CHPC Rapport du Comité
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LA FUSION ROGERS ET SHAW: MAUVAISE NOUVELLE POUR LES NOUVELLES LOCALES
Contexte de l’étude
Le 31 janvier 2022, le Comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes (le Comité) a adopté une motion afin d’examiner les répercussions de cette transaction sur les nouvelles locales :
Que, conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, le Comité entreprenne une étude sur l’acquisition de Shaw Communications par Rogers Communications Inc. afin d’examiner ses conséquences pour les nouvelles locales; que le Comité entende le témoigne des spécialistes et des intervenants compétents; et que le Comité prévoie au moins une réunion et fasse rapport de ses conclusions et de ses recommandations à la Chambre[1].
Conformément à cette motion, le Comité a tenu deux réunions et entendu dix témoins. Parmi les témoins figuraient des représentants de médias et de groupes communautaires ainsi que des dirigeants d’entreprises en communication.
Perspectives des témoins
Perspectives de Rogers communications Inc.
Le 15 mars 2021, Rogers Communications Inc. (Rogers) a annoncé son intention d’acquérir Shaw Communications Inc. (Shaw) pour 26 milliards de dollars. La transaction a été examinée ou fait présentement l’objet d’examens séparés par Innovation, Science et Développement économique Canada, le Bureau de la concurrence et le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).
Afin de se conformer à la politique du CRTC sur les avantages tangibles, Rogers propose de distribuer 26,6 millions de dollars dans le but d’améliorer le système canadien de radiodiffusion. Rogers a pris plusieurs engagements en matière de nouvelles locales, notamment :
- La production et la diffusion d’émissions spéciales mensuelles de nouvelles locales dans les marchés de Vancouver, d’Edmonton, de Calgary et de Winnipeg;
- La création de 43 nouveaux postes assignés aux nouvelles locales dans certains marchés de l’Ouest canadien;
- Le positionnement de Citytv afin d’augmenter les investissements dans le contenu de nouvelles, ce qui renforcera la diversité des voix éditoriales dans les provinces de l’Ouest;
- Un versement de 8,5 millions de dollars au Fonds pour les nouvelles locales indépendantes[2].
Le 2 mars 2022, Colette Watson, présidente de Rogers Sports et Média, a affirmé que Rogers était fermement déterminé « à veiller à ce que les Canadiens puissent continuer d’avoir accès à un nombre important de nouvelles locales[3] ». Selon Mme Watson, l’acquisition de Shaw « n’aura pas d’incidence significative sur la quantité ou la qualité des nouvelles locales actuellement offertes aux Canadiens[4] ». Elle a expliqué :
Étant donné que Shaw ne détient aucune station de télévision ou de radio locale, la transaction ne donnera pas lieu à d’autres regroupements au sein des industries canadiennes de la télévision et de la radio et ne réduira pas non plus la concurrence[5].
Par ailleurs, les chaînes Citytv appartenant à Rogers situées à Winnipeg, Calgary, Edmonton et Vancouver continueront de diffuser des nouvelles dans leurs marchés respectifs. Mme Watson a souligné qu’un seul changement surviendra à la suite de la transaction :
[L]es stations Global TV de Corus ne seront plus intégrées verticalement. En raison de ce changement de statut, Global deviendra « indépendante » et ne pourra plus avoir accès au Fonds à l’expression locale par l’intermédiaire de son entreprise de câblodistribution affiliée[6].
Il est à noter qu’une somme de 13 millions de dollars de Shaw Cable sera redirigée « vers Citytv à partir des chaînes de Global TV[7] ».
Selon Mme Watson, la mesure la plus facile à mettre en œuvre pour soutenir les nouvelles locales à l’échelle du Canada serait d’étendre « le système de crédits d’impôt pour la main-d’œuvre journalistique de la presse écrite afin qu’il s’applique également aux nouvelles locales télévisées[8] ».
