Passer au contenu
;

AGRI Rapport du Comité

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

PDF

Un appel à l’action : Comment le gouvernement et l’industrie peuvent lutter contre la volatilité des prix alimentaires

 

Introduction

Le 18 septembre 2023, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François‑Philippe Champagne, a rencontré des représentants des cinq plus grandes chaînes de supermarchés du Canada (Loblaw, Metro, Empire, Walmart et Costco) pour les encourager à remédier à l’augmentation du coût des aliments dans leurs magasins[1]. Alors que le taux d’inflation global au Canada mesuré par l’Indice des prix à la consommation (IPC) de Statistique Canada a connu une hausse de 3,8 % d’une année à l’autre en septembre 2023, le taux d’inflation pour la catégorie de l’IPC des « aliments achetés en magasin » a augmenté de 5,8 % au cours de la même période. Comme le montre la figure ci-dessous, après avoir connu des augmentations à deux chiffres à la fin de 2022 – dans certains cas, des sommets jamais atteints en plus de 40 ans[2] – l’inflation dans cette sous-catégorie a commencé à ralentir en février 2023, mais a continué de dépasser le taux d’inflation de l’IPC global.

Figure 1 — Évolution de l’indice des prix à la consommation (IPC) et des aliments achetés en magasin, variation sur 12 mois du taux d’inflation, de janvier 2020 à janvier 2024

Ce graphique montre les trajectoires de l'Indice des prix à la consommation pour tous les articles et la sous-catégorie de l'Indice des prix à la consommation des aliments achetés au magasin entre janvier 2020 et janvier 2024. Pour de plus amples renseignements, veuillez consulter le tableau 18-10-0004-01 de Statistique Canada, dont l'hyperlien figure ci-dessous.

Source : Figure préparée par la Bibliothèque du Parlement à partir des données tirées de Statistique Canada, « Tableau 18-10-0004-01 : Indice des prix à la consommation mensuel, non désaisonnalisé », base de données, consultée le 20 février 2024.

Le 13 juin 2023, le Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes (le Comité) a déposé son rapport intitulé L’abordabilité de l’épicerie : Un examen de l’augmentation du coût des aliments au Canada à la Chambre des communes. Ce rapport présentait les principales conclusions de l’étude du Comité sur l’inflation du prix des aliments au Canada, de même que les mesures recommandées au gouvernement pour remédier à ce qu’il considère comme les principaux facteurs d’inflation alimentaire, notamment les pressions exercées sur les coûts dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire et la concentration des entreprises dans le secteur des détaillants d’aliments. Le même mois, le Bureau de la concurrence du Canada a publié les conclusions de son étude de marché[3] sur le secteur canadien de l’épicerie, lancée en octobre 2022. Ce rapport présentait les mesures que les gouvernements fédéral et provinciaux peuvent prendre pour accroître la concurrence dans le secteur canadien de l’épicerie, qui, selon le Bureau, est de plus en plus concentré à la suite d’une série de fusions et d’acquisitions qui ont eu lieu depuis les années 1980. Le Comité souhaite réitérer son plein soutien aux recommandations contenues dans ces deux rapports et exhorte le gouvernement du Canada à œuvrer en faveur de leur réalisation.

Ces études ont contribué à un débat national sur les prix payés par les consommateurs pour les aliments et d’autres produits essentiels, et ont amené le public à se demander dans quelle mesure les cinq détaillants qui contrôlent environ 80 % des ventes de produits alimentaires au Canada ne faisaient que répercuter les augmentations de prix des fournisseurs, au lieu de profiter de la concentration du marché pour maintenir les prix de détail à un niveau artificiellement élevé.

Pour mieux comprendre comment les détaillants alimentaires et les autres acteurs de la chaîne de valeur alimentaire ont adapté leurs opérations à la lumière de ces rapports et de l’appel à l’action du ministre Champagne sur la stabilité des prix, le Comité a tenu sept réunions sur les efforts de stabilisation des prix des aliments entre le 4 décembre 2023 et le 27 février 2024. Ce rapport résume les témoignages donnés lors de ces réunions par des représentants des secteurs de la production primaire, de la transformation et de la vente au détail des aliments, de même que des universitaires, des fonctionnaires fédéraux et le ministre Champagne.

La réponse de la chaîne de valeur

Plans d’action des détaillants

Le 5 octobre 2023, le ministre Champagne a indiqué avoir obtenu des engagements de la part des cinq principales chaînes d’épicerie pour stabiliser les prix des aliments, soit des mesures comme « des rabais considérables […], des gels de prix et des campagnes de garantie du meilleur prix » sur un panier de produits essentiels pour les ménages canadiens[4].

Le 19 octobre 2023, le Comité a adopté une motion appelant Costco, Empire, Loblaw, Metro et Walmart à produire un « rapport exhaustif de leurs stratégies et initiatives prises jusqu’à présent et des mesures supplémentaires axées vers la stabilisation des prix d’épiceries au Canada[5] ». Le Comité a reçu et examiné des documents confidentiels des cinq épiciers détaillant leurs plans pour stabiliser les prix de détail des aliments dans leurs magasins.

Toutefois, la qualité et l’exhaustivité de ces documents variaient considérablement. Si certaines chaînes ont fourni des informations concrètes sur leurs efforts pour stabiliser les prix des aliments dans leurs magasins, d’autres ont choisi de limiter leurs réponses à des informations publiques. Le Bureau de la concurrence décrit une expérience similaire dans son étude de marché, notant que le niveau de coopération qu’il a reçu des chaînes d’épicerie « variait considérablement et qu’il n’était pas complet[6] ».

Les dirigeants de chacune de ces cinq entreprises ont également témoigné publiquement devant le Comité pour expliquer comment ils avaient répondu à l’appel du ministre Champagne en faveur de la stabilité des prix des aliments.

M. Michael Medline, président et chef de la direction d’Empire Company Limited, a expliqué que, bien que la plupart des épiceries canadiennes aient l’habitude de geler les prix de la plupart de leurs produits entre novembre et février, sa chaîne avait décidé d’étendre ce gel à tous ses produits emballés. M. Medline a témoigné que même si Empire avait approuvé certaines augmentations du prix de gros qu’elle payait aux fournisseurs pendant cette période, elle n’a pas répercuté ces augmentations sur les clients, choisissant plutôt de réduire ses marges bénéficiaires.

M. Galen Weston, président des Compagnies Loblaw, a indiqué que sa chaîne avait investi 438 millions de dollars dans des initiatives visant à réduire le prix d’un panier de 35 articles essentiels, dont certains, selon ses dires, étaient vendus sous le prix coûtant. Pour illustrer cette approche, M. Weston a donné l’exemple des pilons de poulet, dont le coût de gros a augmenté de 30 % depuis 2019, mais dont le prix de détail dans les magasins Loblaw a diminué de 4 % au cours de la même période.

M. Eric La Flèche, président et chef de la direction de Metro, a expliqué qu’il avait assuré au ministre Champagne que sa chaîne allait « poursuivre ses efforts visant à offrir les meilleurs prix possible à nos clients », mais il n’a pas donné d’exemples d’initiatives précises pour stabiliser les prix. M. La Flèche a noté que, bien que la chaîne d’approvisionnement alimentaire soit demeurée instable, le taux d’inflation alimentaire interne de Metro est passé en dessous du taux d’inflation alimentaire de l’IPC.

M. Gonzalo Gebara, président et chef de la direction de Walmart Canada, a témoigné que sa chaîne avait lancé plusieurs programmes pour réduire les prix en magasin et avait répondu à l’appel à l’action du ministre en offrant à ses clients en 2023 un repas de l’Action de grâce à un prix inférieur à celui de l’année précédente. M. Gebara a également noté que Walmart avait absorbé les hausses de prix au lieu de les répercuter sur les consommateurs et qu’elle avait riposté à ce qu’elle considérait comme des demandes « injustifiées » d’augmentation des coûts de la part de ses fournisseurs. Il a souligné que la baisse des prix des aliments devrait incomber à l’ensemble de la chaîne de valeur alimentaire.

