles et seront résolus de façon pacifique selon le droit international ».
À propos du différend
relativement à l’île Hans que le professeur McRae a qualifié de
« lilliputien », M. Kessel a précisé que l’île revendiquée par le Canada et
le Danemark mesure 1,3 kilomètre carré et est aride et inhabitée. Pour
lui, le différend n’a aucune répercussion sur les eaux ou le fond de l’océan
autour de l’île et « les deux pays mènent d'ailleurs des consultations bilatérales
régulières en vue de trouver une solution mutuellement acceptable ».
Au sujet de la mer de
Lincoln, le Canada et le Danemark ont convenu que la frontière serait
équidistante des deux pays, mais ils ne se sont pas entendus sur les aspects
techniques de son tracé. Des experts des deux pays ont tenu des réunions
informelles pour échanger des renseignements. M. Kessel a affirmé que les
représentants des deux gouvernements estiment que « le travail des experts
techniques offrira une base solide pour faire progresser le règlement de ces
différends ». Peu après le témoignage de M. Kessel, le 28 novembre 2012,
le Canada et le Danemark ont annoncé qu’ils avaient conclu un « accord de
principe » sur la frontière dans la mer de Lincoln.
Pour ce qui est de la mer de
Beaufort, que M. Kessel a considérée comme un point « plus
intéressant », ce dernier a expliqué que les États-Unis et le Canada
« se disputent la frontière maritime comprenant une zone d'environ
6 250 milles marins carrés ».
Le Canada estime depuis longtemps en effet que « le 141e méridien
délimite la frontière maritime avec les États-Unis dans la mer de Beaufort,
comme elle a été établie aux termes du traité de Saint-Pétersbourg de
1825 ». M. Kessel a ajouté que les deux pays avaient offert des
permis et des concessions de prospection pétrolière et gazière dans la zone
litigieuse, mais qu’aucun n’avait permis la prospection ou l’exploitation dans
la région tant que le différend n’était pas réglé. Des experts des
gouvernements des deux pays se rencontrent régulièrement dans le cadre de ces
discussions portant sur le litige.
Nombreux sont les Canadiens
qui estiment sans doute que la plus importante question de souveraineté dans
l’Arctique canadien porte sur les eaux du passage du Nord-Ouest. Comme nous
l’avons déjà dit cependant, le débat sur le passage du Nord-Ouest ne porte pas
sur la souveraineté (les eaux étant canadiennes), mais sur leur statut juridique.
Pour ce qui est de ces trois
différends, le gouvernement du Canada continuera de défendre ses positions
traditionnelles par la voie diplomatique. Il a fait valoir dans son Énoncé
de la politique étrangère du Canada pour l’Arctique de 2010 que ces
désaccords étaient bien gérés, ne posaient aucun problème sur le plan de la
défense du pays ni ne compromettaient en rien la « capacité du Canada de
collaborer et de coopérer avec ses voisins arctiques » M. McDorman a résumé les répercussions concrètes de ces
différends de la manière suivante :
... l'important, ce
n'est pas l'existence de litiges, mais la mesure dans laquelle les litiges
causent des frictions entre les États en cause. Selon cette norme, on peut dire
qu'aucun des litiges que le Canada perçoit concernant l'Arctique ne s'approche
de ce qu'on pourrait appeler une crise. Je dirai de façon plus imagée que la
diminution de la couverture de glace n'est pas attribuable aux débats qui
s'échauffent, concernant les litiges du Canada en matière d'eaux
internationales.
Par
conséquent, l’exercice de la souveraineté demeurera un élément clé des politiques
du Canada pour l’Arctique, mais il n’est pas nécessaire que ce dernier continue
de se défendre contre de supposées contestations de sa souveraineté.
À un niveau plus général,
les témoignages entendus ne laissaient pas entendre que l’Arctique sera le
théâtre de conflits internationaux ou d’une concurrence déréglementée dans un
avenir immédiat ou à moyen terme. Lorsqu’on lui a demandé
s’il prévoyait une collaboration ou des conflits dans la région Arctique, le
professeur Lackenbauer a expliqué qu’il s’attendait à de la
collaboration. M. McDorman a lui aussi estimé qu’en
ce qui concerne le droit de la mer, « il y a une assez bonne coopération
bilatérale et multilatérale entre les États de l’Arctique et, surtout, une
conception généralisée ». Pour le professeur Lackenbauer :
…malgré tout le
brouhaha des médias concernant une supposée « course pour les
ressources », en réalité, la plupart des ressources exploitables de
l'Arctique se trouvent sur ses territoires nationaux clairement délimités. Des
conflits concernant des ressources dans l'Arctique sont très peu probables,
particulièrement dans la zone nord-américaine du monde circumpolaire.
C’est aussi ce que semble
penser le gouvernement canadien. À propos de la Déclaration d’Ilulissat de
2008, mentionnée ci-dessus, Jillian Stirk du MAECI a expliqué que
« le Canada reconnaît que la coopération internationale renforce les
efforts nationaux pour saisir les occasions et relever les défis qui se
présentent dans la région ».
Le professeur Byers, conseiller auprès du ministre des Affaires étrangères de
l’époque, Lawrence Cannon, pour le document de politique étrangère sur
l’Arctique de 2010, a déclaré au Comité que, même compte tenu de
l’« histoire de la guerre froide » dans la région, il y a « peu
de risque de conflit militaire entre les États-nations ». Il a résumé la
situation actuelle dans l’Arctique du point de vue de la politique étrangère
canadienne de la manière suivante :
La situation est donc
généralement positive : coopération internationale, prise en compte de
cela par le gouvernement canadien et, maintenant, avec notre prochaine
présidence du Conseil de l'Arctique, possibilité de porter cette coopération à
un niveau supérieur en se fondant sur la déclaration de politique étrangère de
l'Arctique d'il y a deux ans.
Certes, les défis sont énormes, mais les promesses aussi.
Même si l’on s’inquiète de
l’intérêt croissant des États non arctiques pour la région circumpolaire,
s’appuyant sur ses recherches sur la politique étrangère des pays de l’Asie de
l’Est, M. Manicom a expliqué au Comité que les universitaires d’Asie de
l’Est spécialisés en politique arctique reconnaissent également que les enjeux
géopolitiques de la région sont abordés « en grande partie sous le signe
de la coopération ».
Le professeur Lackenbauer a renchéri en affirmant que nous ne devrions pas
« nous sentir immédiatement menacés par le fait que d'autres pays
s'intéressent à une région ».
Des témoins ont laissé
entendre que certains des grands constats énoncés
ci-dessus ne correspondent pas forcément à l’opinion que s’est faite la
population de ces questions. Certains ont laissé entendre que la véritable
souveraineté du Canada dans l’Arctique n’est pas toujours clairement évoquée
dans le discours public. La difficulté que pose toute discussion sur la souveraineté
tient au fait que, alors que la question est essentiellement d’ordre juridique,
les médias et d’autres utilisent souvent le concept dans un sens plus général,
assorti de diverses connotations. Dans le contexte du règlement pacifique,
survenu en 2010, d’un conflit de plusieurs années sur la frontière maritime
entre la Norvège et la Russie, M. Funston a fait
savoir au Comité :
La souveraineté est un
prétexte très intéressant dans la politique canadienne sur bien des plans, à
l'échelle nationale et internationale. Peu d'États de l'Arctique vivent des
crises de la souveraineté comme celles que nous vivons de temps en temps.
Par exemple, en ce qui concerne la question du Svalbard, qui touche les
Norvégiens et les Russes, on ne parlait pas de crise de la souveraineté en
Norvège. Il s'agissait d'un différend.
Le
professeur Lackenbauer a fait valoir que la souveraineté dans l’Arctique
préoccupe depuis longtemps la population canadienne et donc nos gouvernements.
Pour lui :
Historiquement, du
point de vue de la politique étrangère, notre intérêt pour l'Arctique est né
avant tout d'une préoccupation plutôt névrotique au sujet de la souveraineté.
Ce n'est pas d'hier que nous sentons peser des menaces sur notre souveraineté
dans le Nord, particulièrement de la part des États-Unis. Quand ça se produit,
on constate un soudain et vif intérêt de la classe politique, qui s'engage à
investir dans notre Nord, puis, quand la crise passe et que les Canadiens se
rendent compte que la souveraineté n'est pas pour l'instant exposée à un danger
manifeste, habituellement, on perd tout intérêt pour le Nord, et la classe
politique manque à ses promesses.
Cette fois-ci, j'espère
que ce sera différent, et j'en ai bien l'impression.
Il a
également affirmé qu’il faut tirer parti du grand intérêt du public pour
l’Arctique et de l’amélioration des communications du gouvernement sur la
région, comme il est
prévu dans la Stratégie pour le Nord de 2009 et l’Énoncé de
politique étrangère de 2010.
Selon lui, « Il faut communiquer un message cohérent. Il faut corriger
l'information erronée qui circule ».
Les témoins ont cité
plusieurs exemples de conceptions erronées du public sur diverses questions
relatives à l’Arctique. La professeure Charron, notamment, a commencé par
rappeler ce qui s’était produit la veille au soir lors d’une réunion publique
sur l’Arctique tenue à Winnipeg. Elle a expliqué comment les thèmes abordés et
les points de vue exprimés par les personnes présentes illustraient la
nécessité d’améliorer le message transmis à la population et de mieux informer
cette dernière. Elle a en
effet expliqué :
Le message qu'on
voulait transmettre était extrêmement prévisible, tant pour les aspects qui
étaient abordés que ceux qui étaient évités. Quatre universitaires étaient invités
à prendre la parole au sujet de l'Arctique. Ils ont évoqué les aspects
suivants: il y a des possibilités dans le Nord, mais nous devons faire très
attention de ne pas laisser n'importe qui en profiter; les États-Unis sont
notre plus grand adversaire; et notre souveraineté est compromise. On a montré
diverses sections de la carte qui
illustre les conflits possibles en raison de la délimitation du plateau
continental.
Ils n'ont toutefois pas parlé de la stratégie actuelle du Canada
pour le Nord. Ils n'ont fait aucune mention des conditions de vie dans le Nord.
Ils n'ont pas non plus évoqué le Conseil de l'Arctique ni le fait que le Canada
en assurera la présidence. J'ajouterais qu'ils n'ont pas mentionné que le
Canada présiderait le Conseil circumpolaire inuit de
2014 à 2018.
Pour
ce qui est du développement économique, Mme Grant
a fait valoir, par exemple, que bien des Canadiens « ne sont pas conscients du degré d'industrialisation que l'on
retrouve déjà dans l'Arctique, en raison de nouveaux projets miniers et de la
circulation maritime qui y est rattachée ». Pour sa part, Tom Paddon, président-directeur général de
Baffinland Iron Mines, a affirmé la nécessité de « fournir des
explications axées sur des faits » pour corriger la perception qu’a le
public de l’exploitation des ressources dans
le Nord.
Globalement, les témoins ont
convenu que les Canadiens s’intéressent à l’Arctique et y sont attachés.
Cependant, pour ce qui est de la souveraineté et de toute une gamme d’autres
enjeux pertinents en matière de politiques canadiennes relatives à cette
région, plusieurs ont souligné qu’il est nécessaire de mieux informer la
population. Une telle sensibilisation pourrait assurer un appui continu et
informé de la population à l’égard des politiques nationales et étrangères du
Canada dans la région.
Parce que la population du
sud du pays ne connaît peut-être pas suffisamment bien l’Arctique canadien, il
lui est plus difficile de comprendre la complexité de la situation de
l’Arctique circumpolaire, laquelle est attribuable aux différences marquées
entre les huit États de l’Arctique sur les plans de la géographie, de la
démographie, de l’histoire, etc. Pour informer la population de l’ensemble du
Canada sur le Nord, Geoff Green, fondateur et directeur général, Fondation
Students on Ice, a proposé, entre autres choses, la mise sur pied à Ottawa
d’une « Polar House », qu’il a décrite comme un centre national
visant à faire connaître et à célébrer le passé, le présent et l’avenir de
l'Arctique. Cette initiative a reçu l’appui de Karen Barnes, présidente du
Yukon College et de Shelagh Grant de l’Université Trent. Cette dernière a même
ajouté que, ironiquement, elle siégeait à un comité il y a 25 ans, qui avait
fait cette même proposition. Pour elle : « Nous sommes le seul pays
arctique qui n'a pas de centre polaire ou de maison polaire dotés d'un musée et
de ressources. Je ne saurais trop vous encourager à mettre en place un tel
centre. »
Pour ce qui est des
connaissances sur le Conseil de l’Arctique lui-même,
Sara French, de la Walter and Duncan Gordon Foundation, a mentionné au Comité
qu’une enquête sur le sujet dont les résultats ont été publiés en janvier 2011
a révélé que les Canadiens en savent beaucoup plus que les Américains. Ces
résultats sont toutefois très relatifs, étant donné qu’un tiers seulement des
Canadiens des trois territoires et 15 % des Canadiens occupant la partie
méridionale du pays ont pu clairement affirmer qu’ils avaient entendu parler de
l’organisme. Mme French en a conclu qu’il fallait faire connaître
les objectifs et les programmes du Conseil de l’Arctique tant au Canada qu’à
l’étranger. Elle a ajouté qu’il était également important que les gens du Nord
soient mis au courant du travail du Conseil et qu’il serait donc bon de
diffuser des résumés, formulés dans un langage accessible, des rapports de
nature souvent technique que produit ce dernier.
Bernard Funston et
David Scott, de la Commission canadienne des affaires polaires, ont
indiqué au Comité qu’avec des collègues, ils avaient consacré les deux
dernières années à moderniser la Commission, dont la vocation, comme l’a
expliqué M. Scott, était « d'être l'institution nationale du Canada
chargée de l'avancement des connaissances et de la sensibilisation sur les
affaires polaires ». Le but de la Commission est de rassembler le savoir
polaire, le synthétiser et le diffuser « au public, au monde et aux
décideurs ». M. Funston a ajouté qu’à son avis, le gouvernement
souhaitait tirer parti du fait que le Canada présidera prochainement le Conseil
de l’Arctique pour améliorer la compréhension des questions polaires au sein du
Canada. Il a précisé
qu’il constatait « que de véritables efforts sont déployés afin de mieux
appliquer les
travaux du Conseil de l'Arctique à la situation canadienne, ce à quoi la
Commission pourrait contribuer ».
Comme il est mentionné au
début du présent rapport, la coopération circumpolaire trouve son origine dans
la reconnaissance de la nécessité de s’attaquer aux questions environnementales
qui se posent dans l’Arctique. Le premier mécanisme régional mis sur pied, la
Stratégie de protection de l'environnement arctique de 1991, est devenu la
pierre angulaire du travail plus global qu’effectue le Conseil de l’Arctique,
fondé en 1996.
En 2000, cet organisme a convenu d’effectuer une évaluation de l'impact du
changement climatique dans l'Arctique. Il a fallu 3 ans pour terminer cette
évaluation, à laquelle
300 chercheurs, représentants autochtones et autres experts de 15 pays ont
participé . Les
principales constatations qui s’y trouvent continuent d’alimenter le débat sur
les questions environnementales qui se posent dans le Nord, particulièrement
concerné par le changement climatique d’après les témoins, même si l’on a réuni
de nouvelles données scientifiques plus à jour depuis la publication de
l’étude.
Des témoins ont évoqué les
effets du changement climatique qui sont ressentis dans l’Arctique et du fait
que ces modifications ont des répercussions non seulement sur la région, mais
également dans le monde entier. Tout d’abord, ce changement climatique a une
incidence disproportionnée sur l’Arctique, et se répercute très concrètement
sur les populations locales et les écosystèmes. En second lieu, le changement
climatique qui se manifeste dans l’Arctique modifie les phénomènes et les
forces climatiques dans d’autres régions du monde. Le professeur Hik, également
président du Comité international des sciences de l'Arctique, a résumé la
situation en ces termes : « Je pense que les scientifiques
s'entendent tous sur le fait que l'Arctique se dirige vers un nouvel état qui
changera le Nord de façon importante, et aussi la planète. »
Pour ce qui est de l’effet
du changement climatique sur la région circumpolaire et plus précisément le
Nord canadien, bon nombre des témoins ont exprimé leur point de vue personnel
issu de leur expérience directe. Par exemple, Duane Smith, président du Conseil
circumpolaire inuit (Canada), a expliqué que : « Comme
l’Arctique change, nous vivons en bordure, à la frontière, si vous voulez, des
changements qui s’opèrent actuellement. Nous les voyons et nous les vivons en
direct. » Mme Barnes, du Yukon College, a renchéri en
affirmant que les changements climatiques sont bien réels : « Nous
les voyons partout ici, et ils posent des défis notamment sur les plans de la
sécurité alimentaire et du transport. » Andy Bevan, sous-ministre par intérim au ministère des
Affaires autochtones et des Relations intergouvernementales au gouvernement des
Territoires du Nord-Ouest, a expliqué pour sa part :
Les températures
s'accroissent rapidement, les collectivités côtières doivent composer avec une
érosion accrue et la saison des routes d'hiver se raccourcit et devient moins
prévisible. De plus, le dégel du pergélisol compromet les transports et la
stabilité des habitations et des autres infrastructures, et les écosystèmes
nordiques évoluent rapidement, ce qui affecte les modes de subsistance traditionnels
pour un grand nombre de nos résidents et de nos collectivités.
Concernant
tous ces points, Stephen Mooney, directeur du Centre d'innovation en climat
froid au Yukon College, est allé jusqu’à dire que, pour les communautés du
Nord, « la principale source d'inquiétude est, je crois, le changement
climatique, qui touche le Nord, et la façon de s'y adapter ».
Des spécialistes du
changement climatique et de la science arctique ont également témoigné devant
le Comité. Comme l’a expliqué John Crump, conseiller principal, Changement
climatique, Programme polaire, GRID-Arendal, les banquises fondent de manière
spectaculaire dans l’Arctique, mais, de surcroît, la région arctique devient de
plus en plus verte :
Trente années
d'observations par satellite démontrent que les conditions d'aujourd'hui
ressemblent à celles qu'on trouvait de 4 à 6 degrés de latitude plus au sud en
1982; cela représente de 400 à 700 kilomètres, selon d'où viennent les mesures.
