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ACVA Rapport du Comité

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LA SANTÉ MENTALE CHEZ LES VÉTÉRANS CANADIENS :
UNE MISSION DE FAMILLE

INTRODUCTION

Les gens qui envisagent le suicide […] ont l'impression qu'elles n'ont pas d'autre choix. Les familles partagent ce désespoir, elles subissent souvent le fardeau de la colère et sont témoin de la peur. Les familles se sentent souvent impuissantes et dans l'incapacité d'aider.
[…] Les familles correctement soutenues, qui fonctionnent et qui sont en bonne santé, peuvent constituer un facteur de protection considérable pour ceux qui envisagent le suicide. […] Elles peuvent constituer le centre ou le fondement du système de soutien des personnes en détresse: nous avons entendu des personnes ayant vécu la détresse – qui ont traversé l'obscurité et qui sont ressorties de l'autre côté – dire que c'était grâce à quelqu'un dans leur vie qui n'a pas baissé les bras[1].

Lors de sa réunion du 29 septembre 2016, le Comité des anciens combattants de la Chambre des communes (le Comité) a adopté une motion à l’effet de mener « une étude sur la santé mentale axée sur l’amélioration de l’aide à la transition (combler les écarts) entre les Forces canadiennes et Anciens Combattants et sur la formulation de recommandations pouvant ultimement servir à l’élaboration d’un programme coordonné de prévention du suicide[2]. »

Cette résolution faisait suite à un constat réalisé durant l’étude précédente à l’effet que :

Un grand nombre de militaires opèrent leur transition vers la vie civile de manière tout à fait satisfaisante. Le défi est cependant plus important pour les militaires qui quittent la vie militaire contre leur gré, dont ceux qui sont libérés pour raisons médicales et qui forment l’essentiel des clients d’ACC.
[…] L’impression générale qui ressort des témoignages entendus est que les besoins de nombreux vétérans libérés pour raisons médicales ne sont pas comblés, et qu’ils en ressentent un plus grand isolement[3].

La réussite du processus de transition semble donc être un déterminant important du mieux-être à long terme des vétérans. À l’inverse, une transition difficile peut avoir un impact négatif durable sur la vie des vétérans, ainsi que sur celle de tous les membres de leur famille. Sachant les risques que comporte une carrière militaire sur le plan de la santé mentale, il est d’autant plus important que ces risques ne soient pas exacerbés lors de la transition vers la vie civile.

Le suicide est fréquemment l’aboutissement le plus tragique d’une santé mentale qui s’est détériorée, et pour de nombreux vétérans, les origines de cette détérioration peuvent souvent être retracées à une transition difficile. Comme nous l’examinerons plus en détail dans la suite de ce rapport, même si le taux de suicide chez les militaires canadiens est à peu près équivalent à celui de la population canadienne du même âge, il est inquiétant, puisque la population militaire est déjà une population pré‑sélectionnée qui est en meilleure santé que la population en général. Or, les vétérans se suicident presque 50% plus souvent que les militaires en service. Cette statistique signale que le seul fait de devenir un vétéran constitue un facteur de risque pour le suicide.

En tenant compte de toutes les nuances qui s’imposent, ces statistiques valent également pour la plupart des problèmes de santé mentale que l’on désigne sous le terme de « blessures de stress opérationnel. » Cette expression non-clinique désigne « des problèmes psychologiques qui surviennent à la suite d'un traumatisme psychologique éprouvé pendant les opérations, qui entraîne divers diagnostics, dont la dépression, l’état de stress post traumatique (ESPT) et les troubles liés à la toxicomanie[4]. »

En ce qui concerne les vétérans, une transition réussie constitue un élément clé de toute stratégie visant leur mieux-être, la promotion de la santé mentale et la prévention du suicide. Dans le cadre de la présente étude, le Comité a tenté d’identifier des pistes de solution pouvant soutenir ces objectifs et en recommander la mise en œuvre par le gouvernement du Canada.

Le fil conducteur qui unit les 71 témoignages entendus au cours des 19 réunions que le Comité a consacrées à cette étude se ramène à deux éléments dont la présence semble constituer le meilleur facteur de protection, et dont l’absence semble constituer un important facteur de risque lors de la transition : le soutien de la famille et des proches, et le sentiment d’une mission à accomplir.

La perte de l’identité militaire lors du passage au statut de vétéran, pour ceux et celles qui ont été libérés involontairement et pour leur entourage, constitue pour beaucoup une expérience difficile. Nous espérons que les pistes mises de l’avant par le Comité pourront servir à améliorer la qualité de vie des vétérans et des membres de leur famille.

1. PORTRAIT DE LA SITUATION CHEZ LES MILITAIRES

1.1. La santé mentale des militaires

Le tableau que l’on peut dresser de la santé mentale des militaires canadiens est étroitement lié à l’intensification de la participation du Canada à des opérations militaires depuis le conflit dans les Balkans au début des années 1990. Les risques se sont accrus durant les opérations qui se sont déroulées au cours des années 1990 en ex-Yougoslavie, en Somalie, au Rwanda, et par la suite en Afghanistan.

En tout, environ 40 000 militaires canadiens ont été déployés en Afghanistan, ce qui, en termes d’effectifs, dépasse la participation à la guerre de Corée, entre 1950 et 1953, et en fait donc la plus importante opération militaire canadienne depuis la Deuxième Guerre mondiale. Les opérations de combat ont pris fin le 7 juillet 2011 en Afghanistan, mais le Canada a maintenu sur place un contingent d’environ 1 000 membres jusqu’en mars 2014 afin d’appuyer la formation des forces de sécurité afghanes. Cent cinquante-huit militaires et quatre civils canadiens y ont perdu la vie et plus de 2 000 militaires y ont été blessés.

Le visage humain de la mission en Afghanistan s’est fréquemment manifesté dans les drames bouleversants vécus par certains représentants de cette nouvelle génération de militaires, qui ont parfois dû payer de leur santé mentale l’expérience des souffrances de la guerre. Une augmentation du nombre de suicides, surtout chez les membres des forces terrestres, a coïncidé avec la participation à cette mission, comme l’a affirmé la Dre Heber d’Anciens Combattants Canada (ACC)[5].

Les séquelles psychologiques auxquelles peut donner lieu la participation aux opérations militaires sont habituellement désignées au moyen du terme médical « trouble de stress post-traumatique » (TSPT), ou encore du terme militaire et policier de « blessure de stress opérationnel (BSO) ». Ces séquelles sont plus difficiles à prévoir que celles des blessures physiques, et ce, à cause de leur nature moins visible, de la réticence de ceux qui en souffrent à les déclarer et du fait que leurs symptômes peuvent n’apparaître que des années après l’événement traumatisant. Nos connaissances sur le sujet sont donc fragiles et les certitudes inexistantes, si ce n’est celle de la souffrance des personnes touchées.

On soupçonne évidemment que le conflit en Afghanistan a eu des répercussions sur la santé mentale des militaires. Selon le médecin-chef des Forces armées canadiennes (FAC), le général MacKay, c’est essentiellement le nombre de cas de stress posttraumatique qui a augmenté :

La prévalence du trouble de stress post-traumatique après 12 mois est passée de 2,7 % en 2002 à 5,4 % en 2013. Cependant, aucun changement notable n'a été observé dans la proportion de membres des Forces armées canadiennes souffrant de dépression, qui constitue encore la principale cause de maladie mentale chez les militaires et qui s'établissait autour de 8 % en 2002 et en 2013[6].

« En moyenne, 10 000 membres de la Force régulière et de la Force de réserve quittent chaque année les Forces armées canadiennes. De ce nombre, 16 % en moyenne sont libérés pour des raisons médicales[7]. » Parmi les personnes qui doivent quitter les FAC pour raisons médicales, les statistiques indiquent que la proportion de celles qui souffrent de problèmes de santé mentale a diminué.

Le nombre de personnes quittant le service militaire pour des raisons médicales varie quelque peu. Je crois que l'an passé autour de 2 000 personnes ont quitté pour des raisons médicales et, de ce nombre, seulement 22 % ont quitté pour des raisons de santé mentale. La raison pour laquelle je dis que c'est intéressant, c'est qu'au cours de nombreuses années précédentes, ce sont de 34 % à 40 % des personnes qui ont quitté les forces armées pour des problèmes de santé mentale. Or, je suis un peu surpris de voir que le nombre a diminué[8].

Ces statistiques sont encourageantes, mais, avant de se réjouir, il faudra voir si la tendance se maintiendra au cours des années à venir, et à mesure que les 40 000 militaires qui ont participé à la mission canadienne en Afghanistan prendront leur retraite ou amorceront leur transition vers la vie civile.

1.2. Le suicide chez les membres des Forces armées canadiennes

En novembre 2016, le ministère de la Défense nationale a publié son plus récent rapport sur la mortalité par suicide dans les Forces armées canadiennes. Ce rapport, qui porte sur une période de 21 ans (1995 à 2015), analyse uniquement les suicides chez les hommes de la Force régulière. Les raisons pour lesquelles les suicides chez les femmes ne sont pas analysés dans l’étude ont été expliquées par Mme Elizabeth Rolland-Harris, l’une des co-auteurs de l’étude :

C'est ainsi parce que le nombre de suicides de femmes et de réservistes est trop modeste pour que nous puissions divulguer des détails sur ces cas sans risquer d'identifier des personnes et de compromettre leur droit à la confidentialité. Par conséquent, même si l'expérience de ces gens est versée dans les preuves qui servent à orienter les politiques en matière de santé mentale et les efforts de prévention du suicide au sein des Forces armées canadiennes, les renseignements qui les concernent ne figurent pas dans les rapports annuels[9].

Les tendances relatives à la Réserve sont également difficiles à analyser, car « les dossiers de la Réserve peuvent être incomplets en ce qui concerne les suicides et l’information sur la taille et les caractéristiques de la Réserve, ces deux aspects sont nécessaires pour calculer des taux de suicide fiables. Le taux de départs est élevé chez les réservistes de classe A, et les suicides au sein de ce groupe ne sont pas nécessairement signalés au ministère de la Défense nationale[10]. » Les limites statistiques relatives aux suicides chez les membres de la Réserve s’appliquent encore plus à l’analyse des suicides chez les anciens combattants.

Lorsque les FAC jugent qu’un membre de la Force régulière ou de la Réserve est probablement décédé par suicide, elles le confirment auprès du coroner de la province où le suicide a eu lieu, et ordonnent la tenue d’un examen technique des suicides par des professionnels de la santé (ETSPS).

Cette enquête est menée par une équipe formée d'un professionnel de la santé mentale et d'un médecin militaire généraliste. Ensemble, ils examinent tous les dossiers de santé pertinents et réalisent des entrevues avec le personnel médical, les membres de l'unité, les membres de la famille et d'autres personnes pouvant avoir des connaissances sur les circonstances du suicide en question[11].

Le Rapport sur la mortalité par suicide dans les FAC est fondé sur les données obtenues dans le cadre de ces ETSPS.

En 2015, 14 hommes de la Force régulière se sont suicidés. Ils étaient aux prises avec les problèmes de santé mentale suivants (certaines personnes pouvaient avoir plus d’un problème de santé mentale) :

  • six souffraient d’un trouble dépressif documenté;
  • six souffraient d’un trouble lié à l’utilisation de substances;
  • quatre souffraient d’un trouble anxieux;
  • trois souffraient d’une lésion cérébrale traumatique;
  • trois souffraient d’un trouble lié à un état de stress post‑traumatique;
  • deux souffraient d’un trouble lié à des traumatismes et à des facteurs de stress (autres que l’état de stress post‑traumatique);
  • deux souffraient d’un trouble de personnalité.

Plus de 85 % d’entre eux avaient eu accès à des soins de santé sous une forme ou une autre au sein des FAC dans les trois mois précédant le suicide.

Au cours des 21 années visées par le rapport, il y a eu 239 suicides commis par des hommes de la Force régulière, soit 11,4 suicides par année en moyenne. En 2011, il y a eu 21 suicides, un nombre anormalement élevé qui a fait augmenter le taux pour les tendances à court terme qui tiennent compte de cette année. C’est en 2006 qu’il y a eu le moins de suicides : on a en dénombré seulement sept.

Une fois que ces données sont converties en un taux de suicide en fonction de l’âge et du sexe, celui‑ci peut être comparé au taux de suicide chez la population canadienne du même âge et du même sexe. Les principales conclusions découlant de cette comparaison sont les suivantes :

  • De 1995 à 1999, le taux de suicide chez les hommes de la Force régulière était 28 % plus bas que le taux de suicide chez la population masculine du même âge, et cette différence est « statistiquement significative[12] ».
  • De 2000 à 2004, le taux était 20 % plus bas, mais il ne s’agit pas d’une différence statistiquement significative.
  • De 2005 à 2009, le taux était 13 % plus bas, mais cette différence n’est pas statistiquement significative.
  • De 2010 à 2012 (soit pendant trois ans seulement), le taux est 20 % plus élevé et cette différence est presque statistiquement significative, mais il comprend le nombre de suicides anormalement élevé (21) observé en 2011.

La principale hypothèse sous-tendant la nécessité d’analyser avec soin les tendances relatives aux suicides de militaires est qu’il pourrait y avoir une relation de cause à effet entre l’exposition à des événements traumatisants dans le cadre d’un déploiement et le taux de suicide. Entre 1995 et 2004, il n’y avait pas de différence notable entre le taux de suicide de ceux qui ont été déployés et le taux de suicide de ceux qui ne l’ont pas été. Cela dit, lorsqu’on emploie une méthode qui tient mieux compte de l’âge, on constate que la différence pour la période de 2005 à 2014 est presque statistiquement significative :

  • De 2005 à 2014, le taux de suicide des hommes de la Force régulière qui ont été déployés représente 148 % du taux de ceux qui n’ont pas été déployés (autrement dit, il est plus élevé de 48 %);
  • Ce pourcentage, soit 148 %, se situe dans un intervalle de confiance (voir la note 12) allant de 98 % à 222 %;
  • Si la borne inférieure de l’intervalle de confiance avait été plus élevée que 100 %, au lieu d’être de 98 %, la différence aurait été statistiquement significative. En d’autres mots, une très faible augmentation du nombre de suicides au cours d’une année donnée entre 2005 et 2014 aurait fait en sorte que la différence de 48 % serait devenue statistiquement significative.

Une autre hypothèse importante sous‑tendant l’existence possible d’un lien de cause à effet entre le déploiement et le suicide est le fait que les membres de l’Armée de terre, par opposition aux membres de la Marine et de la Force aérienne, risquent davantage d’être exposés à des événements traumatisants lors d’un déploiement et donc, ils sont beaucoup plus susceptibles de se suicider. La différence entre le taux de suicide des membres de l’Armée de terre et les membres des deux autres commandements semble appuyer cette hypothèse :

  • De 2002 à 2015, « le taux brut de suicide [des hommes] dans le commandement de l’Armée de terre était 2,6 fois plus élevé que celui dans les autres commandements[13]. »
  • Pendant la même période, le taux brut de suicide parmi les hommes du commandement de l’Armée de terre qui étaient âgés de 20 à 24 ans était de 40/100 000, alors qu’il était de 13/100 000 pour les hommes des autres commandements qui avaient le même âge.

Il est donc possible d’affirmer, comme l’a fait Mme Rolland-Harris, que « les militaires rattachés à l'Armée canadienne, plus précisément ceux qui appartiennent aux groupes professionnels des armées de combat, courent un risque plus marqué de suicide que les membres de la Marine royale canadienne ou de l'Aviation royale canadienne[14]. »

Le colonel Andrew Downes, directeur de la Santé mentale au MDN, est allé un peu plus loin dans son analyse des facteurs ayant pu contribuer à l’augmentation du taux de suicide dans l’Armée canadienne :

La majorité de ces personnes ont des problèmes de santé mentale ou sont dans un état de détresse psychologique. À cela s'ajoute ce que nous appelons un puissant déclencheur ou en d'autres mots, un facteur de stress, comme dans le cas d'un problème relationnel, par exemple. Nous savons qu'une mission comme celle de l'Afghanistan où les traumatismes psychologiques ont été nombreux, finit par entraîner de nombreux problèmes de santé mentale. Nous pensons que les problèmes de santé mentale qui se sont manifestés au cours de cette opération sont l'un des facteurs à l'origine de l'augmentation des taux au sein du personnel de l'Armée. Ces membres sont ceux qui ont été le plus exposés aux facteurs de stress reliés au combat[15].

Autrement dit, les facteurs de stress liés aux opérations des forces terrestres en Afghanistan ont pu s’ajouter par effet cumulatif à d’autres facteurs de risque liés aux antécédents familiaux, professionnels ou de santé de la personne. En eux-mêmes, ces facteurs de stress liés aux opérations militaires ne seraient peut-être pas suffisants pour déclencher des troubles de santé mentale, mais s’ajoutant aux autres, ils peuvent contribuer à expliquer le taux de suicide élevé parmi les militaires qui ont participé aux opérations de combat.

2. PORTRAIT DE LA SITUATION CHEZ LES VÉTÉRANS

Lorsque vous revenez, on ne vous comprend pas lorsque vous dites que vous faites des cauchemars toutes les nuits, que vous n'arrivez pas à vous adapter à la vie quotidienne, que vous vous sentez mal à l'aise dans une foule[16].

2.1. La santé mentale des vétérans

Les vétérans souffrent plus de problèmes de santé mentale que les militaires en service et que la population canadienne du même âge et du même sexe, et ils se suicident plus. Selon M. David Pedlar, directeur de la recherche à ACC : « La prévalence des problèmes de santé mentale courants, comme les troubles de l'humeur, les troubles anxieux et les troubles de stress post-traumatique, était généralement deux à trois fois plus élevée chez les militaires des Forces armées canadiennes libérés depuis 1998 qu'au sein de la population canadienne[17]. » Ces statistiques valent tant pour les vétérans de la Force régulière que pour les vétérans de la Réserve qui ont servi à temps plein pendant une période prolongée. Selon M. Pedlar, « L'état de santé mentale des réservistes n'ayant pas servi à temps plein durant une période prolongée était très semblable à celui des Canadiens du même âge et du même sexe qui ne sont pas des vétérans[18]. » En ce qui a trait aux comparaisons internationales avec les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni, « la situation au Canada ressemble à ce qui se passe ailleurs[19]. »

M. Pedlar a fait ressortir un élément essentiel à la compréhension de l’état de santé mentale des vétérans, soit le lien entre la santé mentale et la santé physique, que nous avons trop souvent tendance à envisager séparément. Les statistiques sont très éloquentes :

90 % des vétérans aux prises avec des troubles de santé mentale souffrent également d'un problème de santé physique chronique. La prévalence des affections musculosquelettiques et de la douleur chronique est de deux à trois fois plus élevée que dans les populations civiles. Ceux qui souffrent à la fois d'un trouble de santé mentale, d'un problème de santé physique et de douleur chronique sont plus susceptibles de faire face à des défis majeurs sur le plan de la qualité de vie. Il est donc essentiel de ne pas cloisonner les troubles de santé mentale et les troubles de santé physique pour répondre aux besoins des vétérans. Il faut absolument les considérer conjointement pour bien les diagnostiquer, les traiter et les gérer[20].

Autrement dit, l’une des particularités les plus déterminantes pour comprendre la spécificité des problèmes de santé mentale des vétérans est que la quasi-totalité d’entre eux souffrent également d’un problème de santé physique chronique : « Le corps n'est pas conçu pour porter des charges de 125 livres pendant des années sans subir de conséquences. Nous en voyons les répercussions dans le cadre de notre programme de prestations d'invalidité[21]. »

Les particularités de l’usure physique qu’entraîne la vie militaire peuvent donc être considérées en elles-mêmes comme un facteur de risque de développer des problèmes de santé mentale. Toujours selon M. Pedlar, il faut « [considérer] la santé physique et la douleur chronique comme des vecteurs extrêmement importants de l'apparition de troubles de santé mentale chez les vétérans, en plus des expériences traumatisantes auxquelles ils auraient pu faire face[22]. »

Le traitement qui est offert aux vétérans doit donc tenir compte de cette double dimension, car si le traitement des problèmes de santé mentale ne s’accompagne pas d’un traitement simultané des problèmes physiques et de la douleur, il sera difficile d’améliorer leur qualité de vie.

Selon M. Pedlar, il faut également en tenir compte lorsqu’il est question de la prévention du suicide : « Il y a réellement un effet multiplicateur si une personne a un problème de santé mentale, un problème de santé physique et de la douleur chronique. Les vétérans sont plus susceptibles que les autres Canadiens d'avoir tous ces problèmes en même temps[23]. »

2.2. Le suicide chez les vétérans

Au Canada, on obtient le taux de suicide en divisant le nombre de suicides enregistrés dans une année donnée par la population totale du Canada, tous âges confondus.

En 2012, le taux de suicide au Canada était de 11,3/100 000, respectivement 17,3/100 000 pour les hommes et 5,4/100 000 pour les femmes.

Il n’existe aucun calcul équivalent pour la population totale des vétérans du Canada, estimée à 685 000. Cependant, une étude de 2011 intitulée Étude du cancer et de la mortalité chez les membres des Forces canadiennes : causes de décès s’est penchée sur le sort d’une sous-population de 112 225 vétérans ayant servi dans la Force régulière entre 1972 et 2008. L’étude a permis de tirer les conclusions suivantes :

  • le suicide est la seule cause de mortalité dont l’incidence est nettement supérieure chez les vétérans qu’au sein de la population générale;
  • le risque de mourir par suicide était 46 % plus élevé chez les vétérans de sexe masculin que chez les groupes d’âge correspondants de la population canadienne masculine;
  • dans le cas des vétérans libérés lorsqu’ils avaient entre 16 et 24 ans, le risque de mourir par suicide double par rapport au même groupe d’âge chez la population canadienne masculine;
  • le risque de mourir par suicide était 32 % plus élevé chez les vétérans de sexe féminin que chez les groupes d’âge correspondants de la population canadienne féminine;
  • chez les vétérans de sexe féminin de 40 à 44 ans, le risque de suicide était 2,5 fois plus élevé que chez le groupe d’âge correspondant de la population canadienne féminine.

Toujours selon le même rapport :

  • Des 112 225 vétérans de la sous-population étudiée, 96 786 hommes et 15 439 femmes se sont engagés dans la Force régulière après 1972 et ont été libérés avant le 31 décembre 2007.
  • Des quelque 2 620 hommes décédés, 696 (26,6 %) ont commis un suicide. En extrapolant, on obtient un taux de suicide cumulé de 719/100 000 (1/139) au sein de cette cohorte sur une période de 36 ans. Par comparaison, le taux de suicide cumulé dans la population canadienne masculine d’âge correspondant est d’environ 551/100 000 (1/181) au cours de la même période.

Des quelque 204 femmes décédées, 29 (14 %) ont commis un suicide, ce qui représente un taux de suicide cumulé de 187/100 000 (1/535) au sein de cette cohorte sur une période de 36 ans. Par comparaison, le taux de suicide cumulé dans la population canadienne féminine d’âge correspondant est d’environ 146/100 000 (1/685) au cours de la même période.

Étant donné l’absence de données fiables pour les vétérans ayant quitté les FAC après 2007, ACC a annoncé qu’une deuxième édition de l’étude se penchera sur les vétérans de la Force régulière et du service en classe C de la Réserve libérés en 2015 ou avant[24].

Ces données sur la population totale des vétérans correspondent à celles obtenues à la clinique d’ACC de Parkwood, à London en Ontario. Selon le Dr Don Richardson, psychiatre à la clinique :

Parmi les gens ayant demandé des soins à la clinique TSO Parkwood, près de 80 % des personnes atteintes d'un TSPT avaient aussi des symptômes de trouble dépressif majeur et environ 40 % souffraient d'alcoolisme.
Les troubles de santé mentale, en particulier le trouble dépressif majeur, sont souvent accompagnés de comportements suicidaires, de pensées suicidaires et de tentatives de suicide. […] Au cours de la dernière année, environ 6,6 % des vétérans auraient eu des idéations – des pensées – suicidaires. Chez les vétérans qui étaient des clients d'Anciens Combattants Canada, la prévalence d'idéations suicidaires durant la même période était beaucoup plus élevée: elle était de 12 %[25].

