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CIMM Rapport du Comité

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Rapport dissident du Nouveau Parti démocratique

Du 23 août au 6 septembre 2023, le professeur Tomoya Obokata, rapporteur spécial de l’Organisation des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage, a effectué une visite officielle au Canada. La déclaration de fin de mission du rapporteur Obokata, publiée le 6 septembre 2023, disait que « le volet agricole et le volet des postes à bas salaire du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) du Canada constituent un terrain propice aux formes contemporaines d’esclavage [traduction] ». À ce propos, la déclaration mettait l’accent sur le recours continu aux permis de travail fermés, ce qui signifie qu’un travailleur migrant ne peut travailler que pour un employeur donné, lorsqu’il est au Canada; il n’est pas autorisé à changer d’employeur et il risque l’expulsion du pays en cas de cessation d’emploi[1].

Si le rapporteur spécial a choqué de nombreux Canadiens avec ses commentaires, sa description de la situation n’a pas surpris les travailleurs migrants ni les organisations qui les représentent. Depuis des décennies, les travailleurs migrants expriment de sérieuses inquiétudes quant à la façon dont le système d’immigration temporaire du Canada engendre les mauvais traitements et l’exploitation, en s’appuyant sur un solide corpus de publications, de rapports et de témoignages concordants. Depuis des années, différents comités permanents de la Chambre des communes se sont penchés sur la nécessité d’entreprendre une vaste réforme du PTET, et notamment de mettre un terme à l’utilisation des permis de travail fermés afin de mieux protéger les travailleurs migrants[2].

Le 26 septembre 2023, le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes (le Comité) a décidé d’étudier les répercussions des permis de travail fermés délivrés aux travailleurs migrants par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), ainsi que les conclusions du rapporteur spécial Obokata concernant le PTET du Canada.

Étant donné que le Comité a entendu à répétition des histoires de maltraitance et d’exploitation vécues par des travailleurs étrangers temporaires au Canada, les néo-démocrates estiment que les recommandations formulées dans le rapport final du Comité sont largement inadéquates, dans la mesure où elles priorisent les points de vue des employeurs et de l’industrie, malgré le déséquilibre des pouvoirs manifeste auquel se heurtent les travailleurs migrants titulaires d’un permis de travail fermé, et où elles omettent de garantir le respect des droits fondamentaux des travailleurs migrants, à savoir les droits au travail, à la mobilité et à la négociation collective, ainsi que l’accès aux services sociaux. Par conséquent, le NPD soumet le présent rapport dissident.

Les volets de l’agroalimentaire et des postes à bas salaire du Programme des travailleurs étrangers temporaires

Le Canada a un sombre passé en matière de politiques de travail contractuel des migrants qui visent à restreindre et à contrôler la mobilité de travailleurs racialisés sous-payés dont on peut se débarrasser une fois le travail terminé. Ces travailleurs ont fait face à des conditions de travail difficiles, à de la discrimination, à de la maltraitance extrême et à de l’exploitation. Ils ont été jugés indignes de la citoyenneté canadienne en vertu de lois explicitement racistes. En ce qui concerne les volets actuels de l’agroalimentaire et des postes à bas salaire du PTET, le rapporteur spécial s’est dit préoccupé « par le fait que cette main-d’œuvre est disproportionnellement racialisée, ce qui témoigne du racisme et de la xénophobie profondément enracinés dans le système d’immigration du Canada[3] ». En effet, lorsque le Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS) a été mis en œuvre pour la première fois en 1966, le ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration de l’époque, l’honorable Jean Marchand, avait justifié l’exclusion des travailleurs européens du programme par le fait qu’il s’agissait d’un « travail d’esclave[4] ». Le PTAS avait été mis en place à l’époque exclusivement pour les Jamaïcains.

Depuis lors, les gouvernements conservateurs et libéraux successifs ont élargi l’accès des employeurs canadiens au PTET. Sous les administrations libérale de Jean Chrétien et conservatrice de Stephen Harper, le Canada a réorienté sa politique d’immigration vers l’attribution du statut de résident temporaire pour combler une pénurie de main-d’œuvre appréhendée. En 2014, les conservateurs ont créé les volets des postes à bas salaire et à haut salaire afin de refléter le niveau de compétences professionnelles et les conditions du marché local.

