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AGRI Rapport du Comité

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Se protéger contre les risques à la biosécurité animale : Bilan de l'état de préparation du Canada

Introduction

Les éclosions de maladies animales peuvent entrainer des conséquences importantes pour la santé animale et humaine, la sécurité alimentaire et le commerce international. L’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) explique que l’augmentation des flux transfrontaliers de personnes et de marchandises, ainsi que les changements d’habitudes migratoires des animaux attribuables en partie aux changements climatiques, ont créé de nouvelles voies qui permettent une plus grande propagation des risques zoosanitaires. La capacité des gouvernements d’anticiper et de répondre à ces urgences zoosanitaires est donc une préoccupation mondiale.

Afin de mieux comprendre la capacité du Canada de prévenir et détecter les défis en matière de biosécurité animale et d’y répondre, le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes (le Comité) a adopté la motion suivante le 17 avril 2023 :

Que, conformément à l’article 108(2) du Règlement, le Comité entreprenne une étude des mesures de préparation et de protection mises en place par Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), l’Agence  canadienne d’inspection des aliments (ACIA), l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et l’industrie en cas de dangers de biosécurité pour l’agriculture tels que la grippe aviaire, la peste porcine africaine, l’Encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), la fièvre aphteuse et d’autres menaces potentielles pour la sécurité alimentaire; que cette étude examine des éléments tels que la banque de vaccins, les besoins vétérinaires et la réciprocité des normes à nos frontières; que le Comité tienne un minimum de trois séances pour entendre des témoins sur cette étude et que le Comité fasse rapport de ses conclusions et recommandations à la Chambre[.]

Le Comité a tenu trois réunions sur le sujet du 3 mai au 23 octobre 2023, au cours desquelles il a entendu 16 témoins. Du 28 septembre au 16 octobre 2023, le Comité a également entendu des témoignages liés aux pratiques de biosécurité dans les exploitations agricoles dans le cadre de son étude de trois réunions sur le projet de loi C‑275, Loi modifiant la Loi sur la santé des animaux (biosécurité dans les exploitations agricoles), un projet de loi d’initiative parlementaire qui vise à modifier la Loi sur la santé des animaux afin d’ériger en infraction criminelle le fait de pénétrer dans un enclos où se trouvent des animaux. Le présent rapport s’appuie sur l’information présentée au Comité dans le cadre de ces deux études.

Cadre législatif

Au niveau fédéral, le cadre législatif canadien pour traiter les questions liées aux maladies animales et à la biosécurité se compose principalement de la Loi sur la santé des animaux et de ses règlements, notamment le Règlement sur les maladies déclarables. L’article 5(1) de la Loi impose à toute personne ayant la possession, la responsabilité ou la charge des soins d’un animal et qui constate la présence d’une maladie à déclaration obligatoire chez cet animal d’en informer immédiatement les autorités compétentes. L’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) est responsable de l’application des dispositions de la Loi sur la santé des animaux et de la Loi sur la salubrité des aliments au Canada et de ses règlements.

En collaboration avec ses homologues provinciaux et territoriaux, des experts en santé animale et des groupes de l’industrie, l’ACIA a élaboré huit normes de biosécurité propres aux différents secteurs. Mme Mary Jane Ireland, directrice exécutive, Direction santé des animaux, vétérinaire en chef pour le Canada, Agence canadienne d’inspection des aliments, a expliqué que l’agence ne surveille pas et n’impose pas l’adhésion à ces normes de biosécurité. Les groupes sectoriels sont libres de les adapter à leur réalité, afin de tenir compte de leurs propres risques et besoins. Plusieurs groupes de producteurs ont adapté ces standards afin de créer, pour leurs secteurs, des programmes obligatoires à la ferme. Le Conseil canadien du porc, par exemple, a développé la plateforme « Excellence du porc canadien », qui met en œuvre les lignes directrices établies par la norme nationale de biosécurité pour la production porcine. Les producteurs de porc doivent suivre les règles de la Plateforme — qui englobent également des obligations liées à la traçabilité et au bien-être animal — afin d’avoir le droit d’expédier leurs porcs aux abattoirs fédéraux, une précondition pour pouvoir exporter leurs produits.