Pour le Dr Richardson, comme pour la plupart des spécialistes que le Comité a entendus, la meilleure stratégie de prévention du suicide réside dans le traitement des troubles de santé mentale, en particulier de la dépression. « Il est donc très important d'offrir des soins en temps opportun aux vétérans et de mener une campagne de sensibilisation afin que les vétérans sachent qu'ils ont accès à des traitements[26]. »

3. LES FACTEURS DE RISQUE

La carrière militaire entraîne un mode de vie qui les expose davantage à plusieurs des facteurs de risques de développer des problèmes de santé mentale. Selon le Dr Jitender Sareen, professeur de psychiatrie à l’Université du Manitoba :

Les facteurs de risque les plus importants pour les troubles de santé mentale et le suicide sont les événements stressants de la vie vécus pendant l’enfance ou à l’âge adulte. Ces facteurs sont très présents chez les militaires. Les militaires peuvent vivre des événements indésirables, des événements stressants de la vie, de la violence physique ainsi que des décès. Parmi les autres facteurs communs figurent les antécédents familiaux de troubles de santé mentale. Les lésions corporelles et les problèmes de santé physique sont également importants. Plus particulièrement, il a été prouvé que les difficultés financières et les problèmes juridiques augmentent le risque de troubles de santé mentale et de comportement suicidaire. Ces problèmes sont également très fréquents[27].

M. David Pedlar, directeur de la recherche à ACC, a dressé un portrait similaire des facteurs de risque susceptibles d’affecter la santé mentale des vétérans : « les expériences de vie antérieures, le service militaire, les facteurs génétiques, la santé physique, l'emploi, les finances et le soutien social[28]. »

Il est toutefois possible d’identifier des facteurs de protection, également très présents dans le cadre de vie militaire, qui peuvent réduire les risques de développer des problèmes de santé mentale.

Les facteurs qui protègent des troubles de santé mentale et qui agissent sur la prévention du suicide sont le soutien dans la collectivité, les programmes de santé mentale en milieu de travail, le leadership dans les unités et les structures organisationnelles. Le soutien social et le soutien par les pairs sont primordiaux comme le sont, bien évidemment, les familles et la capacité de la famille à comprendre ce que le militaire vit[29].

Ce que les membres du Comité ont appris au cours de cette étude, c’est que les facteurs de risque sont communs aux militaires en service et aux vétérans, mais que les facteurs de protection qui encadrent la vie militaire tendent à disparaître lorsque le militaire devient un vétéran. Pour les militaires qui quittent volontairement les FAC, les conséquences de cette transition semblent moins déterminantes pour leur état de santé futur, mais pour ceux qui sont libérés contre leur gré, la perte de cet encadrement constitue un risque accru.

Environ 4 % de la population des Forces canadiennes a des idées suicidaires. Ainsi, environ quatre militaires actifs sur 100 penseraient sérieusement au suicide. Le taux de tentative est de moins de 1 % par année. Comme les autres témoins l’ont mentionné, les anciens combattants affichent un taux légèrement plus élevé d’idées suicidaires, particulièrement pendant la première et la seconde année après leur libération. Le Dr Thompson a étudié plus de 3 000 anciens combattants canadiens et a montré que le taux était d’environ 6 %[30].

Privés de l’encadrement structuré propre à la vie militaire, les vétérans dont les problèmes pouvaient être contrôlés lorsqu’ils étaient militaires sont tout à coup laissés à eux-mêmes et ils peuvent éprouver de la difficulté à composer avec les facteurs de stress de la vie civile dont ils n’ont souvent qu’une expérience limitée.

Il n’est donc pas surprenant que les vétérans souffrent davantage de problèmes de santé mentale et se suicident plus que les militaires en service. Si les vétérans ne retrouvent pas dans leur nouvelle vie professionnelle cette structure organisationnelle évoquée par le Dr Sareen, il ne leur reste comme facteur de protection que le soutien offert par les membres de leur famille, leurs pairs et leur environnement social.

3.1. Le déploiement

Dans la communauté scientifique, une certaine controverse existe à savoir s’il faut considérer le déploiement militaire en lui-même comme un facteur de risque pour le développement de problèmes de santé mentale ou le suicide. Le consensus qui semble se dégager est à l’effet que ce n’est pas le fait d’être déployé en lui-même qui est le facteur de risque, mais ce à quoi le militaire est exposé durant le déploiement. Cette exposition à des facteurs stressants vient s’ajouter à d’autres facteurs de risque. Il faut donc être prudent de ne pas rechercher une cause unique à un phénomène qui demeure complexe. Selon le Dr Sareen :

Si pendant le déploiement, le militaire est exposé à un haut niveau de traumatisme, le risque de stress post-traumatique, de dépression et de suicide augmente. […] Pour le suicide, je donnerais comme exemple une personne souffrant d’asthme. L’asthme seul n’est pas mortel. Toutefois, si vous souffrez d’asthme en plus de beaucoup d’autres problèmes de santé physique, ces affections prises ensemble peuvent entraîner la mort.
De la même façon, lorsque nous étudions le suicide, […] il s’agit d’une combinaison de différents facteurs, comme un événement stressant de la vie, de la dépression, la consommation d’alcool, les difficultés dans l’armée et pendant la transition et des problèmes juridiques éventuels. Tous ces facteurs regroupés font augmenter le risque de tentative de suicide ou de suicide[31].

L’intensité et le stress inhérents aux déploiements militaires rendent difficile l’évaluation sur place des risques pour la santé mentale chez les personnes en particulier. Pour la plupart des militaires, ce stress opérationnel disparaîtra rapidement, alors que chez d’autres, ce sera le début d’un problème qui durera plus longtemps et exigera des traitements. Il est à peu près impossible de déterminer sur-le-champ qui développera des problèmes à long terme. Il faut donc sensibiliser les militaires qui reviennent d’un déploiement à la possibilité qu’ils éprouvent des symptômes indiquant l’apparition de problèmes qui pourraient devenir plus graves s’ils ne sont pas traités le plus tôt possible.

3.2. La transition vers la vie civile

Une libération des Forces canadiennes, ce n'est pas la fin d'un emploi, c'est une crise identitaire. Qu'est-ce que je suis maintenant? Même les membres de notre famille nous présentent aux autres comme étant des soldats. Ils diront que leur frère est dans l'armée, que leur sœur est dans la marine. Ils diront que leur père était dans la force aérienne, comme si c'était une partie de son identité, pas seulement un groupe auquel il appartenait. C'est quelque chose qu'on est. C'est une culture[32].

Pour les vétérans, la période critique de la transition vers la vie civile peut constituer l’un des plus importants facteurs de risque de développer un trouble de santé mentale[33]. Étant donné que la transition vers la vie civile signifie pour de nombreux militaires la perte du soutien social et organisationnel qui leur était offert au sein des FAC, cette période est déterminante dans la mise en place d’un contexte favorable à leur mieux-être à long terme.

On croit souvent que cette transition est particulièrement difficile pour les vétérans qui ont été libérés pour raisons médicales puisque, pour nombre d’entre eux, cela signifie également qu’ils ont été libérés contre leur gré. À cet égard, M. Michel Doiron, d’ACC, est venu présenter des statistiques qui remettent cette perception en doute. Selon les données, parmi les quelques 10 000 personnes qui quittent annuellement les FAC, environ 27 % ne réussissent pas adéquatement leur transition. Tout aurait porté à croire que, parmi ces 27 % se retrouveraient une majorité de vétérans libérés pour raisons médicales. Or, ce ne semble pas être le cas :

Nous venons juste de comprendre – parce que nos chercheurs ont effectué du travail sur ce sujet – que 60 % des 27 % sont en réalité des personnes qui ne sont pas libérées pour raisons médicales et qui éprouvent des difficultés. Nous nous sommes concentrés sur la libération pour raisons médicales et nous devons maintenant nous assurer de nous occuper des personnes non libérées pour raisons médicales.
La plupart d'entre elles seront libérées la tête haute, sans stigmatisation, mais elles comprendront par la suite qu'elles commencent leur vie civile, et celle-ci est un peu différente[34].

Le ministère ayant depuis longtemps concentré ses efforts auprès des personnes libérées pour raisons médicales, ce sont elles qui deviennent plus souvent des clients d’ACC, alors que les personnes qui ne sont pas libérées pour raisons médicales auront plus facilement le sentiment qu’elles n’ont pas besoin des services d’ACC : « Les militaires libérés pour raisons médicales viennent nous voir tout de suite. […] Pour ce qui est du moment où le reste des gens ont besoin de nos services, cela peut avoir lieu deux ans après la libération, ou après 40 ans[35]. »

Depuis juillet 2015, il est possible pour ACC d’intervenir auprès des militaires en service, d’élaborer un plan de réadaptation, de les inciter à remplir leurs demandes d’allocations, etc. Or, ce processus d’intervention précoce s’était élaboré sur la prémisse que ce serait surtout des personnes en voie d’être libérées pour raisons médicales qui en bénéficieraient. Il est déjà difficile pour ACC d’entrer en contact avec les vétérans libérés pour raisons médicales s’ils ne se manifestent pas. Il est encore plus difficile d’entrer en contact avec ceux qui n’ont pas été libérés pour raisons médicales s’ils n’ont pas été approchés par le ministère alors qu’ils étaient encore en service.

La Dre Heidi Cramm, de l’Institut de recherche sur la santé des militaires et des vétérans, a recommandé la création d’un registre des vétérans qui intégrerait des données anonymes sur leur santé, et aiderait les chercheurs à en apprendre davantage sur le rôle méconnu que joue la transition sur la santé mentale à long terme des vétérans[36].

Le témoignage de M. Doiron a bien montré que le ministère est conscient de cette difficulté d’identifier les vétérans, et de mieux comprendre leurs besoins durant la transition. Les membres du Comité souhaitent soutenir ces efforts et recommandent donc :

Recommandation 1

Qu’Anciens Combattants Canada entreprenne des démarches afin d’inscrire systématiquement au portail « Mon Compte ACC » tous les militaires qui sont en voie d’être libérés, que ce soit ou non pour raisons médicales, afin qu’il soit plus facile d’établir un contact entre eux et le ministère si des besoins venaient à apparaître.

De nombreux témoins ont décrit la perte d’identité et la perte de leur raison d’être qui accompagnaient fréquemment les militaires au moment d’effectuer leur transition vers une vie civile dont ils n’ont souvent qu’une expérience fragmentaire :

Des gens s'enrôlent dans l'armée parce qu'ils croient en quelque chose. Ils ont une identité qui est reconnaissable. Les gens peuvent vous voir en uniforme, et cela a une signification pour eux quant à qui vous êtes et à ce que vous devez endurer jour après jour. Mais si vous êtes uniquement en tenue civile, vous pouvez occuper différents emplois ou contribuer de façon différente à la société. Vous n'avez pas la même reconnaissance quant à votre identité. Votre sentiment quant à votre signification, votre identité et votre raison d'être est peut-être compromis. Vous pouvez avoir de la difficulté à structurer votre temps, et votre sentiment d'appartenance est aussi passablement perturbé.
[…] Ce sentiment d'identité est donc un réel problème. Nous savons que si nous pouvons soutenir les gens au cours de la transition pour qu'ils continuent de vivre une vie qui vaut la peine d'être vécue, comme nous le disons en ergothérapie, alors cela peut vraiment soutenir la transition en santé mentale des gens et la qualité de vie générale[37].

Selon le Dr David Pedlar, d’ACC, la période de transition vers la vie civile implique des changements si importants que la plupart des vétérans éprouveront des difficultés dans un aspect ou l’autre de leur vie en réorganisation :

Presque tous les vétérans éprouveront des difficultés, car pour bon nombre d’entre eux, presque tout change en même temps au cours de cette période de transition: le fait de quitter la culture militaire, le logement, l’endroit où ils vivent, les réseaux sociaux, leur source de revenus, et bien d’autres. Ils ont peut-être également un problème physique ou de santé mentale lorsqu’ils quittent les forces. […] Certains de ces problèmes sont associés à la façon dont ils vivent le changement s’ils n’ont pas réfléchi au sentiment qu’ils allaient éprouver au moment de ne plus revêtir l’uniforme. Plusieurs vétérans à qui j’ai parlé m’ont soulevé ce problème. Ils ont perdu leur sentiment d’utilité. Dans un sens, ils perdent leur estime de soi. Certains sont en colère. Ils avaient prévu finir leur carrière dans les forces, mais celle-ci a été écourtée inopinément. Ils sont donc parfois en colère ou ils se sentent trahis lorsqu’ils quittent les forces[38].

Parfois, comme l’a décrit Mme Hélène Le Scelleur, cette perte de raison d’être commence à se manifester dès la période où les militaires apprennent qu’ils seront libérés :

Lentement, nous sommes mis à l'écart ou même transférés à l'Unité interarmées de soutien du personnel. […] Nous sommes placés en isolement et oubliés d'une certaine façon par le système qui nous a édifiés. Nous vivons la lourdeur de notre souffrance, en plus de sentir la lourdeur de ce rejet.
[…] Nous allons porter nos équipements, signe identitaire très important, et notre carte d'identité sans avoir de remerciements, sans recevoir aucun honneur ou aucune forme de loyauté envers ce que nous avons donné. Nous devons quémander notre départ dans la dignité et aucune parade n'existe pour souligner notre service, notre sacrifice. […] Tout cela, je vous le confirme, est suffisant pour mener une personne souffrante au suicide[39].

Mme Lescelleur a proposé d’instituer une forme de cérémonie de départ, « une forme de deuil, mais en groupe[40], » au cours laquelle la transition pourrait se vivre en maintenant la solidarité militaire et qui offrirait au public la possibilité de témoigner une forme de reconnaissance sociale pour les sacrifices réalisés dans le cadre du service militaire : « Pourquoi ne pas faire une dernière parade pour souligner notre service? Nous pourrions recevoir notre insigne à ce moment-là, devant notre famille et nos amis. Tous les militaires qui se retirent ou qui sont blessés pourraient suivre de petites étapes de ce genre, ensemble, comme lorsqu'ils ont commencé leur carrière[41]. »

Il existe un programme au sein des FAC, Départ dans la dignité, qui offre une occasion de reconnaissance semblable[42], mais le programme semble offert sur une base ad hoc, au sein des unités, sans avoir le caractère solennel d’une cérémonie de plus grande envergure. Les membres du Comité souhaitent appuyer cette idée d’une cérémonie à grande valeur symbolique durant laquelle les militaires en voie d’être libérés pourraient vivre ensemble, et en public, ce passage vers la vie civile. Le Comité recommande donc :

Recommandation 2

Que les Forces armées canadiennes, en collaboration avec ses partenaires privés et publics, examinent comment mieux reconnaître la contribution des militaires en voie d’être libérés par un événement public à participation volontaire.

Au cours de la présente étude, le Comité a entendu de nombreux témoignages présentant les défis auxquels sont confrontés le ministère de la Défense nationale et ACC lorsqu’ils tentent de mieux intégrer leurs services afin de favoriser la meilleure transition possible. Le passage des FAC à ACC est encore beaucoup trop perçu comme une perte d’identité, comme un deuil. Pour plusieurs, la difficulté de vivre la transition vers la vie civile s’exprime par des détails de la vie quotidienne auxquels ces personnes sont confrontées pour la première fois :

Beaucoup de garçons entrent dans l'armée alors qu'ils ont 17, 18 ou 19 ans. […] Ils arrivent dans un environnement où tout est structuré pour eux et où presque tout leur est fourni. […] Le fait d'être un militaire est un aspect central de votre identité et votre vie gravite presque essentiellement autour de cette appartenance. Lorsque quelqu'un ressent tout à coup le besoin de prendre une place dans la vie civile, il se peut – et loin de moi l'idée d'être condescendant en disant cela –, il se peut, donc, qu'il n'ait pas les aptitudes sociales élémentaires pour y arriver. Il n'y aura personne pour lui rappeler qu'il a bientôt rendez-vous chez le médecin, pour s'assurer qu'il prend soin de ceci, de cela et du reste[43].

Le colonel Russ Mann, de l’Institut Vanier de la famille, a, comme tant d’autres, évoqué comment le fossé entre les deux ministères nuisait à une transition harmonieuse :

En ce moment, le gouvernement a structuré la transition de façon à briser le cercle de soutien. Le MDN et Anciens Combattants ne présentent pas un continuum dans le spectre de transition. Ils agissent comme deux entités distinctes, avec des cadres distincts et des méthodes de fonctionnement distinctes. Pour la famille et le vétéran en transition, c'est comme si l'on brisait leur cercle de soutien[44].

Face à cette difficulté à laquelle sont confrontés les deux ministères depuis si longtemps, certains, comme le général Dallaire, ont proposé une solution radicale : « Je pense qu'il est temps d'examiner le cas des pays qui ont intégré leur ministère des Anciens Combattants à leur ministère de la Défense nationale. […] Le client n'est pas refilé à quelqu'un d'autre. Il reste dans la famille[45]. »

Selon lui, cette approche est la seule qui permettrait de convaincre les personnes qui envisagent une carrière militaire de faire le saut. Il ne doit pas subsister de doute en leur esprit à l’effet que :

Le gouvernement est responsable de ces gens du début à la fin, et non jusqu’à 65 ans et non de façon limitée, qu’il s’engage à assumer une responsabilité illimitée, qu’il reconnaît que les soldats sont revenus blessés et que certains sont morts et que, bien entendu, leurs familles ont été touchées et qu’il prendra soin d’elles jusqu’à la fin. Sans cela, vous n’arriverez pas à faire renaître leur confiance[46].

Une telle intégration des deux ministères favoriserait la mise en œuvre d’une autre recommandation maintes fois soumise au Comité, soit celle d’établir une équipe de soins qui suivrait la personne alors qu’elle est encore dans les FAC et amorce sa transition, et continuerait de lui offrir les services nécessaires une fois qu’elle est devenue un vétéran. C’est l’approche qu’a, par exemple, préconisée Mme Kim Basque, de l’Association québécoise de prévention du suicide :

Nous proposons que la même équipe de soins suive le militaire, qu'il soit un militaire actif ou un ancien combattant qui a été libéré des Forces canadiennes en raison de son état de santé. Bien sûr, cela favoriserait la transition. Ultimement, cela ferait en sorte d'éliminer cette transition. Il s'agirait de la même équipe de soins qui s'occuperait d'un même militaire dont les besoins évolueraient. Comme la demande d'aide continue d'être fragile chez les hommes militaires, il est important de l'accueillir dans sa particularité. Il faut continuer de construire le lien de confiance qui s'est créé plutôt que de changer d'intervenant[47].

Le général Dallaire a souligné l’engagement important qui se reflète dans la stratégie de prévention du suicide des FAC[48]. ACC est également en train d’élaborer sa propre stratégie, et les deux ministères collaborent à la mise en œuvre d’une stratégie conjointe, mais ni l’une ni l’autre n’a encore été rendue publique[49].

De son côté, la Commission de la santé mentale du Canada s’est montrée prête à collaborer avec ACC pour l’implantation de son modèle national de prévention du suicide qui pourrait cibler les collectivités où la population de vétérans est élevée[50].

3.3. La transition professionnelle

Au sein des FAC, une part importante de l’identité et de la raison d’être des militaires est déterminée par leur vie professionnelle. Lors de la transition, cette dimension de leur vie doit être complètement réorganisée. Dans les mois qui précèdent la libération, beaucoup d’information est fournie aux militaires, entre autres dans le cadre du Service de préparation à une seconde carrière[51]. Durant ces séminaires optionnels, qui durent deux jours, ou trois s’il s’agit d’une libération pour raisons médicales, les conjoints sont encouragés à participer. Les militaires peuvent également assister à ces séminaires plusieurs fois s’ils le désirent[52].

S’ils sont libérés pour raisons médicales, le Régime d’assurance-revenu militaire garantit 75 % du revenu avant la libération et offre un programme de réadaptation professionnelle. Cependant, avant d’avoir été libérés, les militaires n’ont pas l’occasion de tester leurs compétences dans des domaines où ils auraient envie de poursuivre leur carrière. Ils doivent attendre d’avoir fait le saut dans la vie civile, y avoir suivi une formation, puis espérer y trouver un emploi, alors que tous les aspects de leur vie sont en réorganisation. ACC offre un programme similaire, mais il ne peut débuter qu’après les deux ans durant lesquels le programme du RARM est offert. Les deux ministères tentent depuis de nombreuses années d’harmoniser ces deux programmes, mais la solution se fait toujours attendre.

Le Programme d’aide à la transition des FAC aide également les vétérans à se trouver du travail auprès d’environ 200 employeurs qui reconnaissent la valeur des compétences acquises durant le service militaire. Environ 1 200 vétérans y ont trouvé du travail, et l’objectif est de 10 000 emplois en dix ans[53]. Les efforts déployés afin d’établir des équivalences entre les compétences militaires et celles du domaine civil doivent être soulignés, mais ils ne permettent pas aux militaires en transition d’exercer directement ces compétences dans le monde civil avant d’être libérés[54].

L’Unité interarmées de soutien du personnel (UISP) coordonne la plupart de ces services à la transition, mais elle n’offre pas la possibilité aux militaires en voie d’être libérés de mettre à l’œuvre leurs compétences dans le cadre d’un travail qui pourrait se poursuivre une fois la transition amorcée. M. Barry Westholm a insisté sur cette lacune lors de son témoignage :

Lorsque vous êtes dans le processus de transition de sortie, vous êtes en train de quitter les Forces armées canadiennes. Vous allez redevenir un civil. C'est à ce moment-là que vous devriez être en mesure d'essayer une diversité d'emplois et de professions, de voir comment c'est de vivre dans une collectivité civile et de travailler dans un cadre autre que le cadre militaire. Vous devriez lâcher prise, et les forces devraient lâcher prise également, mais les choses ne se passent pas de cette façon. À l'heure actuelle, vous pourriez rester au garde-à-vous à côté d'un bureau la veille de votre libération. L'aspect « transition » est totalement brisé, et c'est comme ça depuis le début[55].

Les FAC, le ministère de la Défense nationale, ACC et l’ensemble du gouvernement du Canada devraient conjointement montrer l’exemple et accommoder sur le plan professionnel un militaire qui ne peut plus servir au sein de son unité. Le général Dallaire a fortement recommandé que les militaires libérés pour raisons médicales soient intégrés à des emplois civils au sein des FAC : « Pourquoi essayer de changer complètement une personne de domaine alors que nous pouvons tirer parti de son expérience? Pourquoi ne pas trouver à ces gens un emploi ou des contrats dans un secteur d'activités qu'ils connaissent et dans un milieu auquel ils ont prêté allégeance, à savoir les forces armées[56]? »

M. Brian McKenna a proposé la même approche à l’ensemble du gouvernement :

Si un employé du ministère des Pêches ne peut plus travailler là, on lui offre des emplois au sein d'Immigration ou de Patrimoine canadien avant qu'on ne le libère de la fonction publique. Pourquoi ne pas faire la même chose pour nos vétérans? […] Si l'armée décide qu'elle a brisé un soldat et qu'il doit partir, ce serait une bonne idée qu'on permette à ce soldat de regarder les postes disponibles au sein de la fonction publique civile avant sa libération. Le gouvernement ne devrait pas considérer les militaires comme des ressources où il pourra piger à l'avenir, mais plutôt comme des personnes qu'il n'aurait jamais dû laisser partir en premier lieu. Même s'il n'y a plus aucun rôle pour elles dans le domaine militaire[57].

Le Comité souhaite donc recommander :

Recommandation 3

Que le ministère de la Défense nationale et Anciens Combattants Canada harmonisent leurs programmes et services de transition, et mettent en œuvre une initiative :

  • assurant que les membres en voie de libération et les vétérans aient accès à des services de transition de carrière qui leur sont propres;
  • examinant et cherchant à améliorer l’accès pour les membres en voie de libération et les vétérans à la priorité d’embauche dans la fonction publique.

