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Monsieur le Président, c'est toujours un peu ennuyant pour ceux qui écoutent et qui étaient ici pour la première partie, mais pas pour la deuxième partie ou vice-versa.
J'étais en train d'expliquer ce que le gouvernement a un peu avorté, c'est-à-dire que les conservateurs n'ont pas trop parlé de l'arrêt Bedford. Ils ont cité une ligne de l'arrêt pour justifier leur projet de loi .
C'est important pour les députés à la Chambre de bien comprendre ce que la Cour suprême du Canada a dit par rapport aux contestations sur les trois articles en question, par les demanderesses, les intimées/appelantes et dans le pourvoi incident. Selon la Cour suprême:
Les dispositions contestées ont un effet préjudiciable sur la sécurité des prostituées et mettent donc en jeu le droit garanti à l’art. 7. [...] Les interdictions augmentent toutes les risques auxquels s’exposent les demanderesses lorsqu’elles se livrent à la prostitution, une activité qui est en soi légale.
Tout à l'heure, j'entendais une collègue à la Chambre dire qu'elle était fort aise d'entendre que la prostitution était maintenant illégale. Toutefois, le projet de loi ne va pas aussi loin que cela. En fait, le projet de loi devant nous ne rend pas la prostitution illégale, n'en déplaise aux conservateurs et à certains autres.
Alors, on fait quelques petites entourloupes, parce qu'on sait qu'on aurait peut-être un autre problème. Il serait intéressant de débattre de la question, à savoir si au Canada, on peut rendre illégale la prostitution dans sa totalité. Enfin, je vais faire comme les tribunaux et les juges: la question n'est pas devant la cour, alors je ne me prononcerai pas là-dessus. Je continue la citation:
Elles ne font pas qu’encadrer la pratique de la prostitution. Elles franchissent un pas supplémentaire déterminant par l’imposition de conditions dangereuses à la pratique de la prostitution: elles empêchent des personnes qui se livrent à une activité risquée, mais légale, de prendre des mesures pour assurer leur propre protection. Le lien de causalité n’est pas rendu inexistant par les actes de tiers (clients et proxénètes) ou le prétendu choix des intéressées de se prostituer. Bien que certaines prostituées puissent correspondre au profil de celle qui choisit librement de se livrer à l’activité économique risquée qu’est la prostitution (ou qui a un jour fait ce choix), de nombreuses prostituées n’ont pas vraiment d’autre solution que la prostitution. De plus, le fait que le comportement des proxénètes et des clients soit la source immédiate des préjudices subis par les prostituées ne change rien. La violence d’un client ne diminue en rien la responsabilité de l’État qui rend une prostituée plus vulnérable à cette violence.
[...] comparer l’atteinte aux droits qui découle de la loi avec l’objectif de la loi, et non avec son efficacité; elles ne s’intéressent pas à la réalisation de l’objectif législatif ou au pourcentage de la population qui bénéficie de l’application de la loi ou qui en pâtit. L’analyse se veut qualitative, et non quantitative. La question que commande l’art. 7 est celle de savoir si une disposition législative intrinsèquement mauvaise prive qui que ce soit du droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne; [ Le coeur est là.] un effet totalement disproportionné, excessif ou arbitraire sur une seule personne suffit pour établir l’atteinte au droit garanti à l’art. 7. [Le test est sévère.]
[...] l’effet préjudiciable de l’interdiction des maisons de débauche (art. 210) sur le droit à la sécurité des demanderesses est totalement disproportionné à l’objectif de prévenir les nuisances publiques. Les préjudices subis par les prostituées selon les juridictions inférieures (p. ex. le fait de ne pouvoir travailler dans un lieu fixe, sûr et situé à l’intérieur, ni avoir recours à un refuge sûr) sont totalement disproportionnés à l’objectif de réprimer le désordre public. Le législateur a le pouvoir de réprimer les nuisances, mais pas au prix de la santé, de la sécurité et de la vie des prostituées. L’interdiction faite à l’al. 212(1)j) de vivre des produits de la prostitution d’autrui vise à réprimer le proxénétisme, ainsi que le parasitisme et l’exploitation qui y sont associés. Or, la disposition vise toute personne qui vit des produits de la prostitution d’autrui sans établir de distinction entre celui qui exploite une prostituée et celui qui peut accroître la sécurité d’une prostituée (tel le chauffeur, le gérant ou le garde du corps véritable).
J'étais un peu inquiète en entendant certains propos lors de panels auxquels j'ai pris part, notamment avec le secrétaire parlementaire du ministre de la Justice, qui laissait entendre que, de toute façon, un bordel, même s'il est tenu par des gens tous consentants, est un endroit qu'on ne veut pas voir, et est une nuisance et une forme d'exploitation. Ce n'est pas tout à fait ce que la Cour suprême nous dit.
La disposition vise également toute personne qui fait affaire avec une prostituée, y compris un comptable ou un réceptionniste. Certains actes sans aucun rapport avec l’objectif de prévenir l’exploitation des prostituées tombent ainsi sous le coup de la loi. La disposition sur le proxénétisme a donc une portée excessive [...] qui interdit la communication, vise non pas à éliminer la prostitution dans la rue comme telle, mais bien à sortir la prostitution de la rue et à la soustraire au regard du public afin d’empêcher les nuisances susceptibles d’en découler. Son effet préjudiciable sur le droit à la sécurité et à la vie des prostituées de la rue, du fait que ces dernières sont empêchées de communiquer avec leurs clients éventuels afin de déterminer s’ils sont intoxiqués ou enclins à la violence, est totalement disproportionné au risque de nuisance causée par la prostitution de la rue.
J'ai souvent entendu cela de la part de travailleuses du sexe. Elles nous disaient combien il était important pour elles de communiquer. Aussi bizarre que cela puisse sembler pour quiconque ne fait pas partie de cette industrie et ne s'en est jamais même approché, ni de près ni de loin, pour elles c'est important de pouvoir avoir un genre de références. Dans certains circuits, elles se parlent pour être certaines de ne pas mettre leur vie en danger.
La disposition n’équivaut donc pas à une atteinte minimale. Pour les besoins du dernier volet de l’analyse fondée sur l’article premier, son effet bénéfique — protéger les prostituées contre l’exploitation — ne l’emporte pas non plus sur son effet qui empêche les prostituées de prendre des mesures pour accroître leur sécurité et, peut-être, leur sauver la vie. Les dispositions contestées ne sont pas sauvegardées par application de l’article premier.
Je citerai le passage, la conclusion la plus importante de la Cour suprême. Le gouvernement se fait fort de ne lire toujours que cette phrase: « Il appartiendra au législateur, s'il le juge opportun, de concevoir une nouvelle approche [...] ». Parfois il va dire bien vite le reste de la phrase: « [...] qui intègre les différents éléments du régime actuel. »
Or en fait, le paragraphe se lit comme suit:
La conclusion que les dispositions contestées portent atteinte à des droits garantis par la Charte ne dépouille pas le législateur du pouvoir de décider des lieux et des modalités de la prostitution, à condition [...]
C'est le point le plus fondamental. La Cour suprême du Canada n'a pas dit au gouvernement que le ministre de la Justice pouvait faire n'importe quoi, et que s'il n'écrit plus ce qu'il y a dans le Code criminel actuel, ce sera correct, c'est son droit le plus strict. Ce n'est pas ce qu'a dit la Cour suprême. Elle dit qu'elle ne le dépouille pas de son pouvoir de décider des lieux et des modalités de la prostitution, à condition qu'il exerce ce pouvoir sans porter atteinte aux droits constitutionnels des prostituées.
Par la suite, l'encadrement de la prostitution étant un sujet complexe et délicat, il appartiendra au législateur d'agir, s'il le juge opportun. Voilà la porte grande ouverte que la Cour suprême laissait au législateur. En effet, le Code criminel comprend déjà les dispositions qui interdisent l'exploitation des mineurs. On va en entendre beaucoup parler sur les banquettes conservatrices, qui vont vouloir empêcher tout cela. Or c'est déjà au Code criminel. Étant donné que le trafic humain est interdit par le Code criminel et qu'on a amélioré cela récemment avec le projet de loi de ma collègue de , on peut donc peaufiner tout cela.
