Le
gouvernement doit prioriser davantage les soldats malades ou blessés
Les
libéraux estiment que nous avons l’obligation sacrée d’offrir un soutien complet
aux membres des Forces armées canadiennes (FAC) malades ou blessés ainsi qu’à
leur famille, en reconnaissance de leur service au pays. Nous souhaitons
remercier les témoins qui ont exprimé leurs opinions et idées, les Services de
la procédure qui ont assuré le bon déroulement des travaux du Comité, et
particulièrement les analyses de la Bibliothèque du Parlement pour leur contribution
majeure à l’étude du Comité permanent de la défense nationale sur les soins
offerts aux militaires canadiens malades ou blessés.
Une
grande partie du rapport du Comité rend compte avec justesse des témoignages
entendus, mais les recommandations formulées, malheureusement, ne reflètent pas
l’urgence des enjeux ni les inquiétudes très réelles exprimées lors de bon nombre
des comparutions. Nous approuvons l’attention portée notamment à la maladie
mentale et aux préjugés qui l’entourent, ou encore à l’importance de l’appui à
la transition, mais le thème général du rapport, que révèlent des expressions
comme « continue d’appuyer » ou « continue de
reconnaître », est que le gouvernement a commencé à agir. Or, ce n’est tout
simplement pas le cas. Nous déplorons que les recommandations ne reflètent pas
davantage les critiques adressées par de nombreux témoins et les autres
préoccupations exprimées.
Par
ailleurs, le Comité n’a accordé qu’un minimum d’attention à ce rapport, alors
que, pendant plus de deux ans, de nombreux témoins ont comparu ou présenté des
mémoires, et des intervenants ont assisté jour après jour à nos délibérations.
Quand on considère la quantité et l’ampleur des témoignages recueillis, on ne
peut que trouver complètement inacceptable le temps accordé à la discussion de
ce rapport en comité, d’autant plus que les membres des FAC comptent sur le
Parlement pour répondre à leurs besoins.
Manque
de recommandations concrètes
Les
recommandations formulées dans le rapport pèchent par leur manque de
précision : le Parti libéral est souvent favorable à leurs concepts sous-jacents,
mais nous trouvons qu’elles ne proposent pas au gouvernement suffisamment de
mesures concrètes ou de jalons précis.
Douze
des recommandations reprennent la même formule, soit « que le gouvernement
continue de… », ou « maintienne… ». Or, selon ce qu’ils nous ont
dit en comité ou ailleurs, les militaires malades ou blessés des FAC de même
que leurs proches trouvent au contraire que le gouvernement est loin d’en faire
assez. Se limiter à encourager le gouvernement à maintenir le cap, alors qu’il
ne fait rien, c’est insulter ceux et celles qui nous ont fait part des insuffisances
des soins reçus, et c’est fermer les yeux sur l’aide et la compassion que
réclament nos militaires.
De
même, plusieurs des recommandations se contentent « d’encourager » le
gouvernement du Canada, le ministère de la Défense nationale (MDN) ou les
Forces armées à agir. À titre d’exemple, on peut citer la recommandation 16,
« Le Comité recommande que le gouvernement du Canada encourage
l’achèvement de toutes les commissions d’enquête en cours sur des suicides de
militaires », ou la recommandation 10, « Le Comité recommande
que le gouvernement du Canada encourage les Forces armées canadiennes à mettre
en œuvre une politique qui déconseille fortement aux supérieurs militaires de
poser des questions de nature médicale à un subordonné, à moins qu’il y ait un
risque immédiat pour la santé ou la sécurité du militaire ou de son unité ».
Mais dans ces domaines, le Comité doit faire plus qu’encourager – il doit
exiger de l’action.
Outre
ces critiques globales, nous avons des préoccupations plus spécifiques sur la teneur
– ou l’absence – de certaines recommandations.
Les
services de santé mentale offerts aux blessés de l’Afghanistan sont inadéquats
Le
Parti libéral est très préoccupé par les services de santé mentale offerts aux
membres des FAC. Selon ce qu’a répondu le gouvernement à une question inscrite
au Feuilleton en décembre 2013, plus de la moitié des bases des FAC n’ont même
pas de psychiatre sur place, et 40 % des bases n’ont ni psychiatre, ni
psychologue. Ce fait suffit à soulever des questions sérieuses sur le niveau
des soins en santé mentale offerts aux militaires en sol canadien.
