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Madame la Présidente, j'invoque le Règlement au sujet des cinquième et septième rapports du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre. À mon humble avis, ces deux rapports sortent du cadre fixé par les mandats du comité et ils devraient donc être jugés irrecevables.
J'aimerais commencer par le cinquième rapport.
Dans son ordre de renvoi, le samedi 11 avril, la Chambre a demandé au comité « d’entreprendre une étude sur la façon dont les députés peuvent exercer leurs fonctions parlementaires alors que la Chambre est ajournée pour des raisons de santé publique reliées à la pandémie de la COVID-19, y compris des modifications temporaires à certaines procédures [...] ». Pourtant, le comité, dans son cinquième rapport, a largement dépassé la portée de ce mandat.
Pour gagner du temps, je ne vais m'intéresser qu'aux recommandations que le comité a formulées dans son rapport.
À la page 28, le comité a recommandé « [q]ue la Chambre élabore un plan à suivre en cas de pandémie et de catastrophe [...] et que le plan soit régulièrement mis à jour et répété à l’aide d’exercices de simulation. » On dirait des mesures censées être toujours en place bien après la fin de la pandémie actuelle.
Puis, à la page 30, le comité a recommandé « [q]ue la Chambre des communes établisse une deuxième version du Règlement permettant la mise en œuvre d’un Parlement virtuel afin que la Chambre puisse poursuivre ses travaux en cas de crise ou de circonstances exceptionnelles telles que celles découlant de la pandémie actuelle. » La pandémie actuelle n'est citée qu'à titre d'exemple, et non de cadre, dans cette recommandation.
Par ailleurs, à la page 32, le comité a émis d'autres recommandations douteuses concernant la procédure, notamment « [q]ue la Chambre des communes prenne les mesures nécessaires pour élargir sa capacité et son fonctionnement afin de permettre le déploiement d'un Parlement virtuel entièrement fonctionnel [...] en cas de circonstances exceptionnelles », puis « [q]ue la Chambre des communes poursuive l’adoption progressive, lors de circonstances exceptionnelles, d’activités parlementaires supplémentaires sous forme virtuelle [...] » Là encore, les recommandations du comité dépassent la pandémie actuelle.
Allons maintenant à la page 42, où nous pouvons lire la recommandation suivante du comité: « Que le greffier de la Chambre des communes voie à ce que toutes les réunions de comité et de caucus de parti aient accès à une plateforme sûre et privée permettant de tenir des réunions à huis clos pendant la situation actuelle et les futures situations d’urgence [...] »
Le comité poursuit dans la même veine à la page 44, où il recommande qu'« en cas de circonstances exceptionnelles, la présence virtuelle des députés satisfasse à l’exigence relative au quorum ».
Passons maintenant à la page 50, où le comité recommande « [q]ue la Chambre des communes mette sur pied un système électronique de vote sécurisé pour la tenue des votes dans le cadre des séances virtuelles, et ce, aussitôt que possible [...] en cas de pandémie ou dans toute autre circonstance exceptionnelle ». Cette dernière recommandation ne fait pas référence à une pandémie en particulier, mais à une situation de pandémie en général, pas celle que nous vivons actuellement, avant d'élargir la portée à « toute autre circonstance exceptionnelle ».
Finalement, à la page 53, le comité recommande « [q]ue le Comité poursuive son étude [...] en vue d’être prêt à répondre promptement à une nouvelle crise ».
Toutes ces recommandations proposent des mesures qui vont bien au-delà d'une réponse à la pandémie de la COVID-19 actuelle et n'ont pas comme seul objectif de veiller à ce que les députés soient en mesure de s'acquitter de leur rôle de parlementaire pendant la crise.
Je le répète, aux fins du débat, le 11 avril dernier, la Chambre a ordonné au comité « d’entreprendre une étude sur la façon dont les députés peuvent exercer leurs fonctions parlementaires alors que la Chambre est ajournée pour des raisons de santé publique reliées à la pandémie de la COVID-19, y compris des modifications temporaires à certaines procédures... »
Pour reformuler la recommandation de la Chambre en termes simples, cela veut dire que nous ne devons gérer qu'une seule crise à la fois.
J'oserais même dire que le Président a tenu le même raisonnement en comité le 21 avril dernier. Je cite sa déclaration consignée à la page 11 des témoignages:
Quand le comité aura terminé son étude et déposé son rapport, il devrait continuer d'étudier les différentes options pour permettre au Parlement de continuer de siéger dans l'éventualité d'une autre crise comparable ou pire encore; il devrait envisager les pires scénarios possible.
