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CIMM Rapport du Comité

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Rapport dissident du Nouveau Parti démocratique

Préambule

Dans le monde, on compte 89,3 millions de personnes déplacées de force en raison de persécutions, d’un conflit et de violations des droits de la personne, 21,3 millions de réfugiés inscrits par les Nations Unies (ONU), 53,2 millions de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, et 4,6 millions de demandeurs d’asile. La majorité d’entre elles se trouvent dans des pays voisins de leur pays d’origine. Les cinq premiers pays hébergeant ces populations de réfugiés en importance sont la Turquie, la Colombie, l’Ouganda, le Pakistan et l’Allemagne[1].

Étant donné la situation géographique du Canada et le contexte mondial, on constate ici une augmentation du nombre de demandeurs d’asile à la recherche de sécurité qui franchissent ses frontières terrestres avec les États-Unis. Pendant ce temps, le sentiment contre les réfugiés et les immigrants a augmenté à l’échelle mondiale depuis la crise des réfugiés syriens.

En 2017, avec le discours anti-immigrant du gouvernement Trump, le Canada a enregistré un volume important de personnes qui entraient de façon irrégulière au pays, par la frontière terrestre canado‑américaine, pour y trouver refuge. La pandémie de Covid-19 a dans une certaine mesure diminué leur flux, mais, avec la réouverture de la frontière en novembre 2021, leur volume a repris, particulièrement au Québec, les demandeurs passant par le chemin Roxham. 

À l’heure actuelle, les trois provinces qui comptent le plus d’interceptions par la GRC sont le Québec, la Colombie-Britannique et le Manitoba[2].

Introduction

Le 28 octobre 2022, les membres du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration (CIMM) de la Chambre des communes ont décidé d’étudier les conditions auxquelles sont exposés les demandeurs d’asile qui, pour venir au Canada, empruntent la voie administrative irrégulière maintenue par l’Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS), ainsi que la sécurité, l’intégrité et la santé des personnes et des familles migrantes, en portant une attention particulière à la frontière canado-américaine au chemin Roxham.  

Les membres du Comité ont entendu 27 témoins, la majorité d’entre eux ayant exhorté le gouvernement du Canada à suspendre l’Entente. Les défenseurs, les avocats et les universitaires croient fermement que celle-ci contrevient à la Charte canadienne des droits et libertés en mettant les demandeurs d’asile en danger. La même opinion prévalait à la Cour fédérale en 2020.

De plus, de nombreuses personnes ont livré un témoignage émouvant sur la façon dont l’ETPS place ces demandeurs dans des situations très dangereuses et précaires, car ceux-ci se voient refuser l’entrée aux postes frontaliers officiels. De plus, des témoins ont également contesté les affirmations selon lesquelles la suppression de l’ETPS entraînerait une hausse importante du nombre de demandeurs d’asile, faute de preuve suffisante. Nombre d’entre eux ont aussi déclaré que cette suppression permettrait de répartir plus équitablement les demandeurs à l’échelle du pays, et d’une façon plus ordonnée, aux points d’entrée officiels.

L’augmentation récente des délais de traitement des pièces d’identité et des permis de travail des demandeurs d’asile suscitait de graves préoccupations chez les personnes qui travaillent directement avec eux.

La présente opinion dissidente est nécessaire si nous voulons nous assurer que les recommandations proposées par les témoins experts sont reflétées avec exactitude auprès du gouvernement.  

A. Raison de suspendre l’Entente sur les tiers pays sûrs

1.      Risques pour la sécurité que courent les demandeurs d’asile en raison des voies de migration irrégulières

En raison de l’Entente sur les tiers pays sûrs, les demandeurs d’asile sont refoulés lorsqu’ils tentent d’entrer au Canada à partir des États-Unis par un point d’entrée officiel. Par conséquent, nombre d’entre eux recourent à des voies de migration irrégulières très dangereuses, risquant de perdre un membre et même de mourir dans leur tentative désespérée en vue de se mettre en sécurité.  

