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AGRI Rapport du Comité

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Confronter les défis urgents et bâtir la résilience de la chaîne d'approvisionnement alimentaire Canadienne

 

Introduction

Entre la ferme et l’assiette du consommateur, les aliments traversent une chaîne d’approvisionnement complexe qui met en relation de nombreux acteurs de la chaîne de valeur chargés de produire, transformer, conditionner, distribuer, préparer et enfin vendre des produits alimentaires et de gérer les déchets alimentaires. Le bon déroulement de chacune de ces étapes repose sur une logistique efficace qui sollicite le transport terrestre, aérien et maritime et qui doit être en mesure de fournir ces produits à chaque maillon de la chaîne en temps voulu. C’est sur le bon fonctionnement de cette chaîne complexe que les Canadiens comptent pour pouvoir se nourrir au quotidien ainsi que les pays qui dépendent des importations d’aliments canadiens pour assurer leur sécurité alimentaire.

Ce système a été mis à l’épreuve lors des deux dernières années au cours desquelles l’économie mondiale a été bouleversée par les conséquences de la pandémie de COVID‑19 mais aussi par les événements liés au changement climatique. C’est parce que ces bouleversements persistent et continuent de poser des risques sur l’ensemble du secteur que le Comité permanent de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire a décidé le 31 janvier 2022 d’étudier les défis qui se posent à la chaîne d’approvisionnement agricole et agroalimentaire au Canada. Le Comité a tenu des audiences du 10 février au 31 mars 2022 afin de comprendre les perturbations conjoncturelles auxquelles font face les intervenants de la chaîne, et dégager des pistes de solutions permettant d’accroître la résilience de la chaîne sur le long terme.

Le Comité a rencontré 48 intervenants et reçu 10 mémoires de la part d’organisations et d’individus qui interviennent aux différentes étapes de la chaîne d’approvisionnement. Cette étude incluait le témoignage des producteurs agricoles, qui cultivent la terre ou élèvent le bétail, de ceux qui leur fournissent engrais, fourrages et autres intrants essentiels à leur activité, des entreprises chargées de transformer les produits en base en biens alimentaires de consommation et de ceux chargés de vendre ces produits dans les commerces de détail et les supermarchés (Figure 1).

Figure 1 — Les principaux acteurs de la chaîne d’approvisionnement agroalimentaire

Cette infographie parcourt les différentes étapes de la chaîne d’approvisionnement et indique des exemples d’acteurs présents à chaque étape. On trouve au début de cette chaîne les fournisseurs d’intrants (semences, aliments pour animaux). Ceux-ci approvisionnent les producteurs primaires (cultures des grains, horticulture, élevage) qui eux-mêmes fournissent les transformateurs (meunerie, abattage, transformation laitière). Au bout de cette chaîne, les services alimentaires et de vente au détail (restaurants, supermarchés, marchés fermiers) fournissent les consommateurs.

Source : Figure préparée par le Comité à partir d’informations tirées d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, Vue d’ensemble du système agricole et agroalimentaire canadien, 2017.

Perturbations conjoncturelles

À plusieurs reprises, la pandémie de COVID-19 a causé des perturbations dans le secteur agroalimentaire, qui se sont parfois répercutées sur le reste de la chaîne. La production a été durement affectée, par exemple, les éclosions dans les établissements de transformation de la viande ont contraint certains agriculteurs à garder plus longtemps à la ferme leur bétail arrivé à maturité. Les fermetures internationales des frontières et des aéroports au printemps de 2020 ont également limité le nombre de travailleurs étrangers temporaires pouvant entrer au pays, ce qui a compliqué différents aspects de la chaîne. Les fluctuations de la demande ont également mis à rude épreuve la chaîne d’approvisionnement, par exemple, la fermeture des restaurants à temporairement redirigé une grande partie de la demande en aliments des services alimentaires vers le commerce de détail[1]. Plus généralement, le secteur est affecté par les perturbations qui touchent les chaînes d’approvisionnement à l’échelle internationale. Celles‑ci se traduisent notamment par une pénurie de conteneurs et un engorgement des ports, qui se répercutent sur l’ensemble des échanges internationaux. Ces difficultés ont été exacerbées par les évènements climatiques extrêmes qui ont affecté les producteurs et les infrastructures de transport tels que les inondations de novembre 2021 en Colombie-Britannique qui ont notamment détruits certaines infrastructures de transport ou encore la sécheresse de l’été 2021 qui a grandement diminué les rendements agricoles des provinces de l’Ouest.

Cette section présente les problèmes les plus urgents auxquels font face les producteurs, notamment en ce qui a trait à la main-d’œuvre, aux fluctuations des marchés, au changement climatique et aux goulots d’étranglement dans le transport. Elle expose également les solutions que le gouvernement du Canada pourrait mettre en place immédiatement pour en atténuer les effets.

La réponse à la crise de la COVID-19 et la résilience de la chaîne d’approvisionnement

Dans les deux dernières années, la pandémie de COVID-19 a ébranlé l’ensemble de l’économie canadienne. Alors que de manière ponctuelle, l’activité de certaines entreprises a été interrompue en raison des éclosions de la maladie ou des mesures de santé publique, le secteur agricole et agroalimentaire a continué à fournir, sans interruption, les aliments dont les Canadiens ont besoin dans une période d’incertitude. Dans leur mémoire, les producteurs d’œufs du Canada ont fait remarquer que le système de la gestion de l’offre a résisté aux pressions de la pandémie mondiale et a continué à offrir aux Canadiens un approvisionnement alimentaire stable. Tom Rosser, sous‑ministre adjoint d’Agriculture et agroalimentaire Canada, a mis en relief la performance du secteur avec les défis rencontrés :

Je vous dirais que la performance du secteur est très bonne, que celui‑ci continue d’accomplir sa fonction première, soit veiller à ce que la population canadienne ait constamment accès à des aliments, […] malgré des pressions exceptionnelles liées non seulement à la COVID, mais aussi à la sécheresse dans l’Ouest canadien, les épisodes de chaleur extrême et, bien sûr, les inondations de l’an dernier en Colombie-Britannique.

Il n’en demeure pas moins que cet enchaînement de crises a eu un effet déstabilisant sur les chaînes d’approvisionnement. Par exemple, les producteurs de porc du Québec ont indiqué que les abattoirs ont toujours de la difficulté à rattraper le retard causé par les fermetures ponctuelles de certains abattoirs[2]. Ian McFall, président du conseil d’administration du Conseil canadien des transformateurs d’œufs et de volailles qualifie cette situation de « tempête parfaite » qui a mis à mal simultanément les marchés, les activités commerciales et la main‑d’œuvre des entreprises agricoles et agroalimentaires. Selon, Kathleen Sullivan, présidente-directrice générale d’Aliments et boissons Canada : « plus de 90 % des entreprises alimentaires canadiennes ont des problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement ».

Parce que ces difficultés persistent aujourd’hui, plusieurs intervenants ont demandé au gouvernement de faire preuve de flexibilité dans la mise en œuvre de certains projets de réglementation. Par exemple, Rick Bergmann, président du conseil d’administration du Conseil canadien du porc a indiqué que le gouvernement du Canada devrait « examiner la situation de crise et réfléchir aux nouveaux règlements qui sont imposés – que ce soit dans le domaine du transport ou un autre secteur – afin d’éviter de perturber » davantage le secteur. Pour Robin Guy directeur principal, Transport, infrastructure et politique réglementaire de la Chambre de commerce du Canada : « le moment serait mal choisi pour adopter de nouveaux règlements susceptibles de nuire à la croissance économique et qui ajouteraient de nouvelles contraintes à la chaîne d’approvisionnement ». Jason McLinton, vice-président du Conseil canadien du commerce de détail, a expliqué que son organisation est généralement favorable aux récentes propositions de réglementation telles que l'étiquetage sur le devant des emballages ou le nouveau système d'étiquetage des produits de santé naturels. Toutefois, il a expliqué que la mise en œuvre de ces règlements à l'heure actuelle détournerait des ressources à un moment critique et préconise leur mise en œuvre à un moment moins sensible.

Recommandation 1

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada réduise la paperasserie afin d'alléger les tensions sur la chaîne d’approvisionnement agricole et alimentaire.

Répondre aux besoins immédiats par le programme des travailleurs étrangers temporaires

De nombreux intervenants ont salué le rôle important que jouent les travailleurs étrangers temporaires dans le maintien d’une chaîne d’approvisionnement fonctionnelle à travers les récentes crises. Le secteur agricole et agroalimentaire fait face à une pénurie de main-d’œuvre de longue date que les deux dernières années ont exacerbée. Les représentants du secteur de la transformation alimentaire ont mentionné des augmentations de 10 à 15 % du taux de postes vacants dans leur secteur par rapport à la période prépandémique[3]. De nombreuses pistes de solutions pour répondre à cet enjeu à long terme ont été évoquées et seront développées plus loin dans ce rapport. Toutefois, à court terme, le recours au programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) apparait comme la principale solution pour faire face aux besoins urgents de main d’œuvre des entreprises du secteur.

Les employeurs qui souhaitent embaucher des travailleurs étrangers temporaires doivent obtenir une Évaluation de l’impact sur le marché du travail (EIMT) émis par Emploi et Développement social Canada par l’intermédiaire de Service Canada. Cette évaluation vise à démontrer qu’il n’existe pas d’autre travailleur disponible parmi la main d’œuvre canadienne pour effectuer la tâche. Cette démarche doit être effectuée pour chaque travailleur individuellement. Lorsqu’elle est acceptée, elle demeure valide pendant 6 mois et permet au travailleur étranger de demander un visa de travail auprès d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada valide pour une durée maximale de deux ans.

Les EIMT visent à s’assurer que les travailleurs étrangers temporaires ne prennent pas d’emplois qui auraient pu être remplis par des travailleurs canadiens. Pourtant le secteur agricole fait face à une pénurie de main-d’œuvre chronique, bien documentée, qui a précédé la pandémie de COVID-19 et les appels à la main-d’œuvre locale ont eu peu de succès. Par exemple, en 2020, le gouvernement du Québec offrait un incitatif financier aux personnes sans emplois qui décidaient d’aller travailler dans le secteur agricole. L’incitatif s’élevait à 100 dollars par semaine et pouvait être cumulé à la Prestation canadienne d’urgence. Cette mesure visait à compenser le manque de travailleurs étrangers temporaires qui ne pouvaient venir au pays alors que les frontières étaient fermées[4]. Selon David Duval, ce programme a été « un échec » et n’a pas permis d’attirer la main-d’œuvre requise. Il a expliqué au Comité que « [l]es habitants du Québec, et probablement ceux du reste du Canada également, trouvent ce travail trop exigeant. C'est la même chose dans le secteur de la transformation: c'est un travail difficile ». En juin 2020, lors de sa comparution lors de l’étude du Comité sur l’impact de la pandémie de COVID-19 sur le secteur agricole, Catherine Lefebvre, alors vice-présidente des Maraîchers L&L Inc., avait déjà souligné que la main-d’œuvre locale représentait difficilement une alternative aux travailleurs étrangers temporaires:

Je ne vous cacherai pas non plus qu'actuellement, cela nous prend deux ou trois employés québécois pour remplacer un travailleur étranger sur le plan de l'efficacité, mais surtout sur le plan de l'endurance, puisqu'ils doivent travailler entre 10 et 12 heures par jour. Des coûts énormes sont engendrés par la main-d'œuvre, en sachant très bien qu'après une journée de travail ou deux dans nos fermes, ou après une semaine, tout au plus, ils se mettent à la recherche d'un emploi moins physique. Nous devons alors recommencer la formation et tout le reste avec d'autres travailleurs.

