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AANO Rapport du Comité

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PARTIE V – CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

La terre est au cœur de presque toutes les formes de développement économique, et cela vaut aussi pour les terres de réserve des Premières nations. Invariablement, les Premières nations ont dit au Comité que des lois inadéquates, des processus bureaucratiques inefficaces et les moyens d’action déficients des communautés et des institutions ont empêché les communautés des Premières nations de tirer parti de la richesse que recèlent leurs terres. Aux quatre coins du pays, les Premières nations ont exprimé le désir ardent d’exploiter leurs terres selon leurs aspirations culturelles. Elles ont clairement indiqué que les initiatives de gestion des terres devraient appuyer leurs priorités et les efforts qu’elles déploient pour se soustraire aux dispositions restrictives et désuètes de la Loi sur les Indiens en progressant dans la voie de l’autonomie gouvernementale.

Au cours de la présente étude, le gouvernement fédéral a pris des mesures importantes, que le Comité juge également profitables, pour améliorer les processus de gestion des terres dans les réserves. Comme il est indiqué précédemment, le seuil de ratification établi pour la désignation des terres aux termes de la Loi sur les Indiens correspond maintenant à une simple majorité au lieu de la double majorité encombrante qui était exigée. Les Premières nations peuvent donc plus facilement louer des terres désignées et tirer parti des possibilités de développement économique. Par ailleurs, l’obligation prévue dans la LGTPN de négocier des ententes de gestion de l’environnement avec les autorités fédérales a été éliminée, ce qui ouvre la voie à la promulgation de règlements en matière d’environnement par les Premières nations. D’après les témoignages dont il est question dans le présent rapport, le Comité a constaté que les modifications apportées à la Loi tiennent compte de plusieurs préoccupations exposées par les Premières nations et se révéleront profitables pour elles.

Avant de clore son rapport, le Comité garde à l’esprit que le caractère unique des terres de réserve, les ententes relatives au régime foncier, la capacité différente des communautés, ainsi que la relation spéciale des Premières nations avec la terre présentent certains défis eu égard aux réformes en matière de gestion des terres.
Bien que toutes ces questions complexes puissent être intimidantes, le Comité se retient de les simplifier. Quelles que soient les réformes qui seront apportées, il croit fermement que les ententes qui ont le plus de chances de réussir sont celles qui s’harmoniseront le mieux avec les priorités et les aspirations des Premières nations.

A. Combler les lacunes de la Loi sur les Indiens et du régime de gestion environnementale

La grande majorité des Premières nations doit gérer ses terres de réserve en tenant compte des contraintes d’un cadre législatif ancien. De nos jours, plus de 550 des 617 Premières nations reconnues sont assujetties au cadre d’administration des terres de la Loi sur les Indiens[154]. À l’exception des Premières nations qui ont négocié des ententes de gouvernance globales ou de celles qui fonctionnent sous le régime de la Loi sur la gestion des terres des premières nations, les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à la terre influent toujours sur la façon dont la plupart des Premières nations peuvent aménager les terres de réserve ou en tirer profit[155].

Il serait irréaliste de penser que les communautés seront nombreuses à pouvoir adopter le régime de gestion des terres des Premières nations ou à négocier des accords d’autonomie gouvernementale complets au cours des prochaines années. D’abord, bon nombre d’entre elles n’y sont tout simplement pas prêtes. Des représentants de Premières nations comme la bande indienne de Penticton ont dit au Comité qu’ils préfèrent une approche progressive en matière de gestion des terres, une approche qui leur permet, au fil du temps, de développer la capacité et l’expérience nécessaires pour assumer plus de responsabilités. D’autres communautés partagent ce point de vue. De l’avis du Comité, il conviendrait d’encourager les communautés à franchir pas à pas une série d’étapes à mesure qu’elles y sont prêtes afin de s’affranchir de la Loi sur les Indiens.

Ensuite, malgré les récents investissements du gouvernement fédéral, l’application de la LGTPN s’est étendue à d’autres Premières nations, mais non en fonction de la demande. Quarante-huit Premières nations se trouvent actuellement sur la liste d’attente et davantage souhaitent adhérer au régime. Même si les niveaux de financement étaient plus élevés, il faudrait vraisemblablement des décennies pour que la majorité des Premières nations délaissent le régime de la Loi sur les Indiens pour adhérer au régime de GTPN.