3.4. Les problèmes de santé mentale et le risque de suicide

Tous les facteurs examinés précédemment peuvent contribuer à l’apparition de problèmes de santé mentale chez les militaires et les vétérans. Or, ces problèmes de santé mentale constituent le facteur de risque le plus important pouvant mener au suicide. Comme l’a noté le général MacKay :

Environ 50 % des personnes qui meurent par suicide ont été diagnostiquées avec un ou plusieurs troubles mentaux, le trouble dépressif majeur étant la condition la plus répandue. Typiquement, les gens éprouvent également un ou plusieurs facteurs de stress, des problèmes de couple étant le facteur le plus courant. D'autres facteurs souvent constatés comprennent les problèmes professionnels, les dettes, les difficultés juridiques et les problèmes de santé physique[58].

Autrement dit, les facteurs de risque pour le suicide sont les mêmes que ceux qui mènent à des troubles de santé mentale auxquels s’ajoutent habituellement des facteurs de stress circonstanciels. La Dre Alexandra Heber, d’ACC, a exprimé la même idée :

Les facteurs qui mènent à ce que j'appelle la « voie du suicide » sont semblables dans le cas des anciens combattants et dans celui de tout membre de la population canadienne en général. Le premier facteur, c'est que presque toutes les personnes – au moins 90 % – ont probablement un problème de santé mentale au moment où elles se suicident. […] L'autre facteur qui est habituellement présent juste avant le suicide, c'est un événement stressant dans la vie. Souvent, c'est quelque chose comme la rupture d'une relation ou bien peut-être que la personne a eu des démêlés avec les forces de l'ordre ou a perdu son emploi. […] C'est l'élément déclencheur qui fait qu'elle commence à penser au suicide. […] Souvent, les gens le font impulsivement. Souvent, s'il est possible d'empêcher la personne de se suicider aujourd'hui, et surtout si de l'aide lui est fournie, elle ne se suicidera pas par la suite[59].

Le Dr Sareen a présenté l’acte suicidaire comme l’aboutissement d’un continuum sur lequel peuvent intervenir de manière imprévisible des facteurs de stress supplémentaires :

Je pense qu'il y a habituellement eu une tentative de suicide. Il y a souvent une période de souffrances avant qu'une personne fasse une tentative. Parfois, si l'alcool est en cause, il peut y avoir des événements impulsifs. Les preuves les plus solides concernant la prévention du suicide consistent à limiter les moyens létaux – l'accès à des armes à feu comme des fusils de chasse, et l'accès à d'importantes quantités de médicaments. Franchement, ce sont là deux éléments que l'on retrouve passablement souvent. Je pense que la plupart des gens souffrent pendant longtemps, mais si l'alcool est en cause, ce geste est parfois impulsif[60].

Le témoignage des représentantes de l’Association québécoise de prévention du suicide fut particulièrement éclairant pour comprendre les éléments du contexte militaire qui pouvaient contribuer à faire augmenter le risque de suicide :

Quand un homme adhère au rôle traditionnel masculin, il est cinq fois plus à risque de commettre une tentative de suicide que quelqu'un d'autre dans la population générale. Au sein des forces armées, une libération pour des raisons médicales constitue un échec du système, mais c'est aussi un échec pour cet homme qui vit une situation de vulnérabilité. Comme cette perception est généralisée à l'intérieur de lui et au sein de son unité, il ressent de la honte et il a de la difficulté à aller chercher de l'aide, comme on vous le mentionnait. Le fait de passer du service militaire actif à la vie civile et de devenir un ancien combattant représente alors un moment critique pendant lequel le soldat vulnérable va perdre le réseau fort et uni auquel il s'identifiait et dont il était partie prenante. Cela va donc représenter un moment extrêmement difficile qu'on doit prévoir et encadrer[61].

Cet esprit d’entraide, souvent associé à la culture masculine, est nécessaire à la cohésion des forces armées et doit pouvoir être entretenu pour que la force de cette solidarité se poursuive après la libération.

3.5. La glorification du suicide

Quand j'étais sur la base de Gagetown, j'ai entendu parler d'un autre soldat qui s'était tué en se pendant à l'escalier de la cave. Alors, un jour que mon ex avait emmené les enfants magasiner, je suis descendu à la cave avec de la paracorde. J'ai attaché la corde à l'escalier et je l'ai passée autour de mon cou. Je ne me suis pas pendu, mais ça été suffisant pour moi. J'ai craqué et j'ai su que j'avais besoin d'aide. Mon désir d'avoir une vie de famille stable se désintégrait devant mes yeux. Comme une maison en proie aux flammes que je regardais brûler sans pouvoir rien faire[62].

La présence des représentantes de l’Association québécoise de prévention du suicide a ouvert un débat difficile sur l’acceptabilité sociale du suicide. Comment concilier la volonté de considérer le suicide d’un militaire ou d’un vétéran comme la conséquence d’une blessure liée au service et le risque de présenter l’acte suicidaire comme une action héroïque de sacrifice de soi incarnée par les souffrances dont le suicide serait une libération courageuse?

Selon Mme Catherine Rioux, tout doit être mis en œuvre afin de réduire l’acceptabilité sociale du suicide, en particulier chez les hommes :

Chez certains hommes qui adhèrent au rôle traditionnel masculin, il semble que cette acceptabilité soit plus forte. […] Dans la sphère de la sensibilisation, il faut poser des gestes pour éviter de glorifier les personnes décédées par suicide, étant donné que cela comporte un risque de contagion. Pour éviter cela, il est nécessaire de sensibiliser les médias. Je sais que cela se fait déjà, mais il faut répéter sans cesse ce message, parce que les salles de presse et les journalistes changent constamment[63].

Dans le cadre militaire, cette approche comporte une difficulté supplémentaire, du fait du fort symbolisme rituel qui accompagne les cérémonies de décès des militaires ou des vétérans :

C'est une chose très délicate à faire, mais si l'on veut préserver la vie des vétérans qui souffrent, il faut prêter attention à cela. Il y a certaines pratiques qui peuvent avoir des conséquences, par exemple ériger des monuments honorifiques à la mémoire de militaires décédés par suicide. Nous y voyons un risque réel pour les vétérans qui souffrent, qui sont vulnérables au suicide et qui ont perdu énormément de reconnaissance et de valorisation. Ces vétérans pourraient voir le suicide comme une façon de retrouver un certain honneur et une certaine reconnaissance. Entendons-nous bien: il faut des services funèbres appropriés pour les militaires qui se sont enlevé la vie, tout comme pour les militaires décédés d'autres causes, toutefois il faut bien mesurer l'aspect de la glorification et de la contagion possible[64].

Mme Kim Basque, de la même organisation, a insisté sur la nécessité de dissocier l’hommage que l’on veut rendre à une personne en évitant « d’envoyer le message qu'on rend aussi hommage à la manière dont elle a mis fin à ses souffrances[65]. »

Le général à la retraite Roméo Dallaire a insisté sur l’importance d’agir d’abord sur la reconnaissance du trouble de santé mentale qui a pu mener au suicide. Mais l’équilibre reste à trouver entre l’honneur de la blessure, et le refus d’honorer le moyen qui en a été la conséquence :

Avant que les personnes se suicident, l'option est d'avoir un système qui reconnaisse qu'elles ont été blessées de façon honorable. Si vous avez une façon fiable de montrer qu'elles l'ont été, et si elles estiment que cela a été reconnu – comme dans le cas des personnes qui ont perdu un bras ou une jambe – vous avez ensuite un équilibre entre ces personnes et celles qui ont seulement choisi l'autre option. Je suis tout à fait d'accord avec les témoins pour dire qu'il ne faut pas essayer de leur rendre hommage simplement parce qu'elles se sont suicidées. Il faut reconnaître au préalable que les militaires ont subi une blessure de façon honorable et les traiter honorablement comme l'ont fait leurs régiments et d'autres. On réussira alors à trouver un équilibre[66].

4. LA MÉFLOQUINE ET SES CONSÉQUENCES POUR LA SANTÉ MENTALE DES MILITAIRES ET DES VÉTÉRANS CANADIENS

En septembre et au début d’octobre 2016, des vétérans de la mission canadienne en Somalie de 1992-1993, ainsi que des vétérans d’autres missions, dont l’Afghanistan, ont entrepris des démarches auprès du gouvernement du Canada, affirmant croire que les problèmes de santé dont ils souffraient étaient dus à la méfloquine, un médicament antipaludique qu’ils ont dû prendre lors de leur participation à leurs missions. La question fut ensuite référée au Comité par le gouvernement. Ayant commencé son étude sur la santé mentale et la prévention du suicide au même moment, le Comité a choisi de faire de la méfloquine un thème de cette étude.

Trois enjeux interreliés ont été abordés lors des audiences du Comité sur cette question :

  • L’état des connaissances sur les risques d’effets psychiatriques à court et à long terme liés à l’usage de la méfloquine;
  • La pertinence de continuer d’offrir ce médicament aux militaires qui se rendent dans des zones à risque;
  • Les risques de confusion diagnostique entre les symptômes possiblement associés à l’usage de la méfloquine et ceux associés au trouble de stress posttraumatique, ainsi que leur traitement spécifique.

4.1. L’état des connaissances sur les effets psychiatriques de la méfloquine

La méfloquine fut découverte dans le cadre d’un ambitieux programme de recherche lancé par l’armée américaine à la fin des années 1960, suite à une prévalence élevée de paludisme qui, durant les pires périodes, fut responsable du décès quotidien de 1 % des militaires déployés au Vietnam[67]. Le médicament commença à être commercialisé sous le nom « Lariam » à la fin des années 1980 par la pharmaceutique Hoffmann-La Roche, et fut homologué par Santé Canada en janvier 1993[68]. Il est devenu, suite à sa commercialisation le 31 décembre 1993, le médicament de choix pour les voyageurs qui se rendent dans des régions à risque, grâce entre autres à sa lente élimination par l’organisme qui permet de limiter la posologie à une dose par semaine, contrairement au médicament alternatif, la doxycycline, qui doit être administré quotidiennement. On rapporte qu’environ 30 000 voyageurs occidentaux contractent le paludisme chaque année, et qu’entre 300 et 1 000 de ceux-ci en meurent[69].

Jusqu’au milieu des années 2000, les effets secondaires reconnus étaient des troubles gastro-intestinaux et certains événements neuropsychiatriques mineurs comme des étourdissements et des perturbations du sommeil. L’utilisation à grande échelle du médicament a petit à petit permis d’identifier quelques épisodes rares, mais graves, d’anxiété, de dépression, d’hallucinations et de psychose. La rareté de ces événements ne permettait cependant pas d’établir une relation de causalité avec l’usage du médicament. Selon le médecin-général des FAC, « globalement, parmi les personnes qui ont pris de la méfloquine, des effets graves peuvent se manifester chez 1 personne sur 11 000 ou sur 13 000[70]. » Ce ratio reprend les résultats d’études crédibles qui ont confirmé que le risque d’événements graves s’établissait à environ 1 pour 10 000[71]. Le risque est plus élevé chez ceux à qui le médicament est prescrit à plus forte dose à des fins thérapeutiques plutôt que prophylactiques[72]. Il faut noter que l'utilisation prophylactique de la doxycycline et de Malarone comporte des effets secondaires, y compris, mais sans s'y limiter, des problèmes gastro-intestinaux, la photosensibilité, les étourdissements, l'anémie, les problèmes graves du foie et d'autres infections. Ces deux médicaments sont pris quotidiennement, ou deux fois par jour, et doivent commencer avant le déploiement et pour une période après l'achèvement.

Ces estimations ont été remises en question par des témoins du Comité, dont la docteure Elspeth Ritchie pour qui les statistiques concernant les événements graves liés à la méfloquine ne devraient pas servir à masquer la prévalence élevée d’événements moins graves, mais tout de même très significatifs : « Selon la plupart des estimations, 25 à 50 % des gens qui prennent de la méfloquine souffrent d’effets secondaires neuropsychiatriques, qu’on définisse ces effets comme des mauvais rêves ou des cauchemars[73]. »

L’Organisation mondiale de la Santé a par ailleurs recommandé que la méfloquine soit contre-indiquée pour les personnes ayant une histoire personnelle ou familiale de troubles psychiatriques[74]. En 2014, l’Agence européenne des médicaments a recommandé d’ajouter des mises en garde quant à de possibles effets neuropsychiatriques à long terme : « Chez un petit nombre de patients, on a signalé que des réactions neuropsychiatriques (p. ex. dépression, étourdissements ou vertiges et perte d’équilibre) peuvent persister pendant des mois ou plus, même après l’arrêt du médicament[75]. »

Le Lariam a cessé d’être commercialisé au Canada le 2 mai 2013, et sa monographie n’a pas été mise à jour depuis 2011. La méfloquine générique, produite par AA Pharma Inc., continue d’être commercialisée[76], et le livret d’information, daté d’août 2016, a été affiché sur le site de Santé Canada durant la dernière semaine d’octobre 2016. Une étude récente, co-signée par le Dr Remington Nevin, a d’ailleurs conclu que les mises en garde en vigueur au Canada sont moins rigoureuses que celles que l’on retrouve dans d’autres pays[77].

À la lumière de ces informations, le Comité note que :

  • les risques d’événements psychiatriques, variant en intensité et en gravité, à court terme liés à l’usage de la méfloquine à des fins prophylactiques, bien que rares, sont reconnus par la communauté scientifique;
  • les risques d’une persistance à long terme d’effets psychiatriques sont suffisamment reconnus par la communauté scientifique pour être ajoutés aux mises en garde intégrés aux livrets d’information accompagnant le médicament.

4.2. L’usage de la méfloquine chez les militaires canadiens déployés en Somalie

Malgré les difficultés liées au protocole entourant l’étude clinique, le jugement d’ensemble des autorités militaires à l’époque fut que, « s’il est utilisé convenablement, ce médicament est sûr et efficace. Et même si son utilisation adéquate comporte quand même des risques, il assure une protection contre une infection qui peut être mortelle, et c’est là un avantage qui l’emporte largement sur ses risques[78]. » Comme l’a exprimé la docteure Ritchie lors de son témoignage devant le Comité :

À l’époque, en 1993, on ne savait pas grand-chose des effets secondaires neuropsychiatriques de la méfloquine. On discutait avec les médecins militaires de médecine préventive et on débattait des risques calculés du paludisme d’une part et de la méfloquine d’autre part, comparativement à ses avantages. On pensait améliorer le respect de la posologie en prenant le médicament une fois par semaine plutôt qu’une fois par jour, comme le Malarone et la doxycycline. La méfloquine était donc largement acceptée[79].

Cette position fut partagée par la Vérificatrice générale adjointe à l’époque : « Nous ne remettons pas en question le fait que le médicament ait été donné aux soldats. Ils devaient être protégés contre la malaria[80]. »

En octobre 1993, le major Barry Armstrong a déclaré : « Je crois que l'échec des Nations Unies en Somalie était une exception si on considère leurs succès antérieurs dans le domaine du maintien de la paix. Je crois que cet échec est peut-être attribuable à une raison tout à fait simple. II se peut que les militaires canadiens et américains aient été perturbés par l'usage de la méfloquine. » Un peu plus loin, le major Armstrong ajoutera, à propos du caporal Clayton Matchee : « Il se peut aussi que la méfloquine ait été un facteur dans la tentative de suicide dans le théâtre d’opérations. »

Le 11 décembre 1994, dans une réponse au député John Cummins, le ministre de la Défense de l’époque, l’honorable David Collenette, soulignait que les effets nocifs de la méfloquine allégués en Somalie n’avaient pas été notés lors du déploiement au Rwanda l’année suivante. L’absence de problèmes au Rwanda malgré l’administration du même médicament démontrait selon lui que la méfloquine ne pouvait pas être la cause des problèmes en Somalie :

Une étude approfondie de la documentation scientifique pertinente n'indique pas que la méfloquine administrée pour prévenir la malaria influe sur le raisonnement ou le jugement [...] En réponse à des questions spécifiques, les autorités médicales des FC au Rwanda n'ont pas exprimé de préoccupations particulières au sujet des effets de la méfloquine sur le jugement ou le comportement dans les unités des FC déployées dans ce pays; qui plus est, leurs commandants opérationnels n'ont pas non plus exprimé de telles préoccupations[81].

Or, lors de sa comparution devant le Comité, le général Roméo Dallaire a affirmé avoir clairement exprimé ses préoccupations après avoir ressenti les effets du médicament :

J'ai pris de la méfloquine un an. Au bout de cinq mois, j'ai écrit au Quartier général de la Défense nationale pour expliquer que ce médicament nuisait à ma capacité de penser, qu'il détruisait mon estomac, qu'il nuisait à ma mémoire et que je voulais arrêter de le prendre. […] J'ai ensuite reçu une réponse, et c'était probablement l'une des réponses les plus rapides que je n'avais jamais reçues. En gros, j'ai reçu l'ordre de continuer de prendre le médicament. Si jamais je décidais de désobéir aux ordres, je serais traduit en cour martiale pour m'être infligé intentionnellement une blessure, parce que c'était le seul outil que nous avions. La méfloquine est une ancienne façon de penser, et ce médicament nuit vraiment à la capacité de fonctionner[82].

Lors des audiences du Comité, les témoignages relatant les effets de la méfloquine sur le comportement se sont succédé. Par exemple, Dave Bona, un vétéran qui a participé aux deux missions, en Somalie et au Rwanda, a décrit les symptômes qu’il a éprouvés lors des deux déploiements :

Le premier jour où j'ai pris de la méfloquine pour la Somalie, en 1992, je me suis presque aussitôt senti malade. […] J'avais un voile noir devant les yeux et je voyais des étoiles, et après, je me sentais désorienté et étourdi. Au départ, cela n'arrivait que les jours où je prenais de la méfloquine, mais par la suite, cela arrivait n'importe quand, quand j'étais couché, debout à faire la queue au supermarché, assis à table pour souper. […] Je faisais des cauchemars épouvantables. Je tuais mes proches et des membres de ma section. Ces cauchemars étaient tellement intenses qu'ils avaient l'air vrais. Je me réveillais. Je ne dormais plus. Du moment où j'ai pris ce médicament, au début de la mission, je n'ai plus dormi et cela a continué jusqu'au Rwanda. […] Tout au long du déploiement [au Rwanda], il y a eu des incidents traumatiques quotidiens, deux, trois, quatre ou plus certains jours. Je ne sais pas trop quoi en dire. Cela craignait. Aujourd'hui encore, les images de ces petits Noirs qui ont explosé me hantent... Je n'ai pas dormi les deux premières semaines au Rwanda. […] Chaque fois que je fermais les yeux, tout ce que je voyais, c'étaient des chiens qui emportaient dans leur gueule des bébés morts, et des amis qui se faisaient abattre ou qui sautaient sur des mines. La seule chose pour contrôler des images, en déploiement, c'était l'alcool. […] La dépression a commencé à prendre le dessus – Je passais de la colère à une dépression si profonde que, par moments, je me surprenais avec mon fusil dans les mains à me dire qu'il serait si facile... Aujourd'hui encore, j'ai des problèmes d'équilibre et de vertiges. Je ne peux même pas aller sur le toboggan aquatique avec mes enfants. Je ne peux pas aller dans des montagnes russes[83].

Lors de son témoignage devant le Comité, le Dr Donald Passey a raconté ses tentatives d’alerter la hiérarchie militaire et la Commission d’enquête sur la Somalie :

En 1996, en janvier je crois, j’ai envoyé une lettre aux membres du Comité. J’ai écrit une lettre au groupe d’enquête sur la Somalie pour proposer mon témoignage et pour informer l’équipe d’enquête, mais aussi les membres du gouvernement et le système médical des Forces canadiennes, des effets de la méfloquine et partager mes réflexions sur son rôle dans le comportement des membres du Régime aéroporté du Canada en Somalie, jusqu’à la mort de Shidane Arone.[84].

Des témoins ont fait état du sentiment d’injustice qu’ils ont vécu après le démantèlement du Régiment aéroporté. Claude Lalancette, un vétéran de la Somalie, a affirmé :

Je suis un parachutiste vétéran. J'ai fièrement servi mon pays pendant plus de 10 ans. Je suis un membre du Royal 22e Régiment et j'ai servi avec fierté au sein du Régiment aéroporté du Canada. Le 26 décembre 1992, mon gouvernement m'a déployé en Somalie pour des opérations de libération. On nous a donné de la méfloquine comme médicament antipaludéen. C'est à cela que je peux retracer l'origine de mes problèmes de santé mentale[85].

Certains membres du Comité trouvent étonnant que des études subséquentes n’aient pas été menées afin d’établir, de manière générale, les liens entre la méfloquine et le comportement des militaires. Comme l’a exprimé le Dr Remington Nevin lors de son témoignage :

Les informations dont nous disposons aujourd'hui, avec la documentation, la science, les récentes déclarations des organismes réglementaires admettant que ces médicaments avaient des effets, nous permettent d’évacuer plusieurs des points de confusion qui ont dominé cette discussion au cours des dernières décennies[86].

Les éléments d’information permettant de lier la méfloquine aux comportements de certains militaires sont trop anecdotiques pour que le jugement des autorités militaires puisse être remis en question, étant donné l’état des connaissances à l’époque. Cependant, après que les effets du médicament aient commencé à être soupçonnés et mieux documentés, certains membres du Comité sont d’avis qu’il aurait été pertinent de mener une analyse plus approfondie afin de mieux cerner les effets nocifs possibles de la méfloquine.

Le Comité recommande donc :

Recommandation 4

Qu’Anciens Combattans Canada communique avec les membres des Forces armées canadiennes qui ont servi en Somalie, au Rwanda ou d'autres déploiements durant cette période, afin de s'assurer qu’ils reçoivent les services et le soutien en santé mentale et physique, ainsi que les avantages et programmes d’Anciens Combattants Canada auxquels ils ont droit pour leur service.

4.3. Le maintien de la méfloquine comme option prophylactique contre le paludisme

Les effets à long terme possibles ne sont pas encore suffisamment documentés pour permettre d’établir un lien de causalité direct, mais le risque est suffisant pour que de nombreuses agences de réglementation aient demandé qu’une mise en garde soit incluse dans le livret d’information accompagnant le médicament.

C’est la position qu’a défendue le Dr Patrick Stewart, du ministère de la Santé, lors de son témoignage : « Certains signalements d'effets indésirables tels des symptômes neuropsychiatriques font état de la persistance des symptômes. Il n'est pas clair si le médicament est en cause, mais l'observation a été faite et la monographie avertit les cliniciens qu'ils doivent en tenir compte lorsqu'ils prescrivent un médicament[87]. »

Le Dr Nevin a, quant à lui, beaucoup insisté sur l’importance d’un étiquetage adéquat afin d’assurer la population de l’ensemble des risques identifiés par la communauté scientifique[88]. Le fait que Santé Canada ait tardé à mettre à jour la documentation à cet effet est sans doute un reproche justifié, mais qui a été corrigé. Le Comité a jugé qu’il s’agissait là d’une question de santé publique, et a fait part de ses préoccupations à cet égard dans une lettre au ministre de la Santé[89].

Le Dr Nevin a présenté les données d’une étude scientifique qui appuyait cette mise en garde :

Dans une récente étude sur les voyageurs danois ayant signalé des effets indésirables de la méfloquine, on a constaté que 21 % de ceux qui signalaient des cauchemars et 33 % de ceux qui signalaient une dysfonction cognitive ont fait savoir que les effets indésirables du médicament perduraient plus de trois ans après la cessation de l’utilisation du médicament[90].

Selon la brochure du fabricant, les effets à long terme possibles du médicament comprennent : « anxiété, impression non fondée que des gens vous veulent du mal, […] paranoïa, dépression, voir et entendre des choses, hallucinations, pensées suicidaires ou pensées d'actes violents contre soi-même ou contre les autres, agitation et comportements inhabituels[91]. » Selon le Dr Stewart, le lien possible entre la méfloquine et les pensées suicidaires a été ajouté dans la monographie du médicament en 1999[92].

Ces risques ont amené certains scientifiques, militaires, et vétérans à recommander que la méfloquine soit tout simplement exclue des options offertes aux militaires lors d’un déploiement dans une zone à risque de contracter le paludisme[93], ou au pire, utilisée comme médicament de dernier recours avec toutes les précautions nécessaires[94]. De fait, selon le témoignage du médecin-chef des FAC, l’utilisation de la méfloquine lors des déploiements a presque disparu au cours des quinze dernières années :

Au début des années 2000, la méfloquine était le médicament antipaludique le plus utilisé. Cette situation a commencé à changer au milieu des années 2000 et, désormais, la méfloquine est le médicament le moins souvent choisi. Elle représente environ 5 % de nos ordonnances d'antipaludiques actuelles, tandis que l'association atovaquone-proguanil, qui a été homologuée en 2002, représente environ 80 % des ordonnances. Les autres ordonnances concernent la doxycycline[95].