Le délai de traitement des EIMT est un irritant important chez les employeurs du secteur agricole et agroalimentaire qui n’arrivent pas toujours à avoir les travailleurs dont ils ont besoin à temps. Selon M. Duval, le délai actuel pour obtenir des travailleurs via le volet des postes à bas salaire s’approche des six mois alors qu’il n’en fallait que quatre avant 2020. Rick Bergmann évoque plutôt une période de 8 à 12 mois pour compléter l’ensemble du processus. Pour Jarred Cohen, conseiller en politiques de la Chambre de commerce du Canada, la durée de traitement des EIMT devrait être de six à huit semaines. Une simplification des formulaires de demande d’EIMT contribuerait également à réduire le fardeau administratif sur les employeurs selon l’Union des producteurs agricoles. Dans une réponse écrite au Comité, l’organisation a communiqué un formulaire de demande simplifiée qui retire 24 questions du formulaire original. Ces questions concernent notamment celles redondantes avec les informations déjà fournies dans l’offre d’emploi que l’employeur doit fournir en complément de sa demande.

Une nouvelle EIMT doit être effectuée pour renouveler le permis de travail du travailleur temporaire ou pour recruter un nouveau travailleur. La répétition de cette démarche est un irritant majeur pour des entreprises dont le recours à la main d’œuvre temporaire est devenu constant en raison de la persistance du manque de main-d’œuvre. Plusieurs solutions ont été avancées par les témoins pour résoudre ce problème. Les EIMT pourraient voir leur durée de validité prolonger au-delà des six mois actuellement prévus pour aller jusqu’à deux ans comme le propose Jean-Michel Laurin président et chef de la direction du Conseil canadien des transformateurs d’œufs et de volailles, ou bien trois ans comme le propose Martin Caron, président général de l’Union des producteurs agricoles. En décembre 2019, Service Canada a annoncé la mise en œuvre d’un projet pilote permettant de réaliser des EIMT d’une durée d’emploi de deux ans pour les emplois dans le secteur de la transformation de la viande. Pour être éligible, l’employeur doit pouvoir attester de son appui à la demande de résidence permanente du travailleur étranger temporaire, notamment en recrutant des travailleurs étrangers temporaires qui possèdent les compétences linguistiques nécessaires à la délivrance de la résidence permanente ou en les aidant à bien se préparer pour leur demande de résidence permanente[5].

La mise en place d’un système d’employeur de confiance par lequel les démarches des entreprises qui se sont conformées aux exigences du programme par le passé seraient simplifiées contribuerait aussi à réduire le fardeau administratif. Les lettres de mandat de la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes en situation de handicap et du ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté comprennent un engagement à mettre en place un tel système et plusieurs témoins se sont montrés enthousiastes à cette annonce[6].

Le seuil de 10 % de travailleurs étrangers pouvant être employés dans le volet des postes à bas salaire par une même entreprise, limite la capacité des entreprises de transformation alimentaire à répondre à leurs besoins de main d’œuvre aujourd’hui criants. Une augmentation de ce taux à 20 % annoncée pour le Québec en août 2021[7] a été saluée comme un pas dans la bonne direction. Cette mesure a été mise en place à la demande du gouvernement du Québec auquel le gouvernement fédéral a délégué certaines responsabilités en matière d’immigration, notamment dans le cadre fixé par l’Accord Canada-Québec relatif à l'immigration et à l'admission temporaire des aubains de 1991. Toutefois pour Marie-France McKinnon du Conseil canadien des viandes, même ce taux bonifié reste insuffisant alors que des entreprises du secteur de la transformation de la viande au Québec rapportent des taux de postes vacants de plus de 30 %. Elle a en outre signalé un manque préoccupant de 10 000 postes de boucher. De nombreux témoins s’accordent pour dire qu’élever ce taux à 30 % permettrait de donner une marge de manœuvre aux entreprises du secteur pour faire face à l’ampleur de la pénurie actuelle[8].

Recommandation 2

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada négocie avec toutes les provinces et les territoires en vue d’intégrer le Programme des travailleurs étrangers temporaires aux objectifs de leurs politiques de main d’œuvre.

Parce que les entreprises ont un recours permanent au programme des travailleurs étrangers temporaires, plusieurs témoins ont indiqué que davantage de mesures devraient être mises en place afin de faciliter l’accès de ces travailleurs à un statut qui leur permettrait de rester de façon permanente au Canada. Pour Kathleen Sullivan, il est nécessaire d’avoir « dans le cadre de tout programme que nous mettons en place, des voies d’accès à la résidence permanente qui soient vraiment claires et réalisables pour tous ces travailleurs qui arrivent ». Cette affirmation a été reprise par plusieurs témoins du secteur et certains ont recommandé d’étendre le Programme pilote sur l’agroalimentaire qui permet à des travailleurs étrangers temporaires exerçant une profession spécialisée non saisonnière d’obtenir une voie vers la résidence permanente[9].

« On désigne ces personnes comme des travailleurs étrangers temporaires, mais il n’y a rien de temporaire là-dedans. Ce sont tous des postes permanents. Par conséquent, il faudrait essayer de retirer le mot « temporaires » dans cette appellation, car il ne s’agit pas du tout d’une main‑d’œuvre temporaire. Nous avons besoin d’une main-d’œuvre permanente. La situation est critique. »

Marie-France McKinnon

Synthétisant l’ensemble de ces demandes, 11 organisations de la transformation agroalimentaire représentées par Aliments et Boissons Canada ont recommandé au gouvernement d’instaurer un programme des travailleurs étrangers d’urgence afin de répondre aux besoins immédiats du secteur en matière de main-d’œuvre[10]. Pour une durée de 18 mois, le programme prévoirait notamment la mise en place des mesures suivantes :

  • Une extension des deux projets pilotes à l’ensemble des emplois de la transformation alimentaire et une prolongation de leur durée jusqu’à la fin de 2023.
  • Une augmentation du plafond du pourcentage de travailleurs étrangers temporaires à 30 %;
  • Une harmonisation des délais de traitement entre les différents volets du programme des travailleurs étrangers temporaires et du programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS).

Soulignant l'importance des travailleurs saisonniers pour le secteur des fruits et légumes, Ron Lemaire, président de l'Association canadienne de la distribution de fruits et légumes (ACDFL), a réitéré la demande persistante de son organisation pour un meilleur accès aux travailleurs dans le cadre du PTAS et du volet agricole du PTET. L'ACDFL, a déjà recommandé que le gouvernement du Canada mette en place un programme d'employeurs de confiance afin d'accélérer le processus d'embauche pour les producteurs éligibles qui ont maintenu une bonne réputation auprès du PTAS[11].

Le 4 avril 2022, après que le Comité ait fini son étude sur ce sujet et rédigé la version initiale de ce rapport, le gouvernement du Canada a annoncé des changements au Programme des travailleurs étrangers temporaires. Ces changements incluent une augmentation de la limite des travailleurs étrangers occupant des postes à bas salaire de 10 à 30% dans sept secteurs touchés par une pénurie de main-d’œuvre généralisée, dont celui de la fabrication d’aliments ainsi qu’une extension de la période de validité des EIMT à 18 mois.

Recommandation 3

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada adopte de façon urgente certaines mesures pour améliorer les résultats du programme de travailleurs étrangers temporaires dans les secteurs agricoles et agroalimentaires, incluant :

  • Mesures pour rendre le programme plus accessible et plus efficace pour les employeurs:
    • Accroître la capacité de traitement des demandes concernant les travailleurs étrangers temporaires et réduire les délais de traitement;
    • Réduire les délais entre demande initiale et arrivée en poste du travailleur ainsi que les coûts exigés par le gouvernement fédéral;
    • N’exiger qu’une seule étude d’impact sur le marché du travail par site, et que celle-ci soit valide pendant trois ans;
    • Prolonger la durée des visas de travail, qui est actuellement de 24 mois, à 36 mois ainsi que rendre les visas renouvelables après trois ans;
    • Maintenir, rationaliser et améliorer les démarches pour le programme des travailleurs agricoles saisonniers, en incorporant un dispositif d'employeur de confiance pour les situations où un emploi à temps plein sur une base saisonnière est requis annuellement.
  • Mesures pour accroitre la disponibilité à long terme des travailleurs dans le secteur agricole et agroalimentaire :
    • Accroître le nombre maximal de travailleurs étrangers temporaires de 10 % à 30% à l’échelle du Canada;
    • Orienter le programme de travailleurs étrangers temporaires pour en faire une voie de passage vers l’obtention de la résidence permanente pour les travailleurs qui le souhaitent, notamment en facilitant la venue de leurs familles;
    • Sensibiliser davantage les réfugiés aux possibilités d’emploi dans les secteurs de l’agriculture, de l’alimentation et des boissons;
    • Élargir et prolonger les projets pilotes d’immigration dans le secteur de la transformation de la viande.

Fluctuations des prix et perturbations du marché

Les perturbations liées à la pandémie ont causé des fluctuations importantes sur les marchés des intrants agricoles. De plus, celles-ci ont été amplifiées par les événements climatiques extrêmes comme la sécheresse importante qui a touché les Prairies à l’été 2021 et les inondations de l’automne 2021 dans la vallée du Fraser en Colombie-Britannique ainsi que par la guerre en Ukraine et les tensions géopolitiques récentes. Catherine Lefebvre, présidente de l’Association des producteurs maraîchers du Québec, en a livré une illustration au Comité :

[P]lusieurs matières premières comme les engrais, les pesticides, les semences et d’autres produits essentiels comme le carton, les palettes, les sacs d’emballage, les matériaux de construction et les pièces de machinerie sont touchés par le phénomène de l’augmentation des prix.

Mme Lefebvre a expliqué que ces fluctuations s’opèrent « dans un contexte où l’augmentation des coûts de production n’est pas accompagnée d’une augmentation similaire des prix de vente ». L’augmentation du prix des carburants et des autres dépenses touchent également l’ensemble des secteurs de la chaîne d’approvisionnement alimentaire, des producteurs primaires[12], jusqu’au commerce de détail[13] en passant par les transformateurs[14].Plusieurs intervenants ont appelé à adapter le système de tarification de la pollution par le carbone aux contraintes du secteur agricole dans ce contexte de hausse des prix des intrants. Par exemple, Tim Lambert, chef de la direction des Producteurs d’œufs du Canada, a expliqué que ces politiques n'incitent pas toujours à l'adoption de pratiques plus durables car « bon nombre de technologies ne sont pas suffisamment avancées ou demeurent trop coûteuses à adopter » pour représenter une alternative viable. Pour la même raison, Bill Campbell, président de Keystone Agricultural Producers, considère que le séchage des grains et le chauffage des étables pour le bétail sont deux activités qui devraient être exemptées du système de tarification du carbone car les alternatives à l'utilisation du propane et du gaz naturel pour ces activités sont limitées.

Recommandation 4

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada envisage d’exempter du mécanisme de tarification du carbone le gaz naturel et le propane utilisés pour mener des activités agricoles essentielles – telles que le séchage du grain, l’irrigation des terres et le chauffage et la climatisation des étables ­­– dans les juridictions où la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre s’applique.

