Passer au contenu

INAN Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PDF

Les défis associés aux soins continus dans les collectivités des Premières Nations

Rapport dissident du Nouveau Parti démocratique (NPD)

Le NPD est plutôt d’accord avec les recommandations de l’étude, mais des lacunes graves dans le rapport l’amènent à présenter un rapport dissident. Les principaux problèmes sont les suivants : le manque de temps pour mener l’étude complète que réclamait la motion, et le manque de reconnaissance de la forte volonté que l’esprit du principe de Jordan soit mis en œuvre.

Reconnaissances des problèmes généraux liés à l’étude

La motion originale concernant cette étude était formulée comme suit :

  • Il est convenu, — Que, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, le Comité entreprenne une étude complète des soins de longue durée dans les réserves; que la portée de l’étude comprenne, sans s’y limiter, les soins aux aînés, les personnes atteintes de maladies chroniques, les soins palliatifs ainsi que les pratiques et programmes pertinents sur le plan culturel; que la liste des témoins comprenne des représentants des communautés des Premières Nations, des organismes des Premières Nations chargés de la prestation de services de soins de longue durée, et des groupes et organismes liés à la prestation de services; que le Comité fasse rapport de ses conclusions à la Chambre.

La motion indique clairement que l’étude aurait dû être « complète ». Toutefois, la durée de l’étude était beaucoup trop courte pour que le Comité étudie en profondeur la question des soins de longue durée et des autres besoins et services des Premières Nations en matière de soins de santé. De plus, la Chambre des communes n’avait jamais mené d’étude sur ce sujet auparavant, ce qui fait qu’il était encore plus important que beaucoup de temps y soit consacré. Cela ne s’est tout simplement pas produit parce que seulement huit réunions ont été consacrées à la comparution de témoins dans le cadre de l’étude. De fait, l’étude s’est échelonnée de la fin du mois de mai au début du mois d’octobre, avec une longue pause pendant la période estivale (qui représentait deux mois et demi de l’ensemble de la période de l’étude). Pour atteindre l’ensemble des objectifs fixés dans la motion, il aurait fallu que l’étude soit plus longue et plus complète. D’ailleurs, le 14 juin, lorsqu’on lui a demandé si elle croyait que l’étude devrait être prolongée, voici ce que Tania Dick a répondu au Comité :

  • « C'est une affaire complexe, surtout s'il faut l'examiner dans une optique de réconciliation et compte tenu des traumatismes que les peuples autochtones et les survivants des pensionnats indiens ont subis. Nous avons désespérément besoin de cette étude parce que notre accès aux services est insuffisant, qu'il s'agisse de soins palliatifs, de gestion de maladies chroniques ou de soins aigus, et ce n'est pas par choix, c'est plutôt parce que les systèmes existants n'assurent pas cet accès. Nous devons voir les choses sous les deux angles.
  • Si nous n'allons pas au fond des choses, si nous n'engageons pas une discussion complète, nous n'aurons pas l'impact nécessaire et ne réussirons pas à susciter l'action dont nos collectivités ont besoin partout dans le pays. Nous devons aller fouiller en profondeur. Je crois qu'une vaste discussion est absolument indispensable si nous voulons influencer la qualité de vie de la génération présente et des générations suivantes. »

La courte durée de l’étude n’a pas laissé assez de temps au Comité pour étudier les sujets suivants : les maladies chroniques, les soins palliatifs, les soins aux aînés, ainsi que les pratiques et programmes pertinents sur le plan culturel. De plus, il n’a pas été possible d’étudier adéquatement la démence ou les réponses régionales, alors que presque tous ces enjeux étaient expressément énoncés dans la motion originale.

La recommandation du rapport dissident du NPD

  • 1. Que Services aux Autochtones Canada collabore avec les Premières Nations pour établir et élargir le principe de Jordan aux soins continus à l’intérieur et à l’extérieur des réserves et l’appliquer à l’ensemble des membres des Premières Nations.

En quoi consiste le principe de Jordan?

