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ETHI Rapport du Comité

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CHAPITRE 2 : PRÉOCCUPATIONS RELATIVES À L’ÉTENDUE DES POUVOIRS DE COMMUNICATION D’INFORMATION DANS LA LOI SUR LA COMMUNICATION D’INFORMATION AYANT TRAIT À LA SÉCURITÉ DU CANADA ET SES IMPACTS SUR LA VIE PRIVÉE

 

La communication d’information constitue une composante essentielle de la sécurité nationale. Néanmoins, la communication d’information peut avoir des conséquences sur les droits et libertés des Canadiens, particulièrement en ce qui a trait à la protection de la vie privée. Ainsi, au cours de l’étude, le Comité s’est particulièrement intéressé aux répercussions sur la protection de la vie privée de la communication d’information en vertu de la LCISC. Les témoignages recueillis démontrent qu’il existe une diversité d’opinions sur les répercussions de la LCISC, l’étendue de la communication qui y est autorisée et sur l’équilibre entre la sécurité nationale et la protection de la vie privée qu’elle procure.

2.1 L’importance de trouver le juste équilibre entre la sécurité nationale et la protection de la vie privée

Avant tout, plusieurs témoins ont souligné l’importance de la communication d’information pour assurer la sécurité nationale[8]. M. Kent Roach, professeur à l’Université de Toronto, l’a illustré de la manière suivante :

Grâce à la saga Arar, nous avons pu constater les dangers de communiquer de l'information qui n'est pas fiable et qui n'est pas réellement nécessaire à la réalisation du mandat de l'institution destinataire. […] Cependant, et c'est tout aussi important, la Commission Air India nous a appris les dangers de ne pas communiquer suffisamment d'information[9].

Corollairement, plusieurs témoins ont souligné qu’il faut assurer un juste équilibre entre la sécurité nationale et la protection de la vie privée[10]. M. Jean-Pierre Plouffe, commissaire au Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications (CST), a fait valoir que les mesures de sécurité sont essentielles pour notre pays, mais qu'il ne faut pas « que ce soit au détriment des droits à la protection de la vie privée[11] ». Mme Sukanya Pillay de l’Association canadienne des libertés civiles (ACLC) a insisté sur le fait « que nous pouvons seulement assurer une sécurité efficace lorsque nous veillons au maintien de nos libertés civiques[12] ». M. David Elder de l’Association du Barreau canadien (ABC), a affirmé que son organisation :

[A]ppuie l’échange d’information aux fins de sécurité nationale lorsque ces échanges sont nécessaires, proportionnés et encadrés de dispositifs adéquats pour empêcher l’usage potentiellement abusif de cette information. Toutefois, le fait d’échanger trop d’information ou de le faire à des fins non balisées peut avoir des conséquences délétères. Du reste, la communication à outrance de telles données est contraire aux principes sous-jacents des lois canadiennes sur la protection des renseignements personnels[13].

D’une part, plusieurs témoins ont souligné que cet équilibre entre la sécurité nationale et la protection de la vie privée n’était pas présent dans la LCISC et que l’on devait y remédier[14]. D’autre part, plusieurs témoins ont souligné qu’il existe des situations où la sécurité nationale l’emporte sur la protection de la vie privée[15]. Néanmoins, selon Mme Micheal Vonn de l’Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique (ALCCB), la principale préoccupation concernant la LCISC est « de savoir si la LCISC nous fournit la protection constitutionnelle dont nous avons besoin pour être protégés contre les abus — non pas contre ce qui est justifiable et raisonnable, mais contre ce qui est abusif [16] ».

2.2 Les inquiétudes relatives à la Loi sur la communication ayant trait à la sécurité du Canada

Selon plusieurs témoins, le manque d’équilibre dans la LCISC entre la protection de la vie privée et la sécurité nationale est dû à plusieurs facteurs, dont l’étendue des pouvoirs de communication conférés par la LCISC.

Effectivement, selon plusieurs témoins, les dispositions la LCISC sont très larges et pourraient avoir des conséquences sur la vie privée des Canadiens. Notamment, certains témoins ont soulevé des préoccupations relativement au fait qu’il soit possible que la LCISC autorise la communication d’information en vrac puisque la LCISC ne précise pas que la communication d’information doit être relative à des individus précis.

