Comme il est indiqué au
chapitre trois, une multitude de facteurs rendent les Autochtones, spécialement
les femmes et les jeunes filles, plus vulnérables à la violence. Les
témoignages ont fait ressortir la nécessité d’agir sur les facteurs qui rendent
ces femmes vulnérables à la violence par des interventions ciblées et la mise
en place d’un système de protection sociale, au moins équivalent à celui en
place pour le reste de la population canadienne. Cependant, puisqu’aucun
système n’est infaillible, assurer la protection juste et équitable des femmes
et des filles autochtones contre la violence nous oblige également à travailler
simultanément à la mise en œuvre d’une réponse appropriée lorsqu’un incident de
violence est rapporté. Le présent chapitre s’intéresse donc aux ressources et
services appelés à intervenir après coup, soit lorsqu’un acte de violence ou
une disparition est signalé.
Tout au long de l’étude, des
témoins ont soulevé des lacunes importantes dans la protection offerte aux
femmes et filles autochtones victimes de violence. De façon générale, les
témoignages montrent que les femmes autochtones qui tentent de fuir une
situation de violence, particulièrement celles qui habitent les réserves ou les
collectivités rurales ou éloignées, font face à des obstacles de tailles :
absence ou insuffisance de services d’urgence et d’accompagnement, rapports
souvent difficiles avec la police et crainte réelle qu’un signalement aux
autorités n’entraîne la perte de la garde de leurs enfants. Les témoignages
exposent également des lacunes sérieuses en ce qui a trait à la communication
de services de police avec les familles de femmes et de filles disparues ou assassinées.
De nombreuses collectivités
autochtones, particulièrement les collectivités des Premières Nations et les
collectivités rurales ou éloignées, sont mal équipées pour intervenir auprès
des femmes et des filles qui sont victimes de violence. L’absence d’une
présence policière continue, la pénurie de refuges et de logement transitoires
pour accueillir les femmes violentées et leurs enfants et des ressources limitées
pour assurer leur protection à plus ou moins long terme comptent parmi les
défis quotidiens auxquels sont confrontées plusieurs de ces collectivités. Dans
bien des cas, les services d’urgence sont sous-financés et ne couvrent pas les
besoins à tout moment du jour ou de la nuit
Les témoignages ont montré
qu’il existe des inégalités importantes au Canada en ce qui a trait à l’accès à
des refuges d’urgence et des logements transitoires.
Plusieurs femmes autochtones qui habitent les réserves et les collectivités
rurales et éloignées n’ont pas accès à un lieu sécuritaire en cas de besoin.
Voici ce qu’a noté la présidente de l’AFAC, Michelle Audette, a en ce qui a
trait à la situation qui prévaut dans les réserves des Premières Nations.
Comment se fait-il, alors que nous dénombrons 633
collectivités des Premières Nations, qu’il n’y ait, dans tout le Canada, que
[41] foyers où des femmes et des enfants peuvent trouver refuge[68]?
Sans parler des logements destinés à un hébergement temporaire pour les femmes
en situation de crise, qui n’existent tout simplement pas. Il y a le foyer d’accueil,
où vous pouvez aller vous abriter, mais ensuite, aucun endroit où entreprendre
le processus de guérison, et rien qui aide à l’habilitation des femmes[69].
L’accès aux maisons d’hébergement
d’urgence et aux logements transitoires est aussi très limité pour les femmes
qui résident dans les collectivités inuites. La directrice générale de l’association
Pauktuutit, Tracy O’Hearn, a informé le Comité que plus de 70% des
collectivités inuites n’ont pas de refuge pour accueillir les femmes et les
enfants victimes de violence. Le Nunavik, par exemple, compte trois refuges
pour 14 villages. Une situation troublante, selon Mme O’Hearn,
compte tenu de la gravité et de l’étendue de la violence familiale :
« La violence familiale continue d’être le problème le plus important dans
les collectivités inuites[70] ».
Des témoins ont par ailleurs
soutenu que des inégalités sont remarquées en ce qui a trait au financement des
maisons d’hébergement situées dans les réserves des Premières Nations. Devant
le Comité, Anita Olsen Harper, conseillère du National Aboriginal Circle
Against Family Violence, a fait valoir que le: « financement octroyé à certains
refuges dans les réserves représente la moitié de celui offert aux refuges pour
femmes de la population générale ou financés par le gouvernement provincial [71]».