Évidemment, la fragmentation de l'habitat, la pollution, le développement
industriel, la surexploitation des ressources fauniques, etc. entraînent tous
des répercussions à l'échelle régionale et à plus grande échelle.
Si le débat entourant le
changement climatique dans l’Arctique est généralement plus axé sur les mers et
la glace, ce qui fait l’objet de la section suivante du rapport, des
changements significatifs se produisent aussi au niveau du sol. Comme l’a
expliqué le professeur Hik, avec la diminution des chutes de neige et la montée
des températures, les arbustes arctiques poussent plus vite et arrivent à
percer la couche de neige en plus grand nombre, de telle sorte qu’ils
assombrissent la surface et absorbent davantage des rayons du soleil, qui
auraient autrement été reflétés par la neige et la glace :
Le deuxième changement
en importance, c'est le caractère saisonnier de la couverture de neige. La
fonte des neiges se produit plus tôt dans la saison et entraîne un
albédo plus élevé et une surface plus sombre qui absorbe davantage l'énergie
solaire.
Par conséquent, la profondeur de la couche active du pergélisol et l'hydrologie
en surface changent. C'est ainsi que les cours d'eau, les rivières et les lacs
se rejoignent dans les régions de gélisol.
Tous ces facteurs
semblent avoir un effet cumulatif. Le réchauffement s'accélère à mesure que les
changements au sol s'opèrent. La région concernée est très vaste.
Étant donné que les changements ne surviennent que depuis 10 ans, nous n'avons
pas réellement anticipé les conséquences.
Compte
tenu de l’accélération des changements climatiques dans l’Arctique, il est
devenu plus urgent pour les pays du Conseil de l’Arctique de se concentrer sur
les mesures d’adaptation destinées aux résidents de la région circumpolaire et
sur les gestes à faire pour protéger cet environnement fragile.
Depuis 1996, le Conseil de
l’Arctique se focalise justement sur la protection de l’environnement. L’un de
ses six groupes de travail est axé sur la protection de l’environnement marin
arctique, et trois autres se consacrent au suivi des menaces pour le milieu
arctique et aux recherches sur les contaminants et sur la conservation de la
flore et de la faune arctiques. Geoff Green a fait valoir la fragilité du
milieu arctique; selon lui, toute activité de mise en valeur économique dans le
Nord doit tenir compte, au moment de la planification, de ces réalités et du
volet protection de l’environnement. Pour illustrer son propos, il a pris
l’exemple d’un incident récent mettant en cause des narvals, qui quittent
habituellement leur aire d'alimentation dans l'archipel Arctique durant l'été
pour migrer vers la baie de Baffin. Ces baleines n’avaient pas pu se rendre à
destination en raison de la prospection sismique :
Bien évidemment, les
narvals utilisent l'écholocation dans un océan tranquille pour chasser et
naviguer. Ils ont été piégés dans des trous d'air dans les canaux de l'archipel
lorsque ceux-ci ont gelé. Ils n'ont pas eu le temps de se rendre en eau libre
et sont morts de faim.
Ce genre de problème
deviendra de plus en plus fréquent à mesure qu'augmente l'activité
industrielle, à moins que celle-ci soit tempérée et fasse l'objet d'études
suffisantes. Pas la peine de préciser que les responsables de l'exploration
pétrolière ne cherchaient pas à tuer des milliers de baleines situées à
plusieurs centaines de kilomètres de leurs activités. Voilà qui illustre bien
que, dans l'Arctique, toutes les activités, humaines et naturelles, sont liées.
Même des activités à court terme peuvent avoir une incidence à long terme.
Pour mettre en lumière la
nécessité de protéger le milieu arctique, le professeur VanderZwaag a
présenté au Comité des recommandations sur les normes de navigation et la
pollution dans l’Arctique, ainsi que sur des questions de gestion et de
gouvernance de l’océan Arctique. À cet égard, il a noté l’importance d’une
gestion (et autres travaux connexes) fondée sur l’écosystème par la voie du
Conseil de l’Arctique. Mais, pour lui, « nous sommes très loin de la mise
en œuvre d'une approche écosystémique ». Il a ajouté qu’il n’y avait
actuellement aucun réseau de régions marines protégées dans l’Arctique et que
« ce n'est pas pour bientôt ».
Pour certains témoins, le
Conseil de l’Arctique pourrait jouer un rôle plus important en matière de
changement climatique, surtout pour ce qui est de donner des résultats
concrets. Le professeur Byers a sous-entendu qu’il fallait initiative et
leadership :
Mon message à ce sujet
est que le Conseil de l'Arctique était prêt à agir de concert. Il en a été
empêché il y a huit ans par une administration [américaine] qui ne réalisait
pas l'incidence profonde et les conséquences potentielles du changement
climatique. Nous comprenons mieux aujourd'hui, dans tous les partis politiques,
que [le changement climatique] est très réel et que le Conseil de l'Arctique
est l'instance qui doit agir.
M. Crump
a fait valoir que jusqu’ici, le Conseil de l’Arctique n’a pas vraiment donné
suite à sa propre évaluation de l’incidence climatique régionale de 2004
mentionnée plus haut. À son avis, « le Canada pourrait grandement
contribuer à cet égard ». Pour sa part, M. Bevan a laissé entendre « qu'il
y a un bon programme environnemental qui peut être défendu non seulement par la
présidence du Canada, mais par le prochain pays qui exercera la présidence,
soit les États-Unis ». Pour lui, au lieu de se concentrer sur des aspects
comme la réduction des gaz à effet de serre, qui font l’objet de négociations à
l’échelle internationale sous les auspices des Nations Unies, le Conseil de
l’Arctique pourrait se consacrer à l’« intendance environnementale ».
Plusieurs témoins ont
formulé commentaires et recommandations sur ce que l’on appelle les
« agents de forçage climatique », en particulier le carbone noir.
Certains ont souligné que le carbone noir constitue une préoccupation à la fois
pour l’environnement et pour la santé des populations. En gros, le carbone noir
dans les pays industrialisés provient du diesel utilisé dans les génératrices
et les camions. Le diesel est très fortement utilisé dans les communautés du Nord.
Comme ces particules ainsi produites sont plus lourdes que l'air, elles tombent
sur la neige et sur la glace et absorbent de l’énergie solaire, ce qui accélère
la fonte des glaces; d’où leur nom d’agents de forçage climatique. Comme le
professeur Byers l’a expliqué au Comité, « la glace et la neige reflètent
90 % de l'énergie solaire, alors que les particules noires l'absorbent à
90 % ».
Le carbone noir accélère et exacerbe donc les changements climatiques plus
vastes résultant des autres gaz à effet de serre. En fait, pour certains
scientifiques, a-t-il ajouté, « ces particules peuvent être à l'origine de
40 à 50 % de la fonte des glaces et de la neige dans l'Arctique ». M. Crump soutient qu’il faut agir à cet égard :
En effet, même si les
réductions importantes des émissions de dioxyde de carbone sont toujours au
cœur des efforts pour limiter les conséquences à long terme du changement
climatique, […] les réductions rapides des émissions d'agents de forçage du
climat à courte durée de vie, par exemple le carbone noir et le méthane,
représenteraient la stratégie la plus efficace pour ralentir le réchauffement
et la fonte des glaces dans l'Arctique au cours des prochaines décennies.
M. Byers a fait valoir
qu’une coopération et une intervention plus poussées sont à la fois nécessaires
et possibles au Conseil de l’Arctique en ce qui concerne les agents de forçage
à courte vie comme le carbone noir et la brume sèche arctique. Mme Stirk,
du MAECI, a appris au Comité que le Canada avait pris des mesures :
« En février 2012, […] il a lancé la coalition pour le climat et l'air pur… »
(Cette coalition est une initiative volontaire.)
S’appuyant sur cette initiative, M. Crump a signalé : « La
ministre du Conseil de l'Arctique au Canada a déclaré que le Canada allait
faire progresser les travaux sur les agents de forçage du climat à courte durée
de vie, par exemple le carbone noir. » Il estime que « [c]’est une
déclaration importante ». Le Canada pourrait donner plus d’ampleur à cette
initiative, soutient-il, en collaborant avec le Conseil de l’Arctique pour
adopter des mesures « rigoureuses », notamment la création d'un « organisme
de négociation sur l'adoption d'un instrument circumpolaire visant le carbone
noir à la prochaine réunion
des ministres ».
Quant à la nécessité d’une
coopération circumpolaire pour s’attaquer au problème du carbone noir, avec les
difficultés que cela peut comporter et la résistance à laquelle on risque de se
heurter, M. Byers a proposé une analogie avec la coopération
canado-américaine, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, dans
le dossier des précipitations acides. Cette coopération a suscité, selon lui,
« les mêmes réticences » dans les pays en cause pendant les premières
discussions sur la possibilité de mesures correctives. M. Crump a
également attiré l’attention sur un précédent canadien important, celui d’un
mécanisme environnemental antérieur, pour illustrer ce qu’il était possible
d’accomplir dans les mois et les années à venir :
Dans les années 1990,
les données canadiennes recueillies par l'entremise du programme national sur
les contaminants, combinées à la force morale des peuples autochtones de
l'Arctique et à la volonté de tous les États de l'Arctique de participer,
ont contribué à la signature de la Convention de Stockholm sur les polluants
organiques persistants.
C'est le premier
instrument environnemental international qui a banni les substances toxiques et
on considère qu'il s'agit d'un précédent important. C'est le résultat de
recherches éclairées et de l'alliance des peuples autochtones et des États de
l'Arctique, ce qui est toujours possible au Conseil de l'Arctique. Cela a
permis de faire progresser la gestion de l'environnement mondial.
En
revenant à la question des efforts qu’il est possible de déployer pour réduire
et atténuer les effets du carbone noir, M. Crump a affirmé :
« Il est important que le Conseil de l'Arctique soit la figure de proue de
ces travaux. »
Des témoins ont fait
ressortir le lien entre la nécessité de s’attaquer aux changements climatiques
et de prendre des mesures d’adaptation et de protection de l’environnement dans
l’Arctique, d’une part, et les recherches scientifiques, d’autre part.
M. Byers a expliqué au Comité que
… l'Arctique change
tellement vite qu'il est impératif d'obtenir les meilleures données
scientifiques sur toutes ces questions, et que ces données scientifiques soient
appliquées et utilisées conformément aux recommandations et en tenant compte
des conséquences de concert avec les autres pays.
Anita
Dey Nuttall, directrice associée de l’Institut circumpolaire canadien à
l’Université de l’Alberta, a notamment recommandé que le Canada se dote
« d'une politique scientifique globale concernant l'Arctique et le
Nord. » Elle a ajouté qu’il « pourrait également user de diplomatie
scientifique dans le cadre de sa politique étrangère pour l'Arctique ».
Danielle Labonté, directrice
générale de l'intégration des politiques et de la science du Nord, au ministère
des Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien, a également
souligné « le rôle fondamental des sciences de l'Arctique ». Elle a
attiré l’attention du Comité sur deux initiatives nouvelles. La première est la
Station de recherche du Canada dans l'Extrême-Arctique, qui « sera située
à Cambridge Bay, au Nunavut, et qui sera ouverte toute l'année ». Elle
« fera progresser les connaissances du Canada sur l'Arctique afin
d'améliorer les débouchés économiques, la gérance de l'environnement et la
qualité de vie des résidents du Nord et de tous les Canadiens ».
La deuxième est l'évaluation environnementale régionale de Beaufort,
partenariat d'une durée de quatre ans auquel s’associent les gouvernements
fédéral et territoriaux, des collectivités inuites, des universitaires et
l'industrie et qui vise à « créer une base
de connaissances scientifiques et socioéconomiques, avant le développement des
ressources pétrolières et gazières, afin d'informer les décideurs de la région… »
Se reportant à la Stratégie pour le Nord que le gouvernement du Canada a
formulée en 2009, M. Hik a dit au Comité : « Les quatre
piliers de la stratégie nordique du Canada s'appuient sur la science et la
technologie, ce qu'on a déjà surnommé “l'anneau qui les unit tous”. » Il
est donc optimiste : « Je pense que nous avons la capacité nécessaire
pour y arriver. Nous devons seulement veiller à ne pas nous éloigner de cet
objectif. » M. Hik attire l’attention du Comité sur des
initiatives en cours aux États-Unis, dont leur plan de recherche quinquennal
interinstitutions dans le domaine scientifique, et il avance qu’une meilleure
« coopération bilatérale scientifique » est peut-être possible dans
« le contexte de la présidence future du Canada et des États-Unis au
Conseil de l'Arctique ».
Comme on l’a vu, le
changement climatique a de lourdes conséquences pour l’Arctique, notamment la
contraction de la couverture de glace de mer et l’allongement des périodes sans
glaces. Alliés à d’autres facteurs, ces changements ouvrent le Nord du Canada à
une exploitation massive des ressources naturelles. Pour ces raisons, et parce
qu’il possède un littoral arctique extrêmement long, le Canada doit se préparer
à gérer un trafic maritime accru dans ses eaux arctiques et examiner les répercussions
d’une navigation plus intense dans l’Arctique, au-delà des eaux qui relèvent de
sa compétence. Dans le cadre de ces efforts de gestion, deux dossiers réclament
l’attention du Canada : premièrement, la réglementation des normes et de
la sécurité des navires et, deuxièmement, les capacités de recherche et
sauvetage. En ce qui concerne la réglementation, il faut continuer de faire
respecter le régime juridique établi par le Canada dans ses eaux arctiques et
s’efforcer d’en arriver à un code solide et exécutoire régissant l’océan
Arctique. Cette réalité s’est traduite dans les sous-thèmes prioritaires que le
Canada a énoncés pour son prochain mandat à la présidence du Conseil de
l’Arctique, puisque l’un d’eux est « la navigation responsable et sécuritaire ».
Quant au deuxième dossier, maintenant que les États du Conseil de l’Arctique
ont franchi une étape décisive en concluant un accord exécutoire sur la
recherche et sauvetage, il s’agit de s’employer à mettre ce dernier en œuvre,
ce qui exigera du Canada des ressources importantes.
Des observations montrent
que la glace de mer se contracte et s’amincit dans l’Arctique et ce, de plus en
plus rapidement. Du point de vue pan-Arctique, en septembre 2012, des
scientifiques du National Snow and Ice Data Center, établi à Boulder
(Colorado), ont annoncé que la banquise de l’Arctique avait fondu pour
atteindre ce qui été probablement « son étendue minimum de l’année le 16
septembre », étendue qui correspondait aussi « à son minimum estival
le plus faible selon les données satellitaires ». Deux mois plus tard, l’Organisation météorologique mondiale
(OMM) publiait la version provisoire de sa déclaration de 2012 sur l’état du
climat mondial.
Cette déclaration conclut que non seulement le creux observé le
16 septembre avait battu « le creux record précédent, établi le
18 septembre 2007, de 18 % », mais aussi que la surface de la
banquise était « inférieure de 49 % ou de près de 3,3 millions
de kilomètres carrés au minimum moyen de la période allant de 1979 à 2000 ». La déclaration de l’OMM signalait également :
« La différence entre le maximum de la banquise arctique, atteint le 20 mars
2012, et son minimum, observé le 16 septembre, était de
11,83 millions de kilomètres carrés, ce qui est la perte saisonnière la
plus importante selon les données satellitaires, qui s’étendent sur 34 ans » [traduction]. Du point de vue canadien, Environnement Canada
a rapporté que : « Au cours de l'été 2012, dans les eaux du Nord
canadien, la couverture de glace minimale a été enregistrée à 8,4 % durant
la semaine
du 10 septembre, brisant ainsi le record précédent établi pour l'Arctique
canadien
en 2011 (9,4 %) ».
La répercussion peut-être la
plus profonde de ce recul des glaces de mer pour l’Arctique est l’augmentation
prévue du trafic maritime dans la région. Le professeur Byers a fait
comprendre au Comité à quel rythme le climat évoluait dans l’Arctique et l’effet
corollaire que le rythme et l’ampleur des changements peuvent avoir sur les
prévisions de l’activité dans la région. Il s’est exprimé en ces termes :
Il y a six ou sept ans,
lorsque je disais que nous risquions de voir des eaux libres de glace dans le
passage du Nord-Ouest, bien des gens, dont certains scientifiques de renom, me
taxaient d'exagération et disaient que nous ne verrions pas de fonte notable de
la banquise arctique avant au moins 2050, et probablement même pas avant 2100.
Aujourd'hui, les meilleurs scientifiques disent que nous risquons de constater
la fonte totale de la banquise de l’Arctique dès la fin de l'été de 2015 à
2020, ce qui est tout simplement stupéfiant, non seulement à cause de ce que
cela révèle sur le rythme du changement climatique mais aussi à cause des
conséquences […].
Le
fait qu’on prédise une accessibilité plus rapide aux eaux de l’Arctique n’est
pas sans importance, étant donné les conséquences pour l’accès et le trafic
maritime.
Comme de nombreux rapports
l’ont montré, ce qu’on désigne couramment comme l’« Arctique » — expression
générale qui, dans le contexte du transport maritime, peut désigner le passage
du Nord-Ouest, dans les eaux canadiennes, la route maritime du Nord (ou passage
du Nord-Est) dans les eaux russes, ou encore la route polaire, dans l’Arctique
— devrait permettre de raccourcir les distances et les durées des transports
maritimes entre l’Europe et l’Asie. On suppose en effet que, comme les glaces
de l’Arctique se contractent, que les divers itinéraires de l’Arctique sont
plus courts que les trajets classiques et que les projets d’exploitation des
ressources prolifèrent dans le Nord circumpolaire, la navigation commerciale
dans l’Arctique va nettement s’intensifier.
