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ACVA Rapport du Comité

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La guerre du golfe persique était une guerre

Introduction

La participation canadienne à la guerre du golfe Persique, qui se déroula entre août 1990 et avril 1991, fut la première opération militaire comprenant des actions offensives importantes depuis la fin de la guerre de Corée en 1953. Environ 4 500 militaires canadiens, hommes et femmes, y ont été déployés.

Depuis la fin de ces opérations, de nombreux vétéran.e.s de la guerre du golfe Persique réclament une meilleure reconnaissance de leur rôle durant ce conflit, tant sur le plan de la commémoration de leurs efforts que sur celui des prestations financières. Leur demande principale est que leur service soit reconnu comme équivalant à celui des vétérans de la guerre de Corée et qu’on le désigne comme « service en temps de guerre » plutôt que la désignation légale actuelle de « service spécial ». Selon eux, ce changement de désignation permettrait de mieux reconnaître les risques particuliers encourus durant ces opérations qui n’étaient pas limitées au maintien de la paix, et entraînerait du même coup une indemnisation financière plus adéquate pour les invalidités découlant de leur participation.

Les témoignages entendus jusqu’à maintenant ont permis d’identifier de nombreux enjeux liés à ces revendications :

  • 1) les conséquences de la désignation de « service en temps de guerre » pour l’accès aux programmes et services d’Anciens Combattants Canada (ACC);
  • 2) la désignation de « service spécial » et la reconnaissance des risques liés aux opérations militaires durant la guerre du Golfe;
  • 3) les conséquences du remplacement des prestations d’invalidité sous le régime de la Loi sur les pensions par celles de la Loi sur le bien-être des vétérans à partir d’avril 2006;
  • 4) La commémoration de la guerre du Golfe par des monuments ou des événements;
  • 5) Les politiques touchant le port des médailles offertes aux militaires canadiens par des pays étrangers; et
  • 6) La reconnaissance du syndrome de la guerre du Golfe comme condition indemnisable par ACC.

Le Comité a tenu onze réunions sur ce sujet entre juin et novembre 2024. Sans compter la volumineuse documentation déposée afin d’appuyer les délibérations des députés, 29 témoins ont été entendus. Nous espérons que le contenu de ce rapport répondra adéquatement à leurs préoccupations.

La catégorie administrative de « service en temps de guerre »

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Le 2 août 1990, l’Iraq a envahi le Koweït en invoquant entre autres une longue querelle à l’effet que, selon les autorités iraquiennes, les ressources pétrolifères exploitées par le Koweït appartenaient à l’Iraq. Par la suite, une coalition de 35 pays sous la direction des États-Unis fut déployée dans le cadre de l’opération Bouclier du désert (Desert Shield). Le Canada s’est joint à ces efforts dès août 1990 en lançant l’opération Friction par l’envoi de trois navires dans la région. Lors de son témoignage, le contre-amiral (à la retraite) Ken Summers, commandant des Forces canadiennes au Moyen-Orient à l’époque, a fait le bilan de cette opération :

Nos navires […] ont joué un rôle déterminant dans les opérations d’interception dans le Golfe, avant les véritables hostilités. Le Canada, avec seulement 5 % des navires d’interception, a fini par procéder à plus de 25 % de tous les arraisonnements, et, très franchement, nous étions en plein milieu du Golfe[1].

16 aéronefs furent ensuite envoyés à Doha, au Qatar, en octobre 1990, avec plus d’une centaine de militaires chargés d’assurer la protection et l’entretien de l’équipement canadien. Selon le contre-amiral Summers, cette partie des opérations a été sous‑estimée :

Je dois vous parler des CF‑18 dont tout le monde pensait qu’ils servaient simplement à survoler les navires pour les protéger. Ils faisaient beaucoup plus que cela. Ils ont commencé par cela, mais on les a ensuite envoyés au nord du Golfe, juste à côté de Koweït City et des opérations qui s’y déroulaient.
[…]
Quand il a fallu entamer des missions de chasse et de bombardement au‑dessus de l’Irak et du Koweït, on nous a demandé de fournir un appui aérien rapproché, ce qu’on appelle des missions d’escorte et de balayage, pour devancer la force d’attaque qui a survolé le Koweït et l’Irak. C’était impressionnant. Vers la fin, ils ont commencé à faire de l’air-sol, ou de l’air-sable peut-être. Quoi qu’il en soit, c’était une mission.
Je tiens à souligner avec fierté que, de tous les aéronefs qui se trouvaient là‑bas, seuls les aéronefs canadiens ont participé aux trois missions avec le même appareil et les mêmes pilotes. Cela témoigne du professionnalisme de notre force aérienne[2].

Plusieurs équipes médicales ont également été déployées et des dizaines de militaires canadiens ont été intégrés aux unités militaires d’autres pays participant à Desert Shield. Le contre-amiral Summers a décrit l’utilité de cet hôpital, ainsi que les risques liés aux opérations de déminage :

[L’hôpital de campagne] était posté à Al Jubail, qui se trouve dans le Golfe persique, mais, quand la guerre a éclaté, il s’est déplacé vers l’ouest, dans un endroit appelé Al Qaysumah, à la frontière entre l’Arabie saoudite et le Koweït. Au moment de sa mise en place, il a été attaqué par un missile Scud. Cet hôpital s’occupait non seulement des blessés parmi nos alliés, mais aussi des blessés irakiens qui venaient au quartier général. […] Nos forces de sécurité qui les accompagnaient sont devenues les gardiens de tous les prisonniers de guerre jusqu’à ce qu’elles puissent les envoyer ailleurs.
Quelqu’un en a déjà parlé, mais le minage du littoral de Koweït City et de l’aéroport était absolument incroyable. C’est notre corps du génie qui a pu libérer le littoral et le terrain d’aviation de bunkers piégés avec des munitions et toutes sortes de choses. D’autres alliés n’ont pas eu autant de chance, et je suis fier de dire que j’attribue à notre professionnalisme et à la formation de nos soldats le fait que personne n’ait jamais été blessé dans ces opérations de déminage[3].

Avec le déclenchement de la guerre aérienne le 16 janvier 1991, les forces canadiennes furent impliquées dans des actions plus offensives dans le cadre de l’opération alliée baptisée Tempête du Désert (Desert Storm), et le contingent canadien a été augmenté. Avec la libération effective du Koweït, un cessez-le-feu a été déclaré le 28 février 1991 et la participation canadienne à la guerre du Golfe s’est terminée le 16 avril.

Quiconque aurait observé les événements qui se sont déroulés au Koweït et dans la région durant cette période aurait jugé qu’il s’agissait bel et bien d’une guerre. Comme l’a rappelé le contre-amiral Summers, même si, à l’origine, la résolution de l’ONU ne prévoyait pas d’hostilités, « le moment venu, nous devions être en mesure de combattre, et c’est à ce moment‑là que l’on est passé d’une résolution de l’ONU à un conflit armé[4] ». Le constat est le même pour le vice-amiral (à la retraite) Duncan Miller qui était commandant du groupe opérationnel naval canadien durant les opérations :

Il ne fait aucun doute dans mon esprit que nous avons participé à une guerre; 150 Américains et 37 soldats britanniques y ont perdu la vie et d’innombrables personnes ont été blessées. Un certain nombre de Canadiens ont souffert et souffrent encore de troubles de stress post-traumatique à cause de cette guerre, avec tout le stress que cela comporte[5].

Selon Harold Davis, de l’Association des vétérans de la guerre du Golfe :

Les vétérans du Golfe vous diront qu’ils ont participé à une guerre. Demandez au pilote qui a pris part à une mission de bombardement contre la quatrième armée en importance à l’époque. Demandez au vétéran de la marine qui a traversé un champ de mines pour aider à sauver un navire de la marine américaine qui avait heurté une mine. Demandez à l’infirmière qui a traité des prisonniers de guerre pendant le conflit, ou demandez à l’ancien combattant qui a survécu à de nombreuses attaques de missiles Scud[6].

Ce ne sont pas non plus les déclarations diplomatiques officielles qui permettent de reconnaître les critères objectifs de ce qui peut définir une guerre. Comme l’a rappelé le contre-amiral Summers, cette époque est révolue :

Il y a les guerres classiques, si vous voulez les appeler ainsi, parce que c’est ce qu’elles étaient — l’infanterie contre l’infanterie et ce genre de choses —, comme la Seconde Guerre mondiale, la Première Guerre mondiale et la guerre de Corée, et il y a ce que nous faisons maintenant, qui est beaucoup plus axé sur la technologie. Il suffit de regarder ce qui se passe en Ukraine et en Russie. Ils n’envoient pas autant de soldats de part et d’autre; ils envoient des drones. La technologie a pris le dessus. C’est un type de guerre différent qui se déroule actuellement[7].
C’est le type d’opération dans lequel nous avons été impliqués. La guerre n’a jamais été déclarée. Tout s’est passé sans déclaration de guerre. Le 16, à deux heures du matin, tout s’est écroulé, et c’est ainsi que nous nous sommes retrouvés impliqués. Finalement, à un moment donné, un cessez‑le‑feu a été déclaré et ils ont cessé de se battre. Cependant, la guerre n’a jamais été déclarée. Saddam Hussein n’a jamais déclaré de cessez‑le‑feu. Ils se sont tous arrêtés[8].

