Passer au contenu
;

ACVA Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PDF

LA TRANSITION DE LA VIE MILITAIRE À LA VIE CIVILE

Introduction

En 2015, dans un rapport du Bureau de l’ombudsman du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes[1], on estimait qu’environ 5 500 membres des Forces armées canadiennes (FAC) étaient libérés chaque année. Depuis, malgré des effectifs militaires stables, ce nombre a augmenté de près de 50 %. En effet, lors de son témoignage de février 2024, le sous-ministre adjoint à la prestation des services d’Anciens Combattants Canada (ACC), Stephen Harris, a affirmé qu’au cours des 10 dernières années, environ 8 200 membres des FAC ont été libérés en moyenne chaque année[2]. De ce nombre, entre 2 000 et 2 500 sont libérés pour raisons médicales[3], soit, selon les années, entre le quart et le tiers de toutes les libérations. Cette proportion est nettement plus élevée chez les femmes militaires et dépasse les 40 %[4].

Il y a donc un plus grand nombre de militaires qui font chaque année la transition de la vie militaire à la vie civile, et une plus grande proportion d’entre eux sont libérés pour raisons médicales. Cette accélération dans le roulement des effectifs des FAC entraîne une pression accrue sur ACC qui reçoit un plus grand nombre de demandes de prestations d’invalidité, et de demandes de services adaptés pour les vétéran.e.s qui éprouvent des difficultés durant leur transition.

Selon les données de 2016, on estimait qu’environ un tiers des vétéran.e.s éprouveraient des difficultés à effectuer leur transition à la vie civile[5]. D’après les données de 2019, cette proportion est passée à 39 %[6]. Parmi ces derniers, étonnamment, plus de la moitié n’ont pas été libérés pour raisons médicales[7]. Leur départ des FAC est le plus souvent lié à la fin de leur contrat, à leur départ à la retraite, ou à la fin de leur engagement volontaire au sein de la Force de réserve. C’est donc dire que les causes des difficultés vécues durant la transition sont complexes et variées et ne se réduisent pas au fait d’avoir été blessé ou non.

Pour faire face à cette croissance et à cette complexification des besoins, ACC et les FAC ont commencé à tester en 2019 un nouveau modèle de transition permettant d’intégrer le personnel du ministère aux centres de transition afin d’offrir un soutien aux militaires avant la date effective de leur libération. Selon M. Harris, cette approche touche les membres en voie de libération et « sera entièrement opérationnalisée d'ici la fin de 2024[8]. »

Afin de suivre la mise en œuvre de cette réorganisation, le Comité a entrepris cette étude sur la transition. Vingt-deux personnes sont venues témoigner dans le cadre de quatre réunions tenues entre février et avril 2024.

Il en est ressorti que les principales difficultés liées à la transition des militaires à la vie civile sont liées à la capacité des provinces et territoires à offrir des services de santé en temps opportun, notamment l’accès à un médecin de famille. Ces difficultés touchent l’ensemble des Canadien.ne.s et leur solution ne peut donc pas s’appliquer à la seule réalité des vétéran.e.s. Toutefois, les vétéran.e.s ne devraient pas être désavantagés par le fait que des médecins refuseront de les recevoir en raison du fardeau supplémentaire que représentent les formulaires d’ACC. Afin de compenser les limites de l’intervention du gouvernement fédéral, il faut optimiser ce qui est offert avant que les militaires deviennent des vétéran.e.s, c’est-à-dire dans les mois qui précèdent la libération du service. Les FAC ont l’entière responsabilité des services de santé offerts aux militaires en service et c’est en cela que réside le principal levier d’intervention du gouvernement fédéral.

La recommandation principale de ce rapport, reprise de nombreux rapports précédents, est que les militaires ne soient effectivement libéré.e.s qu’une fois qu’ils ont obtenu l’accès à un médecin et que toutes les demandes d’indemnisation et de services déposées auprès d’ACC aient été adjugées. Tant que les vétéran.e.s récemment libéré.e.s n’auront pas accès en temps opportun aux services de santé dont ils ont besoin, toutes les autres réformes du processus de transition ne pourront avoir que des effets limités. Les membres du Comité, comme de nombreux spécialistes et intervenants avant eux, jugent que ce changement transformerait de manière radicale le processus de transition à la vie civile et serait propre à atténuer un grand nombre des difficultés que doivent surmonter les vétéran.e.s dans les premières années qui suivent leur libération.

Nous remercions toutes les personnes qui ont participé à cette étude et espérons que le gouvernement du Canada aura l’audace de considérer sérieusement l’importance et la pertinence de ce changement qui est susceptible de favoriser la transition harmonieuse de toutes les générations de vétéran.e.s à venir.

Le processus menant à la libération pour raisons médicales

Même si ceux et celles qui quittent volontairement font fréquemment face à des difficultés, les militaires libérés pour raisons médicales constituent la majorité des client.e.s d’ACC. Lorsqu’un.e militaire subit une blessure ou souffre d’une maladie, qu’elle soit liée à son service ou non, cela peut entraîner sa libération pour raisons médicales, si cette condition entraîne l’incapacité à long terme d’être déployé avec son unité. C’est là l’application du principe de « l’universalité du service militaire ». Cette libération signifie également un transfert des responsabilités touchant la réadaptation et la rémunération, les faisant passer du ministère de la Défense nationale (MDN) à d’autres acteurs, en particulier ACC et le Régime d’assurance revenu militaire (RARM). Le processus qui se met en branle à partir du moment où un.e membre subit une blessure ou devient malade est complexe, et les programmes visant à soutenir la transition des militaires blessés sont nombreux.

Le personnel de la Force régulière est exclu de la Loi canadienne sur la santé, de sorte que les FAC jouent le rôle des systèmes de santé provinciaux dans leur cas. Les membres de la Force de réserve continuent d’être couverts par les régimes provinciaux et territoriaux. Les soins ambulatoires, c’est-à-dire nécessitant seulement une hospitalisation de courte durée, sont assurés par un réseau d’environ 40 cliniques militaires desservant les bases et les escadres. Lorsque le problème de santé nécessite des soins que les cliniques ne peuvent pas fournir, les militaires sont dirigés vers des ressources civiles appropriées. Lorsque les cas sont complexes et nécessitent la coordination de ressources multidisciplinaires, les traitements sont suivis par des gestionnaires de cas, généralement des infirmier.ère.s spécialisés, intégrés dans les cliniques militaires.

Pour les soins de santé mentale, le MDN a mis sur pied un réseau de sept Centres de soutien pour trauma et stress opérationnels (CSTSO). Ceux-ci sont situés sur des bases militaires et desservent principalement le personnel militaire en service. Ils sont distincts des cliniques pour troubles de stress opérationnel (TSO) mises sur pied conjointement par le MDN et ACC qui desservent principalement les vétéran.e.s. En vertu d’une entente tripartite, les unes comme les autres peuvent toutefois recevoir des membres actifs et des vétéran.e.s des FAC et de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

Lorsque la condition médicale se stabilise, habituellement après quelques mois, on attribue une « catégorie médicale temporaire » de six mois qui permettra d’évaluer la progression des symptômes. Ces catégories médicales temporaires pourront être renouvelées s’il n’est pas possible d’établir un pronostic définitif. Une « catégorie médicale permanente » ne sera attribuée que lorsque la condition sera complètement stabilisée et qu’il sera possible de savoir quelles sont les tâches que la personne pourra continuer d’accomplir, et quelles sont celles que sa condition médicale l’empêchera en permanence d’exécuter.

Il faut habituellement au moins deux catégories médicales temporaires successives de six mois avant de poser un pronostic solide permettant l’attribution d’une catégorie médicale permanente. Dans certains cas complexes, il faudra jusqu’à deux ans avant qu’une catégorie médicale permanente soit attribuée. Cette décision peut être contestée par les militaires visés.

Lorsque la catégorie permanente attribuée garantit que la personne pourra accomplir les tâches associées à son groupe professionnel militaire, elle pourra rejoindre son unité. Lorsqu’une maladie ou une blessure entraîne des limitations plus graves, l’Administration des carrières militaires déterminera si elle satisfait au principe de l’universalité du service. En vertu de ce principe, les militaires en service doivent pouvoir être déployés avec leur unité sur un théâtre d’opérations à courte échéance. Si un.e membre ne peut pas être déployé.e en raison d’un problème de santé, sans attente raisonnable de rétablissement, cette personne sera libérée pour raisons médicales.

Il pourrait ensuite s’ajouter une période pouvant aller jusqu’à trois ans où la personne pourra continuer à travailler au sein des FAC, même sans répondre aux exigences de l’universalité du service. Après cette intervalle, il y aura une autre période de six mois qui viendra finaliser la transition vers la vie civile.

