Rapport
complémentaire de l’opposition officielle en réponse au rapport du Comité
permanent de la défense nationale de la Chambre des communes sur le Concept
stratégique de l’OTAN et le rôle du Canada en matière de coopération de défense
internationale
- Bien
que nous, députés néo-démocrates, souscrivions en grande partie à ce que dit le
rapport majoritaire du Comité, nous considérons que plusieurs précisions s’imposent.
Par ailleurs, nous estimons qu’un certain nombre de points, pourtant jugés
prioritaires et méritant une plus grande attention dans le cadre des
discussions entourant le
Concept stratégique de l’OTAN et le rôle du Canada en matière de coopération de
défense internationale, ne sont abordés que brièvement ou ne sont pas traités du tout dans le rapport
en question.
- Étant
donné que l’interopérabilité est au cœur du travail de l’OTAN et de son concept
de Défense intelligente, il importe de souligner que la notion
d’interopérabilité n’est pas définie comme l’utilisation du même type
d’équipement par les pays partenaires. En effet, selon le commandant suprême
des Forces alliées de l’OTAN pour la Transformation, le
général Stéphane Abrial, l’interopérabilité consiste à s’assurer que
les partenaires de l’OTAN, et un nombre accru de ses partenaires éventuels,
puissent travailler ensemble malgré leurs différences de capacités. Voici ce
qu’a dit le général Abrial à ce propos :
Nous ne préconisons pas un seul type
de char, un seul type d'aéronef, un seul type de navire, un seul type de
carabine. Nous disons que deux unités, deux soldats qui combattent côte à côte
doivent pouvoir travailler ensemble. Il faut qu'ils puissent échanger
l'information dont ils ont besoin, se parler, savoir ce qu'ils peuvent attendre
du voisin […] Dans un contexte interopérable, vous
êtes distinct, mais vous collaborez[1].
- Les
députés néo-démocrates tiennent à insister sur la nécessité, pour le Canada, de
participer à des programmes multilatéraux inspirés du concept de Défense
intelligente de l’OTAN. Ces programmes ne visent pas uniquement à améliorer
l’interopérabilité de l’Alliance, mais aussi à maintenir l’ensemble de la
capacité de l’Alliance dans un contexte de restrictions budgétaires. Comme l’a
expliqué M. Philippe Lagassé, professeur adjoint à l’Université d’Ottawa : « Les
membres de l'OTAN doivent faire face à des mesures d'austérité et à
l'augmentation des coûts de la défense; la mise en commun des ressources et le
partage des capacités peuvent donc se révéler nécessaires pour préserver la
capacité globale de l'Alliance de mener des opérations de grande intensité au
cours des prochaines décennies[2]. »
- Selon
M. Samir Battiss, les opérations en Libye ont révélé que seuls quelques
États membres « étaient capables de fournir un effort soutenu[3] ».
Plusieurs témoins ont insisté sur le fait que la plupart des pays ne peuvent
plus se permettre de maintenir une force « polyvalente » disposant
d’un large spectre de capacités. Le Canada ne fait pas exception et doit donc,
selon M. Lagassé, « lui aussi choisir entre une réduction graduelle —
et probablement ponctuelle — de ses capacités et une évolution planifiée vers
des forces spécialisées dans des créneaux complémentaires[4] ».
Il est donc nécessaire d’adopter une approche plus stratégique afin de déterminer
quelle sera la contribution du Canada à l’OTAN et aux efforts de coopération
internationale en matière de défense.
- La
décision du gouvernement du Canada de se retirer du programme AWACS de l’OTAN
illustre cette réduction des capacités qui devrait se produire, selon M. Lagassé,
si on n’adopte pas une approche stratégique. Paul Meyer, ancien ambassadeur
pour le désarmement auprès de l’ONU et maintenant agrégé supérieur à la
Fondation Simons, a indiqué que le retrait du Canada du programme AWACS envoie
« un message regrettable » aux alliés de l’OTAN, « car c'était
l'exemple d'un programme commun de l'OTAN fournissant une capacité très
spécialisée qui aurait représenté un coût prohibitif pour la plupart de ses
membres si les nations avaient eu à l'acquérir individuellement[5] ».