Plusieurs documents ou décisions du gouvernement du Canada semblent appuyer cette reconnaissance de la guerre du Golfe comme étant une guerre. Selon le vice-amiral Miller : « Les navires AthabaskanTerra Nova et Protecteur, ainsi que le 423e Escadron d’hélicoptères anti-sous-marins et le 439e Escadron d’appui tactique ont reçu les honneurs de guerre du gouvernement. Les honneurs de guerre sont décernés pour les combats en temps de guerre[9]. »

Ces définitions ont de l’importance pour les vétéran.e.s, car elles permettent de valider leur expérience vécue durant les conflits. Ainsi, le Tableau des distinctions honorifiques des Forces armées canadiennes précise que 4 458 militaires et vétéran.e.s ont reçu la Médaille du Golfe et du Koweït s’ils ont été déployés sur ce théâtre d’opérations durant au moins 30 jours cumulatifs entre le 2 août 1990 et le 27 juin 1991. Parmi ceux-ci, 3 198 ont également reçu la barrette soulignant leur service durant au moins une journée dans le théâtre d’opérations « pendant les hostilités » entre le 16 janvier 1991 et le 3 mars 1991. Le site note que cette barrette a été « décernée à ceux qui étaient présents dans le théâtre pendant la guerre elle-même[10] ».

Or, lors de son témoignage de juin 2024, Amy Meunier, sous-ministre adjointe à la commémoration et aux affaires publiques d’ACC, a déclaré : « [La guerre du golfe Persique] n’est pas définie comme une guerre[11]. » Cela a fait sursauter plusieurs membres du Comité.

Ce que voulait signifier cette déclaration, et que d’autres témoins ont tenté de clarifier par la suite, c’est que, même si la guerre du Golfe était une guerre, le Canada n’était pas lui-même « en guerre » au sens juridique du terme, comme il le fut la dernière fois durant la Deuxième Guerre mondiale. Selon l’hon. Ginette Petitpas Taylor, ministre des Anciens Combattants, le problème réside dans la différence entre la définition usuelle de la guerre et sa définition juridique :

Nous devons d’abord reconnaître que les hommes et les femmes qui ont servi dans le golfe Persique étaient en danger. Ils étaient aussi à l’extérieur de la sécurité du Canada, et ils se sont engagés dans cette mission.
Est‑ce que je considère qu’il s’agit d’une guerre? Je considérerais que c’en est une. En ce qui concerne la loi, cependant, ma définition de ce que je considère comme une guerre n’est peut-être pas nécessairement la même que celle de la loi[12].
[…]
[Les vétérans déployés dans le Golfe] étaient en zone de danger[13].

L’hon. Bill Blair, ministre de la Défense nationale, a repris les mêmes arguments sur les contraintes imposées par la définition juridique, et a ajouté : « Dans la langue courante, et selon mon point de vue, il s’agit d’une guerre[14]. »

Il existe plusieurs lois canadiennes qui, au fil des années, ont fait référence au terme « guerre ». Entre 1914 et 1988, la Loi sur les mesures de guerre a autorisé le gouverneur en conseil à proclamer un état de guerre, d’invasion ou d’insurrection, réel ou appréhendé, sans que ces termes soient directement définis dans la législation. Elle a été invoquée durant la Première et la Deuxième Guerre mondiale, ainsi que durant la crise d’octobre au Québec en 1970. Cependant, cette loi n’a pas été invoquée durant la guerre de Corée, même si certains pouvoirs ont été conférés au gouvernement en vertu de la Loi sur les pouvoirs d’urgence entre 1951 et 1954.

La Loi sur les mesures de guerre a été abrogée en 1988 et remplacée par la Loi sur les mesures d’urgence. Celle-ci définit quatre types de « crises nationales » : I. le sinistre; II. l’état d’urgence; III. l’état de crise internationale; et IV. l’état de guerre.

L’« état de guerre » y est défini comme « [une g]uerre ou autre conflit armé, effectif ou imminent, où est partie le Canada ou un de ses alliés et qui est suffisamment grave pour constituer une situation de crise nationale ». Une « crise nationale » est définie comme résultant « d’un concours de circonstances critiques à caractère d’urgence et de nature temporaire, auquel il n’est pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada ».

Pour qu’un conflit armé auquel participe le Canada soit désigné comme une guerre en vertu de cette loi, il faut que ce conflit mette « gravement en danger » la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens, ou qu’il « menace gravement la capacité du gouvernement du Canada de garantir la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du pays ».

Autrement dit, même si la participation du Canada à un conflit armé pouvait constituer un grave danger pour les militaires qui y furent déployés, ce conflit ne pourrait pas être désigné comme « guerre » s’il ne menaçait pas gravement la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du Canada.

Il est facile de voir que, si on se place du point du gouvernement du Koweït, la guerre du Golfe était une guerre, et si ce gouvernement avait pu adopter une proclamation en vertu d’une loi similaire à celle qui prévaut au Canada, il aurait proclamé l’état de guerre. La guerre du Golfe était objectivement une guerre selon n’importe quelle définition usuelle du terme. C’était également une guerre au sens de l’expérience subjective vécue par quiconque y a participé. Finalement, c’était une guerre, au sens juridique, pour le Koweït, mais pas pour le Canada. Autrement dit, le Canada a participé activement à une guerre qui, selon les autorités canadiennes, ne menaçait ni la souveraineté de son territoire, ni la sécurité de ses citoyen.n.e.s. C’est cette interprétation qui sert de fondement à la Recommandation 2 (voir plus loin à la page 16). Avant de la formuler, la section suivante doit d’abord clarifier le processus par lequel certaines opérations militaires peuvent recevoir une désignation particulière.

Indépendamment de la sémantique juridique, la guerre du Golfe correspond à la définition objective d’une guerre, et l’expérience vécue par les militaires qui y participèrent fut celle d’une guerre. Comme l’a affirmé M. Blois :

Tous les aviateurs, les marins et les soldats, hommes et femmes, engagés dans ces opérations vous diraient que ce n’était pas une mission de maintien de la paix. C’était la guerre, purement et simplement. Ceux qui y ont participé le savaient, et eux et leurs familles le savaient et le ressentaient[15].

C’est cette expérience vécue qui doit être écoutée, entendue et reconnue à sa juste valeur par le gouvernement du Canada.

La désignation de « service en temps de guerre » n’a pas de fondement législatif

Dans une pétition déposée à la Chambre des communes en mars 2023, l’Association canadienne des vétérans de la guerre du Golfe a demandé « au gouvernement du Canada de reclasser “la guerre du Golfe et la libération du Koweït” de la catégorie “zone de service spécial” à la catégorie “service en temps de guerre” dans toutes les politiques canadiennes pertinentes » [italique dans le texte].

Selon l’Association, une telle désignation a été accordée aux vétéran.e.s de la guerre de Corée, y compris ceux de la marine marchande et de certains groupes de civils, même si, lors de ce conflit, le Canada n’avait formulé aucune déclaration de guerre. De plus, les opérations effectuées par les militaires canadiens durant la guerre du Golfe s’apparentaient à celles effectuées en temps de guerre :

Les Canadiens ont été menacés par des missiles balistiques et des armes chimiques la nuit; ils ont effectué des tâches liées au combat intégré; ils ont capturé des prisonniers de guerre et s’en sont occupés; ils ont effectué des patrouilles aériennes de combat et un nombre incalculable d’interventions navales. (Pétition de l’Association des vétérans canadiens de la guerre du Golfe)

Autrement dit, les opérations de la guerre du Golfe marquent un accroissement significatif du risque par rapport à celles qui furent menées après la guerre de Corée. Ce danger accru, même s’il ne s’est pas soldé par des décès comme durant les opérations en Afghanistan, devrait être reconnu par cette désignation de « service en temps de guerre ».

Dans sa Réponse à la pétition, signée par Bryan May, secrétaire parlementaire, le ministre de la Défense nationale écrit :

Cette catégorisation ne vise pas à accorder plus ou moins de respect au service accompli par les militaires et les anciens combattants. Aucune des deux catégories ne représente un risque moins élevé pour les personnes déployées. Par exemple, en plus du service durant la guerre du golfe Persique, le service accompli dans les Balkans et en Afghanistan a été catégorisé par arrêté du ministre de la Défense nationale comme un « service spécial ». En outre, un changement de catégorie de « service spécial » à « service en temps de guerre » pour les personnes ayant servi durant la guerre du golfe Persique n’entraînerait pas nécessairement un changement sur le plan des avantages offerts, car ces anciens combattants sont admissibles au niveau d’avantages le plus élevé offert par Anciens Combattants Canada pour les blessures subies durant ce service.

Autrement dit, si on reconnaissait cette dangerosité accrue et qu’on accordait la désignation de « service en temps de guerre » aux vétéran.e.s de la guerre du Golfe, il faudrait également l’accorder aux vétéran.e.s des Balkans et de l’Afghanistan. De plus, cette désignation serait essentiellement symbolique puisqu’elle n’entraînerait vraisemblablement aucun changement sur le plan des prestations financières ou d’autres services.

Dans les documents administratifs d’ACC, il existe une distinction entre « vétérans du service en temps de guerre » (wartime service veterans) et « vétérans de l’ère moderne ». Comme nous le verrons plus loin, le terme administratif « vétérans de l’ère moderne » désigne à la fois les « vétérans du service spécial » et ceux qui peuvent être client.e.s du ministère sans que leurs besoins en services soient liés à une opération de service spécial.