Selon la nature de la blessure ou de la maladie, le temps qu’il faudra à la condition médicale pour se stabiliser, la complexité des besoins en réadaptation et la disponibilité des ressources civiles après la libération, le processus de transition durera habituellement plus de deux ans, et pourra dans certains cas s’étendre jusqu’à cinq ans après la blessure ou la maladie.

Lorsque la décision a été prise qu’un.e militaire doit être libéré.e pour raisons médicales, la période de transition vers la vie civile s’enclenche habituellement six mois avant la date fixée pour la libération effective. Pour les cas jugés complexes, soit entre 10 % et 15 % des libérations médicales, la première étape consiste à élaborer un « plan de transition intégré » impliquant la personne, les membres de la famille le cas échéant, et un.e gestionnaire de cas militaire connaissant le dossier médical. C’est durant cette phase qu’un.e gestionnaire de cas d’ACC pourra également commencer à s’impliquer dans l’élaboration du plan de transition. Pour les militaires qui ne sont pas libérés pour raisons médicales et pour les réservistes, il est plus difficile d’avoir une idée claire des services de transition qui sont offerts dans les mois précédant la transition.

La nécessité d’une approche personnalisée

« Une fois sorti du système, on est seul. »

M. Steve Turpin (à titre personnel), ACVA, Témoignages, 26 février 2024, 1235.

Les statistiques sur la transition se composent de toute une infinité de nuances individuelles qui se perdent et s’amalgament en un pourcentage. Même si ces chiffres ne permettent pas de comprendre les problèmes, ni d’y apporter des solutions adéquates, elles ont le mérite irremplaçable de signaler les problèmes de manière indiscutable. John Senior, lors de son témoignage, a résumé les statistiques les plus importantes :

Dans l'Enquête sur la vie après le service militaire menée en 2019, on apprend que 39 % des répondants ont de la difficulté à s'adapter à la vie civile, que 49 % ont été libérés pour des raisons médicales, que 33 % souffraient de dépression et que 43 % n'avaient pas trouvé d'emploi dans la société civile. Comparativement à l'Enquête sur la vie après le service militaire de 2016, celle de 2019 faisait état d'une augmentation marquée des départs à la retraite, du chômage dans le marché du travail civil et des conditions chroniques comme le trouble de stress post-traumatique, ou TSPT. La participation aux programmes d'Anciens Combattants Canada, ou ACC, a grandement augmenté. Comparativement aux personnes du même âge et du même sexe dans le monde civil, les anciens combattants ont des problèmes de douleur chronique dans une bien plus grande proportion — deux fois plus — et ils sont 26 fois plus susceptibles de souffrir de TSPT. Dans ce groupe, la dépression est presque deux fois plus fréquente, et l'anxiété et les contraintes dans les activités quotidiennes, trois fois plus[9].

Étant donné que les difficultés liées à la transition ne sont pas toujours liées à des problèmes de santé, pour les comprendre, il faut prendre conscience de certaines particularités de la vie militaire. Comme l’a clairement exprimé Mme Hughes :

Pendant leur service, les militaires avaient accès à du soutien. Ils savaient où aller pour poser des questions et demander de l'aide. Ils ont eu accès à des programmes de perfectionnement professionnel durant leur instruction militaire, les déploiements et les affectations. Un calendrier était établi pour eux. On leur disait où se rendre et à quel moment, comment s'y rendre, quoi porter, comment se coiffer, etc[10].

Lorsque les militaires redeviennent des civils, ils perdent cet environnement très structuré et cela peut créer beaucoup d’inconnues. Celles-ci diffèrent selon les particularités de chacun et chacune, selon leur âge, la durée de leur service, les circonstances de leur vie familiale, leur état de santé, leur personnalité, la région où ils veulent s’installer, ce qu’ils veulent y faire, s’ils ont les moyens de leurs ambitions. Pour beaucoup, la perte du sentiment d’appartenance et de la participation à une mission utile est un changement qui affecte toutes les dimensions de leur nouvelle vie.

Si des problèmes de santé s’ajoutent à cela et qu’ils doivent retrouver leur chemin à travers les méandres des programmes d’ACC et les insuffisances des systèmes de santé, la transition peut devenir une véritable chaîne de montagnes que chacun.e doit franchir à sa façon. Des problèmes de santé mentale peuvent également découler des déploiements, d’une agression sexuelle ou d’autres facteurs. Les militaires en transition ne prennent pas toujours conscience de ces problèmes lorsqu’ils sont encore en service et les défis ne se manifestent que lorsqu’ils sont privés de l’encadrement qui en mitigeait les symptômes et qu’ils risquent de vivre une stigmatisation qui amènera un sentiment d’isolement face à une société où peu sont conscients des particularités de la vie militaire.

C’est ce décalage entre la vie militaire et la vie civile que des participant.e.s au programme du Réseau de transition des vétérans ont voulu mettre en scène dans la pièce de théâtre Contact! Unload. Philip Lopresti en fut l’un des acteurs principaux. Selon lui :

Les exigences de l'armée exercent une forte pression sur les militaires pour qu'ils se conforment et se plient à une façon particulière de penser et d'agir. Si cet état d'esprit permet aux personnes qui l'adoptent de réussir dans l'armée, il crée également des obstacles à la transition vers la vie civile lorsque la carrière militaire d'un soldat prend fin[11].

Cette uniformisation qu’entraîne la culture militaire comporte selon M. Lopresti de nombreux aspects positifs, mais lorsque les militaires deviennent des civil.e.s et doivent choisir leur route personnelle, parmi toutes les routes possibles, ils peuvent avoir besoin d’aide. Or, demander de l’aide est fréquemment perçu comme un signe de faiblesse. « L'évitement de la thérapie est un exemple de ces comportements, selon M. Lopresti. En effet, la thérapie nécessite souvent de révéler ses faiblesses ou ses problèmes. Pour beaucoup, elle représente donc une menace à l'identité de soldat et peut renforcer l'isolement émotionnel[12]. »

Il n’y a donc pas de solution unique, pas de programme miracle. C’est pourquoi il faut saluer la volonté des FAC et d’ACC de mettre en place un processus de transition qui soit personnalisé, souple, englobant et dont le seul critère d’admissibilité est d’être militaire en transition. Il faut toutefois que les militaires en transition, une fois devenu.e.s vétéran.e.s, puissent accéder aisément aux ressources qui les aideront à trouver leur chemin.

L’importance de la famille

Lors de son témoignage, Rima Aristocrat, présidente de TeKnoWave Inc., a fait un véritable plaidoyer pour une meilleure intégration des membres de la famille durant la transition :

Il n'y a pas que les anciens combattants; leurs familles sont des héros méconnus. Elles font d'énormes sacrifices pour eux et pour notre pays. Que faisons-nous pour les honorer? Une fois par an, nous leur offrons des remerciements de manière officielle. Mais qu'en est‑il du reste du temps, lorsque ces mêmes familles n'ont pas les moyens de payer leur loyer? Qu'en est‑il des moments où ces familles n'ont plus les moyens de nourrir et de vêtir leurs propres enfants? Qu'en est‑il de toutes ces fois où nous devons porter assistance aux anciens combattants abandonnés à leur sort dans la rue, en train de geler?
Absolument rien ne justifie une telle situation. Ce n'est pas digne de la grandeur du Canada. Notre pays, qui se targue d'être riche, puissant et humaniste, ne doit pas laisser cela se produire. Dans cette salle, vous avez le pouvoir de changer les choses. Nous pouvons y arriver tous ensemble. C'est si important[13].

La répartition constitutionnelle des pouvoirs renvoie aux provinces l’essentiel des responsabilités en ce qui touche les services à offrir aux membres de la famille des vétéran.e.s. Ceci dit, dès que l’on peut justifier que de tels programmes sont nécessaires au bien-être des vétéran.e.s, il est possible de mettre en place certaines mesures fédérales ponctuelles. Ainsi, les membres de la famille sont toujours invités à participer activement au programme de réadaptation des vétéran.e.s. Si un.e militaire a été libéré.e pour raisons médicales, les membres de la famille ont accès à certains services offerts par les centres de ressources pour les familles des militaires des FAC. Cela comprend notamment :

  • des guides pratiques pour les aidants naturels qui s’occupent de personnes souffrant de blessures de stress opérationnel;
  • des formations de premiers soins en santé mentale;
  • le programme COPE (Couples Overcoming PTSD Everyday) à l’intention des couples.

Le Service d’aide d’ACC offre également jusqu’à 20 heures de consultation psychologique aux membres de la famille des vétéran.e.s des FAC et de la GRC. Ce service est gratuit et les vétéran.e.s avec qui ces personnes sont apparentées n’ont pas à être préalablement des client.e.s d’ACC. Il s’agit donc d’un service souple qui permettra une intervention immédiate en cas d’urgence ou la coordination de consultations en personne avec des professionnel.le.s de la santé mentale. Dans son rapport de 2021 sur les aidants, le Comité avait recommandé de faire une meilleure promotion de ce service qui semblait sous-utilisé. Le gouvernement n’a pas déposé de réponse à ce rapport en raison de la dissolution de la Chambre des communes le 15 août 2021.