Depuis 2015, le nombre de travailleurs étrangers entrant au Canada continue de dépasser de manière constante le nombre de ceux qui y entrent en tant que résidents permanents. En avril 2022, le gouvernement libéral a instauré plusieurs grands changements destinés à faciliter et à étendre le recours des employeurs au volet des postes à bas salaire en faisant passer le pourcentage de travailleurs temporaires à bas salaire qu’une entreprise peut embaucher de 10 à 20 % de ses effectifs, et, dans certains secteurs, cela peut aller jusqu’à 30 %. De plus, il a éliminé la restriction concernant le traitement des études d’impact sur le marché du travail (EIMT) dans les régions où le taux de chômage est supérieur ou égal à 6 %, et il a relevé le plafond du nombre de travailleurs étrangers temporaires du volet des postes à bas salaire que les employeurs peuvent avoir dans leurs effectifs. Dans son rapport de juin 2021 intitulé Programmes d’immigration visant à répondre aux besoins du marché du travail, le Comité a recommandé au gouvernement fédéral les mêmes changements, ainsi que d’autres mesures pour accélérer l’exécution du PTET. Seul le Nouveau Parti démocratique a soumis une opinion dissidente à la déréglementation du volet des postes à bas salaire du PTET à la demande de PDG d’entreprises[5]. De plus, une enquête récente et choquante a révélé que le gouvernement libéral avait « accéléré le traitement des demandes en ordonnant aux agents de sauter des étapes essentielles destinées à prévenir la fraude[6] ». En ce qui concerne l’augmentation des travailleurs dans le volet agricole, le mémoire soumis conjointement par Justicia for Migrant Workers et Windsor Law fait observer que :

« Le nombre de travailleurs agricoles migrants ne cesse d’augmenter. Le Canada continue d’élargir la Liste nationale de secteurs agricoles – la liste des secteurs agricoles qui peuvent faire appel à des travailleurs étrangers temporaires – ce qui assujettit de plus en plus de travailleurs aux mêmes restrictions et à la même exploitation chaque année. Cet apaisement de l’agro-industrie au détriment des travailleurs vulnérables s’inscrit dans un contexte où, au cours des cinquante dernières années, le nombre de fermes au Canada a diminué de moitié, la taille moyenne des fermes a doublé, et la valeur à l’acre a presque quadruplé, un petit nombre de grandes exploitations générant la majorité des revenus, en grande partie des exportations[7]. »

Un terrain propice aux formes contemporaines d’esclavage : Les conséquences des permis de travail fermés

Le rapporteur spécial sur les formes contemporaines d’esclavage a l’important mandat de visiter des pays dans le cadre de missions d’étude officielles, et de faire rapport sur les formes contemporaines d’esclavage. Le mandat du rapporteur spécial dit :

« Ceux qui en souffrent sont en majorité les groupes sociaux les plus pauvres, les plus vulnérables et les plus marginalisés de la société. La peur, la méconnaissance de leurs droits et la nécessité de survivre les empêchent de sortir de leur silence[8]. »

Les conclusions du rapporteur spécial concernant la maltraitance et l’exploitation dont sont victimes les travailleurs migrants entrés au Canada au titre des volets des postes à bas salaire et de l’agroalimentaire du PTET mentionnent les heures de travail excessives, l’obligation d’effectuer des tâches extracontractuelles, les tâches physiquement dangereuses, le vol de salaire, le refus d’accès aux soins de santé, le refus de transport vers des établissements médicaux, l’accès limité aux services sociaux, le harcèlement sexuel, l’intimidation et la violence de la part des employeurs et de leur famille.