M. Meyer a aussi laissé entendre que le Canada devrait « appuyer les
programmes communs ou contribuer à des capacités spécialisées qui pourraient
être hors de portée pour d'autres alliés ou partenaires[6] ».
Par conséquent, la décision du Canada de se retirer d’un tel programme va à
l’encontre de la volonté de l’OTAN d’intensifier la coopération multilatérale
en matière de capacités, conformément au concept de Défense intelligente. Qui
plus est, cette décision est révélatrice du manque de discernement avec lequel
le gouvernement fédéral réduit le budget de la défense du Canada.
- Plusieurs
témoins, dont MM. Battiss et Lagassé, ont fait valoir qu’il est
maintenant temps que le gouvernement attache plus d’importance stratégique à
l’achat d’équipement, afin de savoir sur quelles capacités les Forces
canadiennes devraient se concentrer pour concilier de façon optimale les
besoins de notre pays avec les capacités dont se dotent nos alliés. Jusqu’à
présent, le gouvernement n’a entrepris aucune démarche dans ce sens. Il a même
dû suspendre la mise en œuvre de sa Stratégie de défense « Le Canada d’abord »,
car celle-ci est largement perçue comme étant une liste de projets
d’approvisionnement financièrement ingérable. Les néo-démocrates ont demandé
l’ouverture d’un Livre blanc afin de redéfinir la vision d’une politique de
défense moderne pour le Canada, axée sur les priorités et l’abordabilité. Cette
initiative doit s’inscrire dans le cadre d’objectifs clairs en matière de
politique étrangère.
- Il est
nécessaire de préciser les rôles, les responsabilités et les relations entre
l’ONU et l’OTAN. Il n’est pas toujours évident de savoir comment les opérations
militaires menées par l’OTAN s’harmonisent avec le cadre politique général de
la mission de l’ONU, ni quels mécanismes de responsabilités devraient
s’appliquer.
- Le
manque de clarté peut s’expliquer par le fait que les règles d’engagement
concernant une opération sont fixées par le Conseil de l’Atlantique Nord, mais
que la légitimité de cette opération repose sur le mandat du Conseil de sécurité[7].
Les préoccupations soulevées par l’impression d’un élargissement du pouvoir
conféré à l’OTAN dans le cadre du mandat de l’ONU autorisant l’intervention en Libye
– et l’absence de reddition de comptes au Conseil de sécurité pendant toute la
durée des opérations – sont révélatrices d’un manque de responsabilisation. Les
néo-démocrates tiennent à réitérer que le Conseil de sécurité des Nations Unies
est le principal organe du maintien de la paix et de la sécurité dans le monde
en vertu du droit international. Par conséquent, le rôle du Conseil de sécurité
devrait être pris en compte dans les opérations menées par l’OTAN, mais
mandatées par l’ONU.
- Par
ailleurs, il convient de préciser les opérations de gestion de crise prévues
dans le Concept stratégique. Car, comme l’a expliqué l’ancienne ambassadrice
pour le désarmement auprès de l’ONU Peggy Mason, il est difficile de déterminer
où se situent les opérations de gestion de crise de l’OTAN par rapport au
« rôle international essentiel de l'ONU en matière de maintien de la paix
et de la sécurité […] de prévention et de gestion des
crises ainsi que de consolidation [de
la paix] après les conflits[8] ».
De l’avis de Mme Mason, il est « hautement
problématique » que l’OTAN puisse reproduire le rôle de l’ONU, « surtout
lorsqu'un tel effort détourne les ressources militaires les plus
professionnelles des opérations menées par l'ONU[9] ».