Comme la plupart des Premières nations seront encore assujetties au cadre d’administration des terres de la Loi sur les Indiens dans un avenir prévisible, il importe qu’elles puissent exploiter les terres de réserve de manière à en tirer tous les avantages économiques possibles. C’est pourquoi il faut chercher à réduire les obstacles à la gestion des terres de réserve que pose la Loi sur les Indiens, ainsi que les pratiques ministérielles qui sont trop bureaucratiques et prennent trop de temps, d’autant plus qu’un grand nombre des Premières nations visées sont parmi les communautés du Canada les plus désavantagées sur le plan économique.

Le Comité croit fermement qu’il faut renforcer les mesures de remplacement de la Loi sur les Indiens qui mettent de l’avant de meilleurs modes de gouvernance des terres, mais étant donné les ressources financières et la capacité limitées des communautés, il faut absolument modifier la Loi sur les Indiens, de même que les règlements et les politiques du Ministère. D’après les témoignages qui lui ont été présentés, le Comité estime que les réformes dans ce domaine doivent (i) viser à améliorer le fondement législatif et les outils de gestion des terres de réserve mis à la disposition de la majorité des Premières nations actuellement assujetties au régime de la Loi sur les Indiens; (ii) faire en sorte que les processus, les pratiques et les politiques du Ministère répondent aux besoins des Premières nations en matière de gestion des terres et de développement économique.

(i) Gestion environnementale

Une question qui préoccupe le Comité et au sujet de laquelle il a entendu nombre de témoins est le manque général de protection environnementale dans les réserves et les conséquences négatives qui en résultent pour la santé, la sécurité et le développement économique des communautés. Comme les terres de réserve ne profitent actuellement pas de l’éventail complet de mesures de protection environnementale qui s’appliquent à l’extérieur des réserves. Le Comité constate qu’à cause du manque de règlements et de mesures d’exécution et de surveillance efficaces en matière d’environnement, un grand nombre de Premières nations sont exposées à des conditions contre lesquelles d’autres communautés sont protégées.

L’une des conséquences du piètre régime de réglementation environnementale dans les réserves est l’incapacité des Premières nations à bien réglementer les activités sur les terres visées par des certificats de possession (CP), ce qui donne souvent lieu à des activités peu saines pour l’environnement. Le Comité a constaté que les pénalités en matière d’environnement que prévoit la Loi sur les Indiens n’ont pas d’effet dissuasif.
Les amendes prévues dans le Règlement sur la destruction des déchets dans les réserves indiennes pour le dépôt ou le brûlage des déchets sans permis, par exemple, ne peut dépasser 100 $[156]. Le Comité a également appris qu’AADNC n’émet que peu de permis et n’est pas bien outillé pour effectuer des inspections, surveiller la conformité ou encore faire appliquer les règlements. On trouve donc couramment dans les réserves des sites de déchets ou d’enfouissement illégaux[157].

Le Comité estime qu’il est essentiel d’intensifier les pénalités prévues pour infractions sur le plan de l’environnement dans la Loi sur les Indiens, mais que cette mesure ne peut, à elle seule, aplanir l’écart en matière de réglementation environnementale dans les réserves. Il faut aussi renforcer la capacité des Premières nations d’élaborer et d’appliquer des normes environnementales dans les réserves et d’en surveiller l’exécution. Le Comité croit fermement que les communautés des Premières nations devraient jouir du même niveau de protection environnementale que les autres communautés et que le développement économique durable dépend de la salubrité de l’environnement. C’est pourquoi le Comité recommande :

RECOMMANDATION 1

Que le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada et Environnement Canada, avec la collaboration des Premières nations, prenne des mesures immédiates pour élaborer un plan d’action qui vise à aplanir l’écart en matière de réglementation environnementale dans les réserves et qui sera présenté au Comité au plus tard le 31 mars 2015; que ce plan englobe des mesures visant à intensifier les pénalités prévues dans la Loi sur les Indiens pour les infractions dans le domaine de l’environnement, à renforcer la capacité de gestion et d’assainissement environnementales des communautés, ainsi qu’à recenser les secteurs à légiférer et à réglementer.