En août et septembre 2012,
le brise-glace Snow Dragon (Xuelong) est devenu le premier navire de
Chine à franchir l’Arctique, démontrant de manière éclatante à quel point la
région circumpolaire pourrait être à l’avenir un haut lieu de l’activité
commerciale internationale. (Au cours du même aller-retour, il a aussi emprunté
la route maritime
du Nord entre le Pacifique et l’Atlantique). Mme Grant a dit au Comité :
« Le passage par l'océan Arctique du brise-glace conventionnel chinois,
l'été dernier, laisse présager ce qui se prépare : des brise-glaces qui
créeront un passage pour un convoi de gros navires cargos ». L’évolution du marché international du gaz naturel et la
fonte accélérée des glaces polaires ont également rendu possible une autre
première en novembre 2012. En effet, le navire gazier Ob River,
conçu pour transporter du gaz vers l’Ouest, en Amérique du Nord, est plutôt
parti de la Norvège pour se rendre au Japon en empruntant la route du Nord.
C’est le premier navire de cette nature qui ait fait ce voyage en hiver. Tout récemment, une étude publiée par des chercheurs de
l’Université de la Californie en janvier 2013 a analysé les projections des
modèles climatiques sur les glaces de mer afin de voir les itinéraires de
navigation possibles dans l’Arctique pour établir la liaison entre l’Atlantique
et le Pacifique. Forts de leurs conclusions, ils soutiennent que, « d’ici
le milieu du siècle, l’évolution de l’état des glaces de mer [permettra] une
navigation prolongée en septembre » pour « les navires en eau libre
traversant l’Arctique par la route maritime du Nord […], l’établissement de
nouveaux itinéraires solides pour des navires […] à renforcement modéré pour la
glace au pôle Nord et de nouveaux itinéraires dans le passage du Nord-Ouest
pour les deux classes de navire ».
Malgré tout, en ce qui
concerne expressément les eaux canadiennes de l’Arctique, le Comité a entendu
de la bouche des experts une évaluation plutôt modérée des tendances actuelles
et prévues de l’activité maritime. De 2011 à 2012, le trafic maritime dans le
passage du Nord-Ouest a progressé de 29,2 %; il a été franchi 31 fois en
tout.
Il importe de souligner que 23 de ces traversées ont été le fait de bateaux de
plaisance, le reste de l’activité étant attribuable aux navires de croisière,
aux navires de l’État, à des remorqueurs, à des barges, à des navires-citernes
et à des navires de recherche.
De nombreux témoins ont émis des réserves : la contraction de la couche de
glace dans l’ensemble de la région de l’Arctique ne mènera pas nécessairement à
une augmentation rapide de la navigation dans le passage du Nord-Ouest à court
terme (voir la figure 3). Ces eaux demeurent dangereuses pour les navires.
De plus, le fait que la glace ait diminué ne veut pas dire qu’elle soit
totalement absente, et les fluctuations de son comportement et de sa
composition rendent les eaux moins prévisibles pour les navires, en un certain
sens. À ce propos, Laureen Kinney, sous-ministre adjointe associée au ministère des Transports, a
expliqué au Comité :
Le potentiel est
énorme, mais la réalité évolue très lentement.
Je crois qu'il est
également important de souligner à nouveau ce qui s'est dit plus tôt.
Le risque est tellement grave en ce qui concerne l'imprévisibilité associée à
l'ouverture de ces régions et aux retombées du changement climatique. Le risque
est en fait plus indéfini, ce qui a de grandes répercussions sur les assurances
et sur la capacité des navires qui veulent manœuvrer dans ces régions avec une
assurance responsabilité suffisante, etc..
Pour reprendre les propos de
la sous-commissaire aux Opérations de la Garde côtière, Jody Thomas,
« (o)n a une vision romantique du passage du Nord-Ouest.
Il promet une traversée rapide de l'est vers l'ouest, mais en fait, le parcours
est rempli d'embûches et dangereux car les glaces continuent de se détacher et
de flotter vers le sud. » Mme Thomas a ajouté
que la débâcle fait dériver les glaces vers le sud, dans le passage du
Nord-Ouest, ce qui a rendu ces eaux « d’autant plus dangereuses ».
Elle a expliqué au Comité :
L'été dernier, par
exemple, il y a eu beaucoup plus de glace dans le passage du Nord-Ouest, et la
baie Frobisher est restée gelée pendant longtemps à cause des vents et de la
débâcle. Donc, nous avons besoin d'un plus grand nombre de brise-glaces pendant
les débâcles de l'Arctique. Ce n'est pas moins dangereux.
Si
on fait abstraction des remises en état qui immobilisent les navires à
l’occasion, la Garde côtière canadienne a sept brise-glaces disponibles dans
l’Arctique pendant les mois d’été, dont un sert à des travaux scientifiques. La flotte est en voie de renouvellement, et le Canada prévoit
avoir d’ici la fin de 2017 son premier brise-glace polaire, le John G.
Diefenbaker, qui remplacera son actuel brise-glace lourd, le Louis S.
St. Laurent. Mme Thomas a précisé pour le Comité que ce nouveau
navire « offre une plus large portée et permet un accès à l'Arctique
durant toute l'année à la Garde côtière, des considérations de poids face à la
prolongation de la saison de navigation et à la présence de glaces dans des
zones où elles étaient autrefois absentes ».
Figure 3 — Routes de navigation dans le
passage du Nord-Ouest du Canada

Source : Pêches et Océans Canada,
présentation de la Garde côtière canadienne au Comité, le 28 février 2013.
Le tableau général qui
ressort de la séance du Comité est le suivant : une augmentation du nombre
des traversées et du trafic de navires commerciaux sur la route maritime du
Nord, au nord de la Russie, itinéraire que les sociétés de navigation préfèrent
en ce moment — et peut-être sur la route transpolaire dans les années à venir —
à cause d’un certain nombre de facteurs environnementaux et économiques. Par
ailleurs, on ne prévoit pas pour l’instant que le passage du Nord-Ouest
deviendra un itinéraire de transit majeur ou privilégié pour le transport
commercial de marchandises. Le passage du Nord-Ouest deviendra plutôt important
comme lieu de destination et de départ d’expéditions liées à l’exploitation des
ressources et au ravitaillement des collectivités; ce trafic devrait augmenter
de façon appréciable à court terme.
Kells Boland, gestionnaire
de projet chez PROLOG Canada Inc., a expliqué
au Comité :
En fin de compte, le
raccourci entre l'Asie du Nord et l'Europe septentrionale dont tout le monde
parle, c'est la route transpolaire; mais, d'ici à ce que cela se concrétise, on
n'a d'autre choix que l'itinéraire maritime nordique russe ou le passage du
Nord-Est — à l'exclusion du passage canadien du Nord-Ouest. Le passage canadien
du Nord-Ouest entre l'Asie du Nord et l'Europe septentrionale est plus long
d'environ 1 000 kilomètres, si bien qu'il n'entre tout simplement pas en ligne
de compte comme raccourci entre l'Asie du Nord et l'Europe.
Par contre, là où il a un rôle à jouer, […] c'est en tant que point
de départ et point de destination, tant pour les expéditions sur grande échelle
de minerai en direction de pays étrangers — là, je parle de commerce
international — que comme destination pour le réapprovisionnement des chantiers
de mise en exploitation des ressources qui seront à l'origine de ces
exportations.
M. Boland
a fait remarquer que les arrivages de ravitaillement « représentent en
fait la seule activité de transport commercial se déroulant actuellement dans
le Nord canadien ». Il a fait également valoir que, même si la route maritime
du Nord, au nord de la Russie, est actuellement le couloir privilégié pour les
navires de marchandises dans l’Arctique et que la route transpolaire pourrait
le devenir, il est peu probable que la grande région de l’Arctique devienne l’un
des grands axes de la navigation internationale tant que les routes y seront
limitées aux opérations saisonnières. Il signale que les entreprises de ce
secteur d’activité « ont un calendrier à respecter, avec des dates de
départ et d'arrivée bien précises, et […] ne modifieront pas ce système tant
que l'accès à l'Arctique restera saisonnier ».
Voilà qui donne à penser que
les discussions générales sur la « navigation » dans l’Arctique
peuvent prêter à confusion précisément parce qu’elles tendent à tout amalgamer :
les activités et situations actuelles avec les prévisions, les différentes
catégories de trafic maritime, et la géographie des différentes eaux nationales
et internationales qui composent la région circumpolaire. Les prévisions des
tendances générales du trafic maritime dans la vaste région circumpolaire
doivent être abordées séparément des analyses plus précises de l’activité qui
touchera le Canada le plus directement.
Comme on l’a déjà signalé,
s’il est vrai que les eaux canadiennes de l’Arctique ne risquent guère d’être
empruntées dans un proche avenir pour le transport en transit de marchandises
commerciales, elles seront probablement nettement plus fréquentées par le
trafic local lié au rythme accru de l’exploitation des ressources et de l’exportation
à partir du Nord du Canada. Mme Grant a fait valoir ce point de
vue, soutenant que le trafic de destination dans les eaux canadiennes de
l’Arctique « va augmenter plus rapidement en raison des nombreux projets
miniers qui devraient venir s'implanter ».
Tirant une conclusion semblable, M. Boland a fait référence à l’exemple
particulier du projet de mine de fer de la rivière Mary, à l’extrémité nord de
l’île de Baffin, au Nunavut, dont la production doit débuter en 2014 et dont
les premières expéditions de minerai doivent débuter en 2015. Il a expliqué au Comité :
… lorsque la mine de
Mary River aura été ouverte, le trafic d'entrée et de sortie, pour l'Arctique
de l'Ouest, sera de l'ordre de deux à trois navires par semaine pendant toute
l'année. C'est là un ordre de grandeur tout à fait différent de ce que la Garde
côtière a dû gérer jusqu'ici, avec un trafic essentiellement estival. Il faudra
donc passer à une autre échelle si nous voulons être capables de réglementer et
de contrôler le trafic maritime dans le passage du Nord-Ouest canadien.
M.
Boland a également comparé le volume des exportations prévues de la mine de la
rivière Mary à celles qui provenaient de la mine maintenant fermée de
Nanisivik.
Cette exploitation a nécessité l’aménagement du seul port en eau profonde dans
la portion canadienne de l’Arctique pour l’expédition d’environ 110 000
tonnes chaque année, alors que, selon le témoin, la mine de la rivière Mary
finira par expédier « 18 millions de tonnes par année », ce qui
fait ressortir l’ampleur de l’activité qui animera le Nord du Canada. Lorsqu’il
a comparu devant le Comité, le président-directeur général de la Baffinland
Iron Mines Corporation, Tom Paddon, a souligné que l’exploitation de la rivière
Mary, qui comprendra deux phases, sera un projet de 5 milliards de dollars,
« le plus important projet à l'étude présentement » dans le Nord du
Canada.
Globalement, même s’il y a
des différences entre les prévisions précises, il se dessine une tendance vers
une intensification de l’activité maritime, et le Canada doit en tenir compte.
Pour Mme Grant, que cette navigation accrue se matérialise dans
l’Arctique dans 10, 20 ou 30 ans, « le temps est venu d'étudier la manière
dont cette circulation devrait être surveillée et contrôlée pour protéger
l'environnement ». Ce sont sur ces aspects, liés au cadre réglementaire et à
l’infrastructure que le Canada et ses partenaires de l’Arctique doivent mettre
en place pour gérer un trafic maritime plus important, que porteront les
sections suivantes.
Le Canada est déjà doté d’un
solide dispositif législatif qui établit les normes relatives au trafic, à la
sécurité ainsi qu’à la navigation dans ses eaux arctiques. L’élément central de
ce régime législatif et réglementaire est peut-être la Loi sur la prévention
de la pollution des eaux arctiques. Ainsi, cette loi impose une interdiction totale des rejets,
disposant qu’« il est interdit aux personnes et aux navires de déposer des
déchets de toute nature — ou d’en permettre le dépôt — dans les eaux arctiques,
ou sur le continent ou les îles de l’Arctique canadien mais dans des conditions
qui permettent à ces déchets […] d’atteindre les eaux arctiques ». Mme Kinney, de Transports Canada, a
expliqué au Comité que cette Loi, dont la première élaboration remonte à
1970, « était extrêmement solide, très avant-gardiste, et elle l'est
probablement encore. Elle constitue l'ensemble d'exigences le plus complet et
le plus rigoureux de toutes les lois du monde sur l'Arctique. » En 2009, le Canada a étendu l’application de cette loi à la
totalité de sa zone économique exclusive (ZEE) de 200 milles nautiques.
Quoi qu’il en soit, on est
de plus en plus conscient de la nécessité d’une intervention multilatérale
visant la gouvernance des activités de navigation au-delà de
la zone de compétence du Canada, compte tenu de l’augmentation prévue du trafic
maritime dans l’ensemble de l’Arctique et de l’évolution de la composition de
ce trafic.
Des négociations sur un « code polaire » (un « Code international
de sécurité des navires naviguant dans les eaux polaires ») pour
l’Arctique et l’Antarctique sont en cours à l’Organisation maritime
internationale (OMI), qui est l’organisation spécialisée de l’ONU chargée de la
sûreté et de la sécurité de la navigation et de la prévention de la pollution
des mers par les navires. L’OMI compte actuellement 170 États membres.
Mme Kinney a
expliqué que les lois et règlements du Canada s’appliquent jusqu’à la limite de
200 milles nautiques de sa ZEE. Le code polaire qui est proposé
s’appliquerait en haute mer, en dehors de la zone de compétence du Canada.
Selon l’OMI, le code polaire « porterait sur l’ensemble des questions qui
concernent la conception, la construction, le matériel, les opérations, la
formation, la recherche et sauvetage et la protection de l’environnement,
relativement aux navires qui naviguent dans les eaux hostiles qui entourent les
deux pôles ». Comme le professeur VanderZwaag l’a expliqué, le but est
d’élaborer un dispositif qui soit propre à la région polaire. En 2009, l’Assemblée de l’OMI a adopté des directives non
contraignantes pour les navires exploités dans les eaux polaires. Elles portent
sur les questions qui « semblent justifier un examen, au-delà des
exigences existantes » [traduction] imposées par la Convention
internationale pour la prévention de la pollution par les navires (Convention
MARPOL) et la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en
mer (Convention SOLAS).
Les directives expliquent pourquoi l’environnement polaire mérite une vigilance
constante et des normes strictes :
Les navires exploités
dans les environnements arctique et antarctique sont exposés à un certain
nombre de risques sans pareils. Les conditions météorologiques et le manque de
cartes marines fiables, de systèmes de communication et d'autres aides à la
navigation posent des problèmes aux gens de mer. Ces régions étant isolées, les
opérations de sauvetage ou de nettoyage y sont difficiles et onéreuses. Les
basses températures peuvent diminuer l'efficacité d'un grand nombre des
éléments du navire, allant des auxiliaires de pont et de l'équipement de
secours aux prises d'eau de mer. En présence de glace, des charges
supplémentaires peuvent être imposées à la coque, au système de propulsion et
aux appendices du navire.
Les
directives d’application volontaire portent donc sur la sécurité de la
navigation et la prévention de la pollution dans les eaux polaires.
Mme Stirk,
du MAECI, a expliqué au Comité que « le Canada plaide pour l'adoption d'un
code polaire, dont le respect serait obligatoire ». Le Canada invite ses partenaires du Conseil de l’Arctique à
aborder ces négociations à l’OMI en parlant « d’une même voix » tout
en réclamant un consensus « sur le besoin d’un régime international
robuste ». Mme Kinney a fait observer que le Canada
propose que le code polaire intègre « de nombreux éléments de (son) régime
régissant la navigation dans l'Arctique qui fonctionnent très bien depuis plus
de 40 ans ». Elle ajoute toutefois que, même si le Canada s’efforce « d’imposer
des normes tout aussi sévères » que celles de la législation canadienne,
étant donné que le code polaire fait l’objet de négociations internationales,
ses normes seront arrêtées par tous les États parties. Outre les négociations qui se déroulent à l’OMI, le Canada propose
d’examiner « certaines lignes directrices volontaires avec nos collègues
du Conseil de l'Arctique » sous la présidence canadienne. En plus de ces travaux, qui doivent porter sur le large éventail
des questions de navigation dans l’Arctique, le professeur VanderZwaag estime
que « le Canada pourrait être un chef de file » pour ce qui est de la
question de réglementation maritime plus précise que sont « les lignes
directrices relatives au tourisme en Arctique ».
Des témoins ont souligné que
le Canada avait besoin d’une infrastructure maritime dans son territoire
arctique. Cette infrastructure facilite l’activité commerciale et constitue un
élément clé de la capacité du gouvernement de garantir la sécurité maritime et
de protéger l’environnement. Bien que les témoins aient mis l’accent sur les
besoins généraux en matière d’infrastructure, un grand nombre d’entre eux ont
souligné que les besoins en infrastructure maritime étaient les plus criants.
Tous les facteurs et toutes les tendances dont il a été question dans d’autres
chapitres du présent rapport — la contraction des glaces, l’intensification du
trafic maritime et la nécessité que le Canada surveille le trafic et fasse
respecter ses compétences — font ressortir le fait que les investissements dans
les installations et les ressources maritimes sont une priorité. M. Funston
a comparé les investissements plutôt importants consentis dans l’infrastructure
locale à terre pendant plusieurs décennies, dans le Nord, y compris la
construction d’écoles et de dispensaires, à l’indigence des investissements
faits en mer.
Il a dit au Comité : « Nous ne pensions pas qu'il serait possible
d'accéder à l'Arctique par la voie maritime, et cela a été tout un choc pour le
Canada… »
Il y a actuellement un seul
port en eau profonde dans le territoire arctique du Canada. Il est situé à
Nanisivik, où une mine était en exploitation. (Les exportations du Yukon
transitent par le port de Skagway (Alaska)). M. Boland a soutenu que des
projets d’exploitation des ressources de la nature et de l’ampleur de la mine
de fer de Mary River et situés à des endroits semblables
« nécessiter(ont), en tout premier lieu, la mise en place
d'infrastructures portuaires mais également d'un réseau routier, même sommaire,
afin de pouvoir […] exporter (les ressources) ». Compte tenu de ces besoins, il a recommandé que le Canada
aborde dans une optique plus stratégique ses projets d’infrastructure, compte
tenu en particulier de l’exploitation croissante des ressources par le secteur
privé qu’on observe dans le Nord. Se servant de l’exemple de projets de grande
envergure comme celui qui est prévu à la mine de Mary River, il a fait
observer :
Vous vous souvenez de
ces gros bateaux […] qui font l'aller-retour avec l'Europe
et qui reviennent à vide. Ce sont des bateaux qui assurent, 12 mois sur 12, le
réapprovisionnement des mines en carburant. Ne croyez-vous pas qu'ils
pourraient également réapprovisionner les localités tout au long de l'année?