Les Centres de transition des Forces armées canadiennes

Selon le site du MDN, il existe 27 centres de transition regroupés en neuf unités régionales au sein du Groupe de transition des Forces armées canadiennes. Autrefois nommés Centres intégrés de soutien du personnel, ils représentent un effort de décentralisation des services de transition permettant aux militaires en voie de libération d’accéder à un guichet unique de services. Selon le commodore Bouchard, les 27 centres sont devenus pleinement opérationnels le 1er avril 2024[14]. Les services sont présentement limités aux membres de la Force régulière en voie de libération, et ils seront éventuellement étendus aux réservistes. Selon les représentant.e.s des FAC, les nouveaux services offerts dans les centres de transition seront offerts à tous les militaires de la Force régulière, ainsi qu’aux membres de leur famille peu importe les raisons de leur libération[15].

Depuis le 1er juillet 2015, ACC possède le mandat législatif lui permettant d’intervenir auprès des militaires quand ils sont encore en service. Des gestionnaires de cas d’ACC avaient à cet effet été intégrés aux Centres intégrés de soutien du personnel qui sont devenus les Centres de transition. Toutes les démarches d’évaluation auprès d’ACC peuvent s’enclencher et les demandes de prestations peuvent être présentées.

Avec la mise sur pied des centres de transition, ACC a élaboré en 2019 un processus conjoint de transition avec les FAC permettant une meilleure coordination. Selon Jane Hicks d’ACC, le ministère est maintenant systématiquement avisé dès la libération d’un.e militaire[16]. La particularité de cette nouvelle approche est d’ouvrir ces centres à tous les vétéran.e.s, alors qu’ils n’étaient auparavant accessibles qu’aux militaires en voie de libération pour raisons médicales. Tel que présenté par M. Harris, d’ACC, l’objectif est ambitieux :

Nous voulons éviter que les gens nous disent après six ans qu'ils n'ont pas eu une bonne expérience. Nous voulons qu'ils s'adressent à nous tout de suite, durant leur transition vers la vie civile. Cela dit, je reconnais qu'il y aura toujours un bon nombre de personnes qui reviendront nous voir après leur transition vers la vie civile. Cependant, je veux m'assurer que la plupart des problèmes sont réglés au moment de la transition[17].

L’objectif est louable et les membres du Comité le soutiennent entièrement. Il faudra maintenant voir si les contraintes multiples liées à l’administration des programmes publics permettront de l’atteindre en temps opportun.

Le Centre de transition en ligne

L’opérationnalisation complète des centres de transition permet d’espérer des changements bénéfiques qui assureront une transition plus harmonieuse à un grand nombre de vétéran.e.s. Parallèlement, les FAC ont également mis sur pied le Centre de transition en ligne. Dans ce cas, les promesses semblent plus modestes, même si l’initiative a été présentée comme une innovation majeure. Il s’agit en fait d’une simple page web regroupant des liens aux services touchant la transition.

Le premier lien qui s’y trouve offre de « Réserver une consultation » avec un conseiller en transition. Ce lien mène à la liste des centres de transition, et, après avoir choisi l’un des centres, si on clique sur « Prendre un rendez-vous », on obtient les coordonnées du centre de transition. On peut téléphoner ou envoyer une lettre, mais les militaires ne peuvent ni envoyer un courriel, ni remplir un formulaire pour laisser leurs coordonnées et donner leurs disponibilités. Il ne s’agit donc pas d’un véritable portail de prise de rendez-vous comme on en retrouve partout en ligne. Le deuxième lien mis en évidence au haut de la page mène simplement aux services en ligne d’ACC par le portail « Mon dossier ACC ».

Sur la page d’accueil du Centre de transition en ligne, on retrouve ensuite six autres liens vers des « Services et renseignements ». Le premier mène à la même liste des centres de transition que l’on retrouvait pour « Réserver un rendez-vous ». Le deuxième mène aux « Événements axés sur la transition ». On y retrouve pêle-mêle une liste de 19 événements qui se dérouleront au cours des 12 prochains mois :

On ignore en quoi le contenu de ces événements diffère de ce qui était offert préalablement dans le cadre des séminaires du SPSC. On ignore également si ces formations seront offertes uniquement aux six centres de transition de la liste, ou si elles seront également offertes dans les 21 autres.

Le troisième lien de la page d’accueil du Centre de transition en ligne, intitulé « Traduisez vos compétences militaires, votre formation et votre expérience en équivalences civiles », mène à deux outils automatisés qui existaient déjà, mais pour lesquels on a ajouté un lien sur la page du centre de transition en ligne. Le premier fournit une liste non structurée de 131 fonctions militaires, parfois très générales comme « Blindés » ou « Médecin », parfois très spécifiques comme « Opérateur De Détecteur Électronique Aéroporté ». Chacune est ensuite pairée à une ou plusieurs des catégories d’emplois que l’on retrouve sur le Guichet Emplois du gouvernement du Canada. Par exemple, en choisissant « Opérateur De Détecteur Électronique Aéroporté », on obtient une liste de six postes, leur description, ainsi que la possibilité de postuler aux emplois du Guichet Emplois qui leur correspondent. L’autre outil identifie, pour les mêmes 131 fonctions militaires, une liste de programmes de formation qui reconnaissent certains acquis et permettent ainsi aux vétéran.e.s d’obtenir leur diplôme ou leur accréditation plus rapidement.

Sur cette page de « traduction des compétences », on retrouve un troisième lien intitulé « Emplois pour les vétérans » qui mène également au Guichet Emplois. Si on clique sur le lien, on obtient 27 425 résultats (consulté le 3 avril 2024) sur le total des 161 603 offres d’emploi du site. On ne précise pas les critères ayant permis d’opérer cette sélection.

Le quatrième lien de la page d’accueil du Centre de transition en ligne mène à une formation en ligne sur la transition. L’accès étant protégé, il n’a pas été possible d’en examiner le contenu. Selon la  Réponse du gouvernement au rapport du Comité sur la stratégie nationale pour l’emploi des vétérans, « il s’agit d’un cours en ligne et en apprentissage autonome visant à préparer les membres à leur transition de la vie militaire à la vie civile ».

Le cinquième lien mène à un « Répertoire des services axés sur la transition de la vie militaire à la vie civile ». Il est organisé en fonction des sept domaines du modèle de bien-être mis de l’avant conjointement par les FAC et ACC : l’utilité, les finances, la santé, les aptitudes à la vie quotidienne, l’intégration sociale, le logement et l’environnement physique, et l’environnement culturel et social.

Par exemple, sous l’onglet « Finances », on peut lire : « Des ressources financières suffisantes vont de pair avec une multitude de situations positives : l’indépendance, un mode de vie sain, l’accès aux services de santé, un bon logement, la stabilité familiale et l’évitement de l’endettement. » Toutefois, lorsqu’on clique sur le lien supposé ouvrir l’accès à tout cet éventail de ressources, tout ce que l’on retrouve, c’est trois liens menant aux services et programmes d’ACC et un autre permettant de télécharger l’application « Mes services de transition » développée par les FAC. Cette application n’offre aucun contenu nouveau. Elle est composée de liens vers les pages des mêmes ressources que celles du Centre de transition en ligne, mais organisées différemment.

Le sixième et dernier lien de la page d’accueil du Centre de transition en ligne, intitulé « Appliquer à la transition » ne fait que mener à la page de renseignements généraux des FAC sur le processus de libération du service militaire.

La sobre modestie de la page web intitulée « Centre de transition en ligne » tranche avec la présentation élogieuse qu’en a faite le gouvernement dans la Réponse au rapport du Comité sur la stratégie nationale pour l’emploi des vétérans :

Le centre de transition numérique (CTN) est un « guichet unique » virtuel, accessible sur Internet, qui sert à mener des recherches et à prendre contact avec une équipe d’assistance guidée. À partir du CTN, un membre a accès à Mon guide de transition, au cours Ma transition 101, à un outil de prise de rendez-vous et à un lien vers le site Web Mon dossier ACC. Le membre a également accès à l’ensemble du programme « Mon séminaire de transition » (anciennement le Service de préparation à une seconde carrière ou SPSC). Dans le CTN, il pourra créer son plan de transition personnalisé et individuel et recevoir les commentaires et conseils des professionnels des FAC et d’ACC[18].

Le Centre de transition en ligne est donc une simple page web sur laquelle ont été regroupés des liens à des pages déjà existantes. Il a certes l’avantage d’offrir un point d’accès centralisé à ces ressources, mais il n’y ajoute aucun contenu.