Les témoins entendus par le Comité ont insisté sur la hausse rapide des prix des engrais et des aliments pour animaux. L’inflation du prix de ces deux intrants affecte particulièrement les producteurs primaires. Selon Statistique Canada, au troisième trimestre, le prix des aliments pour animaux avait augmenté de près de 30 % par rapport à son niveau du début de l’année 2020. Le prix des engrais a également connu une brusque croissance parallèle à l’évolution des prix alimentaires mondiaux (Figure 2).

Figure 2 — Évolution de l’indice des prix pour certains intrants agricoles au Canada et des prix des produits alimentaires mondiaux

Ce graphique compare l’évolution des indices de prix des aliments pour les aliments pour animaux et les engrais au Canada avec celui des prix mondiaux des produits alimentaires. Le prix des aliments pour animaux au Canada a globalement légèrement augmenté jusqu’en 2020 où ils ont alors connu une augmentation plus rapide. Le prix des engrais au Canada a suivi la tendance des prix mondiaux des produits alimentaires : après un creux entre 2009 et 2011, ceux-ci ont augmenté en 2011 pour ensuite décliner légèrement jusqu’en 2020. À partir de cette date, les prix de ces deux indices ont rapidement augmenté de nouveau.

Note :     Indice des prix des entrées dans l’agriculture (Aliments pour animaux et fertilisants) base 100 pour 2012. Indice FAO des Indice FAO des produits alimentaires base 100 pour 2014-2016.

Source : Figure préparée par le Comité à partir de données tirées de Statistique Canada, Indice des prix des entrées dans l’agriculture, trimestriel, consultée le 17 mars 2022 et Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, Indice FAO des produits alimentaires (FAO), consultée le 20 mai 2022.

Plusieurs facteurs ont contribué à la hausse des prix des aliments pour animaux. De façon générale, elle est le résultat de l’augmentation du prix des céréales[15]. Dans l’Ouest du pays, la sécheresse de l’été 2021 a mis à mal des stocks de fourrages. James Bekkering, président du conseil d'administration de l’Association nationale des engraisseurs de bovins estime que l’Alberta ne dispose aujourd’hui que « [d’]une ou deux semaines d’approvisionnement en céréales fourragères » et les engraisseurs de bovins doivent maintenant payer le prix fort pour importer l’essentiel de leurs aliments des États-Unis faute d’approvisionnement local[16].

Du côté du prix des engrais, les représentants de Fertilisants Canada attribuent leur augmentation à un contexte de demande forte pour les céréales qui a incité les producteurs primaires à augmenter leur production et donc à en employer davantage[17]. Dans un mémoire soumis au Comité, l’Union Nationale des Fermiers soutient que cette tendance est exacerbée par la situation de preneurs de prix qui caractérise les producteurs agricoles par comparaison avec un secteur des fournisseurs d’intrants très concentré et capable de dicter les prix. Cette hausse des prix a également été amplifiée par les restrictions des exportations de grains mises en place dans certains pays comme la Chine pour s’assurer de maintenir des stocks élevés en cas d’inflation des prix des aliments[18]. La Russie, la Chine et certains pays européens ont également restreint leurs exportations d’engrais pour s’assurer de satisfaire la demande locale, participant à la contraction de l’offre mondiale d’engrais[19].

Depuis le 24 février 2022, la guerre en Ukraine a aggravé les pressions inflationnistes sur les engrais. En réponse à l’invasion russe, le gouvernement du Canada a révoqué le statut tarifaire de la nation la plus favorisée de la Russie et du Bélarus le 2 mars 2022 et exposé ainsi les importations de ces pays à des droits de douane de 35 %[20]. Le Canada est un producteur majeur d’engrais azoté et de potasse. Toutefois, si la production canadienne d’engrais azotée satisfait les besoins de l’Ouest du pays, l’Est est plutôt approvisionné par les marchés internationaux via la voie maritime du Saint-Laurent et la Russie représente le second fournisseur d’engrais de l’Ontario et le premier pour le Québec[21].

Pour Benoit Pharand, président-directeur général de Réseau végétal Québec, cette mesure crée des difficultés pour les producteurs du Québec qui ont déjà effectué tous leurs achats pour la campagne agricole actuelle. Les livraisons étaient déjà en transit lors de la révocation du statut tarifaire de la Russie et pourraient être exposées à ces droits de douane à leur arrivée au port. Karen Proud, présidente et directrice générale de Fertilisants Canada a ajouté que ces droits de douane vont s’ajouter à l’augmentation galopante des prix observée en réaction à la guerre en Ukraine. Elle a indiqué que son organisation était en contact avec le gouvernement afin de déterminer de quelle manière les droits de douane seront appliqués et afin de discuter d’éventuelles compensations pour les entreprises touchées, mais que des mesures concrètes pour pallier cette situation n’ont pas encore été mises en place. Le Comité partage les préoccupations exprimées par les témoins quant à la possible application de tarifs douaniers prohibitifs sur les expéditions d’engrais dont les transactions ont été conclues avant le 2 mars 2022 et appelle le gouvernement à prendre des mesures afin que les producteurs agricoles ne soient pas pénalisés par cette situation.

Recommandation 5

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada examine les moyens d’accroître la résilience de la production au pays en réponse à des événements mondiaux, notamment les problèmes géopolitiques qui pourraient entraîner des perturbations dans la chaîne d’approvisionnement du secteur de l’agriculture. Le Gouvernement devrait également remédier à la situation des producteurs agricoles et des distributeurs d'engrais canadiens qui ont acheté des engrais auprès de fournisseurs russes avant l'entrée en vigueur des tarifs douaniers le 2 mars 2022 et clarifier s'ils ont droit à une exemption ou à d'autres mesures compensatoires.

Les programmes de gestion des risques de l’entreprise mis en place dans le cadre du Partenariat canadien pour l’agriculture visent à soutenir les producteurs qui font face à des dépenses imprévues et des fluctuations de revenus liées aux aléas du marché. Les participants au programme Agri‑Stabilité peuvent recevoir des paiements lorsque leur marge de production est inférieure à 70 % de la marge de référence de leur entreprise établie à partir d’une moyenne des années précédentes. Le paiement s’élève à 70 % de l’écart entre la marge de référence et la marge de production de l’année concernée. Selon Martin Caron, le programme Agri-Stabilité est un outil qui a été pensé pour gérer le type de crise que traverse actuellement le secteur avec la fluctuation du prix des intrants. Toutefois, pour que ces programmes soient pleinement efficaces, plusieurs intervenants ont souligné que le seuil de déclenchement des paiements devrait être rehaussé à 85 % de la marge de référence[22]. Le gouvernement fédéral a proposé des changements au programme incluant, notamment de porter le taux d’indemnisation du programme à 80 % des pertes. Ce changement pourrait se traduire par une augmentation des paiements reçus par les producteurs de 170 millions de dollars à l’échelle nationale. Cette proposition doit toutefois être acceptée à l’unanimité par les provinces et les territoires[23].

Recommandation 6

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada travaille avec les provinces et les territoires afin d’augmenter immédiatement le niveau de couverture d'Agri-stabilité à 85 % des pertes et le seuil de déclenchement des paiements d'Agri-stabilité pour couvrir les pertes inférieures à 85 % de la marge de référence et qu’il applique pleinement ce changement dans les provinces et territoires qui acceptent cette mesure et qu’il couvre les paiements à hauteur des 60 % dont le gouvernement fédéral est responsable dans les autres.

Les goulots d’étranglement dans les transports

Les perturbations de la chaîne d’approvisionnement se manifestent particulièrement dans le domaine du transport où des retards importants et une augmentation des prix très forte affectent durement les producteurs et se traduisent dans le domaine du transport maritime par un engorgement des ports et une pénurie de conteneurs. Ces perturbations sont multiples, mais notamment causées par de fortes fluctuations de l’offre et de la demande mondiale de produits manufacturés pendant la pandémie qui a, notamment déséquilibré la disponibilité des conteneurs à l’échelle mondiale[24]. Les inondations extrêmes qui ont touchés la Colombie-Britannique ont aussi largement perturbé le transport dans l’Ouest du pays[25].

Les retards dans le transport maritime constituent une des principales préoccupations des intervenants entendus par le Comité. Greg Northey, vice-président de Pulse Canada évoque une durée de 70 à 90 jours pour expédier des légumineuses vers l’Inde – un marché d’exportation clé du secteur – contre 20 à 40 jours avant la pandémie. Il rapporte que certains conteneurs sont « restés au port parfois pendant six mois avant d’être embarqués ». Face à l’imprévisibilité des délais, Guy Milette, président du conseil d'administration de l’ACDFL, a rapporté que les compagnies de transport par conteneurs se sont déchargées de leur responsabilité de livrer en temps voulu les expéditions et les producteurs de fruits et légumes ne disposent « [d’]aucun recours si [les compagnies de transport] ont mis 60 jours au lieu de 21 pour livrer des bananes, même si la cargaison est totalement perdue ». Cet enjeu est traité dans une section ultérieure de ce rapport qui est consacrée aux problèmes de la concentration des entreprises du secteur du transport maritime.

En parallèle à l’augmentation des retards, les prix du transport ont également beaucoup augmenté. Certains intervenants rapportent un triplement des coûts de transport par rapport à leur niveau prépandémique[26]. Un représentant de l’ACDFL a précisé que cela se traduit par un surcoût hebdomadaire de 250 000 $ en frais de transport pour les membres de son organisation[27]. En parallèle, le prix des conteneurs a augmenté de 100 à 150 % selon Brian Innes, directeur général de Soy Canada. La coalition « Il est temps de régler la crise des conteneurs », qui réunit plusieurs organisations du secteur agricole dont Soy Canada, rapporte que le prix moyen d’expédition d’un conteneur standard est passé de 1 461 $ au début de 2020 à 11 109 $ en septembre 2022. Au niveau mondial, l'indice Freightos Baltic Container Index , qui reflète les taux au comptant pour les conteneurs de 40 pieds sur 12 lignes commerciales, affichait des taux supérieurs à 9 000 $ USD au cours des trois premiers mois de 2022.

Recommandation 7

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada veille à ce que le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire travaille en étroite collaboration avec le ministre des Transports et le ministre du Travail afin de s’assurer qu’il y ait suffisamment de disponibilité de conteneurs pour les intrants et les exportations agricoles qui passent par les ports canadiens.

Les secteurs qui dépendent du transport par camion font aussi face à d’importantes difficultés. Pour Rick Bergmann, les affaires du secteur porcin sont aux prises avec une pénurie de conducteurs formés pour le transport des animaux. Selon certains témoins, cette pénurie a été accrue par certaines mesures qui ont été prises en réponse à la pandémie de Covid-19, telles que les exigences en matière de vaccination pour le passage de la frontière terrestre entre les États-Unis et le Canada. Carla Ventin, vice-présidente principale des Relations gouvernementales chez Produits alimentaires, de santé et de consommation du Canada, a illustraté ces perturbations :

Je dirais simplement que l’obligation vaccinale pour les camionneurs a compliqué davantage la livraison transfrontalière de produits alimentaires. La plupart de nos produits sont livrés par camion, ainsi que dans des conteneurs, par rail, et nous avons donc été confrontés à un problème plus important à cause des pénuries et des hésitations. C’était lié, je pense, à l’hésitation individuelle des camionneurs qui ne se sentaient pas à l’aise de se faire vacciner, mais également aux barrages au Canada.