De plus, les travailleurs résidant dans des logements fournis par l’employeur ont signalé les problèmes suivants : logements insalubres et surpeuplés; manque d’intimité; absence de logements attribués en fonction du sexe et restrictions arbitraires quant à l’utilisation des sources d’énergie. Ces mauvais traitements sont endurés par les travailleurs migrants parce que les permis de travail fermés ont pour conséquence structurelle de rendre les travailleurs dépendants de leur employeur. Le fait de lier le statut d’immigration d’un travailleur à son employeur permet aux employeurs qui exploitent les travailleurs de profiter de personnes parmi les plus vulnérables au Canada. Comme l’explique Elizabeth Kwan, recherchiste en chef au Congrès du travail du Canada :

« Le gouvernement affirme que les travailleurs étrangers temporaires jouissent des mêmes droits et protections que les Canadiens et les résidents permanents. Cependant, le permis de travail propre à un employeur empêche les travailleurs migrants d’exercer ces droits. La crainte d’être congédié et expulsé enferme les travailleurs migrants dans une servitude involontaire et les rend excessivement dociles.
[…]
Le permis de travail propre à un employeur a pour effet systémique d’accorder tous les pouvoirs et le contrôle de la relation d’emploi à l’employeur. Il contrôle l’emploi du travailleur migrant, l’indemnisation, les conditions de travail et le statut d’immigrant. Il rend les travailleurs migrants vulnérables à la maltraitance et à l’exploitation de leurs employeurs ainsi que des recruteurs et des trafiquants de la main-d’œuvre[9]. »

Les permis fermés sont assortis d’un « système d’expulsion privatisé » qui donne aux employeurs le pouvoir de mettre fin à l’emploi et de “rapatrier” les travailleurs parfois dans un délai de 24 heures […] », comme l’ont fait valoir des défenseurs de travailleurs migrants auprès du Comité[10]. Par conséquent, ces travailleurs migrants n’ont aucune possibilité concrète de démissionner ou de travailler ailleurs. Par crainte de représailles, les travailleurs titulaires d’un permis fermé sont peu enclins à déposer des signalements ou des plaintes. Comme le font remarquer les centrales syndicales du Québec :

« Ces risques, réels et appréhendés, et ces difficultés sont de nature systémique. La configuration actuelle des lois sur l’immigration et des permis de travail fermés enferme les personnes immigrantes temporaires dans un carcan où elles se retrouvent à la fois dépendantes de leur employeur et dans la quasi-impossibilité de faire valoir leurs droits ou de bénéficier des protections sociales de base[11]. »

Ce déséquilibre des pouvoirs inhérent au système des permis fermés est souvent exacerbé par les frais abusifs imposés aux travailleurs migrants par des acteurs sans scrupules, au Canada et à l’étranger :

« Les travailleurs interrogés par Amnistie internationale ont déclaré avoir enduré des conditions abusives pendant des mois, voire des années, par crainte de menaces et de représailles, y compris l’expulsion ou la perte de revenus. De nombreux travailleurs ont des dettes considérables dues aux frais de recrutement (qui sont parfois exorbitants) facturés dans leur pays d’origine ou ont été soumis au Canada à des pratiques de recrutement relevant de l’extorsion pour obtenir un emploi, ou à des pratiques de “consultation” prédatrices et frauduleuses pour obtenir le statut de résident permanent. La précarité financière qui en résulte peut les empêcher de prendre des risques en matière d’emploi, malgré les abus et les violations des droits de la personne. Nombre d’entre eux ont des membres de leur famille dans leur pays d’origine qui comptent sur eux pour gagner un revenu au Canada afin de payer les frais de nourriture, de subsistance et d’éducation[12]. »

Une autre difficulté à laquelle sont confrontés les travailleurs agricoles migrants est le déni de leur droit d’association et à la négociation collective en Ontario. L’Union nationale des fermiers reconnaît que « le secteur agricole est l’un des seuls secteurs où des exceptions aux lois permettent de priver certains travailleurs de leur pleine liberté d’association. Sans syndicat pour défendre leurs intérêts et sans statut garantissant leur présence au Canada, les travailleurs migrants risquent d’être exploités et craignent d’être expulsés s’ils prennent la parole[13]. » M. Santiago Escobar a précisé ce point :

« En 2010, l’Organisation internationale du travail des Nations unies a conclu que le Canada et l’Ontario avaient violé les droits de plus de 100 000 travailleurs agricoles en interdisant les syndicats agricoles. Malheureusement, cela n’a pas causé de réaction. Le Canada a l’obligation de protéger les droits de la personne, et cela comprend les droits de tous les travailleurs[14]. »

En ce qui concerne les menaces uniques que le système des permis fermés fait peser sur les femmes et les personnes de diverses identités de genre, le groupe Alliance pour la justice de genre dans la migration reconnaît ce qui suit :