Les catégories administratives de « vétérans du service en temps de guerre » et de « vétérans de l’ère moderne » n’ont pas de fondement législatif ni de conséquence sur l’admissibilité aux programmes et services du ministère. Elles ne visent qu’à séparer les centaines de milliers de volontaires et de conscrits qui ont participé à la Première Guerre mondiale, à la Deuxième Guerre mondiale, et à la guerre de Corée du nombre proportionnellement plus restreint de militaires qui ont fait carrière dans les FAC durant les décennies qui ont suivi. L’inclusion des vétéran.e.s de la guerre de Corée comme « vétérans du service en temps de guerre » était d’ordre essentiellement pratique puisqu’une grande proportion des vétéran.e.s de la guerre de Corée avait également participé à la Deuxième Guerre mondiale. Ensemble, pour les fins du ministère, ces deux groupes de vétéran.e.s ne formaient qu’une seule et même cohorte.

L’argument que soulève avec pertinence l’Association des vétérans du golfe Persique est que la désignation « vétérans en temps de guerre » a été étendue aux vétéran.e.s de la guerre de Corée alors que le Canada n’était pas officiellement « en guerre » non plus. Ces troupes ont été déployées dans le cadre d’opérations offensives en vertu de résolutions de l’Organisation des Nations Unies (ONU), tout comme durant la guerre du Golfe. En effet, même si la guerre de Corée était une guerre au sens objectif, elle ne l’était pas en son sens juridique puisque la Loi des mesures de guerre n’a pas été invoquée pour elle. Par conséquent, selon les mêmes critères, la guerre de Corée ne constituait pas non plus une guerre au sens juridique et les vétéran.e.s qui y ont participé ont quand même été désignés comme « vétérans du service en temps de guerre », contrairement à ceux de la guerre du Golfe et des conflits qui ont suivi, y compris la guerre en Afghanistan. Cela donne raison à Mike McGlennon, vice-président de l’Association des vétérans de la guerre du Golfe : « D’un point de vue juridique, la mission de service spécial dans le golfe Persique était identique, sur le plan juridique, à la guerre de Corée. Dans les deux cas, il s’agissait de missions en vertu du chapitre VII, qui faisaient partie d’une coalition pour la libération d’un pays[16]. »

Ces catégories administratives ont pu entraîner de la confusion quant aux programmes et services auxquels le terme « vétérans du service en temps de guerre » pouvait donner l’accès. Étant donné qu’il n’existe pas de fondement législatif à la désignation de « service en temps de guerre », son attribution aux opérations militaires de la guerre du golfe Persique n’aurait aucune conséquence sur l’admissibilité des vétéran.e.s aux programmes et services d’ACC. Comme l’a clairement affirmé l’hon. Bill Blair, ministre de la Défense nationale :

La reclassification de ceux qui ont servi dans le golfe Persique dans le cadre d’une opération de service spécial pour refléter les définitions du service pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale ou la guerre de Corée ne changerait pas nécessairement les prestations auxquelles ils sont admissibles. C’est parce que ces vétérans sont déjà admissibles à certains des niveaux les plus élevés de prestations par l’entremise d’Anciens Combattants Canada pour les blessures découlant de leur service[17].

Comme on l’a vu plus haut, le sens que donne la Loi des mesures d’urgence à « l’état de guerre » peut entraîner des conséquences importantes sur la vie des Canadien.ne.s et les pouvoirs accordés au gouvernement pour la protéger. La catégorie de « service en temps de guerre », telle qu’utilisée présentement par ACC ne sert qu’à classifier des cohortes de vétéran.e.s. Elle ne constitue donc pas l’instrument approprié pour répondre aux revendications des vétéran.e.s de la guerre du Golfe.

Puisqu’elle est dépourvue de fondement législatif, la catégorie « service en temps de guerre » peut être abolie ou modifiée par simple décision administrative. Le Comité recommande donc :

Recommandation 1

Qu’Anciens Combattants Canada abolisse la catégorie de « vétérans du service en temps de guerre » dans sa Politique sur les Prestations d’invalidité versées à l’égard du service en temps de guerre et du service spécial – Principe d’assurance, et n’y dresse la liste que des zones de conflit ou des opérations militaires qui permettent l’indemnisation d’une invalidité en vertu du principe d’assurance.

La désignation juridique de « Service spécial »

Au cours de la présente étude, la catégorie administrative de « service en temps de guerre » fut fréquemment prise en opposition à celle de « service spécial[18] » qui, elle, possède un fondement législatif très particulier. Certaines déclarations des témoins ont laissé entendre que ces deux désignations pouvaient être utilisées par le ministère de la Défense nationale pour classifier une opération[19].

Il s’agit là vraisemblablement d’un malentendu provoqué par la publication par ACC du document 1447 évoqué plus haut, et intitulé Prestations d’invalidité versées à l’égard du service en temps de guerre et du service spécial – Principe d’assurance. Ce document vise à clarifier la différence entre le principe d’indemnisation et le principe d’assurance dans l’adjudication des prestations d’invalidité. Étant donné le libellé du titre de la politique, elle a pu laisser croire qu’il existait des critères permettant de désigner une opération militaire comme « service en temps de guerre », alors qu’il n’en existe que pour la désignation de « service spécial ». Ainsi, selon Kevin Sampson, de l’Association des vétérans du Rwanda : « [C]’est le ministère de la Défense nationale, ou MDN, qui, de son propre chef, divise le service actif en deux catégories différentes, l’une d’entre elles étant le service en temps de guerre[20]. »

Comme nous l’avons vu, il s’agit là d’un malentendu, car le MDN n’a pas ce pouvoir de désigner une opération militaire comme étant du « service en temps de guerre ». Comme l’a affirmé le ministre Blair : « [J]’ai le pouvoir de désigner un conflit en fonction des deux catégories prévues dans la loi ["opération de service spécial” et "zone de service spécial"], et je suis tout à fait prêt à exercer ce pouvoir, mais je ne serais pas en mesure de déclarer rétroactivement qu’il s’agissait d’une guerre. C’est une décision qui incomberait à l’exécutif[21]. »

Pour comprendre la signification de la désignation de « service spécial », il faut remonter à la Première et à la Deuxième Guerre mondiale et à l’application du « principe d’assurance ». Selon ce principe, si un.e vétéran.e pouvait démontrer qu’il avait quitté le Canada pour une opération militaire se déroulant dans le cadre de l’un ou l’autre de ces conflits, et qu’il en était revenu souffrant d’une invalidité, il n’y avait aucun besoin de démontrer que cette invalidité était liée au service militaire. Cette attribution était présumée. Toute autre demande adressée au ministère des Anciens Combattants était traitée en vertu du « principe d’indemnisation », c’est-à-dire qu’elle devait être appuyée sur des preuves établissant le lien entre l’invalidité et le service militaire.

Tous les avantages financiers conférés aux vétéran.e.s de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale ont par la suite été étendus aux vétéran.e.s de la guerre de Corée durant les années 1950. Les prestations continuaient d’être versées en vertu du « principe d’assurance[22] ».

Durant les années qui ont suivi la guerre de Corée, le Canada a mis sur pied des forces armées permanentes et professionnelles plus nombreuses, ce qui évitait la mobilisation d’une force expéditionnaire de volontaires en cas de conflit. Ces forces armées ont participé à de nombreuses opérations de maintien de la paix qui comportaient des risques évidents pour la santé des militaires. La question fut donc soulevée de savoir si, pour ces opérations de maintien de la paix, il fallait continuer d’attribuer les prestations d’invalidité en vertu du même principe que celui utilisé pour les vétéran.e.s des conflits précédents.

La solution fut d’attribuer la désignation de « service spécial » aux opérations qui comportaient un risque élevé et d’indemniser les vétéran.e.s qui y avaient participé en vertu du « principe d’assurance ». Toute autre invalidité liée au service devait être évaluée en vertu du « principe d’indemnisation ». Les vétéran.e.s dont l’invalidité est apparue durant une opération de service spécial n’ont donc pas à démontrer ce lien au service militaire. Cette distinction a été adoptée en 1964, attribuée rétroactivement aux opérations s’étant déroulées depuis 1949, et est encore applicable aujourd’hui[23]. Autrement dit, la désignation de « service spécial » n’implique aucune distinction dans l’admissibilité aux programmes et services d’ACC, mais implique une distinction juridique quant au fardeau de la preuve nécessaire pour y accéder[24].

La désignation de « service spécial » fut adoptée afin de distinguer les opérations de maintien de la paix de celles découlant des guerres mondiales et de la guerre de Corée. Dans les documents officiels jusqu’au milieu des années 2000, on retrouve fréquemment l’appellation « opérations de service spécial (maintien de la paix)[25] ». En ce sens, il est vrai qu’elle peut sous-entendre un niveau de risque moins élevé que celui expérimenté par les vétéran.e.s des conflits précédents et, du même coup, pour ceux des opérations plus offensives menées depuis le début des années 1990, y compris durant la guerre du Golfe.

