:
Monsieur le Président, j'invoque le paragraphe 48(2) du Règlement pour soulever une question de privilège dont j'ai donné préavis ce matin, conformément au Règlement.
Je vous demanderais, monsieur le Président, après mes brèves observations, de conclure de prime abord qu'il y a matière à question de privilège et de renvoyer le dossier immédiatement au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes en raison de l'importance du facteur temps dans cette affaire.
L'atteinte à mon privilège parlementaire touche à la fois mes droits en tant que député et mes droits en tant que ministre des Affaires étrangères du cabinet fantôme. Je vais en outre expliquer pourquoi, à mon avis, il y a également atteinte collective aux droits de tous les députés de la Chambre des communes. Comme vous le savez, monsieur le Président, tous les députés ont des droits individuels, indépendamment du côté où ils siègent, de même que des droits collectifs qui s'appliquent aux 338 députés, y compris vous-même. Ces droits sont prévus par la Loi constitutionnelle de 1867, de même que par le Règlement de la Chambre et des décisions rendues par la présidence sur plusieurs décennies.
Je vais mentionner la plus récente décision pertinente dans le contexte de la présente demande. Au coeur de la question du privilège parlementaire d'un député, il y a son droit de pouvoir délibérer, débattre, légiférer et, surtout, dans le cas des députés de l'opposition, de demander des comptes au gouvernement. Ce privilège est au coeur de la démocratie parlementaire et on y a porté atteinte. Tout ce qui nuit à ma capacité de remplir mes fonctions est une atteinte à mon privilège.
Plus précisément, cette atteinte a été mise en lumière hier par le , qui a reconnu que de l'information confidentielle se rapportant au voyage du en Inde a été transmise à des membres de la tribune de la presse, qui ne siègent pas en cette enceinte, mais qui peuvent l'observer à distance. Or, cette information ne m'est pas transmise, comme député.
Qui plus est, nous ne pouvons pas interroger le conseiller pour la sécurité nationale, M. Jean, qui a communiqué cette information aux membres de la tribune de la presse. Il ne peut pas comparaître devant un comité de la Chambre des communes ou de la Chambre haute, ce qui nuit aussi à notre capacité de remplir nos obligations comme députés et de veiller à ce que le gouvernement rende des comptes.
Si j'en parle, c'est parce que, hier, le a laissé entendre à de nombreux journalistes, y compris un de ceux que le conseiller en matière de sécurité nationale avait rencontrés, que ce dernier pouvait leur communiquer des renseignements jugés confidentiels. Or, le ministre de la Sécurité publique n'a jamais voulu communiquer ces renseignements aux députés. En soi, ce fait permet de penser à première vue qu'il y a eu atteinte au privilège dont je jouis à titre de député.
Comme je l'ai dit, depuis la Confédération, de nombreux Présidents ont déjà reconnu ces droits. L'impossibilité d'être informé m'empêche d'exercer ma liberté d'expression et d'avoir librement accès à l'information dont j'ai besoin pour participer aux débats.
Les députés ont aussi un autre droit essentiel: le droit à ce que rien n'entrave l'exercice de leurs fonctions. Moi qui, en plus d'être député, ai de l'expérience en matière de défense, de sécurité, ce genre de choses, j'ai aussi le devoir de demander des comptes à la en ce qui concerne le rôle que joue le Canada dans le monde et ses fonctions diplomatiques.
Au cours de la semaine, la Chambre a dû se pencher sur le plus grave incident diplomatique que le Canada a connu depuis une génération. Hier, le a confirmé certains renseignements qui se rapportent au gouvernement, notamment les affirmations du selon lesquelles le gouvernement indien, l'un de nos partenaires, aurait joué un rôle dans cette crise. Je rappelle les circonstances de cette crise diplomatique qu'on appelle maintenant « l'affaire Atwal »: un homme ayant déjà été reconnu coupable de tentative de meurtre contre un parlementaire indien en territoire canadien a été invité à des activités officielles auxquelles participait le premier ministre. Cette crise concerne donc les affaires étrangères.