La Cour suprême n'obligeait pas nécessairement le gouvernement à présenter quelque chose dans l'année qui venait. Cependant, s'il ne faisait rien, les trois articles jugés inconstitutionnels mouraient de leur belle mort parce qu'ils mettaient en péril la santé et la sécurité des travailleuses du sexe.
Qu'est-ce que le gouvernement a fait? Il a pris son marteau et a tapé dans le tas, en disant qu'il allait faire quelques variantes pour faire croire qu'il était en train de régler le problème de la prostitution. J'aurais au moins aimé sentir du sérieux du côté conservateur, quand le ministre a parlé de 20 millions de dollars lors de sa conférence de presse.
Je me rappelais les discussions que j'ai eues avec les gens de la Coalition des femmes pour l'abolition de la prostitution. Ils me disaient combien c'était important. Je cite Kim Pate, qui fait partie de la coalition:
La décriminalisation des femmes et la responsabilisation des hommes qui achètent et vendent des femmes et des filles ne veut rien dire si l'inégalité économique, raciale et sociale des femmes n'est pas prise en compte.
Or les conservateurs criminalisent quand même les prostituées et investissent un maigre montant de 20 millions de dollars. C'est ridicule.
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Monsieur le Président, je vais aborder dans un instant l'argument de la députée concernant la publicité. Elle a carrément mal compris, tout comme certains commentateurs. Je vais me faire un plaisir de lui donner des explications. J'espère qu'elle va rester pour entendre mon intervention.
Je suis heureux de prendre la parole pour appuyer le projet de loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation. Cette mesure apporte la réponse du gouvernement à l'arrêt Bedford de la Cour suprême du Canada, de 2013.
Avant d'aborder les dispositions du projet de loi , il est important d'examiner l'arrêt Bedford, qui est à l'origine des propositions que renferme le projet de loi C-36 en matière de réforme du droit.
La porte-parole du NPD en matière de justice disait tout à l'heure que nous n'avons pas beaucoup parlé de l'arrêt Bedford en relation avec notre projet de loi, et je vais donc le faire immédiatement. J'espère qu'elle pourra rester et écouter mon intervention.
En vertu de la loi actuelle, il n'est pas illégal d'acheter ou de vendre des services sexuels. En revanche, des infractions criminelles sont prévues pour les activités liées à la prostitution. Dans l'arrêt Bedford, la Cour suprême du Canada a jugé que trois de ces infractions étaient inconstitutionnelles: tout d'abord, l'infraction concernant les maisons de débauche dans le contexte de la pratique de la prostitution, prévue à l'article 210; deuxièmement, l'infraction commise par la personne qui vit des produits de la prostitution, énoncée à l'alinéa 212(1)j), et troisièmement, le fait de communiquer en public afin d'acheter ou de vendre des services sexuels, qui constitue une infraction aux termes de l'alinéa 213(1)c).
La cour a suspendu les effets de sa décision pour un an, jusqu'au 19 décembre 2014. En l'absence d'une réponse législative, cet arrêt aura pour effet de décriminaliser la plupart des activités liées à la prostitution entre adultes.
La Cour suprême du Canada a estimé que les infractions contestées allaient à l'encontre de l'article 7 de la Charte des droits et libertés, où il est question de la sécurité des personnes qui vendent leurs services sexuels, car elles les empêchent de prendre les mesures nécessaires pour se protéger alors qu'elles se livrent à une activité risquée mais légale. Les mesures de protection comprennent la possibilité de vendre des services sexuels à titre individuel à partir d'un local fixe, d'engager des gardes du corps et des chauffeurs, et de négocier dans un lieu public des conditions plus sûres pour la vente de services sexuels.
En particulier, les infractions ont été jugées tout à fait disproportionnées ou de portée trop vaste par rapport aux objectifs de la loi, qui sont de lutter contre les perturbations ou le désordre dans les quartiers résidentiels et de protéger la santé et la sécurité publiques; de cibler les proxénètes et les activités parasites d'exploitation auxquelles ils se livrent, et c'est là l'objet de l'infraction concernant le fait de vivre des produits de la prostitution; et de débarrasser les rues et les lieux publics de la prostitution, afin de prévenir les méfaits liés à cette pratique, et c'est ce que vise l'infraction concernant le fait de communiquer en public, prévue à l'alinéa 213(1)c).
Les objectifs des dispositions actuelles du droit criminel sur la prostitution, tels que les décrit la cour, mettent l'accent sur les méfaits liés à la prostitution, à l'exception des dispositions concernant le fait de vivre des fruits de la prostitution, dont la cour estime qu'elles ciblent les cas d'exploitation. Comme je l'ai indiqué, une interprétation étroite de ces infractions a amené la cour à les juger inconstitutionnelles, de portée trop large et tout à fait disproportionnées par rapport à leurs objectifs.
La Cour suprême du Canada a néanmoins indiqué clairement que rien n'empêchait le Parlement d'imposer des limites quant aux endroits et aux conditions dans lesquels la prostitution peut se pratiquer, dans la mesure où elles ne portent pas atteinte aux droits constitutionnels de ceux et celles qui vendent leurs services sexuels. C'est précisément l'objet du projet de loi . Il criminalise les comportements nuisibles liés à la prostitution, tout en respectant les droits constitutionnels de tous les Canadiens.
Pour commencer, le projet de loi fait de la prostitution une activité illégale en criminalisant la moitié de la transaction de prostitution. Cela vise à montrer que les gens — des femmes pour la plupart — qui se trouvent piégés dans cet affreux commerce sont des victimes. On leur témoigne de la compassion.
Chaque fois qu'il y a prostitution, c'est-à-dire achat et vente de services sexuels, l'acheteur commettrait une infraction criminelle. C'est la première fois, en droit criminel canadien, que l'achat de services sexuels auprès d'une personne adulte se trouve criminalisé.
Le préambule du projet de loi explique pourquoi il rend la prostitution illégale. C'est un énoncé explicite des objectifs du projet de loi C-36 en matière de réforme du droit, qui précise que le Parlement considère fondamentalement la prostitution comme une activité d'exploitation, qui présente toujours un risque de violence. Les députés du Parti libéral et du NPD se sont déclarés d'accord pour reconnaître qu'il s'agit d'une forme d'exploitation, et que la plupart des personnes qui se trouvent piégées dans cet affreux commerce sont exploitées. La prostitution ne serait plus considérée simplement comme un phénomène qui crée des perturbations, du désordre ou des méfaits dans un quartier.
Le préambule explique non seulement que la prostitution est considérée comme une forme d'exploitation de ceux et celles qui y sont soumis, mais il reconnaît également les dommages sociaux causés par la normalisation des activités sexuelles, considérées comme un produit qu'on peut acheter et vendre, et il insiste sur l'importance de protéger la dignité humaine et l'égalité de tous les Canadiens et Canadiennes en décourageant cette pratique qui a des conséquences disproportionnées sur certains groupes vulnérables, notamment les femmes et les enfants, et en particulier les femmes et les filles autochtones.
En conséquence, le projet de loi vise à dénoncer et à interdire la demande de prostitution, et il continue à dénoncer et à interdire le proxénétisme et le développement d'intérêts économiques à partir de l'exploitation d'autrui par la prostitution. Nous espérons que ces mesures vont progressivement réduire l'incidence de la prostitution au Canada et l'exploitation des personnes qui se trouvent piégées dans le milieu de la prostitution.
Le projet de loi vise également à dénoncer et à interdire la commercialisation et l'institutionnalisation de la prostitution, en particulier lorsqu'elle est présente dans des entreprises comme les clubs de striptease, les salons de massage et les agences d'escorte, qui sont nombreux dans la ville où j'habite, Mississauga. Enfin, le projet de loi vise à protéger les collectivités contre les méfaits liés à la prostitution, notamment la criminalité connexe et le fait que les enfants sont exposés au commerce des activités sexuelles considérées comme un produit. Ce sont là des objectifs sérieux, qui vont au-delà des objectifs des infractions criminelles actuelles concernant la prostitution, tels que les a analysés la Cour suprême, ce qui modifie fondamentalement la prémisse d'une éventuelle analyse future aux termes de la Charte.