M. Pierre Riel, vice-président exécutif et chef des opérations de Costco Wholesale Canada, a expliqué que sa chaîne fonctionne différemment des autres au Canada, car elle tire ses revenus de l’adhésion de ses clients plutôt que de reposer uniquement sur ses marges bénéficiaires sur les produits alimentaires. M. Riel a expliqué qu’il s’était engagé auprès du ministre Champagne à ce que Costco « reste fidèle à son modèle d’affaires » et continue à rechercher les meilleurs prix pour les Canadiens, mais qu’elle n’avait pas apporté de grands changements à ses pratiques à la suite de sa rencontre à Ottawa. M. Riel a néanmoins déclaré que la réunion avait été fructueuse en ce sens qu’elle avait permis de rassembler les dirigeants des chaînes d’épicerie et de les « sensibiliser » davantage aux questions relatives à la stabilité des prix des aliments.

Certains témoins des secteurs de la production et de la transformation alimentaires ont critiqué l’utilisation du gel des prix par les détaillants, expliquant que cette méthode oblige les fournisseurs à absorber l’inflation et l’augmentation des coûts de production plutôt que de les partager équitablement dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement[7]. M. Michael Graydon, de Produits alimentaires, de santé et de consommation du Canada, a également indiqué que selon lui, la récente conversation sur les prix des aliments a été trop centrée sur les détaillants, limitant ainsi la capacité des fabricants de produits alimentaires à récupérer et à stabiliser leurs coûts de production.

Recommandations au gouvernement

Des témoins issus de différents maillons de la chaîne de valeur alimentaire ont déclaré que leurs activités étaient encore en proie à l’instabilité. Ils ont cité plusieurs domaines dans lesquels le gouvernement fédéral pourrait apporter une aide, soit sous la forme d’un soutien plus important pour relever les défis actuels, tels que le changement climatique et la réciprocité des normes, soit sous la forme d’un allègement réglementaire des politiques fédérales actuelles ou proposées qui ont une incidence sur la production alimentaire.

Changement climatique

Les intervenants ont noté que les phénomènes météorologiques extrêmes et d’autres conséquences du changement climatique rendent déjà la production alimentaire et les prix de détail plus volatils. M. Graydon a noté que le prix de gros du jus d’orange devrait augmenter de 38 % en 2024, les récoltes d’orange étant affectées par des perturbations climatiques en Floride et au Brésil; M. Riel a quant à lui expliqué que Costco a eu du mal à se procurer certains articles frais, tels que les cœurs de laitue romaine, en raison d’événements météorologiques extrêmes dans les régions productrices.

M. Patrice Léger Bourgoin, de l’Association des producteurs maraîchers du Québec, a expliqué que le changement climatique est un risque de plus en plus difficile à gérer pour les producteurs de fruits et légumes du Québec, dont la plupart exploitent de petites fermes familiales qui n’ont pas les moyens financiers d’investir dans des protections à long terme contre les risques climatiques. M. Léger Bourgoin a demandé au gouvernement fédéral de soutenir davantage les petits producteurs afin qu’ils soient plus résilients face au changement climatique.

Réciprocité des normes

M. Léger Bourgoin a souligné que les producteurs du Québec et du Canada sont confrontés à la pression supplémentaire de la concurrence des produits importés de pays où les réglementations en matière de travail et d’environnement sont moins strictes et où les producteurs ont des frais d’exploitation beaucoup moins élevés. Il a demandé au gouvernement fédéral de mettre en œuvre la recommandation antérieure du Comité concernant la réciprocité des normes pour les importations[8], afin de garantir que les produits alimentaires importés répondent à des normes équivalentes à celles du Canada dans ces domaines.

Recommandation 1

Compte tenu de l’importance particulière du programme des travailleurs étrangers temporaires dans le secteur agricole et agroalimentaire, le Comité recommande au gouvernement du Canada de réduire le fardeau administratif associé au Programme des travailleurs étrangers temporaires et de rendre permanent le projet pilote pour les employeurs reconnus, mis en place dans le budget de 2022.

Recommandation 2

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada augmente le personnel et la régularité des inspections à la frontière afin de garantir le respect de la législation, et exige que les produits importés répondent aux mêmes normes de qualité – notamment les normes en matière d’environnement, de travail et de production – que les produits nationaux tout en s’assurant de respecter ses obligations commerciales.

Le système fédéral de tarification de la pollution par le carbone

Plusieurs témoins ont exprimé leur inquiétude quant au fait que l’un des piliers de l’approche actuelle du gouvernement fédéral pour faire face à la menace du changement climatique, à savoir sa tarification de la pollution par le carbone, fait peser une charge excessive sur la chaîne de valeur alimentaire, en particulier dans les secteurs de production à forte consommation d’énergie.

M. Ron Lemaire, de l’Association canadienne de la distribution de fruits et légumes (ACDFL), a indiqué que le secteur des légumes de serre, par exemple, estime que la taxe sur le carbone aura un coût annuel sur ses opérations de 22 millions de dollars cette année et qu’il prévoit que ce montant grimpera à 100 millions de dollars d’ici 2030. Il a expliqué que de nombreux serristes canadiens transféraient leurs activités vers des territoires nord-américains qui n’imposent pas de taxe sur le carbone.

M. Keith Currie, de la Fédération canadienne de l’agriculture, notant que la taxe sur le carbone représente jusqu’à 40 % des factures d’énergie dans certains secteurs agricoles, a dit que des « exemptions devraient être appliquées pendant une période donnée » pour le gaz naturel et le propane, comme le prévoyait initialement le projet de loi C‑234, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, avant qu’il ne soit amendé par le Sénat. M. Charlebois, directeur principal de l’Agri-Food Analytics Lab a convenu que l’amendement du Sénat visant à supprimer du projet de loi les exemptions pour les combustibles utilisés pour refroidir et chauffer les granges et faire fonctionner les serres « n’a pas été bien accueilli par les agriculteurs »; il a ainsi encouragé le Canada à envisager d’harmoniser son approche avec celle de ses partenaires commerciaux.

Recommandation 3

Le Comité recommande au gouvernement du Canada de soutenir l’adoption du projet de loi C‑234 sans amendement, tel qu’il a été adopté par ce Comité.

M. Dimitri Fraeys, du Conseil de la transformation alimentaire du Québec, a indiqué que les coûts de l’énergie et du transport constituent une part importante des coûts de production des transformateurs de produits alimentaires. Il a également noté que les marges bénéficiaires moyennes dans le secteur ont chuté de 15 % entre 2019 et 2023.

Des témoins ont exprimé leur incertitude quant à l’incidence à court terme du régime actuel de tarification du carbone sur les prix des aliments. M. Medline a expliqué que, selon lui, il faudrait disposer de plus de données pour déterminer quel en serait exactement l’incidence sur le marché canadien, mais il a reconnu que toute augmentation du coût des intrants affectera invariablement les prix des aliments.

M. Jim Stanford, du Centre for Future Work, a noté que des études sur les régimes internationaux de tarification du carbone ont révélé que ces mécanismes n’ont pas d’effet net sur les prix des aliments, et qu’ils pourraient même avoir un léger effet déflationniste, car ils encouragent les producteurs à adopter des solutions de rechange moins coûteuses que les combustibles fossiles.