Voici la définition du principe de Jordan énoncée par le Tribunal canadien des droits de la personne (TCDP) :

  • « Le principe de Jordan […] veut que dans les cas où un service gouvernemental est offert à tous les autres enfants, mais qu'un conflit de compétence surgit entre le Canada et une province ou un territoire ou encore entre différents ministères concernant les services fournis à l'enfant d'une Première Nation, le premier ministère contacté est celui qui paie pour les services et peut demander un remboursement à l'autre ministère ou gouvernement, une fois que l'enfant a reçu lesdits services. Ce principe de l'enfant d'abord a pour but d'empêcher que des enfants des Premières Nations se voient refuser des services publics essentiels ou tardent à recevoir de tels services. »

Il est donc possible de résumer le principe de Jordan ainsi : un système de soins qui accorde la priorité aux besoins des personnes qui désirent obtenir des soins. Comme Tania Dick l’a indiqué au Comité le 14 juin :

  • « On trouve une importante leçon dans l'esprit ou le fondement du principe de Jordan. Débarrassons-nous des frontières et donnons les soins nécessaires plutôt que de renvoyer des gens chez eux ou de les négliger. Nous nous occuperons des détails plus tard. »

Établir un lien entre le principe de Jordan et les déterminants sociaux de la santé

Le principe de Jordan existe essentiellement pour contribuer à atténuer les vulnérabilités auxquelles sont confrontés les membres des Premières Nations. Cette vulnérabilité découle de nombreux aspects de la vie comme le logement, l’emploi, les soins de santé, la santé mentale, l’alimentation et la sécurité. La nature défavorable de ces déterminants sociaux de la santé fait en sorte que la santé des membres des Premières Nations peut se détériorer considérablement à tout âge, ce qui signifie qu’une grande vulnérabilité est présente non seulement chez les enfants des Premières Nations, mais souvent tout au long de la vie. De plus, pour les enfants qui ont besoin de soins continus, ces services essentiels peuvent cesser lorsqu’ils atteignent l’âge de dix-huit ans, ce qui peut faire en sorte qu’ils se retrouvent dans un vide en matière de compétence.

Il faut donc élargir l’application du principe de Jordan afin d’inclure tous les membres des Premières Nations, de manière à atténuer les vulnérabilités et à éviter que des membres des Premières Nations de tous âges ne soient oubliés par le système et se retrouvent dans des circonstances critiques.

Le témoignage du grand chef adjoint Derek Fox du 7 juin le démontre :

  • « [On] parlait tout à l’heure des déterminants sociaux de la santé, et je dirais qu'ils sont à l'origine de nos problèmes dans 90 % des cas. On parle d'éducation, d'infrastructures et de problèmes sociaux. Les lacunes à ces différents niveaux entraînent des problèmes de santé aussi bien pour les jeunes que pour les aînés et l'ensemble de notre population. »

De même, le 26 septembre, Sharon Rudderham a indiqué ceci :

  • « Prenez par exemple les enfants handicapés; que leur arrivera-t-il lorsqu'ils atteindront l'âge de 18 ans? Si le principe de Jordan fait en sorte que des familles reçoivent une aide considérable découlant de la compétence en matière de prestation de soins, que se passera-t-il lorsque ces enfants atteindront l'âge auquel le principe ne s'appliquera plus? Qui sera responsable? »

Il est particulièrement important d’élargir le principe de Jordan pour les membres des Premières Nations qui vivent dans des régions rurales et éloignées où il n’y a pas de services de transport, d’infrastructures et de soutien adéquat pour accéder à des services de soins de santé à proximité.

C’est ce que démontre le témoignage de Jeff Anderson du 5 juin :

  • «La réalité, c'est que de nombreux membres des Premières Nations n'ont pas de voiture et qu'il leur est parfois impossible de faire deux ou trois heures de route, encore moins neuf heures, pour voir les membres de leur famille. J'ai appris, en m'entretenant avec cette personne, qu'elle n'avait pas vu sa propre mère depuis deux ans et demi et celle-ci se trouve dans la région. Imaginez lorsque les gens se trouvent à l'extérieur de la région. »

Appliquer l’optique de la réconciliation au principe de Jordan

Il est également nécessaire d’élargir l’application du principe de Jordan du point de vue de la réconciliation. De nombreux membres des Premières Nations évitent déjà farouchement d’avoir recours aux services de soins de santé en raison des traumatismes qu’ils ont vécus dans les pensionnats et lors de leurs interactions avec la société et les institutions non autochtones. Le fouillis juridictionnel qui prévaut actuellement ne fait que confirmer leur sentiment d’isolement et d’abandon. Or, lorsque des membres des Premières Nations se voient refuser des services, ils sont encore moins susceptibles d’y retourner, même si ceux-ci sont essentiels pour leur santé et leur bien-être.