Les besoins sont criants et
de nombreux témoins ont dit souhaiter que le gouvernement investisse davantage
dans ce secteur de façon à ce que toutes les femmes et les jeunes filles
victimes de violence puissent obtenir la protection et le soutien dont elles
ont besoin en temps opportun. Les témoins ont demandé d’agir sur deux fronts. D’une
part, il faut de toute urgence augmenter le nombre de refuges et de logements
transitoires dans les réserves et les collectivités rurales et éloignées du
Canada.
D’autre part, il nous faut augmenter le financement de ceux déjà existants.
Voici ce qu’a noté le chef Shawn A-in-chut Atleo à propos des investissements
souhaités pour les Premières Nations :
Il faut immédiatement accroître les
investissements touchant les services de première ligne et les refuges dans les
réserves et dans les régions rurales, pour que chaque femme et fille des
Premières Nations qui est victime de violence ait accès à un soutien immédiat[72].
Les témoignages montrent également
que le fait qu’il n’y ait pas de présence policière continue dans plusieurs
collectivités autochtones prive les femmes et les filles autochtones victimes
de violence d’une forme de protection, ce qui les rend encore plus vulnérables.
Ce défi a été soulevé par nombre de témoins, dont le chef John Domm du service
de police de Rama, en Ontario.
À cause […] de l’absence de présence policière, on
ne fait pas respecter la loi. Vous avez le sentiment qu’il est impossible de
faire respecter la loi. Vous avez le sentiment de ne pas être en sécurité. Même
si vous voulez signaler un incident, à qui le signaler?
Si vous le signalez, qui sera là pour vous protéger? Qui sera là pour vous
aider? Et pas seulement pour les premières heures ou le premier jour, mais
aussi le lendemain, le surlendemain et la semaine suivante[73].
Comme l’ont montré les
témoignages, les ressources financières et humaines des services de police
chargés d’assurer la protection des membres des collectivités autochtones, que
ce soit un service de police des Premières Nations, la GRC ou un corps de
police provinciale, sont largement insuffisantes. Les témoins ont exhorté tous les
ordres de gouvernement d’augmenter le financement alloué à ce service. Il
serait par ailleurs avantageux, selon le chef John Domm que tous les services
de police autochtones puissent se doter d’un poste spécialisé dans les interventions
auprès des femmes et des filles victimes de violence.
Le financement des services
policiers dans les collectivités inuites et de Premières Nations est un enjeu
important pour plusieurs collectivités. À la lumière des témoignages entendus,
le problème est particulièrement criant en ce qui a trait aux services de
police autogérés des Premières Nations du Programme des services de police des
Premières Nations (PSPPN). Le PSPPN est un programme national de police qui s’adresse
aux collectivités inuites et des Premières Nations. Il existe actuellement deux principaux types d’ententes
de services de police en vertu du PSPPN, à
savoir :
- les ententes sur les services de police
autogérés selon lesquelles une collectivité gère son propre service de police conformément
aux lois et aux règlements provinciaux; et
- les ententes communautaires tripartites, dans le
cadre desquelles un contingent d’agents professionnels d’un service de police
en place, habituellement la GRC, assurent des services de police dans une
collectivité inuite ou des Premières Nations[74].
Le financement du PSPPN est
assuré selon une formule de partage des coûts de 52 % pour le fédéral et
de 48 % pour le provincial. Le PSPPN ne vise pas à remplacer les services
de police normalement assurés par la province ou le territoire, il vise plutôt
à offrir aux collectivités inuites et des Premières Nations situées dans des
réserves des services de police professionnels, efficaces et adaptés à leur
culture. Les évaluations du PSPPN sont généralement positives.
D’autres ont noté que les
niveaux de financement du PSPPN sont nettement insuffisants, compte tenu,
notamment des conditions géographiques et socioéconomiques de nombreuses
collectivités inuites et des Premières Nations. On a aussi dit au Comité que
les services de police des Premières Nations doivent recevoir l’appui et les
fonds nécessaires pour assurer un service qui soit comparable à celui offert au
reste de la population canadienne.