Le capitaine (à la retraite) Sean Bruyea a proposé une distinction possible entre « les personnes qui ont combattu et celles qui n’ont pas combattu[26] » ou l’abolition pure et simple de ces catégories, ce qui entraînerait l’application du principe d’assurance à tous les vétéran.e.s : « Lorsque nous nous engageons dans l’armée, nous nous entraînons pour les zones de service spécial dès le jour où nous revêtons l’uniforme. Je pense donc vraiment qu’une telle distinction ne devrait pas exister[27]. »

Les membres du Comité reconnaissent les mérites d’une telle proposition, mais croient qu’elle ne satisferait pas les revendications de l’Association des vétérans de la guerre du Golfe qui souhaitent justement faire ressortir la nature plus offensive des opérations auxquelles ils ont participé. La sénatrice Patterson a plutôt recommandé l’ajout d’une catégorie de « service de guerre » comme une sous-catégorie du « service spécial »[28]. Cette solution permettrait potentiellement d’éviter un changement législatif, mais perpétuerait l’équivalence entre les opérations plus offensives de la guerre du Golfe et les autres types d’opérations de service spécial, en plus d’ouvrir une confusion possible avec la désignation juridique des opérations de la Deuxième Guerre mondiale.

Les membres du Comité croient que l’implication des militaires canadiens dans des opérations de combat plus offensives que durant les opérations de maintien de la paix permet de justifier la création d’une désignation particulière pour reconnaître cette réalité. Comme l’a dit le colonel (à la retraite) Mark Gasparotto à propos des opérations en Afghanistan : « Les opérations de combat à Kandahar, en Afghanistan, ont coûté la vie à de nombreux membres des FAC et ont nécessité le recours à une violence considérable contre un ennemi déterminé. Parler de "zone de service spécial", cela sonne creux compte tenu de la réalité sur le terrain[29]. » Le lieutenant-colonel (à la retraite) Dean Tremblay qui, tout comme le colonel Gasparotto, fut commandant d’une unité sous-unité de combat en Afghanistan, a défendu le même point de vue : « Nous étions en guerre. Nous participions à des opérations quotidiennes contre un ennemi déterminé et armé. Chaque jour, nous risquions d’être pris pour cible, d’être blessés ou tués. On s’attendait à ce que nous fassions la même chose à notre ennemi, si on nous le demandait en toute légitimité[30]. »

Afin de reconnaître la distinction revendiquée par les vétéran.e.s qui ont participé à des opérations plus offensives depuis la guerre du Golfe et de lui donner un fondement législatif qui assurerait sa conformité avec la définition juridique de l’état de guerre au Canada, le Comité recommande l’ajout de deux désignations, en plus de celle de « service spécial » :

Recommandation 2

Que la ministre des Anciens Combattants dépose un projet de loi amendant les articles 69 et 70 de la Loi sur le bien-être des vétérans afin d’ajouter aux pouvoirs conférés au ministre de la Défense nationale le pouvoir d’attribuer aux opérations militaires passées, présentes ou futures, les désignations suivantes :

  • « Opération d’urgence de guerre » (War Emergency Operation) lorsqu’une opération militaire se déroule dans le cadre d’une proclamation d’un « état de guerre » en vertu de la Loi sur les mesures d’urgence (une telle désignation serait applicable à la Première et à la Deuxième guerre mondiale); et
  • « Opération en zone de guerre » (War Zone Operation) lorsqu’une opération militaire est menée à la défense d’un État autre que le Canada, et que la situation aurait vraisemblablement justifié la proclamation d’un « état de guerre » par cet État si les critères de la Loi sur les mesures d’urgence y étaient en vigueur, et ce, sans qu’un « état de guerre » ait été proclamé au Canada (une telle désignation serait applicable, entre autres, à la guerre de Corée, à la guerre du Golfe, à la guerre en ex-Yougoslavie, et à la guerre en Afghanistan).

Le passage de la Loi sur les pensions à la Loi sur le bien-être des vétérans

La Loi sur le bien-être des vétérans (Nouvelle Charte des Anciens combattants) a été adoptée à l’unanimité par les deux chambres du Parlement en mai 2005 et est entrée en vigueur en avril 2006. Elle a remplacé les prestations mensuelles d’invalidité de la Loi sur les pensions par un montant forfaitaire maximal et non imposable de 250 000 $ qui fut augmenté par la suite et atteint aujourd’hui 441 000 $. La loi a aussi institué un programme de réadaptation qui donne accès à des prestations de remplacement du revenu et à d’autres avantages. Les prestations de remplacement de revenu garantissaient que les vétéran.e.s participant au programme de réadaptation recevraient 75 % de ce qu’ils gagnaient avant leur libération, et ce pourcentage est passé à 90 % en 2017.

La véritable différence entre les prestations ne vient nullement de la désignation en tant que service en temps de guerre ou service spécial, mais simplement de la date à laquelle la demande d’indemnisation a été déposée à ACC. Si elle a été déposée avant le 1er avril 2006, elle est traitée en vertu des avantages offerts sous le régime de la Loi sur les pensions, et si elle a été déposée le 1er avril 2006 ou après, elle est traitée sous le régime de la Loi sur le bien-être des vétérans[31]. Il existe quelques exceptions à cette distinction, mais elles n’affectent aucune des revendications présentées par les vétéran.e.s de la guerre du Golfe.

En raison du malentendu évoqué plus haut au sujet d’une distinction possible entre « service en temps de guerre » et « service spécial » dans certaines politiques d’ACC, des vétéran.e.s ont pu croire que la désignation de service en temps de guerre permettait d’accéder aux prestations d’invalidité de la Loi sur les pensions plutôt qu’à celles de la Loi sur le bien-être des vétérans[32]. Ce n’est pas le cas puisque tous les vétéran.e.s qui ont participé à des opérations à l’étranger après la guerre de Corée ont été reconnus comme des vétérans du service spécial. Les vétéran.e.s de la guerre du Golfe ont donc eu accès aux prestations de la Loi sur les pensions si leurs demandes ont été déposées avant avril 2006.

Il est vrai que les prestations d’invalidité versées sous le régime de la Loi sur les pensions sont en général plus élevées que celles versées sous le régime de la Loi sur le bien-être des vétérans. Cela n’a cependant rien à voir avec la distinction entre le service spécial et le service en temps de guerre puisque, comme on l’a vu, la désignation de service en temps de guerre existe à des fins de classification pour ACC et ne possède aucun fondement législatif qui donnerait droit à quelque prestation que ce soit.

Sous le régime de la Loi sur le bien-être des vétérans, les vétéran.e.s peuvent choisir de recevoir un montant forfaitaire ou une prestation de pension à vie selon la formule qui leur est la plus avantageuse en fonction de leur âge et de leur situation financière. Les deux tiers choisissent le montant forfaitaire. Il y a donc moins du tiers des vétéran.e.s souffrant d’une invalidité qui ont choisi les prestations mensuelles à vie depuis que cette option est offerte.

Sous la Loi sur le bien-être des vétérans, le montant forfaitaire maximal de 441 000 $ est multiplié par le degré d’invalidité établi par le ministère. Si ce montant est converti en pension à vie, le montant maximal est de 1 355,38 $/mois. Et c’est là que le bât blesse. Les vétéran.e.s qui ont déposé leur demande avant avril 2006 sous le régime de la Loi sur les pensions peuvent recevoir une pension d’invalidité mensuelle maximale de 3 357,30 $/mois, soit un montant deux fois et demie plus élevé.

Cette différence fut soulignée dès les premiers débats ayant entouré la Loi sur le bien-être des vétérans. Ce Comité l’a reconnue à plusieurs reprises, y compris lorsque le ministre des Anciens Combattants de l’époque, l’honorable Julian Fantino, lui a confié en novembre 2013 le mandat de procéder à un « examen exhaustif » de la loi depuis son entrée en vigueur[33]. Le Comité avait alors recommandé d’augmenter le montant forfaitaire maximal afin qu’il soit équivalent aux indemnités versées dans les causes civiles pour les blessures personnelles, ce qui fut accepté par le gouvernement et mena au montant actuel.

Dans son rapport de juin 2014 sur cette question, le Comité écrivait :

Les membres du Comité acceptent les conclusions de plusieurs études qui ont établi que le montant global versé sous le régime de la Loi sur les pensions pour compenser la douleur et la souffrance était généralement plus élevé que le montant de l’indemnité d’invalidité versé en vertu de la [Nouvelle Charte des Anciens Combattants].
[…]
Par contre, s’en tenir à ces seules comparaisons financières omettrait de considérer le cœur même des programmes de la NCAC, c’est-à-dire le programme de réadaptation, alors que celui-ci constitue la différence essentielle entre la NCAC et le régime précédent.
[…]
Les membres du Comité jugent essentiel de maintenir cette philosophie de la NCAC, axée sur la réadaptation, au cœur des programmes de soutien aux vétérans souffrant d’invalidités. Cela n’exclut pas la révision des programmes de soutien financier, mais cette révision doit présupposer l’acceptation du cadre actuel de la NCAC. Il n’est donc pas question de retourner au système que soutenait la Loi sur les pensions. Comme l’a clairement affirmé l’ombudsman des vétérans : « Nous devons accepter le fait que les anciens combattants sont appuyés en vertu de deux régimes d’avantages différents, et que nous ne pouvons pas réécrire le passé[34]. »

Avant l’entrée en vigueur du programme de « Pension à vie » en 2018, la différence entre les montants versés par les deux régimes était moins apparente puisqu’il fallait comparer un montant forfaitaire unique à des versements mensuels à vie. Lors de l’entrée en vigueur du programme, les vétéran.e.s ont pu comparer directement les montants mensuels versés avant et après 2006. La supériorité des montants accordés avant 2006 a été confirmée par des analyses de l’ombudsman des vétérans, de la Bibliothèque du Parlement et du directeur parlementaire du budget.