M. Charlebois a lui aussi indiqué que ses recherches n’ont pas permis d’établir de corrélation entre les hausses annuelles de la tarification du carbone et les fluctuations des prix de détail des aliments. Il s’est toutefois inquiété de l’effet de la tarification du carbone sur la compétitivité à long terme des entreprises du secteur alimentaire canadien, sachant que leurs principaux concurrents aux États-Unis ne sont pas assujettis à une taxe semblable. Il a recommandé de suspendre l’application de la taxe carbone dans l’industrie alimentaire, car les augmentations futures pourraient nuire à sa compétitivité à long terme. M. Charlebois a aussi déclaré qu'à son avis certaines évaluations concernant l'impact de la taxe carbone ne tiennent pas compte de l'ensemble de ses effets économiques, notamment de la manière dont elle affecte les prix alimentaires. Il a remis en cause une remarque récente de M. Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada, qui a déclaré, lors d'une présentation en septembre 2023 devant la Chambre de commerce de Calgary, que le prix de la pollution ne contribuait qu’à hauteur de 0,15 % au taux de l’inflation annuel[9] :

Nous avons discuté avec les gens de la Banque du Canada de la façon dont ils en sont arrivés à cet impact correspondant à 0,15 point de pourcentage. Comme ils n’ont considéré que trois composantes de l’indice des prix à la consommation, j’ai jugé leur méthode de calcul plutôt simpliste. Bien des gens ont été surpris de faire le même constat lorsque nous avons affiché ce calcul sur la plateforme X avec l’autorisation de la Banque.
Je réitère que c’est la raison pour laquelle je recommande que l’on suspende l’application de la taxe carbone pour l’ensemble du secteur alimentaire, de la ferme jusqu’aux restaurants, en passant par les épiceries. En effet, personne, et j’inclus la Banque du Canada dans le lot, ne semble bien comprendre à quel point cette mesure pourrait en venir à mettre en péril la sécurité alimentaire au Canada.

M. Tyler McCann de l’Institut canadien des politiques agroalimentaires a également demandé au gouvernement fédéral d’envisager une exemption pour les producteurs d’aliments, notant que le gouvernement fédéral a exempté la plupart des produits alimentaires de la taxe sur les produits et services lorsqu’il a mis en œuvre la taxe sur la valeur ajoutée dans les années 1980. Il a noté que si la décarbonisation de l’agriculture peut réduire les coûts des intrants à long terme et la volatilité des prix de l’énergie pour les producteurs, il y a peut-être des outils plus efficaces pour les aider à adopter d’autres sources d’énergie.

Étiquetage nutritionnel sur le devant de l’emballage

Le 20 juillet 2022, Santé Canada publiait le Règlement modifiant le Règlement sur les aliments et drogues (symboles nutritionnels, autres dispositions d’étiquetage, vitamine D et graisses ou huiles hydrogénées) dans la Gazette du Canada. Le règlement oblige les fabricants à apposer une étiquette sur le devant de l’emballage pour les produits préemballés qui contiennent plus de 15 % de l’apport journalier recommandé en sucre, en sel ou en gras saturés, pour avertir les consommateurs de ces teneurs élevées en nutriments, que le gouvernement fédéral considère préoccupants pour la santé publique. Le règlement exige que les produits concernés vendus au Canada portent des étiquettes appropriées à partir du 1er janvier 2026.

Les témoins ont exprimé leur inquiétude quant à l’augmentation des coûts de production pour les fabricants et, en fin de compte, des prix des aliments pour les consommateurs. M. Michael Graydon, a cité une estimation de la Table ronde de l’industrie de la transformation des aliments selon laquelle le respect des nouvelles exigences coûtera 8 milliards de dollars au secteur de la fabrication de produits alimentaires[10]. M. Weston a reconnu que pour se conformer au règlement, les fabricants devraient adapter leurs plaques d’emballage, ce qu’il a décrit comme un « coût supplémentaire important » pour la production alimentaire. M. Fraeys s’est dit préoccupé par le fait que ces nouvelles exigences entraîneraient un gaspillage d’emballages et une augmentation des coûts d’emballage, les fabricants devant adapter simultanément leurs emballages pour respecter l’échéance de 2026.

MM. Weston et Graydon ont demandé au gouvernement fédéral d’envisager d’autoriser les fabricants de produits alimentaires à fournir aux consommateurs des informations nutritionnelles sous forme numérique, en imprimant sur les étiquettes un code QR qui peut être scanné à l’aide d’un téléphone intelligent ou d’un autre appareil. Ils ont expliqué que cette approche coûterait moins cher aux fabricants et fournirait les informations d’une manière qui est davantage « axée sur le consommateur ».

Recommandation 4

Le Comité recommande au gouvernement du Canada de réviser sa réglementation sur l’étiquetage sur le devant de l'emballage afin de mieux concilier ses objectifs de santé publique avec les préoccupations de l'industrie concernant le coût de la mise en conformité dans les délais proposés et l'effet que cela aura sur les prix des aliments.

Avis de planification de la prévention de la pollution pour les emballages primaires en plastique pour les aliments

Dans le cadre de son Programme zéro déchet de plastique, le gouvernement du Canada a proposé de mettre en œuvre un avis de planification de la prévention de la pollution (P2) en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) (LCPE) pour exiger des détaillants en alimentation qu’ils éliminent les déchets plastiques provenant des emballages primaires en plastique pour les aliments[11]. S’il est adopté, l’avis P2 exigera que 100 % des emballages alimentaires primaires en plastique soient réutilisables, recyclables ou compostables d’ici à 2028, et qu’au moins 75 % des fruits et légumes frais soient distribués et vendus en vrac ou dans des emballages sans plastique d’ici à 2026, cette proportion devant être portée à 95 % d’ici à 2028.

Le gouvernement fédéral explique que si les emballages plastiques à usage unique représentent 50 % des déchets plastiques produits au Canada, moins de 14 % d'entre eux sont recyclés, la majorité finissant dans les décharges ou dans l'environnement sous forme de pollution[12]. Comme le note Environnement et Changement climatique Canada dans son évaluation scientifique de la pollution plastique, les microplastiques entrent probablement dans la chaîne alimentaire par la décomposition des déchets plastiques dans l'eau et dans l'air et ont été détectés dans un certain nombre d'espèces de poissons et de mollusques comestibles[13].

Les initiatives du gouvernement fédéral en matière de plastique ont également fait l'objet de contestations judiciaires récentes. En novembre 2023, la Cour fédérale a rendu une décision dans l’affaire Coalition pour une utilisation responsable du plastique c. Canada (Environnement et Changements climatiques), dans laquelle une coalition d'entreprises qui produisent des plastiques et des produits pétrochimiques a demandé un contrôle judiciaire de la décision du cabinet fédéral d'ajouter les articles manufacturés en plastique (PMI) à la liste des substances toxiques de l'annexe 1 de la LCPE par le biais d'un décret du 23 avril 2021. La Cour a jugé que le décret était « à la fois déraisonnable et inconstitutionnel », estimant que la catégorie de PMI utilisée par le Cabinet était trop large pour être qualifiée de toxique au sens de la LCPE et qu'en promulguant l'arrêté, le gouvernement fédéral avait outrepassé les limites de son pouvoir de réglementation de l'environnement en droit pénal.

Des témoins de divers maillons de la chaîne alimentaire ont dit craindre que leur secteur ne puisse satisfaire aux exigences de l’avis P2 dans les délais proposés, vu l’importance des emballages plastiques pour le transport sécuritaire des aliments tout au long de la chaîne de valeur – en particulier des fruits et légumes frais – , et vu l’absence d’options de rechange aux emballages plastiques en contact avec les aliments.

M. Weston a cité des estimations, fondée sur des données tirées d’une étude d’analyse d’impact menée par la société de conseil Deloitte, selon lesquelles l’exigence proposée pourrait augmenter les coûts tout au long de la chaîne de valeur à hauteur de 6 milliards de dollars. M. Lemaire a témoigné que l’entrée en vigueur de la proposition rendrait impossible la fabrication et la vente de certains articles de consommation courante, notamment les salades en sachet, les baies et autres fruits importés dans des emballages à double coque, de même que les bananes, qui sont expédiées dans du plastique pour en préserver la fraîcheur. Il a ajouté que les fruits et légumes produits localement auraient une durée de conservation réduite, ce qui augmenterait la probabilité de gaspillage alimentaire et les émissions de gaz à effet de serre liées à l’alimentation dans l’ensemble de la chaîne de valeur.