Des témoins ont exprimé l’opinion que ces lignes directrices volontaires ne constituent pas une méthode efficace pour garantir des pratiques de biosécurité adéquates et ont réclamé des exigences réglementaires plus rigoureuses pour le secteur de l’élevage[1]. Mme Toolika Rastogi, directrice principale, Politiques et recherche à Animaux Canada a expliqué que « la production intensive et le nombre [élevé] d'animaux dans les exploitations » d’élevage canadien augmentent les risques de contraction et de transmission de maladies animales. Mme Rastogi a encouragé l'adoption de l'approche « One Health, One Welfare », qui met l'accent sur la durabilité environnementale et des normes élevées en matière de bien-être animal.

D’autres n’étaient pas d’accord avec cette approche et soutenaient qu’il y avait déjà d’importants incitatifs professionnels et économiques poussant les producteurs à éviter que des maladies animales n’entrent dans leur exploitation agricole ou s’y propagent[2]. Mme Tara Terpstra, vice-présidente du Conseil d’administration, Ontario Pork, a souligné qu’il fallait que les règlements et les programmes liés à la biosécurité soient flexibles afin de veiller à ne pas compromettre la compétitivité de l’industrie.

M. Jean-Pierre Vaillancourt, professeur titulaire à l’Université de Montréal, a expliqué que les employés des exploitations agricoles et les visiteurs ne respectent pas toujours tous les protocoles de biosécurité tels que se laver les mains ou changer de vêtements en raison d’erreurs humaines. Il a indiqué que de nouvelles technologies, comme des détecteurs qui mesurent le respect des procédures de nettoyage, ainsi que de nouvelles méthodes de formation, peuvent contribuer au respect des protocoles.

Menaces à la biosécurité pour l’agriculture canadienne

À l’heure actuelle, le Règlement sur les maladies déclarables énumère 33 maladies animales à déclaration obligatoire, qui touchent toutes différentes espèces et différents types de production. Les sections qui suivent portent sur les maladies que les témoins ont désignées comme celles présentant la plus grande menace pour leur secteur et expliquent les enjeux liés à leur détection précoce, à leur prévention et aux interventions.

Peste porcine africaine

La peste porcine africaine (PPA) est une maladie virale fortement contagieuse qui touche les sangliers et les porcs, mais qui ne présente aucun danger pour les humains. La PPA peut se transmettre facilement lorsque des porcs entrent en contact avec de la viande de porc et avec d’autres sous-produits du porc infectés, des porcs infectés, ou des vêtements ou équipements infectés puis transportés d’une ferme à une autre. Les autorités sanitaires n’ont documenté aucun cas de PPA en Amérique du Nord, mais la maladie a fait des incursions dans plusieurs régions (dont les Caraïbes) et a provoqué des éclosions qui ont anéanti de grands troupeaux de porcs[3].

Des témoins, particulièrement ceux représentant le secteur du porc, ont exprimé des inquiétudes quant à la possibilité que la PPA entre au Canada. Comme l’a expliqué M. John de Bruyn, président du Conseil d’administration, Ontario Pork, la déclaration d’un cas de PPA entraînerait la suspension immédiate de tout le commerce international du Canada de porcs vivants et de produits du porc. M. de Bruyn a souligné qu’une telle situation entraînerait des répercussions majeures pour l’industrie porcine du Canada, qui exporte les deux tiers de sa production nationale, ce qui la rend intrinsèquement vulnérable aux chocs de cette nature.

