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PROC Rapport du Comité

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LES CONSERVATEURS ET LA DÉMOCRATIE PARLEMENTAIRE

La Chambre des communes n’est pas un problème technologique en attente d’une solution. Le Parlement « est autre chose qu’un code de coutumes ; il a la garde de la liberté », pour citer John Diefenbaker,[1] dont les propos sont maintenant écrits dans nos passeports.

Les origines de notre Parlement remontent à environ huit siècles. Bien que la démocratie ait sans conteste évolué, l’une des quelques constantes est que la Chambre des communes se réunit en personne. Il n’est pas simple d’abandonner ce principe. Les récents appels pour que la Chambre des communes « aille sur Zoom » rappellent les propos de Winston Churchill :

Il est difficile d’expliquer cela à ceux qui ne connaissent pas notre façon de faire. Il peut être difficile de comprendre pourquoi nous considérons que l’intensité, la passion, l’intimité, le caractère informel et la spontanéité de nos débats représentent la personnalité de la Chambre des communes et lui donnent son but et sa force.[2]

Le Parlement doit se réunir—son rôle et sa place sont fondamentaux

Dans un pays démocratique, l’assemblée législative élue est le moteur du système de gouvernement. C’est là que s’exprime le point de vue des quatre coins du pays. C’est aussi là que le pouvoir exécutif rend compte de ses choix, de ses priorités et de ses actions.

Le politologue Christian Leuprecht a parlé de ce rôle en temps de crise :

Au bout du compte, le grand principe constitutionnel sous-jacent en l’espèce est le principe du gouvernement responsable. C’est d’abord et avant tout une question de responsabilité ministérielle en situation de crise et d’urgence.… Le Parlement a le devoir suprême, surtout en temps de crise, d’obliger l’appareil exécutif à rendre des comptes. Les Canadiens ont besoin d’une surveillance parlementaire continue du pouvoir exécutif et des décisions des instances gouvernementales.[3]

Marc Bosc, ancien greffier par intérim de la Chambre, a expliqué la place du Parlement en ce moment :

Dans trop de pays, les organes exécutifs font de l’ombre au Parlement. Les Parlements finissent alors par être plus faibles et moins pertinents. On doit corriger ce déséquilibre, particulièrement en période de crise. Il faut que la Chambre des communes fonctionne et qu’elle soit perçue comme étant une Chambre des communes qui fonctionne. Je veux être clair : le Parlement, particulièrement la Chambre des communes, est un service essentiel pour le pays. Les députés sont également des travailleurs essentiels….[4]

Greg Tardi, un ancien avocat de la Chambre, nous a prévenus : « S’il n’y a aucun Parlement, s’il n’y a aucun compromis et s’il n’y a aucune communication entre les gouvernants et la population, la démocratie tombe essentiellement en panne, à mon avis. »[5]

L’Opposition officielle reconnaît formellement la place centrale du Parlement au sein de la démocratie canadienne et exige résolument que son rôle soit pleinement rétabli.

Le Parlement obtient des résultats pour les Canadiens, et il devrait continuer

Les périodes difficiles nécessitent des questions difficiles, mais nécessaires. Alors que les députés s’engagent unanimement à aider les Canadiens à traverser cette pandémie de la manière la plus sécuritaire, saine et économiquement viable qui soit, ça ne veut pas dire que nous sommes d’accord sur chaque point. 

Cependant, le sens d’une mission commune aux parlementaires n’empêche pas un examen. Le politologue Paul Thomas a écrit dans une lettre d’opinion publiée dans le Winnipeg Free Press :

Tous les députés provinciaux sont tenus d’assurer un examen, mais en pratique, cette responsabilité est principalement assumée par l’Opposition officielle. En période de crise, cette tâche est plus difficile parce que l’Opposition peut être accusée d’obstruction quand elle tente simplement de remplir une fonction essentielle.[6]

Ce ne sont toutefois pas que des préoccupations théoriques. Des observateurs aguerris de la politique canadienne ont soulevé des points similaires. Par exemple, John Ibbitson a écrit :

Tout ce qui est débattu sur Twitter et Facebook et dans les médias doit être débattu à la Chambre des communes et à la période des questions. Le Canada est une démocratie parlementaire, urgence sanitaire ou non.… Les partis de l’opposition ont pleinement le droit de soulever ces enjeux, et le parti au pouvoir a pleinement le droit de défendre son bilan. L’endroit où le faire est au Parlement, pas seulement à une réunion devant un micro.[7]

