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FAAE Rapport du Comité

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UN CADRE EFFICACE ET COHÉRENT DE MISE EN OEUVRE DES RÉGIMES DE SANCTIONS DU CANADA : HONORER LA MÉMOIRE DE SERGUEÏ MAGNITSKI ET ALLER PLUS LOIN

EXAMEN LÉGISLATIF DU COMITÉ

La Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus a été adoptée en 2011 en réponse aux événements du « printemps arabe », durant lequel des gouvernements autocratiques en place depuis longtemps en Égypte, en Libye et en Tunisie ont été renversés par suite de manifestations populaires massives. Des dirigeants destitués de ces régimes, et des membres de leur famille, ont été soupçonnés de conserver des produits de la corruption dans des États étrangers. Le gouvernement du Canada a donc déterminé qu’un nouveau mécanisme législatif était nécessaire pour empêcher la fuite des capitaux ou la liquidation des actifs au Canada avant que les nouveaux gouvernements puissent demander leur recouvrement[1].

Conformément à la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, les comités de la Chambre des communes et du Sénat doivent mener « un examen approfondi des dispositions et de l’application » de cette loi et de la Loi sur les mesures économiques spéciales dans les cinq années suivant leur entrée en vigueur. Le 14 avril 2016, le Comité permanent des affaires étrangères et du développement international (le Comité) a été chargé par la Chambre des communes de mener cet examen[2].

Le Comité a entrepris l’examen de ces deux lois en octobre 2016. Il a tenu 13 réunions au cours desquelles il a entendu différents points de vue sur les textes de loi. Il a aussi étudié des enjeux stratégiques connexes qui lui ont été présentés par des représentants du gouvernement, des universitaires, des chercheurs, des parties intéressées et des professionnels du milieu. Le Comité a également reçu des mémoires et d’autres documents qui lui ont été utiles pour formuler les observations et recommandations contenues dans le présent rapport.

Le gouvernement du Canada se fonde sur la Loi sur les mesures économiques spéciales, de même que sur la Loi sur les Nations Unies, pour imposer des sanctions économiques contre des États, ainsi que contre des personnes et des entités qui s’y trouvent. La Loi sur les mesures économiques spéciales et la Loi sur les Nations Unies autorisent le gouvernement du Canada à restreindre ou à interdire des activités qui seraient autrement légitimes par l’entremise de règlements pris par le gouverneur en conseil. Il est possible de geler des comptes bancaires, de bloquer des opérations financières et de saisir des biens destinés à l’exportation. Ces mesures, et d’autres, sont communément appelées des « sanctions » et sont imposées en vue d’atteindre des objectifs de la politique étrangère en matière de paix et de sécurité internationales, par exemple pour assurer la non‑prolifération des armes nucléaires ou défendre la souveraineté d’un autre pays. Ces mesures sont un outil important de la politique étrangère canadienne, car elles permettent au gouvernement d’agir en cas de menaces à la paix et à la sécurité internationales sans recourir à la guerre.

La Loi sur les mesures économiques spéciales et la Loi sur les Nations Unies sont des lois complémentaires qui autorisent le gouvernement à imposer des sanctions lorsque l’exigent le Conseil de sécurité des Nations Unies (Loi sur les Nations Unies) ou une autre organisation internationale dont le Canada est membre (Loi sur les mesures économiques spéciales). La Loi sur les mesures économiques spéciales permet également au Canada d’imposer des sanctions de manière autonome s’il juge qu’une « rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales est susceptible d’entraîner ou a entraîné une grave crise internationale[3] ». Le gouvernement peut aussi prendre des mesures complémentaires en limitant les exportations en vertu de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, par exemple en ajoutant un pays à la Liste des pays visés[4]. À l’heure actuelle, le Canada a établi des régimes de sanctions autonomes à l’égard de neuf pays pour des raisons de « rupture sérieuse » en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales. Il a aussi mis en place 16 régimes de sanctions autorisées par l’ONU en application de la Loi sur les Nations Unies et 2 interdictions d’exportation conformément à la Liste des pays visés[5].

La Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus permet aussi au gouvernement du Canada d’imposer des interdictions et des restrictions contre des ressortissants étrangers par l’entremise de règlements. À la demande d’un État étranger, le gouvernement peut cibler des dirigeants et des anciens dirigeants qui ont détourné des actifs. Comme l’ont expliqué des porte-parole du Ministère au Comité, la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus est considérée comme donnant au Canada un « outil souple pour soutenir un État étranger vivant des troubles politiques et souhaitant effectuer la transition vers la démocratie ». Le but est de « permettre à l’État étranger de demander la saisie ou le recouvrement, à terme, de biens au moyen du cadre d’entraide judiciaire[6] ». Ainsi, cette loi complète le régime établi par la Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle et les dispositions connexes du Code criminel touchant la corruption transnationale[7].

Le présent rapport examine l’efficacité des sanctions en tant qu’outil de politique étrangère avant de passer aux structures réglementaires et administratives mises en place par le gouvernement du Canada afin d’appliquer les sanctions adoptées en vertu de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, de la Loi sur les mesures économiques spéciales et d’autres textes de loi connexes. Le rapport traite ensuite de questions liées à l’observation, par le secteur privé, des règlements en matière de sanctions et de l’application de ces règlements par le gouvernement. Des recommandations sont formulées tout au long du rapport, dans le but de promouvoir un programme canadien de sanctions efficace et cohérent.

La dernière section du rapport présente les modifications recommandées aux deux lois à l’étude, notamment l’élargissement du pouvoir du gouvernement d’imposer des sanctions contre les auteurs de violation des droits de la personne. Le Comité a entendu des témoignages convaincants de plusieurs défenseurs des droits de la personne hautement respectés, qui ont décrit en quoi les sanctions sont potentiellement utiles pour promouvoir et protéger les droits de la personne. Ces personnes ont recommandé que le Canada élargisse le pouvoir législatif du gouvernement d’imposer des sanctions contre les auteurs de violations des droits fondamentaux. Encourageant l’adoption au Canada d’une loi semblable à celle édictée aux États-Unis et portant le nom de son ami décédé Sergueï Magnitski, William Browder a déclaré :

Si une loi Magnitski était adoptée — que ce soit en Russie [sic] [que ce soit à l’égard de la Russie uniquement] ou à l’échelle internationale — , les intéressés pourraient espérer que, au Canada, aux États-Unis et ailleurs dans le monde, on se soucie vraiment de leur sort. J’espère qu’il sera possible un jour de sanctionner les individus qui violent les droits de la personne dans le cadre d’une certaine forme de système de justice pénale, sans que cela ait une incidence sur les relations diplomatiques, lesquelles représentent un secteur presque totalement distinct[8].

Le présent rapport contient également une annexe qui décrit plus en détail les dispositions des deux lois à l’étude, leurs règlements et d’autres lois connexes. Cette annexe présente également en détail les régimes de sanction actuels du Canada, en particulier les sanctions visant l’Iran, la Corée du Nord et la Russie.

LES SANCTIONS EN TANT QU’OUTIL DE POLITIQUE ÉTRANGÈRE

A. L’évolution des sanctions

Les sanctions sont depuis toujours une des dimensions qui caractérisent les relations entre les États, mais ce terme n’a pas de définition établie. La Loi sur les mesures économiques spéciales et la Loi sur les Nations Unies n’utilisent pas le terme « sanctions ». Il en est de même pour le chapitre VII de la Charte des Nations Unies, qui confère au Conseil de sécurité des Nations Unies le pouvoir de prendre des sanctions – et de l’International Emergencies Economic Powers Act des États‑Unis[9].

En fait, le terme « sanction » est communément utilisé pour désigner un ensemble de mesures, qui engendrent toutes une restriction, une interruption ou une interdiction quelconque relativement à une cible donnée. Comme l’a indiqué dans ses écrits un témoin entendu par le Comité, les sanctions ne sont pas un « outil homogène », mais plutôt « une catégorie de mesures très variées pouvant être appliquées de différentes façons[10] ». La plupart des sanctions sont de nature économique ou financière, mais elles englobent souvent des interdictions ou des restrictions de voyage. Cela dit, il est possible d’imposer des sanctions à une nation par des moyens diplomatiques qui ne sont pas prévus dans les lois. L’expulsion de la Russie du groupe des démocraties industrialisées du G8 (maintenant le G7), à la suite de l’annexion de la péninsule de Crimée en est un exemple récent.

L’emploi de sanctions a évolué au fil du temps. Entre 1945 et 1990, le Conseil de sécurité de l’ONU a convenu seulement à deux reprises d’imposer des régimes de sanctions obligatoires. À l’aube du XXIe siècle, le Conseil de sécurité utilisait les sanctions à un tel point que les années 1990 ont été décrites comme « la décennie de sanctions[11] », par deux spécialistes, dont un témoin aux audiences du Comité.

Dans les années 1990, le plus important régime de sanctions onusien était l’embargo commercial général imposé contre l’Iraq de 1991 à 2003 en réaction à l’invasion du Koweït et la poursuite, par ce pays, d’activités visant à acquérir des armes de destruction massive. Or, ces mesures ont suscité des préoccupations en raison de leur vaste étendue et de leur nature prolongée, surtout pour ce qui est des coûts humanitaires énormes engendrés, en particulier pour les jeunes enfants[12]. Cet embargo a créé d’autres problèmes, comme la corruption et une économie de marché noir.

Compte tenu des résultats associés aux régimes de sanctions en Iraq et ailleurs au début des années 1990, les sanctions globales ont été délaissées au profit de sanctions « ciblées ». On désigne ainsi les sanctions qui sont appliquées à des personnes, à des entités, à des secteurs ou à des activités en particulier, au lieu de toucher l’ensemble de l’économie ou de la population. Depuis le milieu des années 1990, toutes les sanctions prises par l’ONU ont été de nature ciblée, et la plupart des États, y compris le Canada, ont adopté cette façon de faire. En général, les sanctions ciblées visent à nuire à l’élite d’un régime ou d’une organisation et à miner les ressources et bases de soutien qui leur permettent de rester au pouvoir et de mener des activités préoccupantes, tout en minimisant les conséquences pour les citoyens ordinaires. Comme l’a expliqué Daniel Drezner, professeur de politique internationale de la Fletcher School of Law and Diplomacy de l’Université Tufts, l’idée est de « faire du mal aux personnes les plus influentes du pays sur le plan politique ». Ces mesures ont aussi pour but de « tenir responsables des conséquences des transgressions politiques les décideurs ou les gens riches que l’on jugeait proches des responsables des politiques[13] ».

Les embargos contre les armes, les interdictions de voyager, le gel des actifs et les restrictions touchant les opérations financières et l’aide technique sont des exemples de sanctions ciblées. Pour ce qui est du commerce, les sanctions peuvent cibler des produits en particulier, comme une ressource naturelle (p. ex. les diamants) dont la vente sert à financier un régime ou un groupe armé non étatique, ou encore des biens ayant une application militaire. En ce qui concerne les investissements et les services financiers, il est possible d’imposer des restrictions dans un secteur précis, comme la défense ou les industries pétrolières et gazières[14].

Les sanctions sont également devenues un outil de politique étrangère prisée à l’extérieur du rayon d’action de l’ONU, notamment pour les États‑Unis et l’Union européenne (UE). À l’heure actuelle, les États-Unis ont en place 26 régimes de sanctions actifs, tandis que l’UE en compte 38, et le Canada, 20, ce qui inclut les 14 régimes de sanctions onusiens qui doivent être mis en œuvre par tous les États membres[15]. En fait, Thomas Biersteker, professeur et directeur de la recherche sur les politiques à l’Institut des hautes études à Genève, a abordé ce point, affirmant qu’« il y avait deux fois plus de régimes de sanctions de l’ONU en place en 2016 qu’à tout moment durant les années 1990 ». Considérant tous ces régimes, onusiens et autres, il a fait remarquer que les « sanctions semblent être devenues l’instrument de politique privilégié[16] ».

B. Les sanctions sont-elles efficaces?

La question de savoir si les sanctions « fonctionnent » fait l’objet d’un débat de longue date dans le milieu de la politique étrangère : ces mesures constituent-elles un outil efficace de la politique étrangère et permettent-elles d’atteindre les résultats visés? Les avis vont d’un pessimisme profond à un optimisme prudent. Il est ressorti des témoignages qu’il ne faut pas voir les sanctions comme une solution miracle, mais de manière plus large, soit comme un outil parmi d’autres de la politique étrangère. Les sanctions sont efficaces à l’occasion, et elles sont plus susceptibles de donner des résultats dans certaines conditions. De plus, les sanctions sont utiles même si elles n’atteignent pas leur objectif principal, car elles signalent que l’on n’est pas d’accord avec le comportement visé. Il s’agit alors de dénoncer et de faire honte.

Les témoins ont insisté sur le fait que les objectifs des sanctions peuvent varier grandement. James Walsh, associé principal de recherche du MIT Security Studies Program a mis le Comité en garde contre la tendance à « mélanger les divers buts et objectifs » dans les discussions sur les sanctions, ce qui donne lieu « à une piètre analyse et à des évaluations fautives[17] ». Sue Eckert, agrégée supérieure de recherches adjointe du Center for a New American Security, a mentionné trois grandes raisons de sanctionner un État :

  • le forcer à changer de comportement,
  • gêner sa capacité d’agir,
  • exprimer son désaccord à l’égard d’une violation d’une norme internationale (soit dénoncer et faire honte).

Les sanctions peuvent avoir pour but, par exemple, d’obliger un État à retirer ses troupes du territoire d’un autre pays (forcer), d’empêcher un groupe terroriste d’accéder à des fonds (gêner) ou de faire honte à un régime ayant enfreint le droit international (signaler un désaccord).

Le Comité s’est fait dire que le message, ou signal, doit être communiqué efficacement par l’État d’origine, surtout lorsque l’un des buts est de stigmatiser une cible. Il faut notamment communiquer de manière cohérente le message politique lorsque des noms sont ajoutés ou retirés de la liste des cibles. Essentiellement, il faut comprendre pourquoi une mesure donnée est appliquée, sinon, « l’efficacité du signal est réduite[18] ».

Qu’elles soient appliquées de façon multilatérale ou par un seul État, les sanctions n’évoluent pas en vase clos, d’où la difficulté d’établir un rapport de causalité et d’attribuer directement au régime de sanctions des résultats stratégiques ou des changements de comportement observés. En plus des sanctions, les États ont souvent recours à d’autres instruments à l’endroit d’une cible, par exemple des mesures diplomatiques (négociations, défense des intérêts, résolutions d’organismes multilatéraux, etc.) et des opérations de sécurité. En outre, des facteurs n’ayant aucun lien avec les sanctions peuvent influer les décisions de la cible et sa situation particulière, comme la chute des cours mondiaux des produits de base, un débalancement de l’équilibre des pouvoirs dans la région ou les changements touchant le contexte et les perspectives politiques d’un pays. Comme l’a fait observer Marc-Yves Bertin, directeur général des Politiques économiques internationales à Affaires mondiales Canada, « il est difficile de déterminer où se trouve exactement le point de bascule[19] » lorsqu’il s’agit d’isoler l’incidence des sanctions sur une cible.

