Opinion dissidente de l’Opposition officielle au rapport
du Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes sur les
soins offerts aux militaires canadiens malades ou blessés
Lorsque j’étais
à l’hôpital en Afghanistan, j’ai parlé à mon père au téléphone. Il m’a
dit : « Ne t’inquiète pas, le Canada va bien s’occuper de toi. Tu as
accompli ton devoir comme nous l’avons toujours fait, et le Canada va faire le
nécessaire. Ce n’est qu’un juste retour des choses. Tout va bien aller. »
Eh bien, il se trompait. Je suis désormais totalement
défait, et je ne peux plus être un soldat productif et utile. Je songeais à
devenir un jour policier, comme mon père, mais je suis maintenant en trop
piètre état pour satisfaire aux critères de la police. Ce qu’il faut retenir, c’est que nous avons tous pris les armes en étant prêts
à faire le sacrifice ultime pour notre pays.
Caporal Glen Kirkland, 5 juin 2013
Introduction
- Bien
que nous soyons d’accord avec de nombreux éléments du rapport majoritaire,
nous, les membres du Comité de l’Opposition officielle, tenons à exprimer
notre profonde inquiétude du fait que plusieurs questions présentées dans
le rapport majoritaire n’ont pas été examinées avec suffisamment de
sérieux, compte tenu de leur gravité. Par ailleurs, certaines questions ne
sont pas abordées dans le rapport ou uniquement mentionnées de façon
brève, et nous croyons qu’elles méritent une attention plus soutenue dans
le contexte des soins offerts aux militaires canadiens malades ou blessés.
En général, nous ne sommes pas à l’aise avec le ton exagérément positif du
rapport. Comme nous l’avons constaté avec les témoignages entendus au
cours de l’étude, le ministère de la Défense nationale (MDN) s’est souvent
montré réactif aux plaintes plutôt que proactif dans son traitement des
militaires malades ou blessés – particulièrement en ce qui concerne les
services aux militaires ayant des séquelles psychologiques et à leurs
familles – c’est pourquoi nous estimons injustifié de louanger
continuellement le Ministère pour ses efforts. De plus, plusieurs
recommandations se trouvant dans le rapport majoritaire sont semblables à
celles que le Comité avait formulées en 2009 dans son rapport « Pour
de meilleurs soins : services de santé offerts au personnel des
Forces canadiennes, en particulier dans le cas des troubles de stress
post-traumatique », ce qui porte à croire que le gouvernement du Canada
n’a pas donné à ce rapport toute l’attention voulue. Enfin, nous tenons à
exprimer notre vive inquiétude du fait que le Comité n’a tenu qu’une seule
réunion ayant duré à peine plus d’une heure pour adopter le rapport
majoritaire, une décision étonnante que nous trouvons particulièrement
troublante après une étude de deux ans sur une question aussi critique
touchant des milliers de Canadiens. Selon ce que nous avons constaté, les
recommandations formulées dans les rapports de comité sont plus solides
lorsque les comités discutent et débattent de façon plus rigoureuse.
Recrutement et
pré-déploiement
- Tout au
long de cette étude de deux ans, les témoins ont insisté sur le fait que les
blessures liées au stress opérationnel (BSO), y compris le trouble de stress
post-traumatique (TSPT), étaient l’un des problèmes de santé les plus sérieux
auxquels était confronté le personnel des Forces armées canadiennes (FAC). Bien
que les statistiques à ce sujet manquent cruellement, une étude rapporte que
sur une période de huit ans suivant leur premier déploiement en Afghanistan,
environ 20 % du personnel canadien avait reçu un diagnostic de trouble de santé
mentale attribuable à leur service dans ce pays[1]. Cette étude a
pris place à la fois avant et après l’accélération des opérations en
Afghanistan et ne reflète donc pas l’ensemble de l’impact de la mission
canadienne, y compris de l’aggravation, avec le temps, des blessures
psychologiques. Avec la fin de notre mission en Afghanistan, le Canada doit
accorder davantage d’attention au traitement du TSPT dans la communauté
militaire. L’une des facettes cruciales de ce traitement consiste à évaluer de
façon minutieuse la résilience mentale du personnel aux étapes de recrutement
et de pré-déploiement. Le Dr Harvey Moldofsky, professeur
émérite à la Faculté de psychiatrie de l’Université de Toronto, a confié
au Comité qu’il avait fait une demande de subvention auprès du gouvernement du
Canada pour étudier les prédicteurs et les symptômes du TSPT dans les premiers
temps de la mission canadienne en Afghanistan. Malheureusement, Dr Moldofsky
n’a jamais reçu de réponse du gouvernement[2]. Bien que l’expérience
de Dr Moldofsky soit anecdotique, elle porte à croire que l’on
n’a pas accordé toute l’attention nécessaire aux blessures liées au stress
opérationnel et que l’on n’a pas suffisamment enquêté à leur sujet. Par
conséquent, nous recommandons que le Canada intensifie considérablement ses
efforts de recherche sur le TSPT et les BSO afin que les évaluations de santé
mentale à l’étape du recrutement soient le plus rigoureuses possible, et que le
traitement des personnes qui en souffrent soit le plus efficace possible.
