FAAE Rapport du Comité
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RENOUVELLEMENT DU RÔLE DU CANADA DANS L’AIDE INTERNATIONALE AU DÉVELOPPEMENT DE LA DÉMOCRATIE
Introduction
En 2006, le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes (le Comité) a entrepris une étude sur l’aide canadienne au développement démocratique dans le monde. Pendant plus d’une année, le Comité a tenu 27 réunions, entendu 46 témoins et effectué deux missions d’étude à l’étranger. Ses travaux ont culminé avec la publication d’un rapport en 2007 dans lequel il formulait 28 recommandations pour améliorer l’aide apportée par le Canada au développement démocratique[1].
Douze ans plus tard, le Comité a décidé que le moment était venu de réexaminer la question du développement démocratique. Pour ce faire, il a choisi de s’appuyer sur les conclusions du rapport de 2007[2]. Au cours de quatre réunions, il a entendu des fonctionnaires fédéraux, des représentants d’organismes qui œuvrent dans le domaine du développement démocratique à l’échelle internationale, des représentants d’organisations non gouvernementales (ONG) canadiennes, ainsi que des spécialistes du domaine.
Le développement démocratique inclut tout un éventail d’initiatives. Qu’il s’agisse de soutenir les institutions de la démocratie, comme les parlements et les commissions électorales, de travailler avec les acteurs politiques et la société civile, de prôner le respect des droits de la personne et de la primauté du droit, ces initiatives visent à promouvoir l’adoption de formes démocratiques de gouvernance tout en encourageant le respect des valeurs qui les sous-tendent. Leur éventail, ainsi que la nature politique et sociale de bon nombre des activités visées, font du développement démocratique un domaine unique de l’aide au développement international.
Les témoins ont convenu à l’unanimité qu’il est désormais plus important de soutenir le développement démocratique dans le monde que lors de la publication du rapport du Comité en 2007. Au cours des 12 dernières années, des tendances inquiétantes dans la gouvernance se sont multipliées à travers le monde. Nombre de pays ont commencé à manifester un penchant pour l’autoritarisme, tandis que d’autres ont vu leurs progrès à l’égard de l’établissement de la démocratie paralysés, voire inversés. En attestant du déclin des droits politiques et des libertés civiles durant 13 années consécutives, l’indice de Freedom in the World montre clairement la nature mondiale de cette « récession démocratique ». Par ailleurs, le titre du rapport de 2019 de Freedom House, Democracy in Retreat (La démocratie bat en retraite), témoigne à juste titre de la dynamique internationale actuelle[3].
Selon tous les témoins, le Canada est bien placé pour jouer un rôle plus important dans les efforts internationaux visant à promouvoir la démocratie. Des témoins étrangers ont mis en évidence des caractéristiques clés du Canada, comme son statut de puissance moyenne et son expérience du fédéralisme, qui lui permettent de jouer un rôle significatif dans le développement démocratique. Leurs avis contrastaient avec ceux des témoins canadiens, dont certains ont dit que le Canada s’était détourné de la question au cours des 12 dernières années et qu’il en faisait moins, et non plus, pour soutenir le développement démocratique, contrairement à ce qu’avait recommandé le Comité en 2007.
Les recommandations formulées dans le rapport de 2007 du Comité consistaient à adopter une nouvelle approche qui ferait du Canada un « acteur éminent[4] » dans le domaine du développement démocratique. Pour implanter cette nouvelle approche, le Comité proposait la création, d’une institution indépendante dédiée au développement démocratique, qui n’a pas été mise en œuvre en bout de ligne. Après avoir terminé la présente étude et avoir évalué l’état de la démocratie dans le monde et les efforts canadiens déployés actuellement, le Comité réaffirme ces principales observations. Le Canada doit en faire plus pour appuyer la démocratie dans le monde. Pour ce faire, il doit mettre en place une stratégie exhaustive de développement démocratique qui constituera le fondement d’un partenariat entre le gouvernement du Canada, la société civile et une nouvelle institution dédiée à l’avancement de la démocratie.
En quoi consiste le développement démocratique?
Dans son rapport de 2007, le Comité consacre un chapitre entier à la définition de la démocratie, de la démocratisation et du développement démocratique. Le chapitre fait état de l’avis des experts consultés au cours de l’étude menée par le Comité et fournit plusieurs définitions détaillées de la démocratie et du développement démocratique. La définition la plus concise est une citation provenant d’une étude réalisée par un autre comité: la « notion de démocratie […] est tout bonnement la participation des citoyens aux décisions qui touchent leur vie[5] ».
Lors de l’étude menée par le Comité en 2019, les discussions portant sur la définition de la démocratie et, partant, la portée des initiatives de développement démocratique étaient généralement axées sur deux idées : l’adoption d’une définition large de la démocratie, et la nécessité de tenir compte des contextes locaux.
Définition large de la démocratie
Selon les experts rencontrés au cours de l’étude actuelle du Comité et au cours de celle ayant mené au rapport de 2007, il faut donner à la démocratie une définition large qui tient compte de tous les éléments essentiels à un système de gouvernance véritablement participatif et juste. Christopher MacLennan, sous-ministre adjoint Enjeux mondiaux et Développement à Affaires mondiales Canada (AMC), a bien résumé ce concept en déclarant ce qui suit :
La démocratie est une forme de souveraineté du peuple, qui se fonde sur une compréhension large de la citoyenneté. Il y a une base constitutionnelle. Il y a aussi la primauté du droit qui détermine comment les choses se passent et comment les processus démocratiques s’articulent. La démocratie comprend aussi une presse ouverte et libre, de même que des mécanismes de reddition de comptes ouverts et libres pour que les gouvernements soient tenus responsables de leurs actions[6].
D’autres témoins ont ajouté des éléments à cette définition. Pearl Eliadis, avocat spécialisé dans les droits de la personne à l’Eliadis Law Office, a souligné que les systèmes démocratiques de gouvernance doivent être ancrés dans un cadre des droits de la personne. Certains témoins ont fait valoir que l’inclusion des femmes dans les processus politiques est un aspect fondamental de la démocratie, tandis que d’autres ont sonné l’alarme sur le rôle corrosif que joue la corruption dans l’affaiblissement des systèmes démocratiques. À propos du travail de son organisme, Christian Lamarre, chargé de programme, Secrétariat des Nations Unies, Fonds des Nations Unies pour la démocratie (FNUD), a présenté une conception du développement démocratique ayant une portée encore plus large. Il a dit :
[L]es domaines thématiques du FNUD vont de domaines plus étroitement liés à la politique, comme l’appui aux processus électoraux, à l’état de droit et aux droits de la personne, à des domaines plus fondamentaux, comme la mobilisation des jeunes, l’égalité des sexes, l’activisme communautaire et le renforcement de l’interaction de la société civile avec le gouvernement[7].
Ces témoignages avaient pour dénominateur commun le fait que le développement démocratique va au-delà des élections et des institutions de gouvernance, et qu’il englobe tous les éléments sur lesquels se fonde une démocratie prospère. En d’autres termes, le développement démocratique porte tout autant sur la création d’une société démocratique que sur la création d’un système démocratique. Comme Anthony Smith, directeur général de la Westminster Foundation for Democracy, l’a dit, « ce que nous tentons de soutenir, c’est une culture démocratique[8] ». Une telle approche large reconnaît le besoin de mobiliser les acteurs non-gouvernementaux afin d’établir des valeurs démocratiques sans ignorer les formes plus traditionnelles de soutien démocratique axées sur le développement institutionnel.
Contexte local
Une conceptualisation large de la démocratie tient aussi compte des contextes locaux. Pearl Eliadis a indiqué ce qui suit :
Ce qu’on entend par démocratie varie en fonction de l’endroit où vous êtes. Je sais que, pour certaines personnes, cela peut sembler alarmant, mais le fait est qu’il y a de nombreuses perceptions différentes de la nature de la démocratie. Aucune loi internationale unique ne cerne ce en quoi consiste la démocratie, outre la définition d’élections libres et équitables, bien entendu[9].
De son côté, Christopher MacLennan a fait valoir que pour élargir la définition déjà large de la démocratie afin qu’elle tienne compte de la diversité culturelle, il faut s’appuyer sur des principes de base. Ainsi, il a dit au Comité :
[I]l y a des principes et des éléments centraux à notre conception de la démocratie, et nous croyons qu’ils sont universels. Nous ne sommes pas d’avis que la démocratie n’existe que pour les Occidentaux. Nous pensons qu’en fait, il y a des façons d’adapter les principes démocratiques de base aux cultures locales dans lesquelles nous travaillons[10].
Daniel Twining, président de l’International Republican Institute, et d’autres témoins ont fait observer que la démocratie continue d’évoluer dans des pays comme le Canada et les États‑Unis. C’est pourquoi il faut la promouvoir avec humilité. Aucun pays, y compris le Canada, ne détient toutes les réponses ou un modèle universel. Au contraire, les initiatives de développement démocratique doivent tenir compte de l’importance de l’appropriation locale des réformes de gouvernance.
Objectif du développement démocratique
Pourquoi donc le Canada devrait-il participer au développement démocratique? Pourquoi est-il important pour les Canadiens que d’autres pays adoptent un système démocratique de gouvernement et les valeurs qui y sont associées? La réponse à ces questions peut jeter les fondements d’une nouvelle approche canadienne en matière de développement démocratique. À cette fin, les témoins ont indiqué que les activités de développement démocratique peuvent exprimer les valeurs d’un pays et appuyer ses partenaires qui partagent ces valeurs, tout en rendant l’aide au développement plus efficace et en contribuant à l’atteinte de ses grands objectifs en matière de politique étrangère.
Le développement démocratique en tant qu’expression de valeurs
Mettre l’accent sur l’aide au développement démocratique dans le monde reflète une idée fondamentale : la politique étrangère du Canada devrait témoigner des valeurs qui définissent la société canadienne, y compris la démocratie. Comme Thomas Axworthy, titulaire de la chaire sur la politique publique du Collège Massey, à l’Université de Toronto, l’a affirmé dans son résumé des objectifs du développement démocratique définis par le Comité en 2007 :
Il y a tout d’abord une question morale essentielle, le fait que la liberté et l’égalité des chances sont au cœur de l’identité et des traditions du Canada. Mais, pour les démocrates canadiens, il n’est pas suffisant de jouir de leur liberté. Il importe tout autant de faire de notre mieux pour nous assurer que le reste du monde est en mesure de le faire. Cette conclusion essentielle indique qu’il ne suffit pas de parler de nos valeurs; nous devons agir en fonction de celles-ci et faire en sorte que les pouvoirs gouvernementaux et la société civile les appuient[11].
Dans cette optique, l’aide au développement démocratique dans les autres pays est l’expression de la démocratie du Canada.