Son homologue québécoise, Manon Cornellier, a écrit dans Le Devoir :

Les conservateurs … n’ont pas tort d’exiger du gouvernement qu’il rende davantage de comptes. Les discours et les conférences de presse à répétition ne peuvent servir de substitut à l’obligation des ministres et du premier ministre d’être responsables devant les élus. En système parlementaire de type britannique, l’existence du gouvernement repose sur la confiance que lui témoigne la Chambre. C’est à elle ultimement qu’il doit répondre de ses actes et décisions.[8]

Parfois, le simple fait de poser des questions—et de savoir qu’on doit y répondre—oblige le gouvernement à « faire un effort ». Le fait de poser des questions et d’exprimer des préoccupations peut générer des solutions constructives aux lacunes politiques. 

Dans le cas de la COVID-19, les efforts déployés par l’opposition ont par exemple permis d’améliorer la subvention salariale et le soutien aux étudiants, de réduire les pénalités pour les travailleurs à temps partiel, d’empêcher que les nouveaux parents perdent leurs prestations, d’autoriser les caisses populaires à accorder des prêts et de jumeler les employeurs aux employés potentiels. Ce sont sans nul doute des améliorations pour les Canadiens, et elles découlaient toutes des questions des députés de l’opposition sur les programmes du gouvernement.

Si d’autres législatures raniment la vie parlementaire, nous pouvons le faire

La Chambre des communes du Royaume-Uni a recommencé à siéger le 21 avril 2020, et le président de la Chambre a eu le pouvoir de régir le nombre de personnes présentes, actuellement limité à environ 50 députés, tout en facilitant la participation virtuelle à des travaux « hybrides ».[9]  Le 12 mai, la Chambre a prolongé ces dispositions jusqu’à la relâche de la Pentecôte du 20 mai, mais devrait reprendre les séances physiques complètes à son retour le 2 juin.[10] À Édinbourg, le Parlement écossais, en plus de séances de questions virtuelles, a eu des séances où pratiquement la moitié des sièges avaient été retirés, permettant le vote des députés qui ne pouvaient pas être à l’intérieur de la Chambre (ce qui finalement ne s’est pas avéré nécessaire).[11]

En Australie, le Sénat et la Chambre des représentants ont tous deux siégé régulièrement pendant la pandémie.[12] En Nouvelle-Zélande, la Chambre des représentants s’est réunie pendant la pandémie, et a repris son calendrier habituel de trois séances par semaine le 28 avril 2020.[13] Même si chaque Chambre avait réduit la présence aux fins de la distanciation, aucune n’a eu recours aux séances virtuelles.

Plus près d’ici, la plupart des assemblées législatives provinciales ont tenu des séances spéciales pendant la pandémie, et reprennent maintenant le rythme habituel ou prévoient le faire.

L’Assemblée législative de l’Ontario a siégé le 12 mai 2020 et va siéger deux fois par semaine pendant le reste du printemps.[14] L’Assemblée nationale du Québec a siégé le 13 mai 2020, et les séances régulières devraient reprendre la semaine du 25 mai pendant le reste du printemps, avec une présence réduite.[15]

L’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick devrait reprendre ses séances le 26 mai. Les dispositions envisagées sont entre autres une présence limitée, un endroit plus grand, l’installation des députés dans les tribunes et des écrans protecteurs en plexiglas entre les pupitres.[16]

Au Manitoba, l’Assemblée législative a commencé à siéger une fois par semaine le 6 mai, avec des mesures de distanciation physique.[17] En Colombie-Britannique, l’Assemblée législative devrait reprendre ses « séances régulières » dans le cadre de la prochaine étape du plan de réouverture provincial, à la mi-mai.[18]

L’Assemblée législative de l’Île-du-Prince-Édouard devrait siéger le 22 mai 2020, ce qui coïncide avec le début prévu de la prochaine étape du plan de réouverture de la province. Des discussions sont en cours sur diverses possibilités comme une présence réduite ou l’installation des députés dans les tribunes. Le choix d’un nouvel endroit est considéré comme « une solution improbable à court terme ».[19]

L’Assemblée législative de l’Alberta a siégé pendant deux semaines avant Pâques, et a depuis recommencé à siéger le 6 mai 2020, prévoyant travailler pour terminer l’ordre du jour législatif du printemps. Des précautions de distanciation physique sont prises.[20]

À la lumière des succès de notre Chambre (ci-dessous) et d’autres, et des plans pour reprendre les séances, conformément aux plans de réouverture, l’Opposition officielle recommande que la Chambre imite ces assemblées législatives et reprenne ses séances le 25 mai.