Théâtre d’opérations
- Le Comité
a entendu des témoins relater de façon convaincante et positive à quel point le
secourisme en situation de combat et l’hôpital de rôle 3 étaient indispensables
pour sauver des vies sur le champ de bataille en Afghanistan. À l’instar du
reste du Comité, nous saluons ces efforts, mais nous nous inquiétons aussi du
fait que sur le terrain, on ne semblait pas accorder autant d’importance aux
blessures psychologiques. Dans cette mission, les équipes de santé mentale
déployées se composaient d’un travailleur social, d’une infirmière en santé
mentale et d’un psychiatre. Le brigadier-général Jean-Robert Bernier a informé
le Comité que les FAC n’y avaient pas envoyé de psychologues parce qu’elles
emploient uniquement des psychologues civils et ne « déplo[ient] outre‑mer
que des militaires[3] ». Le personnel
militaire ayant besoin de soins psychologiques en théâtre d’opérations était
traité par des psychologues américains. Se fier ainsi à nos alliés présente
certains problèmes, particulièrement en ce qui concerne la culture et la langue.
De toute évidence, comme le montre le témoignage d’anciens combattants et de
leurs familles, les conséquences des blessures psychologiques peuvent être
aussi sérieuses et débilitantes que les blessures physiques. Cela nous amène
à recommander que le Canada élargisse ses équipes de santé mentale déployables
de façon à y inclure des psychologues en uniforme pour traiter les traumatismes
mentaux en théâtre d’opérations, et qu’il veille à ce que les services de santé
mentale soient offerts dans les deux langues officielles. Ces équipes devraient
avoir un statut comparable à celui des équipes de traumatismes physiques.
- Le
témoignage du bombardier Geoffry Logue, rapatrié au Canada après avoir reçu un
diagnostic de TSPT sévère en Afghanistan, nous interpelle fortement. Il a
relaté son expérience de rapatriement en ces termes :
J’ai été
rapatrié au Canada sur un vol civil. Je n’ai eu aucune période pour
décompresser. Ma période de décompression, je l’ai passée au Boston Pizza, à
Portage la Prairie, au Manitoba. On m’a remis un titre de permission et on m’a
dit que j’avais deux mois de congé. Je n’ai bénéficié d’aucun soutien. Il n’y
avait personne que je pouvais aller voir[4].
L’histoire du bombardier Logue est
choquante. Comme l’ont indiqué au Comité de nombreux officiers militaires, le
moment et la façon dont le personnel militaire ayant subi des blessures
psychologiques rentre au pays ont une incidence énorme sur leur bien-être futur. Par conséquent, nous recommandons fortement que le Canada enquête sur l’expérience
de rapatriement du bombardier Logue et qu’il mette en œuvre les procédures
nécessaires pour éviter que cela se reproduise.
Diagnostic et traitement
- Nous
sommes très inquiets du fait que le MDN ait de la difficulté à recruter et à
maintenir en poste un nombre suffisant de psychologues cliniques, de
travailleurs sociaux, d’infirmières en santé mentale et de psychiatres,
particulièrement pour le personnel francophone des FAC. En 2013,
Pierre Daigle, alors ombudsman des FAC et du MDN, a déclaré que le MDN n’avait
jamais atteint son objectif d’embaucher 447 employés en santé mentale (un
objectif recommandé en 2002), et que la pénurie atteignait même 22 %[5].