L’entrevue de transition

Les membres qui sont sur le point d’être libérés volontairement sont encouragés à participer à une entrevue de transition. Un questionnaire sera administré par un.e employé.e d’ACC, et tentera d’établir si ces personnes pourraient avoir des besoins en santé qui n’ont pas encore été identifiés. Cette entrevue est obligatoire pour les militaires qui seront libérés pour raisons médicales. Selon Mme Hicks :

Tout d'abord, nous sommes avisés de leur libération. Au cours de l'entrevue de transition, il y a un outil de dépistage pour déterminer le risque lié à la libération. Si tout semble bien aller, le risque est moindre. Ceux pour lesquels le risque est estimé au niveau moyen ou supérieur feront l'objet d'un suivi de 30 jours après leur libération. Nous faisons un suivi auprès de l'ancien combattant pour voir comment il se porte et s'il est sur la bonne voie. C'est le point de départ. Nous faisons aussi en sorte que les personnes sachent que si elles ont besoin d'aide, elles peuvent revenir nous voir[19].

À cette occasion, les militaires peuvent demander d’obtenir une copie de leur dossier médical, ce qui pourra parfois accélérer le traitement des demandes de services et de prestations financières.

Après la libération

Il existe des différences importantes entre les programmes auxquels auront accès les vétéran.e.s après leur libération selon qu’ils aient libérés pour raisons médicales ou non, et selon que leur libération pour raisons médicales soit liée à leur service militaire ou non.

L’accès à un médecin de famille

« Tous ces beaux programmes ne servent pas à grand-chose si les vétérans ne sont pas capables de cocher la case 1, c'est‑à-dire d'avoir accès à un médecin. Pour accéder à un programme, il faut avoir un médecin. C'est aussi simple que cela[20]. »

Selon les témoignages reçus au Comité depuis sa création en 2005, l’accès à un médecin de famille constitue sans doute l’obstacle principal pour les vétéran.e.s qui souhaitent accéder aux programmes et services d’ACC. Cet enjeu constitue également l’un des premiers éléments de récrimination pour un grand nombre de citoyen.ne.s canadien.ne.s. Le gouvernement du Canada a la responsabilité de fournir des soins de santé aux militaires tant et aussi longtemps que dure leur service militaire. À l’instant où un.e militaire devient un.e vétéran.e, ce sont les provinces qui doivent prendre le relais. Les médecins des FAC offrent des ordonnances valables pour deux ans au moment de la transition aux militaires libérés pour raisons médicales[21]. Pour plusieurs, cette extension s’avère insuffisante puisqu’il leur faudra parfois plus de deux ans pour trouver un médecin de famille.

ACC n’a évidemment pas la capacité de trouver un médecin de famille aux vétéran.e.s. La capacité d’ACC d’apporter une solution à cette difficulté est limitée puisque ce sont les provinces qui ont la compétence constitutionnelle de légiférer dans ce domaine. Toutefois, plusieurs de ses programmes exigent l’obtention d’un diagnostic médical, ou qu’un formulaire soit signé par un.e médecin. Cette condition est l’une des causes principales des délais qui affectent l’accès aux services du ministère. Or les médecins considèrent parfois que ces formulaires constituent un fardeau de plus et refuseront de prendre les vétéran.e.s. Le témoignage de Luc Fortier est typique et mérite d’être cité au complet. Il reprend la plupart des éléments qui frustrent les vétéran.e.s depuis de nombreuses années :

À ma sortie des Forces armées, j'ai reçu une tonne d'ordonnances, mais elles ne m'ont servi à rien. À moins d'avoir un médecin ou une organisation qui nous aide, on ne peut pas les faire renouveler. […]
Quand on présente une demande à Anciens Combattants Canada, les demandes sont acceptées la plupart du temps, mais la réponse n'est pas nécessairement à la hauteur réelle de la blessure. On va donc faire appel de la décision.
Encore une fois, le processus d'appel exige qu'on ait un médecin. On peut donc, pour ainsi dire, mettre une croix sur le processus d'appel, et on attend.
Avec Manuvie, c'est la même chose. Quand on sort du système, on se fait dire qu'on est couvert pour deux ans par Manuvie, mais Manuvie ne répond pas au téléphone. La compagnie nous envoie des courriels 18 mois plus tard pour dire qu'il faut retourner sur le marché du travail, à moins d'avoir un médecin qui dit le contraire.
Comme je n'ai pas de médecin de famille, j'ai perdu ma couverture d'assurance.
Pour la prise de rendez-vous avec un médecin, c'est un autre capharnaüm. On nous dit de composer un certain numéro, qui est celui du bureau d'accès rapide.
Une fois qu'on nous a répondu, je mets bien l'accent sur « une fois qu'on nous a répondu », on nous pose toutes sortes de questions sur la raison de notre demande. Une fois les renseignements recueillis, on nous dit qu'un médecin va nous appeler le lendemain, qu'il faut attendre l'appel et, surtout, ne pas le manquer.
Si aucun médecin ne nous appelle le lendemain, en particulier si la personne est comme moi et fait de l'angoisse, c'est l'enfer. On tourne en rond, on fait les cent pas, on regarde le téléphone. On ne veut même pas bouger par crainte de manquer l'appel téléphonique. Si le médecin n'a pas appelé le lendemain et qu'il faut recommencer le surlendemain, on abandonne. Pour ma part, je l'ai fait deux fois, puis j'ai abandonné. Essayez d'imaginer ce que c'est que de ne pas être capable d'aller voir un médecin parce que le processus est trop lourd. […]
Ce que je recherche en tant que vétéran blessé, et ce que recherchent la plupart des vétérans, c'est une solution pour que nos vétérans et nos vétéranes blessés se soignent au lieu de serrer les dents et d'avoir recours à des médecines douces, qui ne sont pas nécessairement légales[22].

Plusieurs solutions ont été proposées, comme de laisser les médecins militaires continuer d’offrir leurs services aux vétéran.e.s jusqu’à ce que les provinces puissent prendre le relais[23]. Cela exigerait l’assentiment des provinces puisque les FAC fourniraient ainsi des services médicaux à des personnes sous juridiction provinciale, ce qui libérerait certes les systèmes de santé provinciaux, mais ajouterait plusieurs milliers de nouvelles demandes par année pour le personnel médical des FAC qui n’a pas cette responsabilité et qui ne ferait ainsi que compenser les lacunes des systèmes provinciaux.

D’autres ont tenté de se tourner vers les cliniques privées. Cette avenue n’est toutefois pas accessible à tous les vétéran.e.s et, dans bien des cas, elle ne donnera pas de meilleurs résultats. En effet, comme l’a raconté M. Fortier : « On nous dit souvent d'aller en clinique privée. Je l'ai fait et j'ai apporté mon dossier médical, mais on m'a dit qu'on ne pouvait pas m'accepter comme patient parce que c'était trop compliqué, même si je payais de ma poche[24]. »

Dans sa Réponse au rapport sur la stratégie nationale pour l’emploi des vétérans, le gouvernement a évoqué un nouveau programme de télémédecine qui permettrait aux vétéran.e.s récemment libérés d’avoir accès à un médecin de famille durant un an. Cela donnerait le temps nécessaire pour obtenir un véritable médecin de famille :

Le Service de télémédecine pour les familles des vétérans […] est offert aux anciens combattants libérés pour des raisons médicales le 3 janvier 2021 ou après cette date, ainsi qu’à leurs familles. Grâce à ce service, les familles qui n’ont pas encore de médecin de famille peuvent recevoir un permis valable pour un an afin d’accéder à un service national de télémédecine 24 heures sur 24, sans frais pour l’ancien combattant ou les membres de sa famille[25].

En apparence, cette option pourrait certes aider à atténuer la principale difficulté de la transition pour les personnes libérées pour raisons médicales. Jane Hicks a présenté les caractéristiques du programme : « Cela comprend les ordonnances, les lettres d'orientation et tout le reste[26]. » Elle a toutefois ajouté un bémol important : « La télémédecine n'est pas conçue pour remplir des formulaires de prestations d'invalidité et des choses de ce genre. C'est vraiment pour les soins de santé primaires et de courte durée[27]. »

Ce programme est bienvenu dans les limites de ce qu’il peut apporter. M. Fortier en a fait l’expérience : « On nous dit qu'il existe une application pour nos téléphones, qui s'appelle Maple. On peut l'utiliser gratuitement pendant un an. Si jamais on a un problème médical, on n'a qu'à l'utiliser pour voir ce que cela donne. Je l'ai fait, parce que j'avais un gros problème médical, et on m'a dit d'aller voir mon médecin de famille. C'est un peu embêtant[28]. »

Comme l’a recommandé le Comité à de nombreuses reprises, la solution la plus simple, et qui éviterait d’ouvrir les discussions constitutionnelles, serait que les FAC ne libèrent personne jusqu’à ce que tout ait été mis en place pour que la transition soit la plus harmonieuse possible. Cette recommandation se retrouve dans un rapport de 2016 de l’ombudsman de la défense nationale et des Forces armées canadiennes. Elle avait alors été formulée ainsi :

Il est recommandé que les Forces armées canadiennes maintiennent en poste les militaires en voie de libération pour raisons médicales jusqu’à ce que tous leurs services et prestations des Forces armées canadiennes, d’Anciens Combattants Canada et du Régime d’assurance-revenu militaire soient confirmés et instaurés.