De bonnes raisons d'intérêt public justifient également une approche étape par étape. Dans la mesure du possible, il ne faudrait pas se fonder sur la gestion d'une crise, qui n'en est qu'à mi-parcours, pour composer avec la prochaine. Par exemple, on ne devrait pas prévoir des cours de réanimation cardio-respiratoire lorsqu'on fait du surplace pour garder la tête hors de l'eau. Quoiqu'il en soit, comme ces arguments ne concernent pas le présent rappel au Règlement, je reviens au sujet qui nous occupe maintenant.
Je passe au septième rapport et je parlerai des préoccupations qu'il suscite chez moi, avant d'aborder celles qui se posent sur le plan de la procédure dans les deux rapports.
Avant de me pencher sur les nouveaux éléments qui figurent dans le septième rapport, j'attire l'attention de la présidence sur les deux dernières recommandations qui figurent aux pages 77 et 78:
Que la Chambre prenne en considération l'ensemble du travail effectué par le Comité dans le cadre des études qu'il a menées en lien avec la pandémie et la procédure. Le Comité veut ainsi s'assurer que toutes ses recommandations seront prises en compte dans l'élaboration d'un Parlement virtuel et dans la mise en œuvre et l'utilisation des systèmes électroniques qu'elle pourrait utiliser si elle les adopte. Il est à noter que le présent rapport vise à compléter le rapport précédent intitulé Fonctions parlementaires et pandémie de la COVID-19 (déposé à la Chambre le 15 mai 2020) et que toutes les recommandations sont importantes afin de préserver l'ensemble des droits et des privilèges parlementaires de la Chambre et de ses députés.
Que, sauf en cas d'incompatibilité flagrante, les recommandations formulées dans le rapport précédent intitulé Fonctions parlementaires et pandémie de la COVID-19 soient réputées faire partie intégrante, mutatis mutandis, du présent rapport.
Par conséquent, si le cinquième rapport doit être considéré comme irrecevable, il en est de même du septième rapport étant donné qu'il en découle, si je puis m'exprimer ainsi. Par surcroît, plusieurs nouvelles recommandations du septième rapport vont au-delà du mandat que la Chambre a confié au comité.
Le 26 mai, après l'imposition de la clôture, les députés ont voté majoritairement en faveur de l'instruction donnée au comité de la procédure et des affaires de la Chambre, qui se trouve à l'alinéa f) de la motion no 7 sous la rubrique des affaires émanant du gouvernement, et qui demande que le comité soit chargé « d'examiner et de faire des recommandations sur la façon de modifier le Règlement pour la durée de la pandémie de COVID-19 dans le cadre d'une approche graduelle commençant par des séances hybrides de la Chambre, comme le souligne le rapport fourni au Comité par le Président le lundi 11 mai 2020, y compris la façon de voter à distance [...] ».
Parlons maintenant des recommandations. À la page 59 du rapport, on trouve la recommandation suivante qui va au-delà de la pandémie actuelle: « Que la Chambre des communes adopte une approche progressive et évolutive en vue de mettre sur pied un parlement virtuel ou hybride afin de permettre à la Chambre de poursuivre ses travaux parlementaires en cas de pandémie ou de circonstances exceptionnelles. »
Toutefois, la recommandation la plus importante, qui s'étend des pages 73 à 77 du rapport, enfreint de manière flagrante les instructions de la Chambre. Le comité recommande l'ajout permanent du nouvel article 1.2 au Règlement. Aucune disposition de caducité n'est prévue. Il n'y a pas de date d'expiration. Il ne s'agit pas d'une modification provisoire au Règlement, mais bel et bien d'une modification permanente. Les libéraux peuvent prétendre qu'ils envisagent d'invoquer l'article 1.2 de manière ponctuelle et limitée, mais son utilisation ne se restreint pas à la pandémie actuelle.
Selon le paragraphe (1), cet article s'appliquerait « En cas de crise ou de circonstances exceptionnelles [...] ». Il n'y est pas question de la COVID-19, pas même d'une pandémie. Il serait bon de rappeler que, selon l'ordre de renvoi de la Chambre du 26 mai dernier, le comité devait « formule[r] des recommandations sur la façon de modifier le Règlement pour la durée de la pandémie de la COVID-19 [...] ».
Le septième rapport renferme toute une série de recommandations concernant des situations où la Chambre pourrait tenir des séances virtuelles ou hybrides. Je n'ai pas le temps de toutes les lire, mais je dirai que lorsqu'on les lit conjointement à l'article 1.2 du Règlement dans sa forme actuelle, ces autres recommandations sont tout autant à prendre avec des pincettes lorsqu'il est question des délibérations de la Chambre au-delà de la pandémie de COVID-19 actuelle. Il ne s'agit pas simplement d'une préoccupation de notre part. J'aimerais par exemple renvoyer la présidence à l'opinion complémentaire du Nouveau Parti démocratique, à la page 103 du septième rapport. On peut y lire ceci:
[...] le NPD considère que la portée de ce rapport n’a pas été respectée. Le comité avait été chargé de trouver des solutions pour la participation à distance des députés dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Certaines recommandations dépassent la portée de ce mandat. Bien que le NPD n’est pas en désaccord avec l’idée d’examiner d’autres options et d’être orienté vers l’avenir, il ne croit pas que ces éléments faisaient partie du mandat confié par la Chambre des communes.