Le développement démocratique dans le contexte d’une aide au développement efficace
La participation au développement démocratique peut aussi se justifier dans le contexte d’une aide au développement international élargie. Comme plusieurs témoins l’ont souligné, les réformes pour la bonne gouvernance, inhérentes au développement démocratique, sont essentielles à l’atteinte d’autres objectifs de développement. Anthony Smith, directeur général, Westminster Foundation for Democracy, a bien résumé la question : « Démocratie et développement vont de pair[12]. » Pour sa part, Daniel Twining a plaidé en faveur de la prépondérance du développement démocratique sur les autres formes de développement en affirmant ceci : « Je ferais valoir que l’aide à la démocratie devrait en fait l’emporter sur d’autres formes d’aide, car ces dernières ne sont pas très efficaces lorsqu’un dirigeant autoritaire et kleptocratique est au pouvoir ou qu’un État est en déroute[13]. »
Bien que tous ne soient pas d’avis d’accorder la priorité au développement démocratique par rapport aux efforts de développement déployés dans d’autres domaines, tous admettent que la réforme de la gouvernance fait partie intégrante d’une stratégie globale de développement. Par exemple, les objectifs de développement durable (ODD) établissent des cibles ambitieuses couvrant tout un éventail de questions touchant à divers domaines, comme la santé et la gestion des ressources, dont aucun ne peut être atteint en l’absence de saine gouvernance. En particulier, l’ODD 16 visant à « promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et inclusives aux fins du développement durable, [à] assurer l’accès de tous à la justice et [à] mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes à tous » reconnaît l’importance de la réforme de la gouvernance typique du développement démocratique[14].
Sous cet angle, il importe de souligner le lien entre la démocratie et la bonne gouvernance. Comme l’a indiqué Anthony Smith :
[O]n ne peut promouvoir la bonne gouvernance sans tenir compte des valeurs et de la démocratie. Il faut penser aux mécanismes qui permettent aux gens de se faire entendre, aux mesures de reddition de comptes, aux mécanismes nécessaires pour empêcher le pouvoir exécutif et les dirigeants d’abuser de leur pouvoir[15].
Pour atteindre les ODD, il faut mettre en place une bonne gouvernance, et pour mettre en place une bonne gouvernance, il faut établir des mécanismes de transparence, de responsabilisation et d’inclusion que seuls les systèmes démocratiques peuvent fournir.
Le développement démocratique dans le cadre de la politique étrangère canadienne
Le développement démocratique peut aussi servir à faire avancer les objectifs du Canada en matière de politique étrangère dans d’autres domaines, y compris la Politique d’aide internationale féministe du Canada. Par exemple, des témoins ont fait état des liens qui existent entre la gouvernance démocratique et la sécurité internationale. Comme Derek Mitchell, president du National Democratic Institute, l’a mentionné :
Il y a une logique derrière la démocratie. Ce n’est pas une simple idéologie. Lorsqu’il y a des abus de pouvoir, le manque de transparence entraîne la corruption, ce qui mène à l’injustice et à la tyrannie de la part de la majorité; les réfugiés s’enfuient et l’instabilité traverse les frontières. Cela entraîne des coûts. Il faut payer plus pour nos services de sécurité[16].
Invoquant un argument semblable, Thomas Axworthy a rappelé que la démocratie facilite le règlement des conflits: « En créant une culture fondée sur la liberté et le pluralisme, ce système permet la dissidence. Celle-ci ne dégénère donc pas nécessairement en guerre civile ou en violence[17]. » Daniel Twining croit pour sa part que les activités de développement démocratique sont un « investissement » par rapport au coût des crises[18]. Plusieurs témoins ont souligné les répercussions des flux de migration irrégulière en provenance du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord sur la stabilité politique et sociale de l’Europe à titre d’exemple frappant de la manière dont les crises survenant dans d’autres parties du monde peuvent avoir des conséquences pour les pays qui ont traditionnellement été donneurs d’aide.
Dans la même veine, des témoins ont fait observer que les démocraties sont des partenaires plus fiables dans tous les dossiers internationaux, qui vont du commerce jusqu’à la conservation de l’environnement. Cet argument s’applique même au système international, comme Derek Mitchell l’a indiqué. Les démocraties sont plus susceptibles de soutenir l’ordre international fondé sur des règles[19].
Ce dernier point a été repris par plusieurs témoins dans le contexte de la préoccupation renouvelée à l’égard de la rivalité entre les grandes puissances dans les affaires mondiales. Plaidant en faveur du développement démocratique, Daniel Twining a mentionné ce qui suit :
[I]l y a la réapparition de la rivalité entre de grandes puissances, un phénomène bien réel. […] La Russie et la Chine, de différentes façons, projettent une influence autoritaire. Ces pays tentent de bâtir un monde plus sûr pour les formes autoritaires de gouvernement et pour leur leadership, dont certains éléments sont très hostiles aux intérêts occidentaux et à notre mode de vie[20].
Dans cette optique, l’augmentation du nombre de démocraties dans le monde est un moyen de contrecarrer ces efforts.
Démocratie dans le monde et aide canadienne au développement démocratique
Pour déterminer en quoi consiste l’aide au développement démocratique canadienne à l’échelle internationale, il faut se pencher sur l’état de la démocratie dans le monde et les initiatives de développement démocratique récemment et actuellement mises en œuvre par le Canada. Nous traitons de ces sujets à tour de rôle dans la présente section.
Contexte actuel du développement démocratique
Les témoins ont fourni de nombreuses raisons pour justifier une participation au développement démocratique et ils ont tous convenu, à la lumière du contexte international actuel, qu’il est plus important que jamais de développer la démocratie. Comme il en est fait mention dans l’introduction, l’état de la démocratie dans le monde se serait, selon bon nombre, détérioré depuis la publication du rapport du Comité de 2007. Comme l’a dit Thomas Axworthy : « Que s’est-il passé depuis? Mesdames et messieurs, la situation s’est nettement dégradée[21]. »
Carl Gershman, président du National Endowment for Democracy, a bien résumé l’état de la démocratie dans le monde lors de son témoignage :
Selon Freedom House, l’année 2018 constitue la 13e année consécutive de recul de la démocratie dans le monde. Cette période a été le théâtre de la montée en puissance et de l’affirmation d’États autoritaires comme la Chine, la Russie et l’Iran; de la dégradation de la situation dans des pays autrefois démocratiques comme la Turquie, le Venezuela, les Philippines, la Thaïlande et la Hongrie; et de la montée de mouvements et de partis populistes et nationalistes dans des démocraties établies. Des régimes autocratiques ont tenté de réprimer des groupes indépendants s’efforçant de favoriser la liberté et de les couper de l’aide internationale […][22].
Les témoins ont révélé que, dans la plupart des pays, les menaces pesant sur la démocratie proviennent de sources internes et externes. L’audace et la subtilité qui caractérisent de plus en plus le comportement de puissances autoritaires comme la Chine et la Russie sur la scène internationale représentent, comme il a été mentionné plus tôt, une des grandes menaces cernées par les témoins. Ce que Daniel Twining appelle « l’affaiblissement de l’ordre démocratique » par des acteurs nationaux est tout aussi inquiétant[23]. Ce phénomène a amené un certain nombre d’États à « prendre l’apparence d’une démocratie », pour reprendre l’expression de Christopher MacLennan, sans avoir certains de ses éléments fondamentaux[24].
Selon Derek Mitchell, entre autres, ces menaces sont exacerbées par l’« impression générale » de bon nombre d’électeurs du monde entier « que la démocratie ne livre pas la marchandise[25] ». Christopher MacLennan a aussi souligné le mécontentement populaire se manifestant dans de nombreux pays « faute, pour leurs gouvernements, de trouver des solutions efficaces à des problèmes intérieurs importants et légitimes comme le chômage, un avenir bouché, les inégalités et la migration en masse[26] ». Pour sa part, Robert Greenhill a mis l’accent sur le rôle corrosif joué par la corruption. Il a cité Patricia Moreira, directrice générale de Transparency International, en disant que « la corruption détruit petit à petit la démocratie en créant un cercle vicieux : la corruption affaiblit les institutions démocratiques et les institutions ainsi affaiblies sont moins en mesure de contrôler la corruption[27] ».
Outre les menaces croissantes pesant sur la démocratie partout dans le monde, les témoins ont aussi constaté le rôle amoindri que jouent les champions habituels de la démocratie dans sa défense. Historiquement, les États-Unis étaient un des principaux partisans du développement démocratique. Néanmoins, comme Derek Mitchell l’a affirmé dans son témoignage, en dépit des tendances mondiales inquiétantes, « les États-Unis manquent à l’appel. Il y a un manque de leadership[28]. » Thomas Axworthy a pour sa part parlé d’un « recul prononcé de l’aide à la démocratie », le « nationalisme populiste [amenant] beaucoup de pays à se replier sur eux‑mêmes. L’objectif d’améliorer le sort d’autrui, un objectif tourné vers l’extérieur, est en plein déclin à mesure que les pays se battent pour maintenir leurs normes démocratiques à l’intérieur de leurs frontières[29]. »
L’autre grande tendance relevée par les témoins est la montée des médias sociaux et des autres technologies de l’information. Les témoins ont indiqué que les progrès technologiques ont eu des effets à la fois positifs et négatifs sur la démocratie. Pour Daniel Twining, « la révolution numérique a accompli de grandes choses, mais elle a aussi aidé et intensifié les voix extrêmes dans nos sociétés, et créé de nouvelles formes de fragmentation[30] ». Par ailleurs, Christopher MacLennan a laissé entendre que les médias sociaux avaient « encore plus exacerbé » les efforts pour miner la démocratie et qu’il « est encore plus facile de pervertir tous les jours les espaces démocratiques si essentiels pour exiger une reddition de comptes des parlementaires[31] ».
Histoire de l’aide canadienne au développement démocratique
Le rapport de 2007 du Comité raconte en détail l’histoire de l’aide canadienne au développement démocratique. Comme il y est fait mention, la création aux États-Unis, au début des années 1980, du National Endowment for Democracy, du National Democratic Institute et de l’International Republican Institute a poussé le Canada à s’intéresser au domaine. Dans son témoignage, Derek Mitchell parle de la « première phase du soutien à la démocratie » et fait état de sa « forte orientation idéologique » en raison de la guerre froide.
En 1988, le gouvernement a adopté une loi afin de créer le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique (Droits et Démocratie)[32]. Dans son témoignage, le président-fondateur de Droits et Démocratie, l’honorable Ed Broadbent (désormais président et fondateur de l’Institut Broadbent), a précisé qu’on avait recommandé la création de cette organisation pour avoir « une institution qui serait clairement indépendante du gouvernement et qui ferait la promotion dans les pays en développement des dispositions de la Charte internationale des droits de l’homme et, ce faisant, jetterait efficacement les assises pour la création d’une démocratie multipartite[33] ».