- Les
néo-démocrates se font l’écho des préoccupations exprimées par certains témoins
au sujet du rôle d’une organisation à dominante militaire dans la dimension
civile des opérations de paix. L’ONU devrait assumer le rôle principal dans la
supervision des opérations civiles de consolidation de la paix et d’édification
des nations. Les
opérations de maintien
de la paix devraient se
produire avec l'appui d'un processus
de paix crédible, et l'ONU peuvent fournir cette crédibilité.
- Le
Concept stratégique de l’OTAN souligne l’engagement de l’Alliance à
« créer les conditions d’un monde sans armes nucléaires, conformément aux
objectifs du TNP, selon une approche qui favorise la stabilité internationale
et se fonde sur le principe d’une sécurité non diminuée pour tous ».
- Toutefois,
les néo-démocrates tiennent à attirer l’attention sur les commentaires de
témoins qui se sont demandé dans quelle mesure l’OTAN se conforme à cet
objectif clairement établi. Des témoins ont même exprimé des préoccupations au
sujet du respect par l’OTAN du Traité de non-prolifération, étant donné la
présence d’armes nucléaires tactiques dans des États européens non dotés
d’armes nucléaires. En outre, M. Meyer a relevé une
« absurdité » dans la position de l’OTAN à l’égard du nucléaire
puisque « manifestement, tant et aussi longtemps que de telles armes
demeurent dans l'OTAN, elles vont continuer à exister[10] ».
De plus, comme l’a expliqué M. Ernie Regehr, « la menace que
présente l'acquisition d'armes nucléaires ou même de matière nucléaire par des
acteurs non étatiques » nous rappelle une dure réalité, soit l’un des
plus grands risques de déstabilisation qui pèsent sur la sécurité mondiale[11].
M. Regehr a ajouté :
Nous avons compris
qu'il était impossible d'avoir une communauté internationale stable, dont
certains pays ont des armes nucléaires depuis longtemps alors que d'autres n'en
ont pas, dans un monde où le matériel et le savoir nucléaires sont largement
répandus[12].
- Les
États ont l’obligation d’éliminer la menace des armes nucléaires en négociant
leur destruction sous le contrôle strict et efficace de la communauté
internationale, d’après ce qui ressort des décisions de la Cour internationale
de Justice. Même si d’autres tribunes
multinationales – surtout l’ONU – sont mieux placées pour superviser le
processus de désarmement dans son ensemble, l’Alliance devrait faire le
nécessaire pour créer les conditions permettant de réduire à la fois les armes
tactiques et stratégiques au sein de la communauté euroatlantique et chez ses
partenaires.
- Beaucoup
de pays membres de l’OTAN sont de plus en plus convaincus que le déploiement
d’armes nucléaires tactiques ne sert plus aucun objectif militaire pratique[13].
La Commission des sciences et de la technologie de l’Assemblée parlementaire de
l’OTAN en est arrivée à la conclusion que le reste des armes nucléaires
tactiques déployées en Europe n’ont pas pour effet d’améliorer de façon
substantielle la sécurité en Europe, et a donc proposé une suppression
progressive de ces armes[14]. En négociant
l’élimination de telles armes en Europe, les alliés de l’OTAN ont l’occasion de
jouer un rôle central dans la création de conditions favorisant un meilleur
contrôle des armes et la conclusion de nouveaux accords de désarmement – notamment
entre les États-Unis et la Russie.
- En
collaborant avec d’autres pays membres de l’OTAN qui ont plaidé en faveur du
retrait des armes nucléaires déployées en Europe, le Canada peut exercer une
influence accrue afin de s’assurer que l’OTAN et ses partenaires ont une
politique crédible en matière nucléaire et conforme au Traité de
non-prolifération. Le Canada devrait aussi jouer un plus grand rôle dans la
promotion du désarmement nucléaire sur la scène internationale, en
entreprenant, par exemple, des efforts diplomatiques pour contrer le programme
nucléaire iranien.