À la suite des discours anti-immigrants et anti-réfugiés de l’administration Trump, en 2017, dans de nombreux reportages, on faisait état de demandeurs d’asile qui redoutaient la persécution et la violence une fois qu’ils auraient été déportés dans leur pays d’origine, et qui risquaient leur vie pour marcher jusqu’au Canada par un froid glacial. M. Seidu Mohammed, un demandeur d’asile LGBTQ du Ghana, qui a traversé la frontière canado‑américaine au Manitoba en plein hiver, a perdu la plupart de ses doigts en raison d’engelures[3]. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a par la suite jugé valable sa demande d’asile au Canada. Le taux moyen d’acceptation de 66 % pour tous les demandeurs du statut de réfugié admissibles cherchant à obtenir une protection au Canada est très semblable à celui de 61 % pour les demandeurs d’asile arrivés de façon irrégulière, mais qui sont admissibles[4]. Le tiers de ceux qui présentent une demande d’appel sur le bien-fondé de leur cas obtiennent gain de cause après examen à la Section d’appel des réfugiés de la CISR[5]. On a appris d’IRCC, notamment, que 90 % des passages irréguliers au Canada se faisaient au passage frontalier du chemin Roxham[6].

Les réfugiés devraient avoir droit à un processus humanitaire et sécuritaire pour entrer au Canada, processus permettant de garantir leur sécurité. Le directeur général du Centre de réfugiés, M. Abdulla Daoud, a expliqué que :

En gros, on force les demandeurs d’asile à se rendre en terrain très dangereux. Nous avons déjà établi qu’il s’agit de demandes légitimes et que ce qu’ils doivent subir est déplorable. Pour réglementer la question et veiller à ce que le gouvernement et les organisations communautaires puissent servir ces gens correctement, il faut suspendre l’Entente[7].

Frantz André, porte-parole et coordonnateur du Comité d’action des personnes sans statut, lui a fait écho :

Je crois que les gens auraient beaucoup moins peur de migrer en sachant qu’ils peuvent entrer par un point d’entrée ayant pour valeur d’accueillir les gens dans la dignité. Passer par une route où l’on se fait dire que, si on continue, on se fera arrêter, c’est subir encore un stress et une forme d’agression après avoir été refoulé par tant de pays. C’est pourquoi je suggère fortement que l’Entente sur les tiers pays sûrs soit éliminée. [8]

Marzieh Nezakat, directrice du programme d’établissement et d’intégration des réfugiés de la Multilingual Orientation Service Association for Immigrant Communities, a aussi parlé de la nécessité d’un processus digne pour les demandeurs d’asile arrivant par un point d’entrée officiel :

En notre qualité d’organisme offrant des services d’établissement, nous serions vraiment en faveur d’un processus de demande respectueux de la dignité pour les demandeurs d’asile. Nous savons tous que, lorsqu’ils tentent de franchir la frontière de façon irrégulière, cela va à l’encontre du respect de la dignité…

ils ne mettraient pas vraiment leur vie en danger ni celle des membres de leur famille, en traversant des forêts, comme nous le voyons aujourd’hui. Il faut donner à ces gens la certitude ou l’assurance que s’ils traversent de façon régulière aux points d’entrée officiels, ils ne seront pas renvoyés ou déportés [s’ils sont jugés admissibles]. Ils devraient faire ce qui est plus sûr pour eux et les membres de leur famille, et avec un peu plus de dignité[9].

2.      Contrer le principe selon lequel les États-Unis sont un tiers pays sûr

L’Entente sur les tiers pays sûrs était axée sur la notion que le Canada et les États-Unis ont des politiques comparables et que l’« on considérait les États-Unis comme un partenaire fiable pour partager la responsabilité à l’égard des réfugiés… Toutefois, nous savons maintenant que les problèmes qui y sont associés dépassent les avantages[10]. »

Pour bien des migrants, les États-Unis n’offrent pas un refuge sûr. M. Frantz André a clairement mentionné qu’il ne s’agit pas d’un pays sûr, et que l’ETPS « est discriminatoire[11] ».

Maureen Silcoff a cité des problèmes et des lacunes précis dans le processus de demande d’asile des États-Unis, lesquels créent des situations d’insécurité et de vulnérabilité chez de nombreux demandeurs d’asile :

je pense qu’il est vraiment utile de se pencher sur les catégories ou les classes précises de personnes qui se heurtent à un système qui ne les protège pas et qui comporte de graves lacunes. Si le système ne fonctionne pas adéquatement, les personnes risquent d’être refoulées à la frontière, ce qui veut dire qu’elles seront déportées dans leur pays d’origine où elles seront à nouveau persécutées…

Les personnes qui ne demandent pas tout de suite l’asile ne peuvent être admises dans le système. Il existe beaucoup de raisons qui font en sorte qu’une personne n’agit pas tout de suite — parce qu’elle est traumatisée, parce qu’elle a honte, pour des raisons culturelles —, alors cela touche principalement les revendications fondées sur le sexe.