Les séances à la Chambre sont importantes, et peuvent être tenues de façon sécuritaire

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, M. Churchill a expliqué combien la Chambre est importante pour donner de la vigueur à la vie démocratique d’un pays :

La vitalité et l’autorité de la Chambre des communes et l’ascendant de celle-ci sur l’électorat, selon le suffrage universel, dépendent dans une large mesure des épisodes et s grands moments, même des scènes et des disputes, qui, tout le monde le sait, se passent mieux à distance rapprochée. Si nous détruisons cet ascendant qu’a le Parlement sur l’opinion publique, et qu’il a préservé pendant tous ces moments changeants et turbulents, l’organisme vivant de la Chambre des communes serait grandement affaibli. On peut avoir une machine, mais la Chambre des communes est beaucoup plus qu’une machine.[21]

Le chroniqueur aguerri Andrew Coyne a étoffé ce concept à la période actuelle :

Il est nécessaire non seulement que ces débats soient ouverts au public. Il est nécessaire qu’ils soient passionnants, pour attirer l’attention des gens, les intéresser, les impliquer dans le résultat. Et cela, comme le sait tout amateur de théâtre, exige que les acteurs soient présents physiquement : pour montrer que le pouvoir est dans la balance, pas seulement des questions de principe abstraites, et que des êtres en chair et en os s’affrontent les uns les autres, avec toutes leurs forces et leurs faiblesses.[22]

La nature du débat et de la discussion sur les enjeux du pays est importante, tout comme l’endroit physique où ils ont lieu. M. Bosc a soulevé ce point :

Le principe général … à l’importance d’avoir un rassemblement physique des députés à Ottawa.  Je crois qu’il est extrêmement important que les citoyens puissent observer leur institution à l’œuvre dans un endroit particulier qui leur est familier. Visuellement, c’est impressionnant ; cela apporte à l’institution le sérieux et l’importance qu’elle mérite. Je ne vais pas mentir, les signes extérieurs importent.… Certains éléments liés au fait de disposer d’un cadre particulier donnent une importance à l’activité, et je crois que c’est un aspect que vous devriez prendre en considération.[23]

Gary O’Brien, un ancien greffier du Sénat, a fait un vibrant plaidoyer en comité pour mettre les difficultés de cette pandémie dans un contexte historique :

Les valeurs du Parlement sont en jeu. Je sais que c’est une terrible maladie. La pandémie est épouvantable, cela ne fait aucun doute, mais il s’agit de notre Constitution. Il s’agit de notre principale institution constitutionnelle, et nous devons la protéger le plus possible.… Je pense à cela d’un point de vue historique. La Chambre a toujours eu des obstacles à surmonter. Je suis un passionné de l’époque d’avant la Confédération. La première séance a eu lieu en 1792 au Haut-Canada.  Pensons au député qui devait se rendre d’Ottawa à [Niagara-on-the-Lake]—c’est là où se trouvait le Parlement à l’époque—,avec toutes les difficultés que cela supposait, mais qui y allait quand même compte tenu de l’importance de l’institution. Je crois qu’il faut garder cela à l’esprit, même en période de pandémie.[24]

L’expérience démontre que la Chambre peut se réunir en personne de manière responsable, en respectant les directives de santé publique. Depuis son premier ajournement en raison de la pandémie, la Chambre a siégé à cinq reprises. À chaque séance, une trentaine de députés étaient présents et l’article 17 du Règlement (exigeant que les députés parlent du siège qui leur est assigné) a été suspendu pour permettre la distanciation.[25] De plus, le Comité spécial sur la pandémie de COVID-19 s’est réuni trois fois à la Chambre. Aucun cas de COVID-19 n’est lié à ces réunions.