Lorsque l’on évalue l’efficacité des sanctions, il faut aussi prendre en compte les caractéristiques de l’État visé. Par exemple, contrairement à l’Iran, qui est partiellement intégré à l’économie internationale et dépend du marché pétrolier mondial, la Corée du Nord est isolée, et son économie repose surtout sur l’exportation de produits de base, comme le charbon[20]. La Corée du Nord est également très dépendante d’un seul pays, la Chine, pour ce qui est de son activité économique extérieure. M. Walsh a indiqué que ces facteurs, ainsi que d’autres considérations internes, rendaient l’Iran plus sensible aux sanctions ciblées. Il a fait remarquer que même « si le gouvernement d’Iran a des traits autoritaires, il ne peut tout simplement pas fermer les yeux sur les conditions de vie de ses citoyens sans en subir les conséquences politiques », contrairement au régime nord‑coréen, qui « est une dictature qui n’a pas peur d’utiliser quelque mesure que ce soit pour opprimer sa population[21] ».

L’efficacité des sanctions à l’endroit d’acteurs non étatiques varie également au cas par cas. La désignation d’une personne en vue de l’imposition d’une interdiction de voyager ou d’un gel des actifs peut n’avoir aucun effet. Maya Lester, conseillère de la reine de Brick Court Chambers à Londres, a soulevé ce point : « Si l’Union européenne gèle vos actifs et vous empêche de voyager, mis à part les effets sur votre réputation ou les aspects symboliques de la chose, cela ne vous dérangera pas si vous ne détenez pas d’actifs dans l’Union européenne et que vous ne comptez pas vous y rendre[22]. »

Les États ne sont pas tous en mesure d’exercer les mêmes pressions à l’aide de leurs programmes de sanctions. L’efficacité des mesures dépend des relations entre les États et de l’accès, par l’État visé, à d’autres voies de commerce et de finance. L’exemple le plus extrême de la capacité d’un État d’imposer des coûts exorbitants à un autre pays s’il choisissait de le faire est sans doute la Chine, en raison de ses relations avec la Corée du Nord. Or, la plupart des pays visés ont un réseau de relations économiques et politiques plus diversifié. Andrea Charron, professeure adjointe à l’Université du Manitoba et directrice du Centre pour le renseignement sur la sécurité et les études de la défense à l’Université Carleton, a parlé des effets concrets des sanctions canadiennes imposées en application de la Loi sur les mesures économiques spéciales, soutenant que « les sanctions du Canada ne changent rien aux calculs stratégiques des dirigeants » de la Russie, de la Syrie et du Zimbabwe, « pas plus que ne le feraient des sanctions canadiennes plus sévères[23] ».

Pendant l’étude, le Comité a aussi compris qu’il existe une différence importante à faire entre l’imposition de coûts et l’obtention de résultats. Il y a toujours moyen d’imposer des coûts, mais cela ne veut pas dire pour autant que le régime de sanctions sera efficace. Pourtant, les coûts sont souvent pris en compte. M. Walsh a fait valoir que les décideurs ont tendance à juger « de l’efficacité des sanctions d’après des facteurs comme les coûts, l’inflation et la perte de PIB plutôt qu’en fonction de l’atteinte des objectifs visant à modifier le comportement[24] ».

Toute stratégie visant uniquement à imposer des coûts punitifs soulève d’autres questions ayant trait à la résolution des problèmes auxquels les sanctions cherchent à remédier. George Lopez, spécialiste des régimes de sanctions onusiens et professeur à l’Université Notre Dame, a rappelé au Comité que les sanctions adoptées dans le but de changer le comportement de la cible doivent être conçues pour motiver et laisser la voie ouverte à « un engagement entre la communauté internationale ou ceux qui sont à l’origine des sanctions et les dirigeants ciblés de manière à pouvoir les persuader de changer leurs comportements en leur montrant les avantages qui pourraient en découler pour eux[25] ». Il est peu probable que le simple fait d’imposer des coûts entraîne un changement de comportement si aucune perspective n’est offerte.

Même si les sanctions constituent sans doute l’outil de choix pour lutter contre un grand nombre de menaces, les témoins ont insisté sur le fait qu’elles ne sont en fait qu’un outil. Comme l’a dit David Kramer, directeur principal des droits de la personne et de la démocratie au McCain Institute for International Leadership, les sanctions « ne sont pas une panacée[26] ». Tout au long de l’étude, les témoins ont fait valoir que les sanctions sont peu susceptibles d’être efficaces si elles ne sont pas combinées à d’autres mesures, en particulier des moyens diplomatiques, dans le cadre d’une stratégie générale visant à atteindre un résultat donné.

Malgré ce qu’en pensent les spécialistes, M. Walsh a fait remarquer que les sanctions sont présentées actuellement comme la réponse « à presque tous les problèmes ». Or, selon lui, les sanctions n’ont « rien de magique »; elles sont « un instrument limité qui peut être utile lorsqu’il est associé à d’autres outils dans le cadre d’une stratégie politique intégrée[27] ».

Même lorsque les objectifs stratégiques d’un programme de sanctions sont clairs et bien définis, les sanctions ont des conséquences, qui sont parfois imprévues, comme l’ont révélé les témoignages. Les sanctions peuvent avoir d’importantes conséquences d’ordre humanitaire pour la population dans l’État visé. Elles soulèvent également des questions quant aux droits des personnes ciblées et au fardeau de conformité imposé au secteur privé, qui seront abordées plus loin. Il faut aussi prendre en considération l’incidence que peuvent avoir les sanctions sur le comportement de l’État visé. M. Drezner a informé le Comité qu’il est prouvé que lorsque des sanctions sont appliquées à un État autoritaire, cet État peut devenir encore plus autoritaire, accentuant la répression[28].

Les pays qui imposent des sanctions épongent aussi des coûts. Entre autres, leurs entreprises perdent des occasions d’affaires, ce qui peut avoir des répercussions durables[29]. Les États peuvent également faire face à des représailles. En août 2014, lorsque les gouvernements occidentaux lui ont imposé pour la première fois des sanctions, la Russie a interdit l’importation de certains produits agricoles (bœuf et porc) en provenance du Canada, des États-Unis, de l’UE, de l’Australie et de la Norvège. Cette interdiction a ensuite été étendue à l’Islande, au Liechtenstein, à l’Albanie et au Monténégro, puis prolongée jusqu’au 31 décembre 2017. Le Comité a appris que la valeur des exportations canadiennes vers la Russie était passée de 1,4 milliard de dollars en 2013 à un peu plus de 600 millions de dollars en 2015. Selon Affaires mondiales Canada, quelque 57 % de la baisse des exportations du Canada vers la Russie est attribuable à l’interdiction d’importation de produits agricoles. Cela dit, le Ministère précise qu’il est difficile de déterminer les conséquences marginales des sanctions sur les entreprises canadiennes, qui peuvent trouver d’autres marchés pour leurs biens et services[30].

Comme le démontre la présente analyse, l’utilisation des sanctions constitue un aspect complexe de la politique étrangère. Pour être efficaces, les sanctions doivent être imposées dans le but d’atteindre un objectif clair, en tant qu’outils s’inscrivant dans un plus vaste ensemble d’efforts internationaux qui tiennent compte de la nature des États visés et des fins recherchées.

COHÉRENCE DES RÉGIMES DE SANCTIONS DU CANADA

Les témoignages ont fait ressortir la complexité du régime de sanctions du Canada, mettant en lumière en particulier les différences importantes qui existent entre les régimes de sanctions et l’éventail des mesures imposées. Ces mesures vont des interdictions générales aux mesures restreintes à une région ou un secteur donnés, en passant par les sanctions ciblant des personnes ou des entités. Le fait que l’on ait recours à différents textes de loi, plus précisément la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, la Loi sur les mesures économiques spéciales, la Loi sur les Nations Unies et la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, vient compliquer les choses. En effet, un régime de sanctions donné peut être régi par plus d’un règlement, chacun lié à une loi habilitante, et tous ces textes de loi doivent être lus et interprétés ensemble.

De même, le système de sanctions du Canada est compliqué à administrer, car il comporte des éléments nationaux et internationaux et passe par l’application de la loi, la réglementation du secteur financier et le contrôle à la frontière. Le Comité a reçu des témoignages et des mémoires d’Affaires mondiales Canada, de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) et de Justice Canada, ce qui montre la vaste portée de l’intervention gouvernementale nécessaire à l’adoption et à la mise en œuvre des régimes de sanctions.

Compte tenu de ce qui précède, il est essentiel que le système de sanctions du Canada, de même que le cadre législatif et les autres structures qui le sous-tendent, soient cohérents. Les règlements doivent établir un ensemble de mesures claires et justifiables, lesquelles doivent être administrées et appliquées de manière uniforme. Le présent chapitre porte sur les structures gouvernementales internes et les processus réglementaires liés au système de sanctions canadien et présente des recommandations en vue de s’assurer qu’ils fonctionnent d’une manière qui contribue à l’efficacité des mesures imposées.

A. Cohérence des textes de loi

Comme l’on fait remarquer des témoins entendus par le Comité, le recours à différentes lois rend difficiles l’observation et l’application des régimes de sanctions. Mme Charron a commenté les complications créées par les multiples paliers d’interventions et a indiqué que les lois « prévoient différentes pénalités pour la non-conformité et comportent différentes définitions des mesures appliquées, par exemple la saisie de “biens” et d’“actifs”[31] ».

Toutefois, malgré cette complexité accrue, la capacité de prendre des mesures en vertu de différentes lois permet au gouvernement du Canada d’intervenir dans plus de situations et de disposer d’un plus large arsenal s’il décide d’agir. La Loi sur les Nations Unies permet au Canada de respecter ses obligations en tant qu’État membre et d’appuyer l’organisation dans son rôle en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. La Loi sur les mesures économiques spéciales s’appuie également sur la responsabilité consistant à répondre aux menaces et aux problèmes internationaux, tout en reconnaissant que l’ONU ne peut pas toujours intervenir en raison des clivages politiques et, parfois, des impasses qui caractérisent les relations entre les États membres du Conseil les plus puissants, soit la Chine, la Russie et les États-Unis. Les mesures prévues dans la Liste des pays visés établie en vertu de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation accordent une plus grande souplesse et permettent de cumuler les sanctions, en empêchant l’exportation ou le transfert de biens ou de technologies en l’absence de licence. Par ailleurs, la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus et les lois connexes en matière de recouvrement des biens permettent au gouvernement de combattre un problème connexe, la corruption des dirigeants, qui se présente souvent lorsque des sanctions sont infligées. Mis ensemble, ces textes de loi offrent au gouvernement du Canada une boîte à outils versatile, mais complexe.

Malgré les avantages que procure cet éventail de pouvoirs législatifs, il faut porter attention à la cohérence des mesures lorsque l’on a recours à plusieurs lois. S’ils sont bien conçus, les règlements peuvent se lire et être interprétés comme un tout, en établissant un seul ensemble de mesures – de différents types – à mettre en œuvre et à appliquer.

Les sanctions canadiennes contre la Corée du Nord montrent qu’il peut être utile de recourir à différents instruments pour faire face à des menaces internationales, mais illustrent également les problèmes qui peuvent survenir. En adoptant en 2006 des règlements en vertu de la Loi sur les Nations Unies, le Canada s’est joint à la communauté internationale pour condamner le programme d’armement nucléaire de la Corée du Nord et a renforcé le régime de sanctions multilatérales onusien. Or, le Canada n’était pas limité, par son cadre législatif, aux mesures adoptées par le Conseil de sécurité, et ce cadre lui a permis d’imposer d’autres mesures à la Corée du Nord suite à l’attaque en 2010 ayant fait sombrer le Cheonan, un navire de la Corée du Sud. Le gouvernement a d’abord ajouté la Corée du Nord à la Liste des pays visés, en invoquant le critère le plus facile à satisfaire de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, puis il a mis en place des sanctions plus sévères, lorsqu’il a jugé nécessaire de le faire, en invoquant une « rupture sérieuse » de la paix et de la sécurité en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales[32].

Cet exemple fait ressortir la complémentarité et la souplesse du cadre législatif canadien. Par contre, les dispositions des trois règlements pris en vertu de ces trois lois illustrent les complexités qui peuvent en résulter. Les règlements relatifs à la Corée du Nord découlant de la Loi sur les Nations Unies et de la Loi sur les mesures économiques spéciales semblent créer des interdictions et des restrictions concurrentes[33]. Par exemple, les deux séries de règlements interdisent la prestation et l’acquisition de services financiers. Le règlement sur les mesures économiques spéciales touchant la Corée du Nord prévoit toutefois des exclusions, notamment en ce qui concerne les activités d’organisations internationales et les envois d’argent de nature non commerciale de moins de 1 000 $, ce qui n’est pas le cas du règlement d’application des résolutions des Nations Unies. Il semblerait donc qu’une personne ait besoin d’une attestation en vertu de ce deuxième règlement pour effectuer des opérations expressément autorisées dans la Loi sur les mesures économiques spéciales[34]. On pourrait affirmer à l’inverse que le règlement sur les mesures économiques spéciales autorise expressément des activités interdites par les sanctions de l’ONU.

Les règlements pris en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales tentent d’éviter les chevauchements pour ce qui est de l’exportation et de l’importation de marchandises en excluant les articles déjà interdits en vertu du règlement découlant de la Loi sur les Nations Unies. Or, les premiers n’ont pas été modifiés en fonction des changements apportés au deuxième. Par conséquent, les dispositions créant une exclusion dans le règlement sur les mesures économiques spéciales renvoient actuellement à des articles du règlement d’application des résolutions des Nations Unies qui ne portent pas sur l’exportation et l’importation de marchandises, ce qui rend leur application ambiguë[35]. De façon plus générale et d’un point de vue non technique, il ne semble pas vraiment nécessaire d’établir des dispositions sur une même question dans les deux cadres réglementaires. Le règlement pris en vertu de la Loi sur les Nations Unies prévoit des interdictions ciblées touchant certains produits, y compris les armes, les articles de luxe et le carburant d’aviation, ainsi que les produits pouvant servir au développement de missiles balistiques et d’armes nucléaires. Or, le règlement sur les mesures économiques spéciales interdit déjà à toute personne d’exporter, de vendre, de fournir ou d’envoyer des marchandises, où qu’elles se trouvent, à la Corée du Nord (à quelques exceptions près).