Mr. Bekkering a ajouté que les mandats internationaux ont réduit « la main-d’œuvre dans une industrie déjà aux prises avec une pénurie de camionneurs ». De plus ces perturbations ont été amplifiées par les manifestations qui ont bloqué la circulation à plusieurs postes frontaliers entre le Canada et les États-Unis en février 2022. Plusieurs témoins ont évoqué avoir rencontré des problèmes dans leur secteurs pour acheminer les produits en provenance ou à destination des États-Unis en raison des barrages[28]. Pour M. Guy, ceux-ci ont eu de « graves conséquences pour l'économie et la réputation du Canada ». Dans l’ensemble, les intervenants ont fait valoir que l’ajout de tensions supplémentaires sur les échanges transfrontaliers risque d'exacerber les problèmes de la chaîne d'approvisionnement[29].

Enjeux à long terme

Problèmes de main-d’œuvre de longue date au sein de la chaîne d’approvisionnement

Avant même la pandémie de COVID‑19, les employeurs canadiens de la chaîne d’approvisionnement agricole et agroalimentaire signalaient qu’ils avaient de la difficulté à recruter et à garder des employés. Jennifer Wright, directrice générale par intérim et directrice des opérations, des programmes et des partenariats au sein du Conseil canadien sur les ressources humaines en agriculture, a présenté des données tirées d’une étude du marché du travail réalisée par son organisation selon laquelle en 2018, les postes vacants étaient « nettement plus nombreux en agriculture » que dans d’autres secteurs et que la situation avait entraîné des manques à gagner de près de 3 milliards de dollars cette année-là.

Selon Statistique Canada (voir figure 3), le taux de postes vacants dans les domaines professionnels principaux composants la chaîne d’approvisionnement agricole et agroalimentaire (culture agricole et élevage, fabrication des aliments, magasins d’alimentation, transport par camion) était, dans de nombreux cas, considérablement plus élevé que le taux moyen de postes vacants pour l’ensemble des industries canadiennes.

Figure 3 — Taux de postes vacants dans certains secteurs agricoles et agroalimentaires, de 2015 à aujourd’hui

La figure présente l’évolution du taux de postes vacants dans différents secteurs reliés à la chaîne d’approvisionnement alimentaire et la compare à l’ensemble des secteurs de l’économie canadienne. Dans l’ensemble de l’économie, le taux de poste vacant était d’environ 2,5 % en 2015. Il a légèrement augmenté jusqu’en 2020 où il a atteint 3,4 %. Entre 2020 et 2021, ce taux a augmenté plus fortement pour atteindre 4,7 % cette année-là. Dans le secteur de la fabrication des aliments, la tendance est similaire, mais le niveau du taux de poste vacant est plus important, passant de 2,6 à 5,3 % entre 2015 et 2021. Dans le transport par camion et le secteur de l’agriculture primaire, le taux de poste vacant est nettement plus élevé atteignant en 2015 respectivement les 3,10 % et 4,9 %. Ce taux a augmenté dans ces deux secteurs pour atteindre les 6,9 % dans le transport par camion et 6,2 % dans l’agriculture primaire en 2021. Le taux de postes vacants dans les magasins d’alimentation était comparable au taux de postes vacants dans l’ensemble de l’économie en 2015, mais a augmenté moins rapidement ensuite pour atteindre les 3,4 % en 2021.

Source : Figure produite pour le Comité à partir de données tirées de : Statistique Canada, Tableau 14-10-0326-01, « Postes vacants, employés salariés, taux de postes vacants et moyenne du salaire horaire offert selon le secteur de l’industrie, données trimestrielles non désaisonnalisées » préparé à l’aide du Système de classification des industries de l’Amérique du Nord (SCIAN) codes 111 (cultures agricoles), 112 (élevage d’animaux et aquaculture), 311 (fabrication d’aliments), 445 (magasins d’alimentation), et 484 (transport par camions), du premier trimestre 2015 au quatrième trimestre 2021.

D’après les témoins, la pandémie a exacerbé les pénuries de main-d’œuvre en entraînant une hausse de l’absentéisme pour des raisons de maladie et le départ d’employés, qui ont choisi de quitter le secteur pour profiter de débouchés offrant un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et personnelle, notamment les emplois offrant la possibilité de travailler de la maison[30].

Dans son témoignage, M. Rosser a reconnu que la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur demeure « assez grave »; il a expliqué que le ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire travaille avec les autres ministères concernés et des intervenants externes afin de mettre au point une stratégie de main-d’œuvre pour le secteur agricole et agroalimentaire canadien.

Mme Wright a encouragé les représentants des ministères fédéraux à travailler avec des établissements d’enseignement, des associations sectorielles et d’autres parties intéressées afin d’établir un plan national à long terme sur la main-d’œuvre dans les secteurs de l’agriculture et de la fabrication des aliments, comme l’a fait récemment le gouvernement australien dans le cadre de sa National Agricultural Workforce Strategy.

Transformation des aliments et des boissons

Les pénuries de main-d’œuvre sont particulièrement criantes dans le secteur de la transformation des aliments et des boissons. Mme Sullivan a informé le Comité que le taux moyen de postes vacants dans le secteur était passé de 10 % avant la pandémie à 25 % aujourd’hui. Par contre, selon les données de Statistique Canada citées en Figure 3, le taux moyen de postes vacants pour toutes les industries canadiennes a augmenté de 3 % au quatrième trimestre de 2019 à 5,4 % au quatrième trimestre de 2021.

En raison de ces pénuries, les entreprises ont de la difficulté à élargir leurs activités et à atteindre leur plein potentiel économique, y compris les objectifs de croissance à long terme fixés pour les exportations agroalimentaires dans le rapport Barton et par la Table sectorielle de stratégies économiques de l’agroalimentaire. À titre d’exemple, M. Duval a indiqué que son entreprise avait exporté jusqu’à 25 % de sa production de viande non désossée en Amérique latine et en Asie aux fins de traitement en raison du manque de travailleurs au Canada, ce qui a permis à des entreprises à l’étranger de profiter d’occasions de transformation à valeur ajoutée qui auraient pu contribuer à l’atteinte des objectifs économiques fixés par le Canada pour le secteur.

Mme Ventin a parlé de l’importance, pour les entreprises de fabrication alimentaire, de mettre en place une « infrastructure humaine » ou d’appuyer davantage les travailleurs, en offrant par exemple des services de garde ou de transport. Mme Sullivan a rappelé que de nombreuses usines agroalimentaires sont situées dans des régions rurales ou éloignées où il n’y a pas de transport en commun, ajoutant que la pénurie de logements abordables à proximité de ces installations fait aussi obstacle au recrutement de personnel. Elle a expliqué qu’en réponse à ces problèmes, certaines entreprises offraient aux employés des services de navettes ou des logements subventionnés.

Mme Sullivan a également fait remarquer que la moyenne d’âge des travailleurs du secteur est relativement élevée, ce qui risque de causer d’autres pénuries au cours des 10 prochaines années. Elle a donné l’exemple de Maple Lodge Farms, une entreprise de transformation de la volaille dont le quart des employés atteindront l’âge de la retraite d’ici cinq ans.

Sensibilisation des jeunes aux débouchés dans le secteur agricole et agroalimentaire

Reprenant une recommandation formulée par le Comité dans son rapport de 2021 sur le renforcement de la capacité de transformation alimentaire au Canada, plusieurs témoins ont encouragé le secteur à multiplier ses activités de rayonnement afin de mieux se faire connaître et de susciter un intérêt auprès des travailleurs, plus particulièrement chez les jeunes.

Par exemple, M. Guy de la Chambre de commerce du Canada a souligné qu’il est nécessaire de mettre en place de manière précoce des « bassins de talents » et d’encourager les efforts visant à renseigner les enseignants sur le secteur et à aider les étudiants à prendre des décisions au sujet de leur carrière qui sont éclairées et prennent en compte les besoins économiques. Mme Wright a mentionné que son organisation avait récemment mené des activités dans des établissements de niveau postsecondaire afin d’encourager les étudiants dans des secteurs non traditionnels tels la biologie et les finances, de songer à des stages ou à des carrières dans le domaine de l’agriculture. Selon Pascal Thériault, agronome, économiste et directeur, Gestion et technologies d’entreprise agricole à l’Université McGill, il serait bon de faire des efforts pour sensibiliser davantage le public au secteur agroalimentaire pour qu’il en apprécie l’importance, surtout parmi les étudiants intéressés par des programmes non traditionnels, par exemple les sciences ou les métiers spécialisés :

Dès qu’on sort du milieu agricole type, on a une très mauvaise compréhension de ce qu’implique le secteur agroalimentaire et du niveau technologique de la production agroalimentaire. Les conseillers en orientation, par exemple, ne sont pas portés à orienter les jeunes dans ce secteur. Pourquoi former un biologiste plutôt qu’un agronome? On a besoin des deux, tout comme on a besoin de technologues et de diplômés d’études professionnelles, qui peuvent faire de la mécanique agricole au lieu de la mécanique comme telle. Le secteur agroalimentaire a longtemps été tenu pour acquis. Il faut réussir à faire la promotion de la spécificité agroalimentaire dans les programmes de formation.

Conducteurs de camions commerciaux

Le transport par camion joue un rôle important à toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement agroalimentaire canadienne. Les camionneurs livrent les intrants aux producteurs, transportent les produits bruts aux transformateurs et aux fournisseurs, et assurent la livraison des produits finaux aux détaillants canadiens et aux stations de transport dans le cas des produits destinés à l’exportation. Or, le secteur du transport par camion fait face à un taux de postes vacants élevé, et plusieurs témoins ont souligné que cette pénurie de main-d’œuvre est une importante source de perturbation des chaînes d’approvisionnement, entraînant notamment une augmentation des coûts de transports pour les producteurs et transformateurs du secteur agroalimentaire[31].

Ces pénuries étaient présentes avant la pandémie de COVID-19. Emploi et Développement social Canada (EDSC) a signalé que le taux de postes vacants dans le secteur était de 6,6 % en 2018, soit plus du double que le taux moyen observé à l’échelle nationale à ce moment. RH Camionnage Canada, un organisme sans but lucratif qui étudie les problèmes de main-d’œuvre dans l’industrie canadienne du camionnage, a indiqué que le taux de postes vacants au sein du secteur avait atteint 8,0 % au cours du troisième trimestre de 2021, et ce malgré le faible taux de chômage dans le secteur, ce qui donne à penser que l’industrie épuise rapidement le bassin de main-d’œuvre à sa disposition[32].

Dans son analyse, EDSC note que bien que la profession de chauffeur de camion soit relativement bien rémunérée, elle est peu attirante pour bien des Canadiens en raison de certaines des exigences qui s’y rattachent : journées de travail de 12 heures; longues périodes d’absence du domicile et règles strictes en matière de permis. Selon l’analyse, les pénuries de main-d’œuvre risquent de s’aggraver dans les prochaines années étant donné le nombre important de camionneurs qui atteindront l’âge de la retraite sous peu, sans compter que les jeunes camionneurs hésitent à les remplacer en raison des primes d’assurance élevées. Gary Sands, premier vice-président de la Fédération canadienne des épiciers indépendants, a ajouté que les coûts élevés des programmes de formation et des assurances empêchent les jeunes conducteurs de faire leur entrée dans l’industrie. Pour sa part, M. Lemaire a observé que même si la question des permis de conduire relève de la responsabilité des provinces et des territoires[33], le gouvernement fédéral devrait chercher des moyens d’aider ces administrations à recruter des camionneurs et à les convaincre de rester dans l’industrie.

