Le
présent chapitre porte sur les facteurs qui rendent les femmes et les filles autochtones
plus vulnérables à la violence. Mais surtout, il
indique ce qui doit être fait pour mettre fin à cette violence.
Les causes profondes de la
violence contre les femmes et les filles autochtones sont variées, complexes et étroitement liées. Une bonne partie des facteurs que le
Comité a entendus ont déjà été mis en lumière dans d’autres rapports : la
violence familiale, la traite de personnes, la toxicomanie, la prostitution, la
pauvreté, le manque de logement et les mauvaises conditions de vie, le manque
de services de prévention tels que des services de santé mentale, et les
séquelles durables laissées par les pensionnats indiens. En fait, tout au long
de l’étude, les témoins ont souligné que la violence contre les femmes
autochtones était loin d’être un problème méconnu.
Certains ont affirmé que les recherches avaient révélé tout ce qui pouvait être
appris sur le sujet[37]. Bien que nous n’analyserons
pas en profondeur les facteurs sociaux et historiques qui rendent les femmes
autochtones plus vulnérables à la violence, il convient de souligner certains
facteurs clés.
La prévention de la violence
contre les femmes et les filles autochtones exige de prendre conscience de ces
causes profondes et de conjuguer les efforts destinés à les résoudre. Pour
cela, il faut l’engagement et la détermination des Autochtones et des non‑Autochtones,
comme l’a fait remarquer le commissaire adjoint Kevin Brosseau, de la GRC :
[L]es causes profondes [...] qui mènent à la
violence sont complexes et touchent à divers secteurs et [...] il est
nécessaire que nous travaillions côte à côte et main dans la main pour les
régler[38].
L’héritage des pensionnats
indiens ainsi que le retrait massif des enfants autochtones de leurs familles
par le système de protection de l’enfance, dans les années 1960, ont
provoqué la rupture des liens familiaux et communautaires chez de nombreux
Autochtones. Cette rupture est la source de problèmes divers, dont la violence
et la toxicomanie. Plusieurs personnes en ont fait état dans leur
témoignage :
Même si je n’ai moi‑même pas fréquenté de
pensionnat, que ma génération n’est pas passée par là, je dois vous dire avec
tristesse que nous sommes toujours touchés par ce qui s’est passé là‑bas.
Je ne vous raconterai pas mon histoire personnelle, mais cela fait partie de l’histoire
de tout le monde au Canada, de toutes les femmes autochtones, métisses ou
inuites de notre génération, puisque nous souffrons toujours des conséquences
de cette époque[39] .
Je crois que les histoires que vous allez entendre
aujourd’hui découlent directement de la façon dont le pays a traité les
Autochtones dès le départ. L’effet domino des pensionnats, de l’éclatement de
nos familles ont eu des répercussions phénoménales sur nous tous[40].
Si certaines collectivités
des Premières Nations profitent du développement économique, de nombreuses
autres sont affligées par la pauvreté. Par exemple, Mary Teegee,
directrice générale, Aide à l’enfance et à la famille, Carrier Sekani Family
Services, a parlé de sa collectivité du Nord de la Colombie‑Britannique,
où le taux de chômage atteint 90 %. Elle a ajouté : « Nous
savons que c’est une cause première de la violence ». Jeffrey Cyr,
directeur général de l’Association nationale des centres d’amitié, a indiqué,
pour sa part :
[L]a pauvreté et l'exclusion sociale chez les
Autochtones vivant dans les villes canadiennes sont des problèmes très graves
qui ont des répercussions sur la vie quotidienne de milliers d'enfants, de
jeunes et de mères de familles monoparentales [...] De surcroît, la
pauvreté et l'exclusion sont liées à la violence qui sévit dans nos
collectivités[41].
Diane Redsky a aussi discuté
du lien entre la pauvreté et la violence lors de sa comparution,
soulignant :
Comme vous le savez, il existe une corrélation
importante entre la pauvreté et la violence faite aux femmes. Chez les femmes
autochtones, c’est-à-dire les femmes des Premières Nations, les Métisses et les
Inuites, le taux de pauvreté est de 36 %. C’est un taux beaucoup plus
élevé que la moyenne de 9 % chez l’ensemble des Canadiens[42].