La GRC m’avait traumatisée à l’époque où je
buvais. Les policiers m’ont fait mal. Ils ne m’ont pas protégée. Chaque fois
que j’avais affaire à eux, tout ce qu’ils faisaient quand je m’emportais, c’était
de me jeter en prison ou de me battre.[75]
J’ai vécu une vie difficile. J’ai été victime de
viol et de viol collectif. J’ai été battue. Je suis allée à la police, mais on
ne m’a pas prise au sérieux. Je me revois à l’hôpital, avec la lèvre fendue, un
œil au beurre noir, sachant très bien qui était le coupable; je le dénonce à la
police, mais on me dit que l’alcool est un facteur, que nous étions
probablement saouls. Je ne peux pas vous dire l’effet que cela a sur une personne,
après l’avoir entendu autant de fois.[76]
Tout au long de l’étude, le
Comité a entendu des témoignages bouleversants et probants de familles de
victimes, de femmes et de représentants d’organismes qui tendent à démontrer
que la police ne prend pas toujours au sérieux les incidents de violence
impliquant des Autochtones. Plusieurs témoins ont également déploré les
commentaires haineux et racistes qui accompagnent certaines interventions
policières; des commentaires qui nuisent grandement à l’établissement d’une
relation de confiance entre la police et les peuples autochtones.
Des témoins ont indiqué au
Comité que des corps policiers transmettent aux services de police des
Premières Nations les pratiques exemplaires qu’ils appliquent dans les cas d’enquête
portant sur une disparition. En Ontario, la formation sur ce type d’enquête qui
est offerte à la Police provinciale de l’Ontario est également proposée à tous
les partenaires du secteur policier des Premières Nations. Les organisations
policières qui ont comparu devant le Comité ne savaient pas si le taux de
résolution de cas de disparitions ou de meurtres d'Autochtones était différent
de celui que l'on peut observer au sein de la population générale.
La plupart des familles de
victimes que nous avons rencontrées ont le sentiment d’avoir été traitées
injustement par la police. Elles ont aussi l’impression que ces derniers n’ont
pas déployé tous les efforts nécessaires pour élucider la disparition ou le
meurtre de leur proche. Dans bien des cas, la police n’aurait pas pris au
sérieux le signalement. Les extraits de témoignages qui suivent témoignent
de l’injustice ressentie par de nombreuses familles devant le traitement qu’elles
ont subi.
Lorsque ma sœur a disparu, on a signalé sa
disparition, mais cela a pris 10 jours avant même que son dossier ne soit
examiné. Mon autre sœur, Tina, s’est fait dire qu’elle était probablement
quelque part par-là; c’est ce que la police nous a dit, qu’ils n’allaient pas
faire quoi que ce soit pour l’instant, qu’elle réapparaîtrait, comme elle l’avait
toujours fait. Ma sœur a été exploitée à un très jeune âge. Elle a eu recours à
la drogue pour y faire face. Claudette n’était pas du genre à ne pas donner de
nouvelles à sa famille.
Elle appelait toujours quelqu’un par téléphone. Elle était très proche de ma
sœur Tina et restait chez elle très souvent, mais Tina n’avait pas eu de ses
nouvelles. On a signalé sa disparition et
10 jours plus tard... Uniquement parce que nous avons commencé à insister
auprès de la police, ils ont commencé à examiner son dossier[77].
Le soir où j’ai signalé la disparition de Denise,
un agent a eu le culot de dire à un autre agent, et ce, devant Glen et moi: «
Elle est probablement au centre-ville en train de faire ce qu’elle a à faire
pour obtenir sa prochaine dose[78] ».
Le deuxième soir où elle avait disparu, ma sœur a
dit: « Ma fille n’est pas le genre de personne à sortir et à se prostituer, à
se soûler, à être indisciplinée et à disparaître —pas ma fille. » Sa fille
allait à l’université. Personne n’a cru ma sœur. La GRC
lui a dit: « Oh non, quelle audace, elle ne pense qu’à elle. » Si l’un de vos enfants disparaissait [...] on connaît suffisamment bien une fille ou un fils pour savoir si
elle va rentrer à la maison ou non. On le sait. Nous connaissons tous nos
enfants et ce dont ils sont capables. Ma sœur savait que sa fille n’était pas
le genre de fille à découcher. Comme par hasard, quatre ans plus tard, la GRC a
fait une annonce et a trouvé qui a assassiné ma nièce. Ils ont trouvé son
assassin parce que c’est lui qui s’est dénoncé. Il se vantait de toute la haine
qu’il portait au peuple autochtone[79].
Un thème qui est revenu
souvent dans les témoignages reçus par le Comité concerne l’inaction des
policiers dans les incidents de violence impliquant des femmes autochtones.