L’honorable Anthony Rota, le président de la Chambre, nous a assurés que : « En ce qui concerne les lignes directrices en matière de santé publique, nous avons fait de notre mieux pour nous assurer qu’elles sont respectées. …à la Chambre, quand j’occupe le fauteuil, je peux observer ce qui se passe et, dans l’ensemble, tout le monde garde une distance d’au moins six pieds. »[26] De façon similaire, le Comité a entendu le témoignage de Nicole Gagnon, de l’Association internationale des interprètes de conférence (région du Canada), qui a dit « qu’il n’y a pas de souci quant à une éventuelle contamination à la COVID-19 ».[27]

L’Administration de la Chambre exige « à peu près le même nombre » de membres du personnel pour les séances virtuelles que pour les séances en personne,[28] et « presque deux fois » plus de membres du personnel pour une réunion de comité virtuelle que la normale,[29] en plus des interprètes du Bureau de la traduction, qui travaillent sur la Colline du Parlement, 50 % plus rapidement pour les réunions virtuelles, avec l’ajout de « coordonnateurs ».[30] De son côté, Michel Patrice, le sous-greffier (Administration), nous a dit que « pour l’essentiel, nous avons planifié notre travail en fonction des exigences de nettoyage, et nous sommes capables de répondre à ces exigences ».[31]

Le Globe and Mail a souligné ce qui suit dans un éditorial publié le mois dernier sur la situation :

S’il est possible de faire une distanciation physique sécuritaire dans les épiceries, le transport en commun … et les centres de jardinage, de 30 à 40 députés représentant une version proportionnellement réduite de la Chambre—comme cela a été fait à deux reprises pour adopter des mesures législatives d’urgence—peuvent se réunir sans danger dans une salle prévue pour 338 députés. Et compte tenu de la nécessité pour les Canadiens de rester en isolement pendant encore un moment, si un petit nombre de députés doivent passer les prochaines semaines à Ottawa, sans rentrer chez eux le week-end, faisons-le.[32]

Nous sommes d’accord. L’Opposition officielle recommande que la Chambre des communes utilise sa Chambre pour les séances. De plus, nous pressons les leaders et les whips des partis de maintenir leur approche efficace pour gérer les séances en permettant de respecter les directives de santé publique, ce qui comprend la suspension de l’article 17 du Règlement.

Pendant la pandémie, nous devons permettre la participation de tous les députés

Le Dr O’Brien nous a prévenus, dans son évaluation : « Le but ultime de permettre au Parlement de fonctionner dans la mesure du virtuellement possible sans une présence physique continue à Ottawa semble aller au-delà du simple changement du fonctionnement de la Chambre ».[33]

Plusieurs témoins nous ont pressés d’envisager un modèle hybride des séances de la Chambre, avec une séance physique et des députés y participant à distance par vidéoconférence, comme approche préconisée. M. Bosc, qui avait insisté sur l’importance de l’endroit physique, a décrit le modèle hybride comme offrant :

L’avantage de maintenir pour les députés et la Chambre la souplesse et la marge de manœuvre que leur accordent les séances en personne, tout en étant conformes aux lignes directrices de santé publique grâce à l’ajout d’une participation virtuelle qui offre l’avantage d’assurer une représentation de toutes les régions du pays de façon sécuritaire.[34]

L’honorable Gordon Barnhart, un autre ancien greffier du Sénat, a dit :

Je pense que 20 ou peut-être 30 députés peuvent siéger à la Chambre à condition de pratiquer une distanciation physique adéquate. Le risque n’est pas très élevé, et la distanciation physique doit être pratiquée, mais pour qu’un plus grand nombre de députés puissent participer, il serait préférable de miser sur une participation virtuelle des autres députés.[35]

Répondant à la préoccupation selon laquelle les travaux hybrides ne traitent pas tous les députés de façon égale et, par conséquent, qu’ils enfreignent le privilège, M. Bosc a carrément dit : « Contrairement à vous, ce point ne me préoccupe pas du tout. »[36]

L’Opposition officielle recommande que le modèle hybride soit utilisé pour permettre aux députés qui, pour des raisons liées aux directives de santé publique sur la COVID-19, ne peuvent être présents, de participer au devoir constitutionnel de la Chambre consistant à demander des comptes au gouvernement. Cependant, nous nous opposons fermement à l’utilisation de travaux virtuels pour étudier une mesure législative, un budget ou adresse en réponse.