Des témoins représentant le gouvernement fédéral ont indiqué que leurs organismes et ministères ont réalisé des investissements considérables afin d’aider le secteur du porc et les gouvernements provinciaux à contrer la menace que pose la PPA. M. Tom Rosser, sous-ministre adjoint, Direction générale des services à l’industrie et aux marchés, ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, a expliqué que son ministère a créé un Conseil exécutif de gestion de la peste porcine africaine chapeauté par Santé animale Canada afin d’aider à coordonner les plans de prévention et d’intervention de l’industrie et du gouvernement. Mme Ireland a mentionné que le gouvernement fédéral a accordé du financement afin d’accroître la capacité des laboratoires canadiens et de soutenir les efforts déployés par l’industrie porcine en vue d’élaborer des stratégies de prévention et d’intervention d’urgence.

Des représentants du secteur du porc ont expliqué qu’une solution utilisée par le secteur pour mettre ces plans de prévention et d’intervention en œuvre est PigTRACE, un outil numérique qui recueille des données détaillées et à jour sur les déplacements d’animaux afin de permettre une intervention rapide en cas de flambées épidémiques[4]. Outre ces mesures, des témoins ont également exhorté le gouvernement fédéral à maintenir sa vigilance aux points d’entrée, où des voyageurs et des importateurs peuvent apporter des aliments ou produits animaux inadmissibles ou non déclarés susceptibles de transmettre la PPA ou de poser d’autres risques en matière de biosécurité[5].

M. René Roy, président du Conseil canadien du porc, a souligné le rôle important joué par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) pour protéger le pays contre les entrées non autorisées de biens inadmissibles qui peuvent poser un risque en matière de biosécurité. M. Roy a encouragé l’ASFC à accroître son recours à des chiens renifleurs pouvant détecter des produits de viande susceptibles de transmettre la PPA. M. Shawn Hoag, directeur général, Programme commercial, Agence des services frontaliers du Canada, a convenu que les chiens détecteurs sont l’un des meilleurs outils de l’ASFC pour détecter les aliments, les plantes et les produits animaux non déclarés ou inadmissibles. M. Hoag a expliqué que l’Agence a lancé en 2019 un plan quinquennal visant à acquérir et à former 24 nouveaux chiens détecteurs aux points d’entrée et qu’un nombre croissant d’entre eux ont été déployés dans les dernières années[6].

Soulignant l’importance du contrôle des frontières, M. Matt Bowman, coprésident du Comité de la santé et des soins des animaux, de l’Association canadienne des bovins, a encouragé le gouvernement fédéral à adopter une politique de « tolérance zéro » pour les produits non déclarés et à hausser ses sanctions pécuniaires pour les voyageurs qui importent des produits inadmissibles ou qui compromettent autrement la biosécurité animale.

Des témoins ont également soulevé des préoccupations à propos des porcs sauvages, une espèce invasive principalement présente dans les provinces des Prairies. M. Roy a expliqué que les populations de porcs sauvages peuvent devenir des vecteurs de maladies animales susceptibles de transmettre des maladies aux porcs dans les fermes. Il a ajouté qu’il est difficile de s’attaquer à ce problème parce qu’il chevauche plusieurs sphères de compétences, notamment les gouvernements provinciaux, Parcs Canada et les collectivités autochtones. Il a exhorté le gouvernement fédéral à prendre les devants dans ce dossier et à se doter d’un cadre permettant à ces entités de contrôler collectivement la population de porcs sauvages.

Grippe aviaire

La grippe aviaire est une maladie virale très contagieuse qui touche principalement les oiseaux domestiques et sauvages. Les souches d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) peuvent se propager rapidement dans les élevages d’oiseaux, causer une maladie grave et entraîner des taux de mortalité élevés. Les oiseaux sont infectés à la suite d’un contact avec de la volaille infectée ou avec des oiseaux aquatiques infectés, ou à la suite d’un contact avec des surfaces infectées[7].

En décembre 2021, le Canada a connu sa première épidémie documentée de la souche H5N1 de l’IAHP, qui a dévasté des populations d’oiseaux à l’échelle mondiale. Le virus a ensuite été détecté dans chaque province et territoire. En date du 28 septembre 2023, l’ACIA avait documenté 336 lieux contaminés, pour un total d’environ 7,7 millions d’oiseaux touchés[8].