(ii) Gestion des terres

Outre le renforcement des outils de gestion environnementale des terres de réserve, il importe d’améliorer la gestion des terres de réserve, plus précisément la protection de la propriété, la planification de l’aménagement des terres, la location et l’enregistrement des terres. Le Comité constate, notamment que les intérêts privés dans les terres de réserve, par exemple les titres fonciers traditionnels, ne sont pas bien documentés. C’est la raison pour laquelle de nombreuses communautés des Premières nations trouvent difficile d’entreprendre des projets de développement économique à grande échelle dans les terres de réserve. Par ailleurs, comme ces titres ne sont pas légalement reconnus, les gens ont peu de recours si la bande reprend les terres. De l’avis du Comité, il convient d’encourager fortement les Premières nations à faire le nécessaire pour que soient consignés officiellement les titres fonciers traditionnels.

Le Comité estime également qu’il faut examiner de plus près les restrictions réglementaires qui s’appliquent aux CP. Comme il en a été question précédemment, les membres des Premières nations peuvent uniquement transférer leurs CP à d’autres membres de la bande. Ils ne peuvent pas les utiliser comme garantie pour obtenir du financement auprès des banques en raison des restrictions relatives aux nantissements et aux saisies que prévoit l’article 89 de la Loi sur les Indiens. Les titulaires de CP doivent obtenir l’approbation du Ministère et, s’il y a lieu, du conseil de bande lorsque des terres visées par des CP sont louées à des membres qui ne font pas partie de la bande. Ensemble, ces restrictions peuvent faire augmenter les coûts des transactions reliées aux CP et constituent l’un des principaux obstacles à l’utilisation des terres visées par des CP pour accéder au capital[158].

En plus de ces contraintes, le Comité estime que les lacunes de l’enregistrement officiel des propriétés foncières dans le système d’enregistrement des terres indiennes (SETI) posent problème. Selon le Conseil national de développement économique des Autochtones, il faut compter quelques jours pour enregistrer une hypothèque en Colombie-Britannique alors qu’il en faut 180 en moyenne pour procéder à un enregistrement équivalant dans le SETI[159]. Le Comité est conscient des efforts qu’AADNC déploie pour déterminer si les Premières nations pourraient soumettre leurs dossiers par voie électronique (comme c’est le cas pour les registres des titres fonciers des provinces), mais il estime que l’enregistrement en ligne, bien que positif, n’enraie pas les vices structurels fondamentaux du système actuel. Comme il est indiqué précédemment, contrairement aux registres provinciaux des titres fonciers, le SETI ne fournit pas de garantie à l’égard des titres ou de la priorité des intérêts, et il n’existe pas non plus d’obligation d’enregistrer les intérêts relativement à des terres. Dans l’ensemble, le Comité croit que le système d’enregistrement des terres de la Loi sur les Indiens ne protège pas les intérêts légaux des tiers avec suffisamment de rigueur; cela nuit au développement économique et aux investissements de l’extérieur.

Par ailleurs, il faut examiner soigneusement les processus de location des terres de réserve, qu’elles soient la propriété d’individus ou de bandes. Comme il a été démontré, les baux constituent un outil économique essentiel pour maintes Premières nations et le mécanisme juridique pour l’aménagement des terres dans les réserves. Partout au pays, les Premières nations louent régulièrement des terres à des non-membres à diverses fins commerciales et résidentielles. La création d’intérêts à bail dans une terre de réserve permet à une Première nation ou à un membre de passer outre aux restrictions de « nantissement et de saisie » prévues par l’article 89 de la Loi sur les Indiens, ce qui facilite l’obtention de financement auprès des établissements de prêt.

Le processus de location de terres de réserve n’est cependant pas simple.
Les terres appartenant à la bande, par exemple, doivent d’abord être « désignées » au moyen d’un référendum de la communauté. De façon analogue, pour être louées, les terres visées par un CP nécessitent l’approbation du conseil de bande et du Ministère; et pour une durée de plus de 49 ans, elles nécessitent aussi l’approbation de la communauté. À maintes reprises, il a été dit au Comité que les pratiques et les procédures concernant la location de terres de réserve étaient lourdes et que les approbations tardives des bandes et du Ministère font perdre des possibilités d’affaires. Pour que les Premières nations puissent obtenir des résultats sur le plan économique, il faut à tout prix simplifier les procédures ministérielles pour l’obtention de baux dans les terres de réserve. De l’avis du Comité, cette question doit être examinée en priorité.