Les comités virtuels devraient être maintenus et doivent avoir plus que des pouvoirs virtuels

Notre régime de comités est la bête de somme des travaux parlementaires. Plusieurs comités permanents, mais même pas le tiers d’entre eux, sont autorisés à se réunir virtuellement. Au début de l’expérience virtuelle, les comités pouvaient se réunir « dans le seul but d’entendre des témoignages » ;[37] ils ne pouvaient même pas choisir les témoins. Après des négociations, au risque que les libéraux disent que l’opposition s’oppose à une aide importante pour les travailleurs canadiens, les comités peuvent maintenant « également étudier des motions concernant la sélection de certains témoins et l’établissement du calendrier de comparution de ceux-ci ».[38]

Les comités ne peuvent toujours pas demander de documents, adopter des résolutions exprimant leur opinion, ou même rédiger des rapports résumant simplement ce qu’ils ont entendu et donnant leur avis. (Le présent rapport est une exception précise.[39])

Le politologue Emmett Macfarlane a fait remarquer au Comité « qu’il importe que tous les députés puissent jouer leur rôle parlementaire aussi intégralement que possible dans les circonstances ».[40] Nous sommes d’accord. L’honorable Peter Milliken, un ancien président de la Chambre, a laissé entendre que le modèle hybride serait approprié aux comités.[41]

L’Opposition officielle recommande que tous les comités permanents et spéciaux puissent tenir des réunions virtuelles ou hybrides tant que les directives actuelles de santé publique sont en place ; et que les comités virtuels soient autorisés à exercer tous les pouvoirs qu’ils ont normalement aux réunions à Ottawa.

Ces changements doivent être temporaires et explicitement liés à la pandémie actuelle.

En attendant qu’un vaccin ou un traitement soit trouvé pour la COVID-19, nous devons être prêts à vivre avec cette terrible maladie pendant un certain temps. Nous devons nous préparer à d’autres vagues et à des changements aux directives de santé publique, mais nous ne devons pas nous avouer vaincus et considérer cette situation comme étant permanente.

Le Dr Macfarlane a pressé notre Comité d’adopter une perspective explicitement à court terme :

J’estime par ailleurs que tout changement … en vue de faciliter les processus virtuels devrait s’inscrire explicitement dans un cadre de mesures d’urgence. Les dispositions permettant la participation virtuelle devraient être considérées comme des mesures palliatives temporaires permettant au Parlement de continuer à jouer son rôle fondamental autant que faire se peut. Elles ne peuvent toutefois pas remplacer les travaux menés sur place par le Parlement dans l’ordre habituel des choses.[42]

Christine de Clercy, une autre politologue, a prévenu que « la présente crise ne devrait pas servir de tremplin accidentel pour l’adoption d’une méthode permanente pour tenir des séances virtuelles qui n’est pas bien comprise et qui a une incidence importante sur la démocratie au Canada ».[43] Les conservateurs soutiennent les préoccupations de ces deux professeurs.

L’Opposition officielle recommande que les dispositions proposées expirent le premier jour de séance en septembre 2020, pour que ce Comité puisse examiner leur mise en application et faire des recommandations sur leur renouvellement (et des ajustements).

Les solutions de rechange aux séances virtuelles ont été pratiquement ignorées

Alors que les provinces assouplissent les restrictions, nous devons penser au plein développement de la pandémie. L’évolution des directives de santé publique va probablement ressembler à un gradateur, et non pas à un interrupteur—et nous devons considérer les dispositions parlementaires de la même façon.

Par exemple, les conservateurs ont parlé de la possibilité de nous réunir à un endroit plus grand, pour permettre une distanciation physique accrue. M. Patrice a répondu : « Je dois admettre que c’est très intéressant. » Barbara Raymond, de l’Agence de santé publique du Canada, a reconnu : « On dirait certainement que vous seriez en mesure de respecter et même dépasser les exigences relatives à l’éloignement physique. »[44] Comme nous l’avons souligné plus tôt, certaines législatures provinciales envisagent déjà une telle option.

L’Opposition officielle recommande que le Comité étudie de manière exhaustive et sérieuse les possibilités non virtuelles qui permettraient d’augmenter la participation des députés.

Une étude continue permettrait de mieux évaluer de nombreuses préoccupations

Une mise à l’essai des travaux hybrides permettrait au Comité de tenir plus de réunions pour entendre des témoignages sur de nombreux enjeux importants avant une éventuelle prolongation, si la situation sanitaire l’exige, de ces dispositions. Voici quelques exemples.