Le 24 mars 2022, le CRTC a approuvé, sous réserve d’un certain nombre de modifications, la demande de Rogers en vue d’obtenir l’autorisation de transférer le contrôle effectif des entreprises de radiodiffusion autorisées à Shaw ou à ses filiales à Rogers ou à ses filiales. Le CRTC a conclu que la transaction est « dans l’intérêt public et favorise les objectifs énoncés dans la Loi sur la radiodiffusion à l’égard du système canadien de radiodiffusion[9] ». Les paragraphes 99 à 101 de la décision du CRTC énoncent que le CRTC révisera sa politique sur la télévision locale et communautaire ainsi que le Fonds pour les nouvelles locales indépendantes.
Perspectives des autres témoins
Tous les témoins, autres que Rogers et Québecor (qui n’a pas pris position), ont affirmé que l’acquisition de Shaw par Rogers contribuait à accentuer la concentration de la propriété dans le secteur des médias et à diminuer la diversité des voix en matière de nouvelles locales.
Catherine Edwards, directrice exécutive de l’Association canadienne des usagers et stations de la télévision communautaire (CACTUS), a souligné que les médias communautaires et l’accès aux nouvelles locales ont été « durement frappés[10] » par les fusions des entreprises en communications. Le processus de regroupement d’anciens canaux communautaires distincts en un seul canal régional aurait selon elle contribué à la fermeture de plusieurs stations de télévision communautaire depuis la fin des années 1990.
Mme Edwards estime que « les médias communautaires constituent le meilleur moyen d’offrir des nouvelles locales aux communautés et de s’assurer que diverses voix se font encore entendre sur nos ondes[11] ». Elle a demandé au Comité de soutenir le programme Initiative de journalisme local, qui permet aux médias communautaires de produire des nouvelles « pour un dixième du coût des secteurs public et privé[12] ».
La directrice de CACTUS a également recommandé la création d’un fonds d’accès aux médias communautaires[13]. Ce fonds servirait à aider les stations de télévision communautaire à but non lucratif à obtenir du financement pour rétablir la télévision communautaire « dans des régions du pays délaissées par les câblodistributeurs[14] ».
Tout comme Mme Edwards, Alex Freedman, directeur général du Fonds canadien de la radio communautaire, a fait état d’un « déclin des nouvelles locales[15] ». Selon M. Freedman, la « concentration des entreprises dans les médias nuit à l’accès des Canadiens aux nouvelles et aux informations locales[16] ». Selon lui, la transaction entre Rogers et Shaw accentue ce phénomène.
M. Freedman a suggéré que Rogers verse une partie des avantages tangibles associés à la transaction au Fonds canadien de la radio communautaire afin de mieux soutenir les nouvelles locales. M. Freedman a souligné que l’engagement à verser 8,5 millions de dollars au Fonds pour les nouvelles locales indépendantes était un engagement d’une seule fois : « Après, le fonds sera laissé à lui-même, et une partie importante, comme je l’ai mentionné, sera absorbée par Global[17]. » Par la suite, Rogers s’est engagé à verser 27,2 millions de dollars, mais on ignore s’il s’agit d’un paiement unique ou récurrent. De plus, il a recommandé que l’Initiative de journalisme local soit prolongée et que les critères d’admissibilité soient élargis pour permettre à d’autres radiodiffuseurs communautaires d’obtenir du financement.
Le Conseil national de la presse et des médias ethniques du Canada s’oppose à la fusion entre Rogers et Shaw. Son président-directeur général, Thomas Saras, estime que la transaction crée une situation de monopole qui entraînera une augmentation des prix des différents services de communication offerts par Rogers[18].
Tout comme M. Saras, Matthew Hatfield, directeur des campagnes chez OpenMedia, s’oppose également à la fusion entre les deux entreprises. Il craint une augmentation des prix des services de communications, des pertes d’emplois et « des compressions dans les nouvelles locales disponibles[19] ». M. Hatfield qualifie la transaction de « catastrophique pour la concurrence, la diversité et l’innovation au pays[20] ».