Le niveau élevé de pauvreté,
jumelé au problème du logement, limite les options offertes aux femmes victimes
de violence. Il arrive que des femmes soient forcées de rester avec un conjoint
violent parce qu’elles n’ont nulle part où aller. Le Comité a appris que
certaines femmes qui quittent leur collectivité ou un ménage où règne la
violence finissent par échouer dans l’itinérance ou le commerce du sexe. Irene
Goodwin, de l’AFAC, a rappelé à cet égard :
[B]eaucoup de difficultés socio‑économiques
peuvent compromettre leur sécurité et leur bien‑être et accroître leur
risque d’être victimes d’exploitation sexuelle, de la traite de personnes ou d’actes
violents qui pourraient causer leur disparition ou leur mort[43].
Dans la même veine, Marie
Sutherland a noté ce qui suit :
Elles ont vécu des situations de violence dans la
réserve, où aucune aide ne leur est offerte; elles choisissent donc de partir
pour trouver un endroit sécuritaire. Elles rencontrent un homme qui est très
gentil avec elles. Peu de temps après, elles consomment des drogues, de
l’alcool, elles sont violées et battues[44].
Le Comité a appris que la Loi
sur les foyers familiaux situés dans les réserves et les droits ou intérêts
matrimoniaux, qui est entrée en vigueur en décembre 2013, aura pour
effet de renforcer les droits et les mesures de protection dont jouissent les
femmes autochtones en cas de conflit familial. Mary Ellen Turpel‑Lafond,
représentante de Representative for Children and Youth pour la Colombie‑Britannique,
a fait remarquer :
Quand cette loi — qui s'est longtemps fait
attendre — a été promulguée en décembre, j'ai vraiment eu l'impression
qu'elle créerait un nouveau recours ou qu'elle clarifierait un recours, c'est‑à‑dire
une ordonnance conservatoire pouvant être obtenue en vertu de la loi et
exécutée sur une réserve afin de permettre aux femmes et aux enfants de
demeurer dans leur maison, même s'ils ne sont pas, par exemple, titulaires d'un
certificat de possession de la propriété ou d'un billet de location délivré par
le système de gestion des terres des réserves de la Loi sur les Indiens.
Cette loi [est] importante[45].
Le racisme contribue à
rendre les femmes autochtones vulnérables à la violence. Il se fait sentir dans
la prestation des services qui sont censés les aider; il se fait
sentir — de façon intentionnelle ou non — dans les mentalités et les attentes
des fournisseurs de services; et il se fait sentir dans la réaction des collectivités
aux incidents violents.
Des témoins ont dépeint la
dure réalité d’une société qui minimise l’expérience des femmes autochtones
assassinées et disparues :
Deux filles sont portées disparues depuis 2008;
elles n’ont toujours pas été retrouvées.
Il y a deux ans, nous avons perdu un petit bébé lion dans la réserve. Nous
avions une équipe de recherche. Nous avions des policiers. Nous avions des
hélicoptères.
Nous avions des gardes‑chasses. Nous avions de tout, mais lorsque deux
humains ont été portés disparus, nous n’avions rien. Il n’y avait pas de
chiens, pas d’équipe de recherche, pas de policiers, pas de médias. Que faisons‑nous
lorsque cela survient?
À qui nous adressons‑nous[46]?
En deux occasions séparées, en 1994, deux jeunes
autochtones de 15 ans, Roxanna Thiara et Alishia Germaine, ont été
trouvées assassinées à Prince George. Le corps d’une troisième jeune
autochtone de 15 ans, Ramona Wilson, disparue la même année, a été trouvé à
Smithers, dans le centre de la Colombie-Britannique, en avril 1995.
Ce n’est qu’en 2002, après la disparition d’une femme non-autochtone de 26 ans,
Nicola Hoar, pendant qu’elle faisait du stop le long de la route qui relie
Prince George à Smithers, que tous les médias du Canada se sont intéressés à
cette histoire. Le nom de cette jeune femme a été inscrit à la liste des
meurtres irrésolus et des autres disparitions le long de ce qu’on a appelé l’Autoroute
des pleurs. Mais qu’en est-il des autres jeunes filles autochtones[47]?
Des témoins ont laissé
entendre que les familles ne sont parfois pas prises au sérieux en raison de
stéréotypes de nature raciale. Il en résulte de la méfiance entre les
Autochtones et les responsables des services de soutien. Décrivant l’expérience
que sa famille a vécue après avoir signalé la disparition de sa mère Marie Jean
Saint Saveur, en 1987, en Alberta, Lorna Martin, a dit au Comité :
Une des premières questions qu’a posées la GRC à
ma sœur était de savoir si elle [ma mère] buvait. Arlene ne pouvait pas le
nier. Elle n’a pas menti; elle a dit que oui.