Mme Ireland a indiqué que la voie de transmission probable de l’IAHP est l’exposition directe d’oiseaux d’élevage à des oiseaux migrateurs sauvages. Elle a ajouté que ce type de transmission imprévisible obligeait non seulement les producteurs de volaille à élaborer et à appliquer des mesures de biosécurité renforcées dans les exploitations agricoles pour réduire les possibilités d’expositions des volailles, mais obligeait également les producteurs et les autorités de santé publique à détecter et à signaler rapidement les éclosions d’IAHP et à intervenir rapidement. Mme Ireland a expliqué que lorsque l’ACIA confirme un cas d’IAHP dans une ferme ou à un autre endroit, l’Agence s’efforce d’agir rapidement pour mettre le site infecté en quarantaine et euthanasier les élevages infectés, de même que les élevages qui se trouvent à proximité et qui peuvent avoir été en contact avec les oiseaux infectés.

Des témoins ont souligné que les éclosions d’IAHP soumettent les producteurs à des contraintes énormes et que ces derniers doivent parfois attendre avant de recevoir l’aide du gouvernement. Plusieurs témoins ont parlé de l’éclosion qui est survenue dans la région de la vallée du Fraser, en Colombie-Britannique, à l’automne 2022. Lors de cette éclosion, l’IAHP s’est propagée largement et rapidement dans l’ensemble de cette région qui compte une grande population agricole, exerçant une pression considérable sur les ressources provinciales et les ressources de l’ACIA.

Lors de son témoignage, M. Philippe Morel, vice-président, Opérations, Agence canadienne d’inspection des aliments, a indiqué qu’à certains moments, jusqu’à 10 % des ressources de l’ACIA à l’échelle du pays étaient déployées pour réagir aux cas d’IAHP en Colombie-Britannique et que l’ACIA a dû prioriser ses interventions en fonction de la gravité des éclosions et de l’état de santé général des élevages. M. Morel a affirmé qu’au moins « deux ou trois » exploitations ont dû attendre jusqu’à 10 jours pour que leurs oiseaux infectés soient euthanasiés, ce qui n’est « pas idéal », a-t-il reconnu.

Des agriculteurs ont également réclamé des solutions pour remplacer les méthodes d’euthanasie actuellement employées par l’ACIA. Mme Cammy Lockwood, copropriétaire et opératrice, Lockwood Farms, a fait valoir que des camions mobiles à décharges électriques pourraient constituer une solution de remplacement efficace, particulièrement lorsque les réserves de dioxyde de carbone (le composé chimique généralement utilisé pour euthanasier de la volaille) sont faibles. Mme Lockwood a également encouragé les fonctionnaires de l’ACIA, particulièrement les gestionnaires de cas composant avec les maladies déclarables, à améliorer leurs relations avec les agriculteurs, ce qui permettrait une communication plus efficace des pratiques de biosécurité et des protocoles d’intervention d’urgence.

Des témoins ont également soutenu que l’ACIA couvre les coûts liés à l’euthanasie des animaux atteints de maladies à déclaration obligatoire et indemnise les agriculteurs en fonction de la valeur commerciale de ces animaux, mais que l’Agence ne couvre pas les coûts liés au nettoyage et à la désinfection des étables et des autres installations après une éclosion. Ces témoins ont recommandé que l’Agence couvre ces coûts afin d’aider les agriculteurs à reprendre leurs activités normales dès que possible[9].

Mme Lockwood a noté que deux des raisons pour lesquelles l’IAHP s’était autant répandue dans la vallée du Fraser est due aux nombreux ménages qui possèdent des volailles de basse-cour, destinées à la consommation personnelle, et situées près des élevages commerciaux. M. Vaillancourt a expliqué qu'il était peu probable que les volailles de basse-cour infectent les grands élevages commerciaux avec l'IAHP, à moins qu'il n'y ait un lien épidémiologique entre eux, par exemple si un individu travaille avec une basse-cour infectée et qu'il travaille ensuite immédiatement dans une ferme commerciale. Il a néanmoins suggéré que les propriétaires de volailles de basse-cour enregistrent leurs animaux auprès des autorités locales afin d’en améliorer la surveillance. Il a également réclamé une meilleure planification et réglementation des types de granges et des distances entre les fermes, de manière à prévenir la propagation rapide des maladies animales entre les exploitations agricoles.