C'est d'autant plus remarquable que le NPD a été le partenaire du gouvernement libéral lors la négociation de l'adoption de l'affaire émanant du gouvernement no 7. Il serait difficile de trouver quelqu'un de mieux placé pour parler de l'intention qui sous-tend l'instruction de la Chambre au comité.
En ce qui concerne le cadre procédural, qui sous-tend chacun des rapports du comité de la procédure et des affaires de la Chambre, le comité aurait normalement pu examiner et faire des recommandations comme celles-ci, conformément au mandat qui est le sien aux termes du paragraphe 108(2)(a) du Règlement. Toutefois, comme les libéraux se plaisent à le dire, nous ne sommes pas en temps normal. Beaucoup de choses ici sont pour le moins différentes, mais l'une des choses qui sont passées inaperçues est que nos comités n'ont pas simplement adopté la technologie Zoom pour poursuivre leurs travaux.
Pour pouvoir tenir des réunions virtuelles, un comité doit obtenir une autorisation spéciale de la Chambre. Or, la Chambre n'a pas accordé d'autorisation générale s'appliquant à tous les comités. Selon les motions présentées par les libéraux à ce jour, seuls certains comités sont autorisés à utiliser Zoom, et ce, seulement pour les travaux prévus dans ces motions.
Cette façon de procéder s'appliquait au comité de la procédure et des affaires de la Chambre, selon l'alinéa m)(i) de l'ordre de la Chambre du 11 avril, qui se lit comme suit:
pendant la période où la Chambre est ajournée conformément à cet ordre, les dispositions qui s'appliquent aux comités énumérés en l) s'appliquent également à ce Comité, mais que le Comité puisse également étudier des motions portant adoption d'un rapport à ce sujet.
Ce sujet est le mandat du 11 avril que j'ai déjà cité deux fois. Selon l'alinéa l), dont il est question ci-dessus, les travaux du comité étaient expressément limités aux « réunions [tenues] dans le seul but d'entendre des témoignages concernant des enjeux liés à la pandémie de la COVID-19 ».
Ces dispositions ont, bien entendu, été renouvelées aux termes de l'alinéa f)(iii) de l'ordre de la Chambre du 20 avril, date à laquelle le comité a en fait adopté son cinquième rapport.
Pour simplifier le point de procédure, les comités qui se réunissent virtuellement ne sont pas autorisés à faire ce qu'ils veulent dans le cadre de leurs activités habituelles. Par ailleurs, le comité n'a tenu de réunions virtuelles sur le septième rapport que parce qu'il avait été autorisé à le faire par la Chambre le 26 mai, conformément à la directive de la Chambre d'étudier les changements de procédure « pour la durée de la pandémie de la COVID-19 ». Bien que le gouvernement puisse répondre à mon rappel au Règlement en disant que les comités sont maîtres de leurs délibérations, ce n'est pas aussi simple que cela.
À la page 1058 de la troisième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes, il est écrit ceci:
D’abord, il est utile de rappeler que les comités sont une émanation, une création de la Chambre des communes. Cela signifie que les comités n’ont pas d’existence indépendante qui les autoriserait à faire usage de leur autorité à n’importe quelle fin et de n’importe quelle façon.
La liberté dont jouissent les comités est en fait une liberté encadrée, et ce, à deux niveaux. Premièrement, les comités ont la liberté d’organiser leurs travaux comme ils l’entendent pourvu que leurs études, ainsi que les motions et rapports qu’ils adopteront, respectent les ordres de renvoi et instructions de la Chambre.