Le rapport Deloitte, commandé par l'ACDFL, confirme ces conclusions et prévient que l'interdiction du plastique envisagée par le gouvernement fédéral pourrait entraîner plusieurs conséquences inattendues. Bien qu'il vise à lutter contre la pollution de l'environnement, le rapport estime que l'entrée en vigueur de l'avis P2 entraînerait une augmentation de 50 % du gaspillage alimentaires au Canada par rapport aux niveaux actuels, ce qui provoquerait une augmentation des émissions de gaz à effet de serre d’environ 22,1 millions de mégatonnes d’équivalent en dioxyde de carbone[14].

L'évaluation de Deloitte prévoit également que, si les dispositions de l’avis P2 étaient mis en œuvre, les consommateurs subiraient probablement des perturbations dans l'approvisionnement en fruits et légumes frais et pourraient voir les prix de ces produits augmenter de 34 %[15]. Cette diminution de la consommation de fruits et légumes pourrait entraîner un certain nombre de problèmes de santé, et le rapport souligne qu'un accès réduit aux produits pourrait avoir un impact significatif sur le bien-être et les moyens de subsistance des Canadiens[16]. Le rapport souligne également que l'abandon des emballages en plastique rendrait la production nationale plus vulnérable aux menaces pesant sur la sécurité alimentaire, notamment les ravageurs envahissants et les maladies des plantes, ainsi qu'à la contamination, et entraînerait une détérioration générale de la qualité et de la fraîcheur des produits[17].

M. Lemaire et M. Marcus Janzen, des Producteurs de fruits et légumes du Canada, ont expliqué que le secteur des fruits et légumes s’efforce depuis longtemps de réduire les emballages plastiques lorsque c’est possible afin de réduire ses propres coûts de production, sans pour autant compromettre la sécurité ni la fraîcheur des aliments. Ils ont expliqué que leur secteur envisageait des solutions innovantes pour réduire les plastiques, notamment en augmentant le contenu recyclé des emballages plastiques, en utilisant des matériaux plus légers pour réduire la quantité de plastique utilisée dans les emballages et en réutilisant les emballages plutôt qu’en les éliminant complètement.

Quant au commerce de détail, MM. Medline et Weston ont tous deux décrit le règlement proposé comme difficile à respecter pour leur secteur, car il n’existe actuellement pas de solutions de rechange aux plastiques de qualité alimentaire. Ils ont toutefois ajouté que leurs chaînes et leur secteur en général s’engagent à réduire le plastique dans leurs activités chaque fois que cela est possible. M. Riel, par exemple, a expliqué que sa chaîne a commencé à vendre des poulets rôtis dans des sacs en papier plutôt que dans des dômes en plastique.

Recommandation 5

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada collabore avec l'industrie pour s'assurer qu'il existe des solutions de rechange commercialement disponibles et abordables aux autocollants avec code d'appel de prix (codes PLU) et à d'autres articles d'emballage alimentaire primaire en plastique avant de mettre en œuvre son projet d'avis de planification de la prévention de la pollution.

Sécurité alimentaire dans les communautés rurales et isolées

Des témoins ont souligné les problèmes de sécurité alimentaire auxquels se butent les communautés rurales et isolées. M. Gary Sands, de la Fédération canadienne des épiciers indépendants, a expliqué que les épiceries indépendantes sont souvent la seule option de vente au détail dans de nombreuses communautés rurales, éloignées et autochtones, où les coûts de transport sont plus élevés.

Il y a environ 6 900 épiciers indépendants au Canada. Un grand nombre d'entre eux sont également situés dans des collectivités où ils sont très souvent la seule épicerie. Les enjeux relatifs à la fiabilité de l'approvisionnement et aux prix des aliments dans ces régions sont étroitement liés à la sécurité alimentaire. Les épiciers indépendants entretiennent une relation symbiotique avec les collectivités qu'ils servent. Ils vivent dans la collectivité, embauchent et achètent localement et soutiennent les équipes sportives, les activités et les causes locales. Ce lien qu'ils ont forgé dans une multitude de collectivités diverses est la raison pour laquelle ils sont un élément si important de la grande mosaïque canadienne.

M. Sands a expliqué que la plupart des magasins indépendants n’ont qu’un faible pouvoir de négociation avec les fournisseurs en raison de leur pouvoir d’achat limité. Notamment, il a témoigné que les deux plus grands fournisseurs en gros des magasins indépendants en Ontario sont Empire et Loblaw.

L'étude de Deloitte met également en garde contre le fait que la proposition d'avis P2 sur les emballages plastiques pourrait avoir un impact particulièrement négatif sur la sécurité alimentaire dans les communautés rurales et éloignées. Elle explique que les emballages en plastique contribuent à prolonger la durée de conservation des fruits et légumes expédiés dans ces régions et qu'une interdiction de ces produits aurait un impact négatif sur la disponibilité et la qualité des produits dans ces régions[18].

Le programme Nutrition Nord, qui subventionne les détaillants qui expédient des aliments nutritifs admissibles vers des communautés qui ne sont pas desservies par un réseau de transport de surface, est l’un des moyens utilisés par le gouvernement fédéral pour lutter contre les prix élevés dans les régions éloignées. Une étude récente révèle toutefois que les détaillants du Nord, dont beaucoup exercent un monopole ou un duopole sur les ventes d’aliments dans leurs communautés, ne répercutent pas toujours le plein montant de cette subvention sur leurs clients. L’étude révèle qu’en moyenne, les détaillants des communautés admissibles à la subvention Nutrition Nord ont baissé leurs prix de 67 cents pour chaque dollar supplémentaire de subvention alimentaire reçu, limitant ainsi l’effet escompté du programme sur les communautés vulnérables[19].

M. McCann a également noté que les banques alimentaires sont soumises à une lourde pression dans le contexte inflationniste actuel et que de nouvelles initiatives sont nécessaires pour remédier à l’insécurité alimentaire et au problème d’abordabilité des aliments à échelle nationale. Des témoins ont parlé du rôle que peuvent jouer les écoles dans l’atteinte de cet objectif, ainsi que dans la promotion d’une alimentation plus saine et d’une meilleure éducation alimentaire. Par exemple, M. Janzen, a expliqué au Comité que la province de la Colombie-Britannique a mis en place un programme qui « encourage les établissements publics, notamment les écoles, à acheter des produits locaux ».

Recommandation 6

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada prenne les mesures suivantes afin de venir en aide aux canadiens qui font face à l’insécurité alimentaire:

·         revoie le programme Nutrition Nord pour s’assurer qu’il remplisse sa mission de fournir des aliments abordables aux résidents et que les subventions accordées aux détaillants soient utilisées de manière appropriée;

·         réévalue les objectifs de sa Politique alimentaire pour le Canada de 2017 en mettant l’accent sur l’abordabilité des aliments.

Le Code de conduite pour le secteur des produits d’épicerie du Canada

Contexte

Dans son rapport de 2021 sur le renforcement de la capacité de transformation alimentaire au Canada, le Comité a recommandé que le gouvernement fédéral travaille avec ses homologues provinciaux et territoriaux pour mettre en œuvre un code de conduite guidant la négociation des prix et des frais entre les fournisseurs de produits alimentaires et les détaillants en alimentation[20]. En juillet 2021, les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de l’Agriculture ont invité les entreprises des secteurs de la fabrication et de la vente au détail de produits alimentaires à établir « un large consensus sur une proposition concrète visant à améliorer la transparence, la prévisibilité et le respect des principes de traitement équitable » dans le secteur canadien de l’épicerie[21]. Le processus, mené par l’industrie, a abouti à la fin de 2023 à la distribution de la version finale du Code de conduite pour le secteur des produits d’épicerie (le Code) aux entreprises concernées de la chaîne de valeur alimentaire.

Le Code définit les principes régissant les relations entre les fournisseurs et les détaillants, y compris des normes pour les négociations, l’administration des frais et le règlement des différends. Comme l’a noté le Comité dans son rapport de 2023 sur le secteur de l’épicerie, les fournisseurs se plaignent fréquemment que les détaillants facturent souvent des frais rétroactivement et de manière non transparente[22]. Ces frais exercent une pression supplémentaire sur les marges bénéficiaires déjà minces des petits producteurs et transformateurs, qui peuvent ainsi avoir du mal à innover ou à étendre leurs activités.