Les nouvelles infractions devront être analysées au plan constitutionnel selon une optique tout à fait nouvelle, qui considère la prostitution comme une pratique sexiste portant atteinte à l'égalité des femmes et des minorités, une pratique qui exploite ceux et celles qui vendent leurs propres services sexuels, et qui cause des dommages aux collectivités et à la société.
La Cour suprême s'est dite préoccupée du fait que les infractions actuelles empêchent la vente de services sexuels à partir d'un local fixe, alors que la cour estime que c'est la façon la plus sécuritaire de vendre des activités sexuelles. Si les députés veulent lire l'arrêt, c'est exactement ce que demandaient les trois appelantes, Bedford, Lebovitch et Scott. Elles ont toutes pratiqué la prostitution. Elles ont été propriétaires d'agences d'escortes, elles ont affirmé que lorsqu'on pratique dans la rue, on se fait brutaliser, et qu'il est impossible de se protéger efficacement; elles ont demandé à la cour de leur donner la possibilité de le faire en sécurité, à l'intérieur d'un bâtiment.
On remarquera que le projet de loi criminalise l'achat de services sexuels, mais non pas leur vente. En outre, il met à l'abri de toute poursuite les personnes qui vendent leurs services sexuels, en ce qui concerne le rôle qu'elles peuvent éventuellement jouer par rapport aux nouvelles infractions concernant l'achat, les avantages matériels, le proxénétisme et, je le signale pour ma collègue, la publicité. Je l'invite à prendre connaissance de l'alinéa 286.5(1)b) du projet de loi C-36, où elle trouvera une exemption spécifique à ce sujet.
Un certain nombre de commentateurs des médias n'ont pas compris le projet de loi. John Ivison et Andrew Coyne, du National Post, et Tim Harper, du Star de Toronto, l'ont mal compris. Ils n'ont pas dû lire cette disposition du projet de loi, et ils ont donc axé leurs articles sur l'impossibilité, pour une travailleuse du sexe, de faire de la publicité pour ses services. Je dois dire que l'interprétation de Tim Harper a été ultérieurement rectifiée par sa collègue Tonda MacCharles, ainsi que dans l'émission Question Period de CTV. Don Martin, de CTV, était lui aussi dans l'erreur. Ils n'ont pas dû lire le projet de loi.
J'espère qu'ils sont à l'écoute aujourd'hui, qu'ils auront l'occasion de prendre connaissance de cette disposition, et que peut-être, ils expliqueront que le projet de loi n'empêche pas les travailleuses du sexe de faire de la publicité pour leurs services. Cette disposition signifie qu'une personne qui vend ses propres services sexuels ne peut être poursuivie si elle vend ses services sexuels à partir d'un local fixe, qu'elle soit seule ou avec d'autres. Dans la mesure où le seul avantage que procure le fait de vendre des services sexuels avec d'autres est la sécurité garantie par la proximité des autres, et où chaque personne ne perçoit que les profits de sa propre prostitution, il n'y a pas d'infraction. Cette formule répond parfaitement aux préoccupations de la Cour suprême du Canada concernant la possibilité de vendre des services sexuels à l'intérieur, en sécurité.
La deuxième préoccupation de la Cour suprême concernait le fait que les infractions actuelles empêchent celles qui vendent des services sexuels d'engager des gardes du corps ou des personnes qui pourraient assurer leur sécurité, mais nous connaissons tous les risques associés au développement d'intérêts économiques par le proxénétisme. Une tierce partie peut être au départ un garde du corps ou un chauffeur, mais devenir ensuite un proxénète qui ne reculera devant aucun abus pour tirer un profit maximal de la prostitution de celles qui travaillent pour lui, en particulier des femmes et des mineures.
Le projet de loi respecte soigneusement l'équilibre entre les préoccupations de la Cour suprême du Canada en matière de sécurité, et la nécessité de criminaliser les cas d'exploitation par une tierce partie. Il atteint cet objectif en criminalisant le fait de recevoir un avantage financier ou matériel découlant de l'achat d'un service, en limitant la portée de l'infraction grâce aux exceptions prévues dans la loi, et en faisant en sorte que les exceptions ne s'appliquent pas aux cas d'exploitation.
Les exceptions prévues dans la loi garantissent que les personnes qui vendent leurs services sexuels puissent entretenir des relations normales avec leurs concitoyens. Le projet de loi ne criminaliserait pas ceux qui reçoivent légitimement des avantages matériels de la prostitution d'autrui.
Plus particulièrement, les exceptions précisent que l'infraction ne s'applique pas à quiconque reçoit l'avantage matériel: dans le cadre d'une entente de cohabitation légitime avec la personne qui rend les services sexuels — cette disposition s'applique aux conjoints, aux enfants ou aux colocataires; en conséquence d'une obligation — par exemple, si la personne qui rend les services sexuels assure le soutien financier d'un parent handicapé ou si elle achète des cadeaux avec les fruits de la prostitution; en contrepartie de la fourniture de biens ou de services qu'il offre à la population en général, s'ils sont fournis aux mêmes conditions que pour celle-ci — cette disposition s'applique par exemple aux comptables, aux chauffeurs de taxi ou aux entreprises de sécurité qui offrent des biens ou des services à la population en général.
En outre, une exception particulière s'applique aux personnes qui reçoivent l'avantage en contrepartie de la fourniture de biens ou de services offerts officieusement, comme le gardiennage ou même les services de protection. L'exception s'applique tant que l'avantage reçu est proportionnel à la valeur des biens ou des services, et qu'on ne conseille pas à la personne qui rend les services sexuels de se prostituer et qu'on ne l'y encourage pas. Autrement dit, il doit s'agir d'une relation sans lien de dépendance.
Cela se trouve au nouvel alinéa 286.2(4)d) du projet de loi. Cela permettrait aux travailleurs de l’industrie du sexe, au sujet desquels ma collègue s'inquiète, d'engager un garde du corps pour assurer la sécurité dans un endroit sûr. Voilà pourquoi le projet de loi se conforme à la décision Bedford, selon moi.
Ces exceptions reflètent la jurisprudence qui prévoit des exceptions en ce qui concerne la présente infraction qui consiste à vivre des produits de la prostitution. Les exceptions relatives à l'entente de cohabitation légitime et à l’obligation morale ou légale trouvent leurs origines dans l'arrêt Grilo de la Cour d'appel de l'Ontario en 1991, qui a été cité à l'appui de ces questions par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Bedford. L'exception en ce qui concerne la fourniture de biens ou de services offerts à la population en général tire son origine d'une suite d'affaires, en commençant par la décision Shaw de la Chambre des lords en 1962.
Les exceptions répondent à l'inquiétude de la Cour suprême, à savoir que les lois existantes ne permettent pas aux personnes qui vendent leurs propres services sexuels de prendre des mesures de sécurité, comme l'embauche de gardes du corps et de conducteurs. Cependant, comme je l'ai déjà dit, le projet de loi établit un équilibre prudent. Les exceptions que je viens de décrire ne s'appliqueraient pas si la personne qui reçoit l'avantage matériel use de violence envers l'autre personne, l'intimide ou la contraint; abuse de son pouvoir sur cette personne ou de la confiance de celle-ci; ou fournit des substances intoxicantes à l'autre personne en vue de l'aider ou de l'encourager à se prostituer.
Comme nous le savons, c'est souvent ce qui arrive. Ces gens repèrent des jeunes filles, par exemple des fugueuses qui vivaient un problème à la maison. Ils les trouvent, leur donnent de l'alcool ou de la drogue, dont elles deviennent dépendantes. Elles se retrouvent alors à leur merci et ils les font travailler dans la rue pour entretenir leur habitude malsaine.