Hier, le ministre a confirmé que de l'information au sujet de l'argument invoqué par le pour sa défense devant la Chambre a été transmise à des membres de la tribune de la presse. Or, le gouvernement n'était pas sans savoir que ceux-ci allaient publier l'information dans leurs journaux, sur Internet ou à la télévision. Comment peut-il prétendre qu'il s'agit d'une information confidentielle? Le gouvernement refuse pourtant de me fournir cette information, alors que je suis un parlementaire et qu'à ce titre, j'ai la responsabilité de demander des comptes aux libéraux. C'est renversant et c'est bien pire que l'affaire sur laquelle le Président Milliken a rendu la décision dont je vais reparler dans un instant. C'est non seulement une violation à bien des égards de mes privilèges de député, mais aussi une violation de nos droits collectifs.
Je suis certain que les députés libéraux n'ayant pas participé à ce voyage en Inde aux frais de la princesse sont, eux aussi, choqués de ce qui s'est passé. À titre de députés ministériels, ils ont collectivement le droit d'instituer des enquêtes, d'assigner des témoins à comparaître et d'exiger la production de documents. En somme, je suis privé de mes privilèges de député par le gouvernement libéral, et le a admis hier que le gouvernement n'était pas disposé à communiquer à la Chambre l'information fournie aux journalistes, ce qui, de prime abord, a tout à fait l'air d'être une violation de privilège.
La non-communication de l'information est aussi une violation collective des privilèges. Au cours de la période des questions d'aujourd'hui, j'ai indiqué que, souvent, la dissimulation d'un crime peut être pire que le crime lui-même. Je ne pense pas qu'un crime ait été commis. J'utilise simplement cette expression pour illustrer mon propos. Toutefois, il y a bel et bien eu un incident diplomatique très inquiétant pour les Canadiens, qui est une source d'embarras sur la scène internationale. Aujourd'hui, les députés conservateurs ont soulevé les conséquences de cet incident qui se manifestent déjà sur les producteurs de légumineuses. Les députés n'ont pas pu être aussi bien informés que les journalistes par le Cabinet du premier ministre, lorsqu'il a tenté de se justifier ou de s'expliquer relativement à la crise déclenchée par l'affaire Atwal.
Je vous renvoie à la décision marquante de la Cour suprême dans l'affaire New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse, où les juges considèrent les privilèges parlementaires comme des droits « absolument nécessaires ».
Les assemblées législatives et le Parlement fédéral doivent respecter le droit absolu des députés d'être informés, de tenir des débats et de demander des comptes au gouvernement. C'est le fondement de notre démocratie parlementaire. Le a laissé entendre que le conseiller pour la sécurité nationale a pu communiquer ces renseignements à des journalistes, mais pas aux députés. Cette affirmation à elle seule signifie que les renseignements qu'il a communiqués n'étaient pas confidentiels.
Si les libéraux communiquent des renseignements pour réparer les pots cassés, ce ne sont pas, manifestement, des renseignements qui feraient dire au SCRS: « Arrêtez. Vous mettez en péril la sécurité nationale. » C'est pourquoi ce côté-ci de la Chambre estime que le Cabinet du a fait appel au conseiller pour la sécurité nationale, qui, au moyen de ce stratagème à l'intention des médias, a cherché à détourner l'attention de l'affaire Atwal. Je suis certain que c'est ce qui s'est produit, parce qu'on m'empêche d'exécuter mes fonctions en tant que député. Le , le , ainsi que le Cabinet du premier ministre, dont nous sentons la présence, ne m'ont pas communiqué les mêmes renseignements que ceux fournis aux journalistes et qui laissent entendre qu'ils sont sans reproche dans l'affaire Atwal. Toutefois, je n'ai aucune façon de vérifier ces renseignements.
Comme l'a dit le Président Milliken, le 28 avril 2010, dans la décision relative aux dossiers sur l'Afghanistan, où il était question de confidentialité et de sécurité nationale dans le cadre des débats:
La présidence est d'avis que le fait d'admettre que l'organe exécutif jouit d'un pouvoir inconditionnel de censurer les renseignements fournis au Parlement compromettrait en fait la séparation des pouvoirs censée reposer au coeur même de notre régime parlementaire, ainsi que l'indépendance des entités qui le composent.