Enfin, le Comité considère que nombre de problèmes auxquels font face les Premières nations découlent, en partie, du manque de planification efficace de l’aménagement des terres. À l’heure actuelle, il y a peu de Premières nations qui sont dotées de plans d’aménagement des terres visant à en faciliter la mise en valeur ordonnée et à contribuer aux mesures de protection et de contrôle environnementaux. Une meilleure planification de l’aménagement des terres peut favoriser de manière non négligeable l’adoption d’approches durables pour le développement des terres de réserve. Ces plans peuvent favoriser un climat réglementaire harmonieux avec les municipalités voisines, jeter les bases de partenariats économiques et amener les membres de la communauté à prendre part aux décisions qui touchent l’utilisation des terres. La Loi sur les Indiens fournit cependant un fondement limité pour l’élaboration de plans d’aménagement des terres exhaustifs.

Les questions concernant le régime foncier, l’enregistrement, la location et la planification de l’aménagement des terres sont intimement liées. Même un système d’enregistrement des terres comme le système Torrens serait d’une utilité limitée pour les Premières nations, dont les titres fonciers traditionnels ne sont pas consignés de manière officielle. Par conséquent, dans la mesure du possible, le Comité croit qu’il faut examiner les problèmes susmentionnés ensemble et c’est pourquoi il recommande :

RECOMMANDATION 2

Que le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada, de concert avec les Premières nations, prenne des mesures immédiates pour élaborer des propositions législatives et stratégiques visant à remédier aux aspects restrictifs du régime de gestion des terres de la Loi sur les Indiens et des politiques et pratiques ministérielles connexes, et qu’il présente un plan d’action au Comité au plus tard le 31 mars 2015 pour :

  • examiner les mécanismes permettant de rehausser la capacité de planification de l’aménagement des terres dans les réserves;
  • permettre aux Premières nations de lever les restrictions applicables à l’utilisation des propriétés comme garanties que prévoit la Loi sur les Indiens;
  • moderniser le système d’enregistrement des terres actuel;
  • simplifier les procédures ministérielles qui ont trait à la location de terres de réserve à des tiers, en réduisant les conditions d’approbation et en élaborant des modèles pour les baux;
  • établir avec les Premières nations intéressées un processus permettant de consigner officiellement les intérêts privés, par exemple les titres fonciers traditionnels.

B. Renforcer les alternatives au régime de la Loi sur les Indiens

(i) La Loi sur la gestion des terres des premières nations

Mises à part les ententes globales d’autonomie gouvernementale, la LGTPN est largement considérée par les Premières nations comme un cadre institutionnel moderne permettant d’aborder les questions actuelles de gestion des terres et de faciliter le développement économique. Du fait qu’elle accentue le pouvoir local des Premières nations participantes sur leurs terres et leurs ressources de réserve, en plus d’abolir le pouvoir discrétionnaire du ministre sur les décisions qui concernent la gestion des terres de réserve, la LGTPN est un important mécanisme de rechange à la Loi sur les Indiens. Selon des études indépendantes, les Premières nations assujetties au régime de la LGTPN gèrent leurs terres de manière plus concurrentielle et transparente, et sont mieux à même de traiter rapidement les transactions foncières, à un coût moindre que ce que permet la Loi sur les Indiens.

Les retombées économiques substantielles et bien documentées de la LGTPN, outre l’intérêt manifeste qu’elle suscite chez les Premières nations, font dire au Comité qu’il faut faire le nécessaire pour éliminer les entraves à l’accès à ce régime. À ce propos, le Comité voit d’un bon œil les récents investissements fédéraux grâce auxquels 26 Premières nations supplémentaires ont pu adhérer au régime et entamer leur transition vers une plus grande autosuffisance.

Le Comité note cependant que la demande excède considérablement les ressources disponibles, une situation qui est appelée à se maintenir dans un avenir prévisible. En conséquence, même s’il estime que le régime de la LGTPN doit être pourvu des ressources suffisantes, d’autres options de financement — par exemple l’autofinancement de l’adhésion au régime par les Premières nations intéressées ou la mise en commun des ressources — devraient être envisagées.

Pour le Comité, la LGTPN est un important mécanisme de réforme de la propriété foncière des terres de réserve pour la grande majorité des Premières nations, un outil qui présente des avantages économiques avérés et qui devrait faire l’objet d’un soutien inconditionnel. C'est pourquoi le Comité recommande :

RECOMMANDATION 3

Que le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada prenne les mesures nécessaires pour élargir l’application de la Loi sur la gestion des terres des premières nations et axe ses efforts sur ce qui suit :

  • offrir aux Premières nations assujetties à la Loi sur les Indiens la formation nécessaire pour qu’elles puissent faire la transition vers la LGTPN en temps opportun;
  • fournir aux Premières nations signataires du régime de la LGTPN le soutien nécessaire pour qu’elles puissent devenir pleinement fonctionnelles et se conformer aux exigences du régime, dont l’élaboration d’un code foncier;
  • remédier urgemment à l’arriéré des demandes de participation au régime de la LGTPN et, en collaboration avec le Conseil consultatif des terres des Premières nations, étudier les possibilités de financement en vue de permettre à un plus grand nombre de Premières nations d’adhérer au régime.