L’agent a ajouté : « Ces gens‑là, ils se paient une cuite
pendant deux ou trois jours et ensuite ils reviennent. » [...] Lorsqu’on
est rongé par l’anxiété, lorsqu’on a mal, c’est comme un coup de pied dans le
ventre ou à la tête lorsqu’on demande de l’aide et qu’on se fait répondre de la
sorte. Dès cet instant, toutes les possibilités de se faire confiance, toutes
les lignes de communication sont... Il y a tout de suite un obstacle. Il n’y a
pas d’aide à recevoir là. Les agents ont dit que notre mère était une Indienne
saoule[48].
Certains témoins ont dit
que, selon eux, la présence d’un racisme latent explique pourquoi si peu est
fait pour régler le niveau élevé de violence dont sont victimes les femmes
autochtones :
[J]e dirai que le racisme est toujours un fléau
dans notre société. Il est toujours responsable, en grande partie, de l’inaction
à laquelle nous sommes tous confrontés en ce moment. Je crois que nous avons
hérité d’une tradition de violence et de racisme qui vient de la colonisation
et des pensionnats indiens, car ces façons de penser existent toujours aujourd’hui.
En tant que travailleuse de première ligne depuis plus de 30 ans, je peux
affirmer que je constate encore que mes sœurs des Premières Nations sont traitées différemment et avec moins
de respect qu’elles le méritent[49].
Le Comité est d’avis que
nous avons tous la responsabilité de prendre conscience des attitudes racistes
qui continuent de rendre les femmes et les filles autochtones plus vulnérables
à la violence, et de lutter contre de telles attitudes.
Des témoins ont dit au
Comité que :
- les services adaptés culturellement aux femmes
autochtones en milieu urbain sont insuffisants;
- bien que davantage marginalisées, de nombreuses
Autochtones vivent dans des collectivités rurales et éloignées où il n’y a pas
de services;
- des personnes sont laissées pour compte à cause
d’obstacles liés aux sphères de compétence des différentes administrations;
- marqués collectivement par le régime de
pensionnats, les Autochtones éprouvent une grande méfiance à l’égard des
organismes de protection de l’enfance et des forces de l’ordre.
Pour ces raisons, les femmes
et les filles autochtones pourraient ne pas bénéficier des services de prévention
que justifierait leur grande vulnérabilité à la violence.
Les conclusions du Comité
concordent avec celles qui sont exposées dans certains documents au sujet des
systèmes et des services dont sont privées les femmes et les filles
autochtones, d’où leur vulnérabilité accrue à la violence. Les membres du
Comité et les témoins sont d’avis que la situation est bien connue et qu’elle a
été largement signalée. Par exemple, on sait fort bien que des services de
prévention sont nécessaires. En 2011, le gouvernement de la
Colombie-Britannique a produit un document qui résume les principaux thèmes
traités dans la littérature au sujet des causes profondes et de la
vulnérabilité conduisant à la violence envers les femmes autochtones. Il y est
indiqué :
À cause de l’absence de services communautaires
adaptés à la culture, en particulier dans les collectivités rurales et
éloignées, les femmes ont du mal à s’extirper de relations violentes et à
chercher l’aide nécessaire pour se rétablir ainsi que pour acquérir de l’indépendance.
Les hommes violents subissent tout autant le même manque de ressources et de
services de soutien que leurs victimes. La méfiance envers les organismes de
protection de l’enfance et envers le système de justice fait que les femmes
autochtones hésitent à signaler les cas de violence familiale et à recourir aux
services juridiques. Au manque de services s’ajoute le manque d’intégration et
de coordination entre les bailleurs de fonds et les fournisseurs de services.
Dans la littérature, on attire l’attention sur les aspects complexes des divers
champs de compétence qui empêchent la prestation de services intégrés[50].