Encéphalopathie spongiforme bovine

L’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB ou « maladie de la vache folle ») est une maladie mortelle qui touche le système nerveux central des bovins. On croit que l’ESB se transmet par les tissus bovins infectés (parfois désignés comme une « matière à risque spécifié » ou MRS) qui contiennent des prions, des protéines anormales qui causent l’ESB. La propagation de l’ESB en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord à la fin des années 1990 et au début des années 2000 a eu des conséquences majeures pour l’industrie de l’élevage bovin dans le monde. Après des décennies de mesures rigoureuses de contrôle des importations et de protocoles de biosécurité stricts, l’Organisation mondiale de la santé animale (OMSA) estime que la prévalence de la maladie est négligeable et qu’elle avoisine zéro[10].

Depuis 1997, le Canada applique une interdiction renforcée frappant les aliments du bétail, qui interdit aux fabricants d’utiliser des MRS dans les aliments pour animaux, la nourriture pour animaux de compagnie et l’engrais afin de prévenir la propagation de l’ESB dans les exploitations agricoles. En mai 2003, le Canada a identifié son premier cas d’ESB chez une vache importée du Royaume-Uni, ce qui a fait en sorte que de nombreux pays ont fermé leurs frontières aux importations canadiennes de bœuf et de bétail vivant. En réponse, le Canada a adopté une nouvelle réglementation relative à la manutention des bovins et au retrait et à l’élimination des MRS dans les abattoirs.

De 2007 à 2021, le Canada a été reconnu comme un pays présentant un risque « maîtrisé » à l’égard de l’ESB. Le Canada a démontré qu’il respectait les normes de l’OMSA en matière de lutte contre l’ESB, mais la détection de l’ESB chez un autre bovin en 2015 a nui à ses efforts visant à regagner l’accès complet aux marchés internationaux[11]. En 2021, l’OMSA a accordé au Canada le statut de risque « négligeable », le statut de risque le plus faible[12]. Or, malgré ce changement, certains intervenants du secteur de l’élevage de bovins notent que la réglementation canadienne sur les MRS qui remonte à l’époque de l’ESB demeure en vigueur, ce qui restreint la valeur qu’ils peuvent obtenir par tête de bétail comparativement à leurs homologues étrangers, notamment aux éleveurs des États‑Unis.

Mme Ireland a expliqué que le statut de risque négligeable du Canada repose sur l’application de son programme actuel en matière d’ESB, y compris l’interdiction renforcée frappant les aliments du bétail et la réglementation sur les MRS. Si le Canada souhaite modifier cette réglementation, il devra consulter l’OMSA, pour veiller à ce que le pays conserve son risque faible en matière d’éclosion d’ESB. Matt Bowman a indiqué que, selon lui, le secteur canadien de l’élevage de bovins ne retournera jamais là où il était avant l’apparition de l’ESB, mais qu’il se trouve dans une meilleure position pour faire face à de futures éclosions. Il a ajouté que le secteur canadien de l’élevage de bovins cherche des occasions de mieux harmoniser son approche en matière de MRS avec celle des États‑Unis et d’autres grands partenaires commerciaux.

Fièvre aphteuse

La fièvre aphteuse est une maladie virale hautement contagieuse qui provoque des lésions semblables à des aphtes dans la bouche et sur les sabots des bovins, des porcs et des ruminants artiodactyles. De nombreux animaux arrivent à se rétablir, mais la maladie peut causer des dommages permanents qui laissent les animaux affaiblis. Les éclosions peuvent entraîner des pertes de productions graves et la perte de l’accès à des marchés d’exportation. Le gouvernement fédéral estime qu’une éclosion de fièvre aphteuse au Canada coûterait entre 19,4 et 65,2 milliards de dollars à l’économie canadienne[13].