Ressources technologiques : Le président nous a pressés de suivre un principe selon lequel « tous les députés doivent pouvoir participer aux travaux ; toutefois, ne perdons pas de vue que la connectivité Internet peut varier d’une circonscription à l’autre », parce que les députés ayant des problèmes de connectivité « ont les mêmes droits que tout le monde, ce qu’il faut respecter ».[45] Pourtant, nous savons que les propres ressources de la Chambre sont plutôt limitées.[46] De plus, l’Internet haute vitesse n’est pas universellement disponible partout au Canada. Des données du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes indiquent que seulement 40 % des ménages ruraux ont accès à des vitesses semblables à celles des communautés urbaines.[47]

Problèmes de sécurité : Les conservateurs ont été alarmés de lire, le jour de la première réunion virtuelle du Comité spécial de la pandémie de COVID-19, que la plateforme de vidéoconférence que nous utilisions, Zoom, était décrite comme une « mine d’or pour les cyberespions ».[48] Bien que certains témoins se soient dits satisfaits des dispositions sur les réunions publiques, des lacunes demeurent. Les responsables de l’Administration de la Chambre ont confirmé qu’ils ne peuvent pas assurer la confidentialité des réunions à huis clos des comités ou des caucus.[49] Cela pourrait avoir de nombreuses implications pour le privilège parlementaire.[50]

Protection du bilinguisme : Nous avons été étonnés d’apprendre que les blessures chez les interprètes ont augmenté de manière exponentielle depuis le début des réunions de comité virtuelles, les blessures en avril 2020 excédant toutes celles de l’année 2019.[51] Même leur employeur a reconnu que « les conditions sont difficiles pour les interprètes ».[52] Entre les blessures, les précautions dues à la pandémie et les conséquences de la fermeture des écoles, le nombre d’interprètes disponibles ne cesse de diminuer, approchant le « pire scénario possible » où les travaux parlementaires pourraient être menacés.[53] Non seulement c’est inquiétant pour nos interprètes qui travaillent fort, mais ça pose un risque grave pour le bilinguisme à la Chambre des communes.

Quorum : Philippe Dufresne, légiste parlementaire, croit qu’il serait possible de respecter l’exigence constitutionnelle sur le quorum par une présence virtuelle, tout en laissant entendre que les doutes pourraient être atténués par l’utilisation de séances « hybrides » ou un amendement constitutionnel.[54] De son côté, la Chambre des représentants de l’Australie observe une exigence constitutionnelle au libellé similaire,[55] et sa greffière, Clarissa Surtees, a dit : « Cette exigence a toujours été interprétée de façon que ‘la présence’  est une présence physique ».[56]

Ce sont des juridictions différentes, avec une constitution et une jurisprudence différentes, et les deux interprétations pourraient être correctes. Nous respectons l’analyse et l’opinion du légiste, mais ce n’est pas qu’une question théorique. Comme il l’a souligné : « Il est néanmoins possible qu’un tribunal soit en désaccord … [et] les mesures adoptées à la séance contestée pourraient être invalidées. »[57] Laisser planer un doute sur toute décision de la Chambre, en particulier sur l’aide pour la COVID-19, n’est pas l’idéal.

Vote électronique : Bien que les membres libéraux du Comité aient manifesté une curiosité enthousiaste pour le vote électronique, les propos prudents du président sont très clairs : « Je ne crois pas qu’il puisse y avoir des votes dans un avenir rapproché. Il nous faudrait pour cela des technologies avec lesquelles je ne suis personnellement pas encore très à l’aise. »[58] Au-delà de l’état de préparation technique, la Dre de Clercy a soulevé une grave préoccupation sur le vote électronique : « Au moment du passage à des séances virtuelles, l’un des défis consiste à nous assurer que ces séances ne seront pas uniquement un sondage d’opinion en ligne épisodique effectué sans trop de conviction. »[59]

L’Opposition officielle recommande que l’étude du Comité continue afin de mieux évaluer ces préoccupations et ces lacunes, entre autres choses.

Les conférences de presse ne remplacent pas le Parlement

Depuis quelques semaines, l’examen du gouvernement se fait principalement par des conférences de presse. Le premier ministre fait une allocution matinale devant sa porte, suivie d’une conférence de presse, souvent par la vice-première ministre, avec les ministres à quelques mètres de la Chambre.

