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FAAE Rapport du Comité

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LES SURVIVANTS OUBLIÉS : LES ENFANTS ISSUS DES VIOLS COMMIS PENDANT LE GÉNOCIDE

Le gouvernement rwandais a institué de nombreux programmes conçus précisément pour aider les rescapés du génocide – notamment en leur donnant accès à des médicaments antirétroviraux pour combattre le VIH, ainsi qu’à des fonds et des programmes d’aide spéciaux pour traiter les problèmes de toxicomanie et d’alcoolisme. Par exemple, le gouvernement du Rwanda a créé le Fonds d’assistance aux rescapés du génocide, ou FARG, qui est un fonds national pour l’assistance aux victimes « les plus nécessiteuses du génocide et des massacres perpétrés » dans le pays[25]. Ce fonds permet d’offrir des bourses d’études et de dispenser gratuitement des soins médicaux aux victimes les plus nécessiteuses[26]. Cependant, les critères d’accessibilité à ces programmes excluent les quelque 20 000 enfants issus de viols commis pendant le génocide, parce que le gouvernement ne reconnaît pas ces enfants comme étant des survivants du génocide[27].

Le Sous‑comité a remarqué qu’à l’instar des programmes du gouvernement rwandais, les programmes d’aide internationaux et nationaux non gouvernementaux se sont aussi concentrés sur les besoins des survivantes et des orphelins, mais pas suffisamment sur ceux des enfants issus de viols perpétrés pendant le génocide.

A. Traumatismes psychologiques

De nombreuses victimes du génocide de 1994 – et notamment de viols – sont aux prises avec des problèmes de santé mentale et des handicaps psychosociaux causés par les expériences traumatiques qu’elles ont vécues. Mme Pisko-Dubienski a expliqué qu’une « femme dont l’enfant est issu d’un viol est probablement orpheline et gravement traumatisée d’avoir vu sa famille mourir devant elle […] [Ces femmes] souffrent de maladies mentales, comme la dépression, ou des troubles dissociatifs, un désordre hautement débilitant[28]. » Par conséquent, la capacité de ces femmes à élever leurs enfants – surtout ceux issus d’un viol commis pendant le génocide – est souvent compromise. Le Sous‑comité a appris que les cas d’infanticide, de tentative d’infanticide et d’abandon d’enfants nés de viols perpétrés pendant le génocide étaient courants dans les tout premiers mois qui ont suivi le génocide[29].

Beaucoup d’enfants issus de viols commis pendant le génocide sont confrontés à des formes multiples et complexes de rejet. Des témoins ont expliqué au Sous‑comité que ces enfants peuvent être, pour les mères, un rappel quotidien des traumatismes qu’elles ont subis. Les mères peuvent éprouver des sentiments de colère ou de honte qui les poussent à rejeter ces enfants. De plus, dans le cas du Rwanda, il est peu probable que les pères génocidaires participent à l’éducation de ces enfants, ce qui peut accentuer la vulnérabilité économique des mères et de leurs enfants[30].

Les enfants issus de viols perpétrés pendant le génocide peuvent aussi être rejetés par les membres survivants des familles des mères, qui les considèrent comme des étrangers. Les pères – auteurs d’actes génocidaires et d’autres atrocités – ont peut-être même participé à l’assassinat et au viol d’autres membres de la famille. C’est la raison pour laquelle les familles des mères peuvent être réticentes à inclure les enfants issus de ces viols dans les activités familiales ou à accorder à ces enfants le soutien de la famille élargie. Parfois, ces enfants sont aussi rejetés par d’autres survivants du génocide, qui ressentent à leur égard de la colère et du mépris, parce qu’ils sont les descendants des génocidaires. Le fait que l’État rwandais ne considère pas ces enfants comme des victimes du génocide peut exacerber l’exclusion familiale et sociale dont ils font l’objet[31].

Mme Pisko-Dubienski a expliqué que l’absence de soutien familial a des conséquences profondes, car les « enfants, peu importe leur âge, ont besoin d’un lien sécurisant avec une personne de confiance […] le foyer et la famille font une grande différence dans la capacité d’un enfant du viol de se remettre des marques que laisse le rejet[32] ». À cause d’un manque de soutien familial, social et gouvernemental adéquat, beaucoup d’enfants issus de viols perpétrés pendant le génocide se sentent « rejetés et mal aimés » et « souffrent de graves problèmes d’identité[33] ».