C’est également ce qu’a recommandé Mme Hughes une fois de plus :

En raison de la grave pénurie de personnel dans le secteur de la santé au Canada, bon nombre d'anciens combattants ne reçoivent pas les soins nécessaires après leur service, puisqu'il leur faut des années pour trouver un médecin de famille. Un traitement immédiat et continu est requis pour qu'une personne atteigne une nouvelle normalité. Les retards indus dans l'accès aux soins de santé — en santé mentale et en santé physique — ne font qu'exacerber les symptômes et mettre en danger les soins à long terme offerts aux anciens combattants et à leur famille.
Puisque mon temps est presque écoulé, le point principal que je vous invite à retenir est qu'aucune personne qui est gravement blessée ou malade ne devrait être libérée des Forces tant que les mesures de soutien appropriées ne sont pas en place. Cela comprend l'accès à un médecin et à d'autres services de soutien[29].

Retarder la libération permettrait aux médecins militaires de signer tous les formulaires nécessaires et d’attendre que les décisions d’ACC touchant par exemple le remplacement de revenu aient été rendues, de manière à permettre aux vétéran.e.s de planifier leur avenir de manière analogue à ce que ferait n’importe qui d’autre en situation de changement important dans sa vie. Le Comité ne peut donc que reformuler cette recommandation :

Recommandation 1

Que, peu importe le motif de la libération, les Forces armées canadiennes ne libèrent les militaires qu’une fois que les conditions suivantes ont été remplies :

  • L’accès à un médecin de famille a été confirmé par les autorités provinciales compétentes;
  • Les vétéran.e.s ont été informés de tous les programmes de transition de carrière et toutes les demandes de participation à ces programmes ont été traitées;
  • Les prestations d’assurance invalidité du RARM ont été adjugées et, le cas échéant, les programmes professionnels ont été approuvés;
  • Toutes les décisions concernant l’ensemble des programmes et services d’ACC applicables ont été rendues; et
  • Une copie de leur dossier militaire leur a été remise.

Les programmes accessibles à tous les vétéran.e.s

Services de réorientation professionnelle

Depuis 2006, des services de réorientation professionnelle peuvent être offerts aux vétéran.e.s qui ne participent pas au programme de réadaptation d’ACC. Ces services ont été redéfinis à quelques reprises jusqu’à l’implantation du programme actuel en 2019. Selon les politiques d’ACC, révisées en avril 2023, l’admissibilité des militaires en service y est maintenant clairement énoncée, et les vétéran.e.s y sont admissibles « non seulement au moment d’effectuer une transition initiale à l’extérieur des FAC, mais à n’importe quel moment où ils pourraient être confrontés à la transition d’un type d’emploi à un autre. » Les services comportent trois volets :

  • Renseignements sur le marché du travail;
  • Orientation professionnelle; et
  • Aide à la recherche d’emploi.

Agilec est le sous-traitant pour ces services depuis 2018. Le rapport du Comité sur la stratégie nationale pour l’emploi des vétérans avait noté qu’une évaluation faite en 2022 par ACC avait révélé que le taux de satisfaction pour ce programme laissait à désirer. Le contrat avec Agilec a tout de même été renouvelé en 2023. Le Comité avait recommandé « Qu’Anciens Combattants Canada révise son programme de Services de réorientation professionnelle ainsi que les modalités du contrat avec son fournisseur » (Recommandation 9).

Dans sa réponse au rapport du Comité, le gouvernement affirme être d’accord avec cette recommandation. Passant sous silence le faible taux de satisfaction que sa propre évaluation avait révélé envers les services de réorientation professionnelle fournis par Agilec, il a préféré vanter le succès d’un autre programme, l’allocation pour études et formation.

Allocation pour études et formation

Depuis 2018, l’allocation pour études et formation permet aux vétéran.e.s libérés après le 1er avril 2006, et qui ne participent pas au programme de réadaptation d’ACC, d’obtenir de l’aide pour payer les frais de scolarité, le matériel de cours, les frais accessoires et les frais de subsistance. Des allocations similaires existaient, mais n’étaient accessibles qu’aux vétéran.e.s inscrits au programme de réadaptation ou aux vétéran.e.s libérés pour raisons médicales. Le montant maximal de l’aide est de 46 196 $ pour les vétéran.e.s qui comptent entre six et douze ans de service, et 92 392 $ pour les vétéran.e.s qui comptent 12 années de service ou plus. À la différence de l’allocation similaire offerte par le RARM durant les 24 mois après la libération pour raisons médicales, les vétéran.e.s sont admissibles à l’allocation pour étude et formation dix ans après avoir été libérés des FAC, peu importe le motif de la libération. En 2021-2022, selon les Comptes publics du Canada, 2 219 vétéran.e.s ont obtenu cette allocation pour une dépense totale de 25,7 millions de dollars. Les évaluations du programme se sont avérées positives et les témoignages en ont confirmé les conclusions[30].

Dans son rapport sur la Stratégie nationale pour l’emploi des vétérans, le Comité avait soulevé l’enjeu de l’admissibilité des réservistes. Présentement, seuls les membres de la Réserve supplémentaire sont admissibles à l’allocation. Ces personnes sont des vétéran.e.s, mais ont accepté de se rendre disponibles au cas où leur expertise pourrait s’avérer utile lors d’une opération des FAC. Les autres réservistes n’ont pas accès à l’allocation parce que ce sont encore des militaires et que les programmes de formation des FAC peuvent leur être offerts. Le Comité avait recommandé d’assouplir l’admissibilité à l’allocation pour les autres réservistes. Le gouvernement a répondu qu’il « prenait note de cette recommandation ».

Le Comité avait également demandé l’assouplissement des critères d’admissibilité pour les vétéran.e.s qui n’avaient pas encore cumulé les six années de service nécessaires pour se qualifier. Dans sa réponse, le gouvernement a pris note de cette recommandation, mais n’y a pas répondu.

Programmes du secteur communautaire

Des témoins ont proposé que le gouvernement fasse preuve d’une plus grande ouverture dans l’intégration des programmes communautaires qui soutiendraient avantageusement la mission d’ACC. Rosemary Park, d’Hommage aux Femmes Militaires, a plaidé en ce sens :

Nous devons être audacieux et ne pas compter sur le ministère des Anciens Combattants pour tracer la voie à suivre. Je me fonde sur les connaissances que j'ai acquises au cours de mes 20 années de service en uniforme et de mes 32 années de service communautaire dans le secteur sans but lucratif.
[…] Si nous envisageons cette tâche comme un plan d'action national, je suis surprise que l'on n'intègre pas ce troisième secteur de manière stratégique, intentionnelle et opérationnelle dans la réflexion d'Anciens Combattants Canada et des Forces armées canadiennes, dans les engagements liés aux anciens combattants et aux citoyens, et dans les applications de la société civile[31].

Sandra Perron, fondatrice du Pepper Pod, a insisté sur l’importance du secteur communautaire, en particulier pour les femmes militaires et les vétéranes :

Les hommes qui sont dans les Forces armées canadiennes ont souvent un plus grand réseau. Ils ont plus de collègues, et ils se livrent à des activités avec eux de façon régulière. Ils vont prendre une bière ou jouer au golf, par exemple. Leur réseau social est très développé.
Par contre, les femmes […] n'ont pas accès à beaucoup de femmes au cours de leur carrière, et elles ont donc moins d'occasions de créer des amitiés avec d'autres femmes.
[…] Les femmes ont besoin d'amitiés plus profondes. Avec le temps, elles délaissent ce côté de leur carrière qui consiste à former des amitiés avec des femmes.
[…] [Au Pepper Pod], nous offrons aux femmes qui quittent la vie militaire de rencontrer un nouveau groupe de femmes. Elles s'assoient ensemble pendant une fin de semaine et elles se parlent de leur histoire. Elles se racontent. Elles sont très vulnérables. Elles forgent donc une amitié très profonde au sein de ce nouveau groupe.
[…] Cela étant dit, les vétéranes se retrouvent, parfois, juste pour aller cueillir des bleuets, d'autres fois pour aller vivre des aventures[32].