L’OMSA reconnaît que le Canada est exempt de fièvre aphteuse, mais elle souligne que la maladie peut survenir de manière ponctuelle dans des zones habituellement indemnes[14]. La fièvre aphteuse est présente dans les sécrétions animales, les surfaces, les vêtements et les équipements infectés, ainsi sur dans les aérosols infectés. Pour éviter que la maladie n’entre au Canada, le gouvernement fédéral maintient des mesures de contrôle rigoureuses interdisant l’importation d’animaux et de produits d’origine animale en provenance de pays et de zones qui ne sont pas reconnus comme exempts de fièvre aphteuse.

Il existe un vaccin contre la fièvre aphteuse, alors que ce n’est pas le cas pour les autres maladies abordées dans la présente étude. Mme Ireland a expliqué qu’en cas d’éclosion majeure de fièvre aphteuse, vacciner rapidement les animaux infectés permettrait aux activités d’élevage canadiennes de revenir à la normale plus rapidement. Depuis 1982, le Canada participe à la Banque nord-américaine de vaccins contre la fièvre aphteuse (BNAVFA), qu’il maintient conjointement avec le Mexique et les États-Unis. Dans son budget de 2023, le gouvernement fédéral a annoncé 57,5 millions de dollars sur cinq ans et 5,6 millions de dollars en financement permanent pour permettre à l’ACIA de créer une banque canadienne de vaccins contre la fièvre aphteuse, qui viendrait s’ajouter à sa participation à la BNAVFA.

Les vaccins et les autres produits de santé animale sont des outils importants pour protéger les populations animales du Canada contre des éclosions de maladies. Des témoins ont toutefois exprimé des inquiétudes et affirmé que le processus réglementaire du Canada pour homologuer des produits de santé animale est trop coûteux et trop lourd, ce qui fait en sorte que des fabricants de produits pharmaceutiques homologuent leurs produits dans de plus grands marchés où les processus sont plus rapides[15]. M. Yvan Fréchette a incité les autorités canadiennes à prévoir une procédure d’homologation accélérée pour les vaccins pour animaux homologués dans des pays semblables, comme l’Union européenne et les États-Unis, de manière à veiller à ce que les éleveurs aient accès aux plus récentes percées en matière de produits de santé animale.

Des témoins des secteurs de la production bovine et porcine ont salué l’annonce d’une banque canadienne de vaccins contre la fièvre aphteuse, mais ils ont rappelé que les vaccins servent à répondre à une éclosion de fièvre aphteuse, et non pas à la prévenir. Ils ont souligné qu’il fallait non seulement élaborer et mettre en œuvre des plans de biosécurité contre la fièvre aphteuse (notamment en ce qui concerne la surveillance et la détection précoce), mais qu’il fallait aussi renforcer la traçabilité animale afin de suivre les mouvements et de limiter les éclosions[16].

En 2023, l’ACIA a tenu une consultation publique sur les modifications proposées à la Partie XV du Règlement sur la santé des animaux, qui élargirait la portée du règlement pour inclure d’autres espèces animales et qui rendrait obligatoire la déclaration électronique détaillée et rapide des déplacements et de l’emplacement des animaux. Lors de son témoignage devant le Comité, Mme Leigh Rosengren, vétérinaire en chef, Association canadienne des bovins, a expliqué que le secteur canadien du bœuf soutient fortement le concept de traçabilité accrue des animaux, mais qu’il a des préoccupations au sujet de la faisabilité de la mise en œuvre de la réglementation proposée et des coûts-avantages pour les producteurs.

Pénurie de vétérinaires

Des témoins se sont dits préoccupés par la pénurie de vétérinaires qualifiés canadiens. M. Trevor Lawson, président entrant, Association canadienne des médecins vétérinaires, a indiqué que ces derniers jouent « un rôle intégral » pour aider les éleveurs de tous les secteurs et de toutes les régions à détecter et à gérer les maladies animales. Le nombre d’animaux de compagnie et d’animaux destinés à l’alimentation au Canada a beaucoup augmenté au cours des dernières décennies, mais le nombre de diplômés des écoles canadiennes de médecine vétérinaire n’a pas augmenté en conséquence. Des vétérinaires ont quitté la profession au cours des dernières années, selon M. Lawson, en raison des charges de travail toujours plus lourdes et de l’épuisement professionnel qui en découle.