(ii) Le projet de loi sur le droit de propriété des Premières nations

Actuellement, en vertu de la Loi sur les Indiens et de la LGTPN, les membres des Premières nations et les non-membres ne peuvent faire l’acquisition d’un intérêt en fief simple dans une terre de réserve. En vertu des deux régimes, c’est l’État qui détient le titre foncier légal; par conséquent, le bail demeure le plus important intérêt pouvant être proposé à un tiers à l’égard d’une terre de réserve.

Pour certains, l’inexistence d’un système de propriété en fief simple pour les réserves entrave la prospérité économique des Premières nations[160]. Les tenants du projet de loi sur le droit de propriété des Premières nations (LDPPN) font valoir que si l’on affermissait le régime de propriété foncière dans les réserves, on abolirait deux des principaux obstacles au développement économique des réserves : l’insécurité foncière et les coûts élevés des transactions inhérents au régime des droits de propriété de la Loi sur les Indiens[161].

En vertu de la LDPPN, une Première nation pourrait accorder des droits de propriété individuelle à ses membres, et ceux-ci pourraient ensuite les exploiter ou les vendre, en vue d’en tirer un avantage économique. Grâce à un système de type Torrens, en vigueur en Colombie-Britannique, les Premières nations disposeraient d’outils qui leur permettraient d’accéder au capital et de créer des marchés sur les terres de réserve. En réponse aux inquiétudes quant à l’intégrité de l’assise territoriale des Premières nations, qui pourrait être compromise par la vente de terrains par des particuliers à des développeurs ou autres parties, les tenants de la LDPPN font valoir que le titre sous-jacent ou les droits réversifs de l’assise territoriale demeurent la propriété de la Première nation, indifféremment du propriétaire des parcelles individuelles.

Le Comité reconnaît que cette initiative est critiquée par plusieurs Premières nations et observateurs, des arguments qui ont été repris par des témoins devant le Comité, car ils voient dans cette initiative un mécanisme d’aliénation des terres des Premières nations[162]. On craint que la privatisation, au lieu d’entraîner la prospérité économique, favorise plutôt l’érosion de l’assise territoriale des Premières nations par suite de la vente ou de la saisie de parcelles au profit de non-Autochtones.

Le Comité prend acte de ces inquiétudes, tout en estimant que la LDPPN est une réaction légitime à la frustration de plus en plus grande des Premières nations face au processus de gestion des terres de la Loi sur les Indiens, à l’ampleur de la pauvreté et aux possibilités de développement inexistantes dans les réserves. Toutefois, si le Comité considère que les Premières nations ne devraient pas être privées de l’éventail des droits de propriété dont jouissent d’autres Canadiens, des questions juridiques complexes doivent être abordées si l’on entend déposer cette initiative au Parlement, notamment[163] :

  • Comment procédera-t-on pour convertir les terres de réserve aux fins d’un régime de propriété en fief simple sans que la compétence provinciale ne s’exerce sur ces terres?
  • Quel régime législatif s’appliquera aux terres assujetties à la LDPPN et d’où le pouvoir législatif émanera-t-il?
  • Quelle sera l’incidence de la création de titres en fief simple sur les autres droits fonciers des Autochtones?
  • Comme procédera-t-on pour établir clairement les titres fonciers dans les réserves afin de les inscrire dans un système Torrens, dans un contexte où les conflits historiques abondent en ce qui a trait aux CP, aux terres familiales et aux limites des réserves?
  • Comment AADNC gérera-t-il ses ressources limitées en fonction d’un autre régime de gestion des terres? Quelle sera l’incidence sur les ressources de soutien aux régimes actuels de gestion des terres?