Lors de leurs témoignages, tout comme lors du lancement du programme de Pension à vie, les représentants du ministère ont affirmé que cette différence découlait du fait que la Loi sur les pensions indemnisait les pertes économiques et non économiques dans une même pension mensuelle d’invalidité :

La pension d’invalidité de la Loi sur les pensions prend en charge deux cas de figure. Elle a regroupé les facteurs économiques et non économiques en une seule pension, tandis que la Loi sur le bien-être des vétérans, qui est entrée en vigueur en avril 2006, séparait ces deux éléments. En remplaçant la Loi sur les pensions, elle a élargi ses services. Il y a l’indemnité pour souffrance et douleur — c’est-à‑dire les prestations non économiques — et il y a la souffrance et la douleur supplémentaires d’une personne qui a des problèmes d’intégration à la vie civile. Ce sont les éléments non économiques.
L’aspect économique concerne principalement la prestation de remplacement du revenu. C’est une prestation qui correspond à 90 % du salaire antérieur d’un ancien combattant dans l’armée s’il ne peut pas retourner au travail après sa retraite[35].

Autrement dit, le montant plus élevé de l’ancienne pension d’invalidité aurait, selon le ministère, été découpé en différentes prestations auxquelles l’admissibilité dépendait de la participation à un programme de réadaptation, de la gravité de l’invalidité ou de l’incapacité professionnelle. Au lieu de comparer le montant de l’ancienne pension à celui de la nouvelle, il faudrait donc comparer l’ensemble des nouveaux programmes mis en place en 2006 à l’ensemble de ceux qui existaient auparavant.

Cette position du ministère est étonnante puisqu’elle a été contredite par la Cour fédérale dans l’affaire Manuge en 2012 et que le gouvernement n’en a pas contesté les conclusions :

[Les prestations dues aux membres des CF invalides aux termes de la Loi sur les pensions] ne constituent pas une forme d’indemnité relative aux pertes de revenu. Il s’agit plutôt d’une indemnisation concernant la réduction de la capacité à agir dans la vie quotidienne, notamment en ce qui concerne la perte de capacité et la réduction de la qualité de la vie[36].

Cela signifie que les prestations d’invalidité versées par la Loi sur les pensions visaient le même objectif que celui visé par les prestations de la Loi sur le bien-être des vétérans. En comparant les deux, on compare donc des pommes avec des pommes.

C’est la thèse qui avait été défendue par un article de Sean Bruyea dans le Hill Times du 12 février 2018 : « Tous les vétérans blessés des Forces canadiennes, dans le cadre des trois programmes [Loi sur les pensions, Loi sur le bien-être des vétérans avant 2018 et Pension à vie], ont essentiellement accès à la même perte de revenu, à la même réadaptation et aux mêmes soins médicaux, ainsi qu’à la même réadaptation et à la même éducation professionnelles (s’ils ne sont pas trop handicapés). Nous pouvons donc mettre de côté ces avantages et comparer les indemnités pour souffrances et incapacité entre les trois programmes. »

Le ministre des Anciens Combattants de l’époque, l’honorable Seamus O’Regan, avait répliqué dans un article du 26 février 2018 : « Bien que l’article d’opinion contienne de nombreuses autres erreurs, je souhaite m’attarder sur une seule d’entre elles : l’idée erronée selon laquelle les vétérans qui ont droit à une pension à vie “recevront moins” que ce qu’ils auraient reçu auparavant. Permettez-moi d’être clair : AUCUN vétéran ne recevra moins que ce qu’il reçoit aujourd’hui, et la plupart d’entre eux recevront plus. »

Cette affirmation est incontestable si on compare les programmes de Pension à vie à ceux qui prévalurent entre 2006 et 2018, mais elle est inexacte si on compare les programmes de Pension à vie à ceux de la Loi sur les pensions. Sous le programme de Pension à vie, tous les programmes autres que les prestations d’invalidité sont offerts à tous les vétéran.e.s, y compris ceux qui sont indemnisés sous le régime de la Loi sur les pensions. Il n’y a donc pas de différence à cet égard. Par contre, les prestations d’invalidité sont mutuellement exclusives. Aucun.e vétéran.e ne peut, depuis le 1er avril 2006, réclamer la pension d’invalidité de la Loi sur les pensions. Étant donné qu’ils ont accès à tout le reste, la seule différence qui demeure est celle du montant des prestations d’invalidité. Comme les analyses l’ont démontré, les montants versés sous le régime de la Loi sur les pensions étaient plus élevés que ceux versés sous le régime de la Loi sur le bien-être des vétérans, même après les améliorations apportées par le programme de Pension à vie.

Les programmes de la Loi sur le bien-être des vétérans constituent certes une avancée importante sur le plan de la réadaptation, de la reconnaissance des vétérans les plus gravement blessés et des prestations de remplacement de revenus. Toutefois, les montants versés dans le cadre des programmes de prestations d’invalidité sont demeurés inférieurs à ce qu’ils étaient sous le régime de la Loi sur les pensions.

Les solutions offertes par les témoins reviennent à « harmoniser » les deux régimes. C’est ce qu’a recommandé la sénatrice Patterson[37]. M. Davis a proposé que les vétéran.e.s aient le choix entre les prestations de l’un ou de l’autre[38]. M. Bruyea a dénoncé le gouvernement pour avoir « choisi de changer sa partie de l’entente alors que nous avions encore besoin de lui pour maintenir les avantages qui étaient en place au moment de notre enrôlement[39] », suggérant que la solution la plus simple serait de remplacer le montant maximal prévu dans la Loi sur le bien-être des vétérans par le montant maximal prévu dans la Loi sur les pensions[40]. Cette position a été particulièrement bien étoffée dans le mémoire déposé au Comité par Brian Forbes, président du Conseil national des associations d’anciens combattants au Canada. Selon lui, une telle harmonisation :

[…] aurait pour effet d’éliminer les dates limites artificielles qui distinguent arbitrairement les anciens combattants selon que leur blessure est survenue avant ou après 2006 ou, dans le cas des anciens combattants du golfe Persique, selon que leur demande auprès d’ACC a été présentée avant ou après 2006.

Comme l’a rappelé M. Bruyea, cette harmonisation des régimes entraînerait des coûts importants pour le gouvernement du Canada. Le directeur parlementaire a estimé que, si on projetait les coûts à vie pour tous les vétéran.e.s qui recevaient une prestation selon le régime de Pension à vie ou la Loi sur les pensions en 2018, et qu’on y ajoutait les nouveaux bénéficiaires qui s’ajouteraient entre 2018 et 2023, la différence serait de 18 milliards de dollars[41]. Il faudrait ajouter à cela une différence pour les années subséquentes qui varierait en fonction des nouveaux clients du ministère. Si le nombre de nouveaux clients était similaire à la moyenne estimée pour la période 2018 à 2023, elle s’établirait à environ 600 millions de dollars par année.

Étant donné qu’environ les deux tiers des vétéran.e.s choisissent de recevoir un montant forfaitaire plutôt qu’une pension mensuelle à vie, ce montant forfaitaire devrait être rajusté proportionnellement au montant mensuel de la pension à vie. Ainsi, selon les taux en vigueur pour 2024, le montant maximal de la pension mensuelle passerait de 1 355,38 $/mois à 3 357,30 $/mois. Le montant forfaitaire maximal passerait de 440 991,96 $ à 1 066 745,58 $. Un ajustement rétroactif devrait également être versé afin d’assurer l’équité entre ceux qui recevraient ces montants à partir de la date de leur entrée en vigueur et ceux qui ont reçu des montants inférieurs depuis le 1er avril 2006. Pour que ces changements entrent en vigueur, il faudrait modifier les montants figurant aux colonnes 3 et 4 de l’annexe 3 de la Loi sur le bien-être des vétérans.

Le port des médailles

Des vétérans ont également critiqué, dans leur témoignage, une politique des Forces armées canadiennes leur interdisant de porter du côté du cœur une médaille décernée par un pays étranger si le Canada leur en a décerné une pour le même conflit. M. Sampson, par exemple, a affirmé :

Vous remarquerez que je porte des médailles sur mon cœur, mais que celle‑ci n’est pas placée avec les autres. Cette médaille m’a été remise personnellement par l’ambassadeur du Koweït. Étant donné que ma mission n’était pas considérée comme du service en temps de guerre, je n’ai pas le droit de porter cette médaille de ce côté, sur mon cœur, et chaque fois que l’ambassadeur du Koweït la voit, nous sommes tous les deux gênés[42].