Nous trouvons cela particulièrement troublant, puisque cet objectif avait été
recommandé avant que la vaste majorité des 40 000 militaires canadiens
ayant servi en Afghanistan y soient envoyés, et avant que bien des conséquences
de la mission sur la santé mentale commencent à émerger. De plus, ce n’est qu’au
printemps 2014 qu’on a commencé à remédier à cette pénurie de personnel. Bien
que le brigadier‑général Bernier ait déclaré que le MDN était résolu « à
embaucher autant que possible des travailleurs sociaux, des infirmières en
santé mentale et des psychiatres[6] », il
est temps que les efforts du MDN aboutissent si l’on veut que tous les
militaires en service, anglophones et francophones, aient accès aux soins de
santé mentale dont ils ont besoin. Nous recommandons que le MDN mette en place les
conditions qui lui permettront d’atteindre l’objectif fixé en 2002 d’embaucher
447 employés en santé mentale. Nous recommandons également que le MDN détermine
si cet objectif doit être révisé à la hausse compte tenu des nouveaux besoins
qu’entraîne le retour au pays des 40 000 militaires canadiens ayant servi
en Afghanistan.
- Le Comité
a entendu des témoignages inquiétants de diagnostics erronés concernant en
particulier des militaires souffrant de blessures psychologiques. Deux cas de
soldats souffrant de TSPT ayant été traités pour alcoolisme se démarquent.
M. Gregory Woolvett a déclaré au Comité que son fils, qui a servi en
Afghanistan, avait reçu un diagnostic de TSPT grave en 2010, mais qu’il avait d’abord
été traité pour alcoolisme. « [L]orsqu’il est question de cette blessure
particulière — le trouble de stress post-traumatique — on pose un mauvais
diagnostic et on définit cela différemment », a-t-il confié dans son
témoignage[7]. Son fils a donc reçu un
traitement qui ne lui convenait pas du tout. Le Comité a aussi été contacté par
un ancien combattant, Murray Wilkinson, qui a relaté par écrit une
expérience semblable qu’il a vécue où il s’est fait inscrire dans un programme
de traitement de l’alcoolisme en 12 étapes offert par les FAC, alors qu’il
souffrait en fait de TSPT. Nous recommandons que les professionnels de la
santé mentale qui travaillent dans les FAC et au MDN reçoivent une formation
plus rigoureuse au sujet des signes et des symptômes du TSPT afin qu’ils
puissent administrer les traitements qui conviennent.
- On a aussi
fait part au Comité de l’insuffisance de la couverture médicale pour les médicaments
et les prothèses. Par exemple, le caporal Glen Kirkland a été grièvement blessé
en Afghanistan quand une roquette s’est abattue sur le véhicule blindé léger
dans lequel il prenait place, causant la mort de trois de ses camarades. À
cause de l’explosion, le caporal Kirkland a perdu 75 % de son ouïe et le
traumatisme crânien qu’il a subi fait en sorte que son corps n’est plus capable
de produire de l’insuline. Lorsqu’on lui a prescrit de l’insuline pour le
garder en vie, on a refusé d’en couvrir les coûts, parce qu’ils étaient trop élevés.
De plus, lorsque le caporal Kirkland s’est fait prescrire des prothèses
auditives avec amplificateurs, et qu’il devait donc porter des lunettes
spéciales pouvant s’adapter à ces prothèses, un officier médical de la base lui
a dit qu’il devait faire un choix : « On m’a dit qu’il me faudrait
décider en partant de chez moi si j’avais besoin cette journée-là de bien voir
ou de bien entendre[8]. » Ce n’est
peut-être pas représentatif des méthodes habituelles de l’Armée, mais la façon dont
le caporal Kirkland a été traité nous déconcerte. Le Comité a été contacté par
d’autres militaires qui ont eu et qui ont encore de la difficulté à obtenir les
médicaments et les prothèses dont ils ont besoin suite à leurs blessures. À
la lumière de ces éléments, nous recommandons que le Canada prévoie des fonds
suffisants pour couvrir le coût des prothèses et des médicaments d’ordonnance
visant à traiter les blessures et les maladies du personnel militaire.