Carole Brazeau, coordonnatrice nationale du National Aboriginal Circle Against
Family Violence, a noté ce que suit à cet égard :
Le rôle de la police, c’est de servir et de
protéger les gens, je crois. Lorsque des femmes qui se trouvent en situation de
violence familiale lui téléphonent, il est important que la police intervienne.
C’est un acte criminel qui est posé. Certains directeurs de refuge nous ont dit
qu’il y a des collectivités où la police n’intervient pas. Il serait important
qu’elle intervienne.[80]
Enfin, quoique le Comité n’ait
reçu aucune donnée précise concernant les peines imposées dans les cas de
violence faite aux femmes autochtones, certains ont dit être indignés des
peines légères imposées aux délinquants qui agressent ces femmes.
Six mois avant l’assassinat de Denise, j’avais, à
grand-peine, tiré ma plus jeune fille de la même situation. L’homme lui avait
donné un coup de bâton de baseball en pleine figure. On a dû lui reconstruire
entièrement le visage et elle a subi une lésion au cerveau. L’homme a été
emprisonné pendant trois mois — c’est tout, trois mois.[81]
Les juges et la police négocient les plaidoyers.
Mais est-ce qu’ils pensent aux familles, à ceux qui souffrent? C’est nous qui
souffrons aujourd’hui. C’est nous. Nous portons cela tous les jours. La douleur
est là lorsque nous nous endormons et elle est toujours là lorsque nous nous
réveillons le matin.[82]
Une commission d’enquête a
été mise sur pied en Colombie-Britannique à la suite de la condamnation de
Robert Pickton pour le meurtre de six femmes. Cette commission d’enquête
provinciale sur les femmes disparues avait pour mandat d’établir les raisons
pour lesquelles les services de police de Vancouver et la GRC n’ont pas réussi
à arrêter plus tôt ce tueur en série, malgré les nombreux cas de disparitions
signalés dans le quartier Downtown Eastside entre 1997 et 2002. Dans son
rapport, déposé en novembre 2012, Wally Oppal, chargé de présider la
Commission, a soulevé plusieurs lacunes en ce qui a trait aux traitements de
cette affaire, notamment en ce qui concerne l’enregistrement des dépositions et
le suivi des signalements, les stratégies d’enquête de la police, le partage de
renseignements entre les services de police, le manque de formation et de
sensibilisation culturelle des agents et l’échec des mécanismes d’examen
internes et de responsabilité externes.
Le Comité a entendu un
nombre limité de témoignages relativement à l’état des enquêtes policières
visant à élucider les meurtres et les disparitions des femmes et filles
autochtones. Cela dit, plusieurs des familles rencontrées ont dénoncé la
lenteur des enquêtes policières concernant leur proche. Une des familles
rencontrées estime que certaines preuves qui auraient peut-être permis de
retrouver l’être cher sont disparues parce que les services policiers n’ont pas
réagi promptement.
Dans son rapport intitulé Ce
que leurs histoires nous disent : Résultats de recherche de l’Initiative
Sœurs par l’esprit, l’AFAC soutient, à l’instar de la Commission d’enquête
provinciale sur les femmes disparues, que le chevauchement des compétences en
matière de services de police aurait entravé la résolution efficace de
certaines enquêtes.
[L]’AFAC a constaté que le flou et le chevauchement
qui caractérisent les secteurs de compétence de la GRC, des Premières Nations
et des services de police municipaux et provinciaux ont entravé la résolution
efficace de certains cas. Les membres des familles ont raconté des histoires de
conflit de compétences lorsqu’ils tentaient de déclarer la disparition d’un
être cher ailleurs que dans leur communauté de résidence. Par exemple, un
service de police dit que le rapport doit être fait dans la ville où la
personne est disparue, tandis que l’autre maintient que le rapport devrait être
fait dans la communauté où réside la personne disparue. Les questions de
compétence comme celle-là constituent un obstacle énorme pour les familles et
les connaissances qui veulent signaler la disparition d’un proche, mais c’est
un obstacle aussi à l’enquête sur le cas.[83].