« Des restrictions sont également imposées aux femmes et aux travailleurs de diverses identités de genre dans l’industrie agricole où leurs corps sont considérés comme des biens. Certaines personnes ont été expulsées pour avoir quitté la ferme sans la permission de leurs employeurs, pour avoir assisté à des événements sociaux, pour avoir reçu des visiteurs masculins ou pour être tombées enceintes. […] L’accès aux services de santé reproductive ou sexuelle, tels que la contraception ou l’avortement, est particulièrement difficile[15]. »

L’accès limité aux soins de santé et aux services sociaux, l’accès incohérent ou limité à l’assurance-emploi, malgré les primes payées pendant des années, ainsi que les normes de santé et de sécurité et les mesures de protection sur le lieu de travail inférieures aux normes, ne font qu’exacerber la situation pour ces TET, qui sont traités comme des citoyens de seconde zone :

« Dans de nombreuses provinces, les travailleurs à statut précaire exercent de manière disproportionnée des professions exclues des protections prévues par les normes provinciales en matière d’emploi, notamment les travaux de soins et les travaux agricoles. En outre, cette exclusion des droits des travailleurs garantis touche particulièrement les travailleurs migrants racisés, qui travaillent principalement dans les secteurs exclus[16]. »

L’élargissement et la simplification du PTET qui ont été faits récemment ne peuvent s’expliquer par une « pénurie de main-d’œuvre temporaire », car les travailleurs agricoles migrants, par exemple, arrivent au Canada avec des permis de travail avec restrictions depuis les années 1960. Les conditions de travail inférieures aux normes auxquelles sont soumis les travailleurs étrangers temporaires dans ces volets renforcent la perception d’une pénurie de main-d’œuvre intérieure, simplement parce que les résidents permanents et les citoyens canadiens refusent de travailler volontairement dans de telles conditions :

« Même les droits fondamentaux prévus par les normes d’emploi sont rendus inaccessibles aux travailleurs agricoles, ce qui garantit que les travailleurs étrangers formeront la majeure partie de la main-d’œuvre dans l’industrie, ce qui permet de réduire encore davantage les droits fondamentaux des travailleurs et les droits de la personne, créant un cercle vicieux d’exploitation[17]. »

Tentatives timides de protection des travailleurs migrants vulnérables

En 2019, Ahmed Hussen, qui était alors ministre d’IRCC, a mis en place le programme de permis de travail ouverts pour les travailleurs vulnérables (PTOT-V) en réaction aux inquiétudes suscitées par les abus qu’engendre le système des permis de travail fermés. Les travailleurs migrants victimes de maltraitance dans leur environnement de travail ont été informés qu’ils pouvaient demander un permis de travail temporaire d’un an qui n’est généralement pas renouvelable. Cependant, cette mesure a été rendue inefficace par un processus de demande excessivement onéreux et n’a de toute façon aucune valeur préventive, puisque les permis de travail ouverts sont accordés uniquement après que les travailleurs étrangers temporaires ont été victimes de maltraitance. Comme l’indique le rapport du rapporteur spécial, le processus de demande « oblige les demandeurs à rester dans une situation précaire jusqu’à ce qu’ils reçoivent une décision positive[18]. »

Des témoins ont indiqué que le niveau de preuve requis élevé et le fait que les prestataires de services n’offrent qu’une aide limitée expliquent pourquoi les travailleurs victimes de maltraitance hésitent à recourir au programme de PTOT-V. Le Migrant Workers Centre décrit le processus de demande comme étant « extrêmement laborieux », « extrêmement long » et « largement inaccessible, surtout pour les travailleurs migrants qui font face à des traumatismes et à de la violence continus » :

« Les personnes qui présentent une demande doivent remplir des formulaires déroutants, une déclaration personnelle, créer un profil en ligne et téléverser des documents. Elles sont censées faire tout cela malgré le fait que beaucoup d’entre elles ne parlent pas couramment le français ou l’anglais ou n’ont pas un accès Internet privé fonctionnel. En cas de manque de renseignements dans les demandes, les agents d’IRCC ont le pouvoir de mener des entrevues pour en recueillir davantage. Cependant, cette étape est souvent contournée complètement et les demandes sont rejetées régulièrement sans enquête ni possibilité de fournir de plus amples détails[19]. »

Les données fournies par IRCC au comité CIMM indiquent que depuis octobre 2023, le taux de rejet global des demandes de PTOT-V est de 43 %. Les défenseurs des travailleurs migrants et les prestataires de services reconnaissent qu’il y a une « myriade de problèmes liés à l’obtention de preuves », notamment l’impossibilité pour les travailleurs « [d’]apporter leur téléphone au travail pour enregistrer les problèmes qu’ils y vivent[20] ».