Outre la mise sur pied de Droits et Démocratie, le gouvernement du Canada a commencé à financer des projets de développement démocratique dans le cadre de son programme d’aide au développement international. Ce qu’on appelait alors l’Agence canadienne de développement international (ACDI) a publié la Politique du gouvernement canadien pour l’ACDI en matière de droits de la personne, de démocratisation et de bon gouvernement (DPDG) en 1996[34]. Selon Thomas Axworthy, dans la décennie qui a suivi la publication de la politique, l’ACDI « a consacré environ 1,5 milliard de dollars à 900 projets axés sur la gouvernance démocratique[35] ».
Au moment de la publication du rapport du Comité de 2007, le Canada finançait une multitude d’initiatives de développement démocratique. En fait, il en finançait tellement que le Comité n’a pas pu en évaluer les dépenses totales, qui se chiffraient entre 466 et 900 millions de dollars selon les engagements financiers comptabilisés[36]. Dans le cadre de ces efforts, le Bureau de la gouvernance démocratique a été établi au sein de l’ACDI dans le but « d’améliorer l’efficacité de l’aide du Canada en établissant des partenariats avec des spécialistes, des organisations, des institutions et d’autres ministères clés au Canada, dont le travail est axé sur la gouvernance démocratique[37] ». Le gouvernement fédéral a aussi créé le Conseil de la démocratie, qui se composait de ministères et organismes fédéraux, ainsi que d’organisations de la société civile canadiennes participant au développement démocratique. Le Conseil était une tribune informelle pour l’échange d’information et de pratiques exemplaires sur le développement démocratique[38].
Aide du gouvernement canadien au développement démocratique
Depuis 2007, l’aide du Canada au développement démocratique a considérablement évolué. Le Conseil de la démocratie a tenu sa dernière réunion en 2009[39]. Droits et Démocratie a fermé ses portes en 2012[40]. Le Bureau de la gouvernance démocratique semble aussi avoir été dissous.
En plus de ces développements propres à la promotion de la démocratie, la politique générale d’aide internationale canadienne a aussi évolué. En 2017, AMC a publié la Politique d’aide internationale féministe du Canada, fournissant ainsi un nouveau cadre général de politiques pour la prestation de l’aide canadienne au développement. Selon Christopher MacLennan, la nouvelle politique :
[M]et l’accent sur la gouvernance inclusive centrée sur la démocratie et la participation politique, les droits de la personne et la primauté du droit pour tous les citoyens, peu importe leur identité de genre ou toute autre facette de leur identité. Cette politique souligne l’engagement du gouvernement du Canada à fournir une aide de développement inclusive et fondée sur les droits de la personne, conformément à la recommandation de l’étude du Comité en 2007[41].
La gouvernance inclusive est un des six champs d’action de la politique, conformément à l’ODD 16[42]. Elle se subdivise en droits de la personne, état de droit, ainsi que démocratie et participation à la vie politique. Le gouvernement s’engage, au titre de ce champ d’action, à atteindre, entre autres, les objectifs suivants axés sur les femmes et les filles : « renforcer le leadership des femmes et leur pouvoir décisionnel en matière de gouvernance et de gestion publique à tous les niveaux » et appuyer « les efforts et [renforcer] les capacités des gouvernements à tous les niveaux pour s’assurer que les services publics répondent mieux aux besoins et au potentiel des femmes et des filles[43] ».
Au cours de son témoignage, Christopher MacLennan a indiqué qu’AMC a versé environ 170 millions de dollars à des projets de développement démocratique en 2017‑2018 sur les 293 millions de dollars consacrés à l’ensemble de la gouvernance inclusive[44]. Dans une lettre rédigée en réponse à des questions posées par le Comité, AMC a fourni la ventilation des dépenses de 2017‑2018 selon les secteurs qu’il utilise dans son rapport statistique annuel sur l’aide internationale[45]. AMC comptabilise son aide au développement démocratique en fonction de ses dépenses dans six secteurs :
- Développement des services légaux et judiciaires;
- Participation démocratique et société civile;
- Élections;
- Assemblées législatives et partis politiques;
- Médias et liberté de l’information;
- Droits de la personne[46].
Ainsi, les dépenses dans les six secteurs s’élevaient provisoirement à 169,5 millions de dollars en 2017-2018 :
Figure 1 : Aide au développement démocratique, 2017-2018, Affaires mondiales Canada, par secteur
Secteur |
Somme (en millions $) |
Développement des services légaux et judiciaires |
50,85 |
Participation démocratique et société civile |
46,88 |
Élections |
9,77 |
Assemblées législatives et partis politiques |
5,80 |
Médias et liberté de l’information |
2,83 |
Droits de la personne |
53,37 |
Total |
169,5 |
Source : Lettre d’AMC, 2019.
Environ la moitié de ces fonds ont été répartis dans le cadre des programmes géographiques d’AMC, c’est-à-dire les programmes qui ciblent un pays ou une région en particulier[47]. La plupart des fonds restants ont été alloués aux organisations multilatérales qui reçoivent de l’aide du Canada et aux initiatives de paix et de sécurité que le Canada finance (soit environ 17 % chacun). Le reste des fonds a été alloué à des groupes de la société civile canadienne et à la représentation du Canada dans les tribunes internationales[48].
Figure 2 : Aide au développement démocratique, 2017-2018, Affaires mondiales Canada, par mécanisme
Mécanisme |
Funds (millions $) |
Programmes géographiques |
89,78 |
Enjeux mondiaux et développement |
29,46 |
Sécurité internationale |
28,4 |
Partenariats pour l’innovation dans le développement |
13,44 |
Politique stratégique et Sommets |
8,42 |
Source : Lettre d’AMC, 2019.
Tant dans son témoignage que dans sa lettre, AMC a souligné qu’il n’existe aucun niveau de financement prédéterminé pour le développement démocratique. Les initiatives sont plutôt choisies en fonction de leur conformité avec les priorités stratégiques d’AMC et de l’efficacité des propositions[49]. C’est pourquoi le financement accordé au développement démocratique peut fluctuer selon le type de propositions présentées à AMC et retenues par celui‑ci au cours d’une année donnée. Selon Christopher MacLennan, grâce à cette approche, « les programmes bilatéraux et d’autres programmes permettent de profiter des occasions qui se présentent[50] ».
Contexte du financement actuel
Selon les témoignages et les mémoires d’AMC, le Comité croit que le gouvernement canadien doit mettre davantage l’accent sur le développement démocratique. Avec une enveloppe de 169,5 millions de dollars, le développement démocratique représentait seulement 4 % du budget d’aide au développement d’AMC en 2017-2018. Si l’on en retire les secteurs des droits de la personne et de la primauté du droit, qui sont traités comme des secteurs distincts dans la Politique internationale d’aide féministe du Canada, ce pourcentage tombe à 2 %[51]. De tels niveaux de financement donnent du poids aux observations des professionnels qui ont dit au Comité que même si les besoins en développement démocratique ont augmenté depuis 2007, le Canada en fait moins.
Dans des observations reprises par Jean-Paul Ruszkowski, président et directeur général du Centre parlementaire, Paul LaRose-Edwards, directeur exécutif de CANADEM (Réserve civile du Canada), a indiqué que « le Canada a réduit ses activités directes de promotion de la démocratie à l’échelle internationale » et qu’au « cours des 13 dernières années, le Canada a régressé à bien des égards, en fait[52] ».
Kevin Deveaux, président de Deveaux International Governance Consultants Inc., a tenu des propos semblables : « Je l’ai mentionné en 2007, et je pense que c’est toujours le cas. Le Canada n’est pas un intervenant sérieux dans le domaine de la gouvernance démocratique, en particulier en ce qui a trait à la gouvernance politique[53]. » Pour sa part, Pearl Eliadis s’est dit du même avis : « Même s’il se targue d’être un champion à l’échelle internationale, le Canada n’est même pas près d’avoir une moyenne respectable au bâton[54]. »
L’examen des données d’AMC sur l’aide au développement depuis 2007 confirme le déclin de l’aide au développement démocratique[55]. En effet, depuis 2007-2008, le financement accordé aux six secteurs qui, selon AMC, font partie du développement démocratique, ainsi qu’au secteur plus vaste « Gouvernement et société civile » a diminué en termes absolus et en pourcentage de l’aide internationale[56]. En 2007-2008, le financement accordé au gouvernement et à la société civile a totalisé 644,19 millions de dollars. De cette somme, 269,6 millions de dollars ont été consacrés aux six secteurs du développement démocratique déterminés par AMC. Ces fonds représentaient environ 14 % et 6 % respectivement de l’aide totale[57]. En 2016-2017, ces chiffres s’élevaient à 359,62 millions de dollars et à 172,15 millions de dollars respectivement, ce qui représentait environ 6 % et 3 % de l’aide totale[58]. C’est en 2012-2013 que le financement accordé au gouvernement et à la société civile a atteint son plus bas niveau, à 356,32 millions de dollars, tandis que celui des six secteurs dans leur ensemble a atteint un creux un an plus tard, à 151,83 millions de dollars[59]. Si on enlève les secteurs des droits de la personne et de la primauté du droit, on en arrive à une tendance similaire pour les quatre secteurs de la démocratie restants où le financement est passé de 167,65 millions de dollars en 2007-2008 à 86 millions de dollars en 2016-2017.
Graphique 1 : Dépenses du gouvernement du Canada pour le développement démocratique au titre de l’aide internationale, de 2007-2008 à 2016-2017 (100 millions $)
Source : ACDI, Rapport statistique sur l’aide internationale : Année financière 2007-2008; ACDI, Rapport statistique sur l’aide internationale : Année financière 2008-2009; ACDI, Rapport statistique sur l’aide internationale : Année financière 2009-2010; ACDI, Rapport statistique sur l’aide internationale : Année financière 2010-2011; ACDI, Rapport statistique sur l’aide internationale : Année financière 2011-2012; MAECD, Rapport statistique sur l’aide internationale : Année financière 2012-2013; MAECD, Rapport statistique sur l’aide internationale : Exercice 2013‑2014; AMC, Rapport statistique sur l’aide internationale : Exercice 2014-2015; AMC, Rapport statistique sur l’aide internationale : Exercice 2015-2016; AMC, Rapport statistique sur l’aide internationale : Exercice 2016-2017.