La Chambre, soit les personnes qui y siègent et qui participent aux débats nationaux, est la composante la plus importante de notre système parlementaire. Le Président Milliken, qui était probablement l'un des Présidents dont les écrits étaient les plus profonds, a fait cette déclaration quand l'organe exécutif, le Cabinet du premier ministre, a laissé entendre que la confidentialité empêcherait les parlementaires d'exercer leurs privilèges absolus. Sa décision s'applique parfaitement en l'occurrence. En fait, comme je l'ai indiqué durant la période des questions aujourd'hui, le a lui-même attiré l'attention des médias sur cette atteinte au privilège hier quand il a confirmé que le conseiller à la sécurité nationale — agissant, nous croyons, sur la demande du Cabinet du premier ministre, a communiqué aux journalistes des renseignements auxquels le gouvernement refuse maintenant de nous donner accès, sous prétexte qu'ils sont confidentiels.
Voici un fait intéressant. Tout le monde, plus particulièrement le leader adjoint du gouvernement à la Chambre des communes, sait que j'aime replacer les choses dans leur contexte historique. Quand le Président Milliken a rendu sa décision en 2010, Michael Ignatieff, qui était alors chef du Parti libéral, s'en est grandement réjoui. Le Président Milliken a recommandé un compromis parce que les renseignements en cause étaient réellement de nature confidentielle. Dans ce cas-ci, le fait que le gouvernement a renoncé à la confidentialité en autorisant le conseiller pour la sécurité nationale à organiser une séance d'information pour les médias montre que le prétexte de confidentialité est un leurre. Toutefois, dans le cas des documents sur les prisonniers afghans, la confidentialité était une véritable source de préoccupation. C'est pourquoi le Président a recommandé un compromis afin que les partis puissent travailler ensemble pour s'assurer qu'il n'y aurait pas d'atteinte aux privilèges des députés.
Qui, au sein du Parti libéral, Michael Ignatieff a-t-il chargé d'assurer le maintien de ces privilèges? Il a confié la tâche à celui qui était alors leader parlementaire du Parti libéral. Qui était cette personne? Nul autre que le .
Parfois, quand une personne est ici longtemps, elle finit par avoir tout vu. Ce ministre-là a tout vu. Il a déjà été témoin d'une situation semblable. Compte tenu du rôle qu'il a joué dans la décision du Président Milliken ainsi que dans le compromis qui en est ressorti, il sait que le fait que les libéraux ne nous ont pas donné la même information qu'ils ont donnée aux journalistes et qu'ils refusent de produire des documents, de communiquer de l'information et même de permettre à des témoins de comparaître, nuisant ainsi à notre capacité de délibérer, de débattre et de demander des comptes au gouvernement, est une atteinte au privilège. Cette décision-là portait non seulement sur la production de documents et d'information permettant aux députés de délibérer, de débattre et de demander des comptes au gouvernement, mais également sur le fait de corrompre des témoins ou de les empêcher de participer à une enquête parlementaire. Ainsi, je renvoie la présidence à la décision de M. Milliken.
Ce cas-ci est également curieux, car le conseiller pour la sécurité nationale est un haut fonctionnaire. On lui a demandé de tenir une séance d'information avec les médias, ce qui laisse entendre qu'il n'y avait pas d'information confidentielle. Or, les libéraux prétendent que c'est pour cette raison qu'ils refusent de nous donner l'information et que M. Jean ne peut pas comparaître devant le comité de la sécurité publique ou un comité sénatorial.
Je crois que le caractère confidentiel ou délicat de l'information a été abandonné, mais même si ce n'est pas le cas, penchons-nous sur ce qu'a laissé entendre le Président Milliken dans le cas de la lettre provenant d'un sous-ministre délégué relative aux documents afghans. Il a dit que la lettre avait un effet paralysant sur les fonctionnaires, la fonction publique et la capacité du Parlement de remplir ses obligations. Toutefois, l'effet paralysant est encore plus grand aujourd'hui, car le conseiller pour la sécurité nationale du Canada n'a jamais fait de déclarations publiques, et surtout pas de séances d'information organisées à l'intention des médias en toute hâte et pratiquement en secret. C'est du jamais vu, surtout avec un haut fonctionnaire plus haut placé qu'un sous-ministre délégué.