M. Lawson a reconnu que les gouvernements provinciaux avaient un rôle important à jouer pour augmenter le nombre de places dans les écoles canadiennes de médecine vétérinaire, mais il a également exhorté le gouvernement fédéral à faciliter le parcours d’immigration des vétérinaires étrangers. Mme Ireland a également déploré les pénuries de vétérinaires, tant dans le secteur privé que dans les unités de santé publique, et a indiqué que le gouvernement fédéral continuerait de surveiller le dossier.

Conclusion

Au cours de cette étude, le Comité a entendu des producteurs primaires et d’autres intervenants de la chaîne canadienne du bétail, qui ont parlé des défis auxquels le secteur est confronté en matière de biosécurité et de leur préparation pour faire face à des éclosions de maladies animales. Ils ont décrit les efforts considérables qui ont été déployés au niveau des exploitations agricoles et de l’industrie pour se préparer à d’éventuelles éclosions, mais ils ont tout de même soutenu que le gouvernement fédéral devait maintenir une surveillance continue à cet égard. Le Comité a également entendu des représentants de vétérinaires et de développeurs de vaccins pour les animaux, qui ont décrit les difficultés auxquels leurs secteurs sont confrontés lorsqu’ils aident les producteurs et les autres intervenants à prendre soin de leurs animaux efficacement. Le gouvernement fédéral a d’importants rôles à jouer pour contribuer à enrayer la pénurie de vétérinaires à l’échelle du pays, notamment en aidant les nouveaux Canadiens qui possèdent des titres de compétence étrangers à exercer la profession rapidement. Le gouvernement fédéral devrait également s’assurer que les vétérinaires disposent d’un arsenal complet de vaccins et d’autres produits de santé pour traiter les éclosions de maladies animales, notamment en rendant le processus d’approbation réglementaire plus efficace pour ces produits.

Observations et Recommandations

Le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes recommande que le gouvernement du Canada, conformément aux compétences provinciales et territoriales :

Recommandation 1

Améliore la préparation du Canada en matière de biosécurité en :

  • Collaborant étroitement avec les partenaires internationaux pour partager les meilleures pratiques et coordonner les efforts visant à renforcer les mesures de biosécurité, compte tenu notamment de la facilité avec laquelle les maladies peuvent franchir les frontières à l’ère de la mondialisation;
  • Augmentant le financement du développement et de la mise en œuvre de technologies et de pratiques innovantes en matière de biosécurité, telles que les technologies de capteurs, les systèmes de désinfection automatisés et les systèmes améliorés de traçabilité des animaux;
  • Procédant à des examens annuels des protocoles de biosécurité en collaboration avec les parties prenantes de l'industrie afin de s'assurer que les mesures sont à jour et efficaces.

Recommandation 2

Élabore une campagne nationale de sensibilisation sur l’importance des mesures de biosécurité et des normes élevées en matière de bien-être animal pour prévenir la propagation des maladies animales. Cette campagne devrait cibler à la fois les intervenants de l’industrie et la population en général.

Recommandation 3 

Renforce la capacité du Canada à protéger la santé animale et à répondre aux épidémies animales en :

  • Concluant des partenariats public-privé afin de mettre au point de nouveaux vaccins, des traitements contre les maladies animales et des meilleures pratiques de gestion pour la santé des animaux d’élevage;
  • Encourageant la standardisation et l'harmonisation des exigences concernant les médicaments vétérinaires avec des juridictions de confiance afin de garantir l'accessibilité à long terme de ces produits;
  • Développant et maintenant des banques de vaccins, comme le gouvernement a proposé de le faire dans son budget de 2023 pour la fièvre aphteuse, afin de permettre une réponse rapide en cas d'épidémie.