Le Fonds pour le bien-être des vétérans et de leur famille offre du financement aux organismes communautaires et aux institutions de recherche, mais ce financement est lié à la réalisation de projets spécifiques ne pouvant pas dépasser cinq ans. Il est donc difficile pour les organismes et le ministère de développer des partenariats structurés à long terme avec des organismes communautaires comme celui noué depuis plus d’un siècle avec la Légion royale canadienne. Celle-ci, comme tout autre organisme, peut recevoir du financement ponctuel pour la mise en œuvre d’un projet particulier. Grâce à une entente de service, elle peut également avoir accès, avec l’accord des vétéran.e.s concernés, à des informations qui aideront par exemple à remplir les demandes de prestations d’invalidité. La Légion royale canadienne ne reçoit aucune compensation financière pour ce travail, mais elle peut ainsi compléter le travail du ministère d’une manière plus durable que par des projets ponctuels.

Programmes de réadaptation

Le programme de réadaptation du Régime d’assurance revenu militaire

Durant les six mois qui précèdent leur libération pour raisons médicales, et durant les 24 mois qui suivent la libération, les militaires et les vétéran.e.s peuvent bénéficier des services de réadaptation professionnelle du RARM. Ces derniers ne visent pas à les aider à acquérir de nouvelles compétences, mais à mettre en valeur et à faire reconnaître les compétences transférables acquises durant le service militaire. Les services de réadaptation professionnelle défraient les droits de scolarité et de livres jusqu’à 32 000 $, en plus d’offrir d’autres allocations mensuelles pour les fournitures, les frais de garde, d’Internet, de déplacement et de double résidence durant la durée du programme. Le RARM n’offre pas de réadaptation médicale ou psychosociale.

Grâce aux prestations d’invalidité du RARM, tous les militaires qui sont libérés pour raisons médicales sont assurés de recevoir 75 % du revenu qu’ils gagnaient dans les Forces armées canadiennes (FAC) durant les 24 mois qui suivent leur libération, et ce, peu importe que les raisons de cette libération soient liées ou non à leur service militaire. Après cette période de 24 mois, si le RARM juge que la personne souffre d’une invalidité totale et permanente, la prestation pourra continuer d’être versée jusqu’à ce qu’elle atteigne l’âge de 65 ans.

Le programme de réadaptation d’Anciens Combattants Canada

Le régime d’assurance invalidité du RARM ne fait pas de distinction entre une libération médicale « liée au service » et une autre qui ne l’est pas. De plus, son programme de réadaptation ne touche que la dimension professionnelle de la transition. Ce fut l’une des motivations principales pour l’adoption de la Loi sur le bien-être des vétérans en 2005 et son entrée en vigueur l’année suivante. Elle permit à ACC de mettre en œuvre un programme de réadaptation qui intégrait les dimensions physique, psychosociale et professionnelle de la transition et d’offrir un remplacement du revenu durant la durée du programme de réadaptation. Les vétéran.e.s qui n’ont pas été libérés pour raisons médicales, et qui sont inadmissibles au programme du RARM, peuvent ainsi en bénéficier. Cela visait principalement à soutenir les vétéran.e.s souffrant de problèmes de santé mentale dont les symptômes se seraient manifestés après leur libération.

En vertu de l’article 8(1) de la Loi sur le bien-être des vétérans, des services de réadaptation peuvent être fournis au vétéran « si celui-ci présente un problème de santé physique ou mentale qui découle principalement de son service dans les Forces canadiennes et entrave sa réinsertion dans la vie civile ». Les militaires en service peuvent présenter une demande durant les mois qui précèdent leur libération, mais le programme de réadaptation ne débutera qu’après leur libération[33]. Des services d’assistance professionnelle peuvent être offerts aux conjoints si on juge que les mesures de réadaptation offertes au vétéran ne seront pas suffisantes pour lui permettre d’occuper un emploi rémunérateur. De l’assistance professionnelle peut également être offerte aux survivants des vétéran(e)s.

Selon les données d’ACC, parmi les 142 033 clients du ministère en décembre 2021, 14 685 participaient au programme de réadaptation, soit environ un sur dix. Il s’agit des vétéran.e.s dont les problèmes sont les plus complexes et qui bénéficient du soutien des gestionnaires de cas.

Interactions entre le volet professionnel du programme de réadaptation d’Anciens Combattants Canada et celui du Régime d’assurance revenu militaire

Si le problème de santé pour lequel la réadaptation médicale ou psychosociale est fournie crée des entraves à la réinsertion professionnelle, un volet de réadaptation professionnelle sera ajouté au plan de réadaptation d’ACC. Toutefois, les vétéran.e.s ne seront pas admissibles à ces services s’ils reçoivent déjà des services de réadaptation du RARM. Pour les vétéran.e.s libérés pour raisons médicales, le volet professionnel du programme de réadaptation d’ACC ne sera donc offert qu’après les 24 mois d’admissibilité au programme du RARM si les entraves à la réinsertion sont encore présentes. L’exclusion de 24 mois ne s’applique pas aux vétéran.e.s admissibles qui n’ont pas été libérés pour raisons médicales.

Cette exclusion pourrait limiter la capacité d’ACC d’offrir aux vétéran.e.s des programmes de réadaptation complets et cohérents. Le Comité a recommandé à maintes reprises que soient harmonisés les programmes de réadaptation professionnelle d’ACC et ceux du RARM. Une fois de plus, il recommande :

Recommandation 2

Que le ministère de la Défense nationale modifie les critères d’admissibilité au programme de réadaptation professionnelle du Régime d’assurance-revenu militaire (RARM) afin qu’il ne soit offert qu’aux vétéran.e.s dont la libération pour raisons médicales n’est pas attribuable à leur service militaire.

La prestation de remplacement du revenu

L’approbation d’un plan de réadaptation par ACC rend les vétéran.e.s admissibles à la prestation de remplacement du revenu. Depuis octobre 2016, cette prestation garantit au vétéran 90 % des revenus qu’il gagnait avant sa libération des FAC pour toute la durée du plan. Si ACC détermine qu’ils ne participent pas activement à leur programme de réadaptation, les vétéran.e.s peuvent perdre cet avantage. Si la personne a été libérée des FAC pour des raisons médicales, elle bénéficie déjà de la garantie de 75 % du revenu en vertu du RARM. Dans ce cas, ACC ne couvre que la différence de 15 %. Avant 2016, les prestations du RARM et celles d’ACC étaient toutes les deux alignées à 75 %. Depuis 2016, afin de bénéficier du 15 % supplémentaire de la prestation de remplacement du revenu, tous les vétéran.e.s libérés pour raisons médicales qui recevaient des prestations du RARM ont dû démontrer que leur libération pour raisons médicales était reliée à leur service militaire. Cette détermination, dont la responsabilité incombe à ACC, et non aux FAC, est en partie responsable de l’augmentation du nombre de demandes et des arrérages qui en ont découlé.

Dans certaines circonstances, la prestation de remplacement du revenu peut continuer d’être versée au‑delà de la durée du plan. Il faut alors établir qu’il y a une « diminution de la capacité de gain » du vétéran, ce qui, selon le document 995 des politiques du ministère touchant les programmes de réinsertion et d’indemnisation, signifie qu’il est « réputé incapable d’exécuter un travail susceptible d’être considéré comme un emploi rémunérateur et convenable ».

Services de réadaptation pour les vétéran.e.s libérés pour raisons médicales non attribuables au service militaire

Avant le 1 avril 2024, l’article 9 de la Loi sur le bien-être des vétérans permettait à certains vétéran.e.s d’accéder à des services de réadaptation, même si les problèmes affectant leur transition à la vie civile n’étaient pas liés au service. On jugeait vraisemblable que ces vétéran.e.s puissent éprouver plus tard des problèmes liés à leur service. Cet article a été abrogé par l’article 127 de la Loi no 1 d’exécution du budget de 2018.

Avant octobre 2016, le coût de cette mesure était faible puisque le RARM payait déjà les prestations de remplacement de revenu correspondantes à tous les militaires libérés pour raisons médicales. En octobre 2016, lorsque les prestations de remplacement de revenu d’ACC sont passés de 75 % à 90 % du revenu avant la libération, les vétéran.e.s sont demeurés admissibles aux services de réadaptation. Ils ont ainsi également pu recevoir le 15 % de différence versé par ACC sans que leurs besoins de réadaptation soient liés à leur service militaire. Pour un programme d’assurance comme le RARM, une telle dépense aurait pu être justifiée par une augmentation correspondante des primes, mais le programme d’ACC est totalement financé par les contribuables. Le 1er avril 2019, le ministère a donc mis fin à la prestation de remplacement de revenu pour les vétéran.e.s dont la libération pour raisons médicales n’était pas liée au service, mais a continué de leur offrir des services de réadaptation jusqu’au 1er avril 2024.

Lourdeur administrative des programmes d’Anciens Combattants Canada

Les plaintes quant à la lourdeur bureaucratique d’ACC ne sont pas neuves. Depuis une quinzaine d’années, le ministère a pourtant déployé des efforts importants afin de simplifier ses formulaires et ses procédures administratives. Ces améliorations semblent avoir eu peu d’effet sur l’expérience qu’en ont les vétéran.e.s. L’une des raisons expliquant cela, comme on a pu le constater tout au long du présent rapport, est la quantité des programmes existants. Chacun comporte ses critères particuliers, les mêmes termes sont définis différemment d’un programme à l’autre et il existe parfois des dédoublements. L’équilibre entre l’obligation de rendre compte des dépenses publiques et l’accès aux services pour les vétéran.e.s ne semble pas encore avoir été atteint.