Pour
rendre plus efficientes les enquêtes policières qui visent à élucider les
meurtres et les disparitions des femmes et des filles autochtones, des témoins
ont recommandé l’élaboration de normes et de protocoles sur la manière dont les corps de police doivent répondre à des cas de femmes et de
filles portées disparues ou assassinées. Ces normes et protocoles devraient
prévoir la mise sur pied rapide d’enquêtes multipartites afin d’améliorer la
collaboration entre les services de police. Les protocoles devraient
comprendre, selon l’organisme Human Right Watch, des mécanismes de surveillance
chargés de faire le suivi de toute enquête policière sur une femme ou une fille
autochtone disparue ou assassinée à partir du moment où un tel incident est
signalé. Il faudrait par ailleurs établir des objectifs pour examiner la
réponse policière aux cas de femmes et filles autochtones disparues et
assassinées à intervalles réguliers afin de compiler et rendre public un
rapport sur les meilleures pratiques et les leçons apprises[84]. C’est un point important pour les
familles. Comme l’a fait remarquer Westley Flett :
Une de mes sœurs a disparu il y a quatre ans
déjà. Il est difficile de ne pas savoir si elle est encore vivante, question
que nous nous posons au quotidien[85].
Les témoins ont aussi
insisté sur l’importance d’améliorer la formation des agents de police sur l’histoire,
les conditions et le mode de vie des peuples autochtones afin d’intervenir de manière pertinente avec eux. Cette formation
obligatoire doit s’adresser aux nouvelles recrues et au personnel déjà en
place. Le chef John Domm du service de police de Rama estime que la formation
des policiers doit mettre un accent particulier sur la violence faite aux
femmes et aux filles autochtones[86].
Plusieurs témoins estiment par ailleurs que pour être efficace, la formation
doit être développée en collaboration avec les organisations autochtones et de
défense des droits de la personne[87].
Lors de sa comparution, l’ombudsman
fédéral des victimes d’actes criminels, Susan O’Sullivan a exhorté le
gouvernement de créer une banque de données génétiques sur les personnes
disparues — une Recommandation qui se trouve également dans le rapport de la
Commission d’enquête provinciale sur les personnes disparues de la
Colombie-Britannique. Le budget fédéral de 2014 propose la création de cette
banque de données. Ce répertoire national de l’ADN des personnes disparues
viendra compléter les travaux en cours au Centre national pour les personnes
disparues et les restes non identifiés de la GRC. Le financement annoncé
servira aussi à appuyer les corps policiers et les coroners qui soumettent des
prélèvements de restes non identifiés et des effets personnels appartenant à
des personnes portées disparues et à faciliter la comparaison des profils d’ADN
ainsi recueillis avec ceux d’échantillons provenant de la Banque Nationale de
données génétiques. Le Comité espère que la création de cette banque apportera réconfort
et paix d’esprit aux proches des personnes disparues.
Le traitement des plaintes
est un aspect important de la relation entre la police et les peuples
autochtones. Pendant l’étude, des témoins ont raconté avoir été victimes d’inconduite
et de mauvais traitements de la part de policiers. Le Comité a également
échangé avec des représentants de l’organisme Human Rights Watch qui a publié,
en février 2013, un rapport intitulé, Ceux qui nous emmènent — Abus
policiers et lacune dans la protection des femmes et filles autochtones dans le
nord de la Colombie-Britannique, Canada. Dans son rapport, l’organisme
documente des cas allégués de violations des droits de femmes et de filles
autochtones dans le nord de la Colombie-Britannique. L’organisme signale
notamment les problèmes suivants : sous protection des filles et des
femmes autochtones; omission d’enquêter rapidement sur certains signalements;
abus policiers et lacunes en ce qui a trait à la reddition de comptes.
Le 15 mai 2013, en réponse
aux allégations troublantes présentées dans ce rapport, le président de la
Commission des plaintes du public contre la GRC a initié une enquête d’intérêt
public relativement à la conduite des membres de la GRC qui exercent leurs
fonctions dans le nord de la Colombie‑Britannique[88]. Cette enquête indépendante était
toujours en cours au moment de la rédaction du présent rapport.
Des témoins ont dit qu’il
était nécessaire d’améliorer la responsabilisation des forces policières face
aux collectivités qu’elles servent. L’organisme Human Rights Watch a
réclamé une plus grande responsabilisation de la police par le biais notamment
d’enquêtes civiles indépendantes sur les allégations d’inconduite grave de la
part des agents de police[89]. Tracy O’Hearn a quant à elle préconisé la
création d’un ombudsman chargé de surveiller ceux qui travaillent dans le
domaine de l’application de la loi et de la justice. Cet ombudsman serait
responsable, notamment de rendre compte à la population des questions et des
préoccupations liées au racisme et à d’autres problèmes systémiques[90].
Nous vivons avec cette douleur tous les jours.