En outre, même si une demande est acceptée, il arrive souvent que les travailleurs déclarent avoir été inscrits sur une liste noire après avoir dénoncé de mauvais traitements et avoir de la difficulté à obtenir un autre emploi dans le cadre du PTET. La pratique de l’établissement de listes noires par les employeurs dans certains secteurs est rendue possible en raison de la dépendance des employeurs inhérente aux permis de travail fermés :

« D’autres employeurs agricoles ne sont pas disposés à embaucher des travailleurs titulaires d’un permis de travail ouvert pour les travailleurs étrangers vulnérables, car il est bien connu que ce type de permis s’obtient en se plaignant d’un ancien employeur[21]. »

Non seulement les travailleurs migrants des volets de l’agroalimentaire et des postes à bas salaire ont de moins bonnes protections en matière de santé et de sécurité au travail, mais l’application des réglementations en vigueur présente de graves lacunes. Les données fournies au NPD par Emploi et Développement social Canada (EDSC) indiquent que près de 80 % des inspections fédérales des lieux de travail ayant recours au PTET ne sont pas effectuées en personne et que seulement 7 % des inspections des lieux ne sont pas annoncées. Pour des raisons évidentes, c’est très insuffisant. Les inspections virtuelles et les visites des lieux planifiées, qui représentent plus de 93 % du régime d’inspections du PTET d’EDSC, ne permettent pas de découvrir des conditions de vie ou de travail inférieures aux normes et ne favorisent pas les discussions franches avec les travailleurs. Comme l’a déclaré Mme Denise Gagnon, vice-présidente du Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec :

« On doit renforcer les mécanismes d’inspection des milieux de travail afin de faire des visites surprises. Si les visites sont planifiées, quand l’inspecteur arrive sur les lieux, tout est beau, tout est parfait, personne ne parle[22]. »

Remplacement du système des permis de travail fermés

Les témoins représentant les intérêts des employeurs et de l’industrie étaient généralement favorables à l’utilisation de permis de travail sectoriels comme option pour remplacer les permis de travail liés à un employeur donné. De nombreux témoins ont affirmé que les permis de travail sectoriels ne faciliteraient pas la mobilité de la main-d’œuvre de manière efficace et ne permettraient pas non plus de mettre fin aux relations de dépendance à l’égard des employeurs qui rendent les travailleurs migrants structurellement vulnérables à l’exploitation et à la maltraitance. Comme l’a fait remarquer le Migrant Workers Centre, le Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS) montre que le système des permis sectoriels n’a pas permis de faciliter la mobilité de la main-d’œuvre ni d’améliorer les droits des travailleurs agricoles saisonniers :

« Les permis de travail sectoriels sont déjà utilisés partiellement dans le cadre du Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS), en vertu duquel les travailleurs agricoles viennent au Canada sans être liés à un employeur particulier, mais peuvent plutôt travailler pour tout employeur inscrit au PTAS. Les travailleurs peuvent demander l’autorisation de passer à une autre exploitation agricole sans avoir besoin d’un nouveau permis de travail, mais ils doivent obtenir l’approbation de leur employeur actuel, du nouvel employeur proposé et de l’agent de liaison responsable du pays. Cependant, pour de nombreux travailleurs victimes de violence, il est tout simplement impossible de changer d’employeur. Il est compliqué de se retrouver parmi les processus bureaucratiques impliqués et les agents de liaison du consulat accordent souvent la priorité aux relations économiques avec les employeurs plutôt qu’au bien-être des travailleurs[23]. »

L’Association pour les droits des travailleuses.rs de maison et de ferme se penche plus en détail sur cette préoccupation relative à l’efficacité des permis de travail sectoriels :