Le règlement adopté en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales chevauche aussi la Liste des pays visés à cet égard. Des autorisations sont requises en vertu des deux lois pour exporter vers la Corée du Nord des biens qui ne sont pas visés par les exclusions établies dans le règlement découlant de la Loi sur les mesures économiques spéciales. Or, il faut quand même obtenir une autorisation en vertu de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation pour exporter des biens visés par les exclusions prévues dans le règlement sur les mesures économiques spéciales. Une autorisation obtenue aux termes du règlement pris en vertu de la Loi sur les Nations Unies est également nécessaire dans le cas des biens visés par des interdictions plus ciblées[36]. Or, le site Web sur les sanctions d’Affaires mondiales Canada n’explique pas le processus de demande de permis lorsqu’une autorisation est nécessaire en vertu de plusieurs règlements.

En l’absence de directives claires expliquant les interrelations entre ces textes de loi (ce point est abordé plus loin dans le rapport), il devient difficile de déterminer exactement quelles mesures ont été imposées par le Canada à la Corée du Nord. La Loi sur les mesures économiques spéciales et la Loi sur les Nations Unies sont utilisées ensemble pour imposer des sanctions contre quatre pays[37]. Il faut donc procéder à une analyse comparative complexe des dispositions de plusieurs séries de règlements, qui peuvent tous faire l’objet de modifications, ainsi que de leur loi habilitante pour déterminer la portée de l’un ou l’autre de ces régimes de sanctions. Cette analyse est d’autant plus difficile qu’il existe des incohérences entre les règlements, comme ceux relatifs à la Corée du Nord.

Le Comité estime qu’il faut tenter de simplifier dans la mesure du possible la réglementation. Il a gardé à l’esprit les témoignages l’encourageant à prendre du recul et à examiner l’ensemble – ou la panoplie – des sanctions, à examiner les façons dont ces mesures sont utilisées et à déterminer si elles forment un ensemble efficace et cohérent.

Recommandation 1

Le gouvernement du Canada devrait veiller à ce que les sanctions prises en vertu de plus d’une loi (Loi sur les Nations Unies, Loi sur les mesures économiques spéciales et Loi sur les licences d’exportation et d’importation) soient imposées de manière complémentaire et cohérente et à ce qu’elles soient modifiées concurremment au besoin.

Pour interpréter les règlements sur les sanctions, il faut aussi consulter des documents de l’ONU afin de déterminer les personnes qui sont visées par un blocage des actifs aux termes des règlements d’application des résolutions des Nations Unies ainsi que les personnes interdites de territoire en vertu de l’alinéa 35(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés[38], ce qui complique les choses. Une incertitude peut se créer aussi sur le plan juridique lorsque le Conseil de sécurité met fin à un régime de sanctions, sans que le Canada abroge les règlements correspondants pris en vertu de la Loi sur les Nations Unies. C’est le cas actuellement des régimes touchant la Côte d’Ivoire et le Libéria[39].

Recommandation 2

Le gouvernement du Canada devrait mettre en œuvre les décisions du Conseil de sécurité des Nations Unies touchant les régimes de sanctions établis en application de son mandat en prenant, en modifiant ou en abrogeant en temps opportun des règlements en vertu de la Loi sur les Nations Unies.

B. Appareil gouvernemental

Les témoignages ont également fait ressortir à quel point l’administration des sanctions du Canada est un processus complexe. Cette complexité est attribuable en grande partie à la double nature des sanctions, qui servent à la fois d’outil politique international et de cadre réglementaire national. Essentiellement distincts, ces deux aspects imposent au gouvernement des obligations tant que le régime est en place, à partir du moment où il décide d’imposer des sanctions, puis aux étapes de la conception et de la mise en œuvre des mesures, de la surveillance et de l’application des sanctions et de la cessation éventuelle du régime.

1. Coordination internationale

Des porte-parole d’Affaires mondiales Canada ont souligné les efforts diplomatiques qui sont déployés en lien avec la décision d’imposer des sanctions. Comme l’a expliqué M. Bertin :

Un événement qui évolue rapidement et qui préoccupe la communauté internationale sera étudié attentivement à New York. En effet, l’ONU et les intervenants de notre mission sur le terrain collaboreront avec d’autres pays pour élaborer des mesures et influencer leur mise en œuvre.
En même temps, dans certaines circonstances, il est possible qu’une préoccupation ne soit pas retenue par l’ONU, car l’un des membres du Conseil de sécurité n’est pas d’accord avec les autres. Dans ce contexte, la conversation se poursuivra ailleurs, par exemple au sein du Commonwealth ou dans d’autres organisations où les intervenants de la communauté internationale se réunissent […]
Cela signifie invariablement que le corps diplomatique du Canada et ceux des autres pays doivent faire preuve d’un esprit d’entrepreneuriat dans la présentation de leurs arguments et de leurs positions — c’est-à-dire les arguments et la position de leurs gouvernements[40].

Lorsque le gouvernement envisage d’imposer des sanctions en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales, Affaires mondiales Canada doit amorcer le processus en vue de l’élaboration des mesures qui seront mises en œuvre. Ce processus met à contribution différents intervenants au sein du Ministère, notamment le personnel de la direction chargée des relations politiques et économiques du Canada avec l’État visé, les services juridiques ministériels et l’ambassade ou le haut‑commissariat concerné. Si la décision est prise d’imposer des sanctions,

[…] le même groupe amorcera un exercice visant à identifier les décideurs clés de l’État ciblé ainsi que leurs collaborateurs pouvant faire l’objet d’un blocage des biens. Les divisions responsables examineront également la relation commerciale entre le Canada et l’État visé pour déterminer la nature et le volume des échanges commerciaux et évaluer les répercussions possibles des sanctions sur le pays visé et les Canadiens[41].

Une fois les sanctions en place, Affaires mondiales Canada doit continuellement en surveiller la mise en œuvre pour vérifier si elles ont les effets voulus et apporter des changements au besoin. Cette surveillance continue a pour but « de mieux cibler les sanctions ou d’atténuer les conséquences inattendues[42] ». Elle exige une coordination avec les partenaires internationaux du Canada, y compris l’UE et les États-Unis, ce qui nécessite dans ce cas aussi la participation du personnel de l’administration centrale du Ministère et des missions du Canada à l’étranger.

Comme l’ont indiqué des témoins, le gouvernement du Canada doit continuellement recueillir et analyser des données dans les pays qui sont visés par des sanctions, ou qui pourraient l’être. Le but est de s’assurer que les mesures prises sont adéquates et contribuent à l’atteinte de leur objectif, et qu’elles tiennent compte de la position des pays ayant des vues semblables et de la situation sur le terrain dans l’État visé. Cet exercice est inévitablement plus limité dans des pays comme l’Iran ou la Syrie, où le Canada n’a pas d’ambassade.

2. Rôles et responsabilités

Tout en gérant ses régimes de sanctions au niveau international, le gouvernement doit mettre en œuvre à l’échelon national les régimes réglementaires correspondants. Le personnel d’Affaires mondiales Canada fournit « des avis et des recommandations au ministre des Affaires étrangères, qui est responsable, en vertu de la [Loi sur les mesures économiques spéciales], de prendre des décisions et donc de recommander au gouverneur en conseil l’établissement de sanctions[43] ». Lorsque la décision est prise d’imposer des sanctions, le Ministère doit présenter au ministre des Affaires étrangères des recommandations concernant les mesures à mettre en place, notamment au sujet de la réglementation proposée[44]. Affaires mondiales Canada consulte généralement les autres ministères au sujet de sa recommandation et travaille en étroite collaboration avec la Direction des services législatifs de Justice Canada à l’élaboration du projet de règlement. Affaires mondiales Canada procède à ces consultations pour s’assurer que les règles établies donneront les résultats escomptés et respectent les exigences sur le plan juridique et en matière de rédaction[45].

Dès qu’il prend effet, le règlement doit être mis en application, et le régime de sanctions doit être administré, pour assurer la réglementation nationale des mesures mises en œuvre. Dans son rôle en tant qu’organisme de réglementation, Affaires mondiales Canada est chargé de répondre aux demandes de renseignements et de transmettre au public de l’information, notamment par l’entremise de son site Web. Il doit également fournir des analyses et des conseils au ministre des Affaires étrangères au sujet de l’octroi de licences aux termes des règlements sur les sanctions. Au sujet des sanctions imposées à la Corée du Nord, les porte‑parole du Ministère ont indiqué que ces demandes sont évaluées au cas par cas afin de tenir compte « des répercussions de l’imposition ou de la non-imposition des sanctions, dans le contexte d’une aide humanitaire, pour chaque demande d’exemption du règlement[46] ». Affaires mondiales Canada collabore aussi avec d’autres ministères à d’autres aspects de la réglementation canadienne en matière de sanctions.

En tant qu’organisme indépendant chargé de surveiller les institutions financières assujetties à la réglementation fédérale[47], le BSIF joue un rôle dans la mise en œuvre des exigences applicables en matière de surveillance (obligation de vérification). Christine Ring, directrice générale au BSIF, a expliqué que,

Si la [Loi sur les mesures spéciales] et la [Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus] ne confèrent pas de rôle au BSIF, celui-ci évalue néanmoins la qualité des mesures de contrôle que mettent en œuvre les institutions financières fédérales afin de se conformer aux sanctions antiterroristes criminelles prévues à la Loi sur les Nations Unies et au Code criminel[48].

On s’appuie aussi sur les efforts réalisés pour combattre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes[49] pour « évaluer les mesures de contrôles requises » pour respecter les autres lois du Canada régissant les sanctions[50].

Les contrôles sur l’importation et l’exportation de marchandises relèvent principalement de l’ASFC, qui travaille en coordination avec Affaires mondiales Canada et la GRC. Andrew LeFrank, directeur général des Opérations relatives à l’exécution de la loi et au renseignement à l’ASFC, a informé le Comité que

[…] les agents des services frontaliers examinent les déclarations et d’autres documents d’expédition pour déterminer si les marchandises sont visées par des interdictions ou des restrictions. Un agent des services frontaliers peut retenir, en vertu de la Loi sur les douanes, des marchandises qui semblent contrevenir aux dispositions législatives sur les sanctions. Le cas échéant, l’Agence avise Affaires mondiales Canada d’une possible infraction. Affaires mondiales Canada détermine si la transaction relève des dispositions législatives sur les sanctions économiques et commerciales[51].

Le cas échéant, le ministère de la Justice et la GRC sont informés de la situation. L’ASFC, en collaboration avec IRCC, voit aussi à l’application des lois canadiennes régissant l’admissibilité, conformément à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, notamment en refusant l’accès aux personnes interdites de territoire au Canada ou en veillant à leur renvoi du pays. IRCC est chargé des processus connexes qui sont enclenchés avant l’arrivée d’une personne au Canada, comme le traitement des demandes de visas. Il est aussi responsable de la politique en matière d’immigration du Canada. Un ressortissant étranger peut se voir refuser l’entrée au Canada pour différentes raisons, par exemple si elle fait l’objet d’une interdiction de voyager prévue par des sanctions onusiennes ou si elle a pris part à des violations des droits de la personne ou des droits internationaux[52]. Selon Lesley Soper, directrice générale par intérim de la Direction des programmes d’exécution de la loi et du renseignement à l’ASFC, la coordination entre Affaires mondiales Canada, l’ASFC et IRCC dans l’application du régime d’interdiction de territoire, suppose « d’atteindre un équilibre difficile entre les intérêts diplomatiques, le respect des principes sous-jacents du cadre stratégique de l’immigration et nos efforts pour protéger la sécurité et l’intégrité du système d’immigration canadien[53] ».

La GRC exerce des responsabilités générales à l’égard de l’application de la Loi sur les mesures économiques spéciales, de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus et de la Loi sur les Nations Unies. Elle doit notamment enquêter sur les violations possibles des lois régissant les sanctions et mener des activités de sensibilisation auprès de groupes de l’industrie. Elle travaille aussi avec l’ASFC – qui est responsable du contrôle à la frontière – afin de prévenir la prolifération de ressources stratégiques et de technologies. Lorsque de l’information sur une infraction potentielle à une loi fédérale lui est transmise par des particuliers, des entreprises, des sources gouvernementales et des partenaires du milieu de l’application de la loi, la GRC l’évalue « afin de déterminer si elle correspond à son mandat d’application de la loi. Le cas échéant, il s’agit de déterminer quelles sont les étapes à suivre ensuite[54]. » Si, à la fin de l’enquête, on détermine qu’il existe suffisamment de preuves pour porter des accusations, c’est le Service des poursuites pénales du Canada qui s’occupe des poursuites criminelles.

Lors de sa comparution devant le Comité, la GRC a fait valoir qu’elle utilisait un « processus de priorisation » pour déterminer comment les ressources d’enquête sont allouées. Le Comité s’est fait dire que la plus grande priorité est accordée en général aux enquêtes « qui concernent la Loi antiterroriste[55] ». Pour ce qui est de la Loi sur les mesures économiques spéciales, la GRC a déclaré que son rôle pourrait consister à perturber les activités : « la réponse se trouve peut-être dans la prévention du crime, qui fait également partie de notre mandat, plutôt que dans les poursuites[56] ». Il est question de l’application des sanctions dans un chapitre ultérieur.

Les témoignages des représentants de ces ministères et organismes fédéraux ont fait ressortir les difficultés entourant l’application nationale des politiques et des lois du Canada relatives aux sanctions. À plusieurs reprises, le Comité a posé aux témoins des questions sur des enjeux qui, à leur avis, ne relevaient pas, en tout ou en partie, de leur mandat. Aucun témoin n’a pu répondre aux questions portant sur le système de sanctions du Canada dans son intégralité (politiques, administration et application). De plus, d’après les témoignages, il ne semble pas y avoir de structures interministérielles en place pour coordonner tous les aspects du système de sanctions. Cela dit, Affaires mondiales Canada a insisté sur le fait que le processus réglementaire découlant de la Loi sur les mesures économiques spéciales et de la Loi sur les Nations Unies est le résultat de décisions prises par le gouverneur en conseil. Autrement dit, tous les ministres concernés devraient participer au processus, et leurs ministères devraient travailler ensemble pour assurer la cohérence des conseils fournis afin d’éclairer la prise de décisions dans le cadre de ces processus[57].