- Des
ergothérapeutes ont aussi parlé au Comité des divers services de santé mentale
et physique qu’ils pouvaient offrir aux militaires et à leurs familles. En
fait, cette profession a vu le jour pendant la Première Guerre mondiale pour
aider les soldats à réintégrer la vie civile. Actuellement, le MDN compte seulement
deux ergothérapeutes pour tout le Canada[9]. Elizabeth
Steggles, de l’Association canadienne des ergothérapeutes (ACE), a déclaré au
Comité que ces ergothérapeutes avaient eu beaucoup de succès, par exemple, avec
le programme de retour au travail. Conformément à une recommandation de l’ACE,
nous recommandons que le MDN embauche au total huit ergothérapeutes pour aider
le personnel militaire et leurs familles qui sont aux prises avec des blessures
mentales et physiques.
- De même, l’Association
chiropratique canadienne (ACC) a livré un témoignage utile sur les services
chiropratiques offerts aux militaires américains, en expliquant que ces
services permettaient au personnel de rester au travail[10]. Nous
recommandons donc que l’on tienne compte de la stratégie musculosquelettique
proposée par l’ACC.
- Le
colonel Gerry Blais a déclaré au Comité que tous les programmes offerts par les
Unités interarmées de soutien du personnel (UTSP) étaient « globaux[11] ».
Toutefois, la déclaration du colonel Blais selon laquelle « [o]n traite
tous nos blessés et nos malades de la même façon[12] »
ne tient pas compte des aspects psychologiques et sociaux des militaires de
sexe féminin souffrant du TSPT ou d’un autre problème de santé mentale, en
particulier celles ayant subi un traumatisme sexuel dans le contexte militaire. Les programmes de réintégration et les services de santé mentale devraient
tenir compte du taux plus élevé d’agression sexuelle chez les militaires de
sexe féminin qui sont déployées au Canada et à l’étranger[13]. De plus, comme l’a souligné
dans son témoignage Heather Allison, mère d’une technicienne médicale
monoparentale, comme les femmes sont souvent les principales dispensatrices de
soins dans leur famille, le MDN devrait offrir des programmes de réintégration
post- déploiement pour aider son personnel féminin ayant des enfants.
- Nous saluons les
services de soutien bénévole entre pairs offerts par l’entremise des UISP,
parallèlement à ceux qu’assurent les fonctionnaires. Toutefois, il est impératif
de tout mettre en œuvre pour offrir ces services dans les deux langues
officielles, peu importe où se trouvent la base ou les installations
militaires. Cela doit s’appliquer autant aux bénévoles qu’au personnel rémunéré.
Le fait que le bilinguisme des fonctionnaires (et, pourrait-on supposer, celui
des bénévoles), comme l’a fait remarquer le colonel Blais, « dépend du
poste et de la région[14] » ne devrait pas
empêcher le personnel des FAC d’obtenir les services dont ils ont besoin. On
trouve des militaires des deux langues officielles partout au Canada et ils
devraient pouvoir accéder à des soins dans la langue de leur choix.
Réservistes
- À notre avis, notre
étude n’a pas suffisamment exploré les problèmes concernant la prestation de soins
de santé aux réservistes. En Afghanistan, les réservistes ont compté pour une
part importante des troupes des forces régulières, souvent jusqu’à 20 % ou
plus. À la lumière des témoignages que nous avons entendus à ce sujet,
particulièrement celui de l’ombudsman, M. Daigle, nous recommandons que
les services de santé, y compris en santé mentale, destinés aux réservistes des
FAC soient élargis, du point de vue géographique (c.-à-d. dans les endroits
éloignés) et du point de vue de la durée (post‑déploiement). Ce ne
sont pas tous les réservistes qui habitent près d’une base militaire ou d’un grand
centre urbain, mais cela ne devrait pas les empêcher d’accéder aux soins et aux
traitements dont ils ont besoin. Les réservistes ayant été déployés devraient
avoir accès à des services de santé pendant aussi longtemps que les membres des
forces régulières. Comme l’a fait observer M. Daigle, « lorsqu’ils
réintègrent l’unité à laquelle ils appartiennent à la suite d’une opération, ils
se retrouvent plus isolés. Ils ne sont plus soutenus ni encadrés comme ils l’étaient
dans l’unité où ils étaient déployés. Dans ces cas, ils sont nombreux à ne pas
avoir accès à ces services[15] ». De plus, à la
lumière du témoignage de l’ombudsman, nous recommandons que le Canada adopte
des politiques et des règlements permanents qui définissent clairement les
soins médicaux auxquels les réservistes ont droit et que l’on fasse connaître
ces droits, non seulement aux réservistes eux-mêmes, mais aussi au personnel
médical traitant les réservistes, afin de prévenir toute confusion.