Par conséquent, l'effet paralysant qui préoccupait le Président Milliken dans sa décision concernant l'entrave à l'exercice des fonctions des députés, et plus précisément au fait de nuire à la production de documents et à la tenue de délibérations, s'applique également au cas présent. Malheureusement, à moins que nous obtenions des réponses, je crains que le Cabinet du premier ministre ait terni la réputation d'un excellent fonctionnaire comptant trois décennies de service. Monsieur Jean doit comparaître devant le comité et confirmer s'il a agi de son propre chef. Sans cette information, je ne peux en être assuré, mais je crois que ce n'est pas le cas. Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas l'information et il y a atteinte à mon privilège.
Je termine ainsi. Je voulais peut-être parler un peu plus longuement avant les deux semaines de relâche, mais ceci est très grave. Les seules limitations acceptables des privilèges d'un député sont celles qui sont volontaires. Nous réglementons nos débats. La très compétente collabore, au nom de notre caucus parlementaire, avec la et d'autres collègues pour faire en sorte que le débat fonctionne, que nous exigions des comptes les uns des autres, et le Président, informé de main de maître par les greffiers, nous aide dans cet exercice.
C'est nous qui déterminons quelle information nous voyons, et non le . Le fait même qu'il ait participé au compromis relatif à la décision du Président Milliken m'indique qu'il sait cela. De plus, il faut exiger des comptes des responsables non élus du Cabinet du qui déterminent quels fonctionnaires offrent de l'information, quelle est cette information et à qui elle est communiquée, car ces personnes tentent maintenant de m'empêcher de faire mon travail en retenant de l'information. Ces personnes ne sont pas des députés.
C'est nous qui régissons nos débats et notre respect des privilèges des députés. De plus, la décision du Président Milliken vient confirmer, encore une fois, que les privilèges ne peuvent pas être affectés par des règles qui empêcheraient la communication d'informations. S'il existe de réelles préoccupations en matière de protection des renseignements personnels ou de sécurité nationale — comme je l'ai dit dans mes commentaires, je ne crois pas que ce soit le cas ici, contrairement à ce que prétend le ministre —, les mesures de divulgation, la lumière, nous permettront de le savoir.
Cependant, le fait qu'il soit question de renseignements sensibles ou de documents confidentiels ne change en rien mon privilège d'y avoir accès. La décision du Président Milliken confirme qu'il faut que des mesures d'accommodement soient prises. Le comité de la sécurité publique pourrait se réunir à huis clos. Les leaders parlementaires pourraient se réunir, comme ce fut le cas après la décision du Président Milliken, comme l'a fait le en 2010, afin d'assurer la préséance du Parlement.
Les allégations quant à la nécessité de protéger des renseignements personnels n'affectent pas notre privilège, encore moins lorsqu'il s'agit, comme je le crois, de fausses allégations.
Il s'agit d'une affaire très grave. Le conseiller à la sécurité nationale du Canada est maintenant impliqué. L'un des principaux alliés du Canada de la région de l'Asie-Pacifique pour les années à venir, un pays avec qui tous les partis à la Chambre ont tout fait pour améliorer notre relation et le commerce — les conservateurs ont même réussi à doubler le volume de commerce bilatéral —, vient d'affirmer que les allégations du n'ont aucun fondement.
Je ne peux pas vérifier si elles sont sans fondement parce qu'on m'empêche d'exercer mes attributions. Les alliés du Canada sont touchés. La réputation du Canada est entachée. Mon rôle de parlementaire est affaibli. La capacité de chacun de mes collègues à la Chambre de remplir leurs fonctions est affaiblie. C'est grave.
En raison de la nature de cette affaire, je demande à la présidence de rendre une décision largement fondée sur la décision du Président Milliken, qui est tout à fait à propos, à la reprise des travaux de la Chambre afin que les députés de tous les partis puissent remplir adéquatement leur rôle de parlementaire.