[…]
Les (gouvernements) pourraient intervenir à plusieurs niveaux,
fédéral mais aussi territorial, et examiner, dans une optique élargie, comment
certaines initiatives d'infrastructure à financement privé pourraient
contribuer aux objectifs que vous décrivez, sans se limiter à la mise en
exploitation des ressources mais en englobant également le coût des
transactions et de la vie dans le Nord.
M.
Boland a donc fait la recommandation suivante au Comité : que le
gouvernement songe à renforcer les synergies entre les besoins publics dans le
Nord et l’investissement privé, notamment au moyen d’une planification
conjointe et de partenariats pour une utilisation commune et le partage des
coûts (p. ex. public-privé). Ces initiatives pourraient permettre de
repérer les intérêts concordants afin d’abaisser les coûts et d’obtenir les
gains d’efficacité liés au développement d’infrastructures, « souvent d’un
coût prohibitif » dans le Nord. M. Boland a maintenu qu’« il est
possible de répondre à tout un éventail de besoins émanant tant du secteur
privé que du secteur public, grâce à une seule installation à usages multiples ».
Les témoins ont expliqué
que, au-delà du fait qu’une infrastructure maritime plus importante est
nécessaire à l’accélération du développement économique dans le Nord, dans
l’optique de la vaste région circumpolaire, l’existence d’une infrastructure
maritime pourrait être un facteur déterminant clé de la distribution des
investissements internationaux entre les pays de l’Arctique. M. Whitney
Lackenbauer situe la question de l’infrastructure de la manière suivante :
« La question fondamentale au Canada consiste à se demander si nous
voulons que les autres pays utilisent le passage du Nord-Ouest.
Y a-t-il des avantages pour les Canadiens et les habitants du Nord? Sinon, si
nous ne faisons rien, je crois que, probablement, le passage sera contourné. »
Beaucoup d’observateurs ont pris note de l’infrastructure plus robuste,
comparativement, qui est en place le long de la route maritime du Nord de la
Russie, beaucoup plus développée, itinéraire qui est aussi plus facile sur le plan de la navigation.
Après avoir signalé le régime de péage et de services de brise-glaces que la
Russie a mis en place, M. Boland a affirmé que « les Russes ont
plusieurs encablures d'avance sur nous pour ce qui est de la gestion d'un tel
régime et des différentes modalités de péage ».
En ce qui concerne les autres pays qui pourraient revendiquer un rôle de plaque
tournante du transport maritime dans l’Arctique, il est possible que, dans les
années à venir, l’Islande cherche à se développer comme point d’entrée et de
sortie de l’éventuelle route transpolaire.
Décrivant le niveau de
l’infrastructure et des soutiens connexes à la navigation qui sont en place
dans les eaux du Canada, Jody Thomas, de la Garde côtière canadienne, a fait
remarquer que seulement environ 10 % des eaux arctiques du Canada est
« cartographié selon des normes modernes ». Les types d’aides à la
navigation dont bien des Canadiens ont l’habitude dans les plans d’eau du Sud,
comme les Grands Lacs, n’existent pas dans l’Arctique canadien. Pour elle,
néanmoins, il ne faut pas considérer les eaux arctiques du Canada de la même
façon que les cours d’eau situés plus au sud, étant donné leur ampleur et leur
éloignement, ainsi que les problèmes d’accessibilité. Compte tenu de ces
facteurs, Mmes Thomas et Kinney, de Transports Canada, ont expliqué
que le Canada adoptera une approche stratégique de la navigation dans
l’Arctique. Mme Thomas a dit au Comité que leurs services ne pensent
pas :
… qu'il soit
raisonnable ou possible de tout cartographier [l’Arctique] suivant les mêmes
normes que dans le Sud. C'est pourquoi nous le faisons par corridor, ce qui
produira des passages sécuritaires, prévisibles et ouverts à la navigation. Ces
passages sont cartographiés, et comme les marins ont accès à cette information,
ils peuvent naviguer en toute sécurité, quelle que soit la météo.
L’identification et la mise
en valeur de couloirs stratégiques de transport maritime dans les eaux arctiques
du Canada sont un moyen de mobiliser et de déployer efficacement des ressources
publiques. Comme Mme Thomas l’a expliqué, axer les services de la
Garde côtière et de Transports Canada « sur les corridors de transport
maritime essentiels » peut faciliter le développement économique dans le
Nord tout
en donnant l’assurance « d’un niveau de service et d'une présence
prévisibles ».
D’autres témoins ont avancé l’idée que le Canada devrait envisager d’appliquer
un système de voies de navigation dans ses eaux arctiques au lieu d’autoriser
les navires à « passer n'importe où dans l'archipel ». Semblable
système serait également utile à la protection des « régions importantes
sur les plans écologique et culturel ».
Outre la réalisation plus
facile des projets de développement économique, le Canada peut retirer des
avantages plus larges en consentant des investissements supplémentaires dans
l’infrastructure maritime. Le professeur Byers a fait remarquer que la mise en
place de services dans les eaux arctiques du Canada devrait également permettre
de protéger l’environnement et de repousser les menaces nouvelles à la
sécurité, par exemple, celles qui sont liées à la contrebande et à
l’immigration illégale.
Un autre avantage d’importance est lié à l’exercice de la souveraineté du
Canada sur ses eaux, qui conforte sa compétence juridique. Le témoin est d’avis
que :
… plus nous pourrons
obtenir que les transporteurs étrangers acceptent notre compétence juridique,
mieux cela vaudra pour nous. La meilleure manière d'obtenir que les
transporteurs étrangers l'acceptent est de leur fournir les services dont ils
ont besoin : des ports de refuge, des cartes de qualité mondiale, des
prévisions météorologiques de qualité mondiale, des prévisions de qualité
mondiale sur les glaces, des services de qualité mondiale en recherche et
sauvetage. Autrement dit, de faire en sorte que le Canada soit un élément
absolument essentiel de leurs plans de transport maritime.
L’envers
de cet argument pourrait être que, en s’abstenant de mettre en place
l’infrastructure maritime nécessaire, le Canada risque de susciter des
inquiétudes, aux États-Unis, au sujet de sa capacité de gérer l’activité
maritime dans sa zone de compétence tout en laissant échapper des possibilités
d’activité commerciale. Mme Grant a eu des éloges pour le
Règlement sur la zone de services de trafic maritime du Nord canadien (NORDREG)
de la Garde côtière canadienne, qui est un système obligatoire de déclaration
du trafic des navires dans les eaux arctiques du Canada. Depuis 2010, le Canada
exige que les navires étrangers et canadiens d’une certaine jauge qui naviguent
dans ses eaux arctiques signalent leur présence à la Garde côtière. Il faut
que le plan de route soit communiqué avant l’arrivée du bâtiment dans la zone
du NORDREG, qu’un compte rendu de position soit produit à l’arrivée dans la
zone et à chaque jour de navigation dans la zone, et qu’un compte rendu final
soit communiqué à la sortie de la zone. Toutefois, pour en revenir à ce qui a été dit plus haut au sujet
de l’application, Mme Grant a ajouté : « La seule ombre au
tableau est la capacité du Canada, ou devrais-je dire l'incapacité,
d'appréhender ceux qui ne respectent pas les lois. »
Le Comité a reçu de
l’information sur les importantes exigences en matière de recherche et
sauvetage associées au vaste territoire arctique du Canada et sur le besoin
croissant de disposer des capacités voulues, d’autant plus que le trafic
maritime s’intensifie dans la région. Des témoins ont souligné le fait que les
capacités actuelles de recherche et sauvetage sont très sollicitées, étant
donné la grandeur du territoire et la variété des incidents qui nécessitent une
intervention.
Des représentants de la
Garde côtière canadienne, service public chargé des activités de recherche et
sauvetage maritimes dans l’Arctique canadien, ont donné au Comité des exemples
concrets de la sollicitation que peut subir l’architecture canadienne des
services de recherche et sauvetage dans le Nord et des difficultés à surmonter
pour intervenir. Mme Thomas, a décrit deux incidents survenus
en 2010. Deux navires se sont échoués dans les eaux arctiques du Canada :
un navire de transport à moteur et un navire de croisière anglais. Mme Thomas
précise que, lorsque ce dernier s’est échoué :
C'est le NGCC Amundsen qui était le plus près pour l'intervention: il était à 511 milles marins de là,
en train d'effectuer des expériences scientifiques et, au moment de l'échouage,
il lui a fallu 42 heures pour arriver sur les lieux. Heureusement, personne
n'était grièvement blessé et l'échouage n'avait entraîné aucune pollution
marine importante, mais nous avons été chanceux.
Le professeur Byers a
insisté sur l’urgence d’un renforcement de la capacité de recherche et
sauvetage du Canada en soulignant l’ampleur des difficultés que pourraient
présenter des incidents dans l’Arctique canadien :
Oui, les problèmes de
recherche et de sauvetage augmentent de manière quasi exponentielle. Oui, plus
de 100 000 personnes volent chaque jour au-dessus de l'Arctique canadien dans
des avions allant de Los Angeles à Londres ou de New York à Beijing. Or, il
existe malheureusement un risque statistique qu'un accident se produise. Si
l'un de ces avions devait atterrir d'urgence dans un secteur éloigné de toute
collectivité humaine en plein milieu de l'hiver, ce ne serait pas seulement un
grave problème pour les personnes à bord — il est évident que leur situation
serait terrible —, ce serait aussi une source énorme d'embarras pour le Canada
qui tenterait désespérément d'envoyer des hélicoptères de sauvetage basés sur
l'île de Vancouver et en Nouvelle-Écosse pour faire face à une situation
survenue pratiquement à l'autre bout du monde, à des milliers de kilomètres de
là.
Ed
Zebedee, directeur du Service de la protection, au gouvernement du Nunavut, a
également dit au Comité que, dans l’Arctique, « il finira immanquablement
par se produire une situation d'urgence ou une catastrophe environnementale
majeure. » Quant à la capacité actuelle du gouvernement du Canada
d’intervenir dans un incident majeur dans l’Arctique, le témoin a
précisé :
Même si les Forces
canadiennes peuvent intervenir en moins de 11 heures n'importe où dans
l'Arctique canadien, ces interventions sont le plus souvent assurées par des
techniciens spécialisés en recherche et sauvetage à bord d'un Hercules. Ces
sauveteurs sont prêts à sacrifier leur vie pour secourir les personnes en
détresse, et certains l'ont déjà fait, mais leurs efforts sont vains s'ils ne
sont pas en mesure d'évacuer les survivants dans un délai raisonnable.
À propos de la
multiplication des navires de croisière dans l’Arctique, Sara French,
directrice des programmes, Programme de Munk-Gordon sur la sécurité de
l'Arctique, a expliqué au Comité :
Au fur et à mesure que
la glace recule, les bateaux de croisière s'éloignent de plus en plus des
trajets cartographiés pour offrir à leurs passagers, surtout des personnes
âgées qui peuvent se payer ces croisières coûteuses, des expériences uniques.
C'est un bel avantage économique pour les collectivités. Celles-ci les
accueillent à bras ouverts.
Mais nous devons aussi prendre conscience du fait que ces bateaux se
retrouvent
dans les eaux canadiennes. Dans quelle mesure pourrons-nous réagir si
l'impensable
se produit?
Le
professeur Byers a soutenu que le gouvernement du Canada doit maintenant
honorer ses promesses au sujet de l’infrastructure et des capacités de
recherche et sauvetage
(p. ex., les navires de patrouille en haute mer pour l'Arctique et les
appareils à voilure fixe de recherche et de sauvetage). Il a ajouté que, si un
« accident tragique […] se produit et que nous ne sommes pas prêts, cela
n'aura certes aucun impact sur notre souveraineté, mais en aura beaucoup sur
notre crédibilité comme nation arctique ».
Comme on l’a déjà signalé,
un cadre régional est en place en vue d’assurer
la coordination et le renforcement des interventions de recherche et sauvetage.
En mai 2011, en effet, les États du Conseil ont mis la dernière main à l’Accord
de coopération en matière de recherche et de sauvetage aéronautiques et
maritimes dans l'Arctique. Mme French a fait remarquer au Comité que
l’un des sujets sur lequel les membres du Conseil de l’Arctique se sont le plus
entendus est la nécessité que les États s’efforcent dès maintenant d’appliquer
véritablement cet accord exécutoire.
Les États parties sont tenus
d’encourager « la mise en place, l’exploitation et le maintien de moyens
de recherche et de sauvetage suffisants et efficaces dans » leur zone,
dont les coordonnées géographiques sont définies à l’annexe de l’Accord.
Les opérations sont menées conformément aux lois et règlements de l’État
compétent. Aux termes de l’Accord, si un État « est informé qu’une
personne est ou semble être en détresse », il « prend les mesures
urgentes qui s’imposent pour faire en sorte que cette personne reçoive
l’assistance nécessaire ». Les États sont également tenus de transmettre
les renseignements aussitôt que possible s’ils apprennent qu’une personne, un
navire, une embarcation ou un aéronef se trouve dans une situation d’urgence
dans la zone d’une autre partie. Ils peuvent demander assistance l’un à l’autre
et ils doivent répondre promptement en précisant s’ils peuvent offrir cette
assistance. Les parties font en sorte que l’assistance soit portée à toute
personne en détresse « sans tenir compte de la nationalité ou du statut de
cette personne ni des circonstances dans lesquelles elle a été trouvée ».
Quant au financement, sauf convention contraire, chaque État « supporte
les frais qu’entraîne pour elle la mise en œuvre [de l’]accord ».
Toutefois, l’accord dispose également que la mise en œuvre est
« subordonnée à la disponibilité des ressources nécessaires ».
Selon M. Zebedee, il
faut se féliciter de cet accord. Il ajoute : « Toutefois, des ressources
considérables, tant en personnel qu'en équipement, seront nécessaires à
l'atteinte des objectifs décrits dans ces ententes ». William MacKay, directeur des Relations
intergouvernementales au gouvernement du Nunavut, a également exprimé des
préoccupations au sujet de l’infrastructure à implanter pour mettre l’entente
en œuvre.
Les difficultés relatives à
la capacité de faire face des services de recherche et sauvetage et à leurs
opérations sont jusqu’à un certain point liées à des questions plus générales
qui concernent la nécessaire expansion de l’infrastructure dans le Nord du
Canada. Ainsi, M. Zebedee a souligné le fait qu’il y a, comme nous l’avons
déjà vu, un seul port en eau profonde dans le territoire arctique du Canada. Il
a expliqué que, en l’absence de ces installations portuaires, « même avec
un brise-glace lourd, il est impossible en hiver de débarquer des fournitures
d'urgence » (dans le cas des localités du Nord qui n’ont pas de piste
d’atterrissage ou dont la piste est trop courte, et qui dépendent donc du
ravitaillement par mer, limité aux mois d’été). Le
témoin non seulement a proposé que les localités de l’Arctique soient équipées
et appuyées pour assurer les services de recherche et sauvetage dans l’Arctique
canadien, mais recommandé aussi que le Canada se dote d’une « politique
nationale en la matière (recherche et sauvetage) ». Il a avancé en outre
qu’il faut aussi envisager pour le Nord « une stratégie de transport à
long terme et le soutien financier indispensable à sa mise en œuvre ».
Tout au long de son exposé, M. Zebedee a insisté sur le fait qu’une
infrastructure portuaire est « indispensable » dans l’Arctique
canadien.
Comme on l’a déjà signalé,
les représentants du MAECI ont informé le Comité que le thème qui guidera le
prochain mandat du Canada à la présidence du Conseil de l’Arctique est « le
développement au service de la population du Nord ». Le premier et le troisième des sous-thèmes, L’exploitation
responsable des ressources de l’Arctique et Des collectivités circumpolaires
durables, revêtent un intérêt particulier pour les questions abordées dans la
présente section du rapport, consacrée au développement économique et à la
prospérité. Des témoins ont souligné que des occasions de développement
économique appréciables surgissent actuellement dans le Nord du Canada.
Beaucoup ont signalé les projets de mise en valeur des ressources naturelles
qui sont déjà en voie de réalisation et ceux qui sont prévus dans le territoire
de l’Arctique canadien et l’impact de ces investissements sur la prospérité
dans le Nord. Ils ont aussi parlé des difficultés à surmonter pour que les
localités du Nord puissent tirer parti de ces occasions et parvenir à la
prospérité. Les deux plus importantes sont l’amélioration de l’infrastructure
et l’accès à l’éducation.
Plusieurs témoins ont
souligné le potentiel de développement économique du Nord canadien et les
nombreux projets commerciaux déjà en cours, dont Danielle Labonté, d’Affaires
autochtones et Développement du Nord Canada, pour qui :
Le potentiel des
ressources du Nord canadien est immense. Par exemple, le fond de l'océan
Arctique renferme approximativement 13 % des réserves de pétrole et
30 % des réserves de gaz mondiales non découvertes. Il y a 15 ans, le
Canada n'était pas producteur de diamants. Nous sommes maintenant un chef de
file international dans ce domaine. Ce fait vous donne une idée de l'importance
des possibilités et de la rapidité avec laquelle, si les circonstances s'y
prêtent, les atouts peuvent évoluer.
Mitch
Bloom, vice-président à l’Agence canadienne de développement économique du
Nord, s’est dit du même avis :
(L'exploitation) des
ressources dans cette région atteint un niveau sans précédent.