Familles des militaires
- Le déploiement du
personnel militaire a des effets considérables non seulement sur les militaires
eux-mêmes, mais aussi sur leurs familles. Pour reprendre les mots de Gregory
Woolvett, père d’un technicien médical envoyé en Afghanistan, « le soldat
est allé à la guerre, mais la famille l’a accompagné[16] ».
Des membres de la famille de militaires nous ont parlé de leur manque de
préparation, de consultation et de participation dans les cas où le militaire
tombait malade ou était blessé en service. Heather Allison, dont la fille a
servi en Afghanistan, nous a raconté qu’elle avait essuyé une rebuffade lorsqu’elle
avait tenté d’en savoir plus sur le TSPT auprès des conseillers du Centre de
ressources pour les familles des militaires (CRFM), qui lui ont répondu :
« Nous n’allons pas aborder ce sujet. Nous aurons cette discussion
quelques semaines avant que votre soldat revienne[17]. »
Comme le reconnaît le rapport majoritaire, la façon dont les commandants et les
conseillers du CRFM communiquent avec les familles des militaires pour leur
faire part du soutien et des ressources mis à leur disposition n’est pas
uniforme. Nous recommandons que les commandants ou les conseillers des CRFM
communiquent avec les familles des militaires le plus tôt possible, chaque fois
qu’un des leurs est déployé, pour les mettre en contact avec la communauté
militaire et leur faire connaître les ressources mises à leur disposition.
- Les conjoints de
militaires ont exprimé leurs appréhensions quant à leur manque de consultation
et de participation dans le traitement de leurs conjoints. Lors de la visite du
Comité à la base militaire de Petawawa, en décembre 2013, la conjointe d’un
militaire nous a raconté qu’il lui avait fallu quatre ans pour recevoir du
counselling pour l’aider à composer avec le TSPT de son conjoint. Voici ce qu’une
autre conjointe de militaire a confié au Comité :
Les conjoints
ont des inquiétudes par rapport au retour de mission de leur partenaire. Ils
veulent les appuyer. Mais ils n’ont aucune idée de ce qu’il faut surveiller ou
de ce qu’ils peuvent faire pour les aider. Les réponses vagues et générales qui
sont données dans le cadre des séminaires de réintégration créent plus de
confusion, pas moins… Les conjoints fournissent des soins quotidiennement; ils
méritent d’avoir en main les outils qui amélioreront le traitement au lieu de
lui nuire[18].
Nous en concluons que
les conjoints de militaires doivent être intimement liés au processus de
traitement et que les FAC et le MDN doivent les renseigner, leur offrir de la
formation et du counselling pour les aider à prendre soin de leurs conjoints.
Le Canada devrait commencer immédiatement à offrir cette formation et ce
soutien. Cela renforcera aussi le bien-être de l’unité familiale, une préoccupation
particulière étant donné qu’un sondage récent effectué par Recherche et
Développement pour la défense canadienne (RDDC) révèle qu’un conjoint de
militaire sur cinq avait admis envisager de mettre fin à leur union pendant le
déploiement de son partenaire[19].
- Dans son
rapport de 2009 « Pour de meilleurs soins », le Comité a recommandé
que le gouvernement fédéral poursuive sa collaboration avec les gouvernements
provinciaux et territoriaux pour approfondir les rapports entre les services de
santé locaux et ceux des FAC. Étant donné que 80 % des familles de militaires
habitent maintenant à l’extérieur des bases militaires, elles ont de plus en
plus besoin des services de santé des provinces et des territoires, ce qui
présente certaines difficultés. Si l’on se fie aux témoignages présentés au
Comité, le MDN et les FAC ne semblent pas avoir pris les mesures nécessaires
pour remédier à ces difficultés. Par conséquent, nous recommandons que le
Canada redouble d’efforts pour améliorer les relations entre les services de
santé des FAC et les services sociaux et de santé des communautés locales afin
d’offrir un accès rapide et efficace au personnel des FAC, y compris aux
réservistes, et à leurs familles. Nous recommandons aussi que le Canada
instaure des programmes coopératifs pour inciter les professionnels de la santé
qualifiés à offrir leurs services au personnel des FAC, y compris aux
réservistes, et à leurs familles, là où il y a pénurie de tels services.