Marc Meincke, hôte du podcast Operation Tango Romeo, a expliqué que le trouble de stress post-traumatique pouvait exacerber ce sentiment. Il n’a pas épargné le Comité lui-même pour la lourdeur de ses procédures :

L'une des raisons pour lesquelles il est difficile d'accéder aux programmes, c'est que le trouble de stress post-traumatique se caractérise entre autres par un sentiment d'accablement, notamment par rapport aux fardeaux administratifs. À titre d'exemple, même le processus bureaucratique que j'ai dû suivre pour me joindre à vous aujourd'hui était lourd. Pour beaucoup, c'est trop.
J'ai compté le nombre d'étapes que je dois franchir pour accéder à mes courriels d'Anciens Combattants Canada. À un moment donné, il y en avait 16. Je pense qu'actuellement, il y en a neuf. Je dois cliquer neuf fois juste pour lire un courriel. Pour beaucoup, c'est tout simplement décourageant. Voilà un exemple où il est possible de faire mieux[34].
[…] Les programmes changent constamment de nom. Il y a toutes sortes de rajustements, et nous perdons le fil. La seule façon de s'y retrouver... Je compare cela à des élèves de sixième année qui se donneraient des cours d'éducation sexuelle entre eux. Ils ne savent vraiment pas de quoi ils parlent. Voilà ce que c'est que d'essayer de s'y retrouver dans ACC. Les choses changent constamment, et dès que vous établissez une relation avec un gestionnaire de cas, il démissionne ou est renvoyé, et vous repartez à zéro avec un autre. Je pense que j'en ai eu quatre ou cinq depuis 2017[35].

La complexité des programmes constituerait un défi même pour les fonctionnaires les plus aguerris. Les vétéran.e.s ne sont pas des spécialistes de l’administration publique. Lorsqu’ils effectuent leur transition à la vie civile, tous les aspects de leur quotidien sont chamboulés. Si les obligations statutaires du ministère ne lui permettent pas de simplifier radicalement ses programmes, il devient nécessaire de compenser cette lourdeur en offrant beaucoup plus de soutien à la navigation des vétéran.e.s parmi cet enchevêtrement de programmes.

ACC a confirmé que des membres de son personnel seraient présents pour favoriser une intervention aussi précoce que possible. Philip Lopresti a suggéré qu’il faudrait également que ce qu’il a appelé du « personnel paraprofessionnel » puisse accompagner les vétéran.e.s tout au long de leur transition : « quelqu'un qui reste là tout au long du processus et qui vous guide dans cette transition, que ce soit pour accéder aux ressources d'ACC ou à celles de toute autre organisation[36]. » Un soutien de cette nature serait sans doute moins intimidant que celui des employés du ministère.

Dans le cadre de l’ancien processus de transition, des membres de la Légion royale canadienne étaient intégrés aux Centres intégrés de soutien du personnel et aidaient les militaires en transition à remplir les demandes de prestation, leur rappelaient de demander une copie de leur dossier médical, les avertissaient de certains défis qui pourraient les confronter s’ils s’engageaient sur une voie ou sur une autre. Ces services étaient fournis en vertu d’un protocole d’entente avec les FAC. Selon Carolyn Hughes, il n’existe pas présentement d’entente similaire pour les centres de transition[37]. Luc Fortier, vice-président de la Direction du Québec de la Légion, a confirmé avoir offert un partenariat au groupe de transition des FAC, mais aucune entente n’a encore été conclue[38].

Reconnaissant la valeur ajoutée de l’expertise fournie par les officiers d’entraide de la Légion, le Comité recommande :

Recommandation 3

Que les Forces armées canadiennes signent un protocole d’entente avec la Légion royale canadienne afin de permettre aux officiers d’entraide de la Légion d’être intégrés aux centres de transition.

Lorsqu’on imagine à quoi peut ressembler le processus de transition de la vie militaire, on se représente habituellement un.e militaire qui, après une blessure, subit plusieurs évaluations et pour qui une décision doit malheureusement être prise de libérer cette personne pour raisons médicales. Ou encore un.e militaire qui a terminé sa période d’engagement après avoir servi pendant une dizaine d’années ou plus, et choisit de relever de nouveaux défis ou d’être plus présent.e pour sa famille. On conçoit aisément le soutien que pourront apporter les centres de transition dans le cadre de ces transitions typiques qui sont nombreuses. Qu’en est-il cependant des situations où le processus de transition n’est pas typique du tout?

Les membres du Comité ont écouté avec étonnement et effroi le témoignage de Stephanie Hayward. Elle a quitté les FAC après quelques mois de service. Violée par huit hommes. Elle avait 19 ans : « Je n'ai jamais bénéficié de services de transition lorsque j'ai été libérée des forces armées. Mes droits de la personne et mes droits en matière d'emploi ont été bafoués. J'ai gardé le silence par crainte d'être tuée, violée à nouveau ou placée dans un établissement correctionnel militaire[39]. »

Comment parler de transition, ou de processus dans un tel cas ? Comme l’a expliqué le Comité dans son rapport de juin 2024 sur les vétéranes, la prise en charge immédiate des personnes ayant subi des traumatismes sexuels est déficiente au sein des FAC. On parle ici d’un acte criminel grave pour lequel la victime n’a pas pu obtenir de soutien immédiat, ni dénoncer ses agresseurs :

Comme mon agression s'est produite au sein des forces armées, je n'ai pu accéder à aucun service d'aide aux victimes dans la vie civile. Je n'avais accès à rien. En gros, on m'a dit de m'adresser aux forces armées pour demander de l'aide, et c'est ce que j'ai fait. Pendant 11 ans, j'ai demandé de l'aide à de nombreuses reprises. J'ai supplié pour obtenir de l'aide. J'étais sans abri, je logeais dans un refuge pour femmes enceintes, et je demandais de l'aide à ACC. On m'a répondu que je n'avais droit à aucune prestation et qu'ils ne me laisseraient même pas faire une demande[40].

Les changements qui s’annoncent quant au transfert aux tribunaux civils des cas d’agression sexuelle sont certes nécessaires, mais ils ne changent pas le défi de la prise en charge immédiate d’une personne en détresse qui craint de dénoncer ses collègues. Comme l’a également noté le Comité dans son rapport sur les vétéranes : « La mise sur pied du Centre de soutien et de ressources sur l’inconduite sexuelle (CSRIS), et son indépendance de la chaîne de commandement militaire, n’a pas eu d’effet sur les signalements. »

Les deux éléments qui semblent manquer afin de faciliter cette prise en charge sont la proximité et la rapidité. Malgré les meilleures intentions, tout ce qui ressemble à une structure administrative mise en place par des officiers au sein des FAC pourra paraître suspect à une personne qui vient de vivre un traumatisme sexuel. Il faudrait donc que tous les membres du personnel militaire connaissent, dans leur unité, une militaire du rang qui serait identifiée comme le point de contact, une personne de confiance à qui toute situation liée à une inconduite sexuelle pourrait être signalée immédiatement sans risque, et qui bénéficierait d’une pleine immunité contre toute mesure disciplinaire que pourrait entraîner cette responsabilité.

La mise en place d’un point de contact pourrait également favoriser le deuxième élément essentiel, celui de la rapidité. Celle-ci est importante et touche directement à la capacité d’ACC de traiter adéquatement les demandes liées aux inconduites sexuelles. En effet, il faut non seulement qu’une situation puisse être dénoncée rapidement à une personne de confiance, il faut également qu’elle soit documentée dès que possible afin de soutenir des demandes de services qui pourront être présentées plus tard. Stephanie Hayward affirme que les fonctionnaires d’ACC ne l’ont pas crue :

Ils pensent que j'invente des choses, parce qu'un tel drame ne peut pas à leurs yeux se produire sur le sol canadien. C'est le genre d'histoires d'horreur qui nous parviennent des pays du tiers-monde. Et comme ces gens ne peuvent pas concevoir que cela puisse arriver aussi au Canada, ils en déduisent que je dois exagérer, voire mentir[41].

Les évaluateurs d’ACC appliquent avec libéralité le principe du bénéfice du doute inscrit dans la loi. Ils accordent donc le plus de crédibilité possible à toute preuve qui leur est soumise. Mais encore faut-il qu’il y ait preuve. L’existence d’une personne de confiance au sein d’une unité militaire qui pourrait corroborer les faits et présenter les notes recueillies lors de la dénonciation initiale pourrait favoriser le traitement par ACC des demandes liées aux inconduites sexuelles. Le Comité recommande donc :

Recommandation 4

Que les Forces armées canadiennes s’assurent que les victimes d’inconduite sexuelle puissent présenter les faits rapidement auprès d’une personne extérieure à la chaîne de commandement et que ce témoignage puisse servir à soutenir les demandes de prestations et de services qui pourront être déposées plus tard auprès d’Anciens Combattants Canada.