Graphique 2 : Dépenses du gouvernement du Canada pour le développement démocratique au titre de l’aide internationale, de 2007-2008 à 2016-2017, en pourcentage de l’aide internationale totale
Source : ACDI, Rapport statistique sur l’aide internationale : Année financière 2007-2008; ACDI, Rapport statistique sur l’aide internationale : Année financière 2008-2009; ACDI, Rapport statistique sur l’aide internationale : Année financière 2009-2010; ACDI, Rapport statistique sur l’aide internationale : Année financière 2010-2011; ACDI, Rapport statistique sur l’aide internationale : Année financière 2011-2012; MAECD, Rapport statistique sur l’aide internationale : Année financière 2012-2013; MAECD, Rapport statistique sur l’aide internationale : Exercice 2013‑2014; AMC, Rapport statistique sur l’aide internationale : Exercice 2014-2015; AMC, Rapport statistique sur l’aide internationale : Exercice 2015-2016; AMC, Rapport statistique sur l’aide internationale : Exercice 2016-2017.
Une stratégie canadienne renouvelée de développement démocratique
Le principal message mis en évidence par les témoins pendant l’étude du Comité est que la démocratie n’a jamais eu autant besoin de soutien dans le monde entier. Comme l’a affirmé Derek Mitchell : « Si nous subissons actuellement une récession démocratique, nous devons stimuler le processus démocratique. C’est le moment, pour nous tous, de réinvestir, de renouveler nos engagements et de ne pas abandonner, mais plutôt de poursuivre les efforts[60]. » Dans ce contexte plus vaste, des témoins ont laissé entendre que le Canada pourrait jouer un rôle important. En présentant son point de vue concernant l’engagement accru du Canada envers le développement démocratique, Kevin Deveaux a déclaré ceci : « Le Canada est perçu comme un pays doté de principes démocratiques établis depuis longtemps, dont nous avons fait l’assise d’un pays diversifié et multilingue […][61]. »
Après avoir étudié les informations et les opinions qui lui ont été présentées, le Comité est convaincu que le développement démocratique devrait être un aspect central de la politique internationale du Canada. Le Comité est donc préoccupé par le déclin apparent de l’aide financière provenant du gouvernement canadien à l’égard du développement démocratique. Il semble aussi exister un vide structurel et conceptuel. L’organisme Droits et Démocratie a été dissous sans être remplacé. Les mécanismes au sein de la bureaucratie permettant de coordonner les politiques relatives à la démocratie n’existent plus. En outre, la Politique d’aide internationale féministe du Canada ne contribue guère à donner une véritable orientation politique pour arriver à une stratégie de développement démocratique qui tient compte des sexes, et ce même si la gouvernance inclusive est un champ d’action. Compte tenu des pressions exercées sur les institutions démocratiques et les acteurs démocratiques partout dans le monde, le Comité estime qu’une approche canadienne renouvelée qui appuie le développement démocratique est de mise.
Recommandation 1
Que le gouvernement du Canada fasse de la démocratie un aspect prioritaire de sa politique internationale en mettant en place une stratégie globale de développement démocratique. La gouvernance démocratique, dont la participation de la société civile locale, devrait être considérée comme un volet important dans tous les projets et programmes d’aide internationale canadienne.
Comme il en sera question dans le reste du rapport, le Comité estime que le Canada a besoin de trois éléments pour renouveler son engagement envers la promotion de la démocratie partout dans le monde. Premièrement, il doit établir une stratégie exhaustive fondée sur les pratiques exemplaires recensées par des spécialistes du domaine à la suite de consultations avec eux. Deuxièmement, le Canada doit mettre en place les structures institutionnelles nécessaires à la mise en œuvre efficace de cette politique de façon durable et à long terme. Troisièmement, il a besoin d’un financement stable et prévisible à un niveau qui lui permettra d’apporter une contribution notable à la démocratie mondiale. Des recommandations liées à chacun de ces éléments sont incluses ci-dessous.
Éléments d’une stratégie de développement démocratique efficace
Les témoignages tendent à montrer qu’une des leçons les plus importantes apprises par les spécialistes est que la promotion et le soutien du développement de démocraties durables est une tâche ardue et complexe. Comme l’a expliqué Derek Mitchell :
Dans certaines sociétés, on a cru qu’avec la démocratisation, ce serait facile. On deviendrait riches et puissants comme les pays occidentaux.
Il était évident que les choses ne seraient pas aussi simples; ce ne serait pas aussi facile ou rapide. Les inégalités économiques sont apparues. Il y a la corruption. Nous avons constaté que les mentalités changeaient plus lentement que les institutions et les processus[62].
La complexité de la promotion et le soutien de la démocratie dans d’autres pays est une des raisons sous-jacentes qui expliquent pourquoi des témoins recommandent une définition large de la démocratie. Aucune solution universelle ne permet d’instaurer la transformation institutionnelle, politique et sociale requise pour développer une démocratie durable. En effet, les témoins, qui étaient tous du même avis à cet égard, n’ont proposé aucune stratégie précise à suivre par le Canada. Ils ont plutôt présenté les éléments qui contribueraient selon eux à une stratégie efficace et les secteurs où le Canada pourrait être bien placé pour jouer un rôle important.
Une approche à long terme et progressive
Selon Anthony Smith, « [d’]une certaine manière, le temps est plus précieux que l’argent. La démocratie a besoin de ressources modestes, mais d’énormément de patience[63]. » Des témoins ont souligné le besoin de travailler progressivement sur une longue période afin de favoriser le type de changement nécessaire à l’établissement d’une démocratie durable. Kevin Deveaux, entre autres, a employé le terme « investissement » pour décrire une telle approche, qui consiste à engager des ressources sur une longue période pour atteindre des résultats. Il a ajouté ceci :
Évidemment, si vous décidez d’investir dans un pays et dans la réforme démocratique, cela prend du temps. Il faudra plus d’un cycle électoral. Vous devrez devenir des champions de l’édification de la démocratie au Parlement, au sein des partis et dans la société civile. Vous devrez créer des institutions indépendantes, par exemple des commissions électorales. Cela ne prendra pas seulement deux ans, ou quatre ans[64].
Christopher MacLennan a quant à lui souligné que plus l’environnement est difficile, plus il faut de temps pour obtenir des résultats. Au sujet du soutien accordé aux dissidents qui veulent élargir l’espace démocratique dans des pays autoritaires, il a dit qu’il faut attendre dix ans ou plus avant de voir des résultats[65].
Alors que les projets précis varieront au fil du temps, une approche à long terme et progressive implique une mobilisation et des investissements constants articulés autour des valeurs démocratiques.
Recommandation 2
Que le soutien international du gouvernement de Canada envers le développement démocratique adopte une approche à long terme et progressive en ce qui concerne l’évaluation des résultats, et qu’il soit articulé autour d’une collaboration continue avec des partenaires.
Priorisation de la société civile
Des témoins ont insisté sur le fait qu’un développement démocratique efficace passe par la collaboration avec la société civile et les organismes communautaires afin d’encourager l’adoption de valeurs démocratiques dans l’ensemble de la société. Selon Carl Gershman, une telle approche ascendante « vise à habiliter les acteurs locaux en les aidant à relever les défis auxquels ils sont confrontés dans l’immédiat et à renforcer leur capacité de favoriser la réforme et la responsabilisation des institutions à long terme[66] ».
Si on opte pour une définition large de la démocratie, plusieurs témoins ont affirmé qu’une telle approche devrait être perçue comme un complément et non comme un remplacement des formes plus traditionnelles de renforcement des capacités institutionnelles. Comme l’a affirmé Pearl Eliadis, « en ce qui concerne la mise en place d’institutions, [u]ne approche ascendante est tout aussi importante qu’une approche descendante. Les deux sont nécessaires. […] habiliter la société civile et œuvrer dans un cadre axé sur les droits de la personne, pour veiller à ce que les organisations de la société civile soient appuyées et habilitées[67]. » Cette approche vérifie que les réformes démocratiques sont ancrées localement et donc plus susceptibles de durer.
Recommandation 3
Que, lorsqu’il offre de l’aide au développement démocratique dans d’autres pays, le gouvernement du Canada collabore avec la société civile et d’autres acteurs démocratiques dans le cadre d’une approche exhaustive et locale afin de favoriser une démocratie durable.
Une approche tenant compte des sexes
Des témoins ont informé le Comité que l’autonomisation politique des femmes doit être encouragée dans le cadre de toute stratégie viable de développement démocratique. En ce qui concerne l’état de la représentation politique des femmes dans le monde, Jacqueline O’Neill, membre du Canada Institute du Woodrow Wilson Center, a affirmé que « [l]a trajectoire, malgré certaines exceptions, est assez bonne, mais dans l’ensemble, ces changements s’effectuent à un rythme épouvantable[68] ». Par conséquent, elle estime que « ce n’est pas le moment de traiter l’inclusion comme étant un élément accessoire ou seulement souhaitable ». Elle a recommandé l’adoption d’une approche descendante misant sur « les soi‑disant dimensions traditionnelles du renforcement politique, par exemple, en renforçant les capacités des candidates et des députées, en favorisant l’inscription d’électrices, en encourageant les femmes à se porter candidates et en se concentrant sur les capacités institutionnelles », et d’une approche ascendante reconnaissant « les liens entre la démocratisation et la participation des femmes dans une vaste gamme de domaines qui déterminent la gouvernance[69] ».
Dans son mémoire, Gabrielle Bardall, conseillère en genre auprès de la Fondation internationale pour les systèmes électoraux, soutient qu’il ne faut pas présumer que les initiatives de développement démocratique se traduisent nécessairement par une amélioration du statut politique des femmes[70]. Selon elle, la réalité est plus complexe, car la transition vers une démocratie peut politiser les droits des femmes de façon contre-productive, et les régimes autoritaires peuvent employer des stratégies pseudo‑féministes pour nuire aux efforts de démocratisation. Gabrielle Bardall a donc recommandé une approche plus nuancée en matière de promotion de la participation politique des femmes qui va au-delà de la hausse des taux de participation et qui tient compte d’une diversité socioéconomique élargie et des contributions importantes des femmes à la société. Il faut aussi aborder des problèmes sous-jacents, comme l’impunité à l’égard de la violence contre les femmes en politique et la perpétuation des institutions patriarcales.
Recommandation 4
Que, conformément à la Politique d’aide internationale féministe du Canada, le soutien du gouvernement du Canada à l’égard du développement démocratique comprenne une approche tenant compte des sexes et privilégie l’autonomisation politique des femmes.
Une approche respectueuse du contexte local
Comme il a été mentionné précédemment, la promotion efficace de la démocratie nécessite une approche qui respecte les normes culturelles et sociales locales de nos pays partenaires. Les témoins ont dit à maintes reprises qu’il faut se garder de donner la moindre impression qu’on essaie d’imposer un modèle universel et ont insisté sur l’importance d’encourager et de soutenir l’évolution des valeurs démocratiques au pays. Selon Daniel Twining, « [n]ous ne tentons pas d’imposer quoi que ce soit, mais les États‑Unis et le Canada connaissent certaines choses au sujet des fondements d’une démocratie et d’une société civile prospère et nous pouvons aider d’autres pays à établir ces fondements[71] ».