Les problèmes de santé mentale qui continuent d’affecter les victimes survivantes de viols commis pendant le génocide ainsi que leurs enfants – y compris les maladies mentales chroniques pouvant provoquer des incapacités psychosociales – ont des implications sur les obligations internationales du Rwanda en matière de respect des droits de la personne[34]. Le droit international en matière de droits de la personne exige le Rwanda soit tenu de continuer à progresser pour fournir à ces personnes les soins dont elles ont besoin afin de jouir pleinement de tous leurs droits fondamentaux et de faire partie intégrante de leur société.

Mme Pisko-Dubienski a insisté sur la nécessité d’adopter des stratégies holistiques et adaptées au contexte culturel qui favorisent des soins à long terme prodigués avec compassion, pour répondre aux besoins en santé mentale des enfants issus de viols perpétrés pendant le génocide. Elle a toutefois fait remarquer que le Rwanda ne dispose actuellement « que de six psychiatres, d’une ou deux infirmières en psychiatrie ou psychologues par district, et d’un seul hôpital possédant un département de psychologie clinique, [de sorte] que le pays n’a pas suffisamment de ressources pour répondre aux besoins de la population[35] ». Sue Montgomery, journaliste canadienne chevronnée dans la conduite d’entrevues auprès de victimes rescapées de violences sexuelles commises durant le génocide rwandais, était d’accord sur ce point, faisant remarquer qu’il « y a un réel besoin de soutien psychologique au Rwanda[36] ».

Les témoins ont reconnu que la psychologie clinique est quelque chose de nouveau au Rwanda, et qu’on s’efforce d’améliorer l’accès à ce type de soins. Par exemple, le gouvernement rwandais a mis en œuvre des programmes et créé des installations pour venir en aide aux personnes atteintes d’une maladie mentale ou d’un handicap psychosocial, et il s’est engagé à faire construire le premier centre de soins destinés aux victimes de violences sexistes en Afrique de l’Est[37]. Par ailleurs, le Sous‑comité a appris que les organisations non gouvernementales locales jouent un rôle très utile en aidant les mères qui ont survécu à des sévices sexuels ainsi que leurs enfants issus de viols commis pendant le génocide à gérer leurs traumatismes et à occuper pleinement la place qui leur revient dans la société[38]. Le Sous‑comité est d’avis que ces organisations devraient être soutenues et encouragées dans le travail qu’elles accomplissent. Quoi qu’il en soit, il reste encore beaucoup à faire pour s’assurer que les enfants nés de viols commis durant le génocide bénéficient d’un accès adéquat à des soins professionnels en santé mentale et du soutien de la communauté.

B. Accès à l’éducation

Plusieurs témoins ont souligné l’importance que le gouvernement du Rwanda accorde à l’éducation – dans un pays où plus de 60 % de la population a moins de 25 ans – mais ont fait observer que l’accès à l’éducation n’est pas encore universel, particulièrement au niveau de l’enseignement secondaire, professionnel et supérieur[39]. Les témoins ont fait valoir que l’accès à l’éducation permet aux enfants d’avoir de meilleures perspectives économiques et de protéger les jeunes contre les risques de dépendance aux drogues ou à l’alcool. De plus, l’accès à l’éducation permet aux jeunes de se développer pour faire partie intégrante de leur communauté et participer à la vie publique et politique en général[40]. Le Sous‑comité a recueilli le témoignage de Moses Gashirabake, qui était enfant lorsque sa famille a échappé au génocide en allant se réfugier au Kenya, avant d’immigrer au Canada. L’expérience personnelle de M. Gashirabake a permis de bien faire comprendre au Sous‑comité toute l’importance du rôle de l’éducation et du soutien familial dans l’amélioration de la situation socioéconomique des rescapés du génocide[41].

Comme on l’a dit précédemment, les enfants issus de viols commis durant le génocide vivent souvent dans la pauvreté et sont aux prises avec des problèmes de santé mentale, de sorte qu’ils peuvent avoir de la difficulté à atteindre des niveaux de scolarité supérieurs. Il existe des initiatives, comme le FARG, pour aider les rescapés à accéder plus facilement à des programmes d’éducation et de formation professionnelle, mais les enfants issus de viols commis pendant le génocide ne sont pas admissibles pour en bénéficier[42].

Le Sous‑comité constate que le droit international en matière de droits de la personne reconnaît l’éducation comme étant un droit fondamental et un moyen indispensable d’exercer d’autres droits, comme celui de vivre dans la dignité et de jouer un rôle utile dans une société libre[43]. Il est d’accord avec les témoins qui ont plaidé en faveur du déploiement d’efforts supplémentaires requis pour favoriser l’accès à l’éducation – notamment à la formation professionnelle et aux études postsecondaires – afin de mettre un terme à la crise que traversent actuellement les enfants nés de viols perpétrés pendant le génocide rwandais[44].