Des témoins ont fait état du
manque de coordination des services entre les différents ordres de
gouvernement. Ils ont rappelé au Comité le principe de Jordan, adopté à l’unanimité
par la Chambre des communes en 2007. Nommé en mémoire de Jordan River Anderson,
décédé pendant que les gouvernements argumentaient à savoir lequel devrait
payer les frais de soins à domicile, ce principe fait en sorte que « les
enfants des Premières Nations reçoivent sans tarder les services de santé et
sociaux dont ils ont besoin, et ce, en dépit des mésententes entre les
gouvernements fédéral et provincial au sujet du financement des soins[51] ». Au sujet de l’application du principe de Jordan, la représentante des
enfants et des jeunes de la Colombie-Britannique, a dit
au Comité :
[…] sur le terrain, ce principe tient plus de la
théorie que de la pratique. Les filles se retrouvent souvent dans une situation
où tout le monde a apparemment une responsabilité, mais personne n’est là pour
intervenir. Il faut que les gens prennent leurs responsabilités[52].
Le
Comité a reçu des éléments d’information convaincants au sujet de la nécessité
d’investir dans les services offerts aux enfants autochtones et de combler les
lacunes dans le système de protection de l’enfance. Cindy Blackstock,
directrice, First Nations Child and Family Caring Society of Canada, a rappelé
au Comité ce qui suit :
L’éducation et les services de protection de l’enfance
sont de compétence provinciale, mais les 163 000 enfants des Premières Nations
relèvent de la compétence directe du gouvernement fédéral[53].»
Le Comité a appris que, à de
nombreux égards, le système de protection de l’enfance des Premières Nations ne
remplissait pas sa mission et continuait de rendre les enfants des Premières
Nations plus vulnérables. On nous a dit, entre autres,
- Les services de protection de l’enfance des
Premières Nations sont sous-financés comparativement aux services équivalents offerts dans les provinces.
- Il arrive que des femmes se privent de services
de soutien (par exemple appeler la police, aller dans un refuge) de crainte de
voir leurs enfants appréhendés.
- Les jeunes femmes qui ont reçu des soins dans le
système de protection de l’enfance risquent davantage d’adopter des
comportements à risque, qui les exposent à la violence.
- Il arrive souvent que des enfants soient pris en
charge par les services à l’enfance et à la famille non pas parce qu’ils sont
victimes de violence, mais plutôt parce que leurs familles sont impuissantes à
subvenir à leurs besoins de base, par exemple leur offrir un logement adéquat.
On
a dit au Comité que : « Affaires
autochtones et Développement du Nord Canada a considérablement augmenté le
financement pour les services à l’enfance et à la famille des Premières Nations
au cours des 16 dernières années — ce financement est passé de 193 millions de
dollars durant l’exercice 1996‑1997 à environ 618 millions de dollars
durant celui de 2012–2013[54]. »
Par
ailleurs, d’autres fonds sont affectés à une approche axée sur la prévention
pour la protection de l’enfance, qui est mise en œuvre dans six provinces. Le
Comité a appris qu’« [e]n vertu des six
cadres de travail tripartites actuels, un financement annuel supplémentaire de
plus de 100 millions de dollars sera consacré à la mise en œuvre de la nouvelle
stratégie[55] ».
Malgré cette augmentation,
les Premières Nations soutiennent qu’elles n’ont toujours pas le niveau de
financement qui leur permettra d’accomplir le travail de prévention, lequel est
un aspect fondamental des régimes provinciaux de protection de l’enfance.
L’accès à une éducation
primaire et secondaire de qualité et à un milieu d’apprentissage sûr est un
autre facteur clé qui, de l’avis des témoins, renforce la capacité des collectivités
autochtones de prévenir la violence contre les femmes et les filles. Mme Turpel‑Lafond
s’est réjouie, à ce sujet, des investissements en éducation prévus par le
budget de 2014 :
Il ne fait aucun doute que l'investissement en
éducation [du budget de 2014] est très important, et à mesure que ce dossier
progresse à l'échelon fédéral, il faudrait qu'on puisse en arriver à une
entente globale et instaurer un instrument législatif par l'entremise du
Parlement du Canada, afin de nous permettre d'établir une assise plus solide à
cet égard et assurer une meilleure reddition de comptes sur les résultats,
particulièrement au sujet des filles. Je crois que cela sera formidable et que
cet investissement substantiel ne s'est que trop fait attendre.Tout le monde
accueillera cette initiative à bras ouverts[56].
Quand il est question d’éducation
et de prévention, il importe d’établir une distinction entre la violence faite
aux femmes et aux filles autochtones par des membres de leurs collectivités et
la violence qui leur est infligée par des étrangers. L’une nécessite des
mesures d’éducation et de sensibilisation au sein des collectivités
autochtones, tandis que l’autre exige des mesures d’éducation et de
sensibilisation accrue dans la collectivité en général. Toutes ces mesures sont
nécessaires.