Rick Bergmann a expliqué que son industrie connaît une pénurie de conducteurs formés dans le transport d’animaux vivants, ce qui a d’importantes conséquences tout au long de la chaîne d’approvisionnement. En effet, les éleveurs comptent sur les entreprises de transport et de logistique pour amener leur produit aux abattoirs, et le trajet est de plus en plus long vu la centralisation de ces installations. Toute interruption dans la livraison des animaux peut entraîner une réduction des prix à la ferme pour des animaux en surpoids et une augmentation des coûts pour les éleveurs, qui doivent nourrir les animaux plus longtemps que prévu.

M. Al Mussell a recommandé au Comité que l’industrie du camionnage, et le secteur de l’agroalimentaire en général, cesse de voir la main-d’œuvre comme un coût et adopte une approche axée sur la promotion et le recrutement des talents.

Recommandation 8

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada travaille avec les provinces et les territoires, en partenariat avec des intervenants du secteur agricole, de l’industrie et du marché du travail, afin d’élaborer une stratégie exhaustive en matière de main-d’œuvre agricole et agroalimentaire, comportant entre autres un examen et des prévisions concernant les besoins de main d’œuvre et une évaluation de la disponibilité de la main-d’œuvre et des compétences à court et à long terme. Cet examen doit tenir compte des pénuries constantes de travailleurs dans le secteur et considérer les éléments suivants, dans le respect des champs de compétence de chaque juridiction:

  • Veiller à ce que la main-d’œuvre agricole et agroalimentaire du Canada soit en mesure d’atteindre les objectifs commerciaux du secteur agroalimentaire ainsi que des objectifs touchant la sécurité et la souveraineté alimentaire, en particulier compte tenu des récents événements géopolitiques;
  • Attirer les jeunes vers le secteur agricole et agroalimentaire en accordant plus de fonds pour la formation des jeunes et la création d’emplois dans l’industrie, et en sensibilisant les étudiants canadiens à ces options;
  • Développer des mesures incitatives et d’autres stratégies pour maintenir en poste les travailleurs d’expérience, incluant un examen des programmes fédéraux de sécurité sociale pour assurer que les travailleurs ne sont pas pénalisés pour leur décision de rester sur le marché du travail au-delà de l’âge de la retraite;
  • Répondre aux problèmes de recrutement à long terme dans le secteur en le rendant plus attrayant pour les travailleurs canadiens, notamment en appuyant la création d’options d’hébergement près des installations de transformation pour les travailleurs à revenu faible ou moyen à l’aide de capitaux privés;
  • Évaluer le programme des travailleurs étrangers temporaires et les autres initiatives du gouvernement du Canada qui permettent le recrutement de travailleurs internationaux pour s'assurer qu'ils correspondent aux besoins à long terme du secteur;
  • Répondre aux pénuries de main-d’œuvre dans les secteurs liés aux industries de l’agriculture et de l’agroalimentaire, notamment les conducteurs de camions commerciaux;
  • Investir dans l’automatisation et les procédés visant à améliorer la production comme solutions partielles aux pénuries de main d’œuvre en s’assurant que la main-d’œuvre agricole et agroalimentaire dispose des compétences techniques nécessaires pour que le secteur reste efficace et innovant.

Infrastructure de transports

Corridors de transport

Comme l’a expliqué Mme Sullivan dans son témoignage, le secteur agroalimentaire a fait face, au cours des trois dernières années, à une série de perturbations qui a nui à la capacité des entreprises d’amener leurs produits sur le marché, notamment la grève du CN en 2019, les blocus ferroviaires en 2020, les inondations de 2021 en Colombie-Britannique et les blocus à l’hiver 2022 aux points frontaliers canado-américains.

Comme on l’a mentionné précédemment, les exploitants sont aussi confrontés à des goulots d’étranglement à l’échelle du pays, la plupart aux principaux points d’entrée et points frontaliers. M. Rosser a expliqué que le ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire travaillerait de concert avec le ministère des Transports afin de faire appel au Fonds national des corridors commerciaux pour établir une stratégie nationale relative à la chaîne d’approvisionnement qui permettra de régler les problèmes liés à l’engorgement du réseau de transport ainsi que d’améliorer l’efficacité et la fluidité dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement.

Les témoins ont bien accueilli cette proposition, mais plusieurs ont encouragé le gouvernement fédéral à ne pas s’en tenir à des considérations à court terme et à adopter une approche de planification à long terme en ce qui concerne l’infrastructure agroalimentaire. Murad Al-Katib, président de la Table sectorielle de stratégies économique pour l’agroalimentaire, a réitéré la recommandation de la Table, à savoir que toute décision relative à l’infrastructure doit être prise dans le but d’assurer la croissance économique à long terme du pays et non seulement pour réagir à des besoins immédiats ou à des goulots d’étranglement. M. Guy partageait ce point de vue, expliquant que le Canada accuse ce qu’il appelle un « déficit d’infrastructure » et qu’il doit regarder au-delà des lacunes existantes et tenir compte des besoins futurs de l’économie. Tel que discuté dans la section « Changement climatique » ci-dessous, plusieurs témoins ont aussi parlé de l’importance des investissements dans les infrastructures physiques aux fins d’adaptation au changement climatique.

Par ailleurs, plusieurs témoins ont indiqué que la production agricole et agroalimentaire canadienne devrait augmenter considérablement au cours des 10 prochaines années, précisant que l’infrastructure actuelle n’était peut-être pas en mesure d’absorber cette hausse. Dave Carey, vice-président des Relations avec le gouvernement et l’industrie de la Canadian Canola Growers Association, a déclaré que les agriculteurs ont besoin d’un réseau ferroviaire efficace et fiable pour transporter les cultures actuelles et les variétés futures, qui sont en cours de développement. Il a précisé que la fiabilité des transports est nécessaire pour accroître la confiance des consommateurs à l’égard des biens canadiens sur les marchés d’exportation, et à cet égard, il a encouragé la mise en œuvre des recommandations issues de l’examen de 2015 de la Loi sur les transports au Canada. Le rapport d’examen contient une série de recommandations sur un horizon de 20 à 30 ans visant à améliorer les systèmes de transport et à contribuer à la croissance de l’économie canadienne.

Recommandation 9

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada rende permanent le Fonds national des corridors commerciaux, afin de pouvoir mobiliser et attirer les investissements du secteur privé qui appuient directement la mise en œuvre d’une stratégie nationale relative à la chaîne d’approvisionnement, notamment l’établissement d’une infrastructure prévisible et fiable pour le transport des produits agricoles et agroalimentaires.

Plusieurs témoins ont indiqué qu’il faudrait améliorer les infrastructures portuaires pour faciliter le transport des marchandises des ports vers les marchés, notamment en élargissant la capacité des terminaux portuaires canadiens, en accélérant le chargement et le déchargement des produits à bord des navires (ce qui comprend les douanes) et en améliorant les connexions de transports intermodaux. Dans un mémoire soumis au Comité, l’Association des administration portuaires canadiennes a indiqué que les 17 administrations portuaires canadiennes ont obtenu 872 millions de dollars du Fonds national des corridors commerciaux (FNCC) depuis 2018 pour répondre à leurs besoins en infrastructures. Les investissements récents du FNCC dans les ports comprennent 5,5 millions de dollars pour l'autorité portuaire de Hamilton-Oshawa afin d'accroître sa capacité d'exportation de produits agroalimentaires et une amélioration de 76,9 millions de dollars du tunnel ferroviaire Thornton au port de Vancouver afin d'accroître la capacité de transport à son installation de la rive nord[34]. Le mémoire a aussi indiqué que les limites d’emprunt imposées par la loi et d’autres restrictions restreignent l’accès des autorités portuaires canadiennes à des capitaux privés pour les projets d’infrastructure portuaire.

M. Carey a décrit le peu d’options intermodales aux terminaux céréaliers de la rive nord du port de Vancouver – le plus grand terminal portuaire du Canada – d’où sont acheminées la grande majorité des récoltes de canola et d’autres céréales[35] :

La voie ferrée passe par un tunnel et un pont levant, les deux appartenant au chemin de fer, pour accéder aux quatre terminaux céréaliers de la rive Nord. Cet itinéraire dessert également les autres terminaux de produits en vrac, comme le soufre et le charbon. Il n’existe aucun autre itinéraire pour desservir ces terminaux en cas de perturbation du tunnel ou du pont.

Plusieurs témoins ont fait valoir à quel point il est compliqué de coordonner le transport des produits d’un mode de transport à un autre. Mark Hemmes, président de Quorum Corporation, a expliqué que les entreprises de transport ferroviaire n’offrent pas nécessairement la capacité de charge requise pour livrer les produits au port, ce qui entraîne des frais de surestaries (frais imposés lorsqu’il faut plus de temps que prévu pour charger ou décharger un wagon) et engorge les ports. M. Comeau a indiqué que son entreprise de l'île de Vancouver, qui dépend fortement des livraisons par chemin de fer des grains de la Colombie-Britannique continentale, s’est vue dernièrement imposée des frais surestaries allant jusqu’à 5 500 $ en un mois. M. Campbell, a signalé que ces frais (qui peuvent varier de 25 000 $ à 35 000 $ par jour) finissent par être assumés par les producteurs puisqu’ils se voient imposer des taux plus élevés pour le transport de leurs produits. Il a recommandé que l’on améliore la coordination entre les chemins de fer et les entreprises de transport maritime, et qu’on envisage la possibilité d’imposer des amendes aux transporteurs ferroviaires de classe 1 qui ne respectent pas leurs engagements à l’égard des plans de transport des céréales exigés par la loi fédérale[36].

Certes, les retards liés au transport et aux douanes ont des répercussions négatives pour tous les secteurs, mais la situation est pire pour les secteurs faisant le commerce de denrées périssables, comme la viande, les fruits et les légumes. Dans son mémoire, l’ACDFL a recommandé que l’on investisse davantage dans l’infrastructure de la chaîne du froid, notamment en assurant l’accès à des conteneurs réfrigérés dans les ports. Dans son témoignage, M. Lemaire a également demandé que l’on procède plus rapidement à l’inspection et au traitement de produits périssables dans les ports. Pour sa part, M. Bergmann du Conseil canadien du porc, a également demandé que l’on traite plus rapidement les produits à délai de livraison critique, comme les viandes, dans les ports et que ces produits bénéficient de la même exemption que les navires céréaliers en cas de grève dans les ports en vertu du Code canadien du travail. M. Hemmes a expliqué que les chemins de fer mettent parfois des mois à se remettre des perturbations imprévues, comme dans le cas des inondations survenues en Colombie‑Britannique en novembre 2021 et des perturbations telles que les grèves et les barrages.

M. Al-Katib a recommandé une évaluation à grande échelle des options de transport dans le but de veiller à ce que les produits puissent être acheminés vers les marchés par le réseau le mieux équipé pour le faire en toute sécurité. Il a ajouté qu’il faut prendre soin de distinguer entre les systèmes assurant le transport de marchandises en vrac et ceux qui transportent des produits périssables de qualité supérieure, résumant comme suit la situation : « Nous devons transporter dans les pipelines les produits qui doivent passer par des pipelines et par train ceux qui doivent être acheminés par train. »

Recommandation 10

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada veille à ce que les compagnies ferroviaires canadiennes disposent d'une capacité et d'une résilience suffisantes pour transporter les denrées périssables, notamment les fruits et légumes et les viandes, en toute sécurité et de manière ponctuelle.