Nous savons que des personnes peuvent ne pas présenter de demande, et si ensuite elles arrivent à la frontière et sont refusées en raison de l’Entente sur les tiers pays sûrs, elles sont alors vraiment en difficulté aux États-Unis, car elles ne sont pas admises dans le système d’asile[12].

Elle a également décrit les différences dans les pratiques en matière de détention des immigrants entre les systèmes d’immigration des États-Unis et du Canada comme étant importantes :

Au Canada, la détention est considérée, tant du point de vue de la jurisprudence que des politiques, comme un dernier recours. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés précise que les personnes en quête de protection ne devraient être détenues qu’en dernier recours. Les États-Unis voient la détention d’une façon très différente. Ils la voient comme un outil de gestion de l’immigration… Lorsqu’une personne est en prison aux États-Unis, elle se trouve en graves difficultés, ce qui est très différent du Canada, alors nous avons là une autre catégorie de personnes qui sont vulnérables[13].

3.      Contestation des affirmations selon lesquelles le nombre de demandeurs d’asile augmentera

Le ministre Sean Fraser a affirmé qu’« une simple suspension de l’entente sur les tiers pays sûrs entraînerait un nombre potentiellement considérable de personnes qui présenteraient des demandes d’une manière différente et peut-être moins organisée[14] ». Selon le gouvernement, cette ETPS, c’est « qu’il faut l’améliorer et la moderniser »[15]. Il n’a fourni aucun détail quant à la forme que prendrait la modernisation.

Les témoins ont contesté les affirmations selon lesquelles la levée de l’Entente sur les tiers pays sûrs mènerait à des augmentations draconiennes du nombre de demandes d’asile.

Maureen Silcoff a ajouté que :

On craint que le nombre augmente [de demandeurs d’asile si l’Entente est abandonnée], mais je pense qu’il faut séparer les faits de nos simples craintes. Nous savons qu’il n’existe aucune preuve montrant qu’il y aura, en fait, une augmentation.

Des preuves ont été présentées par l’Agence des services frontaliers du Canada lors de la contestation de l’Entente sur les tiers pays sûrs devant la Cour fédérale. La Cour a déterminé qu’il n’y avait aucune preuve qu’il y aurait une augmentation, qu’aucune statistique n’avait été présentée à ce sujet. Je sais que l’affaire est en appel, mais cet élément en soi n’a pas été contesté[16].

Au contraire, les témoins ont déclaré que le retrait de l’ETPS permettrait de remédier au chaos qui sévit à la frontière et de répartir plus équitablement les demandes à l’échelle du pays.

Perla Abou-Jaoudé a exprimé un sentiment similaire :

Nous pensons que la suspension de l’Entente sur les tiers pays sûrs mènerait à une meilleure répartition des demandes dans tout le pays, permettant notamment aux demandeurs d’avoir accès à un avocat de l’Association. Cet élément est très important pour qu’ils soient bien représentés et que leur crédibilité soit reconnue par le juge.

D’autre part, cela donnerait aux demandeurs un meilleur accès au logement, à la nourriture et à différents services, dont ceux d’interprétation. En allégeant la pression qui s’exerce sur le système québécois, cela faciliterait un meilleur accès à tous ces services[17].

Selon Stéphane Handfield, avocat en droit de l’immigration, les comparaisons entre les flux d’immigrants avant et après la mise en œuvre de l’Entente sur les tiers pays sûrs permettent de réfuter l’argument qui veut que sa suspension fasse augmenter ces flux :

Il faut regarder ce qui se passait à l’époque, avant l’entrée en vigueur de l’Entente sur les tiers pays sûrs. On ne recevait pas des flots disproportionnés de demandeurs d’asile. C’était sensiblement similaire d’une année à l’autre. Je ne vois donc pas en quoi la suspension de l’Entente aggraverait la situation, bien au contraire.