Il est vrai que ces médailles ne peuvent pas être portées du côté du cœur, mais la raison n’est pas que la mission n’était pas considérée comme du service de guerre. Sur le site du Musée de la guerre, il est écrit que la Médaille de la libération du Koweït décernée par l’Arabie saoudite à des membres de la coalition peut être « acceptée » par les membres des FAC, mais ils ne peuvent pas la porter sur leur uniforme, « car ils ne sont autorisés à porter que la Médaille canadienne du Golfe et du Koweït. »

Le major-général Erick Simoneau a affirmé que « si la médaille vous est décernée par un chef d’État reconnu, elle est portée de ce côté‑ci, du côté gauche. Toutes celles qui nous sont remises par d’autres pays, d’autres États, vont habituellement de l’autre côté, à l’opposé des décorations canadiennes[43]. » Le brigadier-général Luc Girouard a précisé « qu’il y a aussi un principe de double reconnaissance: on ne peut pas être reconnu deux fois pour la même mission. S’il y a une médaille canadienne qui a été émise pour une mission particulière, la médaille d’un autre pays ne pourra pas être portée également[44] ».

Autrement dit, si le Canada n’avait pas décerné de médaille pour la guerre du Golfe, les vétéran.e.s de cette mission auraient pu porter la médaille décernée par l’Arabie Saoudite ou le Koweït du côté droit. Mais étant donné que le Canada a décerné sa propre médaille, ils ne peuvent pas du tout porter celle décernée par les autres États, même s’ils peuvent « l’accepter ». Cette politique est détaillée dans le Manuel des politiques relatives aux distinctions des Forces canadiennes. On y stipule, au paragraphe 8 du chapitre 6 que :

Les demandes visant une médaille de campagne ou de service d’un pays du Commonwealth ou étranger sont évaluées collectivement, pour l’ensemble des personnes jugées admissibles. Le principe de la reconnaissance double s’applique aux médailles de campagne ou de service des pays du Commonwealth ou étrangers. Si le Canada a reconnu un service, (p. ex., la Médaille du Golfe et du Koweït), il n’autorisera pas l’attribution d’une médaille étrangère pour le même service. C’est pour cette raison, par exemple, que le port de la Médaille de service de guerre remise par Syngman Rhee de la république de Corée, de la Médaille de libération du Koweït et de la Médaille de la Force internationale d’assistance à la sécurité de l’OTAN n’est pas autorisé.

Plusieurs témoins, dont le contre-amiral Summers, se sont dit en désaccord avec cette politique[45]. Le Comité hésite à se prononcer sur cette question puisqu’il s’agit ici d’une responsabilité spécifique des FAC. Il aimerait tout de même que le ministère de la Défense nationale puisse lui exposer les raisons de cette interdiction et procède à sa révision afin de déterminer si ces raisons sont toujours valables.

Recommandation 3

Que le ministère de la Défense nationale dépose au Comité un document explicitant de manière plus détaillée les raisons de la politique interdisant la double reconnaissance des médailles, et procède à la révision de cette politique.

Commémoration

Même s’ils ont pu bénéficier des mêmes programmes et services que les vétéran.e.s des autres conflits, ceux de la guerre du Golfe jugent que leur service militaire n’a pas été reconnu à sa juste valeur dans les programmes de commémoration d’ACC. Selon Mme Meunier, leur demande la plus importante à ce chapitre est « que le golfe Persique soit inscrit sur le Monument commémoratif de guerre du Canada[46] ».

M. Blois a souligné les expériences communes qui les lient aux vétéran.e.s des guerres passées :

Lorsque je regarde tous les autres honneurs de bataille qui y figurent, comme la poussée sur Mons, la crête de Vimy et la bataille d’Ortona, je ne me dis pas qu’il s’agit d’autres personnes, car ce sont mes frères et mes sœurs. Ce sont les gens avec qui j’ai combattu. Nous sommes semblables. Lorsque je rencontre un ancien combattant qui a combattu en Corée, nous savons que nous faisons partie de la même famille et que nous voyons les choses de la même manière[47].

Mme Meunier a évoqué les raisons qui font que la Première Guerre mondiale, inscrite lors de l’inauguration initiale en 1939, la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée, inscrites en 1982 et la guerre d’Afrique du Sud et la mission en Afghanistan, inscrites en 2014 sont les seules à être inscrites sur le Monument. Selon elle, « ce sont les cinq missions les plus importantes ayant fait le plus grand nombre de victimes, ce qui leur vaut des inscriptions individuelles[48] ». On a également ajouté en 2014 l’inscription « Au service du Canada » qui sert à « reconnaître toutes celles et tous ceux qui ont servi par le passé, qui servent aujourd’hui et qui serviront dans l’avenir[49]. […] La guerre du Golfe, elle, tomberait sous le coup de la rubrique "Au service du Canada". Je reconnais que ce n’est peut-être pas tout le monde qui comprend ce que cela signifie, et j’ai hâte de proposer des options pour m’assurer que les Canadiens en comprennent bien le sens[50]. »

ACC affirme donc fournir des efforts particuliers pour inclure la guerre du Golfe dans les anniversaires qu’il souligne, dans les cérémonies et dans la documentation. Mme Meunier a dressé une liste ce qu’a fait le ministère :

Rien que l’année dernière, en 2023, en ce qui concerne le golfe Persique en particulier, nos documents de la Semaine des vétérans ont mentionné la guerre du Golfe et parlé d’autres missions en Asie. Cette année, nous avons aussi commémoré le 33e anniversaire de la fin de la guerre du Golfe. Nous organisons généralement des cérémonies plus importantes tous les cinq anniversaires.
Pour la Semaine des vétérans de cette année, nous avons produit plus de documents didactiques sur Bettina Fuchs, une vétérane de la guerre du Golfe qui parle de sa participation à cette mission. Cette période est importante parce que c’est la première fois que des femmes servaient dans des rôles de combat[51].

Malgré ces efforts, les vétéran.e.s de la guerre du Golfe ont le sentiment que leurs expériences particulières se perdent dans la succession de toutes les autres dans cette appellation « Au service du Canada ».

Certains vétérans de la guerre du Golfe ont demandé d’ériger un monument officiel en leur honneur. Selon M. Banks, « il y a des monuments dédiés à des missions plus petites, mais 4 000 Canadiens sont allés dans le golfe Persique, et il n’y a pas de monument pour cette mission. Donnez-leur un monument[52] ».

D’autres témoins ont relativisé l’importance des monuments pour honorer le service militaire, tout en les considérant comme une extension naturelle de la reconnaissance de leur service comme étant du service de guerre. Selon le contre-amiral Summers :

La chose la plus importante, très honnêtement, n’est pas quelque chose de gravé dans la pierre, un monument ou quelque chose de ce genre. Il s’agirait plus simplement de reconnaître qu’ils ont servi, et qu’ils ont servi dans un environnement de guerre. Ils aimeraient que l’on reconnaisse que c’est ce qui s’est passé. D’autres choses suivraient, comme des monuments. Il y a un monument au maintien de la paix ici à Sussex, et il y en a d’autres dans tout le pays. Peut-être que la guerre du golfe Persique devrait également avoir ses monuments[53].

Un autre enjeu soulevé par des témoins concerne la Croix de Victoria, le plus grand honneur de vaillance militaire, qui n’a pas été accordée à un.e Canadien.ne depuis la Seconde guerre mondiale. Accordée par le Royaume-Uni depuis 1856, elle a été remplacée la version canadienne le 1er janvier 1993. M. Sampson, entre autres, a dit :

Je suis consterné par la décision du gouvernement de ne pas la décerner pour les soldats qui ont servi en Afghanistan, alors que tous nos collègues, alliés et amis — les pays du Commonwealth — l’ont fait. J’estime que la seule raison pour laquelle nous n’avons pas reçu la Croix de Victoria est que notre mission n’est pas considérée comme du service en temps de guerre. Le gouvernement du Canada ne décerne la Croix de Victoria que pour ce type de service. Il ne l’a pas fait ni pour la Corée ni pour l’Afghanistan[54].

Certains interprètent ce genre d’inaction comme si le service militaire des vétéran.e.s des générations plus récentes n’avait pas la même valeur. Il est difficile pour les membres du Comité d’identifier au nom des vétérans les mesures particulières de commémoration qui seraient les plus aptes à combler ce vide. Il est toutefois urgent pour le gouvernement de mettre en œuvre à courte échéance des actions qui rallieront les vétéran.e.s de la guerre du Golfe et démontreront de manière énergique et indubitable la valeur inestimable que le gouvernement du Canada accorde à leur service. Le Comité recommande donc :

Recommandation 4

Qu’Anciens Combattants Canada entre en consultation immédiate avec les vétéran.e.s de la guerre du Golfe afin de mettre en œuvre, avant le 35ème anniversaire de la guerre du Golfe en 2026, les mesures de commémoration qui permettront de reconnaître, selon les vétéran.e.s, la valeur inestimable de leur service.