Commissaire à la chaîne d’approvisionnement

En janvier 2022, le gouvernement fédéral a tenu un Sommet national sur la chaîne d’approvisionnement auquel ont participé des représentants des ministères fédéraux des Transports et de l’Agriculture et des intervenants du secteur agroalimentaire. À cette occasion, le gouvernement a annoncé la création d’un Groupe de travail national sur la chaîne d’approvisionnement chargé d’examiner la situation des chaînes d’approvisionnement au Canada et de recommander des mesures à court et à long terme pour en améliorer l’efficacité. Les témoins étaient en général heureux de la formation de ce groupe de travail, mais certains ont recommandé au gouvernement de nommer un commissaire à la chaîne d’approvisionnement[37] qui pourrait convoquer des intervenants et rendre des décisions exécutoires au lieu de simplement formuler des observations et des recommandations.

Plusieurs témoins ont donné en exemple le poste de commissaire des ports des États‑Unis, qui a été créé en août 2021 par le groupe de travail de ce pays chargé d’examiner les perturbations touchant la chaîne d’approvisionnement. Selon M. Northey, le titulaire de ce poste, John D. Porcari, a pu améliorer de façon tangible le rendement des ports et le mouvement des conteneurs aux États-Unis. Lors d’une conférence de presse tenue en janvier 2022, M. Porcari a indiqué que, entre autres accomplissements, le groupe de travail étatsunien a contribué à réduire de 40 % la quantité de conteneurs aux ports de Los Angeles et de Long Beach ainsi qu’à augmenter la capacité pour les exportations agricoles au Port d’Oakland[38]. Selon Rebecca Lee du Conseil canadien de l’horticulture, bon nombre des problèmes affligeant les chaînes d’approvisionnement touchent à différents domaines de compétence fédérale, et il faut donc qu’une personne puisse coordonner l’approche à l’échelle du gouvernement :

Si l’on considère par exemple la congestion des ports, le transport des marchandises et l’accès à la main-d’œuvre, ce sont des problèmes très complexes qui concernent plusieurs ministères. Dans le cas qui nous occupe, nous avons vraiment besoin d’une collaboration entre plusieurs ministères, et il faut qu’une personne dirige les activités pour que tout soit en place, que l’on prenne de bonnes mesures et, comme vous l’avez souligné, que nous trouvions une solution à ce problème. Ce serait très important.

Recommandation 11

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada, de concert avec les intervenants du secteur agricole et agroalimentaire, les provinces et les territoires et dans le respect des compétences de ces dernières :

  • Se penche à nouveau sur les recommandations issues de l’examen de 2015 de la Loi sur les transports au Canada et qu’il élabore, une stratégie nationale relative à la chaîne d’approvisionnement axée sur les résultats et fondée sur des données probantes pour réduire la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement en cas de grève, de problèmes de capacité, d’événements climatiques, y compris de catastrophes naturelles;
  • Nomme un commissaire à la chaîne d’approvisionnement ou désigne un ministre qui serait chargé de diriger le groupe de travail mixte de l’industrie et du gouvernement afin de trouver des solutions immédiates aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement, notamment celles touchant le transport par conteneurs.

Innovation, durabilité et nouvelles technologies

L’automatisation pour réduire la dépendance à la main-d’œuvre

En guise de solution à long terme aux pénuries de main-d’œuvre et pour améliorer la productivité dans le secteur, certains intervenants ont proposé que les entreprises agroalimentaires recourent davantage aux technologies d’automatisation. De façon générale, les témoins étaient d’accord à l’idée de faire appel à l’automatisation et à la robotique pour remédier au problème des postes vacants, mais ils ont ajouté que la technologie ne peut à elle seule régler le problème.

Dans son rapport de 2017, la Table sectorielle de stratégies économique pour l’agroalimentaire a fait remarquer que les investissements dans les machines et le matériel pour la production d’aliments, exprimées en pourcentage des ventes, ont chuté de presque la moitié, et sont passées de 2,3 % en 1998, à 1,2 % en 2016. Les dépenses du secteur agroalimentaire canadien en recherche et développement (R-D) sont aussi à la traîne derrière d'autres pays compétiteurs : les É.-U. et la France consacrent chacun 0,6 % de leurs ventes totales aux dépenses en R-D, alors que le Canada n'y consacre que 0,2 %. Selon les données d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, au cours des 30 dernières années, l’industrie de la transformation des aliments a affiché une croissance annuelle moyenne de la productivité de 0,2% alors qu’elle est de 0,5% pour l’ensemble du secteur manufacturier[39]. Parmi ses recommandations, la Table sectorielle de stratégies économique pour l’agroalimentaire a demandé aux transformateurs canadiens d’aliments d’accroitre de 50 % ses dépenses d’immobilisations pour chaque dollar de vente du secteur d’ici 2025.

Selon M. Thériault, bien que l’automatisation soit « probablement la meilleure façon » de composer avec la pénurie de main-d’œuvre et qu’elle offre une solution vraisemblablement plus économique à long terme que l’embauche d’employés, la mise en œuvre de ces technologies coûtera très cher, et ce ne sont pas toutes les entreprises qui en ont les moyens. De même, M. Duval a fait remarquer que l’automatisation, bien qu’importante, était un processus « long et coûteux ». Mme MacKinnon a ajouté que bien qu’elles fassent partie intégrante de la stratégie de main‑d’œuvre à long terme de l’industrie, ces technologies sont coûteuses, soulignant que les entreprises ne peuvent donc envisager leur adoption à court terme, car leur situation est trop volatile :

Il est difficile pour les membres de notre industrie d’envisager la robotisation et l’innovation. Ils aimeraient pouvoir le faire… car cela aiderait à régler le problème de main-d’œuvre. Par contre, on ne peut pas demander à ces entreprises d’investir temps et ressources dans la recherche et l’innovation quand elles ne savent même pas, certaines journées, si elles pourront ou non faire fonctionner la production, car il pourrait manquer d’employés pour effectuer un quart de travail. Une fois que la main-d’œuvre sera stable et solide, une fois qu’il n’y aura plus de hauts et de bas aussi marqués que ceux que nous avons vécus au cours des deux dernières années, nous pourrons envisager des solutions à long terme en matière de robotisation.

Certains témoins ont expliqué que la robotique ne peut pas toujours remplacer la main d’œuvre. M. Al-Katib a été plus loin en disant que la main-d’œuvre demeurera un problème pour le secteur lorsque les transformateurs investiront dans de nouvelles technologies ayant pour effet d’accroître leur productivité. M. Duval a indiqué que la robotisation ne suffira pas à résoudre le problème et qu’il y aurait toujours besoin d’ « un minimum de main-d'œuvre » disponible. Certains témoins ont précisé qu’avec l’adoption de nouvelles technologies, les entreprises auront besoin d’un autre genre de main-d’œuvre, soit des personnes qui possèdent les compétences techniques pour faire fonctionner et entretenir les nouveaux systèmes. Comme l’a expliqué Quinton Woods, président du Comité du commerce et de la mise en marché du Conseil canadien de l’horticulture, l’automatisation au sein de son industrie a eu pour effet de créer des besoins de main‑d’œuvre dans d’autres secteurs :

On voit beaucoup d’innovation dans ce secteur d’un océan à l’autre, que ce soit dans l’industrie serricole de Leamington, en Ontario, ou chez les producteurs de pommes de terre de l'Île‑du‑Prince-Édouard, du Québec et de l'Ontario. Les producteurs innovent en automatisant, en installant des systèmes de classification par caméra et en réduisant leurs effectifs, mais tout cela présente de grandes difficultés, car il s'agit de méthodes et de technologies de production nouvelles et émergentes. Nous n'avons pas l'expertise nécessaire pour maintenir et entretenir ces systèmes. C'est donc une lutte continuelle pour passer d'une main-d'œuvre manuelle à un processus exigeant des ingénieurs [et] mécaniciens industriels [.]

Nouvelles technologies de gestion et de surveillance de la chaîne d’approvisionnement

Plusieurs témoins ont signalé qu’il y a un manque de données en temps réel sur la chaîne d’approvisionnement, ce qui limite la capacité des participants à rajuster le tir en cas d’imprévus liés à des facteurs externes. M. Hemmes a expliqué qu’il y a très peu de données canadiennes sur les mouvements des conteneurs, et que les données ne sont disponibles que six mois après que les conteneurs aient quitté le port, de sorte que l’on ne peut observer ou évaluer les perturbations de la chaîne d’approvisionnement que bien après qu’elles se soient matérialisées.

Dans un mémoire au Comité, l’ACDFL a demandé que l’on améliore la collecte des données et la transparence en ce qui concerne les mouvements de cargaison dans les ports. Elle y donne l’exemple du projet sur la chaîne de bloc en cours au port de Vancouver, une innovation dans le domaine qui permet de mieux retracer les marchandises et d'en faire le suivi tout au long de la chaîne d’approvisionnement.

Serge Buy, président-directeur général du Conseil de l’innovation agroalimentaire, a fait remarquer que les nouvelles technologies jouent un rôle important en aidant la chaîne d’approvisionnement agroalimentaire à adapter la logistique en fonction des conditions météorologiques imprévisibles. Expliquant que la logistique actuelle repose sur des modèles de transport désuets, il a ajouté que les nouvelles technologies, comme l’informatique quantique, pourraient proposer aux entreprises de nouveaux itinéraires de transport en cas de catastrophes naturelles, par exemple. Il a toutefois signalé que des obstacles nuisent à la mise en œuvre de ces technologies sur une grande échelle, notamment la difficulté d’obtenir des fonds initiaux pour leur adoption et le manque d’accès à des services Internet à large bande dans les régions rurales.

M. Mussell a aussi parlé de l’importance pour les gouvernements d’établir leurs propres systèmes de surveillance et indicateurs de la chaîne d’approvisionnement, étant d’avis que les mécanismes présentement utilisés par le secteur privé ne sont pas à la hauteur en cas de « rajustements soudains et marqués causés par des conditions climatiques extrêmes » et autres perturbations.

Recommandation 12

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada travaille avec les provinces, les territoires et l’industrie pour améliorer la transparence et la surveillance du transport par conteneurs, et plus précisément de recueillir et échanger des données à court terme sur la capacité, les mouvements et l’efficacité des conteneurs transportées par camion ou train vers les ports et les navires porte-conteneurs, comme il l’a fait dans le cadre de partenariats formés dans le but de surveiller le transport des grains, et ce afin d’accroître la compétitivité de la chaîne d’approvisionnement agricole et agroalimentaire.

Concentration des marchés et concurrence

Concentration dans le secteur des transports maritimes

Plusieurs témoins ont soulevé la question de la concentration dans le secteur des transports maritimes, expliquant que la conglomération de la propriété dans le secteur du transport maritime internationl limite la concurrence et empêche les entreprises canadiennes d’accroître leurs exportations.

Selon le Forum international des transports, les compagnies de transport maritime ont conclu, dans les années 1990, des ententes de services communes afin d’élargir leur territoire géographique et d’améliorer la prestation de services, et ce en convenant d’offrir des liaisons régulières sur les routes commerciales[40]. Au fil du temps, certains transporteurs maritimes ont élargi leur part du marché, et en 2018, quatre grandes entreprises accaparaient 60 % du marché mondial du transport maritime de conteneurs. Par suite de cette consolidation renforcée, trois grandes alliances maritimes (2M, Ocean et THE Alliance) contrôlent 80 % du commerce mondial par conteneurs et compte pour 95 % de la capacité totale des routes maritimes est-ouest[41].