Je rappelle que, jusqu’à maintenant en 2022, 99,3 % des entrées irrégulières de demandeurs d’asile se sont faites par le chemin Roxham… Si l’Entente était suspendue, les demandeurs d’asile ne seraient plus concentrés en cet endroit… Au lieu de cela, les demandeurs d’asile pourraient tout simplement se présenter à n’importe quel poste de contrôle sur l’ensemble du territoire canadien et être pris en charge adéquatement et dignement par les autorités canadiennes, comme cela se faisait auparavant.[18]

4.      La fermeture de la frontière au chemin Roxham n’est pas la solution

Les témoins ont toutefois rejeté les affirmations selon lesquelles la fermeture de la frontière au chemin Roxham était une solution viable :

Selon Stephan Reichold, directeur général de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes :

Cela [la fermeture du chemin Roxham] donnerait lieu à un chaos indescriptible. Les gens essaieraient de trouver d’autres chemins beaucoup moins sécurisés que le chemin Roxham. Cela ne serait à l’avantage de personne — ni des réfugiés, ni de la sécurité canadienne, ni des provinces. C’est une fausse bonne idée[19].

Mme Appolonie Simbizi, secrétaire générale, Alliance des Burundais du Canada, a signalé que :

Si le Canada fermait le chemin Roxham sans avoir de solution de rechange tangible pour régler le problème des demandeurs d’asile dans l’impasse, cela reviendrait à se servir de sa situation géographique pour échapper en partie à ses responsabilités en matière de protection des demandeurs d’asile[20].

Par conséquent, nous formulons la recommandation suivante relativement à l’Entente sur les tiers pays sûrs.

Recommandation 1

Que le gouvernement du Canada suspende l’Entente sur les tiers pays sûrs.

B.      Exemptions pour des motifs d’intérêt public de l’Entente sur les tiers pays sûrs

En l’absence de la suspension ou du retrait de l’Entente, le gouvernement doit à tout le moins y accorder des exemptions pour les personnes vulnérables.

Maureen Silcoff a expliqué que de telles exemptions constituaient un autre outil permettant de protéger les groupes vulnérables :

Une solution est […] de mettre fin à l’entente ou de la suspendre, mais il y a aussi une autre option. L’article 6 de l’entente permet au Canada d’exempter des catégories de personnes ou des personnes pour des motifs d’intérêt public.

Le Canada n’utilise actuellement qu’une seule exception liée à l’intérêt public, soit pour les gens qui font face à la peine de mort. Il y en a déjà eu une deuxième, comme il a été mentionné, qui s’appliquait aux ressortissants des pays vers lesquels le Canada n’expulse pas de gens. Cette exception a pris fin en 2009.

Les options qui s’offrent à nous à l’heure actuelle pourraient être notamment d’accorder plus d’exceptions, d’autoriser les revendications fondées sur le sexe… En fait, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés a recommandé d’utiliser des exceptions pour des motifs d’intérêt public dans ses commentaires sur le projet de réglementation du Canada en 2002, ce qui inclut les revendications fondées sur le sexe.

De plus, on pourrait aussi créer des exceptions pour les personnes vulnérables qui sont refoulées à la frontière et envoyées dans des prisons aux États-Unis. Voir des enfants dans des cages nous montre un aspect épouvantable d’un système dans lequel on emprisonne des personnes vulnérables qui sont simplement en quête de sécurité.[21]

Plusieurs autres témoins ont convenu qu’à tout le moins, le gouvernement devrait lever l’Entente sur les tiers pays sûrs pour les personnes qui sont renvoyées dans leur pays d’origine lorsqu’elles ne peuvent y retourner en toute sécurité[22][23][24].

Par conséquent, nous formulons la recommandation suivante :

Recommandation 2

Si le gouvernement du Canada ne suspend pas l’Entente sur les tiers pays sûrs, alors il devrait s’engager à élargir les exemptions qui y sont prévues afin d’y inscrire les demandes fondées sur le sexe en tant qu’exception d’intérêt public, et à rétablir une exemption pour les demandeurs d’asile qui viennent de pays sous moratoire.