Le projet de loi criminaliserait aussi le proxénétisme ou le fait de recevoir un avantage matériel dans le cadre d'une entreprise commerciale qui offre des services sexuels, comme les boîtes de striptease, les salons de massage et les agences d'escortes où se pratique la prostitution. Ces types d'entreprises, comme nous le savons, sont souvent dirigées par des organisations criminelles, comme les gangs et la mafia. C'est le genre d'agissements que nous voulons criminaliser, non pas ce que font les femmes exploitées, mais ce que font les gens qui les exploitent.
Grâce à cette approche, il serait très clair que les exceptions à l'infraction visant à interdire l’obtention d’un avantage matériel ne pourraient pas s'appliquer dans les cas où il y aurait des activités d'exploitation, qui sont monnaie courante chez les souteneurs. Une telle approche répond aux préoccupations de la Cour suprême du Canada quant à la sécurité tout en offrant une protection contre l'exploitation qui découle généralement de la pratique de la prostitution.
La dernière préoccupation de la Cour suprême du Canada était que les personnes qui vendent leur propres services sexuels puissent prendre des mesures pour négocier des conditions plus sûres pour la vente de leurs services dans un lieu public. Les lois criminalisent actuellement toutes les communications publiques dans le but d'acheter ou de vendre des services sexuels. La Cour suprême du Canada a jugé que cette infraction empêchait les personnes qui offrent leurs propres services sexuels de négocier des conditions plus sûres pour leurs activités dans un lieu public.
Le projet de loi , en revanche, propose d'abord une nouvelle infraction qui criminaliserait la communication, en tout lieu, en vue d'acheter des services sexuels et, ensuite, une infraction distincte qui criminaliserait la communication en vue de vendre des services sexuels, mais — et je m'empresse de le souligner — seulement dans un lieu public où il est raisonnable de s'attendre à trouver des enfants.
Le fait d'interdire toute communication liée à l'achat de services sexuels est justifié par le nouvel objectif législatif de réduire la demande liée à l'exploitation sexuelle. Autrement dit, l'achat de services sexuels constitue de l'exploitation. La communication dans le but d'acheter de tels services est tout aussi problématique. D'autre part, interdire la communication en vue de vendre des services sexuels dans un endroit public s'il est raisonnable de s'attendre à ce que des enfants s'y trouvent est, à mon avis, assure un équilibre prudent, raisonnable et justifié entre les intérêts de deux groupes vulnérables: les personnes exploitées aux fins de prostitution et les enfants qui risquent d'être exposés à la vente de services sexuels et aux dangers associés à la prostitution, soit la présence de drogues, de proxénètes et de personnes liées aux crime organisé.
Ma collègue, la députée de , a dit plus tôt que lorsqu'elle était enseignante, il y avait des pédophiles et des proxénètes qui rodaient près de la cour d'école. Ils abordaient les jeunes filles, les invitant à monter en voiture avec le pédophile ou à se lancer en affaires avec le proxénète; c'est ce genre de situation-là qui nous inquiète.
Le projet de loi interdit aux personnes qui vendent des services sexuels de communiquer avec qui que ce soit à cette fin lorsqu'elles sont en public ou quelque part où l'exposition à la prostitution pourrait nuire à un enfant.
De surcroît, dans l'arrêt Bedford, la Cour suprême du Canada a clairement affirmé que les infractions liées à la prostitution s'entremêlent, autrement dit, que chacune a une incidence sur l'autre. Atténuer l'une d'elles — par exemple en permettant aux prostituées de retenir les services de préposés à leur sécurité — peut influer sur la constitutionnalité de l’autre, comme celle des nuisances associées à la tenue d’une maison de débauche.
L’encadrement de la prostitution est un sujet complexe et délicat. Je partage la conclusion de la Cour suprême du Canada selon laquelle l'encadrement de la prostitution est une affaire complexe et délicate. Le projet de loi reconnaît la complexité de la chose en maintenant un équilibre délicat entre des intérêts parfois opposés.
En conclusion, la nouvelle loi propose une toute nouvelle approche proprement canadienne en réponse à la prostitution. Elle s'attaque à la demande pour la prostitution afin d'en réduire la fréquence, protégeant ainsi les personnes exploitées aux fins de prostitution contre le risque de violence connexe.
Le fait que l'achat de services sexuels ait été érigé en infraction, combiné aux nouvelles infractions modernisées liées à la prostitution criminalisant la participation d'une tierce partie à la prostitution d'autrui, envoie un message clair: la prostitution est une activité dangereuse fondée sur l'exploitation qui nuit à la société. Aucun parent ne voudrait que ses enfants s'exposent à l'abus et à l'exploitation qui caractérisent la prostitution.
Dernièrement, nous avons constaté que les approches législatives qui considèrent la prostitution comme une forme d'exploitation victimisant les personnes qui y sont soumises bénéficient d'un appui de plus plus en plus important à l'échelle internationale. Je tiens à souligner qu'en France, en décembre 2013, l'Assemblée nationale a adopté un projet de loi visant à mettre en oeuvre une telle approche, et je crois savoir qu'il est en ce moment étudié par le Sénat de ce pays.
Le comité parlementaire de la justice de l'Irlande a recommandé la mise en oeuvre d'une approche de ce type en juin 2013. Le Parlement européen a récemment appuyé une telle approche — en février 2014 — et un rapport du Parlement du Royaume-Uni publié en mars 2014 recommandait une réforme similaire de la loi.
Le Canada n'est donc pas le seul à s'inquiéter des torts causés par la prostitution. Ces torts sont bien réels et il faut déployer des efforts concertés pour s'y attaquer. Le gouvernement est déterminé à travailler en collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux qui veillent à l'application du droit pénal pour que les torts causés par la prostitution ne demeurent pas sans conséquence.
L'adoption du projet de loi est une première étape en vue de nous attaquer aux torts causés par la prostitution. Par conséquent, j'invite tous les députés à appuyer eux aussi le projet de loi C-36.
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Monsieur le Président, je dois informer la Chambre que je partagerai mon temps de parole avec ma collègue, amie et voisine la députée de .
Je me lève aujourd'hui pour parler du projet de loi .
En fait, c'est la loi qui vient réglementer la prostitution dans notre pays. Je suis heureuse de me lever et de parler de cette question, parce que c'est un enjeu très préoccupant dans ma circonscription. Dans Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, on a pu constater qu'il y avait des activités de prostitution. C'est un enjeu que je trouve important et qui concerne beaucoup de mes concitoyens. Nombre d'entre eux sont d'ailleurs venus m'en parler au cours des dernières semaines.
Pour faire une petite mise en contexte, je rappelle qu'en décembre dernier, il y a eu l'arrêt de la Cour suprême concernant les dispositions du Code criminel qui interdisent de tenir une maison de débauche, de vivre des produits de la prostitution et de communiquer dans le but de se livrer à la prostitution.
La Cour suprême a déclaré que ces dispositions étaient inconstitutionnelles:
[La loi actuelle impose] des conditions dangereuses à la pratique de la prostitution: les interdictions empêchent des personnes qui se livrent à une activité risquée, mais légale, de prendre des mesures pour assurer leur propre protection [...]
Actuellement, en vertu de notre Code criminel, la prostitution est légale, mais on n'aide pas les prostituées qui s'adonnent à cette occupation.
Je vais aborder plusieurs composantes, parce que le projet de loi est très complexe. On se demande ce que le gouvernement fait pour aider les travailleuses du sexe. On aimerait tous qu'il n'y ait pas de prostitution, mais il y en a parce qu'il y a des clients, des personnes qui offrent leurs services sexuels et des gens qui exploitent des personnes à des fins sexuelles.
J'ai participé l'an dernier à l'étude faite au Comité permanent de la justice et des droits de la personne au sujet du projet de loi de ma collègue d'. Un inspecteur de la police de Montréal nous avait dit une phrase assez choquante, soit qu'à Montréal on pouvait commander une prostituée comme on commande une pizza. C'est la situation qu'on vit présentement.