Le général MacKay a continué à défendre la pertinence du maintien de la méfloquine comme option antipaludique, et a insisté sur le fait que les quelques rares cas graves ne devraient pas empêcher l’ensemble des militaires de bénéficier de ses avantages, et a déploré la mauvaise presse dont le médicament a été victime :

Nous devons tenir compte de toutes les preuves disponibles et ne pas nous fier aux bribes d'information de petits groupes de scientifiques qui ont leurs propres opinions et théories ou qui sautent aux conclusions qui peuvent entraîner le retrait sur le marché d'un médicament qui a obtenu l'aval d'experts internationaux et qui est considéré comme étant efficace contre la malaria.
Plus de 17 000 employés des Forces armées canadiennes et des dizaines de millions de personnes dans le monde ont pris de la méfloquine depuis son homologation pour prévenir et traiter le paludisme. Nous connaissons les effets secondaires que la méfloquine peut engendrer à court terme. Cependant, malgré l'ampleur de son utilisation, elle n'a été que rarement associée à des effets neuropsychiatriques graves.
Nous savons aussi que certaines personnes soutiennent que la méfloquine pourrait causer des troubles de santé mentale et des séquelles neurologiques persistantes, une théorie qui, de l'avis même de ces personnes, doit encore être étayée par des recherches. Selon notre évaluation, pour le moment, ces allégations ne sont pas soutenues par des preuves scientifiques directes qui justifieraient que nous retirions la méfloquine des médicaments offerts aux patients pour se protéger contre le paludisme, en particulier s'ils en ont déjà utilisé auparavant[96].

Cette position du médecin général s’accorde avec celle prise par l’Agence européenne des médicaments dans un rapport de 2014, à l’effet que la méfloquine pourrait être responsable « de cas très rares d’effets secondaires neuropsychiatriques durables et/ou persistants[97]. »

Sachant que des options sont offertes aux militaires qui doivent être déployés en zone à risque, que leur consentement éclairé est maintenant clairement exigé s’ils choisissent la méfloquine, que peu de militaires la choisissent et que ceux qui le font doivent en tester les effets avant leur départ, on voit difficilement pourquoi il faudrait en interdire totalement l’usage, étant donné son efficacité reconnue. Une minorité seulement des utilisateurs en ressortiront des effets assez sérieux pour demander le remplacement par un autre médicament, et les cas d’effets à long terme, bien que justifiant une mise en garde, sont encore trop peu nombreux pour compenser les avantages du médicament.

Comme les membres du Comité l’avaient souligné dans leur lettre à la ministre de la Santé, des efforts sont encore nécessaires afin de compenser la « rareté des données scientifiques empiriques sur la neurotoxicité et la difficulté de trouver un éventuel plan de traitement pour ceux qui souffrent de symptômes chroniques potentiellement liés à l’usage de la méfloquine[98]. » Sans qu’un diagnostic spécifique puisse encore être établi clairement, le ministère australien des Anciens combattants "reconnaît que la méfloquine est associée à plusieurs conditions de santé dans le cadre du Système des énoncés de principes qui s'applique aux demandes de traitement et d'indemnisation"[99].

4.4. La méfloquine et le diagnostic du trouble de stress posttraumatique

Lors de leur témoignage, les Dr Nevin et Passey ont suggéré que la similitude perçue entre les symptômes liés aux effets neuropsychiatriques potentiels de la méfloquine et ceux liés au trouble de stress posttraumatique a pu contribuer à faire en sorte que des vétérans ont été diagnostiqués à tort comme souffrant de stress posttraumatique, et ont pu, par conséquent, recevoir un traitement inapproprié pour leur condition[100]. Le Dr Nevin est allé jusqu’à laisser entendre que les symptômes provoqués par la méfloquine étaient suffisamment spécifiques pour pouvoir être reconnus, mais que peu de médecins les connaissaient assez pour y arriver :

Dans le cadre de brèves séances de diagnostic, de brèves rencontres avec les patients, si un clinicien ne connaît pas à fond les nombreux symptômes provoqués par la méfloquine, il peut être enclin à attribuer certaines combinaisons des symptômes provoqués par le médicament au syndrome de stress post-traumatique. […] Par exemple, les étourdissements provoqués par la méfloquine ne pourraient probablement pas s’expliquer par le syndrome de stress post-traumatique. L’amnésie, la dissociation extrême et la psychose sont des symptômes courants de l’usage de la méfloquine dans certains cas, mais ils ne peuvent pas être associés au syndrome de stress post-traumatique[101].

La Dre Ritchie a, quant à elle, souligné qu’il s’agissait là d’une piste de recherche intéressante que le département américain des anciens combattants étudiait sérieusement, mais qu’il restait encore beaucoup de travail à faire avant d’établir un diagnostic spécifique pour les effets de la méfloquine :

Il y a des symptômes qui se recoupent, mais nous pensons que certains sont propres à la méfloquine. Ce sont les dégâts causés à la partie vestibulaire du cerveau, au tronc du cerveau, et cela entraîne des étourdissements, le nystagmus, vos yeux roulent d’un côté à l’autre, et il faut tenir compte aussi de tous les autres symptômes.
Nous venons d’entamer une étude, à l’administration des anciens combattants, pour essayer de classer les symptômes […]. On n’en est pas là, mais nous pensons pouvoir trouver une combinaison de caractéristiques neurologiques et psychologiques. Évidemment, elles ne sont pas mutuellement exclusives, et cela fait partie du problème. Le sujet a servi en Somalie, il a servi en Afghanistan, il a été exposé aux explosions des combats, et il peut donc souffrir d’un traumatisme crânien et d’un syndrome de stress post-traumatique[102].

Malgré les similitudes, malgré qu’il y ait « beaucoup de recoupements[103], » la position commune des experts entendus par le Comité est que « nous devrions reconnaître qu'il n'existe encore aucun diagnostic médical accepté à l’égard du syndrome de toxicité de la méfloquine[104]. »

Les membres du Comité considèrent que certains vétérans auraient de la difficulté à accepter pour eux-mêmes un diagnostic de stress posttraumatique, ou de tout autre trouble de santé mentale. Le diagnostic du trouble de stress posttraumatique est bien établi depuis des décennies, alors que celui des effets nocifs à long terme de la méfloquine reste à établir. Il demeure possible que l’un ait été pris pour l’autre, mais il s’agirait d’une minorité de situations qui ne devrait pas permettre de remplacer la solidité empirique d’un diagnostic parce que les personnes qui en souffrent accepteraient plus facilement un diagnostic différent. C’est l’approche qu’a préconisée le Dr Don Richardson :

En règle générale, toutefois, dans le domaine médical, nous essayons de déterminer le trouble le plus probable dont souffre la personne, au lieu d'évaluer une multitude de probabilités. Par exemple, un militaire pourrait avoir pris de la méfloquine, mais il pourrait aussi avoir été déployé dans une région où il a été exposé à d'importantes situations traumatisantes, qu'il revit aujourd'hui. Personnellement, à titre de clinicien, j'aborderais son cas en lui disant: « Vous semblez présenter des symptômes qui sont associés, selon toute vraisemblance, au trouble de stress post-traumatique. Cependant, d'autres facteurs pourraient aussi entrer en jeu. Essayons de nous en tenir aux traitements qui ont fait leurs preuves et voyons comment vous vous sentirez. » Si la personne se rétablit complètement grâce aux traitements habituels, alors cela signifie fort probablement que nous avons rendu le bon diagnostic. Par contre, si la personne ne réagit pas à un traitement au bout de six mois, je commencerai alors à m'inquiéter et à me demander s'il s'agit du bon traitement[105].

Lors de son témoignage, le vétéran Dave Bona a lu une lettre de son épouse qui relate les résultats positifs qui ont suivi le changement du traitement offert à son mari, dans des circonstances qui rappellent la prudence fructueuse évoquée par le Dr Richardson dans l’extrait précédent :

Il y a trois ans, la psychologue de Dave a changé son plan de traitement pour y inclure le protocole qu'on prescrit à quelqu'un qui a des lésions cérébrales traumatiques, une nouvelle thérapie qui reconditionne le cerveau autour des régions lésées en utilisant un type de neurofeedback sous surveillance électronique. Les résultats ne sont pas apparus du jour au lendemain et il arrivait que les choses semblent empirer, mais pour finir, on a commencé à voir les effets. Les accès de rage se sont espacés, il a fini par arriver à se calmer plus rapidement, par passer d'une semaine à quelques jours et, finalement, à quelques heures.

De telles avancées doivent être soulignées, et tout doit être mis en œuvre pour que tout traitement offert aux vétérans soit bien adapté à sa condition particulière. De plus, il faut encourager les travaux de recherche.

Il faut éviter de faire une extrapolation hyperbolique qui pousserait à remettre en question le diagnostic de stress posttraumatique lui-même, ou à attribuer un grand nombre de problèmes de santé mentale permanents à la méfloquine, alors que toutes les probabilités indiquent qu’il s’agirait de situations exceptionnelles. Comme l’a souligné le médecin-chef des FAC, le général MacKay :

Aucun traitement médicamenteux antipaludique n'a été prescrit aux militaires déployés en Bosnie, et […] certains parmi eux ont été affectés par des troubles de santé mentale. Nous avons très peu utilisé de médicaments antipaludiques en Afghanistan […]. Bien que les membres des Forces américaines prenaient presque tous des antipaludiques, nous les donnions uniquement aux militaires qui faisaient des patrouilles à pied dans de petites zones où il pouvait y avoir du paludisme. Et, malgré l'utilisation très limitée d'antipaludiques, dont le Malarone et la doxycycline essentiellement, la mission en Afghanistan a donné lieu à un nombre assez important de cas de maladies mentales[106].

Étant donné le manqué de données scientifiques qui permettraient de mieux différencier les symptômes utilisés pour poser un diagnostic de TSPT et les symptômes potentiellement associés aux effets à long terme de la méfloquine, le Comité recommande :

Recommandation 5

Qu’Anciens Combattants Canada coopère avec toute institution concernée dans tout programme de recherche qui étudiera les effets de la méfloquine.

5. LES FACTEURS DE PROTECTION

5.1. Les membres de la famille

Les enfants assistent au départ de leur père ou de leur mère, et ils sont tellement heureux. On voit des photos dans le journal et les grands baisers sur le quai ou peu importe, puis le père ou la mère part. Ensuite, le père ou la mère revient à la maison, il y a une célébration, et les enfants sont fiers de leurs parents, fiers de leur père et de leur mère. Ils en parlent à l'école.
Soudainement, six mois plus tard, sans signe avertisseur – peut-être que la mère en a vu un peu, mais pas l'enfant –, le père donne une raclée à la mère. Quel traumatisme. Et rien ne se produit. La mère a entendu un peu parler des problèmes militaires et décide de vérifier, puis cela se produit de nouveau. Tout d'un coup, le père est accusé. Il se retrouve en prison. Il y a divorce. Tout cela arrive. Voilà un traumatisme qui suivra l'enfant pendant encore 60 ans après le retour du père de l'Afghanistan. Nous oublions souvent que cela s'est produit et l'incidence de ce traumatisme, qui n'est pas traité et n'est pas reconnu. Quarante ans plus tard, l'enfant peut avoir un réel problème, et il ne sera jamais en mesure de le retracer jusqu'à ce traumatisme incroyable[107].

Nous avons évoqué à maintes reprises tout au long de ce rapport l’importance pour les militaires et les vétérans de maintenir un réseau de soutien solide, et que c’était là l’un des facteurs de protection les plus efficaces contre le développement de problèmes de santé mentale et les risques de développer des idées suicidaires. Les membres de la famille constituent la première ligne de ce réseau de soutien. Selon le général à la retraite Roméo Dallaire, ce réseau doit être intégré à la vie opérationnelle des Forces armées canadiennes elles-mêmes, afin d’éviter que, après avoir quitté la vie militaire, les vétérans perdent le soutien dont ils bénéficiaient au sein des forces, et le soutien de leur famille si elle a été exclue du lien avec la vie militaire.

Pour un réserviste célibataire, ce serait ses parents. Ils font partie des Forces. S'il est marié, ce serait sa famille proche ou ses intimes, ses enfants. Faites fond sur l'aspect humain de ces personnes pour qu'elles puissent s'en servir comme point de départ. Nous avons perdu beaucoup de personnes parce qu'elles avaient perdu leur famille et qu'il ne leur restait rien. Elles n'ont pas seulement perdu leur travail. Elles ont perdu leur famille à cause de cela et ont fini par s'enlever la vie. Essayez de garder cet élément fondamental de notre société avec elles et aidez-les à traverser les années difficiles à vivre avec des personnes comme cela[108].

La solution préconisée par le général Dallaire serait d’intégrer les membres de la famille à la vie opérationnelle des Forces par l’entremise des Centres de ressources pour les familles militaires (CRFM). Une telle approche favoriserait la mise en œuvre de la recommandation portant sur l’extension de l’accès aux CRFM aux membres de la famille des vétérans.

Pour les conjoints des vétérans souffrant de problèmes de santé mentale lors de leur transition à la vie civile, l’adaptation peut être brutale si ce lien avec la vie militaire a été coupé durant le service. Mme Teresa Bona a témoigné du choc qu’a causé la transition de son mari :

Dave m'accusait de choses impossibles, créait une réalité parallèle avec des détails qui étaient exagérés ou qui n'existaient tout simplement pas. Quand je regarde ses yeux dans ces moments-là, et il en arrive encore, c'est comme si le Dave que je connais et que j'aime n'existait plus. Il est livide. Son regard est plus sombre et il a l'air si méchant, sans humanité. C'est une expérience absolument effrayante[109].

Les membres du Comité ont entendu de nombreux témoignages troublants de la part de membres de la famille, dont celui de Mme Stephanie Thomas : « Il prenait tellement de médicaments qu'il dormait toute la journée, et qu’il ne faisait que se traîner, de la salle de bains à la table de la cuisine, puis à son lit. Et quand j'ai exprimé mon inquiétude, on m'a répondu qu’il ne faisait de mal à personne dans cet état[110]. »

Comme l’a expliqué le médecin-chef des FAC, le général MacKay, aux membres du Comité : « Les Services de santé des FC n'offrent pas de services en santé mentale aux membres de la famille des militaires[111]. » Il y a donc un vide dans le continuum de services si les membres de la famille qui éprouvent des difficultés durant le service militaire d’un proche ne peuvent pas recevoir un soutien pour eux-mêmes. Encore une fois, ce sont les CRFM qui peuvent faire le pont avec les militaires en service en offrant des services d’aide aux membres de la famille.

Même si on répète souvent que les symptômes du stress post-traumatique peuvent révéler leur gravité longtemps après les événements qui les ont déclenchés, les signes précurseurs de ces symptômes sont habituellement présents bien avant que la personne quitte les FAC, ou soit libérée pour raisons médicales. Ainsi, sur un strict plan opérationnel visant à optimiser la préparation mentale des militaires en service, l’aide offerte aux membres de la famille devrait être au cœur des préoccupations. Toujours selon le général Dallaire :

Les familles doivent être intégrées à cette structure de soutien. Ce n'est pas une question de coopérer avec les familles ou de les aider; il faut les intégrer à l'efficacité opérationnelle des forces. Pourquoi? C'est parce que les familles vivent les missions avec nous. Dans mon cas, j'étais blessé à mon retour. J'ai été jeté hors des forces alors que j'étais blessé. Ma famille était blessée. Ma famille n'était plus la même que celle que j'avais laissée à mon départ parce que les médias leur font vivre les missions avec nous[112].

La Dre Heidi Cramm, de l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans, a abondé dans le même sens : « Le soutien social est l'un des principaux facteurs permettant de savoir que les gens vont bien dans le contexte d'un problème de santé mentale. Ainsi, l'idée de fournir un service à une personne souffrant d'un stress post-traumatique, sans aider la famille qui soutient cette personne, est contraire à la logique[113]. »

Même si on place en fonction du strict point de vue du bien-être des vétérans, ce soutien aux membres de la famille durant le service militaire a semblé aux membres du Comité comme étant l’une des meilleures mesures de prévention possibles concernant la santé mentale des vétérans. Le Comité recommande donc :

Recommandation 6

Que les Forces armées canadiennes intègrent davantage les membres de la famille dans le cadre de leurs programmes touchant la santé mentale et la prévention du suicide.

Cette approche d’intégration complète des membres de la famille doit se poursuivre après que les militaires aient quitté les FAC et soient devenus des vétérans. Dans ce cas, non seulement le mieux-être du vétéran est en jeu, mais aussi celui du conjoint et des enfants. Or, la capacité d’intervention d’ACC auprès des membres de la famille demeure limitée. L’heureuse exception à cette règle est le Service d’aide d’ACC dont nous parlerons plus loin. Toutefois, les services d’ACC auxquels les vétérans ont droit après avoir contacté le ministère demeurent inaccessibles aux membres de la famille. Malgré toutes les bonnes intentions sincères exprimées par les représentants d’ACC qui sont venus témoigner, on constate les limites de leur capacité d’action :

En vertu des diverses lois qui s'appliquent, Anciens Combattants Canada est au service du vétéran. La plupart de nos services […] sont destinés aux vétérans. Cela dit, nous encourageons fortement les membres de la famille à assister aux séances relatives aux TSO et à participer au soutien par les pairs et à divers autres programmes. […]
Cela dit, il y a toute une gamme de services que nous offrons à la famille, sans passer par le vétéran. Par exemple, le service téléphonique 1-800 est accessible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. […]
À mesure que notre programme évolue, nous sommes à l'affût de façons d'améliorer les programmes offerts aux familles. Nous avons le programme destiné aux aidants familiaux, mais, encore une fois, le soutien aux aidants passe par les membres eux‑mêmes[114].

Du côté des cliniques d’ACC, le problème est similaire. Malgré toute la volonté des intervenants qui y travaillent, leur capacité d’action auprès des membres de la famille est limitée, et, à moins que le vétéran le requière, se limitera à l’aiguillage, à l’orientation et à l’information :

Nous offrirons des soins aux conjoints et évaluerons les enfants et les orienterons, au besoin, vers les ressources appropriées. Nous donnerons également des renseignements aux membres de la famille et aux enfants d'âge adulte pour éviter qu'ils deviennent des aidants naturels. Nous essayons notamment au cours des traitements de faire comprendre aux gens qu'ils doivent être des conjoints et non des aidants ou des infirmiers. Nous nous occupons des traitements et de la collaboration entre les diverses parties. Cela signifie notamment que la conjointe doit être une conjointe. C'est sa principale tâche[115].

La meilleure intégration des membres de la famille à la vie opérationnelle des FAC doit donc se poursuivre et s’étendre auprès des familles des vétérans. Selon la même logique :

Si les familles sont intrinsèquement liées à l'efficacité opérationnelle des forces, elles devraient avoir accès au même niveau de soins. Cela signifie qu'il faut investir davantage d'argent dans Anciens Combattants Canada et le ministère de la Défense nationale pour prendre soin des familles. Nous transférons déjà des sommes colossales aux provinces. Disons aux provinces que nous allons nous-mêmes réparer notre gâchis. Nous avons causé les blessures de ces personnes, et nous allons en prendre soin. Nous allons vous acheter les ressources au lieu de tout simplement les laisser tomber et créer une rupture très grave[116].

Présentement, la seule manière pour les membres de la famille de devenir clients d’ACC à part entière est le décès du vétéran. Autrement, le ministère peut recommander des services, peut intégrer les membres de la famille aux services que reçoit le vétéran, et offrir le Service d’aide pouvant aller jusqu’à 20 heures de counseling en santé mentale, mais les membres de la famille demeurent dépendants de la volonté des vétérans pour toutes les démarches entreprises auprès d’eux par ACC. Le Comité recommande donc :

Recommandation 7

Que les membres de la famille d’un vétéran puissent devenir des clients d’Anciens Combattants Canada dès que le vétéran est inscrit au programme de réadaptation d’Anciens Combattants Canada.

5.2. Le soutien par les pairs

Le soutien par les pairs est une composante essentielle du traitement et du rétablissement des militaires ou des vétérans souffrant de problèmes de santé mentale. M. Dave Gallson, de la Société pour les troubles de l’humeur du Canada, en a expliqué l’importance :

Même si l'aide professionnelle est essentielle, elle n'est pas toujours disponible à 20 heures ou à minuit, lorsque l'ancien combattant a besoin de parler à quelqu'un de son stress ou de ses idées suicidaires. Grâce aux programmes de soutien par les pairs, les gens ont un réseau composé de pairs qui comprennent ce qu'ils vivent, car ils ont vécu la même chose et peuvent établir des liens à un même niveau. Le financement d'un plus grand nombre de programmes comme ceux-là et une recherche efficace contribueraient grandement à répondre aux besoins des anciens combattants en matière de santé mentale[117].

Le Programme de Soutien social – blessures de stress opérationnel (SSBSO) est géré conjointement par le MDN et ACC. Mis sur pied il y a une quinzaine d’années par le lieutenant-colonel Stéphane Grenier, il permet parfois de surmonter la résistance des vétérans à demander de l’aide.

Le programme compte environ 125 bénévoles, et les services sont organisés par une quarantaine de coordinateurs du MDN, auxquels se joignent une dizaine d’employés d’ACC. Les cliniques TSO d’ACC ont recours aux pairs du réseau SSBSO. Presque toutes ces personnes ont déjà souffert de problèmes de santé mentale. Un rapport de 2015 du Comité permanent de la Défense nationale de la Chambre des communes avait estimé qu’environ 2 000 bénéficiaient des services du SSBSO[118].

Sans nier la grande utilité du programme, Mme Marie-Claude Gagnon, de l’organisme « C’est seulement 700 », craint que le programme SSBSO, dans sa conception actuelle, ne soit pas bien adapté aux vétérans ayant une BSO liée à un traumatisme sexuel militaire:

C'est le Programme de soutien social aux blessés de stress opérationnel qui offre de la thérapie de groupe, à laquelle participent surtout des hommes ayant pris part à des missions de combat. Si on juge bénéfique d'envoyer des hommes qui ont combattu en Afghanistan pour parler ensemble et trouver du soutien, alors c'est équitable, bien entendu. Tout ce que je dis, c'est que ceux qui jouent un rôle au cours des combats pensent qu'il existe une différence entre eux et un policier, par exemple. Ils considèrent leur besoin différent. Mais pour nous, ces services conviennent; nous devons nous joindre à des civils et nous n'avons pas besoin de notre propre groupe. En agissant de la sorte, on s'assure que nous ne pouvons nous réunir et parler. Nous ne pouvons pas tisser de liens et trouver les problèmes que nous avons en commun. C'est en quelque sorte une manière de veiller à ce que nous ne puissions pas établir de rapports entre nous et trouver notre force ensemble[119].

Les membres du Comité partagent cette préoccupation, et recommandent :

Recommandation 8

Qu’Anciens Combattants Canada et le ministère de la Défense nationale examinent et offrent des programmes, y compris le soutien par les pairs, pour les vétérans qui souffrent d’une blessure de stress opérationnel liée à un traumatisme sexuel militaire.

5.3. Les aumôniers

La médicalisation des problèmes de santé mentale et l’effritement du sentiment religieux ont pu contribuer à faire oublier le rôle important joué par les aumôniers. M. Scott Maxwell, de Wounded Warriors, a décrit le réconfort que leur présence a apporté et continue d’apporter :

Au sein de la famille régimentaire, c'était presque un endroit où aller si on ne tenait pas à passer par la chaîne de commandement ou à en parler à ses supérieurs, parce qu'on n'était pas sûr de la gravité du problème ou même si cela valait la peine d'en parler. C'était comme un refuge dans la famille régimentaire, un endroit où aller pour au moins amorcer une discussion avec quelqu'un de rassurant, sans craindre de subir des conséquences pour avoir dit quelque chose ou pour avoir posé une question[120].