C. Considérer les enfants issus de viols commis durant le génocide comme des victimes et des rescapés du génocide

Le Sous‑comité rappelle que le gouvernement du Rwanda ne reconnaît pas les enfants issus de viols commis pendant le génocide comme des survivants du génocide. Cela fait en sorte que ces enfants ne peuvent profiter des prestations et des programmes d’aide qu’offre le gouvernement aux rescapés du génocide. Le Sous‑comité presse donc le gouvernement rwandais de reconsidérer sa position à l’égard des enfants issus de viols perpétrés pendant le génocide.

Jean-Bosco Iyakaremye, membre de l’Association Humura, un groupe de rescapés du génocide rwandais, a déclaré devant le Sous‑comité qu’il était

outré du fait que le gouvernement rejette ces enfants et ne les considère pas comme des survivants du génocide. Ils sont nés après le génocide, soit, mais leurs mères en sont des survivantes. Ils devraient par conséquent être considérés comme des survivants du génocide et ne plus être rejetés par l’État. Ils devraient bénéficier des mêmes avantages que ceux accordés aux jeunes survivants du génocide, notamment en matière d’éducation[45].

Le Sous‑comité convient que ces enfants sont des victimes du génocide. En raison du viol de leur mère, ils ont subi des préjudices, qui se manifestent souvent par des troubles mentaux, des souffrances émotionnelles, un accès limité à l’éducation et des perspectives économiques amoindries. Les normes internationales en matière de droits de la personne reconnaissent que, dans certains cas, il est approprié de considérer les personnes qui sont à la charge de ces victimes directes comme des victimes elles aussi. De ce fait, elles devraient pouvoir profiter des mesures de réparation pour les torts subis, notamment de soins psychologiques et des opportunités d’éducation et de formation professionnelle[46].

Le Sous‑comité croit que le fait de considérer les enfants issus de viols commis pendant le génocide comme des victimes du génocide et de leur donner accès aux fonds et autres avantages destinés aux rescapés, comme le FARG, faciliterait leur pleine intégration dans la société rwandaise et leur participation à cette société. Le Sous‑comité exhorte donc les intervenants gouvernementaux et non gouvernementaux du Rwanda, la diaspora rwandaise et la communauté internationale dans son ensemble à redoubler d’efforts pour répondre aux besoins de ce groupe vulnérable en matière de santé mentale et d’éducation.


[26]      République du Rwanda, Welcome to the Official website of FARG [en anglais seulement].

[27]      SDIR, Témoignages, réunion no 44, 2e session, 41e législature, 20 novembre 2014 (Jacques Rwirangira); SDIR, Témoignages, réunion no 47, 2e session, 41e législature, 2 décembre 2014 (Glenda Pisko-Dubienski); SDIR, Témoignages, réunion no 50, 2e session, 41e législature, 11 décembre 2014 (Jean‑Bosco Iyakaremye); SDIR, Témoignages, réunion no 51, 2e session, 41e législature, 27 janvier 2015 (Sue Montgomery).

[28]      SDIR, Témoignages, ibid. (Pisko-Dubienski).

[29]      SDIR, Témoignages, réunion no 44, 2e session, 41e législature, 20 novembre 2014 (Jacques Rwirangira); SDIR, Témoignages, ibid. (Pisko-Dubienski); SDIR, Témoignages, réunion no 50, 2e session, 41e législature, 11 décembre 2014 (Jean‑Bosco Iyakaremye).

[30]      SDIR, Témoignages, ibid. (Pisko-Dubienski); SDIR, Témoignages, ibid. (Iyakaremye); SDIR, Témoignages, réunion no 51, 2e session, 41e législature, 27 janvier 2015 (Sue Montgomery).

[31]      SDIR, Témoignages, réunion no 44, 2e session, 41e législature, 20 novembre 2014 (Jacques Rwirangira); SDIR, Témoignages, ibid. (Pisko-Dubienski); SDIR, Témoignages, ibid. (Iyakaremye); SDIR, Témoignages, ibid. (Montgomery).

[32]      SDIR, Témoignages, ibid. (Pisko-Dubienski).

[33]      SDIR, Témoignages, ibid.