Pierre Karl Péladeau, président et chef de la direction de Québecor Média Inc., s’est abstenu de prendre position sur les répercussions de la transaction sur les nouvelles locales. Toutefois, M. Péladeau prévoit un affaiblissement des nouvelles locales et de tout le secteur de l’information si le CRTC n’allège pas « le fardeau réglementaire[21] » des entreprises de radiodiffusion.
Conclusion et recommandations
En 2017, le Comité a mené une étude exhaustive sur la concentration des médias et l’érosion du journalisme local. Cinq ans plus tard, la concentration des médias et l’érosion du journalisme local ont gravement empiré.
Le Comité estime qu’il est primordial que les Canadiens et Canadiennes aient accès à des nouvelles locales qui reflètent leur identité et leur réalité. La grande majorité des témoins ont affirmé au cours de la présente étude que les nouvelles locales sont essentielles au bon fonctionnement de notre démocratie[22].
Aussi, le Comité est d’avis que l’acquisition de Shaw par Rogers ne devrait pas avoir lieu dans sa proposition actuelle. Cette transaction accentuerait la concentration des médias dans certains marchés et réduirait la diversité des voix au sein du système canadien de radiodiffusion.
Toutefois, dans l’éventualité où la proposition d’achat de Rogers soit acceptée, le gouvernement fédéral devrait en atténuer les conséquences. Des mesures appropriées doivent être prises pour préserver les nouvelles locales dans les petits et moyens marchés, dont ceux qui sont touchés par la fusion : Kelowna, Lethbridge, Saskatoon, Regina, Peterborough, Kingston, Saint John et Halifax.
Le Comité est également d’avis que les médias communautaires sans but lucratif peuvent jouer un rôle accru en matière de production de nouvelles locales. Ils sont au cœur de leurs communautés et reflètent leur réalité. Cependant, les médias communautaires sans but lucratif devraient recevoir un financement adéquat pour accomplir cette fonction. Diverses options sont à considérer.
Les stations de télévision communautaire sans but lucratif devraient être admissibles à recevoir du financement du Fonds pour les nouvelles locales indépendantes. Le CRTC pourrait notamment augmenter les contributions financières des entreprises de distribution de radiodiffusion à ce Fonds afin de répondre aux besoins des régions mal desservies en matière de nouvelles locales. Le Fonds des médias du Canada pourrait également être mis à contribution pour atteindre cet objectif.
Le gouvernement fédéral devrait également prolonger et augmenter le financement du programme Initiative de journalisme local. Ce programme joue un rôle clé dans « la création d’un journalisme civique original qui répond aux besoins diversifiés des communautés mal desservies du Canada[23] ». Il est à noter que l’Initiative de journalisme local prendra fin en 2023‑2024 et que le financement pour la dernière année passera de 15 millions à 10 millions de dollars[24].
Par ailleurs, le Comité est d’avis que le CRTC devrait revoir les conditions de licence de Rogers et Shaw en ce qui a trait à leurs contributions financières à l’égard de l’expression locale. L’organisme réglementaire pourrait les obliger à consacrer un pourcentage fixe de leurs contributions aux médias communautaires sans but lucratif.
Par conséquent, le Comité fait les recommandations suivantes :
Liste des recommandations
Recommandation 1
Que le gouvernement du Canada rejete la fusion proposée de Rogers et Shaw.
Le Comité est d’avis que la fusion ne doit pas avoir lieu; toutefois, si elle a lieu, le Comité fait les recommandations suivantes :
Recommandation 2
Que le gouvernement du Canada, dans l’examen de la fusion proposée, prenne des mesures pour faire de la préservation des nouvelles locales dans les marchés de petite et moyenne taille une priorité.
Recommandation 3
Que, bien que le Comité estime que la fusion ne devrait pas avoir lieu, si elle a lieu, le gouvernement du Canada doit veiller à inclure, dans l’exécution de sa décision, des conditions pour maintenir les services de nouvelles locales qui seraient touchés par la fusion entre Rogers et Shaw à Kelowna, Lethbridge, Saskatoon, Regina, Peterborough, Kingston, Saint John et Halifax, et que toutes les conditions rattachées à l’approbation de la fusion soient pleinement applicables et que des ressources soient prévues pour les faire appliquer.