2.2.1 Étendue de la communication prévue par la Loi

Pour plusieurs témoins, l’étendue de la communication d’information prévue par la LCISC et ses répercussions sur la vie privée des Canadiens sont inquiétantes. En effet, plusieurs témoins ont souligné que les pouvoirs de communications d’information des institutions fédérales étaient étendus par la LCISC, mais que peu de protections pour la vie privée existaient.

Pour M. Ziyaad Mia de l’Association canadienne des avocats musulmans (ACAM), la LCISC « prône la communication exagérée et sans bornes d'information[17] ». Selon M. Craig Forcese, professeur à l’Université d’Ottawa, la définition d’ « activité portant atteinte à la sécurité du Canada » « est tellement générale qu'elle englobe des choses qui ne sont pas d'entrée de jeu liées à la sécurité nationale. Essentiellement, des considérations superflues l'emportent alors sur la protection de la vie privée[18] ».

M. Elder de l’ABC a souligné que la LCISC « élargit considérablement le domaine des renseignements qui peuvent être communiqués à l’intérieur du gouvernement aux fins de la sécurité nationale, y compris les renseignements personnels, et ce, sans définitions précises, sans mesures élémentaires de protection de la vie privée et sans restrictions claires quant aux motifs de divulgation[19] ». Ainsi, selon M. Elder, « la Loi actuelle suscite un certain nombre de graves préoccupations et que des dérives pourraient survenir. La communication d'information pourrait menacer la vie privée de Canadiens[20] ».

Pour Mme Laura Tribe d’OpenMedia, la LCISC « mine de façon alarmante la protection des renseignements personnels et, du même coup, la sécurité de tous les Canadiens. Ce manque de protection en matière de renseignements personnels est dangereux, et il aura des répercussions profondes sur la santé de notre démocratie, sur notre liberté et sur nos vies au quotidien[21] ».

M. David Fraser, avocat, a signalé que la LCISC est une « catastrophe pour la vie privée[22] ». Il a indiqué qu’auparavant, l’information sur les Canadiens était stockée dans des silos et que des restrictions bien précises autorisaient sa divulgation. Néanmoins, « le système actuel autorise le Service canadien du renseignement de sécurité [SCRS] à demander à peu près n'importe quelle donnée à tout ministère gouvernemental, pour peu qu'il juge pertinent de le demander[23] ».

Pour M. Mia de l’ACAM, l’étendue de la communication fait en sorte que les organismes pourraient se retrouver avec trop d’information : « [S]i nous essayons de mettre la main sur des terroristes, c'est comme chercher une aiguille dans une botte de foin. La LCISC ajoute plusieurs chargements de foin à la botte[24] ».

Finalement, Mme Vonn de l’ALCCB a affirmé qu’il existait une crise de la confiance du public envers les organismes chargés de la sécurité nationale et du respect des droits[25].

2.2.1.1 Communication d’information en vrac

Pour plusieurs témoins, la LCISC présente un certain risque en ce qui a trait à la communication d’information en vrac. Mme Vonn de l’ALCCB a souligné « le fait que, d'une part, la LCISC ne renferme aucune exigence en matière de motifs individualisés de collecte de données et peut permettre la mise en commun d'une base de données complète et que, d'autre part, il semble probable qu'elle ait été promulguée précisément pour acquérir de grandes quantités de données[26] ». Or, selon Mme Vonn, « les gens ressentent une vive inquiétude à l'égard des razzias de renseignements en bloc et de la façon dont elles peuvent leur porter préjudice dans le cours normal de leur participation à la gouvernance démocratique[27] ».

Mme Lisa Austin, professeure à l’Université de Toronto, a fait écho aux propos de Mme Vonn en indiquant qu’il est présumé qu’en vertu de la LCISC « les institutions gouvernementales décideront de communiquer de l'information au sujet de personnes en particulier, à des moments déterminés, plutôt que de communiquer des ensembles de données qu'elles détiennent aux fins d'analyses plus poussées, y compris le traitement automatisé des données. Toutefois, de nombreux témoins sont d'avis que c'est précisément cela que la LCISC permet, même si cela ne se fait pas maintenant, je ne sais pas, ce qui suscite d'autres préoccupations en matière de protection de la vie privée[28] ». Similairement, Mme Tribe d’OpenMedia a fait des commentaires similaires à ceux de Mme Vonn en ce qui a trait au potentiel de la communication en vrac de d’information sous la LCISC[29].