[34]      Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIRDESC), art. 12; Convention contre la torture (CCT), art. 14; Convention relative aux droits des personnes handicapées (CRPDH), art. 6, 7, 16 et 19; Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale No 14 (2000), Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint (art. 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), Conseil économique et social, Doc. E/C.12/2000/4, 11 août 2000. Le Canada et le Rwanda ont tous deux ratifié le PIRDESC, la CCT et la CRPDH, qui renferment des obligations juridiquement contraignantes au sens du droit international. En revanche, l’avis d’expert du Comité des droits économiques, sociaux et culturels n’est pas juridiquement contraignant. Le Comité en question se compose de 18 experts indépendants, élus par les États membres du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC), qui siègent à titre personnel. Il a été créé en 1985, selon la Résolution ECOSOC 1985/17, et a pour mandat de s’assurer du respect par les États de leurs obligations en vertu du PIRDESC et de faire des recommandations d’ordre général concernant les droits reconnus par le Pacte (Résolution ECOSOC 1985/17; PIRDESC, art. 16 à 23).

[35]      SDIR, Témoignages, réunion no 47, 2e session, 41e législature, 2 décembre 2014 (Glenda Pisko-Dubienski). Voir aussi SDIR, Témoignages, réunion no 51, 2e session, 41e législature, 27 janvier 2015 (Sue Montgomery).

[36]      SDIR, Témoignages, ibid. (Montgomery).

[37]      SDIR, Témoignages, réunion no 42, 2e session, 41e législature, 4 novembre 2014 (Kenneth Neufeld, directeur général, Bureau de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement [MAECD]); SDIR, Témoignages, réunion no 47, 2e session, 41e législature, 2 décembre 2014 (Glenda Pisko-Dubienski); SDIR, Témoignages, ibid. (Montgomery).

[38]      SDIR, Témoignages, ibid. (Pisko-Dubienski); SDIR, Témoignages, ibid. (Montgomery).

[39]      SDIR, Témoignages, ibid. (Pisko-Dubienski); Agence centrale de renseignement des États‑Unis (CIA), « Rwanda: People and Society », The World Factbook [en anglais seulement].

[40]      SDIR, Témoignages, ibid. (Pisko-Dubienski); SDIR, Témoignages, réunion no 48, 2e session, 41e législature, 4 décembre 2014 (Moses Gashirabake, candidat, Faculté de droit de l’Université McGill, à titre personnel); SDIR, Témoignages, réunion no 51, 2e session, 41e législature, 27 janvier 2015 (Sue Montgomery). Voir aussi Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale 13 : Le droit à l’éducation (art. 13 du Pacte), Conseil Économique et social, Doc. E/C.12/1999/10, 8 décembre 1999, par. 1. L’avis d’expert du Comité des droits économiques, sociaux et culturels n’est pas exécutoire au sens du droit international.

[41]      SDIR, Témoignages, ibid. (Gashirabake).

[42]      SDIR, Témoignages, réunion no 44, 2e session, 41e législature, 20 novembre 2014 (Jacques Rwirangira); SDIR, Témoignages, réunion no 47, 2e session, 41e législature, 2 décembre 2014 (Glenda Pisko-Dubienski); SDIR, Témoignages, réunion no 50, 2e session, 41e législature, 11 décembre 2014 (Jean‑Bosco Iyakaremye); SDIR, Témoignages, réunion no 51, 2e session, 41e législature, 27 janvier 2015 (Sue Montgomery).

[43]      PIRDESC, art. 13; Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale 13 : Le droit à l’éducation (art. 13 du Pacte), Conseil Économique et social, 8 décembre 1999, UN Doc. E/C.12/1999/10. L’article 13 du PIRDESC est juridiquement contraignant pour le Canada et le Rwanda, au sens du droit international. En revanche, l’avis d’expert du Comité des droits économiques, sociaux et culturels n’est pas exécutoire en droit international.

[44]      SDIR, Témoignages, réunion no 47, 2e session, 41e législature, 2 décembre 2014 (Glenda Pisko-Dubienski); SDIR, Témoignages, réunion no 48, 2e session, 41e législature, 4 décembre 2014 (Moses Gashirabake); SDIR, Témoignages, réunion no 50, 2e session, 41e législature, 11 décembre 2014 (Jean‑Bosco Iyakaremye); SDIR, Témoignages, réunion no 51, 2e session, 41e législature, 27 janvier 2015 (Sue Montgomery).

[45]      SDIR, Témoignages, ibid(Iyakaremye).

[46]      Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire, 60/147 Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 16 décembre 2005, principes V, IX. Les principes fondamentaux ne sont pas exécutoires en droit international.