En raison de la demande mondiale et du prix des matières premières, la grande
réserve en minéraux, en métaux et en ressources pétrolières et gazières de
cette région attire l'attention sur la scène internationale. Les nouveaux
marchés partout dans le monde offrent au Canada une occasion d'exploiter de
façon responsable des ressources naturelles au profit de tous les Canadiens.
M. Bloom a expliqué au
Comité qu’environ 21 projets liés aux ressources et à l’infrastructure
régionale en sont actuellement à divers stades du processus de réglementation
dans le Nord du Canada et que 8 autres projets « pourraient passer à
l'étape de l'évaluation environnementale au cours des 18 prochains mois ».
Ces projets « représenteront un investissement en capital de plus de 23
milliards de dollars » dans la région, une fois au stade de la production,
et toute cette activité est attribuable au secteur privé. M. Bloom fait
valoir un argument d’ordre général : « … le fruit est mûr pour le
Nord du Canada et ceux qui y habitent. Selon nous, le succès viendra si nous
conjuguons les efforts ici, au Canada, et à l'étranger. »
Pour plusieurs témoins, il
est très important d’assurer le développement économique du Nord d’une manière
qui soit bien planifiée, inclusive et écologiquement durable. Duane Smith,
notamment, président du Conseil circumpolaire inuit (Canada), a dit au Comité
que les collectivités inuites sont
…favorable(s) au
développement, mais à un rythme qui permet de bien le gérer et de minimiser ses
effets sur l’environnement et sur les écosystèmes de la région, en prenant
également les mesures correctives au fur et à mesure, de façon à nettoyer en
même temps que l’on développe.
De
même, James Arreak, président-directeur général de Nunavut Tunngavik Inc., qui
travaille à la mise en œuvre de l’Accord sur les revendications territoriales
du Nunavut de 1993, a déclaré, dans le contexte de ce travail :
L'un des phénomènes
importants et nouveaux à survenir dans le Nord est la mise en valeur du
potentiel minier de cette région. Il est enthousiasmant. La transition
socioéconomique qui doit avoir lieu maintenant, dans notre peuple, doit
contribuer à combler une lacune importante. Nous devons maintenant nous
adresser au gouvernement, pour qu'il nous aide à nous préparer sérieusement et
convenablement à profiter des possibilités offertes par la mise en valeur des
minéraux.
Établissant un lien entre le
développement du Nord et la souveraineté,
Terry Hayden, sous-ministre par intérim au Développement économique du
gouvernement du Yukon, a défendu le même point de vue :
Le développement du
Nord signifie être présent dans le Nord avec des collectivités durables et
prospères de gens en santé, actifs et altruistes. Le développement économique
durable dans le Nord du Canada profite à tous les Canadiens.
Lorsqu’elle
a comparu, Mme Grant a défini ce qui, à son avis, sera l’enjeu
central pour les collectivités de l’Arctique à l’avenir : « Le défi
fondamental sera de transformer les possibilités en matière de ressources en
développement durable pour la population qui habite la région. »
Des témoins ont fait
remarquer que le développement durable est un processus complexe aux multiples
facettes. L’un des nombreux facteurs qui peuvent le faciliter, c’est une prise
de décisions éclairée, une approche qui aborde les stratégies de développement
sur le long terme au lieu de se concentrer sur le présent. Comparaissant devant
le Comité, David Breukelman, président de l’entreprise canadienne Gedex Inc., a
souligné l’importance de la technologie et d’une information exhaustive — produite
au moyen d’initiatives comme la cartographie géologique sous la surface depuis
le haut des airs, proposée par son entreprise — pour le développement
économique du Nord canadien.
Il est possible d’exploiter ces technologies pour faciliter la prise de
décisions en matière économique. Il a fait remarquer que, lorsque les gouvernements ont une
meilleure information au sujet des endroits « où devraient se trouver les
centres d'infrastructure, ils pourraient planifier le tout de manière beaucoup
plus efficace ». M. Breukelman a expliqué que la technologie de son
entreprise permet un déploiement plus efficient et plus efficace des ressources
publiques et commerciales dans un vaste territoire où les opérations coûtent
forcément cher. Les services de cartographie de Gedex peuvent déterminer avec
beaucoup plus d’efficacité les endroits où il faut concentrer les efforts
d’exploitation des ressources, maximisant ainsi la valeur économique retirée de
l’exploitation d’une ressource géologique. Ces activités sont également
bénéfiques du point de vue environnemental, car elles utilisent des vols qui
« ne perturbent pas l’environnement », et n’exigent « aucune
activité sismique ». M. Breukelman a ajouté que la connaissance
détaillée des richesses naturelles peut aider les collectivités des Premières
Nations non seulement des points de vue de la création d’emplois et de la
croissance, mais aussi de la capacité de ces collectivités « de planifier
l'évolution de leur infrastructure sociale ».
Stephen Mooney, directeur du
Centre d'innovation en climat froid, au Centre de recherche du Yukon, a
présenté un autre exemple qui illustre l’importance de la technologie pour un
développement bien planifié. Ce projet est axé « sur le développement, la
commercialisation et l’exportation de technologies viables en climat froid et
sur des solutions dans ce domaine pour toutes les régions du Nord dans le
monde ». Le Centre d’innovation en climat froid repose sur un partenariat
qui réunit des chercheurs en sciences appliquées, l’industrie et le
gouvernement, et tous sont animés de la volonté de « régler les questions
liées au climat froid et les problèmes techniques auxquels font face les
habitants du Nord », stimulant ainsi le développement économique au Yukon.
M. Mooney a défendu la thèse voulant que « l’innovation présente les
plus grandes possibilités dans les économies de l’Arctique ». En ce qui
concerne le lien entre, d’une part, ces initiatives et, d’autre part, le thème
et les sous-thèmes retenus par le Canada pour son mandat à la présidence du
Conseil de l’Arctique, M. Mooney a ajouté que son Centre « peut être
une vitrine de l’expertise canadienne et peut collaborer avec d’autres
collectivités circumpolaires pour échanger des outils et des technologies en
vue de se préparer aux changements qui s’opèrent dans l’Arctique ».
L’infrastructure comptera
parmi les principaux domaines où des pratiques innovatrices et la technologie
seront probablement nécessaires. Des témoins ont souligné à de nombreuses
reprises l’importance fondamentale des transports, des communications et de
l’infrastructure locale pour le développement économique dans le Nord. Tout en
faisant remarquer que chaque économie territoriale est unique et doit surmonter
des difficultés qui lui sont propres, Terry Hayden, représentant du
gouvernement du Yukon, a expliqué au Comité que c’est au moyen du
« développement de ces économies régionales que se concrétisera à
l'échelle planétaire la politique étrangère du Canada pour l'Arctique, et le
développement des infrastructures yukonnaises est essentiel à l'expansion de
notre économie ». Le même témoin a également insisté sur le fait que les
investissements doivent être conçus de façon à répondre aux besoins à court et
à long termes des habitants du Nord.
Après avoir souligné le
poids du « patrimoine naturel » dans la croissance et la prospérité
des Territoires du Nord-Ouest, M. Bevan a déclaré que son gouvernement
« est conscient de l’importance des investissements stratégiques dans
l’infrastructure pour favoriser le développement économique et social ».
Il a informé le Comité des grands projets à cet effet, tels que le pont Deh Cho
Bridge, qui fera « le lien toute l’année entre Yellowknife et le
Sud », et le « lien de fibre optique proposé pour la vallée du
Mackenzie », ainsi que la « construction de la route de la vallée du
Mackenzie jusqu’à Tuktoyaktuk », qui sera la « toute première route
vers l’océan Arctique au Canada ». M. Bevan a ajouté qu’en plus de ses
retombées positives sur le développement économique, cette nouvelle route
« facilitera en outre l’accès aux collectivités et leur mobilité, ce qui
va dans le sens des objectifs de souveraineté du Canada ».
Anja Jeffrey, qui a été
diplomate du Service extérieur danois et qui dirige actuellement le Centre pour
le Nord au Conference Board du Canada, a résumé l’enjeu primordial en déclarant
que « les lacunes en matière d’infrastructure sont l’un des facteurs qui
menacent le plus le développement du Nord ». Elle a également fait la même
observation que Kells Boland et indiqué que de nos jours, dans le Nord
canadien, « l’industrie construit la plupart des infrastructures requises
pour acheminer les ressources naturelles hors des territoires ». Par
conséquent, la nécessité de définir et mettre à profit la conciliation des
intérêts publics-privés, la planification concertée et les « installations
communes »,
comme nous l’avons vu ci-dessus dans l’analyse des infrastructures maritimes
requises, est également pertinente pour les défis généraux que pose le
développement économique dans le Nord. Les retombées de ces investissements et
de cette coopération stratégique pourraient être conséquentes pour le Canada et
pour ses collectivités du Nord. Comme l’a soutenu M. Zebedee à propos des
ressources minières et des autres ressources naturelles de l’Arctique canadien,
« le développement économique du Nord au cours des 15 ou 20 prochaines
années permettra de rentabiliser tout investissement dans
l’infrastructure », mais il a ajouté que, pour développer ce potentiel,
« il nous faut un système de transport ».
Il semble bien qu’il y ait
encore du pain sur la planche pour définir et renforcer la conciliation des
intérêts et activités des secteurs privé et public. Différents mécanismes
peuvent être envisagés afin de promouvoir la coopération, ainsi que l’échange
de renseignements et de pratiques exemplaires en matière de développement
économique. Tom Paddon, président-directeur général de Baffinland Iron
Mines Corporation, a déclaré :
[A]u pays, il nous
reste encore à exploiter notre plein potentiel par la conciliation naturelle
possible des intérêts de l’industrie, du gouvernement national et des régions,
surtout des intérêts autochtones. Le succès mutuel est fort possible. Au bout
du compte, dans cette perspective, le développement sera une réussite à bien
des égards.
Se
fondant sur cette idée de la conciliation des intérêts, M. Paddon a recommandé
la création, au niveau régional, d’une « organisation commerciale
transnationale multisectorielle de l’Arctique, un conseil commercial de
l’Arctique ». Il a fait valoir que le modèle préféré serait un engagement
direct entre une telle organisation et le Conseil de l’Arctique, ajoutant que
le Conseil de l’Arctique pourrait profiter d’un « volet commercial, vu
l’importance de ce qui se passe dans le Nord et la nécessité pour les États
membres
du Conseil de l’Arctique d’examiner cela attentivement ». D’après M. Paddon,
une organisation multisectorielle permettrait « d’adopter des normes et
des attentes communes en matière de comportement acceptable et de mettre en
commun des pratiques exemplaires ».
Des témoins ont insisté, sur
la grande diversité des pays de l’Arctique sur les plans de la répartition
démographique, de la taille des collectivités et des taux d’industrialisation,
ce qui signifie que les enjeux du développement économique et social ne sont
pas uniformes dans toute la région circumpolaire. La Russie constitue souvent
un bel exemple, vu le nombre et la taille de ses collectivités septentrionales,
notamment Mourmansk, qui compte plus de 300 000 habitants. Sara French
a fait remarquer également que les « territoires de l’Arctique fournissent
environ 60 % du PIB de la Russie ».
Quoi qu’il en soit, M. Zebedee
a soutenu qu’il serait utile de « pouvoir profiter de l’expérience des
autres pays de la zone arctique dans l’exploitation des ressources ». Il a
fait remarquer qu’« il n’est pas facile d’exploiter les ressources dans
l’Arctique, et tout conseil avisé en la matière serait certainement bienvenu ». Soulignant
que le gouvernement du Nunavut partage déjà de manière ponctuelle des pratiques
exemplaires avec le Groenland, M. MacKay a déclaré qu’« il serait
probablement bon pour le développement économique d’avoir un cadre permanent ». Pour sa
part, M. Bevan a déclaré au Comité qu’il y a des défis communs dans la
région circumpolaire, ainsi que des possibilités de partager le savoir et
l’expérience :
Les Territoires du
Nord-Ouest partagent de nombreuses similitudes avec leurs voisins
circumpolaires et connaissent les mêmes défis, de la viabilité des
collectivités jusqu’aux changements climatiques en passant par les
infrastructures. Notre territoire est donc intéressé à partager ses innovations
avec le reste du monde circumpolaire et à tirer des enseignements des
innovations venant d’ailleurs. C’est grâce à cette collaboration et à leurs
expériences de la vie et du travail dans le Nord que le gouvernement et les
résidents des Territoires du Nord-Ouest peuvent contribuer aux efforts que
déploie le Canada dans le cadre de sa politique étrangère pour l’Arctique.
Interrogée sur l’idée d’un
forum circumpolaire des affaires, Karen Barnes, présidente du Yukon College, a
qualifié un tel outil d’« essentiel ». Pour donner un exemple précis
de projet d’envergure régionale qui pourrait tirer parti de l’expérience des
entreprises, M. Paddon a indiqué que « les entreprises mènent un très
grand nombre de recherches dans le cadre d’évaluations environnementales,
d’études de suivi des effets sur l’environnement et d’études de suivi des
effets socioéconomiques » dans les régions du Nord. Tout ce savoir
pourrait être mis en commun « dans un esprit collectif axé sur la
collaboration plutôt que dans les noyaux régionaux, comme c’est le cas en ce
moment ».
Mme Barnes a fait l’observation générale que, dans le contexte de la
région de l’Arctique, le Canada peut « s’inspirer de collectivités
nordiques d’autres pays qui ont créé des entreprises durables et des occasions
d’affaires permettant aux habitants du Nord de rester dans leur milieu tout en
adoptant un mode de vie sain et en occupant un emploi valable ».
Dans le cadre du thème
général et des sous-thèmes qu’il a retenus pour sa présidence du Conseil de
l’Arctique, le Canada peut faciliter les discussions entre les pays
circumpolaires sur les enjeux cruciaux des collectivités du Nord et sur les
principaux facteurs de viabilité de ces collectivités. À cet égard, quelques
témoins ont prévenu le Comité qu’il importait de faire la distinction entre les
enjeux et les priorités de la politique intérieure et ceux de la politique
étrangère et de reconnaître que le Conseil de l’Arctique est une organisation régionale qui ne constitue pas la tribune où aborder des questions propres à un État
en particulier. Toutefois, dans de nombreux domaines et processus — en
particulier le développement durable — les frontières entre la politique
intérieure et la politique étrangère sont floues. Par conséquent, il ne
faudrait pas croire qu’il est impossible de mener des initiatives visant à
résoudre des problèmes à l’échelle nationale, en même temps que d’autres visant
à résoudre des problèmes communs à l’échelle régionale. Non seulement les deux
niveaux sont-ils interdépendants, mais ils s’influencent et se renforcent
mutuellement.
Se fondant sur ses
constatations sur le développement économique, le Comité est d’avis, comme il
l’a déjà mentionné, que, durant la présidence canadienne du Conseil de
l’Arctique et par la suite, les États membres et les participants permanents
pourront échanger des pratiques exemplaires portant sur les enjeux, les défis
et les possibilités liés au développement durable dans la région circumpolaire,
et communs à tous les pays de cette région. Il importe également de souligner
que les travaux en cours du Conseil de l’Arctique, y compris les études
scientifiques et techniques réalisées par les six groupes de travail,
continueront sous la présidence du Canada. Il en sera de même des grandes
initiatives régionales que devront poursuivre le Canada et le Conseil de
l’Arctique pour relever d’importants défis, qui ne peuvent l’être qu’à l’échelle
multilatérale, comme le trafic maritime au centre de l’océan Arctique,
l’intervention en cas de déversement d’hydrocarbures et la gestion des pêches,
autant de sujets qui sont abordés dans d’autres chapitres du présent rapport.
Reliant la présidence canadienne
du Conseil de l’Arctique aux enjeux du développement du Nord, les témoins ont
insisté sur l’importance pour le Canada d’adopter une approche axée sur les
populations dans ses politiques intérieure et étrangère pour l’Arctique. Pour
que ces politiques réussissent, elles doivent intégrer de manière significative
les points de vue et les priorités de ceux qui vivent dans l’Arctique canadien,
le bâtissent et en assurent l’intendance. Des collectivités solides, prospères
et résilientes dans l’Arctique canadien constitueront l’assise de la politique
étrangère du Canada pour l’Arctique.
Dans l’esprit d’une
politique étrangère centrée sur les populations dans l’Arctique, M. Funston,
a insisté sur les dimensions humaines de la région lorsqu’il a témoigné devant le
Comité. Il a soutenu qu’il est essentiel de comprendre l’Arctique dans cette
perspective et que l’approche du Canada face à l’Arctique dépend de ce cadre.
Il a affirmé :
C’est pourquoi je pense
que nous entendons autant parler de la voix de l’Arctique en politique
étrangère. Ce n’est pas parce qu’on parle de l’art de gouverner dans les rues
de Tuktoyaktuk tous les jours. C’est parce que très souvent, lorsqu’il est
question de l’Arctique, nous oublions que des gens y vivent. Nous avons
tendance à le voir comme une frontière, ce qui signifie que nous y allons pour
obtenir quelque chose, ou que nous y passons pour nous rendre à des
destinations au Sud ou que nous le voyons comme un laboratoire ou une grande
aire de nature sauvage, un grand parc que nous pouvons préserver en y traçant
des frontières. Toutefois, […] il s’agit avant tout d’une terre natale. C’est
un lieu où des gens vivent.
Anja Jeffrey, directrice du
Centre pour le Nord au Conference Board du Canada, a également fait porter ses
observations et recommandations sur ces thèmes. Elle a présenté un argument
important concernant le lien entre les défis nationaux et la politique
étrangère dans le contexte de la région circumpolaire. S’appuyant sur son
expérience de diplomate au sein du service extérieur d’un autre État arctique
et sur les recherches qu’elle mène actuellement dans le Nord canadien en
collaboration avec des groupes autochtones, des entreprises et d’autres parties
intéressées, elle a déclaré au Comité :
[N]os recherches font
systématiquement ressortir qu’il faut des collectivités résilientes et
prospères dans le Nord pour que son énorme potentiel économique puisse se
réaliser dans le cadre des mesures prévues. […] [L]es gens du Nord veulent
vivre dans des collectivités sûres, prospères et autonomes. […] Le lien est
facile à établir : des collectivités résilientes assureront le
développement économique durable de l’Arctique et déboucheront sur une
politique étrangère pour l’Arctique qui misera sur la force affichée par les
gens du Nord.