Peu de témoignages ont mentionné le rôle des aumôniers, mais les membres du Comité soupçonnent que leur engagement envers le bien-être des militaires est beaucoup plus apprécié que ne le laisse croire la discrétion des marques de reconnaissance à leur endroit. Ils portent sur leurs épaules les souffrances d’un grand nombre de personnes et ne reçoivent souvent pas eux-mêmes la reconnaissance qu’ils méritent. Le général (à la retraite) Joe Sharpe a souligné leur contribution :

J'ai visité une importante base militaire afin d'interroger les aumôniers sur leur rôle concernant l'état de stress post-traumatique et les blessures liées au stress opérationnel. Parmi les 16 aumôniers sur cette base, 14 avaient reçu le diagnostic d'état de stress post-traumatique. Donc, si nous allons recourir à des aumôniers – et nous le devons, car ils jouent un rôle crucial –, il faut prendre soin d'eux également[121].

Les membres du Comité considèrent que la contribution des aumôniers à la santé mentale du personnel militaire n'a pas été suffisamment reconnue et que, compte tenu de la nature non clinique particulière de leur écoute et de leur conseil, ils sont exposés à un risque accru de développer des problèmes de santé mentale. Le Comité recommande donc:

Recommandation 9

Que le ministère de la Défense nationale reconnaisse mieux la contribution des aumôniers à la santé mentale du personnel militaire et veille à ce que les aumôniers reçoivent le soutien en santé mentale dont ils ont besoin.

6. LES BARRIÈRES AUX SOINS

6.1. La progression de carrière

L’aspect invisible des problèmes de santé mentale entraîne des réticences à demander des soins qui vont bien au-delà des éléments culturels de la stigmatisation. Certains considèrent que de demander des soins pour des problèmes de santé mentale pourrait nuire à leur progression de carrière. Selon le colonel Downes, directeur de la santé mentale des FAC :

Nous avons des membres de tous les grades dans les FC, des simples soldats aux généraux, qui demandent des soins dans nos cliniques. Et chacun d'entre eux prend une décision personnelle en s'avançant, assurément, et nous les encourageons à le faire, car nous savons que la meilleure façon de faire avancer leur carrière est de demander rapidement des soins, puisque les chances de guérison sont meilleures s'ils se manifestent tôt.
Un autre élément intéressant est le fait qu'il y a un règlement en vigueur qui stipule que les membres doivent être médicalement aptes pour être promus, c'est donc une barrière aux soins. Les personnes qui se croient près d'obtenir une promotion pourraient décider d'attendre un peu. Cette politique en particulier fait également l'objet d'un examen[122].

Plusieurs témoins ont rapporté avoir ressenti une grande hésitation à faire part de leurs inquiétudes face à leur état de santé mentale, lorsqu’ils étaient transférés à l’Unité interarmées de soutien du personnel (UISP). M. Kurt Grant a partagé son expérience avec les membres du Comité :

Si je reconnais que j'ai un problème, on va m'envoyer à l'UISP. Toute possibilité d'avancement professionnel disparaît aussitôt. Si j'admets que j'ai un problème, que je ne suis pas capable d'accomplir mes tâches, les gens vont commencer à me percevoir différemment. Ils vont décider de ne pas retenir ma candidature et d'opter pour l'autre personne, qui n'a pas de problème. […]
À cause de cela, personne ne veut reconnaître qu'il a un problème. D'ailleurs, soyons francs: nous sommes des gars, d'accord? […] Au lieu de faire face à leurs démons, les militaires préfèrent continuer de foncer et dire que tout va bien[123].

Mme Céline Paris, psychologue, a souligné qu’on faisait trop peu de cas des traitements qui fonctionnent :

Je propose que nous fassions comprendre aux gens que le TSPT se traite et qu'on peut s'en sortir en suivant un traitement. Si l'on cesse de dépeindre le TSPT comme une peine à perpétuité comme le font les médias ces derniers temps et comme le font des groupes de patients, je crois que la situation peut changer. Si cela veut dire qu'on suit un traitement pendant quelques mois ou pendant un an peu de temps après avoir vécu les moments difficiles, alors toute l'image du problème changera[124].

Même s’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, les représentants des FAC, dont le commodore Sean Cantelon, ont affirmé avec conviction que toute la culture des FAC était en voie de transformation sur cette question, et que cela se reflétait au sein de l’UISP : « Nous favorisons également un changement complet de culture en vue d'offrir des soins continus aux malades ou aux blessés afin que la fragilité dans [l'UISP] dont certains témoins et vous avez parlé n'existe plus. Ce changement de culture est en train de se faire en ce moment[125]. »

6.2. Délais pour soins en santé mentale

Le contrôle qu’exercent les FAC sur leur système de santé leur offre un avantage sur le traitement offert aux militaires en service, en comparaison avec les soins offerts aux vétérans. Les délais nécessaires pour obtenir des services sont clairement plus courts pour les militaires qu’ils ne le sont pour les autres Canadiens :

Au sein de nos services psychosociaux, le cadre de référence est de deux semaines. C'est-à-dire, bien entendu, pour les soins électifs non urgents. Évidemment, les cas plus urgents seront traités plus rapidement.
Au sein du programme de santé mentale général et des centres de soins pour trauma et stress opérationnels, CSTSO, le temps d'attente est de 28 jours. Au cours de la dernière année, la moyenne dans l'ensemble de notre système a été de 25 jours pour la santé mentale générale et de 32 jours pour les CSTSO[126].

Cette relative rapidité d’accès aux soins est également valable pour les risques de suicide : « Les militaires ont davantage accès à des services de santé mentale s’ils ont des comportements suicidaires que la population civile[127]. »

Pour ce qui est des vétérans, M. Michel Doiron, d’ACC, est venu faire part des progrès réalisés par son ministère dans la rapidité du traitement des demandes touchant des problèmes de santé mentale liés au service :

94 % des gens souffrant de problèmes de santé mentale qui viennent nous voir sont admis dès la première demande, et un grand nombre d'entre eux le sont dans les 16 semaines suivantes, ce qui est conforme à la norme. […] On entend parfois que cela prend un peu plus de 16 semaines lorsqu'il est question de santé mentale, mais nous sommes habituellement plus rapides. Il nous suffit d'avoir le diagnostic, mais cela pose parfois aussi un problème[128].

Le problème auquel fait allusion M. Doiron est lié au fait que les vétérans, contrairement aux militaires en service, doivent faire appel aux services provinciaux. Or, il y a pénurie de professionnels en santé mentale, et les vétérans, tout comme la population en général, est aux prises avec des délais importants pour obtenir un traitement. C’est pour cette raison qu’ACC avait décidé de mettre sur pied un réseau de cliniques.

Pour les vétérans, la première barrière aux soins est donc la même que celle à laquelle est confronté l’ensemble des Canadiens et Canadiennes, soit la pénurie de spécialistes en santé mentale dans les réseaux provinciaux de la santé[129]. Cette première barrière peut être surmontée aisément si les vétérans entrent en contact avec ACC ou sont déjà des clients d’ACC. Dans ce cas, l’accès aux cliniques d’ACC et au réseau de spécialistes autorités du ministère permet de recevoir des services plus rapidement que pour la population en général.

Ce comité, l'Ombudsman des vétérans, et l’Ombudsman de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes, ont tous recommandé à de nombreuses reprises que, pour les militaires qui sont libérés pour des raisons médicales, tous les avantages devraient être adjugés et tous les services mis en place avant que le militaire ne soit officiellement libéré. Les membres du comité veulent souligner cette position une fois de plus pour les militaires en voie d’être libérés qui souffrent d'un état de santé mentale et, par conséquent, recommandent:

Recommandation 10

Que le ministère de la Défense nationale et Anciens Combattants Canada veillent à ce que tous les membres en voie de libération ayant un diagnostic de maladie mentale aient leurs soins de santé mentale en place, aussi près que possible de leur résidence, dans une clinique d’Anciens Combattants Canada ou chez d'autres fournisseurs de soins de santé mentale, et ce, avant qu'ils ne soient libérés de leur service militaire.

Pour les vétérans qui sont libérés pour des raisons autres que médicales, ce premier contact avec ACC constitue lui-même une barrière. Les vétérans qui ne sont pas déjà clients d’ACC, qui ont été libérés pour raisons médicales ou pour toute autre raison, et qui éprouvent des difficultés quelques années après avoir quitté les FAC, n’auront pas nécessairement le réflexe d’entrer en contact avec ACC. Souvent, ils ne se considèrent pas comme des vétérans et connaissent mal les services que le ministère pourrait leur offrir[130]. Pour contrer cette barrière, Mme Shelley Hale, de la clinique d’ACC située au Royal Ottawa, a proposé de lancer une campagne nationale de sensibilisation qui viserait les employés de première ligne des systèmes de santé provinciaux :

Nous souhaiterions qu’une campagne de sensibilisation nationale soit mise en branle pour que les vétérans soient aiguillés dès leur entrée dans le système de santé, que ce soit à l’urgence, dans le bureau de leur médecin de famille ou dans une clinique sans rendez-vous. Il faudrait que tous les fournisseurs de service de santé demandent à leurs patients s’ils ont fait partie des forces. Nous pourrions ainsi offrir une toute nouvelle avenue aux clients qui ne sont pas associés à Anciens Combattants Canada. Si nous parvenons à sensibiliser tous les fournisseurs de service et à les inviter à poser une seule question simple, plus de vétérans qu’auparavant pourraient avoir accès aux services qui ont été créés pour eux[131].

Le Cercle du leadership de l’Institut Vanier contribue déjà à une initiative similaire. La directrice de l’Institut, Mme Nora Spinks est venue décrire les activités menées par son organisation pour sensibiliser les travailleurs de première ligne à l’importance d’identifier les besoins particuliers des vétérans :

Le Cercle a quatre objectifs: sensibiliser, donc de faire de la sensibilisation du public; développer la capacité, c'est-à-dire la capacité organisationnelle, améliorer ce qui existe déjà; développer les compétences, c'est-à-dire les compétences processionnelles et s'assurer que chaque médecin de famille a des connaissances de base sur l'armée, nous avons pu transmettre des documents en ce sens à 35 000 médecins de famille le mois dernier; et enfin de développer la communauté pour que si quelqu'un se rend au Centre de détresse ou à la Société pour les troubles de l'humeur ou dans une garderie pour chercher de l'aide, la personne qu'ils auront en face d'eux saura comment les orienter vers le service approprié.
Si vous appelez le 911, il se peut que vous soyez mis en relation avec le Centre de détresse. Si le Centre de détresse a des connaissances sur l'armée, alors il sera en mesure de faire son travail encore mieux qu'il ne le fait déjà, il le fait de façon remarquable. Voilà les quatre objectifs[132].

La représentante du Centre de détresse d’Ottawa, Mme Breanna Pizzuto, a décrit un service de suivi qui pourrait complémenter la campagne d’identification proposée :

Si un patient se présente à un service d'urgence dans un hôpital précis et consent à recevoir un appel de notre part, il recevra l'appel entre 24 et 72 heures après son congé. S'il est admis à l'hôpital, nous l'appellerons après son congé, peu importe la durée de l'hospitalisation. Nous l'appellerons et nous verrons si l'hôpital lui a laissé un plan de soins, s'il prend ses médicaments et s'il rencontre les personnes qu'il est censé rencontrer. C'est une chose que l'on pourrait faire avec les vétérans, un suivi après coup, parce que ces gens ont dit que le TSPT ne se manifeste pas nécessairement tout de suite. Vous pouvez effectuer une évaluation psychologique dès qu'ils obtiennent leur libération, et ils diront que tout va bien. Ensuite, six mois ou un an plus tard, le TSPT commence à se manifester[133].

Le ministère s’est déjà montré intéressé par de telles approches auprès des professionnels de la santé des réseaux provinciaux[134]. Considérant le faible coût d’une telle initiative et les avantages importants que les vétérans pourraient en retirer, le Comité recommande :

Recommandation 11

Qu’Anciens Combattants Canada, en partenariat avec les autorités provinciales et territoriales concernées, lance une campagne de sensibilisation auprès des professionnels de la santé afin d’identifier les vétérans éprouvant des problèmes de santé mentale, établir un système de suivi auprès d’eux, et les aiguiller vers les services d’Anciens Combattants Canada.

6.3. La stigmatisation

La stigmatisation des problèmes de santé mentale et du suicide est un problème qui touche l’ensemble des Canadiens. Comme l’a affirmé Mme Catherine Rioux, de l’Association québécoise de prévention du suicide, des progrès importants ont été accomplis dans la population en général à ce chapitre :

Grâce à des campagnes de sensibilisation répétées, les mentalités ont commencé à changer au sujet du suicide et de la santé mentale. Les tabous sont moins tenaces et commencent à s'estomper. Le suicide n'est plus perçu ou est moins perçu comme une fatalité et un problème individuel comme c'était le cas il y a 10, 15 ou 20 ans. On sait davantage que c'est un problème collectif et qu'il est possible de le prévenir.
Des gens parlent davantage de leurs problèmes de santé mentale et la demande d'aide est davantage valorisée. Nous avons fait beaucoup de chemin à ce chapitre, mais beaucoup de travail reste à accomplir[135].

Toutefois, le personnel militaire en est particulièrement affecté en raison de la culture masculine qui peut inciter à convaincre les militaires de maintenir une image de force et de contrôle imperturbable qui s’accorde mal avec l’acceptation initiale d’un problème de santé mentale et l’action subséquente de demander de l’aide.

Les représentants des FAC qui sont venus témoigner, comme le commodore Cantelon, ont insisté sur les progrès accomplis au cours dernières décennies :

Auparavant, ces questions faisaient l'objet de discussions privées entre deux ou trois personnes, tandis que maintenant, elles ont lieu de façon plus ouverte. À mon avis, c'est la meilleure chose à faire. En tant que dirigeants des Forces armées canadiennes, nous assumons le rôle de chef de file qui nous incombe et nous essayons de modifier cette culture pour que nos membres n'aient pas ce sentiment d'aliénation et de perte d'identité[136].

Le commodore Cantelon est venu contredire cette perception répandue selon laquelle l’aveu d’un problème de santé mentale entraînait presque nécessairement une libération pour raisons médicales :

La maladie mentale n'entraîne pas automatiquement une libération des Forces armées canadiennes. D'autres généraux et adjudants-chefs ont parlé de leurs propres... On peut gérer la situation et avancer. C'est la clé; je voulais donc défaire cette hypothèse selon laquelle on était automatiquement libéré des forces armées simplement parce qu'on consultait un psychologue ou un travailleur social à propos d'un quelconque problème. Je crois que plus il y aura de cas, plus on parlera de la possibilité d'aller de l'avant et de continuer d'être un membre fonctionnel des forces armées, sans restriction à l'égard des promotions, etc. mieux on se portera... C'est la culture dont je parlais plus tôt[137].

Il s’est aventuré jusqu’à affirmer que, du côté des plus hauts échelons de l’organisation, il ne restait peu de barrières à l’accès aux soins en santé mentale, mais que les individus eux-mêmes pouvaient dans certains cas continuer à croire que cette stigmatisation pourrait leur nuire. Toujours selon le commodore Cantelon :

Rien ne vous empêche [d'aller à l’hôpital]. Tout ce que vous avez à faire, c'est de dire à votre sergent, à votre agent de programme ou à votre commodore que vous devez vous rendre à l'hôpital. C'est tout. Personne ne vous demandera pourquoi. Les gens avec qui vous avez une relation de travail étroite vous poseront peut-être la question, mais au bout du compte, c'est votre choix d'en parler ou non. […] Il revient à nous, à l'équipe de direction et aux Forces canadiennes, de travailler à changer cette culture, tout comme nous le faisons dans l'ensemble du pays, pour faire comprendre qu'un pansement invisible autour de la tête, c'est la même chose qu'un pansement sur un bras cassé[138].

Le général MacKay a également tenu à défaire la perception selon laquelle le commandement militaire avait préséance sur le personnel médical dans les décisions menant à la réintégration d’un militaire ayant souffert de problèmes de santé mentale. C’est le personnel médical des FAC qui détermine la capacité d’un militaire de retourner auprès de son unité : « le chef de l'état-major de la Défense a émis une directive voulant que les contraintes à l'emploi pour raisons médicales délivrées par les médecins soient respectées par la chaîne de commandement. Si nous avons déterminé que cette personne devait effectuer un retour, alors la chaîne de commandement obéirait[139]. »

Cette ouverture démontrée par le personnel militaire actuel tranche avec la perception rapportée par certains qui, comme le général Joe Sharpe, continuent d’être témoins de situations où la stigmatisation freine la volonté de certains militaires de demander de l’aide :

[Un] jeune caporal m'a avoué très candidement être atteint d'un état de stress post‑traumatique et recevoir des soins à ce sujet, mais il m'a dit: « Monsieur, la haute direction de l'organisation dit tout ce qu'il faut. » C'est un engagement honnête que prend la haute direction des Forces armées canadiennes. Ce jeune fantassin est en voie d'être libéré. Il a dit: « Sur le terrain, les sergents et les adjudants n'en croient pas un mot. Pour eux, c'est de la bouillie pour les chats. Si vous demandez de l'aide au sein de votre peloton ou de votre compagnie, vous êtes un maillon faible, et ils ne veulent pas de vous là. » Cette situation m'a été décrite jeudi dernier.
Les préjugés ont-ils disparu? Absolument pas. Les préjugés sont encore bien vivants, mais c'est parce que nous mettons très fortement l'accent sur la modification de ce comportement dans l'immédiat. Si un haut gradé vous surprend à dénigrer ces militaires, vous serez réprimandé. Nous nous inquiétons des comportements, mais nous n'avons pas vraiment mis l'accent sur les croyances[140].

Il y aurait donc encore une résistance au niveau des échelons intermédiaires de la hiérarchie, c’est-à-dire de ceux et celles qui interagissent le plus directement avec les militaires qui voudraient prendre le risque de demander de l’aide. La culture d’une organisation comme les FAC ne peut cependant pas se transformer en une génération. Les croyances sont durables et font encore que les personnes attendent encore trop longtemps avant de demander du soutien. Or, l’intervention rapide est l’un des facteurs de réussite comme dans tous les autres aspects de la santé. Comme l’a mentionné le général Dallaire, les croyances qui soutiennent ces résistances sont profondes :

Si vous perdez un bras, vous le savez. Le but est ensuite de trouver une prothèse qui vous aide autant que possible. Si l’on n’affiche pas le même sentiment d’urgence dans le cas des blessures de stress opérationnel en reconnaissant ces blessures et en les traitant, celles-ci s’aggravent et deviennent plus difficiles à définir et à guérir.
Il m’a fallu quatre ans avant de toucher le fond. J’ai perdu un de mes officiers 15 ans plus tard et après avoir suivi des traitements. Il y a un vide. On ignore comment amener ces gens à cesser de vivre comme s’ils n’étaient pas blessés, à faire fi des préjudices[141].

Selon M. Scott Maxwell, de Wounded Warriors, la situation est beaucoup plus favorable chez les vétérans qui ne craignent plus cette stigmatisation. Ils hésitent beaucoup moins à demander de l’aide, mais cela ajoute une pression supplémentaire au niveau de l’offre de services qui ne répond plus à l’augmentation de la demande. Pour Wounded Warriors, M. Maxwell a évoqué une liste d’attente de deux ans dans certains cas :

[Les vétérans] ont évidemment déjà quitté le milieu; il y a donc moins de risques, et ils sont plus à l'aise de parler de leur situation. Ils sont à l'aise de se placer dans une position très vulnérable, et ce, souvent en compagnie de leurs pairs. Nous le voyons partout au pays. Comme je l'ai déjà mentionné, notre problème est d'élargir l'accès aux programmes; ce n'est pas d'essayer de trouver des personnes malades et blessées qui veulent participer à nos programmes. Je crois que cela témoigne certainement des progrès réalisés concernant les personnes libérées et les vétérans du côté civil. Ils peuvent se manifester, lever la main et obtenir de l'aide. Il y a une petite lueur d'optimisme de ce côté. Le problème, c'est évidemment que nous devons nous assurer de pouvoir leur venir en aide lorsqu'ils viennent nous voir[142].

7. LE TRAITEMENT DES PROBLÈMES DE SANTÉ MENTALE

De nombreuses options de traitement prometteuses ont été présentées dans le cadre de cette étude. Certaines en sont à la phase exploratoire, alors que d’autres ont déjà démontré leur viabilité. Lorsqu’il s’agit de traitements à l’interne en institution, l’option à privilégier est que les militaires et les vétérans puissent se retrouver entre eux. L’esprit de corps qui tend à se perdre au moment de la transition semble constituer l’un des meilleurs facteurs de protection contre le développement de problèmes de santé mentale.

Dans le domaine de la prévention du suicide, le Dr Zul Merali a présenté les résultats de recherches préliminaires qui suscitent un grand enthousiasme dans le traitement de la dépression par la kétamine, un médicament traditionnellement utilisé comme anesthésique, mais qui semble freiner l’apparition d’idées suicidaires beaucoup plus rapidement que les antidépresseurs qui sont habituellement prescrits[143].

Les soins offerts aux personnes faisant preuve de comportements suicidaires se limitent essentiellement aux thérapies psychologiques, mais tentent de plus en plus d’intégrer des éléments novateurs à des approches thérapeutiques traditionnelles en psychologie. Le Dr Sareen a présenté les principales approches qui ont démontré des résultats :

Certaines interventions psychologiques peuvent être efficaces, comme la thérapie cognitivo-comportementale qui est axée spécifiquement sur le comportement suicidaire et un autre type de thérapie appelée la thérapie comportementale dialectique qui s’est aussi révélée efficace pour aider les gens qui avaient fait de multiples tentatives de suicide à apprendre comment gérer ces symptômes. Les systèmes de soins aux militaires et aux anciens combattants devraient se pencher sur ces deux thérapies qui visent particulièrement le suicide et élaborer comment les appliquer[144].

7.1. Dépistage

Toutes les études menées sur les facteurs qui peuvent contribuer à rendre une personne plus vulnérable qu’une autre à développer des problèmes de santé mentale amènent spontanément à se questionner sur la possibilité de prédire les probabilités qu’une personne développe des problèmes de santé mentale si elle était exposée aux facteurs de stress de la vie militaire. Autrement dit, pourrait-on prévenir l’apparition de problèmes de santé mentale en faisant un meilleur dépistage des facteurs de risque au moment du recrutement?

Selon le médecin-chef des FAC, le général MacKay, un tel dépistage a effectivement lieu, et un suivi s’effectue périodiquement en fonction de l’âge des militaires :

Nous effectuons un dépistage de problèmes de santé mentale pour toute personne qui est recrutée à son arrivée au sein des FC. Puis, avec chaque évaluation périodique de la santé, il y a une petite section qui effectue un dépistage de problèmes de santé mentale.
Les membres de moins de 40 ans doivent subir une évaluation périodique de la santé tous les cinq ans; lorsqu'ils ont plus de 40 ans, ils doivent en subir une tous les deux ans. Nous effectuons également un dépistage de problèmes de santé mentale chez les personnes qui s'apprêtent à partir en déploiement et nous effectuons le dépistage amélioré de problèmes de santé mentale en l'espace de trois à six mois après leur retour d'un déploiement[145].