En général, le Comité a conclu que l’accomplissement des rôles et responsabilités ministériels est rendu encore plus complexe du fait des pressions engendrées par le manque de ressources et par l’absence d’un mandat en bonne et due forme en ce qui concerne la réglementation nationale. Ces points seront abordés dans les prochains chapitres du rapport portant sur l’application des règlements.

OBSERVATION DES RÉGIMES DE SANCTIONS CANADIENS PAR LE SECTEUR PRIVÉ

Le gouvernement adopte et administre les régimes de sanctions du Canada, mais leur efficacité dépend en fin de compte du secteur privé. C’est le secteur privé – en observant les interdictions et les restrictions imposées à des activités qu’il exerce – qui détermine comment ces mesures fonctionnent dans les faits. En pratique, les régimes de sanctions mis en place au Canada ne sont pas toujours ceux établis par les règlements du gouvernement. En fait, il peut y avoir un écart important entre la loi et la pratique.

Les entreprises du secteur privé doivent bien comprendre la portée des sanctions, ce qui comprend les restrictions mises en place ainsi que les exceptions s’y rapportant. Les flous ou le manque de clarté mènent à des excès de zèle, puisque les entreprises et les particuliers – qui risquent d’être punis s’ils n’observent pas les règles – choisissent la voie la plus sûre ou l’interprétation la plus large.

Le coût de l’observation des règlements sur les sanctions a aussi une incidence sur la façon dont le secteur privé met en œuvre les mesures. À l’heure actuelle, les institutions financières sont tenues de faire appel à des systèmes de surveillance et de déclaration complexes si elles effectuent des opérations avec les États visés[58]. Pour les exportateurs, faire des affaires dans un pays visé par des sanctions entraîne des frais juridiques ainsi que des retards si des licences sont nécessaires. Tout manque de clarté quant à la portée et l’étendue du régime de sanctions complique la situation. Les coûts d’observation peuvent varier grandement selon les mesures mises en œuvre et la manière dont elles sont administrées. Les coûts diffèrent selon le type d’entreprises. Or, les entreprises du secteur privé tiennent compte de ces coûts dans leur prise de décisions, et les résultats ne sont pas nécessairement ceux prévus par les décideurs.

Ces questions touchant la mise en œuvre doivent être au cœur de toute étude des régimes de sanctions canadiens. Poussé à l’extrême, ce genre de problèmes peut non seulement changer la nature des mesures que le gouvernement voulait mettre en place, mais aussi aller à l’encontre de l’objectif même du régime de sanctions. Lorsque les entreprises appliquent avec trop de zèle les règlements, les mesures ciblées imposées à des personnes ou des entités données deviennent presque des embargos totaux. Ce sont alors le secteur privé et les citoyens, au Canada et dans l’État concerné, qui finissent par assumer les coûts réels, plutôt que les personnes ou entités visées : les mesures ciblées nuisent alors aux activités légitimes qu’elles n’étaient pourtant pas censées empêcher.

D’après les témoignages de ses porte-parole, Affaires mondiales Canada est au courant de la situation et du rôle important que joue le secteur privé. Marc-Yves Bertin a mentionné qu’il faut « concilier les objectifs stratégiques de l’imposition de sanctions avec les répercussions sur les intervenants, les entreprises et, de façon plus générale, les citoyens canadiens[59] » et que le Ministère cherche à obtenir une rétroaction « des intervenants du secteur privé […], car ils ont peut-être des observations sur la façon dont un contexte ou un marché affecte leurs activités[60]. »

Des représentants du secteur privé et du milieu universitaire ont critiqué les efforts déployés par le gouvernement pour aider le secteur privé à mettre en œuvre les régimes de sanctions. John Boscariol, associé et chef du Groupe de droit du commerce et de l’investissement internationaux à McCarthy Tétrault LLP, a déclaré que le système de sanctions du Canada était « défectueux » et que « le gouvernement a négligé de consacrer ne serait-ce qu’un minimum de ressources au fait d’aider le milieu des affaires à se conformer[61] ». D’accord avec cette analyse, Kim Nossal, professeur au Centre for International and Defence Policy de l'Université Queen's, a affirmé que « le gouvernement fédéral a transféré les coûts de son enthousiasme pour cet outil de politique public très douteux [aux] entreprises [du secteur privé][62] ».

La section qui suit traite des problèmes liés aux excès de zèle et des coûts d’observation imposés au secteur privé canadien par les régimes de sanctions. Il est ensuite question des trois grandes réformes des politiques qui, selon le Comité, permettraient d’atténuer ces effets et d’améliorer la mise en œuvre des sanctions du Canada.

A. Excès de zèle et coûts d’observation

Comme l’ont indiqué plusieurs témoins, les entreprises appliquent de manière trop prudente les sanctions en raison des risques réels ou perçus. Thomas Biersteker a expliqué que :

[…] la traduction — à savoir le passage de décision du conseil à loi gouvernementale, et l’interprétation de cette loi, la façon dont elle est communiquée aux entreprises et la façon dont celles-ci mettent en œuvre les mesures pour s’y conformer — peut mener à des distorsions importantes. Cela peut mener à une application plus étroite, mais le plus souvent, on observe une application plus large des sanctions [...] l’apparition du phénomène où les entreprises se comportent de façon à atténuer les risques, craignant de s’attirer les foudres de leur propre gouvernement ainsi que d’autres gouvernements, sous forme d’amendes et de pénalités, si elles ne cessent pas pratiquement toutes leurs activités […][63]

Des professionnels canadiens ont confirmé que c’est ce qui arrive au Canada. Selon Vincent DeRose, associé de Borden Ladner Gervais LLP, « [t]rop souvent, les entreprises canadiennes […] doivent renoncer à certaines possibilités parce que la situation est incertaine et parce qu’elles ne veulent pas prendre ce risque[64] ». G. Stephen Alsace, directeur principal, Sanctions, Groupe LBA mondial, Banque Canadienne Impériale de Commerce (CIBC), est arrivé à la même conclusion : « Cela se produit en fait assez fréquemment. Lorsqu’il y a une ambiguïté, lorsqu’il y a la moindre imprécision, les banques — et je pense que les coopératives financières feraient la même chose — privilégient la prudence. Elles agissent de façon conservatrice et sont plus réticentes à effectuer des transactions[65]. »

Ce problème se rattache à la complexité du cadre réglementaire dont il a été question précédemment. Plus les règlements sont difficiles à interpréter, plus ils entraînent de l’incertitude et un risque d’excès de zèle. Les coûts liés à l’observation d’un régime de sanctions amplifient le problème, car les entreprises qui répugnent à les absorber refuseront de faire des affaires légitimes avec un pays visé par des sanctions. Comme l’a indiqué M. Boscariol, les entreprises « trouvent que le processus leur coûte beaucoup d’argent et de temps, ce qui les amène bien souvent à décider de ne pas faire affaire avec ce pays[66] ».

Ces coûts peuvent être très élevés. Par exemple, G. Stephen Alsace a expliqué que la CIBC dépense « des millions de dollars par an pour appliquer ce régime. Nous savons que nous sommes constamment tenus de mettre à jour nos systèmes, nos processus. Nous consacrons du personnel et des ressources importantes à la révision des processus et des sanctions[67]. »

Bien que ces coûts soient élevés, les grandes institutions modernes peuvent assumer le fardeau de conformité, contrairement aux entreprises plus petites, qui n’ont pas les ressources ou l’expertise pour le faire. Selon Vincent DeRose, « [a]u Canada, de nombreuses entreprises, surtout des petites et des moyennes, n’ont pas de systèmes de contrôle sophistiqués – et nécessairement souvent coûteux – pour veiller au respect des sanctions économiques du Canada[68] ».

Des témoins ont souligné que même s’il est impossible d’éviter complètement ce genre de problèmes, il est possible pour le gouvernement d’améliorer la situation. Plus particulièrement, il pourrait fournir plus de directives à ce sujet, produire une liste récapitulative des sanctions et améliorer le processus d’octroi de licences, ce qui aiderait le secteur privé à respecter plus efficacement les sanctions. Les prochaines sections présentent ces solutions.

B. Directives au sujet des sanctions

En ce qui concerne l’administration des régimes de sanctions, les témoins ont le plus souvent reproché au gouvernement le manque de directives concernant l’interprétation et l’application des règlements. D’après John Boscariol, « [a]ucun représentant d’Affaires mondiales Canada ni d’autres organisations du gouvernement ne va fournir de l’orientation ou de l’aide à l’égard des sanctions économiques » et « [l]orsque les gens d’affaires s’adressent à eux pour leur poser des questions, même les plus simples en apparence, Affaires mondiales leur dit de retenir les services d’un avocat[69] ».

Comme l’a fait remarquer Milos Barutciski, associé de Bennett Jones LLP, les organismes gouvernementaux qui jouent des rôles semblables dans d’autres domaines fournissent régulièrement des conseils dans le cadre de leur mandat en tant qu’organisme de réglementation : « Je fais affaire avec le Bureau de la concurrence. Je fais affaire avec l’ASFC. Je fais affaire avec la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario. Je fais affaire avec plusieurs organismes et je vais obtenir leurs commentaires ou leur interprétation quant à la façon d’appliquer la loi », mais si « j’appelle les responsables des sanctions […], on me répond qu’on ne peut interpréter la loi » ou « nous ne sommes pas chargés de la réglementation[70] ».

Les témoins se sont empressés de préciser que les fonctionnaires d’Affaires mondiales Canada et d’autres ministères n’étaient pas en cause, mais que le problème est plutôt attribuable au manque de ressources et à l’inexistence d’un mandat en bonne et due forme dans ce domaine. Selon M. Boscariol, « les avocats du gouvernement qui travaillent au sein d’Affaires mondiales travaillent dur, sont très compétents et connaissent bien leur domaine, mais la section du droit économique continue d’accuser des lacunes au chapitre de l’effectif et des ressources[71] ». M. Barutciski a fait remarquer que la Section du droit économique d’Affaires mondiales Canada exerce d’autres fonctions, ce qui mine sa capacité d’agir comme organisme de réglementation : « Est-ce que je jette le blâme sur ces fonctionnaires? Absolument pas. Ces 12 personnes ne peuvent pas conseiller le ministre des Affaires étrangères […] de façon appropriée sur les enjeux qui le concernent en ce qui a trait aux droits de la personne et aux Nations Unies, en plus de traiter les demandes de permis pour les turbines à gaz[72]. »

Le Comité est convaincu qu’il faut restructurer la manière dont les régimes de sanctions du Canada sont administrés. On pourrait ainsi mieux tenir compte de leur double nature (en tant qu’outil de la politique étrangère et système de réglementation national) et assurer l’affectation des ressources adéquates à l’administration de ces deux aspects. Le volet de l’imposition des sanctions (déterminer le type de mesures à prendre pour atteindre un objectif précis, collaborer avec les partenaires internationaux du Canada, surveiller les résultats dans l’État visé) exige des capacités différentes de celui de l’administration du cadre réglementaire national.

Recommandation 3

Le gouvernement du Canada devrait réformer les structures chargées des régimes de sanctions et leur accorder des ressources adéquates, afin de pouvoir imposer de manière efficace des sanctions contre les États et les personnes visées.

Au sujet du genre de conseils que doit fournir le gouvernement, M. DeRose demandait « des directives [par écrit] sur l’élaboration de programmes de conformité avec les sanctions économiques canadiennes, ainsi que sur la façon dont les entreprises canadiennes ayant déjà des programmes de conformité peuvent déterminer si leurs programmes répondent aux critères du gouvernement canadien[73] ».

M. Alsace a fait valoir que le gouvernement doit produire des directives lorsqu’il met en place de nouveaux règlements, surtout s’il s’agit de sanctions nouvelles ou complexes, comme les mesures touchant des secteurs particuliers ou l’émission de titre de créances ayant été imposées contre la Russie : « Nous aurions vraiment eu besoin de plus d’information lorsque les sanctions ont été imposées contre la Russie […] lorsque les sanctions ont été imposées contre la Russie, bien honnêtement, c’était la pagaille. Ces sanctions sont complètement différentes. Elles ne font pas en tant que telle partie de la liste des sanctions […] [et] séparent les transactions de crédit et l’émission de titres de créance […] C’est très compliqué[74]. »

Sandy Stephens, avocate-conseil adjointe de l’Association des banquiers canadiens, a rappelé au Comité que les seules directives écrites produites par le gouvernement au sujet de la conformité aux sanctions est un guide publié par le BSIF – un organisme auquel la « [Loi sur les mesures économiques spéciales] ne confère pas de rôle[75] » selon le témoignage de son représentant. Or, ce guide n’a pas été mis à jour depuis 2010. Mme Stephens a ajouté qu’en fournissant « des directives d’orientation générale », le gouvernement pourrait non seulement « aider les institutions financières à respecter les lois et règlements sur les sanctions économiques », mais aussi « agirait à l’instar d’autres instances politiques comme le Royaume‑Uni, les États-Unis et l’Union européenne[76] ».

Plusieurs autres témoins ont souligné la différence entre l’approche réglementaire suivie par le Canada et celle d’autres pays. Entre autres, John Boscariol, a déclaré : « D’autres administrations – dont l’Australie, les États-Unis et l’Union européenne – offrent beaucoup d’orientation et d’outils à leurs exportateurs pour permettre à ceux-ci de faire concurrence efficacement tout en se conformant à ces mesures. Les entreprises canadiennes ne bénéficient pas de directives ou d’une orientation de la part de leur gouvernement, ce qui les place en situation de désavantage concurrentiel sur la scène internationale[77]. »

Le Comité estime qu’il est essentiel à la bonne marche des régimes de sanctions du Canada de fournir des directives au secteur privé, et ce afin que ce dernier comprenne et respecte comme il se doit les mesures conçues dans le but d’atteindre un objectif de la politique étrangère. Le système réglementaire national relatif aux sanctions doit être conforme aux normes administratives établies par les organismes de réglementation canadiens dans d’autres secteurs, ainsi que par des organismes de réglementation des sanctions à l’étranger.

Recommandation 4

Le gouvernement du Canada devrait fournir par écrit, et de manière accessible au public, des directives détaillées au public et au secteur privé au sujet de l’interprétation des règlements sur les sanctions pour faire respecter le plus possible ces règles.