Selon ce que le Comité a observé, même si la sécurité foncière est essentielle à la sécurité économique, cette dernière ne réside pas nécessairement dans les titres individuels officiels. Dans bien des cas, un bail de longue durée, plutôt qu’un titre franc, s’avère moins risqué et plus utile pour les Premières nations, un constat qui se déduit du fait que les instruments de propriété existants, comme les CP, ne sont pas adoptés à grande échelle[164]. Par ailleurs, les communautés autochtones intéressées par le titre individuel en fief simple ou qui pourraient en tirer avantage pourraient être peu nombreuses, en raison de l’éloignement des marchés et des centres urbains et
semi-urbains.

Les tenants de la LDPPN posent comme premier postulat que la création de titres en fief simple contribuera au développement économique et à l’enrichissement des communautés des Premières nations. À ce propos, le Comité signale que l’essentiel du développement économique dans les réserves se déroule dans des terres appartenant à des bandes. Toutefois, les porte-parole de communautés telles que celle de la Première nation de Mashteuiatsh ont dit au Comité que le développement économique se heurtait au fait que la majeure partie de l’assise territoriale de la réserve est attribuée à des membres individuels de la bande qui détiennent des CP. Même si cela peut sembler contre-intuitif, les droits de propriété en fief simple n’amèneront pas nécessairement au développement économique des réserves. Au contraire, la création de la richesse peut dépendre d’une combinaison de facteurs, dont l’emplacement géographique, la stabilité et la transparence du cadre gouvernemental, la santé de l’économie régionale, les couloirs de transport et la disponibilité de l’infrastructure, en plus des titres individuels en
fief simple[165].

Au fond, le Comité est d’avis que les Premières nations devraient pouvoir déterminer elles-mêmes les arrangements en matière de propriété foncière qui conviennent le mieux à leurs communautés, selon leurs circonstances particulières, leurs aspirations et leurs perspectives de développement économique, y compris la propriété en fief simple. Toutefois, la proposition aura certainement des implications pour les gouvernements fédéral, provinciaux et des Premières nations. La LDPPN est intéressante en soi, mais si l’on veut que les Premières nations qui décident d’y souscrire le fassent de leur propre arbitre, elle doit faire l’objet d’études sérieuses et d’analyses indépendantes. C'est pourquoi le Comité recommande :

RECOMMANDATION 4

Que le gouvernement fédéral continue d’envisager des options grâce auxquelles les Premières nations établies dans les réserves pourraient tirer parti, de leur propre gré, de la propriété privée.

C. Accélérer le processus d’ajouts aux réserves

Pour bien des Premières nations, le développement économique est lié à l’élargissement de l’assise territoriale des réserves. Par conséquent, le processus en vertu duquel des terres sont « ajoutées » aux réserves ou « converties au statut de réserve » est particulièrement pertinent pour le Comité. Les avis au pays sont pratiquement unanimes : la Politique sur les ajouts aux réserves (AR) et les modalités connexes sont coûteuses, longues et fastidieuses. La plupart des témoins des Premières nations ont vivement critiqué les délais du processus d’ajout, expliquant que les démarches peuvent parfois prendre plusieurs années, ce qui entraîne des répercussions financières et économiques pour les Premières nations. Pour certains, le processus est « absurde », « laborieux » voire « horrible ».

De l’avis du Comité, cette situation est problématique, notamment parce que le processus d’AR est essentiel à l’élargissement des possibilités économiques des Premières nations; il permet à bon nombre d’entre elles de choisir des terres mieux situées pour des fins d’investissement et de développement. Actuellement, les terres choisies aux fins de la conversion sont assujetties à un processus alambiqué de révision et d’approbation en 12 étapes, qui vise à vérifier la conformité aux exigences juridiques et environnementales de base.

Le Comité croit que la politique d’AR du Ministère est difficile à consulter et renferme des étapes inutiles qui contribuent à prolonger les délais et créent de la confusion. S’il voit d’un bon œil la collaboration du Ministère avec l’Association nationale des gestionnaires des terres autochtones pour l’élaboration de la trousse à outils d’AR, dans le but d’aider les Premières nations à se familiariser avec les exigences de la politique, le Comité estime qu’une révision s’impose, la dernière version remontant à 2001. Cette démarche devrait entre autres avoir pour objectifs de cibler les secteurs où les délais de traitement pourraient être raccourcis et d’assouplir les modalités pour les terres considérées comme « prêtes à convertir » ou qui sont affranchies d’intérêts de tiers variés ou de responsabilités environnementales.