Transition
- Pendant l’étude du
Comité, nous avons entendu parler de militaires qui ont été renvoyés pour des
raisons médicales juste avant leurs 10 ans de service, ce qui veut dire qu’ils
n’auraient pas droit à leur pleine pension militaire. Le caporal Kirkland est l’une
des personnes en ayant parlé[20]. Le Comité a pris
connaissance de résultats inégaux concernant les taux de retour au travail de
militaires blessés et malades. Par exemple, le major-général David Millar a
déclaré qu’en date de mars 2014, le programme de retour au travail avait connu
un taux de succès de seulement 23 %. Cette statistique troublante nous
amène à souscrire fortement à la recommandation 1 formulée par le Comité
permanent des anciens combattants de la Chambre des communes dans son rapport
de juin 2014, « La Nouvelle Charte des anciens combattants : Allons
de l’avant ». Selon cette recommandation, les militaires ne devraient être
libérés pour raisons médicales que si certaines conditions sont remplies et les
FAC devraient former un comité pour veiller à l’uniformité des critères de
libération, des services et des prestations aux membres et aux anciens
combattants des FAC[21].
- Parallèlement à la
recommandation précédente, nous exhortons le Canada à non seulement envisager d’examiner l’exigence d’universalité du service, comme le veut la
recommandation 27 du rapport majoritaire, mais à examiner ce principe dans un contexte
moderne aussitôt que possible. Dans son rapport de 2012, La
ténacité dans l’adversité, M. Daigle a formulé la même recommandation.
Comme il l’a dit au Comité, la rigidité de ce principe empêche peut-être le
personnel militaire d’aller chercher des soins, particulièrement s’il s’agit de
blessures psychologiques. Il a fait valoir que dans le contexte actuel, il
était sans doute possible d’« organiser les choses différemment sans pour
autant affecter l’efficacité des opérations[22] ».
- Nous avons des
réserves quant à la recommandation 31 du rapport majoritaire concernant la
responsabilité du gouvernement du Canada à l’égard du personnel malade ou
blessé des FAC. Bien que le travail accompli par les organisations tierces et
les organismes caritatifs soit certes utile, on ne devrait pas s’y fier pour
remplacer les efforts gouvernementaux visant à offrir du soutien et des
services au personnel des FAC. Les organisations non gouvernementales qui
facilitent la transition à la vie civile sont certes utiles pour les militaires
qui souhaitent entreprendre cette transition, mais il incombe toujours au MDN
et aux FAC d’offrir le soutien nécessaire à tous les militaires et ce, dans les
deux langues officielles.
Médaille du sacrifice
- La
Médaille du sacrifice reconnaît les sacrifices consentis par les membres des FAC
ainsi que ceux et celles qui travaillent à leurs côtés qui ont été blessés ou
tués dans des circonstances honorables et dont les blessures ou le décès
découlent directement d’un acte hostile ou d’un acte dirigé vers une force
hostile. Le brigadier‑général Bernier a confié au Comité que « le
fait que nous décernons la Médaille du sacrifice aux personnes qui en expriment
le souhait, qui ont subi un traumatisme lié au stress opérationnel, envoie un
message très clair[23] ». Malheureusement,
l’application des critères exclut, par exemple, les personnes souffrant du TSPT
pour avoir traité ou aidé des soldats grièvement blessés au combat. Nous
recommandons que le Canada révise les critères et les politiques relatives à la
Médaille du sacrifice pour que le personnel des FAC la méritant puisse la
recevoir.