Il demeure toutefois impossible de prédire avec confiance que telle personne aura des problèmes et que telle autre n’en aura pas. Ces statistiques étant colligées à partir de grands ensembles, il est possible de prédire à peu près combien de personnes en tout développeront des problèmes sur une période donnée, mais il est impossible de savoir qui seront ces personnes. Ce qu’il est possible de faire avec de telles mesures préventives demeure donc très limité. Selon le Dr Jitender Sareen, psychiatre à l’Université du Manitoba et spécialiste de la santé mentale des vétérans : « il n'existe pas en ce moment dans le monde de processus de sélection suggéré, du moins que je sache, pour dire que des personnes ne sont pas admissibles à la vie militaire, à moins que ces personnes soient aux prises avec une maladie psychotique très grave[146]. »

Selon le Dr Merali, du Royal Ottawa, des études sont en cours ailleurs dans le monde afin de déterminer ces facteurs de risque et possiblement décider qu’une personne en particulier serait trop vulnérable pour être déployée :

Quelqu'un le fait aux Pays-Bas à l'heure actuelle. On commence à le faire au Canada, mais nous tardons à prendre ces mesures avant le déploiement. Ce type de mesure cause beaucoup d'inquiétude, parce que si l'on découvre des indicateurs de vulnérabilité au trouble de stress post-traumatique chez quelqu'un, faut-il ne pas déployer cette personne? Voulons-nous garder ceux qui sont extrêmement vigilants, prêts à se lancer, capables d'attraper un camarade pour le tirer d'une situation catastrophique et de le transporter en lieu sûr, de faire des choses comme cela, ou allons-nous les écarter du front parce qu'ils affichent ces indicateurs?[147]

Il faut également faire une distinction entre le dépistage au moment du recrutement et le dépistage pendant et après un déploiement. Étant donné l’intensité de l’activité durant un déploiement, il est très difficile, sur le strict plan opérationnel, d’imaginer un dépistage systématique, ce qu’a souligné le général MacKay : « je pense qu'il est très important de reconnaître les limites du dépistage et les implications logistiques que le dépistage dans un théâtre d'opérations engendrerait[148]. »

Évidemment, certaines situations peuvent se présenter où un militaire devra interrompre son déploiement : « Si une personne a besoin d'un antidépresseur, par exemple, ou de médicaments pour le traitement des TSPT, elle ne sera normalement pas maintenue sur le théâtre. Les symptômes seraient vraisemblablement assez graves pour entraîner une aggravation si cette personne y demeurait[149]. »

Afin d’avoir une idée assez juste des séquelles qu’a pu avoir un déploiement difficile pour certains militaires, il faut qu’un certain temps ait passé, que le stress soit retombé et que la vie de la personne ait repris un rythme plus normal. C’est pourquoi l’évaluation post-déploiement est importante.

Dans le cas du suicide, il est à peu près impossible de prédire sur une base individuelle quelles sont les personnes qui franchiront l’étape des comportements suicidaires pour passer à l’acte. Selon le Dr Sareen : « Lorsque vous avez quelque qu’un devant vous, il est très difficile de prédire si cette personne a atteint un niveau qui la poussera à commettre une tentative de suicide. […] La plupart des instruments mis à l’essai jusqu’à maintenant ne permettent pas de prévoir et n’aident pas les cliniciens sur le plan individuel[150]. »

7.2. Les soins en santé mentale offerts aux militaires

Les FAC possèdent leur propre système de santé, en particulier pour les soins primaires. Elles opèrent 37 centres et détachements au Canada et en Europe. Pour les soins spécialisés ou surspécialisés, elles doivent faire appel aux systèmes provinciaux, mais la responsabilité des soins demeure sous l’autorité des FAC. En ce qui concerne les soins en santé mentale, le médecin-chef des FAC, le général MacKay en a présenté les principaux éléments :

Nous comptons plus de 450 postes permanents en santé mentale, y compris des infirmières, des travailleurs sociaux, des psychiatres et des psychologues, au sein des secteurs de santé mentale dans nos cliniques. En juillet 2016, 93 % de ces postes étaient occupés. […] Les sept cliniques les plus importantes ont des Centres de soutien pour trauma et stress opérationnels, des CSTSO, qui se spécialisent dans le traitement des blessures de stress opérationnel, les BSO. […] En cas d'urgence après les heures de bureau, les membres des Forces armées canadiennes peuvent communiquer avec le Programme d'aide aux membres des FC, le PAMFC, ou une ligne d'écoute civile. Ils peuvent également se rendre directement à un service d'urgence civil ou composer le 911. Les sept CSTSO font partie du réseau conjoint pour traumatismes liés au stress opérationnel, qui comprend également les 11 cliniques pour BSO d'ACC[151].

Sur le plan de la sensibilisation et de l’éducation, les FAC ont mis sur pied le programme En route vers la préparation mentale :

[Le programme] est reconnu à l'échelle nationale et internationale. Il comprend maintenant plus de 30 modules qui sont offerts à différents stades de la carrière d'un militaire dès l'instruction de base. Nous avons récemment élargi le programme pour y inclure un entraînement axé sur la profession, comme celles de technicien en recherche et sauvetage et de policier militaire.
Le groupe des services de santé des Forces armées canadiennes offre également le Programme de promotion de la santé Énergiser les Forces. Cet important programme comprend des modules d'éducation et de développement des compétences dans des domaines comme la sensibilisation au suicide, la gestion de la colère et du stress, les relations saines, la violence familiale et la toxicomanie[152].

Il est fréquent que les problèmes de santé mentale entraînent des phénomènes de comorbidité, en particulier des problèmes de dépendance qui rendent l’organisation des soins beaucoup plus complexe :

Les troubles de santé mentale combinés aux troubles liés à l'utilisation de substances compliquent de beaucoup le traitement des patients. Nous offrons des programmes de traitement internes. Des conseillers en toxicomanie sont disponibles et tous nos intervenants en matière de santé mentale peuvent offrir des soins aux toxicomanes. Par contre, lorsque nous devons faire face à des cas très complexes et parfois des maladies concomitantes de santé mentale, nous aiguillons les patients vers des installations de traitement médical externes[153].

Selon le colonel Downes, il faut souligner les progrès réalisés par les FAC dans la mise en place de services visant à atténuer l’impact des maladies mentales. En plus de doubler le nombre de cliniciens dans ses Centres de soutien pour trauma et stress opérationnels, les FAC ont mis en place des programmes destinés aux membres des forces terrestres, qui sont plus à risque de développer des problèmes de santé mentale pouvant mener au suicide. Ces programmes, dont le Programme des sentinelles et la Stratégie de rendement intégré de l’Armée canadienne (SRIAC), ont été présentés par le colonel Downes :

Ayant constaté que le taux de suicide parmi ses membres était plus élevé, [l’Armée] a mis en place récemment un projet qu'elle appelle « Programme des sentinelles », qui est axé sur les pairs et où certains membres d'une unité reçoivent une formation spéciale afin de pouvoir identifier plus facilement leurs collègues, qui semblent avoir des difficultés, et les encourager à obtenir des soins.
L'Armée a également mis en œuvre un programme appelé SRIAC […], un autre programme de résilience qui traite des différentes facettes de la vie des gens, de la famille aux valeurs spirituelles, des besoins médicaux à la forme physique, et ainsi de suite. Plusieurs mesures ont été prises pour s'attaquer au problème de la maladie mentale et, par conséquent, au suicide[154].

7.3. Les services d’Anciens Combattants Canada

Les militaires qui font partie de la Force régulière sont exclus de la Loi canadienne sur la santé, et c’est le ministère de la Défense nationale qui assume l’entière responsabilité des services de santé qui leur sont fournis. Au moment de leur libération, toutefois, les militaires deviennent des vétérans, et la responsabilité pour leurs services de santé incombe aux provinces, en vertu de la division constitutionnelle des pouvoirs. Comme l’a expliqué la Dre Cyd Courchesne, d’ACC :

Les vétérans reçoivent leurs soins de santé dans leur collectivité, de leurs propres autorités provinciales de la santé. Nous n'avons pas le droit d'accéder à ce type d'information à moins qu'on nous la communique. Notre analyse et notre examen sont uniquement fondés sur ce que nous connaissons du vétéran, mais nous n'avons qu'un portrait incomplet, contrairement à nos collègues des Forces armées canadiennes, qui ont entre les mains tout le dossier médical et qui peuvent faire une analyse approfondie[155].

La responsabilité d’ACC pour la prestation de services de santé est donc limitée. Elle couvre les services de santé, y compris de santé mentale, qui ne sont pas couverts par les régimes publics provinciaux, lorsque le Ministère juge que ces services sont de nature à favoriser le bien-être des vétérans et à assurer leur autonomie. Dans la plupart des cas, il doit être établi par le vétéran que les services dont il a besoin sont liés à un problème de santé qui a été causé directement ou indirectement par le service militaire.

Dans le cas des services de santé mentale, la plupart des provinces ne couvrent pas les services psychologiques spécialisés, certains traitements en établissement et certains médicaments. Si ces services contribuent au mieux-être d’un vétéran éprouvant des problèmes de santé mentale liés à son service militaire, ACC en défraiera les coûts.

Selon le rapport du Vérificateur général du Canada de l’automne 2014 : 2 % des clients d’ACC étaient admissibles à des services de soutien en santé mentale en 2002, et cette proportion est passée à 12 % en 2012, soit 16 000 des 135 000 vétérans qui sont clients d’ACC[156]. Selon le témoignage de la Dre Cyd Courchesne d’ACC, cette proportion avait été sous-estimée : « Parmi nos clients, 23 % ont reçu un diagnostic de trouble de santé mentale[157]. »

7.3.1. Les cliniques de blessure de stress opérationnel d’Anciens Combattants Canada

Ces cliniques sont financées par ACC. Il en existe 10 offrant des soins à l’externe, plus une autre de 10 lits, rattachée à l’Hôpital Sainte-Anne-de-Bellevue (Québec), offrant des soins à l’interne. Huit autres cliniques satellites, de plus petite dimension, desservent certaines régions moins densément peuplées.

La très grande majorité des patients de ces cliniques sont des vétérans référés par des gestionnaires de cas d’ACC. Les cliniques externes traitent chacune entre 100 et 300 dossiers actifs de vétérans. Elles n’ont pas le mandat d’offrir des services aux membres de la famille, à moins que le vétéran n’en ait fait la demande. Selon M. Michel Doiron, sous-ministre adjoint à la prestation des services d’ACC :

Chacune de ces cliniques est dotée d'une équipe de psychiatres, de psychologues, de travailleurs sociaux, d'infirmiers en santé mentale et d'autres cliniciens qui comprennent ce qu'ont vécu les vétérans et qui connaissent leurs besoins. Pour améliorer l'accès à ces services spécialisés, les cliniques offrent des services de télésanté – donc, des services de santé à distance – pour venir en aide à ceux et celles qui habitent en région éloignée[158].

Ces cliniques sont distinctes des sept Centres de soutien pour trauma et stress opérationnels celles mis sur pied par le ministère de la Défense nationale. Ces derniers sont situés sur des bases militaires et desservent principalement le personnel militaire en service. En vertu d’une entente tripartite, les unes comme les autres peuvent toutefois recevoir des membres actifs et des vétérans des Forces armées canadiennes et de la Gendarmerie Royale du Canada (GRC). Mme Shelly Hale, de la clinique d’ACC située au Royal Ottawa, est venue informer les membres du Comité des besoins importants que cette clinique est parvenue à combler depuis son ouverture il y a huit ans :

Nous avons traité plus de 1 700 clients […]. Nous sommes l’une des 11 cliniques et la seule située dans un établissement spécialisé en santé mentale. Anciens Combattants Canada, le ministère de la Défense nationale du Canada et la Gendarmerie royale du Canada sont les seuls organismes qui peuvent adresser des patients à nos cliniques. Nous leur fournissons ensuite une évaluation complète de chaque patient qu’ils nous ont envoyé. Notre clinique d’Ottawa couvre la province de l’Ontario et l’ouest du Québec. Nous collaborons avec sept bureaux de district, trois points d’attache actifs, cinq centres intégrés de soutien du personnel et deux divisions de la GRC[159].

Pour les personnes qui, pour une raison ou une autre, reçoivent des services indépendamment de ces cliniques, ACC compte sur un registre d’environ 4 000 professionnels autorisés en santé mentale à qui des vétérans peuvent être référés au besoin.

Tout en reconnaissant tous ces efforts, les obstacles à l'accès aux soins de santé mentale demeurent pour les vétérans, en particulier ceux qui ne vivent pas dans les zones urbaines, ou à proximité d'une base militaire ou d'une aile. Le Comité recommande donc:

Recommandation 12

Qu’Anciens Combattants Canada, en collaboration avec ses partenaires provinciaux et territoriaux, continue de trouver des moyens d'améliorer l'accès aux soins de santé mentale pour les vétérans par le biais d'innovations technologiques ou d'autres moyens, y compris, mais sans s'y limiter, la possibilité d'élargir le réseau de cliniques satellitaires de blessure de stress opérationnel, et examiner, en partenariat avec les provinces et les territoires, des moyens d’encourager les professionnels à travailler dans des zones rurales, éloignées et / ou mal desservies.

La mise sur pied de ces cliniques est certes l’une des contributions les plus importantes du ministère au traitement de la santé mentale des vétérans, et très peu de critiques ont été formulées à leur endroit. Le seul bémol qui puisse mériter un examen a été évoqué par le Dr Ken Lee, qui est spécialiste des problèmes de toxicomanie et de santé mentale. Selon lui :

Les soins de santé mentale dispensés dans les cliniques BSO ont toujours ciblé l'ESPT. Ces cliniques consacrent un temps et des ressources considérables à filtrer les diagnostics d'ESPT par rapport à d'autres troubles mentaux qui ne sont pas nécessairement traités dans leurs locaux.
Si nous voulons véritablement diminuer les taux de suicide chez les anciens combattants et améliorer leur santé mentale, je trouve important que les cliniques BSO élargissent leur portée afin de traiter d'autres troubles mentaux. Nous voyons beaucoup de cas de dépression, mais ces anciens combattants ne sont pas nécessairement admissibles au traitement dans ces cliniques à moins de souffrir officiellement d'un ESPT lié au service. Nous leur posons alors un diagnostic d'ESPT non perçu consciemment pour qu'ils puissent obtenir un traitement[160].

Autrement dit, selon le Dr Lee, l’attention qui est portée au trouble de stress post traumatique dans les cliniques d’ACC pourrait empêcher certains vétérans d’obtenir des soins pour d’autres problèmes de santé mentale, en particulier la dépression et la toxicomanie. Les membres du Comité ne souhaitent pas formuler de recommandations à cet égard pour le moment, mais désirent alerter les personnes responsables à l’effet qu’il pourrait y avoir une sélection des patients en fonction du type de problème, ce qui apparaît incompatible avec l’esprit qui devrait animer les cliniques.

7.3.2. Service d’aide d’Anciens Combattants Canada

Mme Johanne Isabel, d’ACC, ainsi que Mme Chantal Mallette, du ministère de la Santé, sont venues présenter aux membres du Comité le Service d’aide d’ACC, un service qui existe depuis une quinzaine d’années, mais qui demeure malheureusement trop peu connu. Il s’agit d’un service téléphonique sans frais, accessible 24 heures sur 24, qui permet aux vétérans des FAC et de la GRC, ainsi qu’aux membres de leur famille d’obtenir des services de counseling en santé mentale et d’aiguillage sans attente. Le service est similaire aux services offerts par les programmes d’aide aux employés dans la fonction publique. Les vétérans, ou les membres de la famille, qui veulent se prévaloir de ces services n’ont pas besoin d’être clients d’ACC, et le service est évidemment confidentiel et bilingue. Les personnes qui répondent aux appels font partie du registre des fournisseurs autorisés d’ACC, et sont des professionnels de la santé possédant une maîtrise ou un doctorat. Les personnes qui appellent peuvent avoir accès à leurs services immédiatement.

Suite aux recommandations faites par le Comité dans son rapport d’avril 2014, le nombre d’heures de séance de counseling individuel offertes sans frais avec une professionnelle en santé mentale, est passé de huit à vingt[161].

Le passage de huit à vingt séances a fait augmenter l’intérêt pour le Service d’aide dont le nombre d’utilisateurs a doublé depuis 2012, atteignant 1 143 en 2016. De ce nombre :

68 % […] sont des vétérans, 28 % sont des membres de leur famille et 2 % sont des personnes retraitées de la GRC. Les gens qui utilisent les services sont, en moyenne, dans la fin de la quarantaine ou au début de la cinquantaine. Les gens utilisent le Service d'aide d'Anciens Combattants Canada principalement pour des problèmes psychologiques non liés au service militaire ou pour du counseling destiné aux couples[162].

Il est intéressant de noter que les motifs pour lesquels les personnes contactent le Service d’aide font surtout partie de ce qui a été appelé plus haut des facteurs de stress, c’est-à-dire des éléments qui viennent s’ajouter aux problèmes mentaux et physiques déjà présents, et qui peuvent exacerber ces problèmes ou entraîner des comportements suicidaires.

Tant pour les vétérans que les membres de la famille, il n’existe aucun critère d’admissibilité à ce service[163]. La personne n’a qu’à appeler et à mentionner qu’elle est un vétéran, l’épouse ou la conjointe de fait d’un vétéran, ou l’enfant d’un vétéran, et les services seront immédiatement accessibles. La personne entrera en contact avec un professionnel en santé mentale dans un délai d’un à cinq jours, selon l’urgence du cas. Si, de l’avis du professionnel, la personne pourrait bénéficier de certains programmes offerts par ACC, elle pourra être aiguillée vers des préposés ou des gestionnaires de cas du ministère[164]. Le nombre de séances nécessaires sera déterminé par le professionnel en fonction des besoins identifiés par l’appelant. En de rares circonstances, il est arrivé que le nombre maximal de séances ait été augmenté au-delà de 20[165].

Présentement, les services ne sont accessibles que par téléphone, ce qui peut créer une barrière[166]. La plupart des programmes similaires d’aide aux employés offrent des services en ligne qui permettent de rejoindre une clientèle plus jeune. La dimension plus anonyme des services en ligne permet parfois également de surmonter la gêne qui peut se manifester lors d’une discussion personnelle au téléphone. Les représentantes de l’Association québécoise de prévention du suicide en ont également recommandé l’intégration[167]. Le Comité recommande donc :

Recommandation 13

Qu’Anciens Combattants Canada et Santé Canada collaborent afin de rendre les Services d’aide d’Anciens Combattants Canada accessibles par clavardage en ligne sur plusieurs plateformes.

Les membres du Comité apprécient ce souci du professionnalisme dont veut faire preuve ACC dans le cadre de son Service d’aide. Certains commentaires de la représentante du Centre de détresse d’Ottawa laissent toutefois penser qu’elle ne doit pas être la seule option à envisager, puisque pour certains, le fait d’entrer en contact avec des professionnels, plutôt qu’avec des pairs ou des bénévoles, peut en soi constituer une barrière aux soins :

Un rapport de Distress and Crisis Ontario a montré que les bénévoles obtiennent de meilleurs résultats que les professionnels rémunérés dans la gestion des appels téléphoniques de candidats au suicide. Il semble donc logique qu'un partenariat entre le ministère des Anciens Combattants et une partie ou l'ensemble de ces centres de détresse présents dans tout le Canada soit une bonne idée, cela permettrait de faire des économies tout en s'appuyant sur une source d'aide existante, efficace et ayant fait ses preuves[168].

Afin d’offrir le plus grand éventail possible d’options qui pourraient venir en aide aux vétérans éprouvant des difficultés, le Comité recommande :

Recommandation 14

Qu’Anciens Combattants Canada entreprenne des démarches auprès de tous ses partenaires en santé mentale afin d’établir une stratégie de collaboration qui permettrait de mieux venir en aide aux vétérans en situation de crise.

7.3.3. Partenariats

ACC a développé d’autres outils de sensibilisation ou de formation en partenariat avec des organisations réputées pour leur expertise dans le domaine de la santé mentale. M. Doiron, d’ACC en a présenté quelques-uns aux membres du Comité. Par exemple, une formation de base intitulée Premiers soins en santé mentale pour les vétérans est offerte gratuitement aux vétérans et à leur entourage grâce à l’adaptation d’un programme développé par la Commission de la santé mentale du Canada. M. Ed Mantler, de la Commission, est venu le présenter aux membres du Comité :

Le programme […] permet d’approfondir les connaissances sur la santé mentale et de développer des compétences dans la collectivité pour reconnaître et traiter les troubles de santé mentale. […] Le programme permet de renforcer les capacités des vétérans et de leur donner les moyens de faire face à leurs troubles de santé mentale et à leurs maladies […] jusqu’à ce qu’un professionnel puisse apporter son aide[169].

Mme Debbie Lowther, la représentante d’un organisme de soutien aux vétérans sans-abris, les Veterans Emergency Transition Services, a participé à la phase finale de développement du programme et a recommandé que les instructeurs offrant la formation soient eux-mêmes des vétérans[170].

Le gouvernement du Canada s’est également engagé dans un partenariat avec la Société pour les troubles de l’humeur du Canada afin d’offrir une formation aux vétérans qui souffrent d’un problème de santé mentale et qui sont sans emploi. M. Dave Gallson, de la Société, est venu en présenter les grandes lignes :

Notre objectif est d'aider, au cours des trois prochaines années, près de 450 anciens combattants vivant des obstacles au sein de leur communauté. Le programme a pour but de fournir un soutien direct pour aborder les difficultés d'ordre émotionnel et d'adaptation vécues par les anciens combattants, avec un accent sur les compétences favorisant l'employabilité, le bien-être mental et le soutien par les pairs[171].

ACC et les Services de santé communautaire Sainte-Elisabeth lanceront sous peu un programme de formation en ligne pour les aidants naturels qui s’occupent de vétérans souffrant de problèmes de santé mentale[172].

Finalement, ACC a contribué au développement de diverses applications qui sont offertes gratuitement aux vétérans et aux membres de leur famille. M. Doiron a présenté certains partenariats ayant mené au développement de ces applications :

PTSD Coach Canada et OSI Connect sont des applications mobiles qui fournissent de l'information précieuse sur les membres des Forces armées canadiennes et les vétérans ainsi que sur les membres de leur famille affectés par un traumatisme lié au stress opérationnel. L'outil en ligne Ressource au sujet des blessures liées au stress opérationnel est un outil de formation en ligne destiné aux aidants naturels et aux familles de membres des Forces armées canadiennes aux prises avec un TSO. Il procure à l'aidant naturel des techniques de résolution de problèmes et de gestion du stress pour prodiguer des soins applicables à un traumatisme lié au stress opérationnel. Le tutoriel en ligne relatif aux vétérans et à la santé mentale s'adresse à toute personne désirant se familiariser avec les questions de santé mentale touchant les vétérans ou l'appui à procurer à un proche aux prises avec un problème de santé mentale[173].

7.3.4. Centres de ressources pour les familles

Le Programme pour les familles des vétérans est un projet pilote permettant aux vétérans libérés pour raisons médicales d’avoir accès à sept des 32 centres de ressources pour les familles des militaires (CRFM), à la ligne d’information pour les familles, qui offre des services similaires à ceux du Service d’aide d’ACC, ainsi qu’au site connexionFAC.ca qui fournit des renseignements et des liens aux ressources touchant les militaires, les vétérans et les membres de leur famille.

Les CRFM ont été mis sur pied dans le cadre du Programme de services aux familles des militaires, il y a 25 ans. Mme Laurie Ogilvie, qui en est la directrice, a expliqué que le programme « a été conçu pour aider les familles à atténuer les difficultés qui sont souvent associées à la vie militaire, notamment les réinstallations géographiques, les déploiements opérationnels et les risques inhérents aux opérations militaires[174]. »

Comme l’a expliqué Mme Ogilvie, les CRFM sont financés par les FAC dans le cadre du Programme de services aux familles des militaires, qui leur verse 27 millions par année, mais ils sont des organismes sans but lucratif incorporés par les provinces et administrés par les familles elles-mêmes. Chaque CRFM est indépendant, ce qui lui permet d’adapter ces services aux besoins particuliers de la collectivité où il est situé. Cela permet aux CRFM d’être :

…des ambassadeurs ou orienteurs pour les familles de militaires, dans les collectivités locales. Leur structure de gouvernance et leur mandat leur donnent la souplesse opérationnelle nécessaire pour répondre aux besoins uniques des membres de leur communauté des Forces armées canadiennes et pour s'adapter rapidement aux changements démographiques ou opérationnels. Les centres offrent tous une même gamme de services, mais aucun d'eux n'est tout à fait identique aux autres[175].

Le projet pilote financé par ACC, s’étalant de 2015 à 2019, offre aux vétérans et aux membres de leur famille l’accès à sept CRFM durant les deux années qui suivent leur libération pour raisons médicales. Selon Mme Ogilvie, les familles des vétérans qui participent au projet pilote « passent beaucoup mieux leur transition de la vie militaire à la vie civile. […] Les enfants et les adolescents de ces membres libérés pour des raisons médicales profitent de services qu'ils n'avaient jamais reçus auparavant[176]. »

S’appuyant sur le compte-rendu de Mme Ogilvie à l’effet que « les anciens combattants et leurs familles sont très encouragés et qu'ils appuient le programme de tout cœur,[177]» le Comité recommande :

Recommandation 15

Qu’Anciens Combattants Canada, en collaboration avec les Forces armées canadiennes et les Centres de ressources pour les familles des militaires, étende le Programme pour les familles des vétérans.