Les témoins ont expliqué que la situation mondiale a d’importantes conséquences sur la chaîne d’approvisionnement agricole et agroalimentaire canadienne. Par exemple, M. Innes, a expliqué qu’une seule entreprise contrôlait 70 % de la part de l’offre de conteneurs dans le Port de Montréal, laissant aux exportateurs de produits agroalimentaires peu de choix dans le cadre de la crise récente de conteneurs maritimes.

M. Northey a expliqué que la Loi dérogatoire de 1987 sur les conférences maritimes exonère les transporteurs maritimes de certaines dispositions de Loi sur la concurrence, ce qui laisse les fournisseurs canadiens avec peu de recours en cas de pratiques déloyales. M. Northey a souligné que la situation préoccupait de nombreux pays et a ajouté que la Nouvelle-Zélande avait récemment mis en place un nouveau régime de concurrence s’appliquant aux ententes internationales de transport maritime. Pour sa part, M. Northey a recommandé que le gouvernement fédéral abroge la Loi dérogatoire de 1987 sur les conférences maritimes et qu’il soumette les conférences maritimes à la Loi sur la concurrence.

M. Northey et M. Innes ont tous les deux demandé que le ministre des Transports utilise le pouvoir que lui confère l’article 49 de la Loi sur les transports au Canada pour ordonner la tenue d’une enquête sur les conteneurs maritimes afin de mieux comprendre les causes des perturbations actuelles dans ce secteur et pour éclairer les efforts que doit déployer le Canada pour mieux réglementer ce secteur.

Recommandation 13

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada examine la question de la concentration au sein de l’industrie du transport maritime international et qu’il prenne les mesures nécessaires pour assurer la disponibilité de conteneurs dans les ports pour les produits agricoles, notamment en utilisant l’article 49 de la Loi sur les transports au Canada. Le gouvernement du Canada devrait également revoir son cadre juridique pour les compagnies maritimes internationales, notamment l’exemption de certaines dispositions de la Loi sur la concurrence.

Code de conduite des épiceries

En 2021, dans son rapport sur la capacité de transformation alimentaire au Canada, le Comité a adopté une recommandation invitant le gouvernement à travailler avec les gouvernements provinciaux et territoriaux et les représentants du secteur privé afin d’établir un code de conduite pour les épiceries. Le Comité était d’avis qu’un tel code contribuerait à accroître la transparence et à assurer l’équité tout au long de la chaîne d’approvisionnement pour les producteurs, les fournisseurs, les détaillants et les consommateurs. Plusieurs témoins ayant participé à la présente étude font partie du groupe de travail chargé d’élaborer ce code et ont décrit les travaux en cours[42].

Plusieurs témoins à l’étude en cours ont réitéré qu’un tel code était important, expliquant que les fournisseurs, qui font face à des perturbations de la chaîne d’approvisionnement auxquelles ils ne peuvent rien, continuent de se voir imposer des frais punitifs par les détaillants. Mme Ventin a indiqué qu’un récent sondage mené auprès des membres de son organisation avait révélé une hausse de 25 % des amendes imposées par les détaillants. Elle a présenté le point de vue de son organisation, à savoir qu’un code de conduite « d’application obligatoire » pour les épiceries permettrait de rétablir l’équilibre entre, d’une part, les producteurs et les transformateurs, et d’autre part, les détaillants.

Recommandation 14

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada veille à ce que le groupe de travail mixte mène à bien ses efforts en vue d’établir un code de conduite efficace pour le secteur des épiceries du Canada obligatoire, applicable et administré de façon aussi cohérente que possible à travers le pays dans le respect de la compétence des provinces et des territoires dans ce domaine.

Changement climatique

La question du changement climatique a été soulevée à maintes reprises pendant l’étude, et les témoins ont insisté sur l’importance d’adapter la chaîne d’approvisionnement et l’infrastructure sur laquelle elle repose pour en assurer la résilience face au changement climatique, en particulier l’augmentation prévue du nombre de catastrophes naturelles. Certains témoins ont proposé des mesures à prendre par le secteur pour réduire les émissions associées aux longues chaînes d’approvisionnement afin d’atténuer les effets du changement climatique.

Atténuation des effets du changement climatique

Chaînes d’approvisionnement régionales

Katie Ward, présidente de l’Union des fermiers, a fait remarquer que l’on pourrait renforcer la résilience du système alimentaire, créer des emplois en régions rurales, s’adapter au changement climatique et en atténuer les effets si l’on augmentait le nombre d’installations de transformation locales. Dans son rapport de 2021 sur la capacité de transformation, le Comité a recommandé au gouvernement fédéral d’accorder plus de fonds et d’autres formes de soutien afin d’appuyer les initiatives alimentaires locales afin de combler les lacunes au sein des chaînes d’approvisionnement traditionnelles et d’incorporer des redondances dans les systèmes alimentaires. Comme l’a indiqué le Comité dans ce rapport, si les agriculteurs ont des options locales, ils n’auront pas à parcourir d’aussi longues distances pour amener leurs produits sur le marché, ce qui réduira les émissions de gaz à effet de serre liées à leurs produits et assurera une plus grande sécurité alimentaire à l’échelle locale en cas de perturbations de la chaîne d’approvisionnement.

Toujours dans son rapport de 2021, le Comité a présenté un exemple concret de la concentration du marché : la chaîne d’approvisionnement canadienne en bœuf. Comme l’explique Statistique Canada, trois usines de transformation (celle de JBS à Brooks, en Alberta, et les usines Cargill à High River, en Alberta, et à Guelph, en Ontario) représentent plus de 85 % de la capacité de transformation du Canada. Comme des témoins l’ont indiqué dans le cadre de l’étude sur la capacité de transformation, cette forte concentration de la transformation du bœuf peut causer de graves problèmes le long de la chaîne d’approvisionnement pour les producteurs et les consommateurs si une seule usine réduit ou interrompt sa production, comme ont dû le faire celles de Cargill à High River, en Alberta[43] et à Guelph, en Ontario[44] à la suite d’éclosions internes de cas de COVID en 2020.

M. Thériault a expliqué que la consolidation, comme celle dans l’industrie du bœuf, procure des avantages pour les entreprises, qui peuvent effectuer des économies d’échelles, leur permettant ainsi de mieux faire concurrence sur les marchés internationaux. Or, M. Thériault a ajouté qu’il y a place pour la commercialisation à « circuits courts » dans le secteur de la transformation de la viande et d’autres, surtout lorsqu'il s’agit de répondre à l’augmentation de la demande des consommateurs pour des produits alimentaires locaux.

M. Mussell a également convenu que de petites usines de transformation pourraient contribuer à accroître la capacité pour les producteurs et répondre à la demande des marchés de créneaux à laquelle les grandes entreprises ne peuvent pas satisfaire. Il a toutefois précisé que de telles usines ne sont pas une « panacée », car elles entraînent une réduction « importante » des gains en efficacité et peuvent avoir des difficultés liées à la réglementation et à la mise en marché.

Les difficultés auxquelles font face les petites et moyennes entreprises de transformation de viande incluent les barrières interprovinciales au commerce des produits agricoles et agroalimentaires. Le Règlement sur la salubrité des aliments au Canada oblige que les produits de viande destinés à la vente interprovinciale ou internationale soient transformés dans un établissement agréé par le gouvernement fédéral. En mai 2020, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a annoncé une exemption ministérielle temporaire à cette obligation pour permettre aux grossistes et aux détaillants alimentaires canadiens qui connaissent une pénurie de produits carnés de les acheter des transformateurs agrés par les gouvernements provinciaux et territoriaux dans d’autres provinces et territoires. Comme plusieurs témoins ont expliqué lors de l’étude du Comité sur la capacité canadienne de transformation alimentaire, les différences entre les normes provinciales et fédérales font en sorte qu’il est difficile pour les petites et moyennes entreprises de transformation provinciales d’étendre leurs activités à l’échelle nationale ou internationale, et parfois même de garder leurs portes ouvertes[45].

Recommandation 15

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada renforce la sécurité alimentaire et atténue les risques associés aux longues chaînes d’approvisionnement en soutenant les réseaux alimentaires locaux et encourage la mise en place de programmes et l’octroi de fonds à des fins précises dans le prochain cadre stratégique pour l’agriculture (2023-2028) visant à diversifier et à renforcer les infrastructures alimentaires régionales et les usines de transformation régionales, notamment les petits abattoirs, afin de soutenir les chaînes d’approvisionnement en place. Le gouvernement fédéral devrait également examiner l’harmonisation des normes sanitaires et de salubrité alimentaire fédérales et provinciales et travailler à la reconnaissance mutuelle de ces normes entre les différentes juridictions pour les usines de transformation alimentaire.

Adaptation au climat

Infrastructure rurale

Dans leur rapport de 2018, les Tables sectorielles de stratégies économiques signalaient que des investissements dans les infrastructures physiques sont essentiels aux fins d’adaptation au changement climatique et d’atténuation de ses effets. Bob Lowe, président de la Canadian Cattlemen's Association, a décrit les effets que pourraient avoir le changement climatique et les catastrophes naturelles sur les infrastructures rurales :

Par ailleurs, pour assurer notre succès à long terme, il faut investir dans les corridors de transport, de sorte que les routes, les chemins de fer, les ports, etc., puissent résister aux phénomènes météorologiques violents. Il faut les entretenir et les prémunir contre les changements climatiques, au moyen notamment de mesures de prévention, comme des digues, et de redondance, comme des routes de contournement. De plus, l’ensemble de la communauté doit accorder la priorité aux infrastructures rurales et investir dans celles‑ci, car une grande partie du PIB du Canada en dépend. Nous recommandons d’investir dans les infrastructures rurales essentielles, y compris les systèmes d’irrigation, les routes, les ponts et les structures d’atténuation des inondations, ainsi que dans l’expansion de l’accès fiable et abordable à Internet à large bande en milieu rural.

Selon M. Lambert les « événements liés aux changements climatiques » sont les principales causes des perturbations de la chaîne d’approvisionnement dans son secteur; en plus d’être plus fréquents, ces événements ont causé beaucoup plus de dommages au cours des dernières années. M. Lambert a demandé que le gouvernement fédéral accorde aux producteurs plus d’argent pour les aider à se préparer à ces événements et pour renforcer l’infrastructure sur laquelle ils comptent pour apporter leurs produits sur le marché. Mme Ward a souligné que la crise du climat continuera de perturber la production et l’infrastructure. Elle a donné l’exemple de la sécheresse de 2021 dans les provinces des Prairies et des inondations récentes en Colombie-Britannique et dans les provinces de l’Atlantique, qu’elle voit comme un signe que « l’adaptation n’est plus une question de choix ».

M. Al-Katib a rappelé qu’il est important d’élargir l’infrastructure numérique dans les régions rurales du Canada, estimant que le secteur agricole doit avoir l’accès à la large bande pour assurer « la croissance de notre économie ». Comme on l’a déjà indiqué, M. Buy du Conseil de l’innovation agroalimentaire a fait valoir que l’absence de services à large bande dans les régions rurales est un obstacle à l’adoption de technologies novatrices pour les producteurs et transformateurs d’aliments.

Recommandation 16

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada aide les participants aux chaînes d’approvisionnement agricoles et agroalimentaires situés dans des régions rurales à s’adapter à l’augmentation prévue des événements météorologiques extrêmes liés au changement climatique en investissant dans les infrastructures essentielles, y compris les systèmes d’irrigation, les routes, les ponts, les mesures d’atténuation des inondations, ainsi que l’expansion des services à large bande et des services de téléphonie cellulaires fiables et abordables en coopération avec les gouvernements des provinces et des territoires.