C. Liste récapitulative des sanctions

Contrairement à d’autres administrations, le Canada ne dresse pas de liste récapitulative des personnes et entités visées par des sanctions. L’Australie, l’Union européenne, les Nations Unies et les États-Unis publient tous de telles listes, accessibles au public sur Internet[78]. Hugh Adsett, jurisconsulte et directeur général à Affaires mondiales Canada, a justifié ainsi la décision du gouvernement de ne pas produire de liste : « Je dirais qu’une liste consolidée pose problème, notamment parce qu’il s’agit essentiellement d’une liste administrative. Au bout du compte, pour avoir une bonne idée de ce qui constitue une liste contraignante, il faut consulter les textes réglementaires du ministère de la Justice[79]. »

Cependant, Vincent DeRose, a expliqué au Comité le travail additionnel et, par conséquent, les coûts engendrés par l’absence d’une telle liste, en particulier lorsque les règlements en vigueur sont modifiés :

[…] sans liste récapitulative comme celle dont nous réclamons la création depuis au moins une ou deux semaines, un mois même, il est difficile de se faire une idée claire. Franchement, l’alternative est de prendre le règlement codifié le plus récent, celui qui contient la dernière liste connue, puis d’éplucher toutes les modifications qui y ont été apportées, donc il faut littéralement demander à quelqu’un de refaire la liste […] Nous avions une équipe à notre cabinet juridique, qui a épluché tous ces documents, et elle se compose de personnes habituées à le faire. Honnêtement, l’entrepreneur canadien qui n’a aucune expérience en la matière serait totalement perdu[80].

Dans son témoignage, Sandy Stephens a également mentionné qu’une liste récapitulative était nécessaire : « L’absence de méthode de communication systématique des mises à jour régulièrement apportées à ces listes impose un fardeau inutile au secteur privé et aggrave les risques de non-respect des règlements, ce qui compromet le régime mis en place[81]. »

Les témoins ont également soulevé la nécessité pour le gouvernement de fournir des renseignements additionnels lorsque le nom d’une personne ou d’une entité est ajouté à une liste établie en vertu d’un règlement. Sue Eckert a noté, avec satisfaction, l’évolution du régime de sanctions onusien en faveur de la communication de plus amples renseignements d’identification : « Au début, […] il y a eu un cas où l’ONU avait simplement indiqué “Big Freddy”. Il n’y avait aucun renseignement pour l’identification […] Nous avons fait beaucoup de chemin depuis. L’ONU fournit actuellement des identificateurs, du moins quand il y a un passeport... une date de naissance. L’ONU fournit toute l’information dont elle dispose dans la mesure du possible. Je crois que c’est important[82]. »

Une telle évolution des pratiques n’a pas été observée au Canada. À l’heure actuelle, certains règlements pris en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales précisent la date de naissance des personnes ciblées, comme les règlements visant la Birmanie et le Zimbabwe, mais d’autres se limitent à des noms, comme ceux concernant l’Iran et la Russie[83]. John Boscariol a décrit comment le manque d’information d’identification peut causer des problèmes pour ce qui est de l’observation des sanctions : « Lorsque des noms sont inscrits sur la liste canadienne, souvent, ce n’est qu’un nom qui est ajouté à la liste, sans aucun détail [...] Nous agissons au nom d’une entreprise qui envisageait d’effectuer des transactions avec l’entreprise portant ce nom en Birmanie. Il y avait de légères différences [entre le nom de l’entreprise et le nom inscrit sur la liste]. Nous soupçonnions qu’il pouvait s’agir de cette entité, alors nous avons téléphoné à Affaires mondiales, mais les responsables n’ont pas pu nous donner d’assurance quant au fait qu’il s’agissait ou non de l’entité nommée. C’est une situation délirante […] si nous ne pouvons pas identifier adéquatement qui sont les parties figurant sur ces listes et permettre aux entreprises et aux banques de les identifier, les mesures n’auront aucun effet pratique[84]. »

Le Comité estime que le gouvernement devrait s’efforcer, à l’exemple d’autres administrations, de tenir une liste consolidée des personnes visées par des sanctions et de fournir plus de renseignements pour aider le secteur privé à les identifier.

Recommandation 5

Le gouvernement du Canada devrait créer et tenir à jour une liste complète et publique de toutes les personnes et entités visées par des sanctions canadiennes; cette liste devrait être facilement accessible et contenir tous les renseignements nécessaires pour aider à bien identifier les personnes et entités qui y figurent.

D. Délivrance des permis et des licences

Il est également ressorti des témoignages de professionnels que le secteur privé serait mieux en mesure d’observer les mesures de sanctions si des améliorations étaient apportées au processus de demande de licences. Selon G. Stephen Alsace, « [i]l y a un certain nombre de nos clients qui sont dans l’incertitude depuis 16 mois parce que nous avons présenté une demande de permis sans obtenir de réponse. On ne nous dit même pas dans quel délai nous pouvons nous attendre à obtenir une réponse[85]. »

Milos Barutciski a souligné à quel point il était différent de demander des conseils et des permis à la Section du droit économique dans le contexte de règlements pris en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales par rapport à la Direction générale de la réglementation commerciale en vertu de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation : « […] la Direction générale de la réglementation commerciale […] compte 50 employés, notamment des ingénieurs et des techniciens qui évaluent les produits […] Ils ont cette capacité. Il y a aussi un organe administratif qui traite les demandes de permis, qui utilise un mécanisme de traitement des permis en ligne. La structure de la Direction générale lui permet donc de réglementer et d’appliquer la loi. Si vous appelez la Direction générale [de la réglementation commerciale] et que vous demandez conseil, ce sont des fonctionnaires éclairés, responsables de l’application d’une loi réglementaire, qui vous répondront[86] ». On peut voir cette différence en consultant les sites Web des deux sections. À la page Web sur les permis relatifs aux sanctions économiques, un avertissement en rouge recommande aux gens d’obtenir des conseils juridiques avant de faire une demande de permis, et les instructions à suivre pour l’obtention d’un permis sont brèves. En revanche, la page sur les contrôles à l’exportation comporte entre autres des liens vers un manuel, un guide et des avis consultatifs sur les contrôles à l’exportation ainsi que vers un système de demande de licences en ligne[87].

Le Comité estime que la délivrance de permis ou de licences en vertu de règlements imposant des sanctions devrait respecter des normes semblables à celles appliquées par les organismes de réglementation dans des domaines semblables ou par les organismes de réglementation des sanctions dans d’autres administrations.

Recommandation 6

Le gouvernement du Canada devrait confier la responsabilité de la délivrance des permis accordés en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales et de la Loi sur les Nations Unies à une section d’Affaires mondiales Canada qui délivre déjà des permis semblables en vertu de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation.

Même s’ils ont critiqué la façon dont les régimes de sanctions sont administrés par le gouvernement, les professionnels du secteur privé ont également indiqué qu’il était possible d’apporter des améliorations, ce qui pourrait avoir une incidence très positive sur la mise en œuvre des mesures par le secteur privé. Le Comité partage l’avis de M. Barutciski qui a introduit son intervention comme suit : « Mes commentaires seront négatifs, mais je ne crois pas que nous soyons au bord du gouffre. Il ne serait pas trop difficile de régler les problèmes, mais le système est fondamentalement incohérent[88]. »

Le Comité estime qu’il est possible d’améliorer considérablement la mise en œuvre des sanctions – et par extension l’efficacité des régimes de sanctions canadiens – si l’on reconnaît la nécessité de créer une section spéciale qui agirait à titre d’organisme national de réglementation des sanctions et que l’on tire des leçons des pratiques exemplaires déjà adoptées par des organismes de réglementation canadiens et des organismes semblables dans d’autres pays.

APPLICATION DES LOIS EN MATIÈRE DE SANCTIONS

Après avoir traité de l’élaboration, de l’administration et de la mise en œuvre des règlements pris en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales et de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, le rapport se penche maintenant sur leur application. De tous les aspects étudiés par le Comité, c’est au chapitre de l’application des règlements qu’il a eu le plus de difficultés à recueillir de l’information et par conséquent d’en arriver à des conclusions. En résumé, ces deux lois n’ont pas donné lieu à beaucoup d’activités d’application de la loi. Une seule condamnation a été prononcée pour violation des règlements se rapportant à la Loi sur les mesures économiques spéciales depuis son adoption en 1992. De même, peu de poursuites ont été intentées en vertu de lois connexes et de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus. L’ASFC a indiqué qu’elle avait empêché un grand nombre d’exportations vers des pays visés par des sanctions, mais elle a laissé entendre qu’il s’agissait d’un acte délibéré dans très peu de cas, l’intention étant nécessaire pour porter des accusations criminelles. Le Comité croit toutefois qu’il est probable que des infractions criminelles soient commises et ne fassent pas l’objet d’enquête. Il estime qu’il faut redoubler d’efforts pour faire appliquer les sanctions imposées par le Canada.

Ces lois soulèvent des questions différentes, car leurs objectifs ne sont pas les mêmes. Les règlements pris en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales ont pour but d’assurer l’efficacité des mesures prises en vue d’atteindre un objectif de la politique étrangère, tandis que les règlements découlant de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus visent à préserver des fonds détournés et à permettre leur recouvrement, dans une optique plus générale de lutte contre la corruption dans le monde. Pour ces raisons, il importe d’étudier séparément l’application de ces deux lois.

A. Application de la Loi sur les mesures économiques spéciales

Les représentants de la GRC, de l’ASFC et d’IRCC ont décrit les systèmes et procédures solides qui ont été mis en place en vue de l’application des règlements pris en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales, ainsi que de la Loi sur les Nations Unies[89]. On ne parle pas seulement d’enquêtes et de poursuites en cas de violations des sanctions, mais aussi de prévention et de contrôle à la frontière, le but étant de prévenir l’exportation de biens prohibés et l’entrée de personnes interdites de territoire. Les témoignages ont fait ressortir la compétence et le professionnalisme du personnel de ces organismes, et rien ne laissait sous‑entendre que les procédures en place devaient être améliorées.

À titre d’exemples concrets, la GRC a mentionné deux affaires ayant mené à une condamnation. La première touchait la Loi sur les mesures économiques spéciales et l’autre, la Loi sur les Nations Unies. Dans les deux cas, il s’agissait de l’envoi de matières prohibées en Iran, mais dans un cas, l’affaire Yadegari, on a pu démontrer que la personne en cause avait planifié de contourner les mesures de sanctions et avait fait des efforts concertés dans ce sens[90]. L’ASFC a indiqué qu’au cours des cinq dernières années, elle avait empêché l’exportation d’environ 250 envois de biens prohibés vers des pays visés par des sanctions, mais que rien n’indiquait une intention criminelle dans la majorité des cas. Par conséquent, l’ASFC s’est contentée de prendre des mesures réglementaires pour résoudre les problèmes de non‑conformité[91]. Dans ce genre de situations, l’ASFC prévient l’exportation des biens et peut imposer une amende ou encore saisir les biens en question. L’ASFC n’a pas précisé le nombre d’affaires renvoyées aux fins d’enquête criminelle, mais ces renvois seraient peu fréquents selon la correspondance avec le Comité[92].

On ne peut pas dire, en se fondant sur les témoignages, exactement pourquoi il y a si peu d’enquêtes criminelles et de poursuites en cas de violation des sanctions. Les représentants de la GRC et de l’ASFC et les autres témoins n’ont pas laissé entendre qu’un aspect quelconque de la loi nuisait aux poursuites.

Au sujet de l’absence de poursuites, Vincent DeRose a tenu les propos suivants : « Je dirais que le peu de poursuites est plutôt attribuable à un manque d’enquêtes, de ressources et de capacité d’enquêter[93] », un point de vue soutenu par le gouvernement. L’ASFC a déclaré qu’il n’était ni pratique ni souhaitable d’enquêter sur toutes les violations[94]. La GRC a insisté sur la priorisation des enquêtes et sur la nécessité de mettre l’accent sur la lutte contre le terrorisme et les crimes violents[95]. Par ailleurs, Affaires mondiales Canada a déclaré qu’« [o]n attend des entreprises canadiennes actives à l’étranger qu’elles se conforment aux lois canadiennes et on présume, de façon générale, que c’est ce qu’elles feront[96] ».

Le Comité estime qu’il est essentiel de bien appliquer les sanctions pour assurer l’efficacité en général des régimes de sanctions canadiens et que le gouvernement devrait faire de l’application des sanctions une priorité.

Recommandation 7

Le gouvernement du Canada devrait veiller à ce que les organismes d'exécution de la loi accordent une haute priorité à l'application des sanctions et reçoivent les ressources nécessaires pour ce faire.

Les témoins ont soulevé une question connexe liée à l’application des sanctions à l’échelon international. Plusieurs témoins ont indiqué qu’il fallait évaluer l’efficacité des régimes de sanctions de façon globale[97]. Lorsque les pays travaillent ensemble à la mise en œuvre des sanctions, que ce soit par l’entremise de l’ONU ou d’une autre façon, l’efficacité du régime adopté dans un pays dépend de l’efficacité des régimes de tous les autres pays dans leur ensemble. Parlant des sanctions contre la Corée du Nord, Andrea Berger, directrice adjointe de la Politique nucléaire et de la Non-prolifération, et agrégée de recherche supérieure au Royal United Services Institute, a indiqué que les pays n’ayant pas la capacité de mettre en œuvre et d’appliquer les sanctions sont à « l’origine de multiples fuites dans le régime de sanctions, et qui permet à la Corée du Nord de poursuivre ses activités illicites[98] ».

Le Comité est d’avis que le Canada doit, dans toute la mesure du possible, coopérer avec ses partenaires qui mettent aussi en œuvre des mesures. Le gouvernement devrait les encourager à faire respecter les sanctions afin d’assurer l’efficacité générale des régimes de sanctions.

B. Application de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus

D’après les témoignages, la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus a été très peu utilisée depuis son adoption en 2011. Comme on l’a déjà indiqué, cette loi sert à bloquer les produits de la corruption transnationale afin de permettre à l’État lésé de les recouvrer. À ce jour, cette loi a été utilisée à l’égard de l’Égypte, de la Tunisie et de l’Ukraine[99]. La GRC n’avait connaissance d’aucune saisie de biens menée en application de cette loi. En revanche, Affaires mondiales Canada a déclaré que plus de 2,5 millions de dollars en biens avaient été bloqués depuis l’entrée en vigueur de la loi[100]. Il a toutefois précisé que la Tunisie n’avait recouvré aucun bien, et aucune information n’indiquait que l’Égypte ou l’Ukraine avaient fait des démarches de recouvrement[101]. Le Comité est au courant d’une seule affaire mettant en cause la loi (personne visée par le règlement touchant la Tunisie)[102]. D’après les témoignages, il ne semble pas que des infractions à cette loi soient commises ou demeurent impunies. Le Comité estime que cette loi est un outil limité qui n’a pas eu de répercussions importantes depuis son entrée en vigueur il n’y a pas longtemps.