Malgré
notre insistance, nous n’avons pas réussi à déterminer exactement, à partir des
chiffres globaux à notre disposition, où exactement les ressources étaient
affectées. Même les responsables du Ministère ne pouvaient pas répondre :
lorsque nous avons demandé à la sous-ministre adjointe (Ressources humaines –
Civils) du MDN combien des professionnels récemment embauchés étaient psychologues
ou psychiatres, et combien de postes de psychologues ou psychiatres demeuraient
à pourvoir, elle a répondu qu’elle « [n’avait] pas les chiffres en ce qui
concerne les psychiatres ».
Ainsi,
même un interrogatoire direct en comité parlementaire ne nous a pas permis
d’obtenir des renseignements de base sur le niveau de dotation de postes
cruciaux en santé mentale. Selon nous, il y a donc un manque de transparence à
cet égard. C’est pourquoi nous recommandons :
Que le ministère
de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes rendent publics chaque
trimestre le nombre de psychiatres, de psychologues, de médecins et d’infirmiers(ères)
disponibles à chaque base/installation des FAC, ainsi que, pour chacune, le ratio
entre patients et fournisseur de soins.
En
ce qui concerne les soins offerts aux militaires canadiens à l’étranger, nous
trouvons particulièrement préoccupant le manque de psychologues cliniciens en
uniforme dans les FAC. Les soldats en sol canadien peuvent consulter un
psychologue – si leur base en a un, au moins –, mais il s’agira d’un civil qui
ne peut pas être déployé à l’étranger. Dans les théâtres d’opération internationaux,
nos militaires doivent se tourner vers les services psychologiques assurés par
nos alliés, ce qui crée, surtout pour les francophones, des difficultés non
seulement culturelles mais linguistiques. Ce risque d’inégalité des soins selon
la langue nous préoccupe et doit être étudié plus avant.
Ce n’est pas avec
enthousiasme que les FAC ont parlé en comité de leur manque de psychologiques
cliniciens en uniforme : il a fallu une demande d’accès à l’information
pour apprendre que c’était pour elles un sujet de préoccupation. Ainsi, quand
il a été interrogé directement à ce sujet, le Bgén Jean-Robert Bernier a
déclaré que « jusqu'ici, nous n'en avions pas senti le besoin, car la
seule raison pour laquelle nous aurions besoin qu'ils soient militaires, c'est
s'il fallait les déployer sur un théâtre d'opérations ». Mais dans une
note d’information rédigée par le directeur de la santé mentale des FAC, ce
dernier a affirmé « qu'il est très probable qu'en embauchant des psychologues
cliniciens militaires, on améliorerait grandement les services de santé mentale
fournis aux membres des Forces canadiennes ». Le Bgén Bernier a par la suite
signalé qu’une évaluation des besoins en recrutement de psychologues cliniciens
en uniforme était « prévu[e] pour la fin d’avril ». Au moment
d’écrire ces lignes en juin 2014, ce rapport n’a pas, à notre connaissance, été
rendu public ni communiqué au Comité.
L’« universalité
du service » empire les cas de TSPT
Le
Parti libéral du Canada estime que l’universalité du service doit être revue,
et qu’il faut soit modifier, soit supprimer ce principe. On appelle
« universalité du service » l’idée selon laquelle chaque membre des
FAC doit être déployable. Sinon, il ne peut pas rester dans l’armée, mais doit
retourner à la vie civile.
Or,
de nombreux militaires blessés expliquent qu’ils ne demandent pas d’aide parce
qu’ils craignent d’être forcés de quitter l’armée.
Les
règles sur l’universalité du service sont appliquées actuellement de telle
sorte que des militaires sont forcés de quitter l’armée avant qu’ils ne soient
prêts, et alors qu’ils veulent et peuvent continuer de servir. Ces règles
doivent être réexaminées et améliorées.
Nous
nous réjouissons que le rapport du Comité aborde la question de l’universalité
du service, mais la recommandation 27 est trop modeste.
En
2009, le Comité avait « invit[é] le ministre de la Défense nationale et
les Forces canadiennes à continuer de s’efforcer d’appliquer avec compassion
les règles existantes concernant l’universalité du service », et
recommandé que les soldats qui se rétablissent puissent continuer de servir au
sein des FAC. Il faut en conclure que le Comité doit faire plus
qu’« inviter ».