Mme Jeffrey
a également fait un lien entre des collectivités résilientes et la souveraineté
du Canada dans l’Arctique. Elle a fait remarquer que « si les gens
quittent ces collectivités éloignées en raison du manque de possibilités
économiques ou de la précarité des conditions sociales, notre souveraineté dans
le Nord sera en danger. Il faut donc investir dans les collectivités et leurs
habitants ». Elle a ajouté que « si nous n’investissons pas dans
elles, l’Arctique n’est pas une option viable ». Son message général au
Comité est que « le Conseil de l’Arctique s’occupe d’enjeux
internationaux, mais leur origine est nationale. Ils découlent de politiques
formulées dans les pays ».
Le développement économique est la base de la viabilité des collectivités; par conséquent,
les efforts en vue de renforcer la résilience doivent aller de pair avec ceux
qui visent à promouvoir la prospérité dans le Nord.
Certains témoins ont insisté
sur importance de l’éducation, de l’accès aux études et des résultats scolaires
dans le Nord du Canada comme moyen de renforcer la résilience et d’établir les
conditions pouvant y assurer la prospérité. Ils ont également évoqué les liens
entre l’éducation et le développement des compétences dans cette région et dans
la communauté circumpolaire en général et souligné la possibilité d’accroître
la coopération régionale et le transfert des connaissances dans ce domaine.
Afin de situer le contexte canadien
dans ce domaine, M. Bloom a indiqué que le succès des projets de
développement économique dans le Nord dépendra « de la disponibilité des
travailleurs ayant acquis les bonnes compétences et reçu une formation
adéquate ». Faisant remarquer que l’Agence canadienne de développement
économique du Nord a lancé en février 2012 un Programme d’éducation de base des
adultes du Nord, M. Bloom a affirmé que « les taux d’achèvement des
études secondaires sont atroces »
dans le Nord. Geoff Green de la Students on Ice Foundation a informé le Comité
que « 75 % des jeunes Inuits ne finissent pas le secondaire; beaucoup
d’entre eux ne vont pas à l’école et 56 % de la population inuite a moins
de 25 ans ».
Il y a un lien entre ces statistiques et le besoin de créer des collectivités
prospères et résilientes dans le Nord. M. Green a soutenu que « la
durabilité, la santé, la prospérité et l’éducation des collectivités du Nord
devraient faire partie intégrante de nos politiques dans l’Arctique ».
Les témoins ont fait
remarquer que les initiatives gouvernementales ciblant le secteur de
l’éducation dans le Nord doivent être équilibrées, afin de répondre aux besoins,
tant sur le plan de l’éducation de base que des études supérieures. À cet
égard, quelques témoins, dont Greg Poelzer, directeur de l’International Centre
for Northern Governance and Development à l’Université de la Saskatchewan, ont
fait remarquer que « le Canada est le seul des huit pays de l’Arctique qui
n’a pas d’université dans sa région arctique ».
Au sujet de l’Université virtuelle de l’Arctique (UArctic), Bernard Funston,
président de la Commission canadienne des affaires polaires, l’a décrite comme
une « initiative très intéressante ». Il s’agit d’un réseau
coopératif d’universités, de collèges et d’autres établissements voués à
l’enseignement supérieur et à la recherche dans le Nord,
qui a vu le jour à la fin des années 1990. M. Funston a déclaré au Comité :
Les responsables
essaient de concevoir un programme de formation qui soit utile aux habitants du
Nord. Grâce au Web, ceux-ci peuvent étudier à partir de leur collectivité sans
devoir se rendre dans le sud, s'ils ne le veulent pas.
Le coût du projet
constitue naturellement un obstacle majeur, et je pense que nous en avons
limité le financement depuis 2010. Je serais ravi qu'il soit remis sur pied.
Pour
sa part, Karen Barnes, présidente du Yukon College, ne remet aucunement en
question le bien-fondé de l’Université de l’Arctique, mais croit plutôt qu’il
s’agit d’une question d’attribution de ressources limitées et de la nécessité
d’établir une capacité d’enseignement dans le Nord du Canada. Elle
explique :
Je n'ai jamais dit que
l'organisation n'était pas importante. Ce que j'ai dit, c'est que je préférais
que les ressources limitées soient employées pour améliorer et multiplier les
programmes collégiaux offerts dans le Nord. Toutefois, j'ai toujours cru que ce
qui faisait la valeur de l'Université de l'Arctique, c'était son réseau de
professionnels et d'universitaires du Nord circumpolaire, et je le maintiens
encore.
Les témoins ont insisté sur
la nécessité de vastes initiatives d’acquisition de compétences, et de
renforcement des capacités et du leadership dans le Nord. Ils ont fait valoir
que ces programmes doivent être implantés sur place, dans le Nord, et être
conçus pour les populations locales afin de s’aligner sur les défis et les
possibilités qui existent dans le Nord dans les domaines de l’économie, de
l’environnement et de la gouvernance. Concernant ces problèmes de capacités,
M. Poelzer a déclaré au Comité :
[T]out, de l’obtention
du diplôme d’études secondaires à la formation professionnelle, est essentiel,
et il ne faut pas oublier l’université, bien entendu. Ces compétences et ces
activités de recherche devraient être basées dans le Nord, dirigées par des
gens du Nord, pour les gens du Nord, et convenir aux collectivités, aux
économies, etc., du Nord.
Il a
donné l’exemple concret de l’Université du Nord de la Colombie-Britannique pour
démontrer l’importance des programmes de leadership et d’acquisition de
compétences structurés de manière à ce que les jeunes qui acquièrent ces
compétences restent dans leurs collectivités locales. Cette région de la
Colombie-Britannique « avait le pire taux de participation des dix
provinces au niveau de l’enseignement postsecondaire » jusqu’à ce qu’on
établisse l’université. Depuis, environ 70 % des diplômés sont restés dans
la région.
Mme Barnes a
décrit au Comité les programmes, y compris un baccalauréat ès sciences, qui
sont offerts dans son établissement de concert avec l’Université de l’Alberta
et qui permettront bientôt à « des jeunes Yukonnais provenant de
collectivités nordiques [de] réaliser des recherches et trouver dans le Nord
des réponses aux problèmes du Nord ». Le Yukon College s’efforce aussi de
développer les capacités d’enseignement et les compétences dans le domaine de
la gouvernance des Premières Nations du Nord.
Ce savoir a des ramifications importantes pour les collectivités de la région
circumpolaire, puisqu’il porte sur des « enjeux comme la protection de
l’environnement, l’exploitation des ressources, la sécurité alimentaire et,
surtout, la façon de nouer une relation satisfaisante et fructueuse avec
d’autres gouvernements à l’échelle locale, nationale et internationale dans le
but d’atteindre les objectifs de développement ». Mme Barnes
a déclaré :
L’accès des habitants
du Nord à une éducation supérieure de qualité constitue donc un enjeu
circumpolaire.
La mobilité et le perfectionnement de la main-d’œuvre traduisent une
véritable préoccupation de tous les habitants du Nord. Lors de l’exploitation
des ressources, il est de plus en plus difficile d’attirer et de fidéliser les
travailleurs hautement qualifiés qui sont nécessaires dans les domaines des
sciences de la Terre touchant la prospection, de la surveillance
environnementale et des mesures correctives, et du développement de sites
miniers. Échanger les connaissances spécialisées et les programmes
d’enseignement de l’ensemble des régions du nord circumpolaire offrira un
avantage considérable et générera des économies de coûts.
Par conséquent, pour appuyer
le développement économique durable dans le Nord et le désir de promouvoir des
pratiques exemplaires dans ce domaine durant sa présidence du Conseil de
l’Arctique, le Canada devra porter attention aux problèmes nationaux et
circumpolaires en matière d’éducation, de gouvernance et de développement des
compétences. Il devrait également collaborer avec ses partenaires du Conseil de
l’Arctique pour ce faire, en gardant à l’esprit l’objectif global d’assurer la
résilience et la prospérité du Nord.
Pour l’ensemble des témoins,
un élément clé de la réussite du Conseil de
l’Arctique est le fait que six organisations autochtones en sont des
participants permanents. Quelques-uns — dont le président du Conseil
circumpolaire inuit (Canada), Duane Smith — ont toutefois précisé que
tous les États du Conseil de l’Arctique doivent s’efforcer davantage de faire
participer pleinement et de manière significative les participants permanents
aux travaux de plus en plus nombreux et souvent techniques du Conseil.
Les peuples autochtones ne
représentent que 500 000 des 4 millions de personnes qui vivent
dans la région arctique, et un même peuple peut être réparti dans plusieurs
États arctiques, ce qui est le cas notamment de quelque
155 000 Inuits, répartis sur les territoires du Canada, du Danemark
(Groenland), des États-Unis (Alaska) et de la Russie. Ils sont représentés à
l’échelle internationale par le Conseil circumpolaire inuit (CCI), qui compte
quatre sections nationales. La section canadienne du CCI assumera la présidence
tournante de l’organisation de 2014 à 2018.
La Déclaration d’Ottawa, qui
a établi le Conseil de l’Arctique en 1996, a défini le rôle envisagé pour les
participants permanents dans les travaux du Conseil :
« La catégorie des participants permanents est instituée pour rendre
possible la participation active des représentants des indigènes de l’Arctique
et la pleine consultation de ceux-ci dans le cadre du Conseil. » Trois
organisations autochtones étaient désignées comme participants permanents à ce
moment-là,
mais leur nombre avait doublé
en 2000 :
- Aleut International Association;
- Arctic Athabaskan Council;
- Conseil circumpolaire inuit;
- Gwich’in Council International;
- Association russe des populations autochtones du
Nord (ARPAN);
- Saami Council.
À
l’exception de l’ARPAN, toutes ces organisations représentent des peuples
autochtones d’au moins deux États. Trois d’entre elles ont des bureaux au
Canada : CCI (Canada), Gwich’in Council International et l’Arctic
Athabaskan Council.
Le Conseil de l’Arctique a
maintenu le Secrétariat des peuples autochtones, qui relevait au départ de la
SPEA, pour appuyer les participants permanents. Tout comme dans
d’autres volets des travaux du Conseil, les fonds ont été fournis par les États
arctiques, sur une base volontaire. Mme Stirk a indiqué au
Comité que le MAECI accorde des fonds aux participants permanents canadiens
pour les aider à travailler avec le Conseil de l’Arctique. Terry Fenge,
qui travaille depuis longtemps à des projets liés aux peuples autochtones et à
l’Arctique, a déclaré au Comité que, même si le gouvernement du Canada a été
plus généreux que la plupart des autres États arctiques dans ce domaine, les
montants sont insuffisants pour régler les problèmes de capacité et répondre aux
besoins de financement existants.
À la réunion ministérielle
du Conseil de l’Arctique qui a eu lieu à Nuuk, au Groenland, en mai 2011,
on a annoncé que les participants permanents examineraient le rôle du
Secrétariat des peuples autochtones, y compris la possibilité de l’intégrer au
nouveau Secrétariat du Conseil de l’Arctique. Les membres du Conseil
élaboreraient également des recommandations sur le renforcement des services
offerts aux participants permanents.
En outre, dans la Déclaration de Nuuk, les ministres :
réitèrent la nécessité
de financer la coopération circumpolaire, ainsi que l’importance de fournir du
financement suffisant aux participants permanents afin d’appuyer leur
préparation et leur participation aux travaux du Conseil de l’Arctique, aux
groupes de travail et aux projets du Conseil.
Les témoins ont souligné la
précieuse contribution des participants permanents aux travaux du Conseil de
l’Arctique. Jillian Stirk, du MAECI, a déclaré au Comité :
[L]es participants
permanents jouent un rôle extrêmement important concernant le Conseil de
l’Arctique et les questions liées au Nord en général. Ces organisations sont
une source précieuse de conseils pour toute une gamme de questions qui portent
sur le Nord. Je pense que leur participation est essentielle au succès du
Conseil de l’Arctique, qui est plutôt unique en son genre pour bien des
raisons. Ce conseil international réunit des représentants d’États et
d’organisations civiles, comme les participants permanents, qui discutent de
questions qui les concernent bien sûr directement.
Mme French
a fait remarquer que l’intégration des participants permanents aux travaux du
Conseil de l’Arctique trouve « son origine ici au Canada. Cet
accomplissement devrait être souligné ».
Pour sa part, M. Smith
a fait remarquer que, même si les participants permanents n’ont pas le droit de
vote au Conseil de l’Arctique, la structure du Conseil permet à son
organisation « d’occuper un siège et de participer, à titre consultatif,
aux discussions et aux délibérations qui ont cours entre les huit principaux
États arctiques ».
À propos de l’efficacité de ce mécanisme pour ce qui est de faire en sorte que
les points de vue autochtones se reflètent dans les travaux du Conseil de
l’Arctique, il a déclaré :
Cela dépend des
participants permanents. Le Conseil circumpolaire inuit a été créé bien avant
le Conseil de l’Arctique dans le but de faire respecter les points de vue et
les droits des Inuits. C’est la raison pour laquelle cette organisation a été
mise en place.
Le CCI […] est plus ou
moins efficace, principalement, je dirais, en raison de l’incapacité des
participants permanents à s’engager adéquatement dans les différentes activités
auxquelles ils devraient participer, mais aussi, il faut le reconnaître, parce
que même les États ont parfois des capacités limitées dans certains dossiers.
[…] [N]ous ne pouvons
rien faire de plus dans cette structure. Si nous avions une plus grande
capacité, je pense que nous pourrions faire beaucoup plus au sein du Conseil de l’Arctique.
M. Smith
a ajouté que la capacité organisationnelle pourrait augmenter avec « une
assistance technique de quelques personnes » afin que les points de vue du
CCI soient pris en considération dans les activités des groupes de travail du
Conseil. Il a rappelé au Comité qu’il incombe à tous les États arctiques, et
pas seulement au Canada ou aux États-Unis de s’engager à fournir cette
assistance. Il a cependant ajouté que ces questions ne sont pas encore résolues
de manière satisfaisante : « C’est un processus qui fait l’objet de
discussions depuis de nombreuses années au Conseil de l’Arctique.
Les hauts représentants de l’Arctique n’ont pas réussi à proposer une structure
ou une formule permettant de régler de manière satisfaisante la question de l’engagement
des participants permanents. »
Le professeur Hik a
déclaré au Comité que, faute de financement et de capacités suffisants, les
participants permanents ont du mal à participer efficacement aux activités,
études et mandats de plus en plus nombreux du Conseil de l’Arctique. Il a affirmé qu’il
est arrivé au moins une fois que’ CCI Canada représente les cinq autres
participants permanents au sein d’un organe technique du Conseil de l’Arctique
et qu’il leur fasse rapport. John Crump, de Grid-Arendal, qui a été
secrétaire exécutif au Secrétariat des peuples autochtones du Conseil de
l’Arctique pendant plusieurs années, a affirmé que les participants permanents
souffrent depuis longtemps des limites et des contraintes décrites ci-dessus.
Tout en convenant que les participants permanents pouvaient décider de se
représenter mutuellement de manière ponctuelle, il a soutenu qu’ils ne sont pas
et ne devraient pas être considérés comme des organisations non
gouvernementales (ONG). Pour lui :
Ce ne sont pas des
groupes de pression. Elles représentent des personnes ayant des droits
souverains, peu importe les ententes particulières conclues dans chaque pays.
C’est très clair, et elles citeront toujours la déclaration des Nations Unies
sur les droits des peuples autochtones pour étayer leurs arguments.
Mme French a
insisté sur le fait que les États membres du Conseil de l’Arctique ne devraient
pas perdre de vue l’importance des participants permanents dans les travaux du
Conseil. Elle a précisé :
[L]’efficacité de la tâche de ces organisations qui consiste à
contribuer au travail du conseil et à faire valoir les intérêts de ceux qui
vivent dans le Nord se heurte bien souvent au défi d’un manque de ressources.
Les participants permanents ne disposent bien souvent que d’un membre du
personnel à temps plein qui est responsable de toutes les activités de
l’organisation, y compris la participation aux réunions, l’examen des rapports,
la consultation des communautés, la comptabilité, la collecte de fonds, de même
que la logistique des déplacements. Par conséquent, dans bien des cas, ces
organisations ne sont pas en mesure de participer aussi pleinement qu’elles le
souhaiteraient aux délibérations du conseil.
Sur
cette base, Mme French a recommandé que le Canada propose un nouveau
mécanisme de financement pour permettre aux participants permanents de
participer pleinement à tous les groupes de travail et à tous les travaux du
Conseil de l’Arctique.
Cette idée générale d’un
appui plus solide, uniforme et prévisible de la part des États membres du
Conseil de l’Arctique n’est pas nouvelle, comme on l’a déjà vu. De fait, M. Crump
a déclaré au Comité :
Il y a 10 ans, avec
l’aide du haut représentant de l’Arctique et du président du Conseil islandais
de l’Arctique, nous avons élaboré une proposition qui aurait assuré un appui
financier permanent aux participants permanents. Ce n’était pas beaucoup
d’argent, mais malheureusement, on n’a pas fait suivre cette démonstration
d’enthousiasme par un engagement réel. Le Canada a maintenant l’occasion
d’encourager tous les États de l’Arctique à fournir un financement durable et
permanent.
Dans
un autre ordre d’idées, Mme French et d’autres ont insisté sur
l’importance d’un appui politique uniforme. Dans un geste troublant, le
ministre de la Justice de la Russie a suspendu en novembre 2012 les activités
de l’ARPAN pour trois mois, soutenant que cette association ne respectait pas
les lois russes. Tous les hauts fonctionnaires de l’Arctique — y compris de la
Russie — et les chefs de délégation des participants permanents se sont
empressés d’exprimer leur inquiétude face à cette mesure, qui, selon Mme French,
découle d’un litige portant « sur l’extraction de ressources dans le
territoire traditionnel de l’ARPAN ».