Le Comité a toutefois entendu des témoignages probants concernant le problème de la corruption mondiale en général et du recouvrement des biens. La Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus représente une partie de la solution du Canada à ce problème. Dans leurs témoignages, Gerry Ferguson, professeur émérite de droit de la faculté de droit de l’Université Victoria, et Gretta Fenner, administratrice déléguée du Basil Institute on Governance, ont souligné l’étendue et l’importance de la lutte contre la corruption dans le monde et la nécessité pour le Canada d’en faire plus. Plus particulièrement, les deux témoins ont insisté sur l’importance de mettre en place un registre sur la propriété effective pour empêcher les dirigeants corrompus et leurs complices de dissimuler leurs activités illicites derrière des entités licites.

MODIFICATIONS RECOMMANDÉES À LA LOI SUR LES MESURES ÉCONOMIQUES SPÉCIALES ET À LA LOI SUR LE BLOCAGE DES BIENS DES DIRIGEANTS ÉTRANGERS CORROMPUS

Jusqu’à maintenant, le rapport a porté sur les enjeux d’ordre politique et administratif soulevés par la Loi sur les mesures économiques spéciales et la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, étant donné l’utilisation de ces lois dans le plus vaste contexte du programme de sanctions du Canada. Dans cette dernière partie du rapport, le Comité examine les modifications qui devraient être apportées à ces lois. Plus précisément, il estime qu’il est possible de les améliorer à trois égards, soit pour :

  • protéger les droits procéduraux des personnes visées;
  • assurer un rôle utile au Parlement à l’égard de l’administration des sanctions;
  • élargir la portée de la Loi sur les mesures économiques spéciales de manière à mieux protéger les droits de la personne.

Les témoignages concernant les droits procéduraux des personnes visées par les régimes de sanctions de l’UE et de l’ONU, et les efforts déployés pour améliorer la protection de ces droits ont convaincu le Comité que des réformes semblables doivent avoir lieu au Canada. Les personnes visées par des régimes de sanctions canadiens doivent avoir la possibilité de se défendre contre des mesures essentiellement punitives. Le Comité est d’avis que les lois devraient être modifiées afin d’offrir à ces personnes un mécanisme leur permettant de contester leur désignation par des moyens administratifs.

Comme le démontre le présent rapport, dans les 20 dernières années, les sanctions ont joué un rôle grandissant dans la poursuite d’objectifs de la politique étrangère du Canada. Il n’y a jamais eu autant de régimes de sanctions, et beaucoup d’entre eux sont maintenus en place pendant de longues périodes. Pour ces raisons, le Comité est d’avis que le Parlement devrait avoir la possibilité d’examiner de près l’utilisation de ces outils de politique clés tout au long de leur cycle de vie, et non seulement lorsque les sanctions prennent fin. La Loi sur les mesures économiques spéciales devrait donc être modifiée afin d’exiger la présentation d’un rapport annuel au Parlement sur l’utilisation des sanctions.

Si les sanctions sont plus souvent utilisées comme outil de la politique étrangère maintenant, c’est en partie parce qu’elles servent de réponse à des situations internationales de plus en plus diverses. Le Conseil de sécurité des Nations Unies et des pays partenaires ont maintenant recours aux sanctions dans d’autres contextes que des conflits armés ou de graves atteintes à la paix et à la sécurité internationales. Les sanctions sont maintenant vues comme un moyen utile de remédier aux violations des droits de la personne. Des témoignages, en particulier ceux de défenseurs des droits de la personne qui sont respectés, ont convaincu le Comité qu’il est nécessaire d’élargir les raisons pouvant être invoquées pour adopter des sanctions en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales, plus précisément pour permettre leur utilisation en cas de graves violations des droits de la personne.

A. Les droits procéduraux des personnes visées

Les restrictions et interdictions imposées aux personnes visées par des sanctions limitent intentionnellement leur capacité de mener des activités qui seraient acceptables autrement et peuvent bouleverser leur vie. Même si elles ne constituent pas une peine criminelle, ces mesures sont essentiellement punitives et ne doivent donc pas être utilisées de manière arbitraire ou sans donner à la personne la possibilité de se défendre.

À ce jour, personne n’a contesté les mécanismes d’examen ministériel prévus dans la Loi sur les mesures économiques spéciales et la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus pour des raisons d’équité procédurale.[103]. Cependant, au sein de l’UE, une série d’actions en justice mettant en cause l’équité procédurale du processus de désignation ont eu une grande incidence sur la façon dont l’UE administre son programme de sanctions. Comme l’a expliqué Maya Lester, « la Cour [européenne de justice] a déterminé que puisqu’il s’agit de mesures contraignantes qui ont des répercussions sur les droits fondamentaux des gens, […] ils devraient avoir accès au contrôle judiciaire pour contester la validité de leur désignation […] Il y a eu des centaines de causes de ce type au Luxembourg, dont bon nombre ont été gagnées […] les premières contestations ont porté sur l’application régulière de la loi. La Cour européenne a déclaré que si les institutions de l’Union européenne imposent des mesures contraignantes à des individus et à des personnes morales, elles doivent respecter les normes fondamentales de l’application régulière de la loi[104]. »

Clara Portela, professeure à l'Université de Management de Singapour, a indiqué que ces contestations devant les tribunaux ont eu une incidence sur les décisions prises par l’UE en matière de sanctions : « L’Union européenne éprouve actuellement beaucoup de difficultés à inscrire des personnes sur sa liste noire. Elle hésite beaucoup à élargir sa législation, car elle a eu bien du mal à présenter des preuves qui pouvaient être rendues publiques en cour pour étayer ses cas[105]. »

Selon Mme Lester, ces affaires ont eu des répercussions à l’extérieur de l’UE, puisque les contestations réussies des désignations de l’UE fondées sur des sanctions onusiennes ont « mené directement à la création du Bureau de l’ombudsman pour le Comité des sanctions contre Al-Qaïda de l’ONU[106] ». Durant son témoignage, la première ombudsman, la Canadienne Kimberly Prost, a expliqué comment le pouvoir d’imposer des sanctions de l’ONU :

[…] a été remis en question quant à sa crédibilité et à son étendue. Il y a trois points sur lesquels le Conseil de sécurité a été critiqué […] Le premier point que je ferai valoir est qu’il existe des objectifs et des raisons de principe très précis qui sous-tendent le recours aux sanctions […]
Le deuxième point, lié de très près au premier, est que, lorsqu’il s’agit d’exercer le pouvoir de sanction, ce pouvoir doit être défini avec grand soin, notamment quand ce sont des individus qui sont visés […]
Le troisième point, bien entendu, réside dans le fait que, comme la norme est beaucoup moins contraignante que dans les poursuites criminelles, il faut qu’il y ait des procédures très claires qui assurent un processus équitable aux individus et entités ciblés, ceux qui figurent dans la liste. Cela comprend les éléments fondamentaux du processus équitable : signification d’un avis, même postérieure au blocage ou à l’amorce de l’action ou de la mesure économique, communication des motifs précis pour lesquels l’individu a été inscrit sur la liste, possibilité de contester ces motifs et d’être entendu par un décideur et, le plus important, révision indépendante par un organe habilité à apporter un redressement réel[107].

Mme Prost a ajouté que le mécanisme d’examen ministériel des désignations prévu dans les deux lois « ne satisfera pas au critère de révision objective et indépendante voulu par le processus équitable[108] ». Mme Lester était du même avis, recommandant que l’on mette en place « un système administratif capable de réagir » en plus de permettre aux personnes d’intenter un recours devant les tribunaux.[109]

Affaires mondiales a reconnu l’importance de l’équité procédurale, mais estime que les protections actuelles sont adéquates. Hugh Adsett a déclaré ce qui suit : « Je pense que la question de la procédure officielle est importante. Je dirais que c’est un élément central de la manière dont nous avons traité les sanctions dans la loi existante jusqu’à présent […] Je pense que nous avons instauré des mesures permettant aux personnes inscrites sur la liste ou sur une liste prévue par la Loi sur les mesures économiques spéciales, par exemple, de demander d’être rayées de la liste […] La loi canadienne permet certainement à ceux qui jugent qu’ils ne devraient pas figurer sur la liste de faire une demande de radiation. S’ils ne sont pas satisfaits de la réponse reçue ou de la décision du ministre, ils peuvent également demander un examen judiciaire[110]. »

Toutefois, John Boscariol a dressé un portrait différent de la pratique au Canada : « D’après mon expérience de la représentation d’entreprises inscrites sur les listes du Canada, je peux vous dire que le processus à suivre pour les retirer quand on sait qu’il y a eu une erreur est très difficile. Il n’y a aucune réflexion, aucune transparence à cet égard. Il n’y a pas d’application régulière de la loi […] nous devons nous doter d’un meilleur mécanisme pour protéger les gens contre les désignations erronées[111]. »

Le Comité est d’avis que les mécanismes prévus dans la Loi sur les mesures spéciales et la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus afin de permettre aux personnes visées par des sanctions de contester leur désignation ne sont pas adéquats et doivent être modifiés afin de prévoir un examen administratif rigoureux, conformément aux principes de l’équité procédurale.

Recommandation 8

Le gouvernement du Canada devrait modifier la Loi sur les mesures économiques spéciales et la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus afin d’établir un processus administratif indépendant qui permettrait aux personnes et aux entités désignées par ces lois de contester leur désignation de manière transparente et juste.

Comme l’on fait valoir plusieurs témoins, il est important, pour l’équité procédurale, que les personnes visées soient informées des raisons pour lesquelles des sanctions leur sont imposées. Ce point a également été soulevé précédemment dans le contexte de l’efficacité des sanctions. On a alors signalé que les sanctions sont plus susceptibles d’être efficaces si le sujet comprend pourquoi des sanctions ont été prises et ce qu’il doit faire pour les faire lever. Autrement dit, la transparence rend les mesures plus efficaces et plus justes.

Le Comité estime qu’il faudrait améliorer la transparence des régimes de sanctions du Canada. À l’heure actuelle, lorsqu’un règlement est pris ou modifié, le gouvernement publie un communiqué de presse qui explique brièvement pourquoi des mesures ont été imposées. Il affiche aussi une version non officielle du règlement (ou des modifications) sur le site Web des sanctions d’Affaires mondiales Canada. Quelques jours ou semaines plus tard, les règlements sont publiés dans la Gazette du Canada, de même que le résumé de l’étude d’impact de la réglementation requis, qui explique plus en détail les mesures et leurs raisons d’être.

Les modifications apportées en novembre 2016 au règlement visant l’Ukraine pris en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales sont un bon exemple. Le 28 novembre 2016, le gouvernement a publié un communiqué de presse indiquant que 15 personnes avaient été désignées aux fins du règlement par suite de l’élection de représentants de la Crimée à la Douma d’État russe, ce qui allait à l’encontre des obligations internationales de la Russie envers l’Ukraine[112]. Le communiqué précisait que six personnes étaient des députés de la Douma d’État russe provenant de la Crimée, mais ne mentionnait pas les neuf autres personnes. Le communiqué comportait un lien vers le site Web d’Affaires mondiales du Canada sur les sanctions liées à l’Ukraine, où une version non officielle du règlement modifié était affichée[113]. Le 14 décembre 2016, les modifications ont été publiées dans la Gazette du Canada[114], y compris le résumé de l’étude d’impact de la réglementation, qui précise que neuf personnes sont « des pseudo‑représentants du prétendu gouvernement de la Crimée » et que six individus ont été « élus illégalement à la Douma d’État russe ». Ces 15 personnes ont été désignées conformément à l’alinéa 2(e) du règlement parce qu’elles avaient participé « à des activités qui violent la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine » en servant illégalement le gouvernement de la Crimée reconnue par la Russie ou en représentant ce gouvernement dans la Douma russe[115].

Le Comité estime que l’information expliquant les motifs de la désignation ou l’annulation de la désignation d’une personne devrait être rendue plus facilement accessible, par exemple sur le site Web sur les sanctions d’Affaires mondiales Canada ou dans des communiqués de presse, dès que les sanctions entrent en vigueur.

Recommandation 9

Le gouvernement du Canada devrait indiquer clairement les raisons pour lesquelles une personne est désignée ou cesse d’être désignée en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales et veiller à ce que cette information soit facilement accessible au public sur le site Web des sanctions d’Affaires mondiales Canada.

B. Rôle du Parlement

Comme le démontre le présent rapport, de nombreux enjeux stratégiques complexes sont rattachés aux sanctions. L’importance d’évaluer soigneusement les objectifs, le degré d’efficacité et les répercussions possibles des sanctions découle de leur nature même et des fins visées : contraindre, refréner ou stigmatiser des États ou des ressortissants étrangers. Les sanctions ont nécessairement un effet perturbateur, de sorte que le recours à celles-ci ne doit pas être automatique; il ne faut négliger aucun aspect de leur gestion et ne pas s’en tenir à un examen superficiel.

Le Comité s’inquiète de l’absence de disposition de temporisation dans la Loi sur les mesures économiques spéciales. Les règlements pris en vertu de cette loi demeurent en vigueur jusqu’à ce qu’ils soient modifiés ou abrogés par le gouvernement. Le paragraphe 7(9) de la Loi qui exige la production d’un rapport au Parlement sur un régime ne s’applique que lorsque l’ensemble du régime prend fin (c’est-à-dire lorsque le règlement cesse d’être en vigueur). C’est pourquoi seulement deux rapports ont été produits jusqu’à maintenant. Les sanctions du Canada contre la Birmanie, par exemple, demeurent en vigueur sur papier, même si un grand nombre des mesures ont été levées ou assouplies.

En n’exigeant pas de rapports sur les sanctions, cette loi est aux antipodes de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers[116]. En vertu de l’article 12 de cette deuxième loi, le ministre des Affaires étrangères et du Commerce international ainsi que le ministre de la Justice et procureur général du Canada sont tenus de préparer conjointement un rapport annuel sur l’application de la Loi et de le déposer devant chacune des chambres du Parlement. La dernière version de ce rapport, qui portait sur les activités menées de septembre 2015 à août 2016, présentait, par exemple, le nombre d’enquêtes en cours, les accusations portées en vertu de la Loi, les mandats et responsabilités des ministères et organismes fédéraux et des sociétés d’État qui jouent un rôle dans la mise en œuvre de la Loi[117].

Le Comité estime que ce genre de rapports rendraient publics des renseignements utiles étant donné que la politique étrangère – y compris la prise de décisions en matière de sanctions – relève de l’organe exécutif.

Recommandation 10

Le gouvernement du Canada devrait modifier la Loi sur les mesures économiques spéciales afin d’obliger le ministre des Affaires étrangères à déposer, devant les deux chambres du Parlement et dans les six mois suivant la fin de l’exercice, un rapport annuel décrivant en détail les objectifs de tous les décrets et règlements pris en vertu de cette loi ainsi que les mesures prises en vue de leur mise en œuvre.