Tolérance
zéro pour les agressions sexuelles dans les Forces armées canadiennes
Le
Parti libéral est consterné par le manque de transparence sur la question des
agressions sexuelles dans l’armée, et déplore qu’on ne s’engage pas clairement à
les éliminer.
En
effet, la question des agressions sexuelles n’est même pas mentionnée une seule
fois dans le rapport – c’est une omission sérieuse, selon le Parti libéral du
Canada. En effet, le lien entre les agressions sexuelles (en sol canadien ou
étranger) et le trouble de stress post-traumatique (TSPT) – particulièrement
chez les militaires de sexe féminin – n’est plus à démontrer.
Selon
nous, il est nécessaire de viser la prévention et le traitement du TSPT causé
par l’expérience du combat, mais aussi de cibler les autres causes de ce
trouble chez les militaires, dont les agressions sexuelles. Le Parti libéral du
Canada recommande donc :
Que le
ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes procèdent à
l’évaluation des programmes existants de prévention des agressions sexuelles
dans le but de prévenir non seulement ces agressions, mais aussi leurs
séquelles pour la santé mentale.
Il recommande en
outre :
Que le
ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes procèdent à
l’évaluation du processus de réponse et des services de soutien accessibles aux
victimes d’agression sexuelle dans les FAC, et s’assurent de l’intégration de
ces services au système de soins en santé mentale, particulièrement pour le TSPT.
Enfin, le Parti libéral du
Canada recommande :
Que le
ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes publient
chaque année un relevé des cas d’agression sexuelle survenus et des mesures
prises pour réduire/éliminer cette réalité horrifiante.
Appui
insuffisant aux soignants
Le
parti libéral estime qu’il faut fournir davantage de ressources et d’aide aux
familles, particulièrement aux conjoints, qui doivent assumer l’essentiel des
soins aux membres des FAC malades et blessés. Pour reprendre les termes du Mgén
David Millar : « Les familles sont
essentielles à la survie de nos militaires. Leur partenaire est leur bouée de
sauvetage. Ces personnes sont ici aujourd'hui ».
Selon
nos calculs, sur les 32 recommandations présentées trois seulement font
référence aux familles des militaires, et aucune ne mentionne la nécessité de
répondre aux préoccupations de ces familles.
Dans
son témoignage devant le Comité le 3 juin 2013, Mme Heather Allison, mère d’une
membre des Forces armées revenue malade d’Afghanistan, a déclaré :
« Je n'ai pas beaucoup d'expérience dans ce
domaine; ma fille vient de revenir. Elle est revenue depuis un an. Durant cette
courte période, nous avons dû composer avec deux surdoses. La dernière est
survenue en mars. Nous avons reçu un appel. En fait, c'est une amie, une autre
compagne militaire, qui a téléphoné. La base ne m'a même pas téléphoné, ce que
je trouve vraiment étrange, car je suis son plus proche parent. Elle est à la
tête d'une famille monoparentale. Pourtant, je ne reçois pas d'appel.
C'est là un des problèmes que j'éprouve. Il semble que
les parents n'ont aucun droit. Je sais qu'ils ne sont plus des enfants, mais ce
sont encore nos enfants. Je suis certaine que votre mère veut toujours savoir
où vous êtes, si vous conduisez sur la route, si vous êtes en sécurité. Eh
bien, les parents de soldats sont pareils. »
Mme
Allison a été avisée de la surdose de sa fille par une amie de cette dernière,
plutôt que par les FAC. Elle en est tout de même la mère! Il faut absolument
s’efforcer davantage d’intégrer les membres de la famille au traitement du
personnel malade et blessé, avec le consentement de l’intéressé, et ce, non
seulement lorsque ce dernier se trouve en détresse, mais pendant toute la durée
du traitement.
À
notre avis, les recommandations présentées dans le rapport ne reflètent pas
l’importance du soutien des membres de la famille dans le traitement, ni
n’appuient suffisamment les membres de la famille.
Une
intervention transparente et délibérée du gouvernement s’impose
Les
Libéraux estiment que l’amélioration des conditions de vie des membres des FAC
malades et blessés constitue une grande priorité pour l’ensemble des Canadiens.
Pendant les délibérations du Comité, les Libéraux ont soulevé des
préoccupations concernant l’inertie de ce gouvernement à l’égard de bon nombre
des 36 recommandations publiées dans le rapport de 2009 du Comité permanent de
la défense nationale et portant sur les membres des FAC malades et blessés.