Nous portons notre douleur et notre souffrance comme les autres, mais il n’y a
personne là pour nous...[91]
Lorsque je vois une autre mère, un autre enfant,
un autre frère, un autre fils porté disparu ou assassiné ici au Canada, il me
semble que tout le monde se fiche des gens comme nous à la peau foncée. Tout le
monde s’en fiche[92].
Ces extraits des témoignages
de Brenda Osborne, mère de Claudette Osborne, disparue au Manitoba en juillet
2008, et de Susan Martin, mère de Terrie Anne Dauphinais, assassinée le 29
avril 2002 à Calgary, mettent en lumière un sentiment partagé par plusieurs des
familles que nous avons rencontrées. Les proches de ses femmes disparues se
sentent abandonnés et ont l’impression que personne ne se soucie de la disparition
des femmes et des filles autochtones au Canada.
Les familles de ses femmes
veulent être entendues. Elles souhaitent que la population canadienne connaisse
l’histoire de leur proche disparue. Elles veulent aussi être informées de l’avancement
des enquêtes policières et recevoir un soutien financier et psychologique tout
au long de l’épreuve.
Le Comité a entendu des
témoignages illustrant le manque de respect de la part de certains agents de
police dans leurs échanges avec les familles des victimes. Il ne faut pas se
surprendre que des gens perdent confiance dans la police quand ils se heurtent
à ce genre de traitement.
Un jour, ma femme a appelé la police à Winnipeg.
Un des agents au bout du fil lui a dit qu’il ne gérait pas une garderie. Elle
pleurait, elle voulait savoir pourquoi personne ne pouvait nous aider. Nous n’y
avons pas pensé pendant un certain temps, nous étions simplement sous le choc.
Nous avons recommencé à téléphoner à la GRC à Winnipeg pour leur demander de l’aide,
des renseignements. On ne faisait que nous mettre en attente. Nous n’avons
jamais obtenu de réponses. C’est pourquoi nous avons décidé de parcourir les
rues, de poser toutes ces affiches, d’en parler aux gens.[93]
Nous appelions constamment pour voir s’il y avait
des mises à jour sur le dossier de Claudette. On ne cherchait pas à obtenir des
renseignements sur le dossier, car nous savons que la police ne peut pas
divulguer ces renseignements. Ce que nous voulions, c’était une responsabilité
de leur part, qu’ils nous disent qu’ils effectuaient des recherches actives
pour la trouver. Ensuite la communication s’est détériorée et nous avons dû
faire intervenir le chef de la Première Nation de Claudette pour qu’ils
viennent faciliter le dialogue entre la police et nous.[94]
Des témoins ont avancé des
Recommandations pour améliorer la communication des services de police avec les
familles des victimes. Tous s’entendent pour dire qu’il nous faut mieux former
les policiers qui sont chargés de communiquer avec les familles.
Il faut aussi former les policiers qui s’occupent
des familles pour qu’ils ne disent pas, eh bien votre fille était une
prostituée.[95]
Il nous faut aussi créer des
postes d’agents de liaison qui auraient pour mandat de communiquer avec les
familles des victimes et d’établir des politiques et des pratiques claires en
ce qui concerne la transmission d’informations aux familles des personnes
disparues ou assassinées.
Enfin, des témoins ont aussi
proposé la création d’un fonds destiné à aider les familles qui ont des dépenses
liées à la perte d’un être cher. Ce fonds pourrait servir, notamment à
rembourser les montants encourus pour le soutien psychologique nécessaire pour
composer avec la disparition d’un proche.
Le budget de 2014 donne son
appui à la mise en œuvre de la Déclaration canadienne des droits des victimes
et au répertoire de données génétiques sur les personnes disparues. Selon les
informations présentées dans le Budget, la Déclaration « servira à
défendre les victimes et les aidera à mieux se faire entendre au sein du
système de justice pénale et du système correctionnel[96] ». La Déclaration offrira des
ressources en lignes qui permettront aux victimes d’accéder, entre autres aux
programmes et services fédéraux à l’intention des victimes d’actes criminels. Pour
ce qui est du répertoire, qui permettra la comparaison des profils génétiques,
il apportera réconfort et paix d’esprit aux familles de personnes disparues.
Le Comité encourage toutes les
initiatives qui visent à améliorer l’appui aux victimes d’infractions
criminelles. Il espère que la Charte prendra en considération l’expérience
spécifique des victimes autochtones.