Nous avons vu de quelle
façon le racisme a pour effet d’accroître la vulnérabilité des femmes
autochtones à la violence. Au début du présent chapitre, nous avons expliqué
que la violence envers les femmes autochtones ne soulève pas autant d’indignation
dans la population que la violence exercée envers les femmes non autochtones. C’est
pourquoi des mesures de sensibilisation et d’éducation doivent être orientées
vers la collectivité non autochtone et vers la collectivité autochtone, sinon
les femmes autochtones continueront de passer inaperçues et d’être vulnérables
à la violence. Il faut que les Canadiens saisissent mieux la réalité des
Autochtones, prennent sur eux d’améliorer les relations avec leurs voisins
autochtones et en viennent à comprendre de quelle façon ils sont plus exposés à
la violence à cause d’idées préconçues. Il faut donc mettre en œuvre davantage
de programmes et de services adaptés à la culture dans nos collectivités; il
faut également que les fournisseurs de services reçoivent une formation qui
tient compte
des facettes culturelles. Le Comité a appris qu’il existe des outils créés à
cet effet.
Par exemple, l’AFAC a élaboré un guide des ressources communautaires afin de
sensibiliser la population à la problématique :
Un large éventail de personnes utilisent
certainement ces outils et ces ressources. Lorsque nous avons rédigé nos
rapports et que nous avons examiné le nombre de personnes qui s’en servaient,
nous avons été surpris par les différentes utilisations.
Par exemple, la GRC utilise ces outils et ces ressources pour former leurs
cadets, et il y a aussi des éducateurs — c’est‑à-dire des enseignants au
secondaire et dans les écoles publiques — qui utilisent ces ressources pour
informer leurs élèves, en particulier dans le domaine des études autochtones. Les
services aux victimes utilisent également ces outils. Tout le monde les utilise
de façon différente. Il s’agit donc d’une énorme ressource qui offre beaucoup
de contenu supplémentaire[57].
Des témoins ont également
dit au Comité que les hommes ont un rôle important à jouer dans la prévention
de la violence envers les femmes. Les collectivités autochtones jouent un rôle
prépondérant en préconisant l’adoption d’une approche globale en matière de
lutte contre la violence, une approche qui, par exemple, fait participer les
hommes à la recherche de solutions. Tracy Porteous, directrice générale, Ending
Violence Association de la Colombie-Britannique, a exposé une pratique
exemplaire selon laquelle des hommes sensibilisent d’autres hommes au préjudice
de la violence :
Ce programme, « Be More Than a Bystander:
Break the Silence on Violence Against Women », c’est-à-dire « Soyez
plus qu’un simple témoin : rompez le silence qui entoure la violence à l’égard
des femmes », demande aux joueurs de football des Lions de la
C.-B. de parler aux jeunes hommes dans les écoles secondaires de la province.
Ils font aussi des messages d’intérêt public en notre nom à la télévision et à
la radio pour convaincre la grande majorité des hommes qui ne commettent pas d’actes
de violence de commencer à parler à ceux qui le font. Après 31 années dans le
domaine, c’est mon programme préféré. Les femmes peuvent parler à des groupes
jusqu’à en tomber d’épuisement, comme nombre d’entre nous l’ont fait, mais les
hommes n’écoutent pas les femmes. Ils écoutent les hommes[58].
Le Comité a appris que, dans
certaines collectivités autochtones, on accepte l’idée que la violence faite
aux femmes est normale et fait partie de la vie; des efforts s’imposent pour
changer cette mentalité tant chez les hommes que chez les femmes. Des témoins ont dit au Comité :
Autrefois, on acceptait que les femmes soient
traitées de la sorte, qu’elles fassent l’objet de maltraitances physiques et de
sévices sexuels et tout ce qui vient avec. Dans ma collectivité, on avait
adopté l’attitude voulant que la faute incombait aux femmes. C’est là un des
éléments essentiels sur lequel doivent travailler toutes les collectivités[59].
Parmi les facteurs de risque qui ont été cernés,
il y a la normalisation continue de la violence, qu’il s’agisse de la violence
sexuelle envers les enfants, de la violence familiale ou simplement de la
violence en général. C’est quelque chose de banal. Les gens grandissent en
considérant que cela fait partie de la vie. Par conséquent, il est facile d’adopter
le rôle de victime ou d’agresseurs[60].