- Avec la fonte des calottes glaciaires,
l’élévation du niveau des mers et l’apparition de phénomènes climatiques de
plus en plus violents, il y a fort à parier que les déplacements de populations
et la raréfaction des ressources entraîneront des problèmes de sécurité. L’amiral Samuel J. Locklear III, commandant du U.S. Pacific
Command, a même décrit les changements climatiques comme étant la chose la plus
probable et susceptible de compromettre l’environnement de sécurité, peut-être
même plus que tous les autres scénarios que nous évoquons tous souvent[15]. Compte tenu de ces préoccupations, le Canada devrait faire ce qui est en son
pouvoir pour limiter les effets des changements climatiques. Il devrait
également faire pression pour que ses alliées de l’OTAN accordent une plus
grande priorité aux changements climatiques en les considérant comme une autre
force déstabilisatrice possible dans l’avenir.
- Comme
l’ont fait remarquer plusieurs témoins, en tant qu’alliance militaire, l’OTAN
évalue surtout les conflits dans une perspective militaire. Pourtant, l’OTAN
n’est pas toujours la tribune la plus appropriée pour s’attaquer aux menaces
qui pèsent contre la sécurité. Par exemple, Paul Ingram a déclaré, lors de son
intervention sur le rôle de l’OTAN en matière de sécurité énergétique : « Il
est beaucoup plus important de passer par les voies diplomatiques pour traiter
avec les sources d'énergie que de le faire par l'intermédiaire d'une alliance
militaire. »
- Toutes
les fois qu’il en a l’occasion, le Canada devrait s’attacher à renforcer le
dialogue politique et à bâtir des relations de coopération en empruntant la
voie diplomatique, car les nations ne sont pas complètement indépendantes les
unes des autres dans le contexte de sécurité mondiale. L’Association
parlementaire de l’OTAN est un exemple de tribune au sein de laquelle le Canada
pourrait favoriser ces initiatives, car c’est à travers l’Alliance qu’il lui
sera possible de sensibiliser les parlementaires de pays désireux d’avoir des
liens plus étroits avec l’OTAN, dans un effort de compréhension mutuelle sur
les grands enjeux de défense et de sécurité. Le Canada devrait promouvoir le
renforcement de ces institutions afin de favoriser les partenariats
stratégiques.
- Même si le rapport du
Comité se concentre sur le Concept stratégique de l’OTAN, la discussion tourne
autour du rôle accru que pourrait jouer le Canada en matière de coopération de
défense internationale. C’est la raison pour laquelle il conviendrait de
rappeler qu’alors que l’OTAN assume un rôle vital au chapitre de la coopération
en matière de sécurité, l’Alliance est une tribune, parmi d’autres, au sein de
laquelle le Canada pourrait participer aux efforts internationaux déployés en
faveur de la paix et de la sécurité.
- Les
néo-démocrates tiennent à insister sur l’importance de la reconnaissance de
l’autorité juridique du Conseil de sécurité des Nations Unies dans le maintien
de la paix et de la sécurité internationales, ainsi que sur la nécessité d’une
forte présence diplomatique et d’efforts persistants pour atteindre cet
objectif fondamental.
- L’intervention
de l’ONU au Mali est un exemple de mission dans laquelle le Canada peut
contribuer directement aux actions visant à ramener la paix et à assurer la
stabilité politique. Le Canada accorde une aide au Mali depuis de nombreuses
années et, dans le cadre de cette mission, il s’est investi modestement dans le
volet militaire de l’intervention. Or, le représentant spécial au Mali du
secrétaire général des Nations Unies a demandé récemment aux pays membres de
l’OTAN de soutenir les importantes initiatives de stabilité dans le nord du
Mali à la suite de l’intervention militaire qui a fait place à un vide
institutionnel. Le Canada devrait être plus réceptif à cette requête et y
répondre dans le cadre de sa contribution aux efforts déployés en faveur de la paix
et de la sécurité internationales.
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