Par conséquent, pour véritablement commencer à remplir nos obligations en matière de réconciliation, nous devons appliquer le principe de Jordan à l’ensemble des membres des Premières Nations. S’ils ont plus facilement accès aux services et qu’ils sont moins confrontés à des formalités administratives et à des refus de service, les membres des Premières Nations pourront commencer à se sentir plus en sécurité, tant en ce qui concerne l’accès aux soins de santé qu’en ce qui concerne la place qu’ils occupent au sein de la société canadienne dans son ensemble.

C’est ce qu’a confirmé le chef Edmund Bellegarde au Comité le 7 juin :

  • « C'est cette aversion, ce scepticisme ou la crainte de nos gens à l'égard des institutions; c'est l'accès. Certaines statistiques ne rendent pas compte de toutes les personnes qui passent à travers les mailles du filet du partage des compétences, parce que le système est rendu excessivement compliqué par l'excès de procédures, de politiques et de paperasse, et beaucoup ne reçoivent pas l'aide ou les orientations nécessaires. Entre la réserve et l'extérieur, particulièrement dans les communautés plus au sud où le mode de vie nomade est très répandu, voilà les défis. On les perd, faute de savoir de quelle administration — fédérale, provinciale — ils relèvent. »

Les appels à l’action de la Commission de vérité et de réconciliation confirment qu’il est important d’élargir le principe de Jordan pour favoriser la réconciliation. Voici ce qu’indique l’appel à l’action 20, sous la catégorie « Santé » :

  • « Afin de régler les conflits liés à la compétence en ce qui a trait aux Autochtones vivant à l’extérieur des réserves, nous demandons au gouvernement fédéral de reconnaître les besoins distincts en matière de santé des Métis, des Inuit et des Autochtones hors réserve, de respecter ces besoins et d’y répondre ».

Autres déclarations qui appuient notre recommandation et qui sont tirées des témoignages :

Grand chef adjoint Derek Fox, 7 juin : « Comme je l'ai indiqué précédemment, nous avons 32 collectivités isolées sur un total de 49. Vous voulez savoir quelles sont les conditions de vie. Mike parlait tout à l'heure des déterminants sociaux de la santé, et je dirais qu'ils sont à l'origine de nos problèmes dans 90 % des cas. On parle d'éducation, d'infrastructures et de problèmes sociaux. Les lacunes à ces différents niveaux entraînent des problèmes de santé aussi bien pour les jeunes que pour les aînés et l'ensemble de notre population. »

Tania Dick, 14 juin : « J'appartiens à la première génération qui a suivi les pensionnats indiens. Le traumatisme intergénérationnel existe bel et bien. Ce que j'ai ressenti d'une façon générale, c'est que les gens n'ont plus confiance. Ils craignent beaucoup de choses et ont certainement de la difficulté à accéder aux services ou à se faire admettre dans les établissements. Je suis sûre que cela les affecte. Ils essaient dans la mesure du possible de les éviter, de sorte que leur état devient critique. Nous devons alors intervenir pour essayer de les réanimer ou de les remettre sur pied pour qu'ils puissent continuer à vivre en sécurité. »

Grand chef Constant Awashish, 1er octobre : « Nous accusons un retard d'environ 60 à 70 ans sur le plan du développement socioéconomique. Comment allons-nous régler ce problème? Il y a ici autour de la table des gens très intelligents, alors je suis certain que nous pouvons trouver une bonne solution pour l'avenir. Comme je l'ai dit, chaque fois que je m'adresse à des organismes ou à des participants à une conférence, je dis toujours que nous ne voulons plus être un fardeau. Nous voulons être en mesure de contribuer à l'émergence de la société. Nous voulons nous sentir bien et avoir un sentiment d'appartenance à la société afin que nous puissions contribuer à la protection des terres et à la protection de notre pays. Ce n'est pas paradoxal d'être souverains au sein d'un État. »

Conclusion

Le rapport comporte d’importantes lacunes parce que les membres n’ont pas eu assez de temps pour étudier l’ensemble des éléments contenus dans la motion. Compte tenu de ces lacunes, le NPD craint que les recommandations formulées dans l’étude ne soient pas aussi complètes qu’elles devraient l’être. Il est préoccupant que de nombreux témoignages sur le principe de Jordan aient été exclus. Un élément est au cœur de ce principe : la nécessité d’accorder la priorité aux personnes plutôt qu’aux compétences. Alors que des aînés et des personnes âgées glissent entre les mailles du système, il est primordial de faire preuve d’humanité. En mettant cela de côté et en maintenant un système défaillant, nous faisons en sorte que le cycle de souffrance des familles se perpétue.