Par ailleurs, le Comité estime que l’on avait bien fait d’ajouter la disposition exigeant l’examen de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, qui est à l’origine de l’examen actuel. Compte tenu de l’importance grandissante et de l’évolution des sanctions, un examen des deux lois à l’étude s’impose à nouveau dans le futur. Le Comité croit que ces lois devraient être modifiées afin d’exiger la tenue d’un nouvel examen législatif par un comité parlementaire dans cinq ans.

Recommandation 11

Le gouvernement du Canada devrait modifier la Loi sur les mesures économiques spéciales et la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus afin d’exiger qu’un examen législatif de ces lois soit réalisé par un comité parlementaire dans les cinq ans suivant l’entrée en vigueur de ces modifications.

C. Protéger les droits de la personne au moyen de sanctions : le débat entourant la loi Magnitski

Tout au long de son étude, le Comité a entendu les témoignages de défenseurs des droits de la personne, qui recommandaient que l’on impose plus souvent des sanctions à l’endroit des gens qui violent les droits de la personne. Plusieurs de ces témoins ont défendu activement le recours à des mesures semblables par d’autres pays, dans le cadre de ce qui est devenu un mouvement mondial en faveur de l’utilisation des sanctions pour promouvoir les droits de la personne. Visant d’abord à améliorer la situation des droits de la personne en Russie par suite du décès tragique de Sergueï Magnitski, ce mouvement réclame maintenant l’imposition de sanctions contre les auteurs de violation des droits de la personne partout dans le monde et a joué un rôle important dans l’adoption de la Global Magnitsky Human Rights Accountability Act aux États-Unis[118].

Préconisant l’adoption d’une loi semblable au Canada, l’honorable Irwin Cotler, ancien ministre de la Justice, député et président fondateur du Centre Raoul Wallenberg pour les droits de la personne, a dressé la liste des objectifs d’une telle loi :

Le premier est de combattre la persistante et omniprésente culture de corruption, de criminalité et d’impunité. Le deuxième est de dissuader par le fait même les transgresseurs éventuels. Le troisième est de faire du Parlement du Canada un promoteur de la justice internationale, de la même façon que nous cherchons à promouvoir la justice au pays. Le quatrième objectif est de maintenir la primauté du droit et la justice ainsi que la responsabilisation sur notre propre territoire, grâce à des interdictions de visa et à la saisie de biens, entre autres […] Le cinquième objectif est de protéger les entreprises canadiennes qui exercent leurs activités à l’étranger […] Sixièmement, la loi viserait à stigmatiser les auteurs de violations des droits de la personne […] Septièmement, une telle loi donnerait au gouvernement le pouvoir d’agir au lieu de lui lier les mains. Elle nous permettrait de protéger les droits de la personne au lieu d’être complices de violations des droits de la personne […] Enfin, et c’est peut-être l’objectif le plus important, elle dit aux défenseurs des droits de la personne […] qu’ils ne sont pas seuls, que nous sommes solidaires avec eux, que nous ne cesserons pas de nous battre pour leurs droits et que nous assumerons nos responsabilités internationales pour ce qui est de poursuivre la justice et de lutter contre la culture d’impunité et de criminalité dans ces pays[119].

Garry Kasparov, défenseur de la démocratie en Russie et ancien champion mondial d’échecs, a donné une autre bonne raison d’imposer des mesures sévères à l’endroit d’auteurs de violations des droits de la personne :

L’argent cherche toujours un refuge. Nous parlons de centaines de milliards de dollars, si ce n’est pas plus, que l’on cherchera certainement à investir quelque part […] Je ne serais pas surpris de voir le Canada devenir une destination possible, surtout si le gouvernement du Canada se montre prêt à conclure un accord, n’importe quel type d’accord, avec la Russie. Ce serait un signal indiquant que le Canada pourrait peut-être être le prochain refuge[120].

C’est Andrei Sannikov qui a sans doute le mieux fait valoir l’importance d’adopter une telle loi au Canada en expliquant qu’il avait réussi à survivre en prison et à en sortir grâce aux sanctions imposées contre le Bélarus. « Ça m’a probablement sauvé la vie », a‑t‑‑il déclaré, ajoutant ce qui suit : « J’appuie vivement l’adoption de la loi Magnitsky. Ceux qui commettent des crimes contre leurs propres citoyens, qui violent les droits de la personne de manière flagrante et régulière, sur une longue période de temps, profitent de l’immunité parce qu’ils sont de hauts fonctionnaires et qu’aucune loi internationale ne permet de porter des accusations contre eux, même si leurs crimes sont horribles. L’impunité est le moteur de la répression. La loi Magnitsky sera donc un instrument très puissant[121]. »

Selon des spécialistes des sanctions, les sanctions imposées en cas de violations des droits de la personne jouent un rôle symbolique important même si elles ne permettent pas de changer les comportements des personnes visées, car elles signalent que ce genre de violations est inacceptable. De l’avis de Sue Eckert, la Sergei Magnitsky Rule of Law Accountability Act de 2012 n’a pas été « particulièrement efficace en matière de contrainte. Elle vise la stigmatisation de ces personnes. Je crois que c’est important. Cela envoie un signal selon lequel le type d’activités qu’elles exercent est incohérent avec les normes[122]. »

Comme l’ont fait remarquer plusieurs témoins, de nombreux régimes de sanctions ont pour but d’atteindre des objectifs en matière de droits de la personne. George Lopez a observé qu’« en ce qui a trait à la protection et à l’avancement des droits de la personne, le Conseil de sécurité a adopté 15 régimes de sanctions, dont 11 comportent des mesures liées aux droits de la personne ou au droit humanitaire[123] ». Présentant le point de vue canadien, Marc-Yves Bertin, d’Affaires mondiales Canada, a déclaré que la Loi sur les mesures économiques spéciales « peut permettre des sanctions en cas de violations des droits de la personne. Comme nous l’avons mentionné précédemment, cela se produit quand une organisation d’États ou une association d’États dont le Canada est membre appelle à la prise de mesures économiques ou quand le gouverneur en conseil juge qu’une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales est susceptible d’entraîner ou a entraîné une grave crise internationale. Ce n’est pas un concept théorique. Nous l’avons fait pour la Birmanie, le Zimbabwe et la Syrie[124]. »

Même s’ils ont affirmé que les violations des droits de la personne pouvaient être prises en compte au moment de déterminer s’il y avait eu une « rupture sérieuse » de la paix et de la sécurité internationales en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales et malgré les exemples susmentionnés, les porte-parole d’Affaires mondiales Canada n’ont pas pu fournir au Comité une définition précise de ce seuil. Si l’on tient compte des cas où cette disposition a été invoquée par le passé et des termes clairs utilisés dans la Loi, il semble que ce seuil soit élevé, ce qui exclut un grand nombre des violations des droits de la personne visées par la loi américaine.

Entrée en vigueur en décembre 2016 aux États-Unis, la Global Magnitsky Human Rights Accountability Act prend appui sur la Sergei Magnitsky Rule of Law Accountability Act de 2012[125]. Au sujet de la loi de 2012, Zhanna Nemtsova, fondatrice de la Fondation Boris Nemtsov pour la liberté, laquelle porte le nom de son père, un défenseur de la démocratie en Russie qui a été assassiné en 2015, a déclaré :

[…] cette loi […] a établi un extraordinaire précédent : elle a instauré la responsabilité personnelle en matière de violations des droits de la personne, et non plus contre les seuls pays ou gouvernements. Elle cible au contraire les personnes mêmes qui se rendent coupables de corruption et de violations des droits de la personne. Elle impose notamment des mesures ciblées, comme des sanctions sur les visas et le gel des avoirs, aux gens mêlés à l’arrestation, à la torture et à la mort de Sergueï Magnitski, l’avocat moscovite qui avait mis au jour une vaste escroquerie fiscale à laquelle ont participé des représentants de l'État […] et qui avait aussi révélé d'autres violations des droits de la personne[126].

Selon Garry Kasparov, la réponse du gouvernement russe montre l’importance de cette loi :

C’est pour cette raison que Poutine ainsi que ses amis, ses mandataires et ses lobbyistes ont livré une lutte si musclée pour faire abroger la loi Magnitski. C’est parce qu’elle va s’attaquer au fondement même du prétendu contrat social qu’il a conclu avec l’élite russe[127].

Le gouvernement russe a également pris des mesures plus sinistres. Parlant de son hospitalisation à la suite la défaillance de plusieurs de ses organes en 2015, Vladimir Kara-Murza, un militant de la démocratie et des droits de la personne en Russie qui a failli perdre la vie, a déclaré :

[…] on voulait délibérément me tuer en raison de mes activités politiques au sein de l'opposition démocratique russe, et fort probablement à cause de ma participation à la campagne mondiale d'appui à la loi Magnitski[128].

Citant une lettre d’opinion rédigée en collaboration avec Boris Nemtsov pour le National Post en décembre 2012, M. Kara-Murza a également indiqué :

Le Canada a l'occasion de prendre les rênes — comme il l'a fait lors de la création de la Déclaration universelle des droits de l'homme — en adoptant sa loi Magnitski [...] C'est à nous et à nous seuls qu'il appartient d'instaurer le changement démocratique dans notre pays. Cependant, si le Canada veut exprimer sa solidarité envers le peuple russe et soutenir les valeurs universelles de la dignité humaine, ce qu'il peut faire de mieux consiste à signifier aux escrocs et aux profiteurs du Kremlin qu'ils ne sont plus les bienvenus[129].

La Global Magnitsky Human Rights Accountability Act autorise le président des États-Unis à imposer des sanctions à deux catégories de personnes :

  • les responsables de l’assassinat et de la torture extrajudiciaires de dénonciateurs du gouvernement ou de défenseurs des droits de la personne, ainsi que d’autres graves violations des droits de la personne extrajudiciaires à leur endroit;
  • les responsables d’actes de corruption « graves »[130].

Cette loi américaine cible donc des cas précis de violations des droits de la personne et de corruption et déborde le contexte de paix et de sécurité internationales dans lequel s’inscrivent habituellement les sanctions.

Le Comité est d’avis que les sanctions sont un moyen utile de protéger et de promouvoir les droits de la personne et qu’il faudrait modifier la Loi sur les mesures spéciales pour permettre une utilisation élargie des sanctions contre les auteurs de violations des droits de la personne. Le nouveau seuil devrait donner la possibilité d’imposer des sanctions dans des situations qui ne sont pas déjà prévues dans la loi tout en continuant de limiter, de manière judicieuse, la capacité du gouvernement d’utiliser cet outil répressif de la politique étrangère. Le Comité constate que le terme « violation grave des droits de la personne » figure déjà dans les lois canadiennes sur l’immigration et pourrait servir de base à l’établissement d’un nouveau seuil[131]. Le gouvernement devrait utiliser ce nouveau pouvoir dans le cadre d’un ensemble de mesures visant à promouvoir la protection des droits de la personne comme pilier central de la politique étrangère canadienne.

Recommandation 12

En l’honneur de Sergueï Magnitski, le gouvernement du Canada devrait modifier la Loi sur les mesures économiques spéciales afin d’élargir les critères en vertu desquels des sanctions peuvent être prises, par exemple en cas de violations graves des droits de la personne.

Les témoins encourageant une utilisation plus répandue des sanctions contre les auteurs de violations des droits de la personne recommandaient aussi souvent l’imposition d’interdictions de visas ou de voyage, entre autres mesures. Au Canada, la désignation d’une personne interdite de territoire en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés équivaut à une interdiction de voyager. Cette désignation sert, par exemple, à appliquer au Canada les interdictions de voyager imposées par des sanctions de l’ONU[132]. Contrairement aux personnes visées par des sanctions onusiennes, les personnes désignées par un règlement pris en application de la Loi sur les mesures économiques spéciales ne sont pas automatiquement considérées comme interdites de territoire en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, mais la raison pour laquelle elles ont été désignées par un règlement sur les sanctions peut justifier leur interdiction de territoire, par exemple dans le cas d’une personne qui participe à certaines activités criminelles ou d’une personne qui occupe un rang supérieur au sein d’un gouvernement et qui, de l’avis du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, s’est livré à des violations graves des droits de la personne[133]. Le ministre de l’Immigration peut aussi, de sa propre initiative, prévenir l’entrée au Canada de personnes désignées[134].

Le Comité partage l’avis de Meredith Lilly, professeure agrégée de la Norman Paterson School of International Affairs à l’Université Carleton, qui a déclaré qu’« il n’y a pas de motif convaincant selon lequel le gouvernement canadien voudrait imposer des sanctions économiques à l’endroit d’une personne et autoriser du même coup cette personne à venir au Canada[135] ». Le Comité estime que les personnes visées par des sanctions devraient également être interdites de territoire au Canada.

Recommandation 13

Le gouvernement du Canada devrait modifier la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pour que toutes les personnes désignées par un règlement pris en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales soient interdites de territoire au Canada.

CONCLUSION

Le recours aux sanctions comme instrument de la politique étrangère a beaucoup évolué depuis l’adoption de la Loi sur les mesures économiques spéciales en 1992. Comme l’explique le présent rapport, les sanctions ont été rajustées et perfectionnées afin de répondre à des situations internationales de plus en plus variées. De nos jours, un large éventail de mesures ont été mises en place pour faire face à un plus grand nombre de situations qu’auparavant. Elles ont été étendues à des problèmes connexes, par exemple pour lutter contre la corruption transnationale, par l’entremise de la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus.

Cette utilisation accrue des sanctions a amené bien des gens à se demander si les sanctions sont efficaces et si elles permettent d’atteindre les fins visées. Après avoir entendu de nombreux spécialistes des sanctions, le Comité est arrivé à la conclusion que les sanctions peuvent s’avérer un outil utile de la politique étrangère, mais qu’elles ne doivent pas être vues comme une solution à tous les problèmes. Les sanctions doivent être imposées dans un but précis et être adaptées à l’État et à la situation en question. Elles doivent être utilisées comme un outil dans le cadre d’un effort élargi visant à promouvoir la paix et la sécurité internationales.

Le Comité a également entendu des témoignages au sujet de la réglementation nationale des mesures de sanctions. Il estime que la mise en œuvre cohérente des sanctions au Canada est un autre facteur qui contribue à l’efficacité de cet outil. L’unité ministérielle responsable de l’administration des sanctions doit agir comme l’organisme de réglementation qu’elle est et tirer des leçons de l’expérience d’organismes semblables au Canada et d’organismes de réglementation des sanctions dans d’autres administrations.