On a également fait savoir
au Comité qu’il importe que les activités de sensibilisation et d’éducation des
Autochtones soient conçues par des Autochtones :
En tant que femmes au sein de nos collectivités, c’est
à nous de voir à ce que les comportements changent et pour y arriver, il faut
beaucoup de programmes de prévention, beaucoup d’éducation, mais c’est nous qui
prenons l’initiative, nous les femmes de la collectivité[61].
Il
existe un certain nombre de pratiques prometteuses établies un peu partout au
pays pour lutter contre la violence faite aux femmes autochtones, mais il reste
tant à faire pour épauler les femmes et les hommes autochtones dans leur
travail de sensibilisation, d’éducation et de prévention.
Les collectivités autochtones reconnaissent le
rôle qu'elles jouent et elles prennent des mesures. Deux programmes
particuliers de centres d'amitié abordent la violence faite aux femmes autochtones.
D'une part, il y a la Moosehide Campaign. Dans le cadre de cette campagne, les
hommes portent un petit carré de cuir d'orignal qui symbolise leur engagement à
lutter contre la violence faite aux femmes et aux enfants autochtones[62].
- L’Alberta First Nations Regional Board for Family Violence
Prevention offre un exemple de prévention et de partenariat. Cet organisme gère
les fonds accordés aux projets de prévention par Affaires autochtones et
Développement du Nord Canada pour trois régions visées par des traités et il a
créé des partenariats avec d’autres organismes en organisant une série de
rencontres avec des jeunes pour…
- La Lac La Ronge Indian Child and Family Services Agency, en
Saskatchewan, exécute un vaste programme dans quatre écoles secondaires. Ce
programme fait appel aux étudiants, aux enseignants, aux parents et aux
collectivités pour réduire la violence et les comportements à risque.
- La Nation naskapi de Kawawachikamach du Québec
met actuellement en œuvre un projet de prévention fondé sur plusieurs
approches. Il offre des ateliers et des tribunes radiophoniques d’éducation et
de sensibilisation familiale dans la collectivité, des cours sur le rôle
parental, une formation sur l’intimidation à l’intention des enseignants et du
personnel des écoles, des ateliers destinés aux enfants de parents alcooliques,
ainsi que des séances en groupes pour les personnes alcooliques.
Les familles que nous avons
rencontrées ont révélé des lacunes importantes dans l’offre et la prestation
des services d’assistance de première ligne. Les histoires qu’ils nous ont
racontées nous montrent que plusieurs des victimes n’ont tout simplement pas eu
accès aux services dont elles avaient besoin. Pour plusieurs de ces femmes, les
services de première ligne n’ont pas su répondre de façon appropriée à la
violence dont elles étaient victimes aux mains de leur partenaire. D’autres
souffrant de toxicomanie n’auraient pas eu accès aux traitements de
désintoxication dont elles avaient besoin dans un temps opportun.
Étant donné les mouvements
fréquents de plusieurs femmes et filles autochtones entre les réserves et les
centres urbains, des témoins nous ont également dit qu’il est nécessaire d’investir
davantage de ressources financières et humaines afin d’assurer une continuité
des programmes et des services susceptibles de leur venir en aide[63].
Des témoins ont convenu qu’il
faut renforcer les capacités des collectivités autochtones.
- Les programmes et les services qui fonctionnent sont souvent le
fruit d’une vision collective. Une approche prometteuse qui a été présentée au
Comité est le modèle de réseau mis en œuvre à Prince Albert, en Saskatchewan.
Ce programme, dirigé par le chef de police de la localité, établit des liens
entre les fournisseurs de divers services, incluant les services de santé et de
services sociaux de même que le système d’éducation, afin d’aider les personnes
vulnérables qui viennent en contact avec la police. Lorsqu’un policier est
appelé à intervenir auprès d’une personne vulnérable, le cas est soumis à
l’équipe interdisciplinaire qui a pour mandat de mettre en œuvre une réponse qui
regroupe l’ensemble des services considérés nécessaires afin d’aider la
personne à se sortir de sa situation. Le modèle permet ainsi d’assurer
l’interaction entre les forces policières, les services sociaux, les services
de santé et d’éducation de façon à ce que les personnes en besoin reçoivent les
services et le soutien appropriés.
Ceux qui administrent des
programmes et des services dans les réserves ont également fait valoir la
nécessité de prévoir un financement permanent et à long terme pour les initiatives
communautaires d’importance.