L’ARPAN a été autorisée à reprendre ses activités en mars 2013.
Comme indiqué ci-dessus,
l’intérêt pour la région de l’Arctique a grandi ces dernières années dans les
États non arctiques, dont la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Même si, de
prime abord, il peut sembler que ces États ont peu à perdre ou à gagner dans la
région, James Manicom du Centre pour l’innovation dans la gouvernance
internationale a expliqué au Comité que « leurs intérêts sont cohérents
avec ceux des États maritimes, et sont surtout d’ordre commercial. L’économie
de ces États est axée sur l’exportation, ce qui explique leur intérêt pour les
économies qui peuvent être réalisées grâce au transport dans l’Arctique. »
Il a ajouté : « Dans une perspective non commerciale, leur plus grand
intérêt concerne le changement climatique et la recherche scientifique liée à
ce phénomène. »
Ce nouvel engouement pour
l’Arctique a naturellement incité des États comme la Chine et des acteurs
internationaux comme l’Union européenne à s’intéresser davantage aux travaux du
Conseil de l’Arctique. À court terme, la question qui se pose pour des États
membres comme le Canada est de savoir s’il faut accorder à ces États et entités
un statut un peu plus élevé au Conseil en leur accordant le statut
d’observateur permanent.
Selon la Déclaration d’Ottawa, qui a établi le Conseil de l’Arctique, ce
statut est ouvert aux États non arctiques; aux organisations
intergouvernementales et interparlementaires, mondiales et régionales; et aux
organisations non gouvernementales qui, « de l’avis du Conseil, peuvent
contribuer à ses travaux ».
Il y a actuellement 26 observateurs accrédités au Conseil de l’Arctique :
6 États non arctiques et 20 organisations non gouvernementales et
intergouvernementales.
Des États non arctiques et d’autres entités se sont mis à s’intéresser un peu
plus aux travaux du Conseil à la faveur de phénomènes nouveaux tels la
mondialisation et le changement climatique, et certains ont, de manière ponctuelle,
participé à titre d’observateurs à des activités du Conseil.
Quelques témoins ont soutenu
que le Canada devrait préconiser d’accorder le statut d’observateur permanent à
la Chine et à l’Union européenne, ce qui, il convient de le souligner, ne
ferait pas d’eux des États membres du Conseil et ne leur donnerait pas droit de
vote. Le professeur Byers a déclaré :
[J]e pense que nous
devrions tenter de faire admettre l’Union européenne et la Chine comme
observateurs permanents au Conseil de l’Arctique. … La raison pour laquelle je
dis cela est qu’une organisation internationale, quelle qu’elle soit, n’a
d’importance qu’en fonction de ceux qui sont présents à ses délibérations. Nous
souhaitons que le Conseil de l’Arctique soit au centre de la diplomatie de l’Arctique,
de la gouvernance de l’Arctique, et nous devrions nous réjouir que l’Union
européenne et la Chine demandent à être présentes.
À part cela, il y a
certaines questions dont on ne peut traiter sans la coopération de ces acteurs
importants. Si nous voulons régler le problème du carbone noir, il faut que la
Chine soit présente dans la salle. Si nous voulons régler la question de la
gestion régionale des pêches, il faut que l’Union européenne soit présente dans
la salle.
Comme
on l’a vu, M. Manicom a soutenu que la Chine et d’autres États asiatiques
ont de légitimes intérêts scientifiques, ainsi que des intérêts maritimes et
commerciaux dans l’Arctique. Il a déclaré :
À mon avis, on devrait
les accueillir à bras ouverts. Sur le plan fonctionnel, ils amènent une
capacité, par exemple, des fonds et une expertise dans la recherche polaire.
Sur le plan conceptuel, si un organisme veut prendre des règlements au sujet
d’une région, il est logique de consulter les États utilisateurs. Étant donné
que les États arctiques n’ont pas la capacité nécessaire pour assurer le
respect des règlements qu’ils prennent dans la région, un engagement avec les
États utilisateurs pourrait être la meilleure façon d’y arriver.
Le principal argument contre
l’acceptation de ces demandes est lié à la conviction de certains que le
Conseil de l’Arctique a réussi comme organe régional précisément parce que ses
membres ne sont pas trop nombreux et ne comprennent que des États et des
participants permanents de l’Arctique, qui ont tous des intérêts directs
dans l’Arctique et des points de vue communs sur les principes de la
gouvernance qui devraient s’appliquer dans la région et sur l’importance
d’intégrer le savoir et les pratiques autochtones dans les travaux du Conseil.
Sur ce dernier point, le fait que l’Union européenne a interdit l’importation
et la vente des produits du phoque est considéré comme contraire aux pratiques
culturelles inuites, qui ont été défendues par le gouvernement du Canada et par
le CCI.
Dans leur rapport aux ministres
à la réunion ministérielle de Nuuk en 2011, les hauts représentants de
l’Arctique donnent des indications sur les grands paramètres et facteurs qui
devraient guider les décisions sur l’adhésion d’autres observateurs permanents
au Conseil. Dans leur rapport aux ministres, ils écrivent :
Depuis la création du
Conseil de l’Arctique, la participation des observateurs a été précieuse, grâce
aux compétences scientifiques et autres, aux renseignements et aux ressources
financières qu’ils ont fournies. La participation des observateurs devrait
renforcer et compléter le rôle crucial et unique des participants permanents au
Conseil de l’Arctique.
Ils
ajoutent :
Afin de déterminer la
pertinence générale d’une demande de statut d’observateur, le Conseil tiendra
compte, entre autres, de la mesure dans laquelle les observateurs :
- acceptent et appuient les objectifs du Conseil
de l’Arctique définis dans la Déclaration d’Ottawa;
- reconnaissent la souveraineté, les droits
souverains et la compétence des États arctiques dans l’Arctique;
- reconnaissent qu’un vaste cadre législatif
s’applique à l’océan Arctique, y compris notamment le droit de la mer, et que
ce cadre constitue un fondement solide pour la gestion responsable de cet
océan;
- respectent les valeurs, les intérêts, la culture
et les traditions des peuples autochtones et des autres habitants de
l’Arctique;
- ont démontré la volonté politique et la capacité
financière de contribuer aux travaux des participants permanents et d’autres
peuples autochtones de l’Arctique;
- ont démontré leurs intérêts pour l’Arctique et
des compétences pertinentes pour les travaux du Conseil de l’Arctique;
- ont démontré un intérêt concret pour les travaux
du Conseil de l’Arctique et la capacité de les appuyer, y compris par des
partenariats avec les États membres et les participants permanents, pour porter
les préoccupations de l’Arctique à l’attention des organes de décision mondiaux.
Une fois accordé, le statut
d’observateur permanent sera revu tous les quatre ans, afin de s’assurer que la
partie en cause répond toujours aux critères ci-dessus. Au sujet des fonctions
des observateurs, les représentants ont déclaré que, même si leur rôle
principal consistait à observer les travaux du Conseil de l’Arctique, les
observateurs devraient continuer à apporter des contributions pertinentes grâce
à leur engagement au sein du Conseil de l’Arctique, surtout au niveau des
groupes de travail. Ils peuvent proposer des projets par l’entremise d’un État
arctique ou d’un participant permanent, à certaines conditions, et lors des
réunions des organes subsidiaires ils peuvent, à la discrétion de la
présidence, faire des déclarations ou présenter des documents après que les
États de l’Arctique et les participants permanents l’ont eux-mêmes fait.
Les critères indiqués
ci-dessus devraient guider les décisions des États membres du Conseil, qui
seront prises par consensus. Cependant, pour le professeur Lackenbauer,
« ce n’est pas parce que nous avons la déclaration de Nuuk, dans laquelle
les critères sont établis, que la question des observateurs permanents est
réglée, et même si ces critères permettent un peu plus de clarté, c’est encore
vraiment très vague à mes yeux pour l’instant ». À ce sujet,
Duane Smith, du Conseil circumpolaire inuit (Canada), a indiqué que la
demande présentée par l’Union européenne l’inquiétait :
Ces pays ont leurs
propres politiques qui entrent en conflit avec notre culture ainsi qu’avec les
pratiques durables approuvées par le Canada. […] [L]a seule chose que peut
faire le Conseil circumpolaire inuit, c’est d’informer le Conseil de l’Arctique
qu’il souhaiterait voir des changements dans le rôle de certains pays
demandeurs afin de se conformer aux pratiques et aux mécanismes convenus au
Conseil de l’Arctique.
De
manière générale, le témoin a attiré l’attention du Comité sur le principal
critère indiqué ci-dessus, à savoir la volonté démontrée et la capacité
financière de contribuer aux travaux des participants permanents. Il a déclaré
à propos des observateurs que « c’est leur façon de travailler avec les
participants permanents » qui pose problème. « C’est une question
qu’ils continuent d’ignorer et à laquelle ils n’ont pas répondu lorsqu’ils ont
fait leur demande. »
Comme indiqué ci-dessus, le
professeur Byers a recommandé que le Canada appuie la participation de l’Union
européenne et de la Chine au Conseil, à titre d’observateurs permanents. En ce
qui concerne les inquiétudes soulevées par d’autres témoins, dont
M. Smith, il a déclaré au Comité :
[C]ertains groupes
autochtones s’opposent vivement à cette suggestion, et ils ont leurs raisons,
notamment l’interdiction de l’importation des produits du phoque par l’Union
européenne. Toutefois, nous avons là une occasion d’action diplomatique,
l’occasion de dire à l’Union européenne : « Nous souhaitons votre
présence dans la salle pour toutes ces bonnes raisons, mais vous allez devoir
nous aider. Comment allez-vous compenser les Inuits du Canada pour l’incidence
qu’a eue sur leur économie votre politique sur la chasse aux phoques? » Au
lieu de s’agiter et d’aller devant les tribunaux, voici l’occasion de faire de
la diplomatie. Ils veulent entrer au Conseil de l’Arctique, mais ils causent
des problèmes à certains de nos citoyens. Essayons de trouver une solution.
Sur toutes ces questions concernant l’Arctique, le premier principe
à appliquer est bien connu : parlons-nous. S’il y a une chose que nous
n’avons pas suffisamment faite au cours des années — pas seulement pendant les
six ou sept dernières années mais pendant les deux ou trois dernières décennies
au sujet de l’Arctique —, c’est bien de parler à nos voisins.
Abstraction
faite de ces décisions concernant les observateurs permanents, les questions
générales concernant la manière dont les États du Conseil de l’Arctique
devraient tenir compte des intérêts des États non arctiques dans les travaux du
Conseil et dans la région arctique continueront probablement de poser un
problème de gestion aux États membres, dans leur quête d’une vision cohérente
pour l’orientation, le rôle et les méthodes de travail du Conseil à l’avenir. À
long terme, on pourrait aussi s’interroger sur l’adhésion au Conseil proprement
dit. M. Crump a déclaré au Comité que « la grande question, c’est de
déterminer de quelle façon le Conseil de l’Arctique peut s’adapter de façon à
établir un rôle important pour les observateurs. À l’heure actuelle, on dit « asseyez-vous,
écoutez et vous pourrez peut-être dire quelque chose » […] c’est un rôle
que le Canada pourrait
jouer — il ne peut le faire seul, mais il peut poursuivre la discussion sur la
façon de
faire participer au Conseil de l’Arctique des pays qui ne sont pas situés dans
la région
de l’Arctique. »
Une autre question que les
États du Conseil de l’Arctique devront probablement aborder dans un proche
avenir est la gestion des pêches. Le Comité a appris que, comme la glace de mer
continue de diminuer, la pêche commerciale pourrait commencer dans le centre de
l’océan Arctique, où la haute mer ne fait partie de la zone économique
exclusive (ZEE) d’aucun pays. Étant donné la surpêche généralisée dans le monde
— d’après l’Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture,
57 % des stocks mondiaux de poisson sont pleinement exploités et 30 %
sont surexploités — quelques témoins ont soutenu qu’il faudrait établir une
organisation régionale des pêches pour le centre de l’océan Arctique.
M. Manicom a déclaré au
Comité que l’un des enjeux qui explique l’intérêt des États de l’Asie de l’Est
pour l’Arctique est la pêche commerciale. Il a fait remarquer que :
[L]a Chine, le Japon et
la Corée du Sud] sont des chefs de file mondiaux en pêcherie hauturière, avec
l’UE et les États-Unis, et la demande de produits du poisson est très élevée
dans ces États. De plus, leur industrie nationale de la pêche affiche une
capacité excédentaire considérable, surtout en Chine, et l’ouverture de
nouvelles régions de pêche dans l’Arctique les intéresse manifestement.
Reliant
la pêche commerciale à la politique étrangère canadienne, M. Manicom a fait
valoir qu’il faudra régler quelques problèmes avant que la pêche commerciale
devienne un facteur important dans l’Arctique. Il a déclaré :
« D’après ce que je comprends, les pêches non réglementées dans l’Arctique
ne différeraient pas des autres pêches dans le monde, c’est-à-dire que le
poisson sera pêché à outrance au point de disparaître si l’on ne prend pas les
règlements appropriés. »
Le professeur Byers a
déclaré au Comité que l’établissement d’un mécanisme régional de gestion des
pêches dans l’Arctique revêtirait une importance particulière pour des États
tels que le Canada, puisque les efforts déployés par ce dernier pour établir
une pêche responsable dans la ZEE de 200 milles nautiques pourraient être
anéantis si la pêche commerciale non réglementée dans le centre de l’océan
Arctique menace les stocks chevauchants qui entrent et sortent des eaux
canadiennes. Il a expliqué : « Si j’ai bien compris, les Américains
cherchaient des partenaires pour cette initiative et ont collaboré étroitement
avec la Russie mais, pour une raison que j’ignore, le Canada n’est pas dans le
coup. Je ne pense pas que nous nous opposerions à une telle chose mais, si l’on
parle de faire preuve de leadership, c’est précisément là qu’il faut le faire. » Donnant
l’exemple actuel d’un autre mécanisme de ce genre, l’Organisation des pêches de
l’Atlantique Nord-Ouest (OPANO), le professeur Byers a déclaré au Comité :
L’avantage de tels
arrangements est que les quotas sont établis sur une base scientifique, en
appliquant le principe de précaution, et au moyen de négociations, évidemment.
Par ailleurs, de telles organisations sont ouvertes à des États extérieurs à la
région. Ainsi, la Chine participe à plusieurs organisations régionales de la
pêche, ce qui permet de faire face dans ce contexte aux problèmes de la pêche à
longue distance, dans une certaine mesure. Cette pratique exemplaire que nous
avons apprise ailleurs dans le monde peut facilement être transférée dans
l’Arctique.
Le professeur McRae — qui a
été négociateur en chef du Canada dans le différend avec les États-Unis sur le
saumon du Pacifique — a convenu de l’importance de la gestion des pêches dans
l’Arctique. Il a cependant soutenu que le Canada a eu une « mauvaise
expérience » avec l’OPANO, qui, selon lui, reflète les difficultés assez
typiques
des organisations régionales de la pêche pour ce qui est de faire appliquer
leurs règles.
À son avis :
Très franchement,
l’OPANO n’est pas une organisation atypique de gestion régionale de la pêche.
L’un des gros problèmes des organisations régionales de la pêche est que la
plupart n’ont pas de système exécutoire pour fixer des totaux autorisés de
capture ou attribuer des quotas. À l’OPANO, il y a un système d’objection grâce
auquel l’Union européenne, pendant de nombreuses années, a simplement déclaré
qu’elle n’approuvait pas les quotas établis scientifiquement et qu’elle
fixerait ses propres quotas. […]
Je pense que, si nous
voulons mettre sur pied un régime de pêche dans l’Arctique, nous devons être
très prudents et veiller à ne pas simplement reproduire les régimes existants
de gestion de la pêche qui ne permettent pas de garantir que chacun respecte
les quotas. […]
Si une nouvelle région
devient accessible, des navires de pêche très puissants seront enregistrés sous
pavillon de complaisance et seront pilotés par des anciens capitaines de la
marine russe extrêmement compétents et sachant très bien pratiquer la pêche
dans le Grand Nord.
Il sera alors très
difficile d’exercer une bonne gestion. C’est un gros problème, mais il est
essentiel de bien le résoudre si l’on ne veut pas voir réapparaître ce qui
s’est fait dans d’autres régions du monde.
Compte
tenu de tous ces défis et de tous ces problèmes de gestion, le professeur Byers
a fait valoir qu’il faut envisager immédiatement la négociation et la création
d’un système régional de gestion des pêches dans l’Arctique « avant que
commence la pêche commerciale ». Il a prévenu que, « si nous laissons
passer cette occasion, il se peut fort bien que des chalutiers à grand rayon
d’action soient déjà sur place dans les deux prochaines années. À ce moment-là,
ce projet fera l’objet d’une très forte opposition. »
Les fonctionnaires du
ministère des Pêches et des Océans étaient plus prudents dans leurs prédictions
sur la pêche dans l’océan Arctique central et les interventions stratégiques
nécessaires en prévision de ces activités. Renée Sauvé, directrice, Marine
globale et affaires du Nord, au Bureau des enjeux mondiaux du ministère, a
déclaré que ce sujet a été abordé lorsque les ministres des Affaires étrangères
des cinq États côtiers de l’océan Arctique se sont réunis à Québec en 2010 pour
discuter de préoccupations communes. Les fonctionnaires ont continué depuis
d’en discuter de manière officieuse. Elle a déclaré au Comité :
Il y a encore de
l’incertitude en ce qui a trait à la répartition et à l’abondance des espèces
de poisson, à la colonisation du Nord par ces espèces et aux répercussions sur
les écosystèmes. En outre, les effets des changements climatiques et de
l’acidification de l’océan sur l’océanographie et la productivité initiale de
l’océan Arctique sont inconnus. Nous avons également besoin de mieux comprendre
l’incidence sur les écosystèmes marins de l’Arctique d’autres activités comme
le transport maritime, le tourisme maritime et l’exploitation pétrolière et
gazière.