Les circonstances uniques pouvaient justifier cette façon de faire pendant les premiers jours de la pandémie, mais nous en sommes maintenant bien loin. Cependant, ce gouvernement minoritaire semble plus à l’aise devant la Tribune de la presse parlementaire que devant son opposition parlementaire. Après tout, la plupart des questions sont posées par les radiodiffuseurs du gouvernement et les médias subventionnés par le gouvernement. Nous avons même appris récemment que des membres du personnel du premier ministre aident à choisir nombre des journalistes qui interrogent leur patron.[60]

Ce n’est pas de la démocratie. Au sujet de la motion sur la prolongation de l’essai hybride au Royaume-Uni, un ancien président de l’équivalent de notre Comité a dit : « Nous devons être à cet endroit, en face des ministres du gouvernement. »[61] C’est tout à fait notre avis, mais nous craignons que ce ne soit pas le plan des libéraux.

Aux dernières élections, le Parti libéral s’est engagé à « travailler avec le Parlement à l’adoption de nouvelles technologies ou d’autres changements institutionnels pour faciliter les communications entre les députés et leurs électeurs ».[62] Cela a depuis été transposé dans la lettre de mandat du premier ministre au leader du gouvernement à la Chambre.[63] Comme le vote électronique était proposé dans le document de discussion hautement contesté de l’ancien leader du gouvernement à la Chambre,[64] et que la participation à distance a aussi été débattue dans le contexte des idées de réforme, ces efforts pour un « Parlement virtuel » font-ils partie d’un plan d’action à plus long terme ?

Comme l’ont démontré les efforts déployés par le gouvernement pour prendre le contrôle parlementaire des dépenses et de l’imposition avec le projet de loi C-13, certains libéraux sont des enthousiastes de la cynique maxime de Rahm Emanuel, soit de « ne jamais gaspiller une bonne crise ».

L’Opposition officielle va contester fermement toute tentative d’exploiter la pandémie pour établir un Parlement virtuel permanent, avec une capacité réduite de demander des comptes au gouvernement, ce qui minerait gravement notre démocratie.


[1] Chambre des communes, Débats, 22 septembre 1949, p. 148

[2] Chambre des communes du Royaume-Uni, Rapport officiel, 24 octobre 1950, colonne 2707 [traduction]

[3] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 29 avril 2020, pp. 6-7

[4] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, April 23, 2020, p. 13

[5] Ibid., p. 25

[6] Winnipeg Free Press, Manitoba’s legislature an essential institution, 25 avril 2020, p. 9 [traduction]

[7] The Globe and Mail, Bring back the House: We need the return of Parliament now more than ever, 17 avril 2020 (en ligne) [traduction]

[8] Le Devoir, Théâtre parlementaire, 18 avril 2020, pp. B6-B7

[9] Chambre des communes du Royaume-Uni, Procès-verbaux, 21 avril 2020, p. 2 ; 22 avril 2020, p. 3 ; Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 30 avril 2020, p. 9

[10] Chambre des communes du Royaume-Uni, Procès-verbaux, 12 mai 2020, pp. 2-3 ; Rapport officiel, 12 mai 2020, colonnes 213-214

[11] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 30 avril 2020, p. 7

[12] Cape Breton Post, Australia’s parliament set to pass huge stimulus plan, 7 avril 2020 (en ligne) ; Twitter, Department of the Prime Minister and Cabinet (Australie) (@pmc_gov_au), 11 mai 2020

[13] Radio New Zealand, Special committee set-up as Parliament is adjourned, 24 mars 2020 (en ligne) ; Parliament to resume: ‘Zoom ain’t gonna cut it’, 21 avril 2020 (en ligne) ; Parliament post-lockdown: more money and bills but fewer debates and MPs, 24 avril 2020 (en ligne)

[14] Assemblée législative de l’Ontario, Procès-verbaux, 12 mai 2020, pp. 1, 5

[15] Assemblée nationale du Québec, Reprise des travaux parlementaires, 5 mai 2020 (en ligne)

[16] CBC News, As MLAs push for public debate, a return to the House presents a logistical quagmire, 5 mai 2020 (en ligne) ; Times & Transcript, Peanut galleries, premiers go with gloves off, 9 mai 2020, p. C9

[17] CBC News, Manitoba Legislature to resume Wednesday with pared-down assembly due to COVID-19, 1er mai 2020 (en ligne)

[18] Cabinet du premier ministre (Colombie-Britannique), Premier outlines plan to restart B.C. safely, 6 mai 2020 (en ligne) [traduction]