Syndrome de la guerre du Golfe

L’un des éléments les plus préoccupants des conséquences de la guerre du Golfe est ce qu’il est convenu d’appeler le « syndrome de la guerre du Golfe ». Sans constituer un diagnostic médical établi, il désigne quand même un ensemble de symptômes dont la prévalence est nettement plus élevée, en particulier chez les vétéran.e.s américains de ce conflit. Ces symptômes comprennent la fatigue chronique, les maux de tête, les douleurs articulaires, les problèmes digestifs, l’insomnie, les étourdissements, les problèmes respiratoires et les pertes de mémoire. On parle aux États-Unis d’une « maladie chronique multi symptomatique » (chronic multisymptom illness). Si une conjonction de ces symptômes persiste plus de six mois chez des vétéran.e.s ayant participé à la guerre du Golfe, le gouvernement américain présume que cette « maladie médicalement inexpliquée » est liée au service militaire. C’est en ces mêmes termes que la lieutenante de vaisseau (à la retraite) Louise Richard, vétérane de la guerre du Golfe, a décrit les problèmes de santé qui sont apparus et qui continuent de l’accabler aujourd’hui :

La guerre du Golfe a entraîné énormément de maladies. On ne parle pas juste des décès survenus au front, sur le champ de bataille. Il s’agit aussi de maladies invisibles, dont les symptômes ont évolué jusqu’à ce qu’ils correspondent à des maladies mieux connues aujourd’hui. À mon époque, on parlait de symptômes. Lorsque les symptômes devenaient chroniques, on pouvait alors poser un diagnostic de maladie.
Ce n’est pas grâce au Canada que j’ai trouvé de l’information et que j’ai compris ce que je vivais. C’est grâce aux États‑Unis. […] Cependant, moi, mon pays, c’est le Canada, et il a la responsabilité de m’informer et de me faire comprendre ce qui se passe. Il ne sert à rien de me dire que tout est dans ma tête, qu’on ne sait pas de quoi je souffre et que je dois prendre des pilules et m’en aller[55].

Quelques témoins ont évoqué ce syndrome en affirmant qu’ACC ne le reconnaissait pas comme condition médicale. Ne pouvant identifier les causes particulières des symptômes qui les affectent, les vétéran.e.s qui en souffrent voudraient qu’il soit plus simple de les lier à leur service militaire[56].

Pour que cela soit possible, il faudrait que des recherches puissent appuyer ce lien au service militaire et, à ce chapitre, le Canada est dépendant de ses alliés, en particulier des États-Unis. Le témoignage de la sénatrice Patterson est éloquent à cet égard :

Je suis devenue l’infirmière en chef de l’étage qui gérait la clinique de la guerre du Golfe pour les Forces armées canadiennes. Le colonel à la retraite Ken Scott était le spécialiste de la médecine interne qui effectuait les évaluations. Cette démarche était motivée par le fait que d’autres pays alliés disaient, « [n]ous observons une myriade étrange de symptômes et nous voulons savoir à quoi ils sont liés ». Sur mon étage, les gens venaient des quatre coins du pays. C’est à l’époque où nous avions encore des hôpitaux militaires. Les patients subissaient toute une batterie de tests pour s’assurer qu’il ne s’agissait pas d’une maladie sous-jacente. Comme vous le savez, ce syndrome est contesté. Qu’est-ce que c’est? Comment cela fonctionne-t-il?
L’un des problèmes, c’est que nous n’investissons pas dans la recherche. Je reviens sur ce sujet encore une fois. Si vous voulez une solution canadienne, il est facile de dire, « Non, nous avons besoin de données, alors faites des recherches ». Pour aller de l’avant, d’autres pays ont réalisé de nombreuses recherches. Ils se sont penchés sur la question. S’agit-il d’une forme de syndrome de stress post-traumatique? Non. Cependant, il y a des conditions en périphérie. Ils ont fait plus de travail. Si nous, au Canada, voulons étudier la question, nous devons investir dans des recherches appropriées, parce que le problème deviendra caché[57].

À la lumière de ces témoignages, le Comité recommande :

Recommandation 5

Qu’Anciens Combattants Canada reconnaisse le groupe de symptômes chroniques désigné en tant que « syndrome de la guerre du Golfe » comme condition médicale indemnisable, qu’il collabore étroitement avec les alliés du Canada – en particulier les États-Unis – pour en évaluer les causes profondes, et qu’il contribue à la recherche sur les causes de la maladie.

Conclusion

L’Association des vétérans canadiens de la guerre du Golfe a permis de faire ressortir une dimension importante de plusieurs opérations militaires auxquelles a participé le Canada. Les missions traditionnelles de maintien de la paix ont fait place à des opérations beaucoup plus offensives qui sont difficiles à définir à partir de nos références habituelles au concept de « guerre ». Ces différences ont été éprouvées de manière dramatique par les vétéran.e.s qui ont participé à ces opérations et ces expériences les accompagnent encore aujourd’hui. Les vétéran.e.s de la guerre du Golfe ont été impliqués dans une guerre, et il y ont vécu la guerre. Ces expériences doivent être validées et confirmées par les politiques du gouvernement du Canada et celles-ci devraient contribuer à les faire reconnaître par la population canadienne.

La désignation de « service spécial » a été perçue par les vétéran.e.s de la guerre du Golfe comme minimisant le sens vécu de ces expériences et l’ont opposée au « service en temps de guerre » qui leur correspondait plus. Ce rapport, nous l’espérons, aura su proposer des solutions satisfaisantes aux malentendus que ces désignations ont soulevés.

Les quelques 4 500 vétéran.e.s de la guerre du Golfe méritent non seulement de savoir, mais aussi de sentir que leur gouvernement comprend le sens de leurs revendications et a tout mis en œuvre pour y répondre de manière responsable.


[1]                ACVA, Témoignages, 21 octobre 2024, Contre-amiral (à la retraite) Ken Summers (commandant des Forces canadiennes au Moyen-Orient, à titre personnel), 1540.

[2]                ACVA, Témoignages, 21 octobre 2024, Contre-amiral (à la retraite) Ken Summers (commandant des Forces canadiennes au Moyen-Orient, à titre personnel), 1545.

[3]                ACVA, Témoignages, 21 octobre 2024, Contre-amiral (à la retraite) Ken Summers (commandant des Forces canadiennes au Moyen-Orient, à titre personnel), 1625.

[4]                ACVA, Témoignages, 21 octobre 2024, Contre-amiral (à la retraite) Ken Summers (commandant des Forces canadiennes au Moyen-Orient, à titre personnel), 1625. Voir aussi les remarques de Vice-amiral (à la retraite) Duncan Miller (commandant du groupe opérationnel naval canadien, commandant de la logistique de combat alliée, à titre personnel), ACVA, Témoignages, 21 octobre 2024, 1600.

[5]                ACVA, Témoignages, 21 octobre 2024, Vice-amiral (à la retraite) Duncan Miller (commandant du groupe opérationnel naval canadien, commandant de la logistique de combat alliée, à titre personnel), 1550.

[6]                ACVA, Témoignages, 3 octobre 2024, M. Harold Davis (président, Persian Gulf Veterans of Canada), 1105.

[7]                ACVA, Témoignages, 21 octobre 2024, Contre-amiral (à la retraite) Ken Summers (commandant des Forces canadiennes au Moyen-Orient, à titre personnel), 1600.

[8]                ACVA, Témoignages, 21 octobre 2024, Contre-amiral (à la retraite) Ken Summers (commandant des Forces canadiennes au Moyen-Orient, à titre personnel), 1635.

[9]                ACVA, Témoignages, 21 octobre 2024, Vice-amiral (à la retraite) Duncan Miller (commandant du groupe opérationnel naval canadien, commandant de la logistique de combat alliée, à titre personnel), 1550.

[10]              Voir à ce sujet les commentaires de M. Mike McGlennon (vice-président, Persian Gulf Veterans of Canada), ACVA, Témoignages, 3 octobre 2024, 1220.

[11]              ACVA, Témoignages, 17 juin 2024, Mme Amy Meunier (sous-ministre adjointe, Secteur de la commémoration et des affaires publiques, ministère des Anciens Combattants), 1130.

[12]              ACVA, Témoignages, 28 octobre 2024, L’hon. Ginette Petitpas Taylor (ministre des Anciens Combattants), 1535.

[13]              ACVA, Témoignages, 28 octobre 2024, L’hon. Ginette Petitpas Taylor (ministre des Anciens Combattants), 1550.

[14]              ACVA, Témoignages, 31 octobre 2024, L’hon. Bill Blair (ministre de la Défense nationale), 1215.

[15]              ACVA, Témoignages, 10 octobre 2024, M. Michael Blois (avocat, vétéran, Canadian Afghanistan War Veterans Association), 1155.

[16]              ACVA, Témoignages, 3 octobre 2024, M. Mike McGlennon (vice-président, Persian Gulf Veterans of Canada), 1140. Voir les remarques similaires de Vice-amiral (à la retraite) Duncan Miller (commandant du groupe opérationnel naval canadien, commandant de la logistique de combat alliée, à titre personnel), ACVA, Témoignages, 21 octobre 2024, 1600.

[17]              ACVA, Témoignages, 31 octobre 2024, L’hon. Bill Blair (ministre de la Défense nationale), 1155.

[18]              Le terme de « service spécial » est défini à l’article 2 (1) de la Loi sur le bien-être des vétérans. Il inclut deux désignations législatives distinctes, définies aux articles 69 et 70 de la même loi, et qui sont sous la responsabilité du ministre de la Défense nationale « après consultation » du ministre des Anciens Combattants. La désignation de « zone de service spécial » permet d’identifier un lieu géographique où des opérations militaires ont été menées et qui ouvrent le droit à être indemnisé en vertu du principe d’assurance, alors que la désignation de « opération de service spécial » permet d’identifier l’opération militaire elle-même comme ouvrant ce droit.