Néanmoins, selon plusieurs représentants d’institutions fédérales, la LCISC n’élargit pas les pouvoirs de collecte de renseignements des institutions fédérales[30]. M. Stephen Burt du ministère de la Défense nationale a expliqué que « la LCISC n'a aucune incidence sur les mandats en matière de collecte, alors la LCISC n'a aucun effet net sur la collecte de données, que ce soit des données en vrac ou d'autres types de données[31] ». M. Dominic Rochon du CST a ajouté qu’il n’a « aucune raison de croire que la LCISC facilite l'échange de données en vrac d'une façon ou d'une autre. Elle ne crée pas de nouveaux pouvoirs[32] ».


[8]             ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 3 novembre 2016, 1105 (M. Craig Forcese, professeur, Faculté de droit, Université d'Ottawa, à titre personnel);, 1120 (Mme Sukanya Pillay, directrice principale et avocate générale, Association canadienne des libertés civiles); Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Mémoire du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada à l'intention de la Direction générale des politiques de la sécurité nationale de la Sécurité publique Canada, 5 décembre 2016 ; ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 3 novembre 2016, 1110 (M. Kent Roach, professeur, Faculté de droit et Munk School, Université de Toronto, à titre personnel); ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 6 décembre 2016, 1130 (M. Anil Kapoor, avocat, Kapoor Barristers); 1125 et 1225 (M. Ziyaad Mia, membre, Legal Advocacy Committee, Association canadienne des avocats musulmans); ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 13 décembre 2016, 1140 (M. Michael Karanicolas, conseiller juridique principal, Centre for Law and Democracy).

[9]             Ibid. (M. Kent Roach).

[10]           Ibid., 1230 (Mme Sukanya Pillay); ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 22 novembre 2016, 1235 (M. Wesley Wark, professeur invité, École supérieure d'affaires publiques et internationales, Université d'Ottawa, à titre personnel); ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 8 décembre 2016, 1210 (M. Jean-Pierre Plouffe, commissaire, Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications); ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 janvier 2017, 1550 (M. David Elder, membre de l'exécutif, Section nationale du droit de la vie privée et de l'accès à l'information, Association du Barreau canadien).

[11]           Ibid., (M. Jean-Pierre Plouffe).

[12]           ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 3 novembre 2016, 1230 (Mme Sukanya Pillay).

[13]           ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 janvier 2017, 1550 (M. David Elder).

[14]           ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 22 novembre 2016, 1235 (M. Wesley Wark); ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 6 décembre 2016, 1225 (M. Ziyaad Mia); 1130 (M. Anil Kapoor).

[15]           ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 13 décembre 2016, 1225 (M. Michael Karanicolas); 1230 (Mme Micheal Vonn, directrice de la politique, Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique); ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 janvier 2017, 1620 (Mme Laura Tribe, directrice exécutive, OpenMedia).

[16]           Ibid., (Mme Micheal Vonn).

[17]           ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 6 décembre 2016, 1125 (M. Ziyaad Mia).

[18]           ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 3 novembre 2016, 1135 (M. Craig Forcese).

[19]           ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 janvier 2017, 1550 (M. David Elder).

[20]           Ibid., 1620.

[21]           Ibid., 1540 (Mme Laura Tribe).

[22]           Ibid., 1600 (M. David Fraser, associé, McInnes Cooper, à titre personnel).

[23]           Ibid.

[24]           ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 6 décembre 2016, 1125 (M. Ziyaad Mia).

[25]           ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 13 décembre 2016, 1105, 1245 et 1250 (Mme Micheal Vonn).

[26]           Ibid., 1105.

[27]           Ibid., 1240.

[28]           Ibid., 1120 (Mme Lisa Austin, professeure agrégée, Université of Toronto, Faculté de Droit, David Asper Centre for Constitutional Rights, à titre personnel).

[29]           ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 31 janvier 2017, 1540 (Mme Laura Tribe).

[30]           ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 2 février 2017, 1555 (M. Stephen Burt, chef adjoint du renseignement de la Défense, Commandement du renseignement des Forces canadiennes, ministère de la Défense nationale); ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 17 novembre 2016, 1240 (Mme Ann Sheppard, avocate-conseil, ministère de la Justice); ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 2 février 2017, 1630 (M. Dominic Rochon, chef adjoint, Politiques et communications, Centre de la sécurité des télécommunications).

[31]           ETHI, Témoignages, 1re session, 42e législature, 2 février 2017, 1630 (M. Stephen Burt).

[32]           Ibid., 1630 (M. Dominic Rochon).