C. Retards de délivrance du document de protection du demandeur d’asile et des permis de travail

Le document de demandeur d’asile, ou « papier brun », est un document essentiel que délivre le gouvernement aux demandeurs d’asile à leur arrivée pour les rendre admissibles aux soins de santé fédéraux, et à l’obtention d’un permis de travail ou d’étude ainsi qu’à l’accès à des options de logement.

Le directeur général du Centre de réfugiés, M. Abdulla Daoud, a expliqué que :

En règle générale, les personnes qui font une demande d’asile au Canada, que ce soit une demande présentée à un bureau intérieur, une demande présentée à la frontière ou une demande irrégulière, reçoivent le document du demandeur d’asile, appelé communément « papier brun ». Une fois munis de ce document, les demandeurs disposent de 45 jours pour soumettre les formulaires et lancer leur demande d’asile[25].

Pourtant, selon les responsables du Centre, il y a eu récemment une « dégradation dans les processus bureaucratiques et les promesses faites aux demandeurs d’asile par le gouvernement du Canada ». Ce dernier prévoit un document d’« accusé de réception de la demande d’asile » produit pour les demandeurs qui ne peuvent pas obtenir tout de suite leur papier brun, de concert avec un document « Contrôle complémentaire ». Ce document signifie que l’agent de l’ASFC responsable n’a pas la capacité de traiter la demande avant une date arbitraire[26].

Le Centre de réfugiés a reçu pour la première fois en janvier 2022 les documents en question, que M. Daoud décrit comme « des instruments bureaucratiques conçus pour retarder la remise du papier brun et priver par le fait même le demandeur d’asile de certains droits octroyés par ce document[27] ».

De plus, récemment, les délais de traitement du papier brun ont commencé à être plus longs et sont devenus plus normalisés, selon M. Daoud :

Initialement, les deux documents en question s’accompagnaient d’un rendez-vous fixé dans les trois à six semaines suivant la date d’entrée. C’est à ce rendez-vous que les demandeurs d’asile obtenaient leur papier brun et pouvaient ainsi commencer leur demande d’asile au Canada. Mais depuis, les délais se sont allongés, si bien que les demandeurs doivent attendre aujourd’hui de 12 à 24 mois… Par exemple, à la clinique juridique, nous avons vu un rendez-vous fixé un dimanche, 16 mois après la date d’entrée. Inutile de mentionner que les bureaux de la CISR sont fermés le dimanche. … Selon nos statistiques internes, du 1er septembre à aujourd’hui, plus de 90 % des 312 demandeurs d’asile avec qui nous avons travaillé ont reçu un accusé de réception assorti d’un rendez-vous pour l’obtention du papier brun[28].

Des témoins, comme Marzieh Nezakat, ont souligné que les délais venaient empirer la vulnérabilité économique des demandeurs d’asile :

Cependant, lorsqu’on présente une demande dans un bureau intérieur, le processus de demande prend des mois de plus et les demandeurs se retrouvent sans soutien du revenu. De plus, l’octroi des permis de travail peut prendre jusqu’à 18 mois, ce qui fait qu’il est presque impossible de gagner sa vie[29].

Par conséquent, nous formulons les recommandations suivantes en lien avec le traitement des documents.

Recommandation 3

Qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et l’Agence des services frontaliers du Canada travaillent en concertation afin d’émettre à tous les demandeurs d’asile des permis de travail et des documents de demandeur d’asile, sans tarder, à leur arrivée à la frontière canadienne, que ceux-ci soient réguliers ou irréguliers.

Recommandation 4

Qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada et l’Agence des services frontaliers du Canada accroissent leur capacité de traitement pour venir à bout des arriérés actuels dans le traitement des demandes d’asile et délivrent les documents aux demandeurs d’asile le plus tôt possible.

Recommandation 5

Que le gouvernement du Canada s’assure que les ressources voulues sont allouées à la Gendarmerie royale du Canada, à l’Agence des services frontaliers du Canada et à tous les organismes concernés travaillant à la frontière de façon à favoriser un traitement rapide des demandes d’asile et des conditions de travail plus sécuritaires pour les représentants du gouvernement.

Recommandation 6

Qu’IRCC délivre un document de demandeur d’asile valable jusqu’à ce que la CISR rende une décision définitive.