[19]              ACVA, Témoignages, 19 septembre 2024, M. Kevin (Sammy) Sampson (président, Rwanda Veterans Association of Canada), 1115.

[20]              ACVA, Témoignages, 19 septembre 2024, M. Kevin (Sammy) Sampson (président, Rwanda Veterans Association of Canada), 1115.

[21]              ACVA, Témoignages, 31 octobre 2024, L’hon. Bill Blair (ministre de la Défense nationale), 1205. Voir aussi les remarques du ministre Blair à 1210.

[22]              À cet égard, certaines affirmations des témoins se sont avérées inexactes. Par exemple, Harold Davis, président de l’Association des vétérans du golfe Persique, a dit : « En 1981, 28 ans après leur retour au pays, les anciens combattants de la guerre de Corée ont eu droit à un reclassement à titre d’anciens combattants ayant servi en temps de guerre. Ce précédent juridique nous indique que le gouvernement du Canada a déjà apporté des changements à la classification du service militaire lorsqu’il le jugeait approprié et qu’il lui est donc encore possible de le faire. » ACVA, Témoignages, 3 octobre 2024, M. Harold Davis (président, Persian Gulf Veterans of Canada), 1105. M. Davis confond ici les mesures tardives liées à la commémoration et la désignation de service en temps de guerre qui n’a jamais été utilisée pour « classifier le service militaire ». Voir aussi les interprétations similaires de M. Kevin (Sammy) Sampson (président, Rwanda Veterans Association of Canada), ACVA, Témoignages, 19 septembre 2024, 1140.

[23]              Voir le vote 58a de l’annexe B de la Loi de crédits no 10 de 1964. Le projet de loi C-41 de 1999 a intégré ce pouvoir de désignation du service spécial comme art. 91.1 de la Loi sur les pensions.

[24]              Voir à ce sujet les explications de M. Pierre Tessier (sous-ministre adjoint, Secteur des politiques stratégiques, de la planification et du rendement, ministère des Anciens Combattants), ACVA, Témoignages, 7 octobre 2024, 1545.

[25]              Voir, par exemple, le sommaire du projet de loi C-41 de 1999.

[26]              ACVA, Témoignages, 10 octobre 2024, M. Sean Bruyea (capitaine à la retraite, officier de renseignement dans la force aérienne, à titre personnel), 1145.

[27]              ACVA, Témoignages, 10 octobre 2024, M. Sean Bruyea (capitaine à la retraite, officier de renseignement dans la force aérienne, à titre personnel), 1150.

[28]              ACVA, Témoignages, 10 octobre 2024, L’hon. Rebecca Patterson (sénatrice, Ontario, GSC), 1210.

[29]              ACVA, Témoignages, 10 octobre 2024, Col (à la retraite) Mark Gasparotto (vétéran d’Afghanistan, commandant de sous-unité de combat, à titre personnel), 1215. Voir les remarques similaires de Sergente Nina Charlene Usherwood (à titre personnel), ACVA, Témoignages, 23 septembre 2024, 1550; de M. Mike McGlennon (vice-président, Persian Gulf Veterans of Canada), ACVA, Témoignages, 3 octobre 2024, 1135.

[30]              ACVA, Témoignages, 10 octobre 2024, Lcol (à la retraite) Dean Tremblay (vétéran d’Afghanistan, commandant de sous-unité de combat, à titre personnel), 1220.

[31]              ACVA, Témoignages, 7 octobre 2024, M. Pierre Tessier (sous-ministre adjoint, Secteur des politiques stratégiques, de la planification et du rendement, ministère des Anciens Combattants), 1615. ACVA, Témoignages, 7 octobre 2024, M. Mitch Freeman (directeur général, Politiques et recherche, ministère des Anciens Combattants), 1720.

[32]              Voir par exemple M. Kevin (Sammy) Sampson (président, Rwanda Veterans Association of Canada), ACVA, Témoignages, 19 septembre 2024, 1115, 1125, 1135 et 1145; Sergente Nina Charlene Usherwood (à titre personnel), ACVA, Témoignages, 23 septembre 2024, 1555 et 1620; M. John Senior (caporal-chef (à la retraite), à titre personnel), ACVA, Témoignages, 21 octobre 2024, 1650.

[33]              ACVA, Témoignages, 19 novembre 2013, L’hon. Julian Fantino (ministre des Anciens Combattants), 1110.

[34]              ACVA, La Nouvelle Charte des Anciens Combattants : Allons de l’avant, juin 2014, p. 13 et 14.

[35]              ACVA, Témoignages, 7 octobre 2024, M. Pierre Tessier (sous-ministre adjoint, Secteur des politiques stratégiques, de la planification et du rendement, ministère des Anciens Combattants), 1635.

[36]              Manuge c. Canada, 2012 CF 499 (CanLII), [2013] 4 RCF 647, <https://canlii.ca/t/fr4vt>, consulté le 2024‑11‑13.

[37]              ACVA, Témoignages, 10 octobre 2024, L’hon. Rebecca Patterson (sénatrice, Ontario, GSC), 1215.

[38]              ACVA, Témoignages, 3 octobre 2024, M. Harold Davis (président, Persian Gulf Veterans of Canada), 1105.

[39]              ACVA, Témoignages, 10 octobre 2024, M. Sean Bruyea (capitaine à la retraite, officier de renseignement dans la force aérienne, à titre personnel), 1115.

[40]              ACVA, Témoignages, 10 octobre 2024, M. Sean Bruyea (capitaine à la retraite, officier de renseignement dans la force aérienne, à titre personnel), 1150.

[41]              Directeur parlementaire du budget, Différence de coûts entre les trois régimes de prestations pour les anciens combattants, section 3, 21 février 2019.

[42]              ACVA, Témoignages, 19 septembre 2024, M. Kevin (Sammy) Sampson (président, Rwanda Veterans Association of Canada), 1200.

[43]              ACVA, Témoignages, 7 octobre 2024, Mgén Erick Simoneau (commandant adjoint du Commandement du personnel militaire, ministère de la Défense nationale), 1655.

[44]              ACVA, Témoignages, 7 octobre 2024, Brigadier-général Luc Girouard (directeur général du soutien, chef de la logistique interarmées, ministère de la Défense nationale), 1550.

[45]              ACVA, Témoignages, 21 octobre 2024, Contre-amiral (à la retraite) Ken Summers (commandant des Forces canadiennes au Moyen-Orient, à titre personnel), 1615.

[46]              ACVA, Témoignages, 7 octobre 2024, Mme Amy Meunier (sous-ministre adjointe, Secteur de la commémoration et des affaires publiques, ministère des Anciens Combattants), 1630. Voir aussi les commentaires de M. Sean Bruyea (capitaine à la retraite, officier de renseignement dans la force aérienne, à titre personnel), ACVA, Témoignages, 10 octobre 2024, 1115; M. Michael Blois (avocat, vétéran, Canadian Afghanistan War Veterans Association), ACVA, Témoignages, 10 octobre 2024, 1130.

[47]              ACVA, Témoignages, 10 octobre 2024, M. Michael Blois (avocat, vétéran, Canadian Afghanistan War Veterans Association), 1155.

[48]              ACVA, Témoignages, 7 octobre 2024, Mme Amy Meunier (sous-ministre adjointe, Secteur de la commémoration et des affaires publiques, ministère des Anciens Combattants), 1605.

[49]              ACVA, Témoignages, 7 octobre 2024, Mme Amy Meunier (sous-ministre adjointe, Secteur de la commémoration et des affaires publiques, ministère des Anciens Combattants), 1605.

[50]              ACVA, Témoignages, 7 octobre 2024, Mme Amy Meunier (sous-ministre adjointe, Secteur de la commémoration et des affaires publiques, ministère des Anciens Combattants), 1605.

[51]              ACVA, Témoignages, 7 octobre 2024, Mme Amy Meunier (sous-ministre adjointe, Secteur de la commémoration et des affaires publiques, ministère des Anciens Combattants), 1605.

[52]              ACVA, Témoignages, 10 octobre 2024, M. Christopher Banks (sergent (à la retraite), à titre personnel), 1155.

[53]              ACVA, Témoignages, 21 octobre 2024, Contre-amiral (à la retraite) Ken Summers (commandant des Forces canadiennes au Moyen-Orient, à titre personnel), 1640. Voir aussi les commentaires de Vice-amiral (à la retraite) Duncan Miller (commandant du groupe opérationnel naval canadien, commandant de la logistique de combat alliée, à titre personnel), ACVA, Témoignages, 21 octobre 2024, 1640.

[54]              ACVA, Témoignages, 19 septembre 2024, M. Kevin (Sammy) Sampson (président, Rwanda Veterans Association of Canada), 1200.

[55]              Lieutenante de vaisseau (à la retraite) Louise Richard, ACVA, Témoignages, 24 octobre 2024, 1135 et 1230. Voir aussi les commentaires de M. Sean Bruyea (capitaine à la retraite, officier de renseignement dans la force aérienne, à titre personnel), ACVA, Témoignages, 24 octobre 2024, 1140.

[56]              Voir par exemple le témoignage de Sergente Nina Charlene Usherwood (à titre personnel), ACVA, Témoignages, 23 septembre 2024, 1600-1605.

[57]              ACVA, Témoignages, 10 octobre 2024, L’hon. Rebecca Patterson (sénatrice, Ontario, GSC), 1310.