[19] CBC News, While preparing for emergency sitting, P.E.I. MLAs consider new ways to function under COVID-19, 7 mai 2020 (en ligne) [traduction]

[20] CBC News, Alberta MLAs bicker over legislature sittings during COVID-19 pandemic, 11 avril 2020 (en ligne) ; Edmonton Sun, Back to business, 6 mai 2020, p. A2

[21] Chambre des communes du Royaume-Uni, Rapport officiel, 26 octobre 1943, colonnes 404-405 [traduction]

[22] The Globe and Mail, Yes, Parliament is theatre.  That’s the point., 22 avril 2020, p. A11 [traduction]

[23] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 23 avril 2020, p. 24

[24] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 30 avril 2020, pp. 24-25

[25] Chambre des communes, Journaux, 24 mars 2020, p. 328 ; 11 avril 2020, p. 335 ; 20 avril 2020, pp. 385, 395, 398

[26] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 4 mai 2020, p. 13

[27] Ibid., p. 7

[28] Ibid., p. 14

[29] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 21 avril 2020, p. 7

[30] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 29 avril 2020, pp. 19, 24

[31] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 23 avril 2020, p. 11

[32] The Globe and Mail, In a time of crisis, the Trudeau government should not be sidelining Parliament, 20 avril 2020 (en ligne) [traduction]

[33] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 30 avril 2020, p. 20

[34] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 23 avril 2020, p. 13

[35] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 30 avril 2020, p. 23

[36] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 23 avril 2020, p. 20

[37] Chambre des communes, Journaux, 24 mars 2020, pp. 328-329

[38] Chambre des communes, Journaux, 11 avril 2020, pp. 335, 338

[39] Chambre des communes, Journaux, 11 avril 2020, pp. 335, 337

[40] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 23 avril 2020, p. 14

[41] Ibid., p. 15

[42] Idem

[43] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 29 avril 2020, p. 17

[44] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 23 avril 2020, p. 5

[45] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 21 avril 2020, pp. 2, 5

[46] Ibid., pp. 3, 7

[47] CBC News, Northern MPs say virtual parliament is opportunity to tackle broadband challenges, 28 avril 2020 (en ligne)

[48] CBC News, House of Commons meeting virtually on a platform described as a ‘gold rush for cyber spies’, 28 avril 2020 (en ligne) [traduction]

[49] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 4 mai 2020, pp. 22-23

[50] Une infraction au privilège parlementaire peut se produire avec la divulgation des travaux à huis clos des comités, l’utilisation de dispositifs d’écoute avec, ou la divulgation électronique des travaux de caucus, et avec la surveillance électronique des députés hors de la Cité parlementaire : Procédure et usages de la Chambre des communes (troisième édition), pp. 34, 116, 1089-1090.

[51] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 4 mai 2020, p. 2

[52] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 29 avril 2020, p. 25

[53] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 4 mai 2020, pp. 2, 5

[54] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 21 avril 2020, p. 14

[55] Article 48 de la Loi constitutionnelle de 1867 : « La présence d’au moins vingt députés est nécessaire pour que la Chambre des communes exerce ses pouvoirs. » Article 39 de la Commonwealth of Australia Constitution Act 1900 : « La présence d’au moins un tiers du total des membres de la Chambre des représentants est nécessaire pour constituer une réunion de la Chambre pour qu’elle exerce ses pouvoirs. » [traduction] (En 1989, le Parlement australien a établi un quorum inférieur, tout en préservant le même libellé : House of Representatives (Quorum) Act 1989 (Cth.), s. 3.)

[56] Australian Broadcasting Corporation, Why are politicians returning to Canberra amid a coronavirus crackdown?, 22 mars 2020 (en ligne) [traduction]

[57]Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 21 avril 2020, p. 15

[58] Ibid., p. 10

[59] Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre, Témoignage, 29 avril 29, 2020, p. 16

[60] Twitter, Glen McGregor (@glen_mcgregor), 8 mai 2020

[61] Chambre des communes du Royaume-Uni, Rapport officiel, 12 mai 2020, colonne 223

[62] Parti libéral, Avancer : Un plan concret pour la classe moyenne, p. 60

[63] Premier ministre, lettre au leader du gouvernement à la Chambre des communes, 13 décembre 2019

[64] Leader du gouvernement à la Chambre des communes, Modernisation du Règlement de la Chambre des communes, mars 2017