Selon M. Graydon, le coût des amendes et des frais, tels que les « frais de mise en rayon » que les fabricants paient pour faire entrer leurs produits dans les épiceries, est estimé à 5 milliards de dollars par an et a presque doublé au cours des 15 dernières années au Canada, alors qu’il est resté relativement stable aux États-Unis, où la consolidation des épiceries n’est pas un problème. Il a ajouté que, selon une enquête récente, près d’un quart des membres de son organisation ont envisagé de réduire leur production ou de retirer certains produits du marché canadien en raison de ces amendes et d’autres pressions financières.

Réserves exprimées à l’égard du Code de conduite

Deux chaînes de supermarchés, Loblaw et Walmart, ont fait part au Comité de leurs préoccupations concernant certaines dispositions du Code et ne l’ont pas encore pleinement appuyé. Bien que M. Weston ait décrit les principes sous-jacents du Code comme étant « louables », il a exprimé des réserves sur certaines de ses dispositions qui, selon lui, donneraient aux fournisseurs, en particulier aux grandes entreprises alimentaires multinationales, plus de poids dans les négociations et gonfleraient davantage les prix des aliments au détail. M. Gebara a expliqué que Walmart Canada n’était « pas en mesure, pour l’instant, de [s’]engager à respecter [le Code] », mais que l’entreprise demeurait ouverte aux discussions.

M. Weston a exposé les arguments suivants, à la fois lors de sa comparution et à travers un mémoire transmis au Comité, pour expliquer son opposition à la version actuelle du Code :

  • Le Code proposé indique que les litiges pourraient être résolus par le biais d’un mécanisme de règlement des différends par un tiers, ce qui, selon Loblaw, viendrait « interférer avec les relations commerciales sans lien de dépendance qui règnent aujourd’hui entre les fournisseurs et les détaillants et de créer un processus plus long et plus complexe[23] ».
  • En n’exigeant pas des fournisseurs qu’ils concluent un accord écrit avec les détaillants, le Code proposé créerait un déséquilibre dans la relation fournisseur-détaillant. Il a expliqué que les détaillants doivent « conclure un contrat, à savoir ce code de conduite », contrairement aux fournisseurs qui ne sont pas liés par le Code. Cette situation crée, selon lui, un rapport « unilatéral et déséquilibré ».
  • La correspondance de Loblaw au Comité détaille également d’autres préoccupations concernant les dispositions du Code sur les frais de conformité, les prévisions de bonne foi, les commandes et la répartition de l’offre[24].

M. Gebara a également exprimé la réticence de Walmart à adhérer au Code dans sa forme actuelle, avançant notamment qu’il pourrait créer des « règles du jeu inéquitables » et entraîner « de la paperasserie et des coûts », mais il n’a pas précisé quelles dispositions spécifiques sont en cause. De même, si M. Riel de Costco a indiqué qu’il voyait le Code d’un œil favorable, il a également laissé entendre que son entreprise était encore en train d’en examiner les paramètres :

En fait, soutenir les principes du code ne nous pose pas de problème. Nous continuerons d’examiner le mode de fonctionnement du code proposé, de vérifier qui choisira de l’appliquer, comment les différends seront réglés et, finalement, quel sera son véritable effet sur le prix des aliments pour la population canadienne[25].

Walmart et Loblaw justifient leur résistance à la version actuelle du Code par le fait qu’il pourrait contribuer à l’inflation des prix des aliments. M. Gebara dit douter que Walmart puisse continuer à garder le prix du panier alimentaire le plus bas possible en appliquant le Code dans sa version actuelle. M. Weston a précisé cet argument, expliquant qu’au cours des dernières années, Loblaw s’est opposé à 18 % des augmentations de coûts exigées par ses fournisseurs, qu’il considérait comme injustifiées, mais que son entreprise ne serait peut-être plus en mesure de le faire si elle devait mettre en œuvre la version actuelle du Code. Il a ajouté qu’au nombre des fournisseurs qui imposent ces hausses figurent certaines des plus grandes entreprises de production alimentaire au monde, dont Kraft-Heinz, Nestlé, PepsiCo et Procter & Gamble, et que ces entreprises ont affirmé dans des avis à leurs actionnaires que leurs « excellents rendements » des derniers mois étaient attribuables à des augmentations de prix.

M. Weston a insisté sur le fait que le mécanisme de résolution des litiges prévu par le Code risque d'empêcher les chaînes d'épiceries de refuser ces augmentations de prix. Il a cité l'exemple du mécanisme de résolution des litiges du code de conduite de l'Australie, qui, selon lui, « se prononce en faveur des augmentations dans la quasi-totalité des cas ». Cette affirmation a été contestée dans un article du Globe and Mail par plusieurs intervenants, dont des représentants de l'Australian Food and Grocery Council, qui ont déclaré qu'« aucun mécanisme tiers n'intervient dans le processus d'augmentation des prix de revient[26] [Traduction] ». Dans une correspondance envoyée au Comité le 22 décembre 2023, Loblaw a admis qu’« en voulant dépeindre de façon simple la manière dont les consommateurs pourraient être touchés par le code, notre équipe a mal décrit la façon dont le processus fonctionne en Australie. Il s’agit d’un faux pas bien involontaire et nous vous prions de nous en excuser[27]. »

Réponses aux réserves exprimées à l’égard du Code de conduite

Plusieurs intervenants ont contesté certains de ces arguments et se sont opposés à la caractérisation du Code comme étant une source potentielle d’une nouvelle inflation des prix des aliments. Pour M. Graydon, les exigences de Loblaw auraient « pratiquement neutralisé » le Code et l’auraient rendu inefficace. Sur son site web, le Bureau du surintendant du Code pour le secteur des produits d’épicerie minimise le rôle que jouera la résolution des litiges par un tiers, notant « s’attendre à ce que la grande majorité des litiges soient résolus avant l’arbitrage et que très peu d’affaires aboutissent à une procédure d’arbitrage ». M. Sands, a estimé que l’opposition des deux détaillants au Code attestait de son efficacité à rétablir l’équilibre au sein de la chaîne de valeur et à garantir le maintien du rôle des épiciers indépendants dans le secteur.

En ce qui concerne l’effet inflationniste du Code, M. La Flèche reconnaît que le Code n’a pas été conçu dans le but précis de réglementer ou de réduire les prix, mais plutôt d’accroître la transparence dans les relations entre les fournisseurs et les détaillants. Son homologue d’Empire, M. Medline, a reconnu que l’adoption du Code pourrait ne pas avoir d’incidence immédiate sur l’inflation, mais l’a néanmoins considéré comme un « pilier essentiel » des efforts de stabilisation des prix des aliments[28].

En amont de la chaîne de valeur, des représentants du secteur de la transformation alimentaire ont affirmé que l’hypothèse selon laquelle le Code pourrait entraîner des augmentations de prix « n’est pas fondée[29] ». Ils prévoient que le Code permettrait aux fabricants et aux producteurs de mieux gérer les crises inflationnistes, d’accroître la concurrence et de ralentir la hausse des prix des aliments. Ils ont étayé cette affirmation en citant les données recueillies dans des pays qui ont appliqué un code similaire, comme l’Australie, l’Irlande et le Royaume-Uni[30]. M. Weston a toutefois fait remarquer que ces trois pays ont connu des taux d’inflation alimentaire plus élevés que le Canada au cours des deux dernières années.

Pour le Bureau de la concurrence, le Code permettrait « d’améliorer les choses sur le plan de la prévisibilité, de la transparence et de la certitude », ce qui profitera ultimement aux consommateurs. Le Bureau a également rejeté les inquiétudes concernant le potentiel inflationniste du Code :

[N]ous n’avons rien vu qui puisse inquiéter le Bureau à cet égard. Je crois que si nous pensions que le [C]ode pourrait entraîner d’importantes augmentations de prix, le Bureau de la concurrence serait inquiet et nous le dirions. Pour l’instant, nous demeurons au fait de ce qui se passe au sujet du [C]ode. Nous en parlons avec les parties prenantes et nous avons examiné la question attentivement. Nous n’avons pas vu de signaux d’alarme[31].