7.3.5. Centres d’excellence

En décembre 2014, les FAC ont créé un centre d’excellence en matière de santé mentale chez les militaires et les vétérans ainsi qu’une chaire de recherche, les deux initiatives en partenariat avec l’Hôpital Royal Ottawa. Le Centre est sous l’autorité administrative des Services de santé des FAC, en collaboration avec ACC.

En mars 2017, dans le cadre du budget fédéral, ACC a annoncé la création d’un centre d’excellence pour les soins aux vétérans, spécialisé en santé mentale, en trouble de stress post-traumatique et en problèmes connexes, à l’intention des vétérans et des premiers intervenants. L’articulation entre ces deux centres d’excellence n’a pas été précisée. Toutefois, certains éléments du centre d’ACC ont été présentés par la Dre Cyd Courchesne, d’ACC :

Pour le centre d'excellence en santé mentale et le TSPT, nous avons consulté le Groupe consultatif en santé mentale du ministre pour savoir de quoi ce centre a besoin selon lui.
[…] Nous voulons être en mesure d'élaborer des pratiques novatrices et exemplaires, d'avancer, de nous appuyer sur ce que nous faisons déjà et d'offrir de l'éducation, non pas seulement une éducation interne pour notre propre réseau de cliniques pour TSO. Cela nous permettra d'acquérir des connaissances que tout fournisseur de soins au pays qui s'occupe d'un ancien combattant ou d'une personne souffrant de stress post‑traumatique peut utiliser comme ressource[178].

Ces initiatives ont été bien accueillies, mais M. Brian Harding est venu souligner l’ambiguïté que laissait planer l’expression « centre d’excellence » :

C'est, selon moi, une expression ambiguë. Les défenseurs des anciens combattants avaient plutôt réclamé une installation de traitement; pourtant, ce n'est pas ce qui a été retenu dans le mandat.
Au sein du Groupe consultatif sur la santé mentale, dont je fais partie à ACC, nous insistons beaucoup sur l'accès à un établissement physique. Nous avons besoin d'un environnement thérapeutique, rempli de gens rassurants à qui les anciens combattants peuvent s'ouvrir. Je ne dénigre pas les autres personnes qui souffrent de problèmes de santé mentale ou de traumatismes, mais il y a des gens qui ne sont pas compatibles entre eux. N'oublions pas que les anciens membres de la GRC font aussi partie des anciens combattants. Nous avons besoin d'installations physiques propres à la clientèle d'ACC et dotées d'une capacité permanente, en fonction de la demande, pour fournir aux anciens combattants des traitements à temps plein. […] Il faudrait surtout viser des traitements de 30 jours ou plus[179].

M. Harding semble faire valoir qu’il faudrait que les activités de ces centres d’excellence aillent au-delà de la recherche, et au-delà des traitements à l’externe qu’offrent présentement les cliniques d’ACC. La clinique d’ACC située à l’Hôpital Sainte-Anne-de-Bellevue offre des traitements à l’interne, mais pour de courts séjours.

Étant donné les options limitées offertes aux vétérans souffrant d’un problème de santé mentale qui auraient besoin de soins à l’interne, le Comité recommande :

Recommandation 16

Qu’Anciens Combattants Canada travaille avec les provinces, les territoires et les fournisseurs de services, pour s'assurer que les vétérans ayant une blessure de stress opérationnel aient toutes les options de traitement disponibles tout en veillant à ce que la compétence provinciale et territoriale pour les soins de santé soit reconnue et respectée.

7.4. Services offerts par des tiers

7.4.1. Thérapie canine

Il existe présentement tout un débat sur l’efficacité de la thérapie canine afin d’aider les vétérans qui souffrent de problèmes de santé mentale. Au sein d’ACC, il semble y avoir une résistance liée aux résultats non concluants des recherches disponibles portant sur la qualité du dressage. « Nous savons que le chien aide, a affirmé M. Michel Doiron, d’ACC, mais il faut que le chien soit bien dressé, et dressé pour ce genre de chose[180]? » Les membres du Comité apprécient la prudence dont font preuve les responsables gouvernementaux, mais leur résistance transfère à des organisations communautaires, souvent moins bien outillées, le fardeau d’offrir un service dont les bénéfices peuvent s’avérer déterminants pour le bien-être des vétérans[181].

Mme Liane Weber, de Companion Paws Canada, a affirmé aux membres du Comité que « des études médicales ont prouvé que les animaux aidants peuvent améliorer considérablement la santé mentale et physique notamment en réduisant le stress, la dépression et les symptômes d’anxiété[182]. »

Comme l’a également noté M. Philip Upshall, de la Société pour les troubles de l’humeur du Canada : « [Les chiens d’assistance] donnent des résultats. […] La recherche a établi que ce que nous savions donnait des résultats. Le bon sens nous disait que cela fonctionnait. Une centaine de vétérans nous ont dit que cela fonctionnait[183]. »

Étant donné les recherches qui démontrent l’efficacité de la thérapie canine, le Comité recommande :

Recommandation 17

Qu’Anciens Combattants Canada tienne compte des recherches internationales sur les normes de service et les études d'efficacité sur la thérapie canine.

7.4.2. Marijuana

Durant son témoignage, le Dr David Pedlar, d’ACC, a sensibilisé les membres du Comité au fait que la quasi-totalité des vétérans qui souffraient d’un problème de santé mentale souffraient également de problèmes de santé physique qui impliquaient souvent des douleurs chroniques[184]. La marijuana étant aujourd’hui fréquemment employée dans le traitement des douleurs chroniques, un débat s’est ouvert quant à l’approche qu’ACC devrait privilégier quant à son utilisation auprès des vétérans.

Au niveau du ministère, on en est encore à préparer une étude qui orientera les politiques dans les années à venir. Comme l’a expliqué M. Michel Doiron, d’ACC : « Nous effectuerons une recherche sur la marijuana. Nous collaborons avec nos collègues des FAC en vue d'effectuer notre propre recherche sur les avantages du cannabis à des fins médicinales. […] Pour le moment, nous voulons seulement savoir si la marijuana est efficace et quels sont les effets à long terme, si elle crée une dépendance ou non[185]. »

Le Dr Zul Merali du Royal Ottawa a mis en garde contre une extrapolation trop hâtive des résultats de recherches qui ne tiendraient pas compte du dosage spécifique des composants actifs que l’on retrouve dans la marijuana :

Le THC et le CBD constituent les deux ingrédients actifs dotés de propriétés différentes et nous ne comprenons pas exactement les avantages et les inconvénients des différents composants. Il serait très intéressant d'étudier les différents types de mélanges dans une quantité donnée afin de savoir de quoi il retourne. […] Il faut donc étudier au départ les composants réels de façon dosée comme dans le cas d'un traitement médicamenteux afin de savoir ce à quoi on a affaire. Après avoir obtenu des réponses claires, on peut jumeler les souches de la marijuana au profil particulier recherché[186].

7.4.3. Autres initiatives

Plusieurs témoins ont présenté au Comité des initiatives prometteuses et originales qui montrent l’importance des groupes d’entraide informels qui peuvent offrir des mesures de soutien pertinentes et appréciées des vétérans, mais qu’il serait plus difficile de mettre en œuvre au niveau du gouvernement. Par exemple, les Veterans Emergency Transition Services, surtout connus pour le soutien apporté aux vétérans dans l’itinérance, ont lancé un programme tout simple qui donne des résultats étonnants :

L'idée est venue lorsque mon époux souffrait de stress post-traumatique. Il a décidé de se remettre à la guitare, qui était restée dans un coin de la maison depuis longtemps, et la musique l'a beaucoup aidé. À la fin de 2013 et au début de 2014, il y a eu de nombreux suicides parmi les anciens combattants, et durant cette période, il a décidé que nous devions faire quelque chose, alors nous avons lancé le programme Guitares pour vétérans. Essentiellement, nous utilisons des guitares données, et l'ancien combattant ou le membre de la GRC reçoit 10 leçons gratuites données par un professeur de guitare bénévole. Je dois dire que nous recevons plus de réponses grâce à ce programme, de gens qui nous disent, « Vous m'avez sauvé la vie », que de gens que nous avons sortis de l'itinérance. C'est incroyable[187].

Plusieurs organisations communautaires, affiliées ou non aux FAC ou à ACC, apportent une aide précieuse aux vétérans qui peuvent éprouver des difficultés. L’organisme Sans Limites, par exemple, est affilié aux FAC, et offre une occasion de revivre des sentiments qui rappellent la camaraderie militaire par la pratique d’activités sportives et récréatives. Le gestionnaire du programme, le major Jason Feyko, en a présenté les principaux éléments :

Les principaux objectifs visés par ce programme consistent à faciliter, à soutenir et à intégrer, au profit du personnel militaire malade ou blessé, des ressources et des occasions de participer pleinement et activement à des activités physiques, récréatives ou sportives[188].

Mme Stephanie Thomas est venue vanter les bienfaits qu’elle et les membres de sa famille ont retirés de leur participation à trois programmes qui sont le fruit d’initiatives individuelles financées et encouragées par des organismes de soutien aux vétérans : Can Praxis, qui offre des thérapies équines, le Programme de transition des vétérans et le programme COPE.

Le premier est Can Praxis. […] Quand venait le temps de faire [un] exercice avec mon mari, […] le cheval sentait la tension qui existait entre nous, et ne bougeait donc pas. C'était très révélateur. Nous suivions une thérapie de couple depuis 2009 quand nous avons débuté la phase un de Can Praxis en 2015, et nous avons finalement obtenu une solide base d’éléments à travailler.
Le deuxième programme, entré dans nos vies à l'hiver de 2016, a été le programme de transition des anciens combattants. Ce programme a changé nos vies pour le mieux. Il consiste en 100 heures de thérapie étalées sur une période de 10 jours, et c'était la première fois que Marc travaillait à son traumatisme dans le cadre d'un cercle thérapeutique entièrement formé d’hommes. […]
Le programme de transition a ensuite mené au programme COPE, conçu pour aider les couples à surmonter tous les jours le TSPT. […] C’est l’organisme Wounded Warriors Canada qui paie ces programmes. Le niveau de liens sociaux, de compréhension et de compassion entre les couples permet de nouer des amitiés pour la vie et de retrouver ce sentiment d’appartenance à une communauté qui se perd à la libération de l'armée[189].

De tels exemples montrent que, souvent, les initiatives les plus prometteuses se développent du bas vers le haut, et c’est par la suite au gouvernement de s’assurer d’en reconnaître les mérites et d’en soutenir l’expansion. La création du réseau d’entraide Envoyez le compte est typique à cet égard des possibilités et de la souplesse qu’offrent les médias sociaux dans le soutien que les pairs peuvent apporter aux vétérans en difficulté. M. Brian Harding en a présenté la genèse et l’expansion de ce groupe créé en 2013, suite à des suicides de militaires :

Notre intention était essentiellement d'inciter les militaires à reprendre contact avec ceux avec qui ils avaient servi, à retracer certains membres qui sont peut-être passés à travers les mailles du filet et à inviter ces derniers à sortir de l'ombre pour fraterniser avec leurs semblables. […] Notre première intervention pour prévenir un suicide visait un vétéran qui avait été […] gravement blessé, puis mis de côté, oublié au travail et libéré pour raisons médicales. […]
Un jour, il a exprimé à plusieurs reprises des pensées suicidaires sur Facebook et il a mentionné le fait qu'il était armé. Plusieurs d'entre nous l'ont vu. Nous avons contacté sa famille pour vérifier s'il avait effectivement une arme à feu, et nous sommes parvenus à avertir la police à temps pour qu'elle l'empêche de passer à l'acte. Il a été arrêté de façon sécuritaire en possession d'un pistolet chargé avant d'avoir pu mettre à exécution son plan de se donner la mort publiquement. Les médias sociaux ont permis à ce vétéran de joindre un réseau de soutien qui n'existait pas auparavant, et le vétéran en question nous a donné suffisamment de signaux pour que nous intervenions. Les gens du réseau qui sont intervenus étaient éparpillés entre le Yukon, la Colombie-Britannique et l'Ontario[190].

Plusieurs autres exemples de ce genre existent à la grandeur du pays, et naissent de la volonté d’autres vétérans de préserver ou de retrouver ce lien si important d’étroite solidarité qui unissait toutes ces personnes alors qu’elles portaient encore l’uniforme.

7.5. Agressions sexuelles

La culture masculine prévalant au sein des forces armées, la faible proportion de femmes, soit environ 15% dans les FAC, les absences prolongées et le stress des déploiements créent des conditions où le risque d’agression sexuelle est plus élevé que dans la vie civile. Une agression sexuelle peut laisser des séquelles psychologiques graves et durables. La difficulté de demander de l’aide s’ajoute à la culpabilité possible de la dénonciation d’un frère d’armes, et au tort que le risque de publicisation pourrait entraîner sur la réputation des FAC en général. De plus, les agressions sexuelles ne se produisent habituellement pas durant les déploiements, et les séquelles psychologiques qu’elles peuvent entraîner sont considérées comme étant moins importantes ou légitimes que celles qui sont par exemple la conséquence d’opérations de combat.

Brian Harding, un vétéran, a décrit avec éloquence cette mentalité qui freine la dénonciation des cas d’agression sexuelle :

C'est un environnement qui est dominé par la mentalité du mâle alpha. Bien entendu, la vie des militaires est axée sur la capacité de tuer des gens et de donner son maximum pour défendre l'intérêt national. Il y a une certaine mentalité qui met l'accent sur le fait d'être impitoyable, d'être endurci, et c'est quelque chose que j'ai constaté bien trop souvent. Si vous n'étiez pas à l'extérieur du périmètre, sur le terrain, en train de vous en prendre personnellement à l'ennemi pour lui infliger des violences, c'est impossible que votre traumatisme soit aussi légitime que le mien[191].

Certaines paroles du médecin-chef des FAC, le général MacKay, durant son témoignage ont pu laisser croire qu’il adhérait à cette distinction entre les « blessures de stress opérationnel » qui sont le résultat des opérations de combat et celles qui ne sont que des blessures psychologiques :

Il est important de comprendre que ce ne sont pas seulement les déploiements dans les zones de combat qui peuvent entraîner des traumatismes liés au stress opérationnel. Ces blessures peuvent également découler d'activités d'aide humanitaire ou d'interventions à la suite de catastrophes. Nous avons constaté que le fait d'être exposé à des personnes qui sont décédées et à des situations catastrophiques peut être aussi difficile que l'expérience d'un combat. Lors de son instruction, une personne peut se trouver sur les lieux d'un accident ou en être témoin. Un traumatisme sexuel peut très bien mener non pas à un traumatisme lié au stress opérationnel, mais plutôt à un syndrome de stress post-traumatique. Bien sûr, il ne s'agit pas d'un traumatisme lié au stress opérationnel pour autant[192].

Cette distinction semble découler du fait que les événements se seraient produits dans un contexte différent de celui d’un déploiement dans une zone de combat. Cette distinction pourrait entraîner des effets pernicieux, comme celui de diminuer l’importance relative des blessures psychologiques qui ne sont pas spécifiquement le résultat d’un déploiement dans une zone de combat.

L’autre danger concerne le traitement offert dans de telles circonstances. Les cliniques de santé mentale mises sur pied par le MDN et ACC sont des cliniques pour les « blessures de stress opérationnel ». En excluant de la définition d’une BSO les problèmes de santé mentale liés à une agression sexuelle, cela pourrait faire croire qu’un‑e militaire souffrant d’un trouble de stress post-traumatique suite à une agression sexuelle sur une base militaire pendant son instruction ne pourrait pas être admis-e dans une telle clinique.

Les FAC sont responsables des soins de santé offerts aux membres de leur personnel, peu en importe les causes ou les circonstances. Si un militaire se blesse à une jambe, les FAC lui offriront les mêmes soins, peu importe que la blessure se soit produite durant un congé ou durant des combats. Les membres des FAC souffrant de problèmes de santé mentale suite à une agression sexuelle devraient donc recevoir les mêmes soins, peu importe que l’incident ait eu lieu durant un déploiement, un exercice sur la base ou durant les vacances.

Cette distinction pourrait par contre être pertinente pour ACC lorsque vient le temps d’indemniser une blessure qui, en vertu de la loi, doit être liée au service militaire. Il se pourrait que les conséquences d’une agression sexuelle durant un congé ne donnent pas lieu à une telle indemnisation. Mais encore dans ce cas, la distinction viendrait de la différence entre une blessure liée au service et une autre qui ne l’est pas. La différence ne serait pas de savoir si la blessure s’est produite en situation de combat ou lors de l’instruction sur la base. Un doute persiste tout de même à savoir si un vétéran souffrant d’un trouble de stress post-traumatique suite à une agression sexuelle sur une base militaire pendant la nuit aurait accès aux cliniques BSO d’ACC même si on jugeait que sa blessure était liée à son service militaire.

Mme Marie-Claude Gagnon, de l’organisation « C’est juste 700 », s’est réjouie des progrès réalisés par ACC dans son traitement des demandes d’indemnisation liées à des traumatismes sexuels :

Le ministère commence à accepter que le traumatisme sexuel en milieu militaire puisse être un cas valable. Par ailleurs, si l'acte s'est produit, disons, après le travail, mais qu'on a subi des répercussions au travail, preuves à l'appui, alors ces cas pourront également être pris en considération. Avant, si l'acte se produisait, disons, lors d'un dîner régimentaire, alors on n'était pas couvert. Aujourd'hui, le ministère cherche à déterminer s'il faut dédommager les gens qui ont été agressés dans les casernes ou au cours de dîners régimentaires obligatoires tenus le soir. Pour l'instant, ce n'est pas le cas. Ces questions sont en cours d'examen[193].

Malgré ces avancées qu’il faut souligner, les résistances qui demeurent à accepter qu’une blessure soit liée au service militaire lorsqu’elle est la conséquence d’événements sociaux qui se déroulent après les heures de service au sens strict, devraient être évaluées en fonction d’événements similaires qui ont donné lieu ou non à des indemnisations pour des problèmes de santé autres que de santé mentale.

Étant donné le manque de programmes et de formation portant sur les traumatismes sexuels militaires, le Comité recommande :

Recommandation 18

Qu’Anciens Combattants Canada procède à une évaluation du protocole de suivi et des services de soutien offerts aux victimes de traumatismes sexuels militaires, et offre la formation nécessaire au sujet des traumatismes sexuels militaires.

8. LA SANTÉ MENTALE À LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

L’intégration des préoccupations des membres et vétérans de la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) aux programmes d’ACC est depuis longtemps un enjeu difficile. ACC administre les programmes d’indemnisation prévus à la Loi sur la pension de retraite de la GRC, et cette loi prévoit que les programmes d’indemnisation pour les membres blessés en service sont ceux de la Loi sur les pensions, c’est-à-dire la loi qui ne s’applique plus aux vétérans des FAC depuis 2006. Il y a donc un décalage entre les services qu’offre ACC aux vétérans de la GRC et ceux qu’elle offre aux vétérans des FAC.

Sur le plan de la santé mentale, les membres et les vétérans de la GRC ont accès aux cliniques d’ACC pour le traitement des blessures de stress opérationnel, mais puisqu’ils ne sont pas sous le régime de la Nouvelle Charte des Anciens combattants, ils n’ont pas accès au programme de réadaptation d’ACC. De plus, en tant qu’employés fédéraux, ils n’ont pas accès aux programmes provinciaux d’indemnisation des victimes d’accidents du travail qui offrent de tels programmes de réadaptation visant tant la santé physique que la santé mentale.

Les autres employés de la fonction publique fédérale ont accès aux programmes provinciaux par l’entremise de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État. Or, les membres de la GRC, tout comme les membres de la Force régulière, sont spécifiquement exclus des programmes offerts en vertu de cette loi.

Depuis le 29 juin 2012, les membres de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ne sont plus exclus de la Loi canadienne sur la santé et ce sont donc les provinces et les territoires qui sont responsables de leurs soins de santé lorsqu’ils sont en service. À ce chapitre, ils ont donc maintenant le même statut que n’importe quel autre membre de la fonction publique canadienne. Il apparaît donc difficilement justifiable que les membres de la GRC continuent d’être exclus de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, alors que le gouvernement fédéral n’a plus la responsabilité de leurs soins de santé et que, par exemple, les membres de la Réserve, eux, continuent d’avoir accès aux programmes provinciaux d’indemnisation des travailleurs. Comme l’a fait valoir M. Sebastien Anderson, de l’Association canadienne professionnelle de la police montée, cela laisse peu d’options aux membres de la GRC qui souffrent de problèmes de santé mentale liés à leur service :

Contrairement aux Forces armées canadiennes et aux régimes provinciaux d'indemnisation des accidents du travail, la GRC n'a pas de programme de réadaptation professionnelle. Or, un programme de réadaptation professionnelle est absolument essentiel à la prise de mesures d'adaptation à l'intention des membres assermentés de la GRC atteints d'une incapacité mentale ou physique bien diagnostiquée comme le TSPT […].
Les prestations et les programmes de réadaptation professionnelle devraient être offerts aux membres actuels et aux anciens membres de la GRC avant que la GRC engage un renvoi pour raisons médicales, comme c'est le cas pour les agents des forces policières municipales et provinciales, ainsi que pour la majorité des employés des gouvernements fédéral et provinciaux et du secteur privé, qui bénéficient de prestations et de programmes de réadaptation professionnelle par l'intermédiaire des divers régimes d'indemnisation des accidents du travail[194].

De prime abord, les membres du Comité reconnaissent le bien-fondé d’assurer un programme de réadaptation complet aux membres de la GRC dont la santé mentale ou physique a été affecté par leur service. Le Comité recommande donc :

Recommandation 19

Que le gouvernement du Canada évalue la pertinence de maintenir l’exclusion des membres de la Gendarmerie royale du Canada des programmes d’indemnisation des accidents du travail qui sont offerts en vertu de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État.

Les témoins de l’Association canadienne professionnelle de la Police montée ont également fait part d’autres inquiétudes quant au processus décisionnel par lequel les membres de la GRC peuvent accéder à des soins de santé mentale :

C'est le service de santé de la GRC qui décide quels médecins, quels psychologues et quels spécialistes sont approuvés. Ces médecins travaillent avec le membre touché, tout en acceptant de suivre les règles et les instructions de la direction de la GRC. Ils acceptent ces conditions en sachant que d'autres patients leur seront envoyés et qu'ils deviendront les médecins privilégiés.
Le contrôle exercé par la GRC est rendu tel que c'est la GRC qui dit aux médecins ce qu'ils doivent faire, quels sont les résultats visés, ce qu'ils peuvent dire au sujet des traitements et comment les traitements sont appliqués. Dans certains cas, le membre n'est jamais informé de ce qui se passe[195].

Un tel témoignage laisse sous-entendre que, malgré que la GRC n’ait plus d’autorité législative sur les services de santé offerts à ses membres, elle continue à exercer un contrôle sur les services reçus, sans pour autant offrir un programme de réadaptation structuré.

Il est difficile pour les membres du Comité de poser un jugement éclairé sur ces allégations qui, à première vue, semblent troublantes, puisqu’ils n’ont pas eu l’occasion d’entendre le point de vue des représentants de la GRC. Le Comité s’assurera de faire part de ses inquiétudes suite à ces témoignages.

CONCLUSION

La santé mentale et la prévention du suicide sont des problématiques complexes qui touchent l’ensemble de la population canadienne à divers degrés. Toutefois, étant donné les particularités de leur vocation, les militaires sont plus à risque d’être exposés à des événements susceptibles de déclencher des problèmes de santé mentale ou d’aggraver des prédispositions qui, jusque-là, n’avaient pas entraîné de conséquences négatives importantes.