Il a été dit au Comité que l’application
de solutions fructueuses exige la coordination des efforts de la collectivité
et des différents ordres de gouvernement.
C’est ce qu’a expliqué Charlene Belleau, de l’Assemblée des Premières Nations,
dans son témoignage :
Quant au processus de guérison que nous avons
établi dans notre collectivité pour surmonter ces agressions et cette violence [...]
Si nous voulons réussir le travail qui doit être mené au chapitre de la violence
faite aux femmes, certes, il faut commencer dans nos propres collectivités,
mais il faut aussi travailler en étroite collaboration avec les différentes
administrations provinciales et fédérales[64].
Le Comité a entendu parler
des possibilités de financement offertes par les différentes administrations
pour enrayer la violence faite aux femmes et pour assurer la sécurité publique
des collectivités. Par exemple :
- Condition féminine Canada offre un programme de subventions et de
contributions, d’une valeur annuelle de 19 millions de dollars, qui œuvre
principalement auprès d’organismes sans but lucratif au pays pour financer des
projets communautaires.
- Depuis 2010, Sécurité publique Canada administre un programme qui
vise l’élaboration, en collaboration avec les collectivités autochtones, de
plans de sécurité communautaire adaptés aux besoins propres à chaque collectivité.
Le budget de 2010 avait octroyé 5,7 millions de dollars sur cinq ans pour
mettre en œuvre les plans de sécurité au moyen d’ententes de contribution.
« En général, les ententes couvrent les coûts liés à la présence d’un
coordonnateur dans la collectivité, et permettent de financer des activités de
formation et de mobilisation[65]. »
La plupart des ententes prévoient des montants allants de 45 000 $ à 50 000 $. En
mai 2013, le Comité a appris que Sécurité publique Canada avait achevé
seulement un plan de sécurité communautaire, et que cinq autres étaient en
cours d’élaboration. Des activités de mobilisation communautaire avaient été
effectuées dans 25 collectivités autochtones et 190 personnes avaient été
formées pour travailler comme intervenants ou champions communautaires dans
leur collectivité[66]. Vu que les collectivités sont les mieux
placées pour établir les priorités en vue de faire des changements réels et
qu’elles sont au cœur de l’élaboration de ces plans de sécurité
communautaire, des témoins ont dit souhaiter que le ministère investisse
davantage de ressources afin qu’un plus grand nombre de collectivités puissent
profiter de ce programme. Le budget de 2014 prévoit 25 millions de dollars
sur cinq ans débutant en 2015-2016 afin poursuivre les initiatives lancées dans
le budget de 2010, y compris le programme pour l’élaboration des plans de
sécurité communautaire.
- Dans son budget de 2012, le gouvernement a consacré 175 millions
de dollars sur deux ans au financement de propositions visant des partenariats
novateurs formés entre les Premières Nations, les provinces et le gouvernement fédéral
afin d’améliorer l’éducation de la maternelle à la 12e année
sur les réserves et de soutenir la prestation de services d’éducation
(maternelle à 12e année) de 2e et 3e niveaux
sur les réserves. Par ailleurs, dans les fonds de 1,9 milliard de dollars
consacrés par le budget de 2014 à l’éducation de la maternelle à la 12e année
sur les réserves, on prévoit également accorder, à compter de 2015‑2016, une
somme de 160 millions sur quatre ans à ces types de proposition.
Les représentants fédéraux
reconnaissent que ces possibilités de financement peuvent être difficiles à
saisir. Les témoignages, dont celui de Linda Savoie de Condition féminine
Canada, confirment qu’il serait souhaitable de revoir les programmes afin de
faciliter la tâche des collectivités :
Je dirais qu’en ce moment, il est probablement
difficile pour les communautés de savoir à qui s’adresser. Il est très
important qu’au sein de la famille fédérale, les agences et ministères
communiquent bien l’information concernant ce qui se passe et qui peut faire
quoi. Même si nous faisons de grands pas, il y a certainement place à l’amélioration
pour ce qui est de la coordination et de la complémentarité[67].
À l’instar de plusieurs
témoins, Mme Savoie a aussi insisté sur le fait que l’élimination de
la violence faite aux femmes et aux filles autochtones est une responsabilité
partagée. D’où la nécessité de faire appel aux efforts d’autres ordres de
gouvernement, des peuples autochtones, de la société civile et d’autres parties
intéressées.