Recommandation 4
Que le gouvernement du Canada mette en place des mesures afin d’atténuer les conséquences de l’acquisition de Shaw par Rogers.
De façon plus générale, le Comité formule les recommandations suivantes :
Recommandation 5
Que le gouvernement du Canada approuve la demande de l’Association canadienne des usagers et stations de la télévision communautaire et de la Fédération des télévisions communautaires autonomes du Québec en vue d’obtenir un fonds d’accès aux médias communautaires.
Recommandation 6
Que le gouvernement du Canada exige, comme condition à l’octroi d’une licence, qu’un pourcentage du financement de « l’expression locale » provenant des zones de desserte de Rogers et Shaw soit consacré à ce nouveau fonds, afin de soutenir les médias communautaires sans but lucratif et combler les vides dans la couverture locale créés par la fermeture des stations de télévision communautaire de Rogers et Shaw.
Recommandation 7
Que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes augmente les contributions au Fonds pour les nouvelles locales indépendantes afin que les services de nouvelles locales demeurent économiquement viables et reçoivent un soutien durable et suffisant pour continuer d’offrir une programmation locale et de produire du contenu canadien malgré la concentration et la consolidation des médias.
Recommandation 8
Que le gouvernement du Canada augmente le financement de l’Initiative de journalisme local afin de soutenir les divers besoins de collectivités mal desservies d’un bout à l’autre du Canada et de favoriser l’épanouissement d’un journalisme original, indépendant et civique.
Recommandation 9
Que le gouvernement du Canada accorde la priorité, dans le Fonds des médias du Canada, au financement de services de nouvelles locales indépendants et dans les petits marchés.
Recommandation 10
Que le gouvernement du Canada s’engage à soutenir les médias communautaires dans le but d’assurer une diversité de sources d’information et de garantir l’accès aux nouvelles et aux informations locales à tous les Canadiens.
Recommandations 11
Que le gouvernement du Canada élargisse le crédit d’impôt pour la main-d’œuvre afin qu’il s’applique également aux journalistes engagés dans les nouvelles locales télévisées.
[1] Chambre des communes, Comité permanent du patrimoine canadien, Procès-verbal, 31 janvier 2022.
[2] Rogers Communications, Transaction Rogers-Shaw: un rapide survol.
[3] CHPC, Témoignages, 2 mars 2022, 1620 (Colette Watson, présidente, Rogers Sports et Média, Rogers Communications Inc.).
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Ibid., 1700.
[8] Ibid., 1625.
[9] Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, Décision de radiodiffusion CRTC 2022-76, 24 mars 2022.
[10] CHPC, Témoignages, 16 février 2022, 1615 (Catherine Edwards, directrice exécutive, Association canadienne des usagers et stations de la télévision communautaire).
[11] Ibid.
[12] Ibid., 1620.
[13] Ibid.
[14] Ibid., 1650.
[15] CHPC, Témoignages, 16 février 2022, 1620 (Alex Freedman, directeur général, Fonds canadien de la radio communautaire).
[16] Ibid.
[17] Ibid.
[18] CHPC, Témoignages, 16 février 2022, 1625 (Thomas Saras, président-directeur général, Conseil national de la presse et des médias ethniques du Canada).
[19] CHPC, Témoignages, 16 février 2022, 1630 (Matthew Hatfield, directeur des campagnes, OpenMedia).
[20] Ibid., 1700.
[21] CHPC, Témoignages, 16 février 2022, 1635 (Pierre Karl Péladeau, président et chef de la direction, Québecor Média Inc.).
[22] Voir : CHPC, Témoignages, 16 février 2022, 1615 (Catherine Edwards); CHPC, Témoignages, 16 février 2022, 1625 (Alex Freedman); et CHPC, Témoignages, 16 février 2022, 1635 (Pierre Karl Péladeau).
[23] Ministère du Patrimoine canadien, Initiative de journalisme local.
[24] Ministère du Patrimoine canadien, Plan ministériel 2022-2023. Renseignements sur les programmes de paiements de transfert.