Appuyer l’innovation

M. Al-Katib a expliqué qu’une planification à long terme est nécessaire en raison de l’imprévisibilité des systèmes climatiques et des effets du climat sur les infrastructures et la croissance des récoltes. Il a fait remarquer que les récoltes canadiennes pourraient augmenter considérablement au cours des années à venir et qu’il faudra accroître en conséquence la capacité en ce qui concerne les infrastructures. Chris Davison, vice‑président des Relations avec les intervenants et l’industrie au sein du Conseil canadien du canola, a fait remarquer qu’il est important d’investir dans la recherche sur les récoltes pour s’assurer que le canola et d’autres produits puissent résister au changement climatique et pour faire face à d’autres problèmes liés à la production.

M. Buy a recommandé que le Canada investisse dans l’innovation, comme l’agriculture verticale, en mettant l’accent sur la culture de produits, notamment de fruits et de légumes, qui sont habituellement importés. Il a expliqué que si on améliorait la capacité de suffire à la demande pour ces aliments ici au pays, les Canadiens pourraient continuer à bien manger en cas de perturbations des chaînes d’approvisionnement. M. Buy a d’ailleurs encouragé le gouvernement à adopter une approche « proactive » à l’égard de ses possibilités d’innovation.

Recommandation 17

Le Comité recommande que le gouvernement du Canada s’efforce de réduire les impacts environnementaux et de renforcer la résilience climatique lorsqu’il cherche des solutions aux problèmes touchant la chaîne d’approvisionnement agricole et agroalimentaire.

Conclusion

Tout au long de l’étude, les témoins que le Comité a entendus ont réitéré leur confiance dans la robustesse de la chaîne d’approvisionnement alimentaire canadienne. Ils ont toutefois mis en avant ses vulnérabilités et appelé le gouvernement fédéral à apporter rapidement son soutien pour faire face aux perturbations actuelles, mais aussi à mettre en place les outils qui renforceront sa résilience pour les années à venir. La pénurie de main-d'œuvre est revenue comme l'une des principales préoccupations soulevées par les parties prenantes et nécessitera des actions immédiates, telles que l'amélioration du programme des travailleurs étrangers temporaires, ainsi qu'une stratégie à long terme pour permettre au secteur de s'adapter à une main-d'œuvre en évolution, notamment en aidant les entreprises à innover pour faire face à ces défis. De la même manière, les enjeux reliés au transport requièrent des actions rapides, notamment pour faire face à la pénurie de conteneurs et aux retards dans les ports, mais également des solutions à long terme afin de rendre les infrastructures de transport résilientes aux futures crises, notamment aux enjeux posés par le changement climatique et pour s’assurer que le secteur des transports demeure compétitif et que les infrastructures sont adéquatement maintenues.


[1]              Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire [AGRI], TémoignagesAl Mussell (directeur de recherche, Institut canadien des politiques agroalimentaires, à titre personnel).

[2]              AGRI, Témoignages, David Duval (président, Les Éleveurs de porcs du Québec).

[3]              AGRI, TémoignagesKathleen Sullivan (présidente-directrice générale, Aliments et boissons Canada) et Marie‑France MacKinnon (vice-présidente, Affaires publiques et communications, Conseil des viandes du Canada).

[4]              Cabinet du ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec, Pandémie de la COVID-19 - Le gouvernement du Québec investit 45 millions de dollars pour appuyer le recrutement de travailleurs agricoles, communiqué de presse, 17 avril 2020.

[5]              Gouvernement du Canada, « Projet pilote d'une durée d'emploi de deux ans destinés aux employeurs dans le secteur de la transformation de la viande », Exigences du Programme pour les postes à bas salaire.

[6]              AGRI, Témoignages, Robin Guy (directeur principal, Transport, infrastructure et politique réglementaire, Chambre de commerce du Canada) et Carla Ventin (vice-présidente principale, Relations gouvernementales, Produits alimentaires, de santé et de consommation du Canada).

[7]              Gouvernement du Québec, Ententes entre Québec et Ottawa pour favoriser la venue et l'embauche de travailleurs étrangers temporaires, Communiqué, 6 août 2021.

[8]              AGRI, TémoignagesJean-Michel Laurin (président et chef de la direction, Conseil canadien des transformateurs d'œufs et de volailles), Kathleen Sullivan (Aliments et boissons Canada) et Marie-France McKinnon (Conseil des viandes du Canada).

[9]              AGRI, TémoignagesCarla Ventin (Produits alimentaires, de santé et de consommation du Canada) et Ian McFall (président du conseil d'administration, Conseil canadien des transformateurs d'œufs et de volailles).

[10]            AGRI, Mémoire au Comité permanent de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes, Mémoire soumis conjointement par Alimentation et Boissons Atlantique, Alimentation et Boissons Canada, Association canadienne de la boulangerie, Association canadienne de la distribution de fruits et légumes, BC Food and Beverage, Conseil canadien des pêches, Conseil canadien des transformateurs d'œufs et de volailles, Conseil de la transformation alimentaire du Québec, Conseil des viandes du Canada, Food and Beverage Manitoba et Food and Beverage Ontario, 8 mars 2022.

[12]            AGRI, TémoignagesMartin Caron (président général, Union des producteurs agricoles [UPA]).

[13]            AGRI, TémoignagesJason McLinton (vice-président, Division alimentation et affaires réglementaires, Conseil canadien du commerce de détail).

[14]            AGRI, TémoignagesDennis Comeau (directeur général, Top Shelf Feeds Inc.).

[15]            AGRI, TémoignagesBill Campbell (président, Keystone Agricultural Producers).

[16]            AGRI, Témoignages, Rick Bergmann (Conseil canadien du porc) et James Bekkering (président du conseil d'administration, Association nationale des engraisseurs de bovins).

[17]            AGRI, TémoignagesClyde Graham (vice-président exécutif, Fertilisants Canada).

[18]            AGRI, TémoignagesAl Mussell (directeur de recherche, Institut canadien des politiques agroalimentaires, à titre personnel).

[19]            AGRI, TémoignagesClyde Graham (Fertilisants Canada) et Catherine Lefebvre (Association des producteurs maraîchers du Québec).

[20]            Gouvernement du Canada, Le Canada retire la Russie et le Bélarus du traitement tarifaire de la nation la plus favorisée, Communiqué, 3 mars 2022.

[21]            Gouvernement du Canada, Données sur le commerce en direct.

[22]            AGRI, Témoignages, Martin Caron (UPA), Tim Lambert (chef de la direction, Producteurs d'œufs du Canada) et Catherine Lefebvre (Association des producteurs maraîchers du Québec).

[24]            Simon Richards, Bashar Abu Taleb et Offah Obale, « La pandémie de COVID-19, les chaînes d’approvisionnement mondiales et le traitement des vulnérabilités », Notes de la Colline, Bibliothèque du Parlement, 15 décembre 2021.

[25]            AGRI, Témoignages, Brian Bilkes (président, Producteurs d'œufs d'incubation du Canada) Rick Bergmann (Conseil canadien du porc) et James Bekkering (président du conseil d'administration, Association nationale des engraisseurs de bovins).

[26]            AGRI, Témoignages, Brian Bilkes (président, Producteurs d'œufs d'incubation du Canada) et Guy Milette (président du conseil d'administration, Association canadienne de la distribution de fruits et légumes [ACDFL]).

[27]            AGRI, Témoignages, Guy Milette (ADFL).

[28]            AGRI, Témoignages, Brian Bilkes (président, Producteurs d'œufs d'incubation du Canada), James Bekkering (Association nationale des engraisseurs de bovins) et Gary Sands (premier vice-président, Fédération canadienne des épiciers indépendants).

[29]            AGRI, Témoignages, Robin Guy (directeur principal, Chambre de commerce du Canada), Fawn Jackson (directrice, Politique et affaires internationales, Canadian Cattlemen's Association) et Janice Tranberg (présidente et chef de la direction, Association nationale des engraisseurs de bovins).

[30]            AGRI, Témoignages, Jean-Michel Laurin (Conseil canadien des transformateurs d’œufs et de volaille), Roger Pelissero (président, Producteurs d’œufs du Canada), Murad Al-Katib (président, Tables sectorielles de stratégies économiques – pour l’agroalimentaire, ministère de l’Industrie).

[31]            AGRI, Témoignages, Rick Bergmann (Conseil canadien du porc), Guy Milette (Association canadienne de la distribution de fruits et légumes), Catherine Lefebvre (Association des producteurs maraîchers du Québec), Robin Guy (Chambre de commerce du Canada) et Dennis Comeau (directeur général, Top Shelf Feeds Inc.).

[32]            Trucking HR Canada, Labour Market Snapshot: January 2022 [disponible en anglais seulement].

[33]            Bien que le ministre fédéral des transports soit responsable de la réglementation du transport interprovincial, la Loi sur les transports routiers délègue aux gouvernements provinciaux et territoriaux la responsabilité de la réglementation de la conduite et de l’utilisation des véhicules, y compris la législation et l’application des exigences relatives à l’obtention d’un permis de conduire commercial.

[35]            Statistique Canada, Inondations et glissements de terrain en Colombie-Britannique : Mesure des coûts, 25 novembre 2021.

[36]            En vertu de la Loi sur la modernisation des transports, les deux chemins de fer nationaux du Canada sont tenus de soumettre des rapports semestriels au ministre des Transports avant le 31 juillet et le 1er octobre de chaque année. Ces rapports doivent décrire en détail comment ils entendent assurer le transport des produits céréaliers pour la saison à venir.

[37]            AGRI, Témoignages, Ron Lemaire (président, ACDFL), Catherine Lefebvre (Association des producteurs maraîchers du Québec), Greg Northey (vice-président, Affaires générales, Pulse Canada), Rebecca Lee (Conseil canadien de l’horticulture), Quinton Woods (président, Comité du commerce et de la mise en marché, Conseil canadien de l’horticulture), Steve Pratte (vice-président, Relations avec le gouvernement et l’industrie, Canadian Canola Growers Association), Brian Innes (directeur général, Soy Canada).

[38]            The White House, Press Briefing by Press Secretary Jen Psaki and Port Envoy to the White House Supply Chain Task Force John Porcari, 5 janvier 2022. [disponible en anglais seulement].

[39]            Agriculture et Agroalimentaire Canada, Vue d'ensemble du système agricole et agroalimentaire canadien 2017, page 94.

[40]            International Transport Forum, The Impact of Alliances in Container Shipping, p. 10 [disponible en anglais seulement].

[41]            Ibid., p. 13.

[42]            AGRI, Témoignages, Kathleen Sullivan (Aliments et boissons Canada), Julie Dickson-Olmstead (directrice générale, Affaires publiques et responsabilité d’entreprise, Save-On Foods Limited Partnership, Pattison Food Group) et Gary Sands (premier vice-président, Fédération canadienne des épiciers indépendants).

[43]            CBC News, Worker dies, hundreds sick as Cargill temporarily closes meat-processing plant at centre of COVID-19 outbreak, 20 avril 2020 [disponible en anglais seulement].

[44]            Reuters, Cargill to close Canadian beef plant after coronavirus outbreak, 17 décembre 2020 [disponible en anglais seulement].

[45]            AGRI, Evidence, 2e session, 43e législature, Todd Lewis (président, Agricultural Producers Association of Saskatchewan) et Judy Stafford (Cowichan Green Community).