En raison de ces nombreux témoignages largement en faveur de l’adoption du Code par toutes les principales chaînes d’épiceries. Le Comité a transmis une lettre, le 16 février 2024, enjoignant les présidents de Loblaw et Walmart à signer et mettre en œuvre le code de conduite au plus vite. En raison de l’absence d’avancées sur ce dossier, le Comité a décidé, dans une motion adoptée le 9 avril 2024, de convoquer les membres du Conseil d’administration provisoire du Code de conduite à venir témoigner de l’avancée de leurs travaux.

Rendre le Code obligatoire

Devant la réticence de certains détaillants à adhérer pleinement au Code dans sa forme actuelle, des intervenants ont dit craindre que le consensus à son égard ne s’effondre. M. Graydon a prédit que si Loblaw et Walmart refusaient ultimement de signer le Code, les détaillants qui le soutiennent actuellement pourraient faire marche arrière, car ils « auront l’impression de céder un avantage concurrentiel » à leurs concurrents.

Pour garantir l’adoption du Code par toutes les parties, plusieurs intervenants ont indiqué que le gouvernement fédéral devrait entreprendre de le légiférer, de façon à le rendre obligatoire si aucun accord volontaire ne peut être obtenu avec les deux épiciers qui résistent[32]. Selon M. McCann, c’est généralement ce qui s’est passé ailleurs dans le monde, notamment au Royaume-Uni, où un code avait été négocié sur une base volontaire, mais a finalement été remplacé par un code législatif obligatoire devant la réticence des grands détaillants à le mettre en œuvre.

Plusieurs témoins ont toutefois souligné qu’il serait préférable de parvenir à un accord sur un code volontaire plutôt que d’imposer un code obligatoire. M. Sands a mis en garde contre les difficultés potentielles de cette dernière approche, car ce secteur relève en premier lieu de la compétence des provinces et des territoires, qui auraient à soutenir l’initiative et légiférer indépendamment les uns des autres. À ce titre, il a souligné que si tous les gouvernements provinciaux et territoriaux n’adhèrent pas à un code obligatoire, cela pourrait créer un « un cadre réglementaire fragmenté ». Par conséquent, il a souligné qu’une solution réglementaire à l’impasse actuelle devrait conduire à un « code unique et uniforme » applicable à l’ensemble du pays. M. Medline s’est fait l’écho de cette position :

Je pense qu’il serait regrettable que nous ne parvenions pas à adopter un code commun dans l’ensemble du pays. Si nous n’y parvenons pas, le système deviendrait plus complexe et coûteux, ce qui serait préjudiciable aux Canadiens. Il serait incroyablement complexe de le mettre en œuvre et de le réglementer. Nous aurions des codes différents dans différents endroits. Nous savons ce que cela donnerait : cela ne donnerait rien du tout.

Malgré ces difficultés, M. Graydon a exprimé un certain optimisme quant à la mise en œuvre obligatoire du Code par le biais d’une législation provinciale :

J’ai confiance dans le processus des ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux. S’ils sont suffisamment convaincus qu’un code représente, en fait, une solution, ils se mettront d’accord pour essayer d’appliquer dans tout le pays des règlements cohérents. Nous espérons aussi que si une ou deux grandes provinces s’engagent dans le code et le rendent obligatoire, il faudra bien l’appliquer d’une manière ou d’une autre, surtout s’il s’agit de la province du Québec ou, disons, de l’Ontario.

Recommandation 7

Le Comité recommande au gouvernement du Canada de mettre en place un processus de concertation des provinces et des territoires pour discuter de l’adoption de projets de lois appliquant le Code de conduite pour le secteur des produits d’épicerie en s’assurant du respect de leurs compétences.

La concurrence dans le secteur de l’épicerie

L’état de la concurrence

Le 27 juin 2023, le Bureau de la concurrence a publié le rapport d’étude de marché Le Canada a besoin de plus de concurrence dans le secteur de l’épicerie. Dans ce document, le Bureau indique que, compte tenu du taux élevé de concentration de la propriété dans le secteur, les consommateurs ont des options plus limitées et que « [s]ans changement dans le paysage concurrentiel, les Canadiens ne pourront pas profiter pleinement de prix compétitifs et de choix de produits ». Lors de sa comparution, M. Anthony Durocher, sous‑commissaire du Bureau de la concurrence du Canada, a ajouté qu’une concurrence accrue profite aux consommateurs, car elle fait baisser les prix et conduit à l’innovation. Les témoins de la chaîne de valeur ont généralement approuvé la description faite par le Bureau de la concurrence de l’état de la concurrence dans le secteur :

Le nombre [d’épiceries] indépendantes, de propriétaires affiliés, d’enseignes régionales et de coopératives a fondu comme neige au soleil, au Québec. Conséquemment, la consolidation de l’industrie a mené celle-ci à se réinventer en mettant en place des stratégies de relations avec les fournisseurs basées sur la facturation de frais divers et l’imposition d’amendes et de pénalités. Cette approche a eu pour effet de gonfler les revenus des chaînes de détail dans le domaine de l’alimentation. Elle a aussi eu pour effet d’accroître les frais fixes des fournisseurs de manière substantielle, et ce, bien évidemment, au détriment du consommateur[33].

Dans son étude de marché, le Bureau de la concurrence a reconnu « les relations entre les détaillants et les fournisseurs peuvent avoir une incidence sur la dynamique concurrentielle de l’industrie », bien que le droit de la concurrence ne réglemente pas ces déséquilibres qui s’inscrivent davantage dans le périmètre d’un code de conduite. M. Durocher a toutefois rappelé au Comité que le Bureau de la concurrence peut intervenir lorsque certaines pratiques paraissent franchir la ligne entre les déséquilibres dans le pouvoir de négociation et l'abus de position dominante, comme ce fut le cas en 2017 lors d’une enquête du Bureau sur certaines pratiques de Loblaw auxquelles l'entreprise a finalement mis fin.

Les représentants du secteur de l’épicerie étaient généralement d’accord pour dire que la concurrence est une bonne chose pour les Canadiens[34]. Ils ont néanmoins remis en question l’idée selon laquelle le secteur n’est pas compétitif. M. La Flèche, par exemple, a fait valoir que si cinq chaînes dominent globalement le marché, « il faut considérer les choses marché par marché, province par province et secteur géographique par secteur géographique », et que les épiciers se battent « contre des entreprises mondiales comme Walmart, Costco et Amazon, en plus de grandes entreprises canadiennes et de plusieurs entreprises indépendantes ».

Comme l’a souligné M. McCann, le Bureau de la concurrence a reconnu dans son étude de marché que « le secteur de l’alimentation au détail au Canada est plus concurrentiel que nous n’avons tendance à le reconnaître », comme l’illustrent les faibles marges de profit dans ce secteur. M. Ian Lee, professeur agrégé à la Sprott School of Business de l’Université Carleton, a abondé dans le même sens et a expliqué qu’à l’échelle de l’Amérique du Nord, la marge nette de profit des chaînes de supermarchés se situe en moyenne entre 3,2 % et 3,5 %. Le rapport du Bureau a en effet souligné que le secteur de l’épicerie est une « industrie à faible marge », les épiciers réalisant leurs profits sur le volume. M. Stanford a expliqué que la nature du secteur de l’épicerie explique ces faibles marges :

En règle générale, les détaillants en alimentation ne transforment ni ne fabriquent les produits qu’ils vendent. Ils se les procurent auprès de fournisseurs, leur ajoutent une marge et les vendent aux consommateurs. Les dépenses d’entreprise se limitent aux fonctions liées directement aux magasins exploités par les détaillants. Par conséquent, il n’est pas étonnant que les marges de profit semblent faibles comparativement aux coûts totaux, qui comprennent le coût des produits déjà fabriqués.