« Les autorisations de travail restrictives, telles que les permis sectoriels, régionaux, occupationnels ou liés à une agence, rendent le droit des travailleurs de gagner leur vie au pays conditionnel au maintien d’une relation avec des employeurs spécifiques, ce qui permet aux employeurs de maintenir des conditions inférieures aux normes. […] Ces types de permis sont souvent mis en œuvre en liant les travailleurs à des agences privées de recrutement et de placement spécifiques, qui ont le pouvoir de placer des travailleurs (im)migrants chez des employeurs particuliers. Bien que cet arrangement puisse sembler, à première vue, accorder aux travailleurs un droit minimal de changer d’employeur, dans la pratique, les travailleurs se retrouvent simplement liés à un nouvel employeur précis, l’agence elle-même[24]. »

L’Alliance pour la justice de genre dans la migration ajoute :

« Les permis sectoriels permettent toujours à des groupes d’employeurs de maintenir des conditions inférieures aux normes, de déterminer les lanceurs d’alerte comme des “fauteurs de troubles” et de les boycotter essentiellement[25]. »

Les rapports faisant état de l’établissement de listes noires montrent que certains employeurs resteront probablement enclins à abuser de leur pouvoir et à agir comme des contrôleurs d’accès avec des permis de travail sectoriels. Avec les permis sectoriels, les travailleurs migrants risquent de rester vulnérables à l’intimidation, car ils ont besoin d’avoir des contacts pour trouver de nouveaux employeurs. Il n’est certainement pas impossible de créer des permis de travail qui protègent les marchés du travail canadiens tout en respectant les droits de la personne :

« Le remplacement du permis fermé par un permis ouvert permettrait aux TET qui perdent leur emploi ou voient leurs heures de travail réduites de trouver un emploi tout en restant légalement dans le pays. Un tel changement ne nécessite toutefois pas l’abolition de toutes les règles et mesures visant à protéger le marché du travail d’un afflux important de travailleurs temporaires. »

M. Michel Pilon, coordonnateur juridique du Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec, explique plus en détail :

« En fait, ce n’est pas sorcier. Même si les travailleurs ont des permis de travail ouverts, si les bons employeurs offrent de bonnes conditions de travail et de bons logements, les travailleurs vont vouloir travailler pour eux et ne chercheront pas à partir de cet endroit, bien au contraire[26]. »

Les permis de travail liés à un employeur donné créent de graves dynamiques de pouvoir qui font que les travailleurs migrants n’osent pas faire part de leurs préoccupations par crainte de représailles, même de la part des nombreux employeurs responsables. C’est pourquoi le NPD fait la recommandation suivante :

Recommandation 1

Que le gouvernement du Canada abolisse les permis de travail liés à un employeur donné en les remplaçant par des permis de travail ouverts.

Concilier le Programme des travailleurs étrangers temporaires avec les droits de la personne

Même si les employeurs qui font appel à des travailleurs dans le cadre du PTET ne sont pas tous des exploiteurs, le statut d’immigration de certaines catégories de travailleurs migrants impose une vulnérabilité structurelle par rapport aux travailleurs ayant la résidence permanente ou la citoyenneté. Le fait d’opter pour la résidence temporaire au détriment de la résidence permanente, notamment par le biais du volet des postes à bas salaire du PTET, continuera sans aucun doute de contribuer à l’augmentation de la population de travailleurs sans statut. Comme l’ont fait remarquer les centrales syndicales du Québec, « même sans ralentissement économique, la hausse du recours au PTET a une incidence à la hausse sur le nombre de personnes immigrantes qui deviennent sans statut au Canada[27] ».

Si les permis de travail fermés présentent des risques supplémentaires pour les TET qui peuvent facilement se retrouver sans papier pour échapper à un employeur maltraitant, la vulnérabilité à la traite de personnes et à l’esclavage contemporain est, dans les faits, inhérente au statut temporaire de manière plus générale. Les travailleurs migrants qui ont perdu leur statut temporaire, souvent sans qu’ils en soient responsables, sont extrêmement vulnérables aux systèmes de travail forcé qui, comme le soulignent les Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce (TUAC), est « un crime alarmant qui n’est pas signalé » :