Le Comité estime par ailleurs que même si le processus d’AR est long, les délais dans certains cas ne sont pas nécessairement déraisonnables compte tenu de l’ampleur des projets. Parce que le gouvernement du Canada assume la responsabilité des terres converties en réserve, les critères fixés pour la création et l’expansion des réserves doivent être rigoureux. En outre, la recherche de titres, les évaluations environnementales et les remédiations, les relevés d’arpentage et les négociations éventuelles avec les tiers intéressés sont autant de démarches qui prennent beaucoup de temps et d’efforts.

Des représentants d’organismes municipaux ont dit au Comité que la politique actuelle n’offre pas suffisamment de chances aux municipalités de faire entendre leurs préoccupations lorsqu’elles n’appuient pas un processus d’AR. Ils ont indiqué que le gouvernement fédéral doit contribuer à l’amélioration des relations entre les Premières Nations et les municipalités visées lorsqu’une politique d’AR est à l’étude.

Le Comité est toutefois convaincu qu’il ne faut pas empêcher les Premières nations d’exploiter les possibilités économiques qui se dessinent sur les terres retenues et approuvées pour la création de réserves, peu importe le temps qu’il faut pour accorder à ces terres le statut de réserve. En particulier, le Comité croit que l’option qui s’offre actuellement aux Premières nations en vertu des lois d’application des ententes de revendications territoriales dans les Prairies, soit la désignation préalable des terres de réserve, devrait être élargie à l’ensemble des Premières nations. La capacité de désigner des intérêts sur les terres réservées pourrait avoir des retombées économiques importantes pour les Premières nations, car cela permettrait de reconnaître ces intérêts et les ententes de développement éventuelles avec des tiers, et de les activer dès que le statut de réserve serait accordé. Compte tenu de l’importance de l’expansion des réserves pour le mieux-être économique et social des Premières nations, prenant acte de la longueur des délais qui assortissent les diverses exigences juridiques et politiques du processus d’AR, le Comité recommande :

RECOMMANDATION 5

Que le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada, en collaboration avec les Premières nations et, s’il y a lieu, avec les administrations locales, étudie les propositions législatives qui visent à permettre la désignation préalable des terres de réserve choisies par les Premières nations;

Que le ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord Canada prenne immédiatement des mesures pour réviser la politique de 2001 sur les ajouts aux réserves afin de :

  • simplifier les modalités d’application,
  • raccourcir les délais,
  • donner suite aux préoccupations des intervenants.

POINT À APPROFONDIR

Au cours des audiences, des témoins ont mentionné au Comité que l’une des principales difficultés avait trait aux « problèmes légués » qui surgissent lorsque des intérêts particuliers sur des terres ne sont pas officiellement consignés ou reconnus légalement d’une manière ou d’une autre. On ne s’étonne donc pas que ces problèmes touchent les testaments et les successions des membres des Premières Nations, plus précisément lorsqu’il faut déterminer l’origine d’intérêts immobiliers sur des terres.

Si nous recommandons de clarifier les accords de propriété foncière sur les réserves en consignant officiellement les titres fonciers traditionnels et les systèmes d’enregistrement des titres fonciers, c’est pour régler certains des problèmes légués. Cependant, la multitude et la complexité des problèmes liés à l’administration des testaments et des successions dans les réserves qui touchent, entre autres, la gestion des terres, la citoyenneté, les biens matrimoniaux, la célébration des mariages et la gestion financière, débordent le cadre de la présente étude[166].

Le Comité n’a pu aborder directement la question des testaments et des successions dans ce rapport, mais il tient à signaler qu’il importe de régler cette question hautement prioritaire. Les litiges relatifs aux testaments et successions des membres des Premières Nations et qui touchent les terres de réserve peuvent durer plusieurs années avant de se régler et peuvent avoir de graves conséquences autant pour les membres que pour les communautés. Conscients de l’importance de cette question, les membres du Comité s’engagent à l’examiner plus à fond à une date ultérieure.

CONCLUSION

L’assise territoriale des réserves, déjà considérable et en pleine expansion, est synonyme pour les Premières nations d’importantes possibilités économiques. Si l’on veut déverrouiller ce potentiel et permettre aux Premières nations d’emprunter la voie de l’économie durable, il faut mettre à leur disposition des outils de gestion modernes
et efficaces. À mesure que les Premières nations cherchent à exploiter le potentiel économique de leurs terres, la frustration augmente, car les processus ne répondent ni aux besoins actuels, ni aux aspirations de croissance de ces communautés.