Conclusion

Selon Statistique Canada, il y avait, en 2021, 97 625 membres des Forces armées canadiennes. Chaque année, environ 8 200 quittent la vie militaire pour retourner à la vie civile, dont entre 2 000 et 2 500 pour des raisons médicales. On estime qu’environ 40 % de ces 8 200 éprouveront des difficultés durant leur transition. Plus de la moitié de ces vétéran.e.s qui éprouveront des difficultés n’ont pas été libérés pour raisons médicales. C’est donc dire que les causes des difficultés vécues durant la transition sont complexes et variées et ne se réduisent pas au fait d’avoir été blessé ou non.

Afin de répondre à cette complexification des besoins, ACC et les FAC ont commencé à implanter un nouveau modèle de transition. Ce modèle s’incarne dans les 27 centres de transition dont l’opérationnalisation a été complétée en 2024. Ce rapport soulève certaines inquiétudes quant au niveau de préparation des initiatives liées à ce nouveau modèle de transition. Ces initiatives sont présentées d’une manière qui risque de créer des attentes irréalistes qui empêcheront d’apprécier les progrès réels qu’elles ont entraînés.

Par exemple, le Centre de transition en ligne a été présenté comme une innovation majeure, alors qu’il ne s’agit que d’une simple page web regroupant pêle-mêle des liens aux services touchant la transition. On y annonce un portail de prise de rendez-vous avec des spécialistes de la transition, alors qu’on y retrouve un simple lien aux coordonnées des centres de transition. Il n’y a pas de formulaire de prise de rendez-vous et on ne peut même pas envoyer un courriel. Sur la page d’accueil du Centre de transition en ligne, on présente également des outils supposés faciliter l’arrimage des compétences militaires aux compétences civiles. Ces outils sont un fouillis désorganisé de mots clés dont on a peine à croire qu’ils pourraient aider qui que ce soit à planifier une carrière civile.

Les interactions et les chevauchements complexes entre les programmes de réadaptation offerts par le Régime d’assurance-revenu militaire (RARM) et ceux offerts par ACC ont été soulevés dès l’entrée en vigueur de la Loi sur le bien-être des vétérans en 2006. Ces chevauchements persistent et ont été rendus encore plus complexes par l’entrée en vigueur du programme de Pension à vie en 2019. Par exemple, le volet professionnel du programme de réadaptation d’ACC est limité par la primauté de celui du RARM durant les 24 mois qui suivent la libération pour raisons médicales. Plutôt que d’harmoniser les programmes, les FAC et ACC en ont créé de nouveaux qui répondent à des besoins de plus en plus particuliers à partir de critères d’admissibilité détaillés dans de nouveaux formulaires. Les objectifs de ces programmes sont certes louables, et certains sont appréciés des vétéran.e.s, mais ils ajoutent à leur sentiment maintes fois exprimé d’être submergés par la complexité bureaucratique.

Le principal constat de la présente étude sur la transition est que les principales difficultés liées à la transition des militaires à la vie civile ne tiennent pas tant au modèle de livraison des services, mais sont plutôt liées à la capacité des provinces et territoires à offrir des services de santé en temps opportun, notamment l’accès à un médecin de famille. On peut saluer le projet pilote d’ACC permettant aux vétéran.e.s libérés pour raisons médicales d’obtenir une consultation virtuelle pour des besoins ponctuels, mais la portée de ce service demeure limitée.

Le principal levier d’intervention du gouvernement fédéral en ce domaine réside dans le fait que les FAC ont l’entière responsabilité des services de santé offerts aux militaires en service. Le gouvernement fédéral perd cette autorité une fois que les militaires sont devenus des vétéran.e.s. Il faut donc optimiser ce qui est offert dans les mois qui précèdent la libération du service.

La recommandation principale de ce rapport, reprise de nombreux rapports précédents, est que les militaires ne soient effectivement libérés qu’une fois qu’ils ont obtenu l’accès à un médecin et que toutes les demandes d’indemnisation et de services déposées auprès d’ACC aient été adjugées. Tant que les vétéran.e.s récemment libérés n’auront pas accès en temps opportun aux services de santé dont ils ont besoin, toutes les autres réformes du processus de transition ne pourront avoir que des effets limités. Nous espérons que le gouvernement du Canada aura l’audace de considérer sérieusement l’importance et la pertinence de ce changement qui est susceptible de favoriser la transition harmonieuse de tou.te.s les générations de vétéran.e.s à venir.

Nous remercions tou.te.s les vétéran.e.s qui sont venus présenter leurs témoignages, les membres des organismes communautaires, ainsi que les représentant.e.s d’ACC et des FAC qui, malgré les critiques qui leur sont adressées par les vétéran.e.s et par ce Comité, continuent de consacrer toutes leurs énergies à favoriser le bien-être des vétéran.e.s dans les limites de ce que rendent possible les lois adoptées par le Parlement du Canada.


[1]              Bureau de l’ombudsman du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes, Les Forces armées canadiennes sont les mieux placées pour déterminer l'accès prioritaire des militaires libérés à des postes dans la fonction publique, janvier 2015.

[2]              ACVA, Témoignages, 12 février 2024, Steven Harris, sous-ministre adjoint, Prestation des services, ministère des Anciens Combattants, 1110.

[3]              Ce nombre était de 1 500 en 2015 selon une analyse de l’ombudsman de la Défense nationale et des Forces canadiennes : https://www.canada.ca/fr/ombudsman-defense-nationale-forces/rapports-nouvelles-statistiques/enquetes/simplification-modele-prestation-service/accueil.html

[5]              Van Til L., Sweet J., Poirier A., McKinnon K., Sudom K., Dursun S. et Pedlar D., Bien-être des vétérans de la Force régulière – Conclusion des EVASM 2016, Charlottetown, Î.‑P.-É., Anciens combattants Canada, Rapport technique de la Direction de la recherche, 23 juin 2017.

[6]              ACVA, Témoignages, 12 février 2024, Steven Harris, sous-ministre adjoint, Prestation des services, ministère des Anciens Combattants, 1110.

[7]              ACVA, Témoignages, 1er février 2018, M. David Pedlar (directeur scientifique, Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans), 1145.

[8]              ACVA, Témoignages, 12 février 2024, Steven Harris, sous-ministre adjoint, Prestation des services, ministère des Anciens Combattants, 1110.

[9]              ACVA, Témoignages, 26 février 2024, M. John Senior (vétéran, à titre personnel), 1220.

[10]            ACVA, Témoignages, 26 février 2024, Mme Carolyn Hughes (directrice, Services aux vétérans, Légion royale canadienne), 1215.

[11]            ACVA, Témoignages, 29 avril 2024, M. Phillip Lopresti (à titre personnel), 1110.

[12]            ACVA, Témoignages, 29 avril 2024, M. Phillip Lopresti (à titre personnel), 1110.

[13]            ACVA, Témoignages, 29 avril 2024, Mme Rima Aristocrat (présidente, TeKnoWave Inc., à titre personnel), 1235.

[20]            ACVA, Témoignages, 14 février 2024, M. Luc Fortier (vice-président, direction du Québec, Légion royale canadienne), 1755.

[21]            ACVA, Témoignages, 14 février 2024, M. Luc Fortier (vice-président, direction du Québec, Légion royale canadienne), 1800.

[24]            ACVA, Témoignages, 14 février 2024, M. Luc Fortier (vice-président, direction du Québec, Légion royale canadienne), 1815.

[28]            ACVA, Témoignages, 14 février 2024, M. Luc Fortier (vice-président, direction du Québec, Légion royale canadienne), 1800.

[29]            ACVA, Témoignages, 26 février 2024, Mme Carolyn Hughes (directrice, Services aux vétérans, Légion royale canadienne), 1215-20.

[36]            ACVA, Témoignages, 29 avril 2024, M. Phillip Lopresti (à titre personnel), 1145.

[37]            ACVA, Témoignages, 26 février 2024, Mme Carolyn Hughes (directrice, Services aux vétérans, Légion royale canadienne), 1215.

[38]            ACVA, Témoignages, 14 février 2024, M. Luc Fortier (vice-président, direction du Québec, Légion royale canadienne), 1820.

[39]            ACVA, Témoignages, 29 avril 2024, Mme Stephanie Hayward (à titre personnel), 1225.

[40]            ACVA, Témoignages, 29 avril 2024, Mme Stephanie Hayward (à titre personnel), 1245.

[41]            ACVA, Témoignages, 29 avril 2024, Mme Stephanie Hayward (à titre personnel), 1305.