Le Comité estime que la Loi sur blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus et la Loi sur les mesures spéciales sont des textes législatifs utiles, mais qu’il serait bien d’y apporter certaines modifications, notamment en ce qui concerne la protection des droits procéduraux des personnes visées et de la communication au Parlement de renseignements concernant leur application. De plus, le Comité est d’avis que la Loi sur les mesures économiques spéciales devrait également servir à promouvoir et à protéger les droits de la personne, renforçant ainsi le rôle de leadership que joue depuis longtemps le Canada sur la scène internationale dans ce domaine.


[1]              Pour plus de renseignements, voir Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes (FAAE), Témoignages, 3e session, 40e législature, 7 mars 2011.

[2]              Chambre des communes, Journaux, no 39, 1re session, 42législature, 14 avril 2016; et FAAE, Procèsverbal, 1re session, 42législature, 21 avril 2016.

[3]              Loi sur les mesures économiques spéciales, L.C. 1992, ch. 17, par. 4(1).

[4]              Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C., 1985, ch. E-19.

[5]              Voir l’annexe A pour une description complète des lois et régimes actuels du Canada en matière de sanctions.

[6]              FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 17 octobre 2016.

[7]              Pour une analyse plus approfondie du sujet, voir l’annexe A et l’Initiative pour le recouvrement des avoirs volés, Outils de recouvrement d’avoirs au Canada : Guide pratique.

[8]              FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 10 mars 2016.

[9]              Nations Unies, La Charte Des Nations Unies; États-Unis, International Emergencies Economic Powers Act, 50 U.S.C. §§1701-1706 [en anglais seulement].

[10]           Andrea Charron, UN Sanctions and Conflict: Responding to peace and security threats, Security and Conflict Management Series, Routledge, 2011, p. 2 [traduction].

[11]                 David Cortright et George A. Lopez, The Sanctions Decade: Assessing UN Strategies in the 1990s, Boulder, Colorado, Lynne Rienner Publishers, 2000 [traduction].

[12]                 Daniel W. Drezner, « Sanctions Sometimes Smart: Targeted Sanctions in Theory and Practice », International Studies Review, vol. 13, 2011, p. 97 [en anglais seulement].

[13]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 2 novembre 2016.

[14]                 Thomas J. Biersteker, Marcos Tourinho et Sue E. Eckert, « Thinking about United Nations targeted sanctions », dans Targeted Sanctions: The Impacts and Effectiveness of United Nations Action, Thomas J. Biersteker, Sue E. Eckert et Marcos Tourinho, éd., Cambridge, Royaume-Uni, Cambridge University Press, 2016 [en anglais seulement].

[15]           Le nombre de régimes de sanctions de l’ONU mentionné, soit 14, tient compte du fait que les mesures prises contre le Libéria et la Côte d’Ivoire ont pris fin le 25 mai 2016 et le 28 avril 2016, respectivement. Le nombre de régimes de sanctions américains – 26 – tient compte de la fin des sanctions contre la Birmanie le 7 octobre 2016 et contre la Côte d’Ivoire le 14 septembre 2016. Pour plus de renseignements sur les 38 régimes de sanctions de l’UE, cliquez ici. [en anglais seulement]. Les régimes de sanctions du Canada sont expliqués en détail dans le chapitre « Le cadre législatif au Canada ».

[16]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 26 octobre 2016.

[17]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 30 novembre 2016.

[18]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 26 octobre 2016.

[19]           Ibid.

[20]           L’Iran comptait économiquement sur les marchés internationaux avant de faire l’objet de sanctions. C’est pourquoi les sanctions ont une grande incidence sur l’Iran et qu’elles y ont été beaucoup plus efficaces qu’en Corée du Nord, qui dépendait beaucoup moins du commerce international au moment de l’imposition des sanctions.

[21]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 30 novembre 2016.

[22]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 2 novembre 2016.

[23]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 19 octobre 2016.

[24]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 30 novembre 2016.

[25]           Ibid.

[26]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 14 novembre 2016.

[27]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 30 novembre 2016.

[28]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 2 novembre 2016.

[29]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 21 novembre 2016. Un grand nombre d’études sur les sanctions portent sur les mesures imposées par le Conseil de sécurité de l’ONU et les États‑Unis. Par comparaison, il y a moins d’analyses des sanctions appliquées par des groupes aux vues semblables. Durant son témoignage, M. Biersteker a informé le Comité d’une étude terminée récemment sur les répercussions et les coûts des sanctions contre la Russie. Voir Erica Moret, Thomas Biersteker, Francesco Giumelli, Clara Portela, Marusa Veber, Dawid Bastiat-Jarosz et Cristian Bobocea, The New Deterrent? International Sanctions against Russia over the Ukraine Crisis: Impacts, Costs and Further Action, l’Institut des hautes études à Genève, Programme for the Study of International Governance, 12 octobre 2016 [en anglais seulement].

[30]           Réponses d’Affaires mondiales Canada à des lettres, datées du 15 novembre 2016 et du 1er décembre 2016, envoyées par le président du FAAE, Robert Nault, au ministre des Affaires étrangères de l’époque, Stéphane Dion.

[31]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 19 octobre 2016.

[32]           Conformément à l’article 4 de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, « le gouverneur en conseil peut dresser la liste des pays vers lesquels il estime nécessaire » d’exercer un contrôle. Pour une explication touchant la Liste des pays visés, voir Affaires mondiales Canada, Contrôles à l’exportation à destination de la République populaire démocratique de Corée, 14 juillet 2010. Pour une explication relative à la Loi sur les mesures économiques spéciales, voir FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 21 novembre 2016.

[34]           Ibid., art. 4 et 13, et art. 5 et 11, respectivement. Dans le cas du règlement d’application des résolutions des Nations Unies, le ministre peut délivrer une attestation si les exigences prévues à la résolution visée du Conseil de sécurité sont respectées et si l’activité a été approuvée par le Conseil de sécurité (si les résolutions le requièrent).

[35]           Ibid., art. 3 et 5 et par. 10(2) et 10(3), respectivement. Pour consulter les articles auxquels les dispositions d’exclusion renvoyaient au départ, voir Règlement d’application des résolutions des Nations Unies sur la République populaire démocratique de Corée (RPDC), DORS/2006-287 (du 2013-11-29 au 2016‑10‑20).

[37]           Ces quatre pays sont l’Iran, la Lybie, la Corée du Nord et le Soudan du Sud. Voir l’annexe A pour une liste complète des régimes de sanctions en place et de leur cadre législatif.

[38]           Les règlements pris en application de la Loi sur les Nations Unies ne dressent pas la liste des personnes visées par les sanctions. Ils établissent plutôt les mesures prises contre toutes les personnes désignées par l’ONU. Voir l’annexe A pour plus de renseignements à ce sujet. Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Le Conseil de sécurité de l’ONU impose des interdictions de voyager contre des personnes désignées en vertu de certains régimes de sanctions onusiens. Ces mesures sont appliquées par l’entremise du régime d’interdiction de territoire du Canada, qui est régi par les dispositions de cette loi. L’alinéa 35(1)c) prévoit qu’un étranger est interdit de territoire au Canada s’il s’agit d’une personne :

                dont l’entrée ou le séjour au Canada est limité au titre d’une décision, d’une résolution ou d’une mesure d’une organisation internationale d’États ou une association d’États dont le Canada est membre et qui impose des sanctions à l’égard d’un pays contre lequel le Canada a imposé – ou s’est engagé à imposer – des sanctions de concert avec cette organisation ou association.

[40]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 17 octobre 2016.

[41]           Réponses d’Affaires mondiales Canada à des lettres, datées du 15 novembre 2016 et du 1er décembre 2016, envoyées par le président du FAAE, Robert Nault, au ministre des Affaires étrangères de l’époque, Stéphane Dion. [traduction].

[42]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 21 novembre 2016.

[43]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 17 octobre 2016.

[44]           Réponses d’Affaires mondiales Canada à des lettres, datées du 15 novembre 2016 et du 1er décembre 2016, envoyées par le président du FAAE, Robert Nault, au ministre des Affaires étrangères de l’époque, Stéphane Dion.

[45]           Ibid.; et réponse du ministère de la Justice à une lettre, datée du 15 novembre 2016, envoyée par le président du FAAE, Robert Nault, à la ministre de la Justice et procureure générale du Canada, Jody Wilson-Raybould.

[46]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 21 novembre 2016.

[47]           Pour la liste des institutions financières réglementées par le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), voir, Entités réglementées.

[48]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 17 octobre 2016.

[49]           Un autre organisme indépendant, le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, a pour mandat de faciliter la détection, la prévention et la dissuasion en matière de blanchiment d’argent et de financement des activités terroristes en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17. Ce centre reçoit des déclarations d’opérations financières et des renseignements transmis volontairement sur ces deux activités. Le Comité estime que les travaux du CANAFE dépassent le cadre du présent examen même s’il existe des liens avec les questions abordées dans le présent rapport.

[50]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 17 octobre 2016.

[51]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 24 octobre 2016.

[52]           Ibid. Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

[53]           Ibid.

[54]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 17 octobre 2016.

[55]           Ibid.

[56]           Ibid.

[57]           Réponses d’Affaires mondiales Canada à des lettres, datées du 15 novembre 2016 et du 1er décembre 2016, envoyées par le président du FAAE, l’hon. Robert Nault, au ministre des Affaires étrangères de l’époque, Stéphane Dion.

[58]           Pour une explication de l’obligation de vérification, voir l’annexe A.

[59]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 21 novembre 2016.

[60]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 17 octobre 2016.

[61]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 26 octobre 2016.

[62]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 31 octobre 2016.

[63]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 26 octobre 2016.

[64]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 30 novembre 2016.

[65]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 23 novembre 2016.

[66]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 26 octobre 2016.

[67]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 23 novembre 2016.

[68]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 30 novembre 2016.

[69]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 26 octobre 2016.

[70]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 30 novembre 2016.

[71]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 26 octobre 2016.

[72]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 30 novembre 2016.

[73]           Ibid.

[74]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 23 novembre 2016.

[75]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 17 octobre 2016.

[76]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 23 novembre 2016.

[77]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 26 octobre 2016.

[78]           Gouvernement de l’Australie, ministère des Affaires étrangères, Consolidated List, Australia and Sanctions [en anglais seulement]; Portail de données ouvertes de l’Union européenne, Consolidated list of persons, groups and entities subject to EU financial sanctions [en anglais seulement]; Département du Trésor des États-Unis, Specially Designated Nationals List (SDN), 6 janvier 2017 [en anglais seulement]; Conseil de sécurité des Nations Unies, Organes subsidiaires, Liste récapitulative des sanctions.

[79]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 21 novembre 2016.

[80]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 30 novembre 2016.

[81]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 23 novembre 2016.

[82]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 19 octobre 2016.

[84]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 26 octobre 2016.

[85]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 23 novembre 2016.

[86]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 30 novembre 2016.

[87]           Affaires mondiales Canada, Permis et certificats; Affaires mondiales Canada, Contrôles à l’exportation.

[88]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 30 novembre 2016.

[89]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 17 octobre 2016; Témoignages, 24 octobre 2016.

[90]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 17 octobre 2016.

[91]           Réponse de l’ASFC à une lettre envoyée par le président du FAAE, Robert Nault, au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, Ralph Goodale.

[92]           Ibid. La réponse de l’ASFC décrit trois types de mesures réglementaires prises en cas de non‑conformité et précise le pourcentage de cas où de telles mesures sont prises. Elle mentionne seulement la possibilité d’enquêtes criminelles.

[93]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 30 novembre 2016.

[94]           Réponse de l’ASFC à une lettre envoyée par le président du FAAE, Robert Nault, au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, Ralph Goodale.

[95]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 17 octobre 2016.

[96]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 21 novembre 2016.

[97]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 28 novembre 2016; Témoignages, 19 octobre 2016.

[98]           FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 28 novembre 2016.

[99]           Voir l’annexe A pour une description plus détaillée des règlements pris en vertu de cette loi.

[100]         FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 17 octobre 2016; Réponses d’Affaires mondiales Canada à des lettres, datées du 15 novembre 2016 et du 1er décembre 2016, envoyées par le président du FAAE, Robert Nault, au ministre des Affaires étrangères de l’époque, Stéphane Dion.

[101]         Réponses d’Affaires mondiales Canada à des lettres, datées du 15 novembre 2016 et du 1er décembre 2016, envoyées par le président du FAAE, Robert Nault, au ministre des Affaires étrangères de l’époque, Stéphane Dion.

[103]         Voir l’annexe A pour une description des mécanismes d’examen ministériel prévus dans les deux lois.

[104]         FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 2 novembre 2016.

[105]         FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 31 octobre 2016.

[106]         FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 2 novembre 2016.

[107]         FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 23 novembre 2016.

[108]         Ibid.

[109]         FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 2 novembre 2016.

[110]         FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 21 novembre 2016.

[111]         FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 26 octobre 2016.

[112]         Gouvernement du Canada, Le Canada ajoute des représentants de la Crimée sur la liste des personnes visées par des sanctions, communiqué, 28 novembre 2016.

[114]         Gazette du Canada, Règlement modifiant le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant l’Ukraine, DORS/2016‑304, vol. 150, no 25, 14 décembre 2016.

[115]         Ibid.

[116]         Site Web de la législation (Justice), Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, L.C. 1998, ch. 34.

[118]         Congress.gov, S.2943 - National Defense Authorization Act for Fiscal Year 2017 [en anglais seulement].

[119]         FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 7 décembre 2016.

[120]         Ibid.

[121]         FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 14 novembre 2016.

[122]         FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 19 octobre 2016.

[123]         FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 31 octobre 2016.

[124]         FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 21 novembre 2016.

[125]         États-Unis, Russia and Moldova Jackson-Vanik Repeal and Sergei Magnitsky Rule of Law Accountability Act of 2012, Public Law 112-208, 126 Stat. 1496, 14 décembre 2012 [en anglais seulement].

[126]         FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 10 mars 2016.

[127]         FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 7 décembre 2016.

[128]         FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 10 mars 2016.

[129]         Ibid.

[130]         Congress.gov, S.2943 - National Defense Authorization Act for Fiscal Year 2017, art. 1263 [en anglais seulement].

[131]         Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, al. 35(1)b).

[132]         Ibid., al. 35(1)c).

[133]         Ibid., al. 35(1)b).

[134]         Ibid., art. 22.1. Les lignes directrices sur le pouvoir discrétionnaire de rejet du ministre mentionnent expressément les personnes désignées par les règlements. Voir gouvernement du Canada, Lignes directrices sur le pouvoir discrétionnaire de rejet.

[135]         FAAE, Témoignages, 1re session, 42législature, 26 octobre 2016.