Les militaires étant une population en meilleure santé que les Canadiens et Canadiennes du même âge, on pourrait s’attendre à ce qu’ils souffrent moins de problèmes de santé mentale que le reste de la population, et qu’ils se suicident moins. Or, la prévalence de problèmes de santé mentale et le taux de suicide chez les militaires est similaire à celui qui s’observe dans la population en général. L’hypothèse la mieux étoffée pour expliquer cette similarité est que l’exposition fréquente des militaires à des événements traumatisants, en particulier chez les membres de l’Armée, annule les conditions favorables liées à leur meilleur état de santé.

Le risque d’exposition à des événements traumatisants, qui fait partie de la nature même de la vie militaire, constitue donc en lui-même le premier facteur de risque. Puisqu’il est évidemment impossible de le faire disparaître, l’objectif premier des soins en santé mentale offerts aux militaires consiste donc à atténuer les effets possibles de cette exposition sur la santé mentale. Cela peut se faire en préparant les militaires avant les déploiements à l’éventualité qu’ils soient confrontés à des situations traumatisantes, en dépistant à court et à moyen terme les symptômes chez ceux qui reviennent d’un déploiement, et en offrant les meilleurs traitements possibles aux personnes chez qui ces symptômes se manifestent.

Chez les vétérans, les problèmes de santé mentale sont plus fréquents que chez les militaires, et le taux de suicide est presque 50 % plus élevé. Cette différence marquée entre deux populations, composées des mêmes personnes pendant et après le service militaire, suggère que le simple fait de devenir un vétéran constitue un facteur de risque important de développer des problèmes de santé mentale.

Selon de nombreux témoignages que nous avons entendus tout au long de cette étude, la perte de l’identité militaire, de l’esprit de solidarité et de camaraderie qui l’accompagne, est perçue par les vétérans comme l’arrachement en eux-mêmes de ce qui donnait un sens à leur activité professionnelle. Ils ont fréquemment le sentiment de ne plus pouvoir « servir », de ne plus pouvoir être utiles, comme si, en quittant la vie militaire, on avait sectionné ce qui les rattachait à leur mission.

Par opposition, cette rupture fait apparaître l’intégration à la communauté militaire comme le principal facteur de protection contre le risque de développer des problèmes de santé mentale, et éventuellement des idées suicidaires. Lorsque la dimension de devoir collectif qu’implique la vie militaire disparaît, cela fait place, pour plusieurs vétérans, à une confrontation avec l’isolement individualiste de la vie moderne qui promeut un esprit de compétition auquel les nouveaux vétérans sont souvent mal préparés.

La force de cette solidarité de la vie militaire vient en partie du risque auquel sont confrontés les membres des Forces armées canadiennes dans leur interdépendance face au danger auquel ils sont exposés. Puisque la nécessité opérationnelle de cette confiance mutuelle peut difficilement se retrouver avec la même intensité dans le monde civil, l’essentiel des recommandations qui se retrouvent dans le présent rapport vise à renforcer ce qui peut soutenir ce sens de la mission et du devoir, et à mieux préparer les militaires à y faire face, une fois qu’ils sont devenus des vétérans.

Les vétérans qui ont témoigné avec courage des difficultés qu’ils ont vécues après avoir dû quitter ce qui était, pour nombre d’entre eux, une composante fondamentale de leur identité, ont presque tous et toutes rattaché l’origine de leurs problèmes de santé mentale à cette perte du sentiment de contribuer à une mission importante par leur service militaire.

Heureusement, la transition s’effectue avec succès pour près de trois quarts des vétérans. Tout de même, plus du quart éprouvent des difficultés lorsqu’ils doivent faire ce passage vers la vie civile, et plus de la moitié d’entre ceux qui ont éprouvé de telles difficultés n’ont pas été libérés pour raisons médicales, et donc, ne souffraient pas de problèmes de santé mentale au moment de devenir des vétérans. La réussite de cette transition dépend donc moins du motif de la libération qu’on aurait pu le croire.

Ce que l’on sait, par contre, c’est que la majorité des vétérans qui réussissent leur transition, malgré les obstacles, ont pu compter sur un solide réseau de soutien dont le pilier est la famille. Nombreux furent les vétérans qui ont témoigné comment il aurait été difficile, voire impossible, de passer à travers les obstacles de la transition vers la vie civile, à travers les problèmes de santé mentale et les idées suicidaires, sans le soutien constant des conjoints et des conjointes, et sans cette volonté de mieux-être lié au désir d’être présents pour leurs enfants.

Les réseaux informels de soutien par les pairs, que ce soit les aumôniers militaires, les groupes en ligne, ou les associations de vétérans, jouent également un rôle essentiel dans le maintien de ce climat de solidarité qui peut rappeler celui qui prévalait durant le service militaire.

Il existe toutefois certaines barrières qui persistent, et la première barrière est la perception qu’ont encore de nombreux militaires que l’aveu d’un problème de santé mentale mettra fin à leur carrière militaire. Les représentants des Forces armées canadiennes se sont faits très rassurants sur cette question, et les membres du Comité espèrent que de nombreux exemples de membres en service qui ont pu obtenir de l'aide pour un problème de santé mentale et continuer leur carrière seront un exemple positif pour d'autres qui se débattent avec la santé mentale. Il est essentiel que les Forces armées canadiennes restent vigilantes et évaluent régulièrement les stratégies mises en place pour aider les membres qui ont révélé leur problème de santé mentale.

La deuxième barrière touche les délais pour accéder à des soins en santé mentale. Cette barrière n’est pas spécifique aux militaires ou aux vétérans, et dépend surtout du défi que pose aux systèmes de santé provinciaux la pénurie de professionnels en santé mentale face à une demande qui s’est accrue. Au cours des vingt dernières années, Anciens Combattants Canada et les Forces armées canadiennes ont fait des efforts considérables pour développer un réseau de cliniques qui puisse atténuer les problèmes d’accès aux ressources provinciales. ACC a également mis sur pied un service d’aide accessible 24h/24 grâce auquel les vétérans et les membres de leur famille peuvent entrer en contact rapidement avec des professionnels de la santé mentale, et obtenir jusqu’à 20 heures de counseling. Divers partenariats ont aussi été développés, dont celui permettant aux vétérans libérés pour raisons médicales et aux membres de leur famille d’accéder aux Centres de ressources pour les familles des militaires.

La plupart des vétérans ont donc en général accès à un niveau de services supérieur à celui dont bénéficie le reste de la population canadienne. Trois exceptions importantes ont cependant été notées au cours de notre étude.

D’abord, de nombreux vétérans des déploiements en Somalie et en d’autres zones à risque de contracter le paludisme soupçonnent que leurs difficultés puissent être reliées à un médicament qu’ils ont dû prendre alors qu’ils étaient en mission. La publication de recherches suggérant un lien causal rare, mais possible, entre le médicament et certains symptômes neuropsychiatriques persistants a créé un doute en leur esprit. On peut comprendre le sentiment, à la fois d’espoir et de frustration, que certains d’entre eux ont pu éprouver en songeant que la difficulté à traiter leurs problèmes de santé mentale pourrait s’expliquer par les effets secondaires du médicament. À moins d’une percée scientifique spectaculaire, il faudra encore des années avant que les recherches puissent établir ou infirmer de manière définitive le lien entre la méfloquine et la persistance de ces symptômes neuropsychiatriques. En attendant, les vétérans qui éprouvent des difficultés doivent recevoir tout le soutien auquel ils ont droit, et le Canada doit continuer de collaborer à tous les projets de recherche qui permettraient de dissiper le doute qui subsiste.

Deuxièmement, la proportion grandissante de femmes qui font partie des Forces armées canadiennes n’a pas encore débouché sur la mise en place de services qui leur seraient mieux adaptés. Les vétérans qui ont subi un traumatisme sexuel militaire peuvent avoir des problèmes de santé physique et mentale qui continuent après leur libération. Tout en reconnaissant les améliorations, beaucoup d'entre eux ont encore du mal à accéder aux avantages d'ACC en raison de problèmes liés à la reconnaissance du lien entre leur condition et le service militaire. Ces règles ne tiennent pas compte des circonstances uniques qui entourent un traumatisme sexuel militaire. Lorsque les vétérans sont admissibles à des prestations, ils ont souvent du mal à trouver des traitements appropriés par l’entremise d'ACC.

La troisième exception touche les vétérans de la Gendarmerie Royale du Canada qui, selon les témoignages entendus, ne bénéficient pas du niveau de service auxquels ils devraient s’attendre, surtout en ce qui a trait aux services de réadaptation psychosociale.

On peut donc affirmer que, dans l’ensemble, les services mis en place afin d’aider les militaires et les vétérans aux prises avec des problèmes de santé mentale ont donné lieu à des progrès notables qu’il faut saluer. Il reste évidemment beaucoup de chemin à faire et les quelques recommandations présentées dans le présent rapport visent bien sûr à faire ressortir quelques lacunes qui persistent, mais surtout à faire ressortir la dimension existentielle des défis associés à la transition des militaires vers la vie civile, et le rôle fondamental que peuvent jouer les membres de la famille et les réseaux de soutien par les pairs.

Pour les membres des Forces armées canadiennes, la vie militaire est beaucoup plus qu’un travail. C’est une vocation qui engage la personnalité tout entière de ceux et celles qui ont fait ce choix. Elle devient pour plusieurs leur culture et leur identité. Lorsque les militaires deviennent des vétérans, le gouvernement du Canada doit faire tout en son pouvoir pour que le passage à la vie civile, et la redéfinition de cette identité, s’effectue de la manière la plus harmonieuse possible.


[1]             ACVA, Mme Nora Spinks (directrice générale, Institut Vanier de la famille), Témoignages, 15 février 2017, 1540.

[2]             ACVA, Résolution du 29 septembre 2016.

[3]             ACVA, Aller vers les vétérans pour améliorer la prestation des services, décembre 2016, section 4.6.

[10]           Ministère de la Défense nationale, Rapport de 2016 sur la mortalité par suicide dans les Forces armées canadiennes, p. 1.

[12]           La signification statistique s’exprime par un pourcentage de confiance dans un intervalle donné. Pour être statistiquement significatif, ce degré de confiance doit habituellement être supérieur à 95 %. Par exemple, pour les années 1995‑1999, on peut affirmer, avec un degré de confiance d’au moins 95 %, que le taux de suicide chez les hommes de la Force régulière est inférieur au taux de suicide au sein de la population générale d’au moins 6 % et d’au plus 45 %, ou, en d’autres termes, un intervalle de confiance dont les bornes sont 94 % et 55 %. Lorsque les bornes de l’intervalle sont toutes deux soit inférieures, soit supérieures à 100 %, la différence du taux est jugée « statistiquement significative ».

[13]           Ministère de la Défense nationale, Rapport de 2016 sur la mortalité par suicide dans les Forces armées canadiennes, p. 27.

[15]           ACVA, Colonel Andrew Downes (directeur, Santé mentale, ministère de la Défense nationale), Témoignages, 15 novembre 2016, 1620.

[16]           ACVA, M. John Kelley McLeod (à titre personnel), Témoignages, 29 novembre 2016, 1640.

[32]           ACVA, M. Brian McKenna (à titre personnel), Témoignages, 29 novembre 2016, 1545.

[33]           ACVA, Brigadier-général (à la retraite) Joe Sharpe (à titre personnel), Témoignages, 6 mars 2017, 1550.

[39]           ACVA, Mme Hélène Le Scelleur (à titre personnel), Témoignages, 30 janvier 2017, 1545.

[40]           ACVA, Mme Hélène Le Scelleur (à titre personnel), Témoignages, 30 janvier 2017, 1620.

[41]           ACVA, Mme Hélène Le Scelleur (à titre personnel), Témoignages, 30 janvier 2017, 1625.

[43]           M. Brian Harding (à titre personnel), Témoignages, 6 février 2017, 1550.

[44]           ACVA, Col Russ Mann (conseiller spécial, Institut Vanier de la famille), Témoignages, 15 février 2017, 1530.

[45]           ACVA, L'hon. Roméo Dallaire (fondateur, Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative), Témoignages, 6 mars 2017, 1620.

[46]           ACVA, L'hon. Roméo Dallaire (fondateur, Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative), Témoignages, 6 mars 2017, 1600.

[48]           ACVA, L'hon. Roméo Dallaire (fondateur, Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative), Témoignages, 6 mars 2017, 1540.

[55]           ACVA, M. Barry Westholm (à titre personnel), Témoignages, 29 novembre 2016, 1640.

[56]           ACVA, L'hon. Roméo Dallaire (fondateur, Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative), Témoignages, 6 mars 2017, 1540.

[57]           ACVA, M. Brian McKenna (à titre personnel), Témoignages, 29 novembre 2016, 1545.

[62]           ACVA, M. Brandon Kett (vétéran, à titre personnel), Témoignages, 27 octobre 2016, 1625.

[66]           ACVA, L'hon. Roméo Dallaire (fondateur, Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative), Témoignages, 6 mars 2017, 1715.

[67]           Ashley M. Croft, « A lesson learnt: the rise and fall of Lariam and Halfan », Journal of the Royal Society of Medicine, vol. 100, no 4, avril 2007, p. 170 à 174.

[68]           Mme Maria Barrados, vérificatrice générale adjointe, Comité permanent des comptes publics, 18 novembre 1999, 1535.

[69]           Patricia Schlagenhauf et al., « The position of mefloquine as a 21st century malaria chemoprophylaxis », Malaria Journal, vol. 9, no 357, 2010.

[71]           Patricia Schlagenhauf et al., « The position of mefloquine as a 21st century malaria chemoprophylaxis », Malaria Journal, vol. 9, no 357, 2010. Voir aussi ACVA, Dre Elspeth Ritchie (à titre personnel), Témoignages, 25 octobre 2016, 1545.

[72]           Tuan M. Tran et al., « Psychosis with paranoid delusions after a therapeutic dose of mefloquine: a case report », Malaria Journal, vol. 5, no 74, 2006.

[73]           ACVA, Dre Elspeth Ritchie (à titre personnel), Témoignages, 25 octobre 2016, 1545. Cette affirmation est confirmée par une étude réalisée au Danemark : Ringqvist, A., et al., « Acute and long-term psychiatric side effects of mefloquine: A follow-up on Danish adverse event reports, » Travel Medicine and Infectious Disease, 2014, XX, pp. 1-9.

[74]           Patricia Schlagenhauf et al., « The position of mefloquine as a 21st century malaria chemoprophylaxis », Malaria Journal, vol. 9, no 357, 2010.

[75]           Agence européenne des médicaments, Pharmacovigilance Risk Assessment Committee, « PRAC Recommendations on signals », EMA/PRAC/65788/2014, 24 février 2014.

[76]           Santé Canada, Base de données sur les produits pharmaceutiques, « Méfloquine ».

[77]           Remington L. Nevin et Aricia M. Byrd, « Neuropsychiatric Adverse Reactions to Mefloquine: a Systematic Comparison of Prescribing and Patient Safety Guidance in the US, UK, Ireland, Australia, New Zealand, and Canada », Neurology and Therapy, vol. 5, 2016, p. 69 à 83.

[78]           M. Dann Nichols, directeur général, Direction générale de la protection de la santé, Programme des produits thérapeutiques, Ministère de la Santé, Comité permanent des comptes publics, 18 novembre 1999, 1545.

[79]           ACVA, Dre Elspeth Ritchie (à titre personnel), Témoignages, 25 octobre 2016, 1540 (psychiatre dans l’armée jusqu’à ma retraite en 2010. Aujourd’hui, je travaille pour la Veterans Health Administration, pour son hôpital, à Washington D.C.).

[80]           Mme Maria Barrados, vérificatrice générale adjointe, Comité permanent des comptes publics, 18 novembre 1999, 1535.

[81]           Cité dans Un héritage déshonoré : les leçons de l’affaire somalienne, Rapport de la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie, 1997, volume 5, chapitre 41, « la question de la méfloquine », p. 1560.

[82]           ACVA, L'hon. Roméo Dallaire (fondateur, Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative), Témoignages, 6 mars 2017, 1615.

[83]           ACVA, M. Dave Bona (vétéran, à titre personnel), Témoignages, 27 octobre 2016, 1615-20.

[84]           ACVA, Dr Donald Passey (psychiatre, à titre personnel), Témoignages, 25 octobre 2016, 1600-05.

[85]           ACVA, M. Claude Lalancette (vétéran, à titre personnel), Témoignages, 27 octobre 2016, 1540.

[86]           ACVA, Dr Remington Nevin (à titre personnel), Témoignages, 25 octobre 2016, 1720.

[88]           ACVA, Dr Remington Nevin (à titre personnel), Témoignages, 25 octobre 2016, 1555.

[89]           ACVA, « lettre de Neil R. Ellis, président du Comité permanent des anciens combattants de la Chambre des communes à l’honorable Jane Philpott », 18 novembre 2016, http://www.parl.gc.ca/content/Committee/421/ACVA/WebDoc/WD8608734/421_ACVA_reldoc_PDF/ACVA_LetterToMinister-f.pdf.

[90]           ACVA, Dr Remington Nevin (à titre personnel), Témoignages, 25 octobre 2016, 1555. L’étude citée (en anglais seulement) est par A. Ringqvist et al., “Acute and long-term psychiatric side effects of mefloquine: A follow-up on Danish adverse event reports”, Travel Medicine and Infectious Disease (2014).

[91]           AA Pharma Inc., Product Monograph Including Patient Medication Information. Mefloquine, .p. 30. La brochure n’est pas disponible en français.

[93]           Voir par exemple ACVA, Dre Elspeth Ritchie (à titre personnel), Témoignages, 25 octobre 2016, 1655; aussi ACVA, L'hon. Roméo Dallaire (fondateur, Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative), Témoignages, 6 mars 2017, 1620.

[94]           ACVA, Dr Remington Nevin (à titre personnel), Témoignages, 25 octobre 2016, 1620.

[97]           Agence européenne des médicaments, Pharmacovigilance Risk Assessment Committee, « Minutes of the meeting on 3-6 February 2014 », EMA/158631/2014, 6 février 2014, p. 21. Voir aussi le Mémoire du Dr Remington Nevin, publié le 16 janvier 2017.

[98]           ACVA, « lettre de Neil R. Ellis, président du Comité permanent des anciens combattants de la Chambre des communes à l’honorable Jane Philpott », 18 novembre 2016, http://www.parl.gc.ca/content/Committee/421/ACVA/WebDoc/WD8608734/421_ACVA_reldoc_PDF/ACVA_LetterToMinister-f.pdf.

[99]           Australia, Department of Veterans Affairs, “Mefloquine Information”, https://www.dva.gov.au/health-and-wellbeing/medical-services-and-conditions/mefloquine-information.

[100]         ACVA, Dr Remington Nevin (à titre personnel), Témoignages, 25 octobre 2016, 1555; ACVA, Dr Donald Passey (psychiatre, à titre personnel), Témoignages, 25 octobre 2016, 1600.

[101]         ACVA, Dr Remington Nevin (à titre personnel), Témoignages, 25 octobre 2016, 1615.

[102]         ACVA, Dre Elspeth Ritchie (à titre personnel), Témoignages, 25 octobre 2016, 1615.

[103]         ACVA, Dr Donald Passey (psychiatre, à titre personnel), Témoignages, 25 octobre 2016, 1615.

[104]         ACVA, Dr Remington Nevin (à titre personnel), Témoignages, 25 octobre 2016, 1720.

[106]         ACVA, Brigadier-général Hugh MacKay (médecin général, commandant, Groupe des Services de santé des Forces canadiennes, ministère de la Défense nationale), Témoignages, 3 novembre 2016, 1620; pour le témoignage d’un vétéran déclarant avoir souffert des effets secondaires de la méfloquine durant son déploiement en Afghanistan, voir : John Buckle, Mémoire au Comité, publié le 23 janvier 2017; aussi Dan K. Jones, Mémoire au Comité, publié le 8 février 2017.

[108]         ACVA, L'hon. Roméo Dallaire (fondateur, Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative), Témoignages, 6 mars 2017, 1635.

[109]         ACVA, « Lettre de Teresa Bona », lue par M. Dave Bona (vétéran, à titre personnel), Témoignages, 27 octobre 2016, 1610.

[110]         ACVA, Mme Stephanie Thomas (à titre personnel), Témoignages, 8 février 2017, 1645.

[112]         ACVA, L'hon. Roméo Dallaire (fondateur, Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative), Témoignages, 6 mars 2017, 1535.

[116]         ACVA, L'hon. Roméo Dallaire (fondateur, Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative), Témoignages, 6 mars 2017, 1610.

[117]         ACVA, M. Dave Gallson (directeur général national associé, Société pour les troubles de l'humeur du Canada), Témoignages, 15 février 2017, 1555. Voir aussi le témoignage de M. Michael McKean (à titre personnel), 3 avril 2017, 1540.

[118]         Chambre des communes, Comité permanent de la Défense nationale, Soins offerts aux militaires canadiens malades ou blessés, juin 2015, pp. 47-48.

[119]         Mme Marie-Claude Gagnon (fondatrice, C'est Juste 700), Témoignages, 6 février 2017, 1645.

[120]         ACVA, M. Scott Maxwell (à titre personnel), Témoignages, 6 mars 2017, 1625.

[121]         ACVA, Brigadier-général (à la retraite) Joe Sharpe (à titre personnel), Témoignages, 6 mars 2017, 1625.

[122]         ACVA, Colonel Andrew Downes (directeur, Santé mentale, ministère de la Défense nationale), Témoignages, 15 novembre 2016, 1720.

[123]         ACVA, M. Kurt Grant (À titre personnel), Témoignages, 29 novembre 2016, 1700.

[124]         ACVA, Mme Céline Paris (psychologue, à titre personnel), Témoignages, 5 avril 2017, 1720.

[126]         ACVA, Colonel Andrew Downes (directeur, Santé mentale, ministère de la Défense nationale), Témoignages, 15 novembre 2016, 1610.

[129]         ACVA, M. Philip MacKinnon (à titre personnel), Témoignages, 3 avril 2017, 1555.

[130]         Voir par exemple le témoignage de M. Joseph Brindle (à titre personnel), ACVA, Témoignages, 3 avril 2017, 1610.

[132]         ACVA, Mme Nora Spinks (directrice générale, Institut Vanier de la famille), Témoignages, 15 février 2017, 1610.

[140]         ACVA, Brigadier-général (à la retraite) Joe Sharpe (à titre personnel), Témoignages, 6 mars 2017, 1605.

[141]         ACVA, L'hon. Roméo Dallaire (fondateur, Roméo Dallaire Child Soldiers Initiative), Témoignages, 6 mars 2017, 1555.

[142]         ACVA, M. Scott Maxwell (à titre personnel), Témoignages, 6 mars 2017, 1605.

[148]         ACVA, Colonel Andrew Downes (directeur, Santé mentale, ministère de la Défense nationale), Témoignages, 15 novembre 2016, 1600.

[149]         ACVA, Colonel Andrew Downes (directeur, Santé mentale, ministère de la Défense nationale), Témoignages, 15 novembre 2016, 1650.

[154]         ACVA, Colonel Andrew Downes (directeur, Santé mentale, ministère de la Défense nationale), Témoignages, 15 novembre 2016, 1655.

[156]         Vérificateur général du Canada, Rapport de l’automne 2014, paragraphe 3.6.

[170]         ACVA, Mme Debbie Lowther (co-fondatrice, Veterans Emergency Transition Services), Témoignages, 30 janvier 2017, 1620.

[179]         M. Brian Harding (à titre personnel), Témoignages, 6 février 2017, 1615.

[181]         ACVA, M. Joseph Brindle (à titre personnel), Témoignages, 3 avril 2017, 1645.

[182]         ACVA, Mme Liane Weber (dir. générale, Companion Paws Canada, The Lifeline Foundation), Témoignages, 13 février 2017, 1530.

[187]         ACVA, Mme Debbie Lowther (co-fondatrice, Veterans Emergency Transition Services), Témoignages, 30 janvier 2017, 1700.

[189]         ACVA, Mme Stephanie Thomas (à titre personnel), Témoignages, 8 février 2017, 1650.

[190]         M. Brian Harding (à titre personnel), Témoignages, 6 février 2017, 1535.

[191]         M. Brian Harding (à titre personnel), Témoignages, 6 février 2017, 1555.

[193]         Mme Marie-Claude Gagnon (fondatrice, C'est Juste 700), Témoignages, 6 février 2017, 1605.