Christopher MacLennan a aussi mis l’accent sur l’adaptation au contexte local lorsqu’il a abordé les programmes actuels d’AMC. Il a affirmé que le Ministère est « bien conscien[t] du fait que chaque endroit où nous travaillons a sa propre culture et sa propre approche de gouvernance, ce qu’il faut respecter ». Selon lui, « [i]l n’y a pas une seule façon de bâtir une démocratie[72] ».
Recommandation 5
Que lorsque le gouvernement du Canada offre du soutien au développement démocratique, il réponde aux normes, aux priorités et aux besoins locaux de façon à s’adapter aux changements de circonstances sur le terrain.
Occasions et besoin de mettre à profit la mobilisation canadienne
Pendant l’étude du Comité, des témoins ont souligné une plusieurs secteurs où le Canada est selon eux en bonne posture pour jouer un rôle significatif dans le développement démocratique. Des témoins ont mentionné des caractéristiques et des expériences canadiennes particulières qui pourraient être avantageuses dans le contexte de la promotion de la démocratie. Comme l’a dit Christopher MacLennan, « [i]l y a effectivement un modèle canadien. Nous faisons tous partie de ce modèle et nous en sommes tous le produit. Je peux vous dire que quand nous interagissons avec nos partenaires des pays en développement, beaucoup d’aspects du modèle canadien suscitent leur intérêt[73]. »
Pays ayant des régimes semblables à celui du Canada
Des témoins ont souligné que la façon dont le Canada pratique la démocratie pourrait éclairer des pays effectuant une transition ver la démocratie. Christopher MacLennan, entre autres, a rappelé que l’expérience du Canada en matière de fédéralisme est un autre aspect de l’expérience canadienne susceptible d’intéresser d’autres pays, notamment ceux qui sont aux prises avec des conflits[74]. Pearl Eliadis a pour sa part affirmé que le système bijuridique et bilingue canadien pourrait être un exemple précieux pour des pays comme le Cameroun[75].
L’idée sous-jacente à ces suggestions est que le Canada devrait mieux mettre à profit ses réussites au pays concernant l’application de la démocratie afin d’améliorer l’aide qu’il accorde à la démocratie dans le monde. Comme l’a affirmé Jean-Paul Ruszkowski : « [P]ourquoi le Canada ne semble pas vouloir tirer parti de cette image de marque, fruit de l’expertise canadienne. Nous sommes reconnus à l’échelle internationale pour notre excellence relativement aux services publics, au système judiciaire, aux entités législatives et à la société civile, incluant les partis politiques. Notre façon canadienne de faire les choses est à la fois pluraliste et inclusive[76]. »
Avant de déterminer les pays que le Canada est le plus apte à soutenir, Robert Greenhill a rappelé au Comité qu’il faut éviter d’ignorer les pays « diplômés » d’autres programmes de développement. Il a souligné que de nombreux pays qui ont eu de la difficulté à effectuer une transition démocratique ou qui ont besoin d’une aide accrue sont « hors du champ d’action du développement traditionnel[77] ».
Recommandation 6
Que le gouvernement du Canada élargisse le dialogue sur la promotion de la démocratie à tous les pays concernés, pas seulement les pays habituellement bénéficiaires d’autres formes d’aide internationale, mais aussi les pays qui constatent la régression ou la stagnation de leur démocratie.
Pays où le Canada participe déjà au développement
Même si les témoins ont affirmé que le Canada pourrait jouer un rôle plus important dans la promotion de la démocratie au sens large, ils ont reconnu que le Canada joue déjà un rôle significatif dans certains pays. L’exemple mentionné le plus souvent était le soutien récent du Canada envers l’Ukraine. Des témoins estimaient aussi que le Canada a joué un rôle important en Haïti et en Afghanistan. Ainsi, ils ont recommandé au Canada de renforcer les relations établies lors d’activités de développement antérieures pour aborder la question du développement démocratique avec ses pays partenaires.
Quant à eux, Kevin Deveaux et Thomas Axworthy ont recommandé d’appliquer une portée géographique restreinte au programme de développement démocratique du Canada. Cela impliquerait la sélection d’un groupe de pays, comme ceux où l’expérience canadienne est particulièrement pertinente ou ceux où le Canada a déjà un partenariat bien établi, où le Canada axerait ses efforts en matière de développement démocratique. Cette proposition part du principe qu’étant donné l’approche requise, les ressources du Canada ne lui permettront pas d’intervenir partout dans le monde.
Autonomisation politique des femmes
Des témoins estiment que le Canada est bien positionné pour jouer un rôle significatif en matière de soutien à la participation politique des femmes. Comme l’a dit Jacqueline O’Neill :
Je pense que le Canada est, de loin, mieux placé pour le faire que [presque tous les autres] pays avec [lesquels] j’ai collaboré. Des membres des Forces armées canadiennes savent comment faire une analyse comparative entre les sexes plus. Le plan d’action national [sur les femmes, la paix et la sécurité] a découlé des travaux de votre comité, a été surveillé par votre comité, et a été élaboré à l’aide de vastes consultations menées partout au pays. Il y a des gens qui ont les compétences voulues et qui peuvent faire plus que dire que les droits des femmes sont importants et que nous devons les protéger afin d’assurer leur inclusion[78].
Par ailleurs, Gabrielle Bardall a affirmé que même si la politique d’aide internationale du Canada n’est que récemment devenue officiellement féministe, « l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes sont des fondements des valeurs canadiennes et sont au cœur de la politique étrangère canadienne depuis des décennies[79] ».
Soutien des partis politiques
Une recommandation des témoins a fait écho au rapport de 2007 du Comité, qui précisait que les partis politiques ont besoin d’un soutien accru. Thomas Axworthy a affirmé que le soutien des partis politiques est un élément crucial pour élaborer un programme exhaustif de développement démocratique. Il a d’ailleurs déclaré ceci au Comité : « Les partis sont l’essence même de la démocratie partout dans le monde. Ils sont parfois impopulaires auprès du grand public, mais pour avoir des démocraties qui fonctionnent bien, il faut des partis bien organisés […] Un domaine où nous nous débrouillons bien, mais pour lequel nous n’avons pas fait grand-chose, c’est la gestion des partis, notamment pour ce qui est de soutenir la parité des sexes[80]. » Derek Mitchell a quant à lui affirmé que « les partis politiques ont besoin d’aide ». Selon lui, le Canada a « de très bons partis politiques et militants qui peuvent faire connaître des compétences et des stratégies[81] ».
Selon Christopher MacLennan, l’importance accordée récemment aux partis politiques dans le domaine du développement démocratique est attribuable en partie au fait que les spécialistes reconnaissent de plus en plus, comme il a été mentionné précédemment, que les efforts de développement démocratique doivent aller au-delà du soutien institutionnel traditionnel. Il a donné l’explication suivante au Comité :
Au début [du siècle actuel], nous surfions encore ce que nous appelions la troisième vague de démocratisation et nous croyions que tous les pays deviendraient des démocraties. C’est alors que nous avons commencé à recevoir les premiers démentis. Voilà pourquoi vous avez perçu une reconnaissance plus grande du besoin de plus de méthodes politiques, par exemple, le soutien des partis politiques et ainsi de suite[82].
Comme il en sera question plus loin, une telle approche politique peut s’avérer difficile à mettre en œuvre pour les gouvernements dans le contexte des relations diplomatiques officielles avec des pays partenaires. Les donneurs peuvent s’exposer davantage à des accusations d’ingérence dans la politique intérieure quand ils travaillent avec des partis politiques que dans d’autres domaines du développement démocratique.
Mise en œuvre d’une stratégie canadienne de développement démocratique
Comme en 2007, le Comité croit qu’une institution indépendante dédiée au développement démocratique doit constituer un élément essentiel de l’importance renouvelée accordée au développement démocratique. Cela étant dit, la création d’une telle institution ne devrait pas constituer une fin en soi. Comme d’autres modèles l’ont démontré, notamment ceux du Royaume-Uni et des États-Unis, une panoplie d’intervenants et d’initiatives aux rôles complémentaires sont de mise pour promouvoir efficacement la démocratie à l’échelle internationale.
La mise en œuvre d’une nouvelle stratégie de développement démocratique nécessitera un partenariat entre le gouvernement du Canada, la société civile et la nouvelle institution proposée de développement démocratique. Chacun a un rôle important à jouer pour contribuer à une stratégie canadienne exhaustive de développement démocratique.
Puisqu’il doit donner une orientation stratégique générale et offrir l’aide canadienne au développement, AMC doit affecter des ressources et une expertise spécialisée au développement démocratique. En 2007, le Ministère mettait l’accent sur le développement démocratique, mais cela semble plus être le ca. Il faudra donc rétablir cette capacité institutionnelle.
De même, le rôle du secteur de la société civile canadienne doit être réévalué. Comme l’ont affirmé CANADEM et le Centre parlementaire lors de leurs témoignages, le Canada détient une grande expertise en développement démocratique. Une nouvelle approche doit reconnaître le rôle indispensable que ces organisations peuvent jouer dans l’ensemble des efforts de développement démocratique déployés par le Canada.
Même avec un Ministère mieux outillé et un partenariat revigoré avec des groupes de la société civile canadienne, le Comité croit qu’une nouvelle institution indépendante est nécessaire. Des témoignages ont souligné que dans une approche élargie de développement démocratique, certaines tâches et situations, souvent sensibles sur le plan politique, peuvent difficilement être effectuées ou abordées par un ministère ou une petite organisation de la société civile. Cette réalité est reconnue depuis longtemps par d’autres pays, comme le Royaume-Uni et les États‑Unis, qui soutiennent des institutions indépendantes de développement démocratique depuis des décennies. De plus, une institution indépendante viendrait s’arrimer à d’autres initiatives gouvernementales et de la société civile en plus de susciter des pratiques et des idées novatrices s’inscrivant dans le cadre politique plus vaste établi par le gouvernement, tout en servant de lieu réunissant l’expertise canadienne dans le domaine du développement démocratique.
Création d’une expertise dans le domaine de la démocratie au sein d’Affaires mondiales Canada
Le témoignage fait par les représentants d’AMC et la lecture de ses rapports ministériels suggèrent qu’une capacité beaucoup moins importante est affectée au développement démocratique aujourd’hui que sous l’ACDI en 2007[83]. Christopher MacLennan a affirmé que la coordination des politiques de développement démocratique relève de son bureau au sein d’AMC (Enjeux mondiaux et Développement), mais il n’a mentionné aucun bureau ou programme dédié au développement démocratique. De même, dans ses rapports ministériels, AMC s’engage envers le principe du développement démocratique qui est souvent cité en combinaison avec d’autres priorités comme les droits de la personne, ou la paix et la sécurité internationale, mais ne mentionne aucune entité ni enveloppe budgétaire au sein du Ministère dédiée à la promotion de la démocratie.