« Dans presque tous les cas de traite liée au travail forcé, les victimes sont amenées au Canada dans le cadre de programmes légitimes, à savoir le Programme des travailleurs étrangers temporaires, et qu’à cause d’un manque d’application efficace de la loi, de surveillance et de protections légales, ces personnes se retrouvent à la merci de malfaiteurs sans scrupules[28]. »

La croissance du PTET a créé « un environnement dans lequel la traite de personnes est une réalité honteuse dans notre pays ». Les personnes disposant d’un statut temporaire seront toujours plus vulnérables à ces politiques que celles jouissant d’un statut permanent. Lorsque des travailleurs étrangers temporaires détenant un permis fermé sont victimes d’un employeur maltraitant, ils n’ont souvent d’autre choix que d’endurer les mauvais traitements ou de vivre sans papier. En l’absence d’une voie d’accès au statut de résident permanent ou de procédures suffisantes pour faciliter le passage d’un statut à l’autre, les risques de maltraitance, d’exploitation et d’esclavage contemporain persisteront et les travailleurs continueront à courir un risque élevé de se retrouver en situation irrégulière. Le NPD fait donc les recommandations suivantes :

Recommandation 2

Que le gouvernement du Canada prenne les mesures nécessaires pour collaborer avec les gouvernements provinciaux et territoriaux afin de veiller à ce que les travailleurs étrangers temporaires, y compris ceux qui travaillent dans le cadre du PTAS, soient couverts par toutes les lois applicables en matière d’emploi dans la province ou le territoire où ils sont employés, notamment en ce qui concerne le droit d’être membre d’un syndicat et de participer à des négociations collectives, et de veiller aussi à ce que les mécanismes et les procédures appropriés soient en place pour assurer le respect de la législation en matière d’emploi.

Recommandation 3

Qu’Emploi et Développement social Canada fasse du Programme de soutien aux travailleurs migrants une source de financement permanente et stable, indexée au nombre de travailleurs migrants arrivant au Canada.

Recommandation 4

Qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada mette en œuvre des politiques visant à garantir que tous les travailleurs étrangers temporaires, y compris ceux qui travaillent dans le cadre du Programme des travailleurs agricoles saisonniers, aient la possibilité de demander le statut de résident permanent pour eux et leur famille immédiate.

Recommandation 5

Qu’IRCC travaille avec les organismes de service de première ligne, les organisations collaborant avec les travailleurs étrangers temporaires et l’ensemble des ministères afin d’élaborer une vaste stratégie visant à régulariser le statut de la population de sans papier au Canada, sans discrimination à l’égard des anciens travailleurs temporaires agricoles ou à bas salaire, et d’instaurer un moratoire sur les expulsions des travailleurs sans statut et leur famille jusqu’à ce que l’on décide de leur sort individuellement, dans le cadre d’une procédure d’appel transparente et impartiale.

Recommandation 6

Que le Canada adopte et mette en œuvre la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

Conclusion

Le Programme des travailleurs étrangers temporaires que nous avons aujourd’hui n’est pas une solution de dernier recours pour faire face aux graves pénuries de main-d’œuvre, comme cela avait été annoncé. Il permet plutôt aux entreprises de réduire leurs coûts en puisant dans un bassin de travailleurs dont le statut d’immigration est très précaire. Son utilisation continue comme modèle d’affaires est une preuve de l’incapacité des gouvernements libéraux et conservateurs successifs à gérer l’économie canadienne, ceux-ci préférant s’appuyer sur une sous‑classe permanente de travailleurs dont les droits et les protections juridiques sont inférieurs à celles des autres travailleurs. Pour que le système d’immigration canadien soit juste et respecte tous les travailleurs, il doit s’attaquer sérieusement à la précarité des travailleurs migrants, particulièrement ceux qui sont titulaires d’un permis de travail lié à un employeur donné. Sinon, on ne fera que perpétuer le caractère systémique des mauvais traitements et de l’exploitation auxquels sont confrontés les travailleurs ayant un statut temporaire. Le remplacement des permis liés à des employeurs donnés par des permis de travail sectoriels ne permettra pas de remédier de manière adéquate à la maltraitance systémique mise en lumière par le rapport du rapporteur spécial. D’ailleurs, les conclusions du rapporteur s’inscrivent dans le contexte du PTAS, en vertu duquel des permis sectoriels sont déjà utilisés.