En tant que législateurs, on doit se demander pourquoi il y a autant d'offres de services sexuels à Montréal, à Toronto, à Vancouver et dans de petites villes. Je pense que c'est principalement parce qu'il y a des clients, mais c'est aussi parce que les femmes sont très vulnérables. On n'a pas un gouvernement qui les aide beaucoup.
Plutôt que d'avoir une approche qui marginalise les travailleuses du sexe qui sont vraiment vulnérables, on devrait entreprendre des actions concrètes pour améliorer leur sécurité et les aider à s'affranchir de ce commerce, si elles le souhaitent.
On est incapables de donner des chiffres sur le nombre de femmes qui désirent vraiment s'adonner à cette profession. Un conservateur parlait tantôt de 10 %, mais en fait on n'a aucune idée de ce que pourrait être le nombre de ces femmes. Pour le savoir, il faudrait qu'on affecte des ressources substantielles, qu'on donne un soutien au revenu à ces femmes, qu'on leur offre de l'éducation, de la formation et des traitements de la toxicomanie. On pourrait faire beaucoup de choses pour aider les femmes, afin qu'elles ne tombent pas dans le jeu de la prostitution. Beaucoup de femmes s'adonnent à la prostitution en raison de leur pauvreté, tandis que d'autres s'y livrent en raison de la toxicomanie. C'est un fait.
Selon les mesures annoncées par les conservateurs dans ce projet de loi, ils vont donner 20 millions de dollars à l'échelle du Canada pour aider les femmes à se sortir de cela. Je pense que c'est un point très fragile de dire que pour régler ce problème et aider les femmes, on va donner 20 millions de dollars. C'est un peu gênant comme gouvernement d'annoncer cette mesure. L'annonce a été faite il y a quelques semaines, soit le 4 juin.
C'est un des premiers aspect sur lesquels je veux m'exprimer. Il y a de la prostitution à Lachine, et il y en a près de mon bureau de circonscription. J'ai d'ailleurs déjà abordé une de ces femmes pour discuter avec elle. Étant députée, je pense qu'il faut que je parle à tout le monde.
Cette femme me disait qu'elle faisait ce travail parce qu'elle avait deux enfants chez elle, que c'était pas mal plus payant de faire cela que de faire autre chose et que, si elle le pouvait, elle aimerait mieux avoir une autre job qui lui permettrait de vivre plus sainement. Ce n'est pas nécessairement un emploi qu'elle aime, mais vu sa condition de mère de famille monoparentale, pauvre, avec deux enfants à élever, c'est une façon simple pour elle de faire de l'argent rapidement. C'est dommage.
Notre société aurait pu décider de lui donner une bonne éducation, de l'aider, de lui accorder du soutien pour sa famille et de mettre sur pied des groupes communautaires pour lui venir en aide avec des ateliers de confiance en soi. Par exemple, dans ma circonscription, l'organisme La P'tite Maison de Saint-Pierre donne des ateliers de confiance en soi aux femmes. C'est le genre de groupe communautaire qu'on peut soutenir pour aider les femmes à ne pas se prostituer. Quand j'entends que 20 millions de dollars seront donnés au Canada, je me demande ce que cela représente pour ma circonscription. Cela ne veut pas dire grand-chose pour ce qui est de l'aide concrète pour ces femmes. Je trouve cela très dommage.
J'aimerais aller plus en profondeur dans le projet de loi et voir ce qu'il fait. Le projet de loi va établir de nouvelles infractions liées à la prostitution, notamment l'achat de services sexuels. Cela veut dire qu'on criminalise les gens qui achètent un service sexuel. Encore une fois, c'est une attaque contre la femme prostituée ou les jeunes hommes, car on me dit que des jeunes hommes se prostituent aussi.
Les groupes qui étudient divers modèles dans le monde à ce propos disent que la criminalisation de l'achat de services sexuels fait peur aux femmes en quelque sorte. Même si les conservateurs disent que ce sera interdit de vendre ces services sur le coin de la rue, il ne faut pas se leurrer: compte tenu des moyens qu'on donne pour régler la situation, il y aura quand même des femmes sur les coin des rue.
Disons qu'une femme se trouve au coin de la rue et qu'un client arrive en automobile, c'est certain qu'elle ne prendra pas le temps de discuter avec cet homme ni de regarder dans l'auto pour s'assurer qu'il n'y a pas d'arme ou d'autres éléments dangereux pour elle.
Actuellement, quand cela arrive, la femme prend sûrement le temps de regarder s'il y a de la corde ou autre chose pouvant lui porter préjudice ou être dangereux pour elle. En vertu de ce projet de loi, elle ne le fera pas. Il est clair qu'elle montera très rapidement dans le véhicule et que cela deviendra plus dangereux pour elle.
À mon avis, cette disposition n'aide pas la travailleuse du sexe. Étant donné que le métier existe, il faut plutôt se demander ce qu'on peut faire pour la santé et la sécurité de ces travailleurs. Selon l'arrêt de la Cour suprême, il faut travailler dans le sens de la sécurité de ces travailleurs. Qu'on le veuille ou non, c'est légal dans notre système, alors il faut l'encadrer.
En outre, on modifie l'obtention d'un avantage financier ou matériel, la publicité pour la vente de services sexuels et la communication dans le but de rendre des services sexuels dans des endroits publics où des enfants pourraient « raisonnablement » se trouver. Le mot « raisonnablement » me pose un problème et vient un peu gâcher le décor.
Je veux mentionner le nom de personnes qui nous appuient parce que ce projet de loi ne remplit pas la demande de la Cour suprême.
Au NPD, nous demandons que le gouvernement renvoie le projet de loi à la Cour suprême. Il faut en faire plus pour aider les prostituées à se sortir de ce milieu, par exemple, par l'éducation, par la prévention ou par le logement social. Tous les Canadiens ont le droit de travailler sans être menacés de violence. Or ce projet de loi ne règle pas ce problème.
Quelques personnes nous ont donné raison, dont Steve Sullivan, l'ancien ombudsman des victimes d'actes criminels. Cet homme très crédible disait ce qui suit:
En décembre dernier, tout le monde semblait s'entendre sur un point: la loi ne devrait pas criminaliser les travailleurs du sexe. Or c'est très exactement ce que ce projet de loi fait s'ils communiquent dans un endroit public où il est raisonnable de s'attendre à trouver des mineurs.
Emmett Macfarlane disait:
Ces nouvelles dispositions ne constituent pas seulement une mauvaise politique, mais elles susciteront, à n'en pas douter, les mêmes inquiétudes auxquelles la Cour suprême a répondu en condamnant les anciennes dispositions en décembre dernier.
C'est important de comprendre qu'il faudrait envoyer ce projet de loi à la Cour suprême pour qu'elle puisse statuer si on ne va pas se retrouver avec le même problème. Il faudrait alors attendre encore un an avant d'avoir des dispositions qui aident vraiment les femmes à se sortir de cette situation.
Personne ici ne peut me prouver que les conservateurs aident vraiment les femmes dans notre pays. Je ne crois donc pas qu'ils puissent me le prouver au moyen de ce projet de loi.
:
Monsieur le Président, je me lève aujourd'hui pour débattre du projet de loi .
Dans le cadre de mon allocution, je lirai des extraits de ce jugement unanime de la Cour suprême afin de contextualiser la décision et la réponse du gouvernement qui se matérialise dans le projet de loi dont nous débattons.
En décembre dernier, la Cour suprême a unanimement jugé que l'article 210, ainsi que les alinéas 212(1)j) et 213(1)c) du Code criminel — qui interdisent la tenue d'une maison de débauche, de vivre des produits de la prostitution et de communiquer dans le but de se livrer à la prostitution — contrevenaient à la Charte, car ils portaient atteinte au droit des travailleurs du sexe et à la sécurité de leur personne.
La cour a déterminé que les lois actuelles imposaient des:
conditions dangereuses à la pratique de la prostitution: elles empêchent des personnes qui se livrent à une activité risquée, mais légale, de prendre des mesures pour assurer leur propre protection
La cour demandait donc au gouvernement d'encadrer la prostitution « à condition qu’il exerce ce pouvoir sans porter atteinte aux droits constitutionnels des prostituées ».