D. Accès à des services de réinstallation et à d’autres services de soutien

Des témoins ont également évoqué les difficultés que rencontrent les demandeurs d’asile pour ce qui est d’obtenir un logement à leur arrivée au Canada.

Stephan Reichhold a parlé du besoin urgent de ressources de logements :

Nous proposons et nous demandons au gouvernement fédéral de mettre en place, […], un système d’hébergement à plus long terme… au moins pendant l’hiver et surtout pour les familles plus vulnérables. Vu la crise du logement, il est quasiment impossible de trouver un endroit où se loger. Le taux de fréquentation des centres d’hébergement pour les itinérants est donc à la hausse, ce qu’on veut absolument éviter[30].

Marzieh Nezakat a repris les préoccupations sur le manque de financement fédéral :

Il n’y a qu’un seul programme financé par le gouvernement fédéral [en Colombie‑Britannique] par IRCC, qui s’appelle Vers un chez-soi. C’est seulement pour certaines maisons de transition. Nous n’avons pas beaucoup de maisons de transition pour les demandeurs d’asile en Colombie-Britannique.… je dirais que presque tout le financement vient du gouvernement provincial et non d’IRCC[31].

Par conséquent, nous formulons la recommandation suivante :

Recommandation 7

Que le gouvernement du Canada accroisse le financement des services de réinstallation et mette en place un système de logements de transition qui seraient offerts aux demandeurs d’asile.

Recommandation 8

Que le gouvernement du Canada crée et finance un programme de formation à l’intention des travailleurs de la santé afin de les sensibiliser au Programme fédéral de santé intérimaire et à leur rôle actif dans le service aux demandeurs d’asile au moyen de ce programme.

E.      Conclusion

Nous appuyons fortement la position des témoins, qui ont offert leur expertise et formulé leurs recommandations à l’aide d’une approche pratique fondée sur les droits de la personne.

Les témoins ont recommandé clairement que le gouvernement du Canada suspende l’Entente afin de façonner un système d’asile plus juste et plus humain, arrimé à ses obligations internationales en ce qui a trait aux droits de la personne. Une telle mesure permettrait de minimiser les graves dangers auxquels les demandeurs d’asile s’exposent afin de trouver refuge ici. Elle contribuerait aussi à garantir des passages à la frontière ordonnés, à améliorer la sécurité et la sûreté dans les collectivités frontalières du pays, et à assurer la dignité ainsi que le respect auxquels les êtres humains fuyant la violence ont droit en vertu du droit canadien et du droit international.

Le fait que le rapport du Comité ne reflète pas une telle recommandation illustre clairement le fait que la majorité des membres ont des préjugés préexistants.

En ce qui concerne les préoccupations soulevées et les recommandations formulées à propos des délais de traitement pour que les demandeurs d’asile puissent obtenir leurs pièces d’identité et leur permis de travail, ainsi que de la nécessité de mettre en place des mesures de soutien pertinentes pour garantir le succès de leur réinstallation au Canada, nous souscrivons entièrement le point de vue des témoins. Ces délais exacerbent la vulnérabilité et la précarité économique des demandeurs à leur arrivée ici. Le gouvernement devrait s’efforcer d’émettre des permis de travail et des documents à tous les demandeurs d’asile admissibles à leur arrivée à la frontière canadienne, que ceux-ci soient réguliers ou irréguliers. Étant donné que bon nombre d’entre eux entreprennent des expéditions traumatisantes et pénibles avant d’arriver au Canada, il serait essentiel de leur fournir une aide suffisante à la réinstallation à leur arrivée ici.

Addenda

Une version élargie de l’Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS) est entrée en vigueur le 25 mars 2023, à 0 h 01 (heure avancée de l’Est). Comme l’ETPS s’appliquera désormais à toute la frontière entre le Canada et les États-Unis, notamment les voies navigables, elle pousse encore plus les demandeurs d’asile à emprunter des voies de migration irrégulière très dangereuses, où ils mettent leur vie et leur intégrité physique en danger dans leurs efforts désespérés pour se rendre en lieu sûr. Le Canada et les États-Unis ont signé cette entente en secret le 29 mars 2022, à Ottawa, sans aucune consultation publique, et alors que la constitutionnalité de l’ETPS est contestée devant la Cour suprême du Canada.   