Le Comité croit que l’adoption d’une nouvelle approche canadienne en matière de développement démocratique nécessitera l’affectation de ressources exclusives au sein du gouvernement et le développement d’une expertise interne. Pour être exhaustive, cette approche doit être fondée sur un partenariat entre le gouvernement, la société civile et une nouvelle institution indépendante. Toutefois, le leadership politique peut seulement venir du gouvernement, qui doit établir l’orientation générale des initiatives canadiennes.
Recommandation 7
Qu’Affaires mondiales Canada crée une entité interne chargée d’élaborer et de mettre en œuvre une politique gouvernementale sur la gouvernance démocratique et de coordonner des initiatives avec ses partenaires, tant au Canada qu’à l’étranger.
Un partenariat revigoré avec la société civile
Les témoignages de CANADEM et du Centre parlementaire ont laissé entendre que le gouvernement du Canada a diminué considérablement l’aide accordée aux ONG canadiennes œuvrant dans le domaine du développement démocratique depuis 2007. Selon Paul LaRose-Edwards, « [l]e financement des efforts de promotion de la démocratie des ONG canadiennes, comme le Centre parlementaire et la CANADEM, a pratiquement été réduit à néant[84] » au cours de la dernière décennie. Cette affirmation semble toutefois exagérée au moins en ce qui concerne CANADEM si l’on se fie au financement qu’AMC a déclaré avoir versé à l’organisme, qui s’élève à 8,08 millions de dollars en 2018-2019 et qui se situe entre 1,99 et 3,72 millions de dollars pour chacune des quatre années précédentes[85].
Néanmoins, le Comité croit que l’approche qu’il propose nécessite une revitalisation de l’aide gouvernementale accordée aux organisations de la société civile qui font la promotion de la démocratie partout dans le monde. Comme Jean‑Paul Ruszkowski l’a précisé dans son témoignage, un tel financement devrait permettre des engagements à plus long terme, y compris du financement pour les opérations de base, afin d’offrir aux organisations de la société civile la stabilité nécessaire pour entreprendre les activités de longue haleine associées au développement démocratique. Tout comme Paul LaRose-Edwards, le Comité juge que les capacités existantes des organisations canadiennes de la société civile pourraient être mieux exploitées et même amplifiées.
Recommandation 8
Que l’approche canadienne renouvelée à l’égard de l’aide à la gouvernance démocratique favorise la participation de la société civile au moyen de partenariats avec le gouvernement du Canada et d’engagements financiers à long terme.
Une nouvelle institution canadienne de développement démocratique
Tout comme en 2007, le Comité croit que l’intérêt renouvelé du Canada pour le développement démocratique nécessite la création d’une nouvelle institution dédiée au développement démocratique. Cette institution serait complémentaire aux activités menées par les ministères gouvernementaux et les organisations canadiennes de la société civile et comblerait les lacunes entre les approches adoptées par chacun et le rôle qu’ils peuvent et doivent jouer. Selon le Comité, ce qui justifie le plus cette nouvelle institution est le témoignage d’organisations semblables basées à l’étranger. Le Comité a été impressionné par les témoignages faits par des organisations américaines, c’est-à-dire l’International Republican Institute, le National Democratic Institute et le National Endowment for Democracy, et l’organisation britannique Westminster Foundation for Democracy. Ensemble, ces organisations ont présenté des arguments convaincants en faveur d’une institution indépendante et appuyée par le gouvernement dédiée à la promotion de la démocratie dans le cadre d’une stratégie nationale globale de développement démocratique à l’échelle internationale.
Ces arguments sont fondés sur le fait que de telles institutions indépendantes sont les mieux placées pour aborder les questions sensibles sur le plan politique dans le cadre du développement démocratique. Christopher MacLennan a reconnu qu’il peut être difficile pour AMC d’aborder des questions politiques délicates dans le contexte des relations bilatérales élargies du Canada avec ses pays partenaires. Il a d’ailleurs affirmé ceci :
L’aide au développement démocratique diffère beaucoup des autres secteurs parce qu’elle met en jeu des aspects politiques. Dans le cadre de nos relations bilatérales, il est très facile pour un ministère d’offrir du soutien à un pays en développement, que ce soit pour mettre sur pied des bureaux de vérification ou pour lui fournir de l’aide à la formation de juges. Ce qui est beaucoup plus difficile, cependant, c’est d’offrir des choses hautement politiques, par exemple du soutien à des partis d’opposition et à des organisations[86].
Daniel Twining a tenu des propos semblables au sujet de l’International Republican Institute, soulignant que l’indépendance du gouvernement peut être bénéfique. Il a déclaré ceci :
Alors que vous étudiez [vos] structures institutionnelles, je dirais que ce qui nous a aidés, c’est cette distance [d’un ou deux] niveaux entre l’IRI, le NDI et le National Endowment for Democracy, et le gouvernement, le pouvoir exécutif et le Congrès.
Les gouvernements doivent trouver le juste équilibre dans leurs relations délicates avec la Russie, la Chine, l’Arabie saoudite, l’Iran, etc. […] Notre gouvernement appuie [notre travaille], mais de manière distante, afin de ne pas compliquer les relations diplomatiques de façon indue[87].
Ed Broadbent a quant à lui affirmé que, selon son expérience au sein de Droits et Démocratie, une institution qui reçoit du financement octroyé par le Parlement tout en étant indépendante du gouvernement peut atteindre un équilibre utile entre les initiatives menées exclusivement par le gouvernement ou par la société civile. Il a affirmé ceci :
[J’]aimerais souligner la structure unique, l’indépendance et l’importance que l’organisme Droits et Démocratie avait jusqu’à la fin de son existence. En étant indépendant du gouvernement, il a acquis de la crédibilité auprès des ONG internationales et des gouvernements étrangers. Parallèlement, puisque l’organisme a été créé par le gouvernement fédéral, que le président était nommé par le Conseil privé et qu’il bénéficiait du soutien institutionnel du ministère des Affaires étrangères, en tant que président, j’avais un meilleur accès aux chefs des gouvernements que la plupart des autres ONG internationales[88].
Une institution indépendante stimulerait aussi l’innovation politique dans l’approche plus vaste établie par le gouvernement. En équilibrant bien l’indépendance et la surveillance, la nouvelle institution de développement démocratique canadienne pourrait être un complément précieux à d’autres initiatives canadiennes. Une telle approche a déjà fait ses preuves ailleurs. En effet, le Centre de recherches pour le développement démocratique (CRDD), une société d’État dotée d’un mandat axé sur le développement international et d’un mandat axé sur la recherche et l’assistance technique, a démontré depuis des décennies qu’une institution indépendante sur le plan opérationnel peut être complémentaire aux initiatives de développement gouvernementales relatives aux objectifs canadiens en matière de politique étrangère[89].
De plus, des témoins ont affirmé qu’une approche canadienne au développement démocratique nécessite une institution dédiée à l’exploitation et à l’appui de l’expertise canadienne. À ce sujet, le Comité a appris que les Canadiens sont déjà bien représentés dans les organisations de développement démocratique à travers le monde. Comme l’a affirmé Thomas Axworthy, « nous avons une énorme capacité au Canada. Partout dans le monde, des Canadiens donnent des conseils sur des questions comme l’élaboration d’une charte des droits, le système judiciaire, le fédéralisme, le développement des partis. Tous les pays du monde, sauf le Canada, emploient des Canadiens pour s’occuper de ces questions. Nous n’avons pas réuni ces gens dans un organisme spécialisé afin qu’ils travaillent ensemble[90]. »
Le Comité croit fortement qu’une institution canadienne devrait regrouper des spécialistes canadiens du développement démocratique pour leur permettre d’améliorer leur expertise et de contribuer à la mise en œuvre d’une approche typiquement canadienne en matière de promotion de la démocratie. Tout au long de l’étude du Comité, des témoins ont mis l’accent sur le fait que le Canada a un point de vue important à offrir dans le domaine du développement démocratique. Celui-ci pourrait, selon le Comité, être diffusé plus largement, uniformément et efficacement si une institution autonome était dédiée à l’exploitation de ces valeurs, ces expériences et cette expertise en guise de complément aux efforts déployés par le gouvernement et la société civile.
Recommandation 9
Que le gouvernement du Canada établisse une nouvelle institution indépendante vouée au développement démocratique à l’échelle internationale dans le cadre d’une stratégie globale visant à faire progresser la démocratie dans le monde. Cette nouvelle institution doit être complémentaire aux initiatives du gouvernement et de la société civile, favoriser l’innovation, la recherche et les connaissances et réunir à un même endroit les spécialistes canadiens et les soutenir.
Recommandation 10
Que la nouvelle institution indépendante du Canada vouée au développement démocratique prévoie l’échange de pratiques exemplaires sur les mesures anticorruption en vue d’assurer la naissance et la longévité de régimes démocratiques sains.
Puisqu’il estime que des consultations avec les partis politiques canadiens et la société civile sont nécessaires, comme en témoigne la recommandation ci-dessous, le Comité ne croit pas que son rôle consiste à donner une orientation normative détaillée concernant la conception et le fonctionnement de cette nouvelle institution. Cependant, dans les sections suivantes, le Comité émet son opinion sur les paramètres généraux et les principales caractéristiques qui devraient la définir.
Appui de tous les partis et mobilisation de la société civile
Des témoins ont souligné que pour avoir une nouvelle institution efficace et durable à long terme et perçue comme étant légitime, elle doit détenir l’appui de tous les partis politiques fédéraux. Compte tenu de la nature politique des activités que l’institution mènerait à l’étranger, sa création ne peut pas être une source de controverse politique au Canada. Ed Broadbent a d’ailleurs affirmé que l’appui de tous les partis avait contribué au succès initial de Droits et Démocratie. Au sujet de sa nomination par le premier ministre de l’époque, Brian Mulroney, il a dit ceci :
Pour être bien honnête, j’ai eu des discussions avec M. Mulroney lorsqu’il a offert de me nommer président-fondateur. Pour des raisons que tout le monde comprendra, le conseil devait accepter que j’occupe ce poste. Il y a eu de très bonnes discussions franches au sujet des membres du conseil pour représenter, comme je l’ai dit, tous les partis. Et M. Mulroney, bien entendu, en tant que premier ministre et responsable de la loi, a donné son approbation d’emblée, comme l’a fait aussi son successeur, le gouvernement libéral de M. Chrétien.
Comme M. Broadbent l’a précisé, le soutien de tous les partis a été un facteur déterminant du succès de Droits et Démocratie[91].
Les témoignages d’institutions internationales de développement démocratique ont aussi souligné l’importance de compter sur un vaste soutien politique national en ce qui concerne la gouvernance et les méthodes de travail de l’institution. Aux États-Unis, le National Democratic Institute et l’International Republican Institute ont été fondés pour représenter les deux horizons politiques, sous l’égide bipartisane du National Endowment for Democracy. Au Royaume-Uni, la collaboration de tous les partis au travaille de la Westminster Foundation for Democracy a été assurée en réservant des sièges au conseil d’administration de l’institution à des représentants des partis politiques.