Recommandation 4

Priorise la signature d’ententes sur les protocoles avec ses partenaires commerciaux pour des maladies comme la peste porcine africaine.

Recommandation 5

Revoie la politique d’indemnisation de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, lorsque l’abattage d’animaux est ordonné, afin d’inclure tous les coûts liés au nettoyage et à la désinfection.

Recommandation 6

S’assure que les services frontaliers et les services d’inspection :

  • Disposent des ressources nécessaires pour vérifier le respect des exigences en matière d'importation qui visent les menaces de biosécurité pour les animaux d’élevage canadien, y compris une formation adéquate sur les questions agricoles et agroalimentaires, tout en facilitant le commerce international en veillant à ce que les frontières et les points d’entrée au Canada fonctionnent de manière efficace et sûre;
  • Appliquent les sanctions prévues afin d’encourager le respect des exigences de la Loi sur la santé des animaux en matière d'importation d'aliments et de produits d'origine animale et envisager d’alourdir les sanctions pour les contrevenants;
  • Appliquent la réciprocité des normes entre les pays.

Recommandation 7

Revoie ses exigences réglementaires en matière d'élimination des matériels à risque spécifiés afin de permettre aux producteurs de viande bovine canadiens d'être plus compétitifs sur les marchés internationaux et d'accroître la capacité d'abattage de viande bovine au niveau régional, tout en veillant à ce que les modifications apportées ne mettent pas en péril la biosécurité et ne compromettent pas le statut de risque négligeable du Canada pour l'encéphalopathie spongiforme bovine.


[1]              Chambre des communes, Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire (AGRI), Témoignages, Mme Jodi Lazare (professeure agrégée, à titre personnel) et Mme Camille Labchuk (directrice exécutive, Animal Justice).

[2]              AGRI, Témoignages, Mme Mary Jane Ireland (directrice exécutive, Direction santé des animaux, vétérinaire en chef pour le Canada, Agence canadienne d’inspection des aliments) et M. René Roy (président, Conseil canadien du porc).

[3]              Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), Peste porcine africaine.

[4]              AGRI, Témoignages, M. René Roy (président, Conseil canadien du porc) et Mme Audrey Cameron (directrice, Programmes à la ferme, Conseil canadien du porc)

[5]              AGRI, Témoignages, M. Raphael Bertinotti (directeur, Santé, qualité, recherche et développement, Les Éleveurs de porcs du Québec), Mme Tara Terpstra (vice-présidente du Conseil d’administration, Ontario Pork), M. René Roy (président, Conseil canadien du porc) et M. Matt Bowman (coprésident, Comité de la santé et des soins des animaux, Association canadienne des bovins).

[6]              AGRI, Témoignages, M. Shawn Hoag (directeur général, Programme commercial, Agence des services frontaliers du Canada).

[7]              ACIA, Fiche de renseignements – Influenza aviaire.

[9]              AGRI, Témoignages, M. Paul Doyon (premier vice-président général, Union des producteurs agricoles) et M. Martin Pelletier (consultant, Fédération des producteurs d’œufs du Québec).

[10]            Organisation mondiale de la santé animale (OMSA), Encéphalopathie spongiforme bovine.

[12]            ACIA, « La ministre Bibeau se réjouit que le Canada présente un risque négligeable d’ESB », Communiqué de presse, 27 mai 2021.

[14]            OMSA, Fièvre aphteuse.

[15]            AGRI, Témoignages, M. Raphael Bertinotti (directeur, Santé, qualité, recherche et développement, Les Éleveurs de porcs du Québec), M. René Roy (président, Conseil canadien du porc), M. Yvan Fréchette (premier vice-président, Les Éleveurs de porcs du Québec) et Mme Catherine Filejski (présidente et directrice générale, Institut canadien de la santé animale).

[16]            AGRI, Témoignages, Mme Audrey Cameron (directrice, Programmes à la ferme, Conseil canadien du porc) et M. Matt Bowman (coprésident, Comité de la santé et des soins des animaux, Association canadienne des bovins).