M. Stanford a noté que bien que minces, ces marges ont « contribué de façon mesurable et soutenue à la persistance des prix élevés des aliments », surtout que celles-ci ont augmenté au cours des dernières années. En outre, il a affirmé que ces faibles marges n’indiquent pas pour autant « que le secteur n’est pas très lucratif ». Dans son rapport, le Bureau de la concurrence a confirmé que les marges des épiciers ont connu une hausse « modeste, mais significative » au cours des cinq dernières années, ce qui démontre « qu’il y a de la place pour une plus grande concurrence dans le secteur canadien de l’épicerie ».

Recommandation 8

Le Comité recommande au gouvernement du Canada considère mettre en œuvre des politiques visant à lutter efficacement contre les profits nets excessifs dans les secteurs monopolistiques et oligopolistiques de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, qui font grimper les prix des aliments pour les consommateurs et les coûts des intrants pour les agriculteurs.

Renforcer la Loi sur la concurrence

À propos de ce constat selon lequel la concurrence est limitée dans le secteur de l’épicerie, M. Ian Lee a fait valoir que le Bureau de la concurrence a contribué à cette situation en approuvant les acquisitions successives qui ont conduit à une plus grande concentration. M. Durocher a cependant déclaré que le Bureau n’avait pas le pouvoir d’empêcher les fusions et que, dans de nombreux cas, le Tribunal de la concurrence décidait de procéder aux transactions malgré les objections du Bureau. Par conséquent, il a soutenu l’idée de doter le Bureau de plus d’outils législatifs pour empêcher les fusions nuisibles.

Des initiatives législatives récentes ont contribué à renforcer le droit canadien de la concurrence. La Loi sur la concurrence a été modifiée par le Projet de loi C-56 : Loi modifiant la Loi sur la taxe d’accise et la Loi sur la concurrence, qui a reçu la sanction royale le 15 décembre 2023 et a conféré plus de pouvoirs au Bureau pour prouver des abus de position dominante, contraindre les entreprises à fournir des documents dans le cadre d’études de marché, et éliminer la soi-disant « défense des gains en efficience », en vertu de laquelle une fusion ayant des effets anticoncurrentiels pouvait avoir lieu si l’entreprise pouvait démontrer que les gains économiques l’emportaient sur ces effets[35]. Les modifications permettent également au ministre d’ordonner au commissaire à la concurrence de mener une enquête sur l’état de la concurrence sur un marché ou dans un secteur.

En outre, le Parlement examine actuellement le Projet de loi C-59 : Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 21 novembre 2023 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023, qui comprend des dispositions qui auraient une incidence sur la Loi sur la concurrence et la Loi sur le Tribunal de la concurrence. M. Durocher a donné un aperçu des changements apportés par le projet de loi C-59 qui renforceraient la Loi sur la concurrence :

L’un des changements les plus importants qui découlent du projet de loi C‑59, c’est que l’on modifie la Loi sur la concurrence pour élargir le champ d’application des recours privés, de sorte que le Bureau de la concurrence ne soit pas la seule autorité qui puisse porter une affaire devant le tribunal. […] Le rôle des recours privés et le critère pour l’obtention de l’autorisation ont été clarifiés, de sorte que nous pourrions voir émerger un cadre plus solide dans lequel les acteurs privés, et pas seulement le Bureau de la concurrence, peuvent porter des affaires directement devant le tribunal.
Comme je l’ai mentionné, certains changements importants ont été apportés au sujet des fusionnements. L’un d’entre eux consiste à pouvoir mettre davantage l’accent sur des éléments relatifs à la part de marché et à la concentration. D’autre part, des changements importants ont été apportés à l’article 90.1 — qui est la disposition de la Loi sur la concurrence qui porte sur la collaboration du concurrent — avec la possibilité d’examiner les comportements antérieurs, ce qui permet également d’élargir l’éventail des recours.

Le Parlement est aussi en train d’examiner le projet de loi C-352: Loi modifiant la Loi sur la concurrence et la Loi sur le Tribunal de la concurrence, qui vise à augmenter les peines à l’égard de certains agissements anti-concurrentiels, à modifier certains aspects de l’examen des fusionnements et à prévenir les fusions dont la réalisation se traduirait par une part de marché combinée excessive.

Si les représentants du Bureau de la concurrence ont généralement salué ces changements législatifs, les qualifiant d’« étape clé dans la modernisation du droit de la concurrence au Canada », ils ont également formulé d’autres recommandations en vue de changements ultérieurs. En mars 2023, le Bureau a formulé des recommandations sur les modifications à apporter à la Loi sur la concurrence en réponse à une consultation lancée par Innovation, Sciences et Développement économique Canada[36]. M. Durocher affirme que le gouvernement n’a pas encore donné suite à certaines de ces recommandations, qui pourraient constituer la base de nouveaux efforts législatifs visant à renforcer la concurrence au Canada. Les modifications comprennent notamment ce qui suit :

  • Norme de réparation : Le Bureau note que la norme de réparation du Canada pour les fusions anticoncurrentielles exige seulement que « la diminution [de la concurrence] ne soit plus substantielle ». Selon M. Durocher, la Loi sur la concurrence devrait être modifiée pour exiger que l’état de la concurrence dans une industrie ou un secteur soit ramené au niveau antérieur à la fusion.
  • Présomptions structurelles : Le Bureau recommande de « dépla[cer] le fardeau sur les parties à la fusion afin qu’elles prouvent pourquoi une fusion qui augmente de manière importante la concentration ne diminuerait pas ou n’empêcherait pas sensiblement la concurrence ». Le Bureau note que le projet de loi C-59 n’aborde que partiellement cette question en abrogeant un article de la Loi sur la concurrence qui empêchait de contester les fusions « sur la base des parts de marché ou des seuils[37] ».

Recommandation 9

Le Comité recommande au gouvernement du Canada de renforcer le droit de la concurrence en apportant les modifications législatives suivantes :

  • adopter des présomptions structurelles pour simplifier les affaires de fusion en déplaçant le fardeau sur les parties à la fusion afin qu’elles prouvent pourquoi une fusion qui augmente de manière importante la concentration ne diminuerait pas ou n’empêcherait pas sensiblement la concurrence;
  • revoir la norme de réparation pour prévoir que l’ordonnance corrective du Tribunal de la concurrence exige de rétablir la concurrence au niveau antérieur à la fusion, afin d’empêcher les parties à la fusion d’accumuler une puissance commerciale et de porter atteinte à l’économie;
  • examiner les règles entourant les décisions du Tribunal de la concurrence, afin d’assurer une meilleure harmonisation avec les recommandations du Bureau de la concurrence en matière de fusions;
  • habiliter le Tribunal de la concurrence à rendre une ordonnance visant à dissoudre un fusionnement réalisé ou à interdire sa réalisation si celui-ci se traduirait par une part de marché combinée excessive.

Faciliter l’entrée de nouveaux concurrents

Accroître la capacité des chaînes de supermarchés étrangères à entrer sur le marché canadien est un autre moyen de renforcer la concurrence dans le secteur de l’épicerie. Selon le rapport du Bureau de la concurrence, l’« arrivée d’un nouvel épicier étranger dans un pays met de la pression sur les épiciers existants pour qu’ils réduisent leurs prix ». Les données empiriques soutiennent cette hypothèse. Par exemple, le Bureau note que l’entrée de Walmart sur le marché canadien en 1994 est réputée avoir accru la concurrence sur le marché canadien. M. Gebara l’a souligné, notant que son entreprise « a offert une option supplémentaire aux consommateurs et poussé [ses] concurrents à baisser leurs prix ».

Lors de sa comparution devant le Comité, le ministre Champagne a déclaré que son ministère essayait d’encourager les épiciers étrangers, en particulier ceux basés aux États-Unis, à entrer sur le marché canadien. Le Bureau de la concurrence a souligné plusieurs obstacles qui découragent les épiciers internationaux d’ouvrir des magasins au Canada, notamment la concurrence redoutable des géants actuels de l’épicerie et la reconnaissance de l’étiquette et de la marque des concurrents[38].