De plus, compte tenu de leur rôle en tant que partenaire de mise en œuvre et de leur expertise spécialisée, le Comité estime que le gouvernement devrait aussi consulter les groupes pertinents de la société civile canadienne pour déterminer les meilleurs moyens de représenter ce secteur dans la structure de la nouvelle institution et pour obtenir leurs commentaires sur sa conception et son mandat.
Recommandation 11
Que tous les partis politiques fédéraux et les organisations de la société civile concernées du Canada participent à la conception de la nouvelle institution de gouvernance démocratique proposée et à la réalisation de son mandat.
Indépendance du gouvernement
Tel qu’il a été mentionné précédemment, l’indépendance du gouvernement est essentielle pour justifier la création d’une nouvelle institution de développement démocratique. Le niveau de cette indépendance dépend toutefois de la structure adoptée. Plusieurs options sont possibles. D’un côté, le gouvernement pourrait mettre sur pied une ONG indépendante dotée de fonds suffisants pour fonctionner sur une base durable et autonome. Une telle approche maximiserait l’indépendance de la nouvelle institution, mais ne permettrait aucune surveillance gouvernementale ou harmonisation avec les politiques canadiennes officielles. Une autre possibilité serait d’adopter une approche semblable à celle des États-Unis, où des ONG indépendantes reçoivent du financement public annuel ou en fonction de projets. Cette approche prévoit une meilleure reddition de compte tout en permettant à l’institution de demeurer indépendante. Une approche canadienne serait plutôt de créer une nouvelle société d’État, qui, comme le Centre de recherches pour le développement international ou l’ancienne organisation Droits et Démocratie, serait indépendante dans ses activités quotidiennes, mais devrait rendre des comptes au Parlement par l’entremise d’un ministre désigné. Dans tous les scénarios proposés, cette indépendance permettrait à l’institution de recueillir des fonds auprès d’autres donateurs et de sources privées.
Peu importe le modèle choisi, le Comité croit que la nouvelle institution devrait atteindre un équilibre entre le besoin de responsabilisation et de transparence et le besoin d’indépendance. Pour y parvenir, le Comité estime que, compte tenu de la nécessité d’obtenir le soutien de tous les partis, la nouvelle institution devrait être tenue de faire rapport au Parlement. Cela permettrait au gouvernement de surveiller ses activités tout en faisant participer les parlementaires à ses travaux.
Recommandation 12
Que, le gouvernement du Canada exige que la nouvelle institution canadienne de développement démocratique fasse rapport au Parlement sur une base annuelle pour vérifier qu’elle tient compte à la fois du besoin d’indépendance et du besoin de transparence et de contrôle.
Organisme de financement ou organisme de mise en œuvre de projets
Il existe deux modèles de fonctionnement généraux pour la nouvelle institution canadienne. L’un serait que la nouvelle institution accorde des subventions, comme le National Endowment for Democracy ou le Fonds des Nations Unies pour la démocratie, afin de financer des projets exécutés par d’autres organisations à travers le monde, y compris des groupes locaux dans les pays partenaires et d’autres organismes canadiens et internationaux. L’autre modèle serait de mettre en œuvre des projets directement sur le terrain en collaboration avec des partenaires locaux, comme le font le National Democratic Institute et la Westminster Foundation for Democracy.
Des témoins ont affirmé que chaque approche a ses avantages. Dans son témoignage, Carl Gershman a affirmé que l’approche fondée sur les subventions du National Endowment for Democracy lui permet d’« agir rapidement, souplement et efficacement en fournissant une aide essentielle aux activistes qui œuvrent dans des conditions très difficiles[92] ». Christian Lamarre a souligné la rentabilité d’une approche fondée sur les subventions dans son témoignage, affirmant que le Fonds des Nations Unies pour la démocratie repose sur une équipe de sept personnes[93].
L’autre façon de faire met l’accent sur les connaissances qui ne peuvent être acquises qu’en travaillant directement sur le terrain dans les pays partenaires. Derek Mitchell a dit que « [l]e NDI a plus de 50 bureaux partout dans le monde » qui lui donnent « l’occasion unique d’utiliser [qu’il sait] au sujet du contexte sur le terrain et ensuite d’envoyer ces renseignements par l’entremise de Washington[94] ». Thomas Axworthy a aussi présenté un raisonnement semblable lorsqu’il a affirmé que la nouvelle institution canadienne devrait ouvrir des bureaux locaux dans les pays partenaires clés. Il a d’ailleurs ajouté ceci : « L’un des principaux attributs devrait être le travail à l’échelle locale. Il est impossible de faire marcher la démocratie s’il y a un roulement incessant d’experts-conseils. Il faut vraiment des gens sur le terrain[95]. »
En pratique, la nouvelle institution canadienne de développement démocratique pourrait adopter une combinaison de ces deux approches, c’est-à-dire accorder des subventions dans certains cas et participer directement à la mise en œuvre des projets dans d’autres. Le Comité croit que la nouvelle institution devrait avoir l’indépendance requise pour déterminer la meilleure stratégie pour mettre en œuvre une approche canadienne de développement démocratique. Par conséquent, elle devrait être autorisée à mettre en œuvre des projets sur le terrain et à collaborer directement avec les partenaires locaux.
Recommandation 13
Que, lors de l'établissement de la nouvelle institution canadienne de développement démocratique, le gouvernement du Canada s’assure que l’institution est autorisée à travailler directement avec les acteurs locaux dans ses pays partenaires.
Gouvernance
Des témoins ont aussi affirmé que le processus de composition et les critères de sélection de l’équipe de direction et d’autres postes supérieurs de la nouvelle institution constituent des facteurs importants qui détermineront t l’orientation de la nouvelle institution. La Westminster Foundation for Democracy et le National Endowment for Democracy sont deux exemples d’approches opposées[96]. Anthony Smith a affirmé que le conseil d’administration de la Westminster Foundation for Democracy est nommé par le gouvernement britannique et que six sièges sur dix sont réservés à des membres de partis politiques britanniques (qui peuvent être des parlementaires en poste ou non).
Carl Gershman a pour sa part présenté l’approche préconisée par le National Endowment for Democracy, dans laquelle le gouvernement ne joue aucun rôle dans la sélection des membres du conseil d’administration privé. Même s’il s’agit d’une organisation privée, le National Endowment for Democracy tient compte du changement de leadership politique au gouvernement américain, car le président de l’organisation doit être issu du parti au pouvoir. Comme M. Gershman l’a précisé, « [c]'est la seule chose qui change; la composition du conseil demeure la même. Nos politiques ne changent pas. Nous nous adaptons au contexte mondial, à ce qui se passe sur la scène internationale, et nous sommes en mesure d’adopter une politique cohérente à long terme. » Il a ajouté qu’il existe au sein du National Endowment for Democracy « une sorte d’équilibre bipartite et même une sorte d’équilibre entre le personnel et les dirigeants », un aspect qu’il juge « absolument essentiel[97] ».
Ed Broadbent a recommandé que le conseil d’administration régissant l’institution canadienne comprenne des représentants de tous les côtés de l’échiquier politique canadien et que les nominations soient effectuées au terme de véritables consultations avec les partis de l’opposition, même si la décision ultime revient au gouvernement[98]. Il a aussi recommandé que jusqu’au quart des sièges du conseil soient réservés à des non-Canadiens provenant des pays partenaires de l’institution. Cette suggestion a d’ailleurs été appuyée par Jacqueline O’Neill[99].
Peu importe la structure et les procédures adoptées, le Comité croit que la gouvernance de la nouvelle institution devrait être transparente et représenter l’ensemble de l’échiquier politique canadien et le domaine du développement démocratique.
Recommandation 14
Que, lors de l'établissement de la nouvelle institution canadienne de développement démocratique, le gouvernement du Canada s’assure que la structure de gouvernance de l’institution est dotée d’un processus transparent de sélection de ses dirigeants qui comprend des véritables consultations avec tous les partis politiques.
Aide financière au développement démocratique
Comme il a été démontré dans les sections précédentes, le Comité croit que le Canada doit adopter une approche plus ambitieuse et stratégique en matière de développement démocratique. Cette approche doit aussi refléter les valeurs canadiennes et les contributions que le Canada peut apporter quand il s’agit d’appuyer le modèle de gouvernance qui lui a permis d’avoir un succès durable. Pour y parvenir, il faut établir une politique plus cohérente fondée sur les structures institutionnelles pour la mettre en œuvre. Cette approche doit aussi être assortie d’engagements financiers à la hauteur de sa vision ambitieuse.
Heureusement, l’approche progressive à long terme requise pour un développement démocratique efficace ne nécessite pas de « gros boums » au chapitre des augmentations budgétaires, comme l’a affirmé Paul LaRose-Edwards[100]. Tel qu’il a été mentionné précédemment, Anthony Smith a souligné que « [l]a démocratie a besoin de ressources modestes, mais d’énormément de patience[101] ». Cela était notamment évident dans le témoignage de M. LaRose-Edwards, qui a demandé une augmentation du financement prévisible et à long terme.
Un appui financier accru envers le développement démocratique ne devrait pas être interprété comme un affaiblissement de la Politique d’aide internationale féministe du Canada ou comme faisant concurrence à cette politique. Comme des témoins l’ont précisé, le Canada est déjà bien placé pour jouer un rôle de chef de file en matière d’autonomisation politique des femmes. Continuer de jouer ce rôle tout en mettant en place un cadre renouvelé de politiques de développement démocratique serait tout à fait cohérent avec les politiques du gouvernement dans d’autres secteurs.
Le montant des nouveaux fonds requis pour la nouvelle institution canadienne de développement démocratique dépendra de l’étendue des activités envisagées et de la portée de son mandat. Il existe un large éventail de possibilités. L’ancienne organisation Droits et Démocratie pouvait par exemple compter sur un budget annuel d’environ 10 millions de dollars[102]. Dans son mémoire, Thomas Axworthy a parlé d’un comité consultatif qu’il a présidé en 2009 et qui s’est penché sur l’établissement éventuel d’une institution canadienne de développement démocratique. Le comité consultatif avait recommandé l’établissement d’une nouvelle institution dotée d’un budget de 30 à 70 millions de dollars[103]. En 2017-2018, le financement du Centre de recherches pour le développement international, une société d’État dotée d’un mandat international plus large en matière de développement international, s’élevait à environ 200 millions de dollars, dont 140 millions de dollars provenaient de crédits parlementaires[104]. Chacun de ces exemples peut servir de modèle pour déterminer l’étendue des activités de la nouvelle institution de développement démocratique.