Le Comité reconnaît que, sans les outils et la capacité nécessaires pour bien gérer leur assise territoriale, les Premières nations continueront d’évoluer dans un contexte où les possibilités et la qualité de vie sont inutilement restreintes. Le Comité a écouté attentivement les préoccupations légitimes des Premières nations quant aux effets néfastes du régime de gestion des terres de la Loi sur les Indiens sur le développement économique, et il a formulé plusieurs recommandations en vue d’aider les Premières nations à réaliser leur souhait de gérer et de développer leurs terres plus efficacement.

En particulier, le Comité est d’avis qu’il faut s’attaquer sérieusement, en collaboration avec les Premières nations intéressées, à la modernisation du régime de propriété et d’enregistrement des terres prévu dans la Loi sur les Indiens. Outre le renforcement de la sécurité foncière, il importe d’envisager dès maintenant la mise au point d’un système efficient d’enregistrement des titres fonciers afin de maximiser la valeur et le potentiel économiques des terres de réserve, qu’elles appartiennent à la bande ou à des particuliers.

Compte tenu des restrictions et des processus bureaucratiques associés au régime de gestion des terres de réserve de la Loi sur les Indiens, le Comité estime qu’il faut soutenir, élargir et financer comme il se doit les mécanismes qui permettent aux Premières nations de se retirer des dispositions foncières de la Loi sur les Indiens et de gérer leurs terres de manière plus concurrentielle, ce que permet la Loi sur la gestion des terres des premières nations. Les Premières nations qui assumeront ainsi une plus grande responsabilité en ce qui a trait à leurs transactions foncières seront mieux placées pour mettre à profit la valeur économique de leurs terres. Enfin, si le Comité estime que la réforme de la propriété foncière passe par un éventail de mesures, il est d’avis que la gouvernance — un fondement législatif et réglementaire solide — et la capacité communautaire sont des éléments clés du développement économique durable des terres des Premières nations.


[154]         AADNC, mémoire au Comité, 24 novembre 2011.

[155]         Bureau du vérificateur général du Canada, Automne 2009 – Rapport de la vérificatrice générale du Canada, « Chapitre 6 – La gestion des terres et la protection de l’environnement dans les réserves », 2009.

[156]         Gouvernement du Canada, Règlement sur la destruction des déchets dans les réserves indiennes, C.R.C., ch. 960, article 14.

[157]         Chambre des communes, AANO, Témoignages, 1re session, 41e législature, 8 mars 2012 (Frank Barrett, directeur principal, Bureau du vérificateur général du Canada).

[158]         En vertu de l’Accord d’autonomie gouvernementale de la Première nation de Westbank, la Première nation peut lever les restrictions concernant la saisie de biens immobiliers et de biens personnels d’un Indien ou d’une bande qui sont situés sur la réserve.

[159]         Conseil national de développement économique des Autochtones, 2011 Pre-Budget Submission, janvier 2011.

[160]         Voir, par exemple, Thomas Flanagan, Christopher Alcantara et André Le Dressay, Beyond the Indian Act: Restoring Aboriginal Property Rights, McGill-Queens University Press, 2010. Pour plus de renseignements sur le projet de loi, voir le site Web intitulé Le droit de propriété des Premières nations.

[161]         Chambre des communes, AANO, Témoignages,1re session, 41législature, 7 février 2012 (Christopher Alcantara, professeur adjoint, Département de science politique, Université Wilfrid Laurier, à titre personnel).

[162]         Pour obtenir une critique de l’initiative proposée, voir Pamela D. Palmater, « Opportunity or Temptation? Plans for private property on reserves could cost First Nations their independence », Literary Review of Canada, avril 2010.

[163]         Heather Mahony et Murray Browne, The First Nations Property Ownership Initiative, and existing alternatives, Woodward and Company, 2011.

[164]         Dans leur étude de la gestion des terres dans les réserves des Premières nations, Marena Brinkhurst et Anka Kessler ont constaté que dans plus de la moitié des réserves, aucun particulier n’a la possession légale d’une terre (CP), et dans celles où c’est le cas, la majorité n’ont attribué qu’une faible proportion de leurs terres (moins de 5 %).

[165]         Heather Mahony et Murray Browne, The First Nations Property Ownership Initiative and existing alternatives.

[166]         Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique, Wills and Estates, Governance Toolkit. Ce document se trouve à l’adresse : http://www.bcafn.ca/toolkit/governance-bcafn-governance-tool-3.33.php.