Selon la propre analyse interne du gouvernement, l’application élargie de l’ETPS peut accroître les risques qui pèsent sur les demandeurs d’asile, notamment les risques liés à la traite des personnes et à la violence sexuelle, et qui touchent de façon disproportionnée les femmes, les filles et les personnes LGBTQI+ migrantes. Le gouvernement a été de l’avant même s’il était au courant des conséquences désastreuses sur le plan des droits de la personne. Le NPD condamne cette politique et demande au gouvernement de suspendre immédiatement l’ETPS. 


[1] « Aperçu statistique », récupéré à l’adresse https://www.unhcr.org/fr/apercu-statistique.html.

[2] Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), CIMM, RCMP Interceptions January 2023, IRCC’s responses to a request for information made by the Standing Committee on Citizenship and Immigration on November 15, 2022.

[3] CBC News, “I’m finally home”: Frostbitten asylum seeker wins case to stay in Canada https://www.cbc.ca/news/canada/manitoba/seidu-mohammed-asylum-seeker-frostbitten-refugee-manitoba-1.4121034 [en anglais seulement]

[4] CIMM, Témoignages, 22 novembre 2022, 1655 (Maureen Silcoff, avocate et ancienne présidente, Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés).

[5] CIMM, Témoignages, 15 novembre 2022, 1720 (Azadeh Tamjeedi, juriste principale et chef de l’unité de protection, Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés).

[6] CIMM, Témoignages, 18 novembre 2022, 1325 (Christiane Fox, sous-ministre, ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration).

[7] CIMM, Témoignages, 22 novembre 2022, 1630 (Abdulla Daoud, directeur général, Le Centre de réfugiés).

[8] (CIMM, Témoignages, 22 novembre 2022, 1635 (Frantz André, porte-parole et coordonnateur, Comité d’action des personnes sans statut).

[9] CIMM, Témoignages, 25 novembre 2022, 1420 (Marzieh Nezakat, gestionnaire, Programme d’installation et d’intégration des réfugiés, Multilingual Orientation Service Association for Immigrant Communities).

[10] CIMM, Témoignages, 22 novembre 2022, 1715 (Maureen Silcoff).

[11] CIMM, Témoignages, 22 novembre 2022, 1615 (Frantz André).

[12] CIMM, Témoignages, 18 novembre 2022, 1425 (l’hon. Sean Fraser).

[13] Ibid.

[14] CIMM, Témoignages, 18 novembre 2022, 1425 (l’hon. Sean Fraser).

[15] CIMM, Témoignages, 22 novembre 2022, 1715 (Maureen Silcoff).

[16] CIMM, Témoignages, 22 novembre 2022, 1715 (Maureen Silcoff).

[17] CIMM, Témoignages, 22 novembre 2022, 1730 (Perla Abou-Jaoudé, avocate, Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration)

[18] CIMM, Témoignages, 25 novembre 2022, 1435, Stéphane Handfield, avocat, Handfield et Associés, avocats, à titre personnel)

[19] IMM, Témoignages, 22 novembre 2022, 1725 (Stephan Reichold, directeur général, Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes)

[20] CIMM, Témoignages, 15 novembre 2022, 1655 (Appolonie Simbizi, secrétaire générale, Alliance des Burundais du Canada)

[21] CIMM, Témoignages, 22 novembre 2022, 1655 (Maureen Silcoff).

[22] CIMM, Témoignages, 22 novembre 2022, 1645 (Eva-Gazelle Rududura, vice-présidente, Unis pour une Intégration Consciente au Canada)

[23] CIMM, Témoignages, 22 novembre 2022, 1645 (Frantz André).

[24] CIMM, Témoignages, 22 novembre 2022, 1645 (Abudlla Daoud).

[25] CIMM, Témoignages, 22 novembre 2022, 1600 (Abdulla Daoud).

[26] Le Centre de réfugiés, mémoire, 14 novembre 2022.  

[27] CIMM, Témoignages, 22 novembre 2022, 1600 (Abdulla Daoud).

[28] Ibid.

[29] CIMM, Témoignages, 25 novembre 2022, 1420 (Marzieh Nezakat).

[30] CIMM, Témoignages, 22 novembre 2022, 1710 (Stephan Reichhold).

[31] CIMM, Témoignages, 25 novembre 2022, 1445 (Marzieh Nezakat).