Peu importe les décisions prises relativement à la nouvelle institution, le Comité croit qu’une stratégie efficace de développement démocratique nécessite un engagement financier équivalent à l’ambition de son mandat.
Recommandation 15
Que le gouvernement du Canada accorde une nouvelle aide financière supplémentaire au développement prévisible et à long terme pour appuyer des initiatives de développement démocratique à un niveau qui permettrait d’atteindre les recommandations énoncées dans le présent rapport.
Conclusion
Douze ans après avoir conclu que le Canada devait augmenter son aide au développement démocratique à l’échelle internationale, le Comité arrive à la même conclusion, qui est toutefois accompagnée d’un sentiment accru d’urgence et de détermination. La participation au développement démocratique permet au Canada d’appuyer des partenaires ayant des vues similaires, peu importe s’il s’agit d’un gouvernement, d’un parlement, d’une institution, d’une organisation ou d’un individu, et de faire avancer ses objectifs en matière de politique étrangère qui consistent à rendre le monde, dans la mesure du possible, un endroit paisible, juste, prospère, inclusif et favorisant la dignité. Il ne fait aucun doute pour le Comité que le Canada peut apporter des contributions importantes à l’avancement et au renforcement de la démocratie à travers le monde. Il doit seulement avoir l’audace de le faire et l’humilité de reconnaître les difficultés connexes, sans déroger à ses objectifs.
Même si ses conclusions sont semblables à celles de 2007, le Comité reconnaît que beaucoup de choses ont changé depuis. L’environnement politique mondial est devenu plus tendu, et la démocratie est exposée à des menaces et à des pressions pour la plupart insoupçonnées il y a une dizaine d’années. Le domaine du développement démocratique a aussi changé, les spécialistes s’étant adaptés aux pratiques exemplaires et à l’évolution de l’état de la démocratie à travers le monde, dont ils ont également tiré des lessons. Le Comité estime que les observations et les recommandations formulées dans le présent rapport reflètent la situation mondiale en 2019.
Le développement démocratique demeure motivé par la simple idée d’aider tous les citoyens à prendre part aux décisions qui affectent leurs vies. Pour y parvenir, il faut adopter une approche complexe et nuancée qui reconnaît que la démocratie concerne autant des valeurs et des personnes que des institutions, et que chaque pays est défini par des caractéristiques uniques. L’aide canadienne accordée à la démocratie à l’étranger doit continuer d’évoluer au même titre que la démocratie canadienne.
La mise en pratique d’une ambitieuse stratégie canadienne de développement démocratique nécessite une politique exhaustive et claire fondée sur les données probantes recueillies par les spécialistes qui travaillent dans ce domaine. Une fois en place, cette politique doit être appuyée par des structures institutionnelles qui sont en mesure de l’appliquer. Le Comité croit, tout comme il le croyait en 2007, que ces structures devraient inclure une institution canadienne indépendante dédiée au développement de la démocratie à l’échelle internationale. Une telle institution serait un outil de politique important et complémentaire pour la mise en d’une œuvre une approche typiquement canadienne de développement démocratique et réunirait des spécialistes canadiens dédiés dont le leadership est déjà reconnu à travers le monde.
[1] Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes [FAAE], Renforcer le rôle du Canada dans le soutien international au développement démocratique, 1re session, 39e législature, juillet 2007.
[2] FAAE, Procès-verbal, 1re session, 42e législature, 10 décembre 2018.
[3] Freedom House, Freedom in the World 2019: Democracy in Retreat [disponible en anglais seulement].
[4] FAAE, 2007.
[5] FAAE, 2007, p. 29.
[6] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019.
[7] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 28 février 2019.
[8] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 février 2019.
[9] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019.
[10] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019.
[11] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019.
[12] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 février 2019.
[13] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019.
[14] Assemblée générale des Nations Unies, Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030, A/RES/70/1, 25 septembre 2015.
[15] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 février 2019.
[16] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019.
[17] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019.
[18] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019.
[19] Ibid.
[20] Ibid.
[21] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019.
[22] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 février 2019.
[23] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019.
[24] Ibid.
[25] Ibid.
[26] Ibid.
[27] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 28 février 2019. Voir Transparency International, How Corruption Weakens Democracy [disponible en anglais seulement].
[28] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019.
[29] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019.
[30] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019.
[31] Ibid.
[32] Loi sur le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, L.R.C. (1985), ch. 54 (4e suppl). La décision du gouvernement de créer le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique découle en partie du travail réalisé par le Comité mixte spécial sur les relations extérieures du Canada et du Comité, alors appelé Comité permanent des affaires étrangères et du commerce extérieur, dans des rapports qui recommandaient de mettre davantage l’accent sur le développement des droits politiques et des droits de la personne en créant notamment une institution indépendante. Voir le rapport du Comité mixte spécial sur les relations extérieures du Canada intitulé Indépendance et internationalisme : Rapport du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur les relations extérieures du Canada, 33e législature, 1re session, 1986 et le rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international intitulé Qui doit en profiter? : Rapport sur les politiques et programmes du Canada en matière d’aide publique au développement, Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international, 33e législature, 2e session, 1987.
[33] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 février 2019.
[34] Agence canadienne de développement international (ACDI), Politique du gouvernement canadien pour l’ACDI en matière de droits de la personne, de démocratisation et de bon gouvernement (DPDG), 1996.
[35] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019.
[36] FAAE, 2007.
[37] ACDI, Rapport ministériel sur le rendement, 2008.
[38] FAAE, 2007.
[39] Correspondance d’Affaires mondiales Canada en réponse à la lettre datée du 20 février 2019 envoyée par le président du FAAE, Michael Levitt, à la ministre du Développement international, Maryam Monsef (Lettre d’AMC, 2019).
[40] CBCNews, « Troubled Rights and Democracy agency to be closed », 3 avril 2012 [disponible en anglais seulement].
[41] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019.
[42] Gouvernement du Canada, Politique d’aide internationale féministe du Canada. Les cinq autres champs d’action sont les suivants : l’égalité des genres et le renforcement du pouvoir des femmes et des filles, la dignité humaine, la croissance au service de tous, l’environnement et l’action pour le climat, et la paix et la sécurité.
[43] Ibid.
[44] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019.
[45] Dans son mémoire, AMC a souligné que le total des dépenses de 2017‑2018 est provisoire. Lettre d’AMC, 2019. En vertu de la Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement officielle, L.C. 2008, ch. 17, le ministre du Développement international est tenu de publier « un rapport statistique sur l’octroi d’aide au développement officielle dans un délai d’un an suivant la fin de chaque exercice ». Voici le plus récent rapport statistique d’AMC : Rapport statistique sur l’aide internationale : Exercice 2017-2018.
[46] Ces secteurs s’inspirent des listes dressées par le Comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques. Voir OCDE, Listes des codes du CAD et SNPC.
[47] Lettre d’AMC, 2019.
[48] Les cinq mécanismes de financement sont les suivants : Programmes géographiques; Enjeux mondiaux et développement (aide aux institutions multilatérales); Sécurité internationale; Partenariats pour l’innovation dans le développement (aide à la société civile canadienne); Politique stratégique et Sommets. Vous trouverez la description de ces mécanismes dans le Glossaire du Rapport statistique sur l’aide internationale : Exercice 2017-2018 d’AMC.
[49] Lettre d’AMC, 2019.
[50] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019.
[51] Gouvernement du Canada, Rapport au Parlement sur l’aide au développement officielle du gouvernement du Canada 2017‑2018.
[52] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 28 février 2019.
[53] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019.
[54] Ibid.
[55] Dans son mémoire, AMC a fourni des totaux différents de ceux publiés dans ses rapports statistiques annuels. Dans un échange de courriels subséquent, le Ministère a expliqué que ces écarts étaient dus aux changements apportés à la liste des secteurs pendant la période visée et à la réaffectation des fonds entre les secteurs après la publication des rapports. Par souci de transparence et afin de pouvoir examiner les données sur une longue période, seuls les chiffres publiés par AMC (et ses prédécesseurs) dans ses rapports statistiques annuels sont utilisés dans ce paragraphe et les graphiques qui suivent. Les légers écarts observés entre les deux sources dans les totaux n’ont pas d’incidence sur la tendance générale que révèlent les données présentées.
[56] Les six secteurs sont les mêmes que ceux énumérés au paragraphe 48 : Développement des services légaux et judiciaires; Participation démocratique et société civile; Élections; Assemblées législatives et partis politiques; Médias et liberté de l’information; Droits de la personne.
[59] Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada (MEACD), Rapport statistique sur l’aide internationale : Année financière 2012-2013; MAECD, Rapport statistique sur l’aide internationale : Exercice 2013‑2014.
[60] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019.
[61] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019.
[62] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019.
[63] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 février 2019.
[64] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019.
[65] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019.
[66] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 février 2019.
[67] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019.
[68] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 février 2019.
[69] Ibid.
[70] Gabrielle Bardall, Une approche féministe à l’appui de la démocratie internationale : Contribution du Canada, mémoire présenté à FAAE, 22 février 2019 (Bardall, 2019).
[71] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019.
[72] Ibid.
[73] Ibid.
[74] Ibid.
[75] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019.
[76] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 28 février 2019.
[77] Ibid.
[78] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 février 2019.
[79] Bardall, 2019.
[80] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019.
[81] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019.
[82] Ibid.
[83] Affaires mondiales Canada, Rapport sur les résultats ministériels 2017-2018; Affaires mondiales Canada, Plan ministériel 2019-2020.
[84] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 28 février 2019.
[85] Lettre d’AMC, 2019.
[86] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019.
[87] Ibid.
[88] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 février 2019.
[89] Voir le témoignage d’Arjan de Haan, directeur, Économies inclusives, Centre de recherches pour le développement international, FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019.
[90] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019.
[91] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 février 2019.
[92] Ibid.
[93] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 28 février 2019.
[94] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 5 février 2019.
[95] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 7 février 2019.
[96] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 février 2019.
[97] Ibid.
[98] Ibid.
[99] La loi habilitante d’une société d’État canadienne existante, le Centre de recherches pour le développement international, exige que la majorité de ses gouverneurs soient des citoyens canadiens et autorise deux parlementaires en poste à occuper des postes de gouverneur. Voir la Loi sur le Centre de recherches pour le développement international, L.R.C., 1985, ch. I-19.
[100] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 28 février 2019.
[101] FAAE, Témoignages, 1re session, 42e législature, 19 février 2019.
[102] Voir par exemple le Rapport annuel 2009-2010 : Partenaires d'abord du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique.
[103] Thomas S. Axworthy, Maintenant plus que jamais : raisons pour lesquelles le Canada doit promouvoir la démocratie et les droits de la personne à l’étranger, mémoire présenté au FAAE, 7 février 2019.
[104] Centre de recherches pour le développement international, Rapport annuel 2017-2018.