C'est d'ailleurs encore plus explicite à la page 469 de la quatrième édition de l'ouvrage Parliamentary Procedure and Practice de Bourinot, où on peut lire « qu'un comité doit s'en tenir à la question qui fait l'objet du renvoi et qu'il n'a pas la faculté de s'en écarter. »
Par ailleurs, selon le commentaire 760(2) de la sixième édition de la Jurisprudence parlementaire de Beauchesne, « Les comités reçoivent leur autorité de la Chambre même et l'autorité de la Chambre prime celle de tout comité. »
À la page 978 de leur ouvrage, Bosc et Gagnon indiquent que « la Chambre délègue certains pouvoirs aux comités qu’elle met sur pied afin que ceux-ci puissent s’acquitter de leurs tâches et remplir leur mandat. Ces comités ne disposent d’ailleurs que des pouvoirs qui leur sont ainsi délégués et ne peuvent s’en arroger d’autres de leur propre chef. »
À la page suivante, ils ajoutent: « À moins d’instructions particulières de la Chambre, il appartient à chaque comité de définir la nature exacte et la portée des études qu’il entreprendra [...] »
Comme l'a affirmé le Président Milliken dans le Hansard du 14 mars 2008, à la page 4182, « Un principe fondamental sous-tend les pouvoirs que la Chambre accorde à ses comités, à savoir que chaque comité respectera son mandat. »
Dans le cas qui nous occupe, selon les instructions de la Chambre, le comité ne peut traiter lors de ses réunions tenues par vidéoconférence que des questions liées à son mandat, lequel est précisément défini. Or, le comité a inclus dans ses rapports une recommandation qui, selon l'article 108(2) du Règlement, ne peut être décidée que lors d'une réunion tenue en personne, et non au cours d'une réunion tenue virtuellement en vertu des ordres spéciaux du 11 avril et du 26 mai. Je vais maintenant expliquer pourquoi cette distinction a de véritables répercussions sur le plan pratique.
J'ouvre une parenthèse pour souligner que même si le président conclut que l'ordre du 26 mai donne plus de latitude que celui du 11 avril, il n'en demeure pas moins que le comité a inclus dans son septième rapport une recommandation tirée du cinquième rapport, lequel présente un vice de procédure. La décision prise par la Chambre le 26 mai ne corrige nullement les défauts du rapport publié sous l'ordre du 11 avril.
De plus, je signale que, à la page V du septième rapport, le comité indique que celui-ci a été adopté conformément aux ordres de renvoi du 11 avril et du 26 mai, et non à l'article 108(2) du Règlement.
Pour ce qui est des conséquences des choix du comité, on peut lire ceci à la page 991 du Bosc et Gagnon:
[...] le Président de la Chambre des communes déclare irrecevable un rapport ou une partie d’un rapport dans des cas où un comité avait outrepassé son ordre de renvoi ou abordé des questions qui n’en faisaient pas partie.
À la page 1001, les auteurs parlent directement de mes préoccupations entourant les recommandations tirées des cinquième et septième rapports dont j'ai parlé, en indiquant ceci:
Les comités sont liés par leurs ordres de renvoi ou leurs instructions et ils ne peuvent entreprendre d'études ni présenter à la Chambre des recommandations allant au-delà des limites établies par ceux-ci.
Pour étayer ces propositions, je demande à la présidence de se reporter aux décisions suivantes: le Président Lemieux, le 9 juin 1928, à la page 571 des Journaux; la Présidente Sauvé, le 29 juin 1983, à la page 26943 du hansard; le Président Francis, le 13 juin 1984, à la page 4624 du hansard; le Président Bosley, le 14 décembre 1984, à la page 1242 du hansard, et le 28 février 1985, à la page 2603 du hansard; et, de surcroît, le Président Milliken, le 2 avril 2009, à la page 2301 du hansard.
Si le comité de la procédure et des affaires de la Chambre avait voulu faire rapport sur la planification d'urgence en vue d'autres crises et qu'il y avait une raison légitime de se pencher sur la question, une fois que nous aurions repris les activités normales, le comité aurait pu étudier la question aux réunions tenues en personne, ici, à Ottawa, lorsqu'il aurait été sécuritaire pour l'ensemble des membres de se réunir, ou il aurait pu suivre ce qui est indiqué dans le commentaire 831(4) du Beauchesne, où l'on peut lire ceci:
Un comité peut avoir à demander à la Chambre l'autorisation de présenter un rapport spécial quand la portée de ses attributions est restreinte.
Pour conclure, résumons les arguments que j'ai avancés. Premièrement, le cinquième rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre dépasse la portée du mandat que la Chambre avait confié à ce dernier le 11 avril 2020.
Deuxièmement, le septième rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre reprend les recommandations problématiques sur le plan de la procédure qui figuraient dans le cinquième rapport, en y ajoutant de nouvelles recommandations qui dépassent elles aussi la portée du mandat que la Chambre avait confié au Comité le 26 mai 2020.
Troisièmement, on ne peut pas affirmer que les rapports sont justifiés selon l'article 108(2)a) du Règlement, car toutes les réunions du Comité se sont déroulées par vidéoconférence, ce qui a obligé le Comité à respecter toutes les conditions spéciales que la Chambre lui avait imposées. Par conséquent, les cinquième et septième rapports sont tous deux irrecevables et doivent être retirés.