Alors que le nombre de travailleurs titulaires d’un permis fermé au Canada a augmenté de manière exponentielle ces dernières années, les réformes connexes visant à protéger ces travailleurs ont été superficielles et largement inefficaces. Le caractère perpétuel du statut temporaire et les politiques restrictives en matière d’autorisation de travail, y compris l’option de permis sectoriels proposée par le Comité, continueront de rendre les travailleurs migrants vulnérables à l’exploitation et à la maltraitance. Ces travailleurs contribuent à nourrir les familles canadiennes, ils prennent soin de nos proches et ils ont fait un travail essentiel pendant la pandémie de COVID-19. Pour s’attaquer véritablement aux pénuries de main-d’œuvre, il faut que le statut d’immigrant reçu devienne la norme pour tous les travailleurs et que l’on mette fin, une fois pour toutes, aux politiques favorisant l’exploitation des travailleurs migrants que les gouvernements conservateurs et libéraux successifs intègrent dans le système d’immigration du Canada depuis des décennies.


[1] Nations Unies, End of Mission Statement, Tomoya Obokata, 6 septembre 2023 [en anglais seulement].

[2] Canada, Rapport du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Les travailleurs étrangers temporaires et les travailleurs sans statut légal, mai 2009; Canada, Rapport du Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées, Programme des travailleurs étrangers temporaires, septembre 2016.

[3] Nations Unies, End of Mission Statement, Tomoya Obokata, 6 septembre 2023 [traduction].

[4] Racisme, discrimination et travailleurs migrants au Canada : Éléments de preuve tirés des études sur le sujet, par Nalinie Mooten et Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC, 2022).

[5] Canada, Rapport du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration, Programmes d’immigration visant à répondre aux besoins du marché du travail, juin 2021, p. 3.

[6] et Kenyon Wallace, « Government officers told to skip fraud prevention steps when vetting temporary foreign worker applications, Star investigation finds », Toronto Star, publié le 27 août 2024, consulté le 21 octobre 2024 [traduction].

[7] Justicia for Migrant Workers & Migrant Farmworker Clinic – Faculté de droit de l’Université de Windsor, mémoire, 15 décembre 2023.

[8] Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, Rapporteur spécial sur les formes contemporaines d’esclavage, consulté le 29 octobre 2024.

[9] CIMM, Témoignages, 1re session, 44e législature, 9 novembre 2023.

[10] Justicia for Migrant Workers & Migrant Farmworker Clinic – Faculté de droit de l’Université de Windsor, mémoire, 15 décembre 2023.

[11] Centrales syndicales du Québec, mémoire, 14 décembre 2023.

[12] Amnistie internationale, mémoire, 11 décembre 2023.

[13] Union nationale des fermiers, mémoire, 12 décembre 2023.

[14] CIMM, Témoignages, 1re session, 44e législature, 9 novembre 2023.

[15] Alliance pour la justice de genre dans la migration, mémoire, 31 décembre 2023, p. 4.

[16] Alliance pour la justice de genre dans la migration, Mémoire, 31 décembre 2023, p. 2.

[17] Justicia for Migrant Workers & Migrant Farmworker Clinic – Faculté de droit de l’Université de Windsor, mémoire, 15 décembre 2023.

[18] Nations Unies, Rapport du Rapporteur spécial sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences, Tomoya Obokata, 22 juillet 2024.

[19] Migrant Workers Centre, mémoire, 20 décembre 2023.

[20] Justicia for Migrant Workers & Migrant Farmworker Clinic – Faculté de droit de l’Université de Windsor, mémoire, 15 décembre 2023.

[21] Justicia for Migrant Workers & Migrant Farmworker Clinic – Faculté de droit de l’Université de Windsor, mémoire, 15 décembre 2023.

[22] CIMM, Témoignages, 1re session, 44e législature, 23 novembre 2023.

[23] Ibid.

[24] Association pour les droits travailleuses.rs de maison et de ferme, mémoire, 6 décembre 2023.

[25] Alliance pour la justice de genre dans la migration, mémoire, 31 décembre 2023.

[26] CIMM, Témoignages, 1re session, 44e législature, 23 novembre 2023.

[27] Centrales syndicales du Québec, mémoire, 14 décembre 2023.

[28] Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce-Canada, mémoire, 20 décembre 2023.