Commissions d’enquête
- Pendant des mois,
nous avons exprimé notre inquiétude concernant les 70 commissions d’enquête
en cours concernant le suicide de militaires, et dont certaines perdurent
depuis cinq ans. Nous avons été déconcertés par la vision simpliste du
major-général Millar à l’égard des commissions d’enquête, selon qui « il s’agit
d’un processus administratif visant à déterminer si le suicide est attribuable
aux fonctions du militaire aux fins de l’admissibilité aux prestations d’Anciens
Combattants Canada[24] ». En fait, selon
les Directives et ordonnances de la Défense 7002-1, on convoque une commission
d’enquête, notamment, si un militaire est soupçonné d’avoir causé
volontairement son propre décès, pour enquêter sur les circonstances de son
décès et possiblement faire des recommandations afin d’éviter que cela se
reproduise[25]. Menées en temps
opportun, les commissions d’enquête pourraient certainement contribuer à
prévenir le suicide de militaires en faisant ressortir les problèmes ou les
déclencheurs pouvant mener, du moins partiellement, au suicide de membres des
FAC, actuels et anciens. Par conséquent, nous recommandons que le Canada
veille à ce que toutes les commissions d’enquête actuellement en cours sur des
suicides de militaires soient complétées sans délai.
- Nous avons aussi des
appréhensions quant au suivi des suicides commis par les militaires en poste ou
récemment libérés. Le major-général Millar a confié au Comité que les FAC
comptabilisaient les suicides des hommes de la force régulière, des femmes et
des réservistes, mais que seules les statistiques sur le suicide des hommes de
la force régulière étaient publiées[26]. En outre, les FAC ne
font pas le suivi des suicides chez les anciens combattants, alors que le
nombre de décès attribuables à un suicide est supérieur de 45 % chez les
vétérans par rapport aux militaires en poste. Pour mieux comprendre et
prévenir les suicides chez les militaires en poste et récemment libérés, nous
recommandons que les FAC surveillent chacun de ces groupes et qu’elles en
publient les statistiques une fois par année.
Recherche et innovation
- Pour mesurer l’ampleur
des blessures physiques et psychologiques touchant les membres des FAC, les
Canadiens doivent avoir accès à des données fiables et à jour. Malheureusement,
pour les commissions d’enquête, les membres du Comité ont dû se fier en grande
partie à des données provenant d’une enquête menée par Statistique Canada en
2002, avant que le Canada ne s’engage aussi activement dans le conflit afghan.
Il existe une autre enquête plus récente de Statistique Canada, mais elle n’a
pas encore été publiée[27]. Nous trouvons cela extrêmement
décevant. Pour reprendre les paroles de l’ombudsman, M. Daigle, « [s]ans
des données fiables, il est difficile de comprendre la portée et la gravité du
problème — et de concevoir et de mettre en œuvre des programmes nationaux
efficaces pour aider ceux qui souffrent d’un traumatisme lié au stress
opérationnel[28] ». Nous
recommandons que le Canada donne suite à la recommandation de l’ancien
ombudsman de créer une base de données nationale qui refléterait de façon
exacte le nombre de militaires des FAC, y compris des réservistes, qui sont
touchés par des blessures de stress opérationnel. C’était la première
recommandation de M. Daigle à titre d’ombudsman, et il serait temps qu’on
la mette en œuvre.
- Diverses universités
canadiennes effectuent des recherches indépendantes sur la santé des militaires
et des anciens combattants. Ces recherches contribuent à combler les lacunes de
nos connaissances à ce sujet. Alice Aiken est directrice de l’Institut canadien
de recherche sur la santé des militaires et des vétérans (ICRSMV), un
établissement indépendant regroupant 25 universités canadiennes qui effectuent
des recherches sur les besoins des militaires canadiens, des anciens
combattants et des familles de militaires. Interrogée sur le financement et la
viabilité de cet institut, Mme Aiken a répondu : « En
quelques mots, notre institut ne reçoit pas de financement[29]. »
Nous croyons comprendre que les FAC et le MDN impartissent des travaux de
recherche à l’ICRSMV. Toutefois, nous recommandons que le Canada contribue à
un fonds important et indépendant de recherche qui permettrait à l’ICRSMV, par
l’entremise de ses institutions partenaires, d’entreprendre des recherches
autonomes sur les questions de santé touchant le personnel des FAC, les anciens
combattants et leurs familles.
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