En outre, dans La Presse d'aujourd'hui, on peut lire que le gouvernement « se montre plus intéressé à imposer un nouveau modèle de répression qu'à éliminer les problèmes signalés par la Cour suprême. »
Le projet de loi du est-il une réponse sensible et sensée à la décision de la Cour suprême sur le cas Bedford? Il semblerait que non. Encore une fois, les conservateurs utilisent le bâton plutôt que la nuance. En outre, je dirais même qu'ils utilisent ici la gratte pour ramasser tout sur leur passage.
Ce projet de loi va-t-il assurer la santé et la sécurité des travailleurs et travailleuses du sexe? Je ne le crois pas. Le projet de loi va-t-il protéger les femmes et les filles prises dans un engrenage de dépendance, de violence et de victimisation? Je ne le crois pas. Ce projet de loi va-t-il empêcher des femmes, des filles et des garçons de se faire happer par la prostitution? Je ne le crois pas. Ce projet de loi va-t-il contribuer à soutenir les programmes visant à aider les personnes qui veulent se sortir de cette situation? Je ne le crois pas.
Je ne le crois pas parce que ce projet de loi n'est pas axé sur la prévention, mais plutôt sur la répression. Il ne tient pas compte de la complexité de la nature humaine et de la réalité de la société dans laquelle nous vivons, une société où le paraître et l'argent ont un fort pouvoir d'attraction au détriment de l'être et de l'entraide.
[Traduction]
Dans un éditorial publié hier dans le Winnipeg Sun, on pouvait lire ceci:
Comme pour toute autre activité criminelle, les lois qui l'interdisent arrivent rarement à éliminer le problème [...]
Certes, nous souhaitons voir le gouvernement sévir contre les proxénètes, les personnes s'adonnant à la traite de personnes et celles qui s'en prennent aux plus vulnérables, mais rien dans le projet de loi ne permet de croire qu'il aura pour effet de réduire la demande ou de mieux protéger les femmes.
Je cite rarement ce journal, mais j'ai trouvé que cet extrait en disait long.
[Français]
L'hiver dernier, j'ai assisté à une séance d'information organisée par le poste de quartier 13 de LaSalle. Des représentants de tous les organismes communautaires du Grand Sud-Ouest de Montréal ont entendu deux agentes de concertation à la Section des enquêtes multidisciplinaires et coordination jeunesse du Service de police de Montréal.
Ces policières d'expérience nous ont décrit le milieu de la prostitution et du proxénétisme d'une façon réaliste et sans ambages. Elles veulent changer les mentalités au sujet des prostituées et, surtout, proposer des avenues pour aider ceux et celles qui veulent s'en sortir. Le programme qu'elles ont mis sur pied, Les survivantes, donne les moyens aux femmes victimes de ce cercle vicieux de s'en sortir.
Elles ont également dit que l'image du proxénète était en quelque sorte valorisée dans la culture populaire et pouvait être un attrait pour ceux qui décident que l'exploitation sexuelle de l'autre est un moyen facile de faire de l'argent. Dans leur présentation, elles ont démontré que la prostitution n'était pas un choix pour plusieurs, mais plutôt un manque de choix.
Le , en présentant ce projet de loi, ne répond pas, à notre avis, à la décision de la Cour suprême pour assurer la sécurité et la protection des prostituées. Les conservateurs, par leurs compressions successives dans les programmes de prévention de la violence contre les femmes, ont baissé les bras pour enrayer ce fléau. Leur refus systématique de mettre sur pied une enquête nationale sur les meurtres et les disparitions des femmes autochtones nous laisse croire que leur compréhension du phénomène de la prostitution et de la violence faite aux femmes est très limitée.
Le NPD reconnaît que des mesures concrètes doivent être prises sans tarder pour améliorer la sécurité des travailleuses du sexe et les aider à s'affranchir de ce commerce si elles ne pratiquent pas cette activité par choix. Pour ce faire, il faut affecter des ressources substantielles au soutien du revenu, à l'éducation, à la formation, au soulagement de la pauvreté et au traitement de la toxicomanie au sein de ce groupe. Nous avons besoin d'un gouvernement qui collabore avec elles afin de mettre en place une stratégie exhaustive pour protéger et appuyer les femmes.
J'aimerais également souligner que les articles 46 à 48 font référence à un projet de loi tout aussi controversé qui a été dénoncé par le nouveau commissaire à la protection de la vie privée, c'est-à-dire le projet de loi sur la cyberintimidation. Nous invitons le gouvernement et le à refaire leurs devoirs en faisant une réelle consultation qui tiendrait compte de tous les points de vue d'un éventail large d'experts juridiques, de groupes d'intervenants des autorités concernées et des principaux intéressés, les travailleurs et travailleuses du sexe. Le ministre devrait également renvoyer le projet de loi à la Cour suprême pour obtenir son avis en ce qui concerne le respect du jugement de l'arrêt Bedford.
Ce gouvernement, en tant que législateur, doit s'assurer que les projets de loi déposés à la Chambre sont conformes à notre Constitution et à notre Charte canadienne des droits et libertés. De plus, c'est de la responsabilité morale d'un gouvernement de protéger et d'assurer la sécurité des travailleurs et travailleuses, quelle que soit leur occupation, et des communautés. Nous croyons que les mesures et les annonces du sont insuffisantes et ne réussiront pas à atteindre les objectifs escomptés.
:
Monsieur le Président, je suis heureux de participer à ce débat aujourd'hui parce que c'est une question dont je m'occupe depuis de nombreuses années puisque je m'y intéressais avant même d'être élu député.
J'ai été amené à m'intéresser à cette question à cause du travail d'un groupe de ma circonscription qui s'appelle PEERS, sigle qui signifie Prostitution Empowerment Education and Resource Society. Cet organisme dirige une halte-accueil et possède un bureau dans la municipalité dont j'étais conseiller. C'est entièrement grâce à mon expérience avec les membres de ce groupe que je peux m'exprimer aujourd'hui un peu en connaissance de cause. Je tiens dès le début de mon discours à remercier les membres de PEERS pour le temps qu'ils m'ont consacré afin de m'aider à comprendre la réalité du travail du sexe au Canada.
Ce groupe a donc une halte-accueil et un programme d'approche dirigés par des pairs, c'est-à-dire que ce sont des travailleurs du sexe qui s'occupent de ces programmes. Qui est mieux placé pour travailler auprès des personnes qui se livrent au commerce du sexe que les gens qui ont de la crédibilité auprès de leurs collègues pour discuter avec eux de leur vécu?
Nous avons lu et entendu dans les médias bien des choses au sujet de ce projet de loi qui, manifestement, ne correspondent pas à la réalité quotidienne des travailleuses du sexe.
Le programme d'approche de PEERS fonctionne jour et nuit. Le programme de nuit est extrêmement important pour assurer la sécurité des travailleuses du sexe. Les responsables s'occupent de tout, depuis la sensibilisation aux pratiques sexuelles sans risque jusqu'à la distribution de condoms. Ils patrouillent aussi les lieux où travaillent les travailleuses du sexe et s'efforcent de retrouver celles qu'ils ont du mal à repérer pour s'assurer qu'elles sont en sécurité.
Les membres du groupe aident à compiler et distribuent une liste des mauvais clients, c'est-à-dire des hommes qui ont déjà été violents envers des travailleuses du sexe. Cette liste est compilée pour que les travailleuses du sexe puissent identifier ces mauvais clients et éviter d'être victimes d'actes de violence.
Le programme de jour comprend une foule d'autres activités.
L'organisme PEERS continue à ce jour d'offrir ces programmes en dépit d'un resserrement draconien du financement qui a réduit le montant dont l'organisme dispose, réduisant du même coup le nombre d'heures d'activité de ses programmes d'approche de jour et de nuit. Son programme de jour a été réduit à une journée par semaine.