La
plupart des recommandations y sont plus concrètes et mesurables et portent bien
plus sur les préoccupations d’ordre pratique des membres des FAC malades et
blessés et de leurs familles que celles présentées dans le rapport
d’aujourd’hui. Par exemple, la recommandation 23 du rapport de 2009[1] mentionnait que :
« Le ministère de la Défense nationale devrait
immédiatement fournir de meilleurs moyens de transport (comme des fourgonnettes
modernes ou des autocars avec chauffeurs) dans les bases militaires isolées
afin que les militaires et les membres de leur famille disposent d’un transport
adéquat lorsqu’ils doivent se rendre à l’extérieur de la ville pour des
services de soins de santé ou des rendez-vous médicaux ».
Il
s’agit d’une recommandation claire et pratique qui, si elle avait été suivie,
aurait vraiment amélioré la qualité de vie des membres des FAC blessés et de
leurs familles, et pourtant, à ce que nous sachions, elle n’a pas été appliquée
à l’échelle du pays.
Dans
son témoignage devant le Comité, le Cpl Glen Kirkland a exprimé son
mécontentement tant pour ce qui est de la distance entre le centre de
traitement et sa base (Shilo) que des difficultés que ces déplacements
représentent pour lui :
« C'était Deer Logde, à
Winnipeg. Cela semble formidable, mais il faut deux heures et demie en voiture,
et tout cela, les allers et retours, c'est tout simplement. [...] Je ne
comprends pas vraiment pourquoi la principale clinique de santé mentale se
trouve à deux heures et demie de la base des armes de combat la plus proche. »
Le
Comité a entendu ce témoignage le 5 juin 2013. Si les recommandations
initiales avaient été suivies et mises en place, les membres des FAC comme le
Cpl Kirkland auraient eu un obstacle de moins à franchir dans leurs vies.
Il ne
s’agit là que d’un exemple d’une tendance plus générale. Le gouvernement ne nous
semble pas s’être efforcé d’assurer un suivi de la situation, en surveillant
l’application des recommandations présentées dans le rapport de 2009 et en
présentant des rapports sur le sujet. Nous recommandons donc :
Que le Comité
permanent de la défense nationale demande au ministère de la Défense nationale
et aux Forces armées canadiennes de présenter des rapports annuels sur le suivi
des recommandations présentées ici et dans le rapport antérieur du Comité sur
le TSPT, et de les lui soumettre pour examen.
À
notre avis, cette mesure assurerait un minimum de responsabilité en ce qui
concerne le suivi des recommandations du Comité, de sorte qu’un autre rapport
sur cet important sujet serait moins susceptible de s’empoussiérer sur les
étagères du siège de la Défense nationale.
Les
Canadiens s’attendent à mieux
Les
Canadiens et le parti libéral estiment que le Canada peut et doit améliorer les
services de prévention, les soins et l’appui destinés aux soldats malades et
blessés.
À
notre avis, ce rapport, tout comme le système conçu pour appuyer le personnel
des FAC blessé et malade, reflète les idées et le dévouement de beaucoup qui
s’emploient à améliorer les choses et à trouver des solutions. Or, ce rapport
ne reflète pas ces bonnes intentions et pèche par manque de transparence et de
responsabilité. Si les FAC et le MDN ne veulent pas révéler le nombre de
professionnels de la santé mentale auxquels peuvent recourir les membres des
Forces armées, comment en garantir l’accès? Sans suivi externe et surveillance,
quelles assurances avons-nous que ces recommandations seront mises en place? Le
cadre du rapport actuel - et le système existant de soins de santé des FAC -
donnent peu de garanties.
Il
s’agit d’une étude importante, mais essentiellement inachevée, dont la
conclusion hâtive s’est faite au détriment d’un débat approfondi, d’une
démarche réfléchie et de la solidité du rapport. Bon nombre des recommandations
du rapport principal portent sur des questions importantes; malheureusement, beaucoup
constituent davantage un appel à l’inertie qu’un appel à l’action.
Les
Libéraux sont convaincus que les hommes et les femmes qui mettent
volontairement leur vie en danger pour le Canada méritent mieux.
Respectueusement soumis,
Joyce Murray, députée, Vancouver Quadra