Mme Sauvé a affirmé que le Canada n’a pas de position officielle sur les appels des
États-Unis à un moratoire sur la pêche commerciale dans le centre de l’océan
Arctique jusqu’à ce qu’un accord de gestion des pêches soit conclu et qu’un
organisme international de gestion des pêches soit établi dans la région. Elle
a déclaré au Comité qu’« on doit se pencher de façon plus approfondie sur
la question de l’instauration d’un organisme régional de gestion des pêches ou
de la conclusion d’un accord visant l’océan Arctique ». De plus, selon le
ministère, « il n’y a toujours aucun consensus sur la nécessité d’établir
un tel organisme ».
Elle a évoqué l’existence d’un cadre juridique international qui s’applique au
centre de l’océan Arctique, notamment des conventions relatives à la gestion
des stocks de poissons chevauchants et grands migrateurs. Elle a indiqué
également que le Conseil de l’Arctique ne possède pas actuellement de mandat en
matière de gestion des pêches. Soulignant la nécessité de recueillir de plus
amples renseignements, afin de comprendre l’état actuel des ressources et
d’établir des scénarios, elle a déclaré :
Les États côtiers ont
indiqué qu’ils reconnaissaient les responsabilités et les défis extraordinaires
dont s’assortit le développement futur de l’océan Arctique.
Les discussions officieuses menées à ce jour permettent de croire que le
renforcement de la collaboration en matière de recherches sur l’Arctique et de
gouvernance d’éventuelles pêches commerciales dans l’Arctique constitue un
objectif commun.
David VanderZwaag,
professeur de droit de l’Université Dalhousie, a indiqué que les États du
Conseil de l’Arctique devraient approfondir la question de la gestion du centre
de l’océan Arctique, une région de quelque 2,8 millions de kilomètres carrés
qui, comme indiqué, ne relève d’aucune compétence nationale. Même si la
Convention sur le droit de la mer s’y applique en haute mer et que ce n’est
donc pas une région sans lois, la région est très peu gérée. Selon le
professeur VanderZwaag, les États du Conseil de l’Arctique doivent
répondre à une question plus fondamentale : « Quel avenir envisagent les
États de l’Arctique : la commercialisation, la conservation ou un mélange
des deux? »
Les déversements
d’hydrocarbures dans l’Arctique, en particulier s’ils survenaient dans des eaux
encombrées de glaces, pourraient être dévastateurs pour l’écologie sensible et
les habitants de la région. Quelques témoins ont discuté du besoin de se
protéger contre le risque accru de déversements provenant de navires ou de
plates-formes en mer. Jody Thomas, sous-commissaire, Opérations, Garde côtière
canadienne, a déclaré au Comité :
La mise en valeur des
ressources du Nord constitue un secteur en croissance rapide, l’exploration et
l’exploitation pétrolière et gazière en mer ainsi que le forage en haute mer
offrant des débouchés majeurs. Dans la mesure où l’exploration s’accroît, nous
pouvons et devrions nous attendre à voir des navires plus gros et une
circulation accrue dans une zone dont les cartes marines et les levés marins
sont moins élaborés qu’au sud.
Le risque d’incidents de pollution par les hydrocarbures augmentera.
Elle
a expliqué que les déversements liés à l’approvisionnement en carburant des
collectivités sont actuellement le plus grand risque dans l’Arctique canadien.
Ed Zebedee, du gouvernement du Nunavut, a déclaré que « le ravitaillement
annuel par mer étant essentiel à la survie de toutes les localités du Nunavut,
l’absence d’installations portuaires appropriées présente un risque
additionnel. Les hydrocarbures doivent être pompés jusqu’à la rive au moyen de
jetées flottantes, d’où un risque accru de déversement en mer. »
Mme Thomas a
déclaré au Comité que plus de 20 caches d’équipement d’intervention en cas de
déversement d’hydrocarbures sont déjà positionnées dans l’Arctique canadien et
que trois grands modules d’équipement transportable rapidement sont également
disponibles pour intervenir en cas de déversement majeur. Mais, s’il existe
quatre organismes d’intervention agréés par Transports Canada au sud du 60e parallèle, il n’y en a pas au nord du 60e parallèle. Mme Thomas
a précisé que « c’est la Garde côtière canadienne, l’industrie et des
volontaires des collectivités qui forment la force d’intervention d’urgence en
cas de pollution par les bateaux ou de source inconnue dans les eaux
arctiques ». Au sujet des capacités de préparation et d’intervention en
place, elle a indiqué :
L’idée, face à une
pollution marine, c’est que, peu importe où elle a lieu au Canada, les actifs
sont acheminés. S’il devait y avoir un déversement majeur n’importe où au pays,
y compris dans l’Arctique, tout le matériel nécessaire à l’intervention y
serait acheminé, peu importe où il se trouve. Nous avons aussi une entente
bilatérale avec les États-Unis; nous compterions sur eux et leur équipement
pour nous venir en aide.
La conscience du danger
accru de déversement transnational a également provoqué une réaction au niveau
régional. En 2011, les hauts représentants de l’Arctique ont indiqué aux
ministres :
Au cours des prochaines
décennies, il y aura probablement dans l’Arctique une intensification du
transport maritime et des efforts en vue d’exploiter les ressources naturelles
de la région. Cette activité accentuera le risque potentiel pour la vie humaine
et l’environnement arctique. Des catastrophes récentes telles que le naufrage
du M/S EXPLORER dans les eaux arctiques en 2007 et le déversement
d’hydrocarbures sur la plate-forme Deepwater Horizon en 2010 dans le golfe du
Mexique mettent en évidence ces dangers.
De
fait, le déversement de la plate-forme Deepwater Horizon dans le golfe du
Mexique a fourni un exemple éloquent aux décideurs de l’Arctique des problèmes
logistiques, technologiques, financiers et autres qui peuvent se poser lorsque
survient un important déversement d’hydrocarbures dans des eaux relativement
calmes et faciles d’accès pour les navires et le personnel du gouvernement
américain et de l’industrie.
La situation serait bien différente dans les vastes régions éloignées de
l’Arctique, qui se caractérisent par une météo imprévisible, des eaux
périlleuses et des ressources maritimes limitées.
Les ministres du Conseil de
l’Arctique se sont entendus pour établir un groupe de travail chargé d’élaborer
un instrument international sur l’intervention en cas de pollution maritime de
l’Arctique et la préparation à ce genre d’incident. Les négociations sont
terminées et le projet d’entente sera examiné à la réunion ministérielle du
Conseil de l’Arctique en mai 2013. Mme Thomas a expliqué
l’objectif général de l’entente, qui consiste à « renforcer la
collaboration et la coordination entre États de l’Arctique lorsqu’il y a
déversement d’hydrocarbures d’une telle ampleur qu’un pays ne pourrait
intervenir seul ».
Jacqueline Gonçalves, de la Garde côtière canadienne, qui a dirigé l’équipe
de négociation canadienne de cet instrument, a déclaré au Comité que
« c’est très pointu et vise en fait les opérations ». Elle a
poursuivi :
Des composantes
précises du traité concernent essentiellement le cycle de vie d’un incident de
ce genre. Par exemple, un pays réalise qu’il y a eu déversement
d’hydrocarbures: que fait-il pour en informer les autres; quelle forme prend la
participation de chacun; comment faire appel à autrui pour qu’il nous aide à
ramasser le pétrole; quel est le mode de transmission des meilleures pratiques;
comment s’exercer et se former? Ce sont en fait des éléments qui forment une
procédure commune, pour que nous n’en discutions pas alors que nous sommes en
pleine tourmente en raison d’un incident.
John
Crump a déclaré au Comité qu’en janvier 2013, quelques ONG participant au forum
des ONG de l’Arctique ont envoyé une lettre aux hauts représentants de
l’Arctique
pour encourager les États du Conseil de l’Arctique à « adopter un
processus qui
permettrait de poursuivre les travaux entrepris dans le cadre de cet accord et
de combler les lacunes ».
Le professeur Byers a
soutenu que le Canada et les autres États arctiques devraient, en plus de
s’entendre sur les mesures à prendre pour intervenir en cas de
déversements, collaborer également à l’échelle régionale pour prévenir les
déversements. Conscient des conditions difficiles et des risques dans la
région, il a fait valoir que le Canada et les autres États devraient relever
collectivement les normes de sécurité relatives aux activités dans l’Arctique
par la voie d’un nouveau traité, et prendre des mesures pour qu’il n’y a pas de
« course vers le plus bas dénominateur commun » dans la
réglementation nationale qui s’applique dans la région. Il a affirmé :
[I]l existe des preuves
croissantes, notamment dans l’Arctique, que les grandes compagnies pétrolières
souhaitent avoir un degré élevé de réglementation et de sécurité, car elles ont
vu ce qui est arrivé à BP. Elles ont vu les conséquences pour cette société, et
nous avons vu ce qui est arrivé l’été dernier au Canada. Nous avons ouvert
jusqu’à cinq nouveaux blocs à bail dans la mer de Beaufort et aucune des
grandes compagnies n’a fait d’offre. Ces dernières années, les majeures ont
tourné leur attention vers des pays comme la Russie, la Norvège et le
Groenland, peut-être parce que le Canada a pris du retard sur l’adoption de
normes rigoureuses.
Faisons donc preuve
d’initiative et de leadership en rehaussant collectivement nos normes avec les
autres États de l’Arctique.
Si
le Conseil de l’Arctique a pour vocation de s’occuper de questions qui ne
peuvent pas ou ne devraient pas être gérées par un État en particulier, il
semble que les mesures et politiques nécessaires pour prévenir les déversements
d’hydrocarbures et intervenir lors de tels incidents font partie de ces
questions. Même si les gouvernements nationaux doivent mettre en place les
mesures et les lois nécessaires pour prévenir des déversements dans leurs eaux,
la géographie de la région, les risques qu’un grand déversement puisse dépasser
les ressources d’un État en particulier, et les conséquences qui pourraient en
découler pour différents États arctiques en cas de déversement sur le
territoire qui relève de la compétence de l’un d’entre eux sont autant de
motifs qui justifient une intervention régionale concertée.
Depuis 20 ans, la
coopération régionale dans l’Arctique constitue un élément important de la
politique étrangère canadienne. Au moment où le Canada assume la présidence
tournante ce cette organisation clé dans l’Arctique, il a l’occasion de faire
fond sur ces réalisations et de faire avancer plusieurs dossiers stratégiques.
Cependant, outre les chantiers d’envergure régionale prioritaires qui, de l’avis
du Comité, devraient occuper le devant de la scène durant les deux années du
mandat du Canada à la présidence du Conseil de l’Arctique, d’autres questions
importantes qui touchent le Nord du pays devraient mobiliser l’attention du
Canada, ce qu’ont fait valoir les témoins. Il importe en effet que le Canada
assure la prospérité de ses collectivités du Nord pour asseoir sa politique
étrangère pour l’Arctique. Comme en fait état le présent rapport, de nombreux
domaines de la politique intérieure et étrangère du Canada pour l’Arctique
devraient être considérés comme les deux faces de la même médaille. C’est le
cas, par exemple, des investissements dans les infrastructures, qui sont autant
nécessaires pour permettre aux collectivités du Nord de saisir les importantes
possibilités de développement économique qui existent que pour permettre au
Canada de surveiller et de faire respecter son autorité dans le domaine du
trafic maritime et de participer à des opérations de recherche et sauvetage sur
son territoire et dans ses eaux arctiques. Un autre exemple serait les mesures
à adopter relativement aux agents de forçage climatique à courte durée de vie,
qui peuvent être bénéfiques pour la santé des humains et l’environnement au
Canada et dans l’ensemble de la région circumpolaire, en favorisant le
développement durable chez nous et ailleurs.
Le Canada devrait donc
considérer sa politique étrangère pour l’Arctique comme un processus qui
s’applique à trois niveaux. En effet, il faut prendre des mesures au niveau
national, en tenant compte des priorités énoncées par le gouvernement en 2009
dans la Stratégie pour le nord du Canada, dans le cadre des travaux
régionaux du Conseil de l’Arctique, et sur la scène multilatérale. Les
recommandations du Comité portent sur les priorités et les mesures nécessaires
à ces trois niveaux, afin de contribuer à une stratégie canadienne exhaustive
pour l’Arctique durant la présidence canadienne, de 2013 à 2015 et au-delà.
Dans l’ensemble, le Comité a conclu à l’issue de son étude que l’Arctique
canadien a un grand potentiel de croissance économique, qui doit s’appuyer sur
le développement économique durable et l’innovation et mettre l’accent sur la
résilience des collectivités. Il lui est apparu également clair, à la lumière
des témoignages, que des changements spectaculaires sont en cours dans
l’Arctique. De fait, le changement constitue probablement la caractéristique
déterminante de la région actuellement.
Selon ce que le Comité a entendu, des forces environnementales et économiques
mondiales sont en train d’ouvrir la région, et cette réalité crée à la fois des
possibilités et des défis. Ce sont évidemment les défis que les gouvernements
doivent gérer. À la présidence du Conseil de l’Arctique, le Canada sera en
mesure de mettre de l’avant un programme d’action centré sur cet objectif.
Compte tenu de ces conclusions générales, le Comité présente les
recommandations suivantes au gouvernement du Canada.
Présidence du Canada au Conseil de l’Arctique, 2013–2015
Le rôle, la vision et la structure du Conseil de l’Arctique
- Le Comité recommande que, pendant le mandat du Canada à la présidence du Conseil de l’Arctique, le gouvernement du Canada encourage le Conseil à redoubler d’efforts pour que les États membres et les participants permanents se communiquent entre eux leurs pratiques exemplaires, leurs connaissances et leurs expériences relatives au développement économique durable, aux affaires et à la création d’emplois, et à la résilience des collectivités.
- À l’appui de ce travail, le Comité recommande en outre que le gouvernement du Canada encourage les États arctiques à établir un conseil commercial circumpolaire qui serait chargé de collaborer avec le Conseil de l’Arctique.
- Le Comité recommande que, pendant le mandat du Canada à la présidence du Conseil de l’Arctique, le gouvernement du Canada continue ses discussions avec les États membres et les observateurs permanents du Conseil de l’Arctique pour trouver des solutions aux problèmes de capacité et de financement des participants permanents du Conseil.
- Le Comité recommande que le gouvernement du Canada appuie uniquement les demandes de statut d’observateur permanent au Conseil de l’Arctique lorsque ces dernières satisfont aux critères établis à la réunion ministérielle du Conseil de l’Arctique en 2011, qui comportent la conformité à tous les principes fondamentaux suivants :
- Le demandeur accepte et appuie les objectifs du Conseil de l’Arctique.
- Il reconnaît la souveraineté nationale, les droits souverains et les compétences nationales dans l’Arctique.
- Il reconnaît qu’un vaste cadre législatif s’applique à l’océan Arctique, notamment le droit de la mer.
- Il respecte et a démontré la volonté politique et l’engagement financier en vue de contribuer aux travaux des participants permanents du Conseil de l’Arctique.
- Le Comité recommande que le gouvernement du Canada poursuive sa coopération avec les États-Unis au sujet des grandes initiatives en cours et proposées pour le Conseil de l’Arctique, dans le but d’accroître la cohérence des mandats successifs des pays à la présidence du Conseil de l’Arctique.
La gestion des eaux arctiques
- Le Comité recommande que le gouvernement du Canada appuie la finalisation d’un Code polaire rigoureux et exécutoire sous l’égide de l'Organisation maritime internationale; en même temps, que le gouvernement du Canada mène des travaux par la voie du Conseil de l’Arctique sur des normes et des règlements communs sur le transport maritime, pour assurer la sécurité maritime et la protection de l’environnement dans l’Arctique.
- Le Comité recommande que, pendant le mandat du Canada à la présidence du Conseil de l’Arctique, le gouvernement du Canada facilite les discussions au sein du Conseil concernant l’adoption de lignes directrices sur le tourisme dans la région, et plus particulièrement le tourisme de croisière.
Gestion des pêches
- Le Comité recommande que, pendant le mandat du Canada à la présidence du Conseil de l’Arctique, le gouvernement du Canada entame des pourparlers au sein du Conseil afin de définir une vision commune de la manière dont les pêches et les stocks de poissons devraient être gérés et réglementés dans le centre de l’océan Arctique.
Protection de l’environnement
- Le Comité recommande que, pendant le mandat du Canada à la présidence du Conseil de l’Arctique, le gouvernement du Canada encourage la négociation d’un instrument sur la réduction des agents de forçage climatique à courte durée de vie dans l’Arctique, en mettant l’accent plus particulièrement sur le carbone noir.
- Le Comité recommande que, pendant le mandat du Canada à la présidence du Conseil de l’Arctique, le gouvernement du Canada encourage les travaux au sein du Conseil portant sur la prévention des déversements d’hydrocarbures dans la région, dans le cadre des travaux en cours au Conseil sur l’intervention en cas de déversement d’hydrocarbures et la préparation à ce type d’incidents.
Politique du Canada pour l’Arctique
- Le Comité recommande que le gouvernement du Canada axe sa politique intérieure pour l’Arctique sur une approche qui facilite le développement économique durable et la prospérité et renforce la résilience et la viabilité des collectivités. Une telle approche doit être mise en œuvre en étroit partenariat avec les Canadiens du Nord en reconnaissant les circonstances, aspirations et préoccupations particulières des peuples autochtones de l’Arctique canadien, de même que le contexte des revendications territoriales établies et du transfert des responsabilités aux territoires.
- Le Comité recommande que le gouvernement du Canada continue de concentrer ses investissements dans l’infrastructure maritime de l’Arctique canadien.
- Le Comité recommande que le gouvernement du Canada vérifie s’il est en mesure de mettre en œuvre les dispositions de l’accord de 2011 des États de l’Arctique sur les opérations de recherche et de sauvetage.
- Le Comité recommande que le gouvernement du Canada continue de financer la recherche scientifique afin d’améliorer l’état des connaissances sur les changements environnementaux en cours dans l’Arctique et d’éclairer ainsi les décisions à prendre en réponse à ces changements, et qu’il travaille étroitement avec les autres États arctiques et les États non arctiques dans le domaine de la science arctique internationale.
|