Ces services fonctionnent à même des budgets minuscules. La halte-accueil n'est pas un endroit somptueux doté d'un grand écran de télé ou d'autres articles de luxe que les gens pourraient s'attendre à trouver dans un tel lieu. C'est un local dépouillé et le tout fonctionne grâce au bénévolat de gens qui sont ou bien des travailleurs du sexe eux-mêmes ou bien des alliés de ceux-ci, qui s'efforcent de veiller à ce que ceux qui se livrent au commerce du sexe soient le plus en sécurité possible.
Les efforts de PEERS ont été reconnus par le ministère provincial de la Justice qui lui a décerné un prix pour son leadership dans la prévention du crime et la sécurité de la collectivité. Le gouvernement provincial reconnaissait ainsi le rôle extrêmement important que l'organisme joue pour aider à réduire le crime et faire en sorte que tous les membres de la communauté soient en sécurité.
PEERS est le fruit d'une initiative lancée par les travailleurs du sexe eux-mêmes, aidés par une femme qui a été pendant longtemps chroniqueuse au Times Colonist de Victoria. Jody, qui a travaillé avec PEERS pendant de nombreuses années, a décidé de s'engager dans la foulée de son travail de journaliste. Elle a rencontré des travailleuses du sexe et a constaté les difficultés qu'elles éprouvaient. Elle a grandement contribué à la mise sur pied de ce centre.
Je suis allé pour la première fois au centre PEERS dans ma circonscription il y a plus de cinq ans. J'ai vu de mes propres yeux le vaste éventail de services qu'on y offre. Il joue un rôle important en facilitant l'accès aux services de santé et sociaux de la communauté, surtout pour des femmes, mais aussi pour des transgenres et quelques hommes homosexuels. Très souvent, ces gens n'ont pas de pièces d'identité parce que celles-ci leur ont été volées ou bien ils n'ont pas d'adresse fixe. En conséquence, ils se butent à des obstacles en tentant d'accéder à des services que nous tenons tous pour acquis. PEERS joue un rôle important en les aidant à trouver un logement. Victoria est une ville chère où les logements sont rares. L'un de ses rôles importants est de trouver des logements sûrs.
Bien des gens ne savent pas que beaucoup de travailleuses du sexe de ma collectivité sont des mères qui ont des enfants à charge. Quoi qu'on puisse penser des gens qui travaillent dans l'industrie du sexe, ces mères que j'ai rencontrées essayaient seulement d'avoir un toit et de la nourriture. L'une d'elles m'a dit qu'elle a trois enfants et un emploi à temps partiel au salaire minimum. Elle n'arrive pas à se loger. Elle n'arrive pas à habiller ses enfants ni à les nourrir. C'est ainsi qu'elle a abouti dans le travail du sexe. Elle continue d'être travailleuse du sexe pour assurer l'avenir de ses enfants. Cette femme fait du bénévolat au centre, lequel aide d'autres personnes à tirer le meilleur parti possible de la situation dans laquelle elles se trouvent à ce moment-là. C'est important à cause du fait que les travailleurs du sexe sont généralement stigmatisés par la société.
La halte-accueil est devenue un endroit où l'on offre de l'aide aux travailleuses du sexe. C'est un endroit sûr où elles peuvent aller. Elles y trouvent une personne à qui parler et un lien avec la communauté, pour briser l'isolement qui afflige beaucoup de travailleuses du sexe. Le centre offre également un soutien à celles qui désirent quitter le travail du sexe. Une partie très importante de son travail est d'identifier les personnes qui veulent s'en sortir, qui se sont peut-être retrouvées dans cette situation à la suite de circonstances pas tellement plaisantes. Quoi qu'il en soit, elles se retrouvent au centre, où on les aide à avoir accès à des programmes de formation, d'éducation, et où l'on peut même les aider à rédiger leur curriculum vitae pour essayer de trouver de l'emploi dans un autre domaine.
Tout cela se fait grâce à la générosité de bénévoles et à la solidarité que les travailleuses du sexe de ma communauté ont manifestée l'une envers l'autre, pour s'entraider et assurer leur sécurité mutuelle.
Un élément clé du travail de PEERS est la réduction des méfaits, par exemple en donnant de l'information sur les pratiques sexuelles sans risque, en donnant accès à du counselling en matière de toxicomanie, et aussi, comme je l'ai dit, en compilant et en diffusant de l'information sur les clients violents dans ma communauté.
L'automne dernier, alors que la décision Bedford devait être rendue de façon imminente, j'ai décidé que je devais être mieux informé sur la question. J'avais des contacts avec les gens de PEERS quand j'étais conseiller municipal. Ils étaient venus nous demander une exemption d'impôt foncier pour leur halte-accueil. Je suis fier de dire que la municipalité d'Esquimalt a voté à l'unanimité une exemption d'impôt foncier pour ce centre, comme on l'aurait fait pour n'importe quelle autre organisation de service communautaire fonctionnant grâce à de très longues heures de bénévolat. Ce n'était même pas controversé. On a reconnu que ces gens-là jouaient un rôle très utile dans notre milieu.
J'avais fait des marches aux côtés des gens de PEERS. Ils organisent chaque année une marche sur le thème des droits des travailleuses du sexe qui sont des droits de la personne. Ils ont été très étonnés de me voir continuer à participer à cette marche après que je sois devenu conseiller municipal et même après, quand je suis devenu député au Parlement. Ce n'est pas une longue marche et elle n'attire pas toujours l'attention dans le bon sens du terme. Cependant, ils essaient de faire la même chose que nous, à la Chambre, tentons de faire, c'est-à-dire d'amener les gens à reconnaître que les travailleurs du sexe viennent de tous les milieux. Ils sont passés par des situations très diverses. Ce sont des citoyens canadiens et ils ont le droit d'être traités avec dignité et de vivre une vie sans violence.
Je m'attendais à ce que la décision Bedford aille dans le sens de la décision qui a été rendue. Comme j'ai enseigné le droit criminel pendant de nombreuses années, il me semblait probable que la Cour suprême invalide la législation sur la prostitution, qui rendait la vie plus dangereuse pour les personnes en cause. Dans le cadre de mes efforts pour mieux m'informer, j'ai rencontré des gens de Stella et d'autres organisations nationales. J'ai rencontré des chercheurs en sciences sociales de l'Université de Victoria. J'ai beaucoup appris de tous ces gens-là. Cependant, j'ai appris le plus quand j'ai demandé à PEERS si un groupe de travailleuses du sexe accepterait de venir me rencontrer pour discuter pendant un après-midi de ce qui devrait arriver, d'après elles, si la Cour suprême invalidait la législation sur la prostitution.
J'ai donc passé l'après-midi à m'entretenir avec un groupe de 12 femmes actives dans le travail du sexe dans ma communauté. Certaines ont voulu savoir si l'on connaissait des travailleuses du sexe, si on leur avait parlé. J'en suis arrivé à très bien connaître ces personnes et je n'ai que du respect pour elles, pour la manière dont elles s'efforcent de faire de leur mieux dans la situation où elles se trouvent. Certaines avaient choisi ce travail et je les crois sur parole quand elles disent avoir choisi ce mode de vie. Certaines, comme la mère célibataire, ont fait de mauvais choix et ont ensuite fait le meilleur choix possible pour leurs enfants.
Aucune des femmes que j'ai rencontrées n'a fait l'objet de traite des personnes, quoique toutes étaient au courant de cas de ce genre dans la communauté. Cependant, elles avaient une chose en commun: elles avaient toutes subi des actes de violence à un moment donné comme travailleuse du sexe. Par conséquent, à la fin de cette discussion, quand je leur ai demandé quel devrait être l'objectif de la loi, leur réponse a été la réduction des méfaits et la sécurité pour les personnes se livrant au travail du sexe.
Quand ce projet de loi d'initiative ministérielle a été déposé, j'ai reçu un appel de PEERS. Comme la plupart des députés, je n'étais pas en mesure de répondre immédiatement parce que j'étais à la Chambre, mais de retour à mon bureau, j'ai parlé à ces gens-là et ce fut une conversation très émotive. Ils étaient très, très en colère contre le projet de loi qu'on venait de déposer. Bon nombre estimaient que beaucoup de nos vis-à-vis à la Chambre étaient animés de très bonnes intentions, mais que le projet de loi ne répondait pas à leurs besoins. Ils étaient convaincus qu'il rendrait leur vie plus difficile et plus dangereuse.