Les nouvelles entreprises qui entrent dans le secteur de l’épicerie de détail au Canada ont également du mal à louer des locaux appropriés pour leurs opérations. M. Bradley Callaghan, un représentant du Bureau de la concurrence, a expliqué au Comité que le Bureau examinait la question émergente des « clauses restrictives », une pratique de contrôle de la propriété par laquelle les épiciers négocient des baux avec les promoteurs immobiliers pour empêcher les concurrents d’opérer dans leurs propriétés :

[Les clauses restrictives] sont essentiellement des dispositions qui limitent ce qu’un propriétaire peut faire de sa propriété. Souvent, elles sont incluses dans des baux ou des ententes de cette nature. En fin de compte, elles peuvent simplement faire en sorte qu’il soit plus difficile pour un concurrent de s’installer à proximité. Cette restriction peut s’appliquer au centre commercial lui-même ou à une zone géographique plus vaste. L’impact demeure toutefois inchangé : il peut être plus difficile pour un nouveau venu d’entrer sur le marché et de soutenir la concurrence.

M. Callaghan a ensuite expliqué que le gouvernement pourrait envisager de « limiter le recours à ces contrôles de propriété ou de les interdire complètement », afin de faciliter l’ouverture de nouvelles épiceries et d’accroître les options offertes aux consommateurs.

Le ministre Champagne a affirmé que lors d’une conversation avec de grands épiciers aux États‑Unis, ceux-ci ont indiqué avoir par le passé envisagé de s’implanter au Canada pour ensuite y renoncer en raison des obstacles décrit précédemment mais que l’un d’entre eux a indiqué que les récents développements législatifs lui permettent à nouveau d’envisager d’intégrer le marché canadien. À la date de publication de ce rapport, aucune chaîne étrangère n’a toutefois confirmé de nouveaux projets d’implantation au Canada.

M. Ian Lee a également souligné que les épiceries en ligne pourraient devenir « une force perturbatrice dans la fixation des prix de ces produits » et rendre le secteur plus concurrentiel au fil du temps. Dans son rapport, le Bureau de la concurrence note également qu’encourager le développement des épiciers en ligne pourrait contribuer à offrir aux consommateurs de nouvelles options concurrentielles si ces épiciers sont « vraiment indépendants » des géants actuels de l’épicerie.

Recommandation 10

Le Comité recommande au gouvernement du Canada de continuer à favoriser et à promouvoir une concurrence accrue dans le secteur de l’épicerie afin de stabiliser et de réduire le prix des aliments, notamment en identifiant et éliminant les barrières auxquelles font face les entreprises qui souhaitent entrer sur ce marché.

Conclusion

Les prix élevés des aliments affectent le pouvoir d’achat, le bien-être et la sécurité alimentaire des consommateurs canadiens. En réponse aux demandes du ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie de stabiliser les prix des aliments, les cinq principaux détaillants se sont engagés à agir, mais la mesure dans laquelle ils ont tenu parole reste incertaine.

Dans son rapport précédent sur l’inflation des prix des aliments, le Comité a recommandé la mise en œuvre d’un code de conduite pour le secteur de l’épicerie en vue d’améliorer les relations dans la chaîne de valeur alimentaire et, ultimement, de contribuer à stabiliser les prix des aliments. Cette étude a confirmé la nécessité d’un tel code et a souligné l’urgence pour toutes les parties de s’entendre et d’y adhérer pleinement dans sa forme actuelle.

En outre, bon nombre de témoins ont déclaré au Comité qu’il faut renforcer le droit canadien de la concurrence et conférer plus de pouvoirs au Bureau de la concurrence, de façon à ce qu’il puisse empêcher de nouvelles consolidations et rendre le secteur plus compétitif, grâce à un environnement réglementaire qui facilite l’entrée de nouveaux concurrents, tels que les épiciers indépendants et étrangers.


[1]              Innovation, Sciences et Développement économique Canada, « Le ministre Champagne demande aux cinq plus grandes chaînes d’épicerie du Canada de prendre des mesures pour stabiliser les prix au détail pour les consommateurs », communiqué de presse, 18 septembre 2023.

[2]              Statistique Canada, « Indice des prix à la consommation, septembre 2022 », Le Quotidien, 19 octobre 2022.

[3]              Conformément à l’article 10.1 de la Loi sur la concurrence, le commissaire à la concurrence peut mener une enquête sur l’état de la concurrence dans un marché ou une industrie s’il estime qu’il en va de l’intérêt public.

[4]              Innovation, Sciences et Développement économique Canada, « Le ministre Champagne fait le point sur les engagements initiaux des cinq principales chaînes d’épicerie pour stabiliser le prix des aliments », communiqué de presse, 5 octobre 2023.

[5]              Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire (AGRI) de la Chambre des communes, Procès‑verbal, 19 octobre 2023.

[7]              AGRI, Témoignages, M. Michael Graydon (président-directeur général, Produits alimentaires, de santé et de consommation du Canada), Mme Kristina Farrell (présidente-directrice générale, Aliments et boissons Canada), M. Sylvain Charlebois, Ph.D. (directeur principal, Agri-Food Analytics Lab et professeur, Dalhousie University, Agri-Food Analytics Lab), et M. Tyler McCann (directeur général, Institut canadien des politiques agroalimentaires).

[9]              Megan DeLaire, « Carbon pricing accounts for 0.15 percentage points of inflation, BoC governor says », CTV News, 10 septembre 2023. [disponible en anglais seulement]

[10]            Produits alimentaires et de la consommation Canada, Mémoire pour le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes, 11 mai 2020.

[12]            Ibid.

[13]            Environnement et Changement climatique Canada, Évaluation scientifique de la pollution plastique.

[15]            Deloitte, p. 36.

[16]            Deloitte, p. 43.

[17]            Deloitte, p. 40.

[18]            Deloitte, p. 62.

[19]            Nicholas Li et Tracey Galloway, « Pass-through of subsidies to prices under limited competition: Evidence from Canada’s Nutrition North program », Journal of Public Economics, 2023 [disponible en anglais seulement].

[21]            Agriculture et Agroalimentaire Canada, « Les ministres fédéral-provinciaux‑territoriaux de l’Agriculture : Compte rendu de la réunion virtuelle », communiqué de presse, 15 juillet 2021.

[23]            Compagnies Loblaw Limitée, correspondance au Comité.

[24]            Ibid.

[25]            AGRI, Témoignages, Pierre Riel (Costco Wholesale International et Canada).

[26]            Susan Krashinsky Robertson, « Food groups accuse Loblaw chairman Galen Weston of misinformation over grocery code of conduct », The Globe and Mail, 19 décembre 2023 [disponible en anglais seulement].

[27]            Compagnies Loblaw limitée, correspondance au Comité.

[28]            AGRI, Témoignages, Michael Medline (président et chef de la direction, Empire Company Limited).

[29]            AGRI, Témoignages, Michael Graydon (président-directeur général, Produits alimentaires, de santé et de consommation du Canada).

[30]            AGRI, Témoignages, Dimitri Fraeys (vice-président, Innovation et affaires économiques, Conseil de la transformation alimentaire du Québec, Aliments et boissons Canada).

[31]            AGRI, Témoignages, Anthony Durocher (sous-commissaire, Direction générale de la promotion de la concurrence, Bureau de la concurrence du Canada).

[32]            AGRI, Témoignages, Patrice Léger Bourgoin (directeur général, Association des producteurs maraîchers du Québec), Michael Graydon (Produits alimentaires, de santé et de consommation du Canada).

[33]            AGRI, Témoignages, Patrice Léger Bourgoin (Association des producteurs maraîchers du Québec).

[34]            AGRI, Témoignages, Michael Medline (Empire Company Limited), Eric La Flèche (Metro Inc.).

[35]            AGRI, Témoignages, Anthony Durocher (sous-commissaire, Direction générale de la promotion de la concurrence, Bureau de la concurrence du Canada).

[37]            AGRI, Témoignages, Anthony Durocher (Bureau de la concurrence Canada); et Bureau de la concurrence Canada, correspondance au Comité.