À propos de ce que certaines personnes aiment appeler le modèle scandinave, les gens de PEERS ont très clairement dit que la criminalisation de la moitié d'une transaction rend inévitablement dangereuse l'autre moitié. La prostitution deviendra clandestine, et il sera plus difficile d'identifier les clients à l'avance parce qu'ils seront davantage portés sur le secret. Pendant cet appel téléphonique, on m'a fait part de toutes les différentes objections imaginables en matière de sécurité.
Par la suite, la directrice exécutive, Marion Little, a fait une déclaration publique. Je veux la lire parce qu'elle reflète la conversation que j'ai eue avec le conseil d'administration de PEERS lorsque la mesure législative a été présentée. Marion Little a dit:
C'est désastreux. La vie des gens sera perturbée et nous avons maintenant à peine les ressources nécessaires pour les aider [...]
Je ne crois aucunement que ces fonds seront remis à des organisations expérimentées qui prodiguent sans condition des soins aux travailleuses du sexe.
C'est ce que PEERS fait. Ses employés ne jugent pas les gens qui franchissent leur porte. Ils ne portent pas de jugement sur la raison pour laquelle ils sont là et n'insistent pas pour qu'ils apportent des changements à leur vie. Voici ce qu'ils disent: « Que pouvons-nous faire pour aider à prodiguer sans condition des soins aux travailleuses du sexe? » PEERS s'oppose au projet de loi et s'inquiète au sujet des 20 millions de dollars de financement dont parle le gouvernement. On craint que l'argent soit remis à des organismes qui n'ont aucune expérience auprès des travailleuses du sexe, qui ne sont pas dirigés par ces travailleuses, contrairement à PEERS, ou qui les stigmatisent au moment de les approcher. PEERS est très préoccupée à ce sujet.
J'aimerais que le gouvernement mette au point une approche qui protège mieux les femmes et qui offre davantage de soutien à celles qui travaillent dans l'industrie du sexe. De plus, de ce côté-ci, nous voulons nous attaquer à toutes les questions connexes concernant des gens vulnérables qu'on a ignorés, comme l'éducation, le traitement de la toxicomanie et le logement abordable, à tout ce qui permettra à ceux qui pourraient s'être retrouvés dans l'industrie du sexe à faire de meilleurs choix pour l'avenir. Nous devons nous attaquer à ces questions liés au commerce du sexe et au manque de débouchés offerts à de nombreuses femmes qui veulent prendre soin d'elles-mêmes.
Le projet de loi dont nous sommes saisis modifierait le Code criminel de façon à créer une infraction visant à interdire, en tout lieu, l'achat de services sexuels et la communication à cette fin. C'est une grande préoccupation pour la directrice de l'organisme PEERS, avec qui j'ai parlé. Le projet de loi précise « en tout lieu ». Par conséquent, dans quel endroit où il n'y a personne les travailleurs du sexe seront-ils forcés d'exercer leur métier? S'ils pratiquent leur métier là où il n'y a personne, ils sont forcément mis en danger.
Le projet de loi créerait une infraction visant à interdire la publicité de services sexuels offerts moyennant rétribution et autoriserait le tribunal à ordonner la saisie du matériel comportant une telle publicité et sa suppression de l’Internet. Bon nombre des travailleurs du sexe avec qui j'ai parlé utilisent les annonces et Internet pour filtrer les clients et partager des renseignements sur les clients qui sont dangereux ou qui ne le sont pas.
Le gouvernement répète ce qu'il fait souvent, c'est-à-dire qu'il s'attaque à un problème qui n'existe pas vraiment, en l'occurrence la prostitution aux alentours des écoles. Je connais un chroniqueur qui a dit qu'il avait emmené ses enfants à l'école des milliers de fois et qu'il n'avait jamais vu de travailleurs du sexe, d'abord, à cette heure-là, et deuxièmement, aux alentours des écoles. Ce projet de loi accuse en quelque sorte les travailleurs du sexe d'être des prédateurs qui veulent s'en prendre à nos enfants. En fait, dans ma collectivité, j'ai découvert que plusieurs de ces personnes ont des enfants et qu'elles essaient vraiment de subvenir à leurs besoins.
Je ne pense pas que ce projet de loi respecte la décision de la Cour suprême relativement à la Charte. J'ai été très heureux d'entendre la députée de exprimer notre position, c'est-à-dire que nous voudrions que ce projet de loi soit renvoyé dès maintenant à la Cour suprême. Le gouvernement est en mesure de faire cela. Au lieu de perdre des années en batailles devant les tribunaux, nous pourrions demander maintenant l'avis de la Cour suprême, qui dirait si le projet de loi répond aux critères établis dans l'arrêt Bedford. Personnellement, je pense qu'il ne les respecte pas, mais le gouvernement doit croire le contraire, puisqu'il a présenté cette mesure législative à la Chambre. Si le gouvernement pense sincèrement que le projet de loi répond aux critères de l'arrêt Bedford, le renvoyer à la Cour suprême ne devrait comporter aucun risque.
Dans ma circonscription, des travailleuses du sexe associées à l'organisme PEERS m'ont dit également qu'elles se demandent qui protégera les travailleuses du sexe lorsqu'on aura adopté ce projet de loi qui rendrait leur vie encore plus dangereuse et difficile. Il faudrait attendre encore de nombreuses années — peut-être quatre à six ans — avant que cette cause soit entendue par la Cour suprême. D'ici là, elles croient que ce projet de loi les mettrait en danger en les exposant précisément à ce que la décision de la Cour suprême cherchait à interdire. Elles seraient forcées de s'exposer à cette violence et à ces mauvaises conditions pendant quatre à cinq années de plus, alors que la Cour suprême n'a accordé qu'une seule année au Parlement pour élaborer un projet de loi qui respecte la décision rendue dans l'affaire Bedford.
Encore une fois, je me joins à la députée de pour demander que ce projet de loi soit renvoyé dès maintenant à la Cour suprême, avant qu'il soit adopté, avec tous les dommages que cela implique. Si les ministériels ne croient pas que leur projet de loi présente de tels dangers, je ne comprends pas pourquoi ils hésitent à le renvoyer à la Cour suprême. Je sais que les conservateurs ont déjà demandé à la Cour suprême de se prononcer sur d'autres questions, et qu'ils n'ont pas toujours reçu une réponse favorable, mais, de toute évidence, ils ont plus confiance en ce projet de loi.
D'autres m'ont dit que je dois absolument appuyer l'investissement de 20 millions de dollars que le gouvernement propose pour aider les travailleuses du sexe. Ce à quoi j'ai répondu que l'idée est tout à fait excellente. J'aimerais toutefois savoir où se trouve cette mesure dans le budget. J'aimerais aussi avoir l'assurance qu'aucune condition n'y est rattachée. Encore une fois, c'est la directrice de l'organisme PEERS qui m'a dit craindre que cet argent soit versé à des organismes qui stigmatisent les travailleuses du sexe. Ainsi, cet argent n'aiderait pas les femmes qui en ont le plus besoin.
En ce qui concerne ce projet de loi, je n'ai pas l'impression que le gouvernement est vraiment disposé à considérer le moindre amendement, ce qui serait mon deuxième choix après le renvoi à la Cour suprême. Je suppose que les députés de ce côté-ci de la Chambre devront tenter de convaincre le gouvernement, et d'amener les ministériels à écouter les personnes qui seraient les plus menacées par ce projet de loi, c'est-à-dire les travailleuses du sexe.
En conclusion, je tiens à remercier les travailleuses du sexe de ma circonscription de m'avoir aidé à comprendre leur quotidien et à saisir la menace que le projet de loi représente pour elles. J'attends avec impatience le jour où la société canadienne sera réellement inclusive, où elle abandonnera ses préjugés à l'égard de certains de ses membres et où elle cessera de les exposer à la violence.