JUST Rapport du Comité
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La prévention des risques dans l’industrie canadienne du sexe : examen de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation
Chapitre 1 : Introduction[1]
Le 8 février 2022, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes (le Comité) a convenu de mener une étude sur les lois canadiennes concernant l’échange de services sexuels entre adultes et a adopté la motion suivante :
Que le Comité entreprenne une étude exhaustive des dispositions et de l’application de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation, qui a reçu la sanction royale le 6 novembre 2014, conformément à l’article 45 de la Loi; qu’en raison de la nature délicate de l’étude, le Comité fournisse aux témoins un soutien adéquat en matière de santé mentale; que le Comité tienne au minimum six réunions sur la question; qu’un rapport soit déposé à la Chambre des communes, et que le Comité demande au gouvernement de déposer une réponse globale au rapport.
Le Comité a consacré huit réunions à entendre des témoins sur cette question importante et a reçu 72 mémoires, ainsi que de la correspondance et de la documentation de référence. Il a entendu le témoignage de personnes ayant fait l’expérience du travail du sexe ou qui ont eu d’autres rôles dans l’industrie du sexe, ainsi que de personnes ayant été victimes d’exploitation et de la traite des personnes à des fins sexuelles. Il a entendu des chercheurs et des intervenants. Il n’a pas entendu de clients. Le Comité remercie tous les témoins ayant participé à l’étude d’avoir pris le temps de partager leurs connaissances. Il accorde un poids particulier aux expériences vécues par les personnes qui sont ou ont été dans l’industrie du sexe, ainsi qu’aux données et aux recherches approuvées par des pairs. Le Comité remercie spécialement les personnes ayant relaté devant lui des expériences très intimes et parfois traumatisantes pour éclairer ses recommandations. Le Comité sait qu’il peut être intimidant de parler de sujets aussi délicats dans le contexte d’audiences parlementaires et ses membres sont très reconnaissants envers les témoins.
Ce rapport résume les témoignages entendus pendant l’étude et présente les recommandations du Comité. Même si de nombreux témoins et mémoires ont abordé la question de la traite des personnes, l’étude du Comité, elle, portait sur le travail du sexe pratiqué volontairement par des adultes. Le Comité et d’autres comités ont déjà mené des études sur la traite des personnes. Certains témoins ont aussi parlé de l’exploitation d’enfants. Le Comité condamne sans appel ces comportements et reconnaît que la société doit prendre des mesures efficaces contre ces crimes. Cependant, la traite des personnes et l’exploitation d’enfants ne font pas partie des dispositions du Code criminel (le Code) portant sur le travail du sexe pratiqué volontairement par des adultes qui sont en cours de révision. Par conséquent, bien qu’ils soient parfois abordés dans ce rapport en raison des arguments avancés par des témoins, ils ne sont pas traités de manière exhaustive.
L’affaire Bedford
Au moment où la Cour suprême du Canada a rendu sa décision dans Canada (Procureur général) c. Bedford, en 2013, ce n’était pas un crime que de vendre ou d’acheter des services sexuels au Canada. Il était toutefois illégal de communiquer avec une personne dans un endroit public ou situé à la vue du public « dans le but de se livrer à la prostitution ou de retenir les services sexuels d’une personne qui s’y livre ». Il était également interdit d’exploiter une « maison de débauche » (communément appelée un « bordel ») ou de s’y trouver ainsi que de vivre des « produits de la prostitution d’autrui » (l’activité souvent désignée sous le nom de « proxénétisme »).
L’arrêt Bedford repose sur l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), en vertu duquel : « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ». En 1990, la Cour suprême du Canada avait statué dans le Renvoi relatif à l’art. 193 et à l’al. 195.1(1)c) du Code criminel (dit Renvoi sur la prostitution) et avait confirmé la validité des dispositions sur les maisons de débauche et la communication. Se prononçant dans l’arrêt Bedford sur les circonstances où on peut s’écarter d’un précédent, la Cour a déclaré ce qui suit :
[42] À mon avis, le juge du procès peut se pencher puis se prononcer sur une prétention d’ordre constitutionnel qui n’a pas été invoquée dans l’affaire antérieure; il s’agit alors d’une nouvelle question de droit. De même, le sujet peut être réexaminé lorsque de nouvelles questions de droit sont soulevées par suite d’une évolution importante du droit ou qu’une modification de la situation ou de la preuve change radicalement la donne.
[…]
[45] Il s’ensuit que, en l’espèce, la juge pouvait trancher la question de savoir si les dispositions en cause respectaient ou non le droit à la sécurité de la personne garanti à l’art. 7 de la Charte. Dans le Renvoi sur la prostitution, les juges majoritaires statuent uniquement en fonction du droit à la liberté physique de la personne garanti à l’art. 7. […] Les droits garantis à l’art. 7 sont des « intérêts indépendants auxquels la Cour doit respectivement donner un sens indépendant » (R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, p. 52). Qui plus est, dans le Renvoi sur la prostitution, la Cour a examiné les principes de justice fondamentale sous l’angle de l’imprécision de la criminalisation indirecte et de son acceptabilité. En l’espèce, ce sont le caractère arbitraire, la portée trop grande et le caractère totalement disproportionné qui sont allégués, des notions qui ont en grande partie vu le jour au cours des 20 dernières années.
Par conséquent, la Cour suprême du Canada a accepté de réexaminer sa décision dans le Renvoi sur la prostitution. L’affaire Bedford concernait trois personnes qui contestaient la constitutionnalité des dispositions suivantes du Code :
- L’article 210, concernant les maisons de débauche comme lieu où l’on vend des services sexuels (Cette disposition, de même que l’article 197, qui définit le terme « maison de débauche », interdisait d’exploiter ou de posséder un lieu utilisé pour la prostitution ou pour « la pratique d’actes d’indécence », ou encore de travailler ou de se trouver dans un tel lieu. La Cour suprême a statué que la loi cantonnait la prostitution légale à la prostitution de rue ou à la prostitution itinérante, alors que l’endroit le plus sûr pour exercer le travail du sexe est un lieu fixe[2].);
- L’alinéa 212(1)j), concernant le fait de vivre des produits de la vente de services sexuels d’autrui (Cette disposition rendait illégal le proxénétisme, mais également le fait de fournir un service à une personne pratiquant le travail du sexe, que ce soit à titre de réceptionniste, de chauffeur ou de garde du corps. La Cour suprême a statué que la disposition privait les travailleuses et travailleurs du sexe de l’accès à des « mesures susceptibles d’accroître leur sécurité »[3].);
- L’alinéa 213(1)c), concernant le fait d’arrêter une personne ou de communiquer avec elle dans un endroit public dans le but d’offrir, de rendre ou d’obtenir des services sexuels moyennant rétribution. (Cette disposition interdisait de communiquer dans un endroit public afin de déterminer si un client était sûr et de négocier la transaction. La Cour suprême a statué que la disposition empêchait les travailleuses et travailleurs du sexe de réduire les risques auxquels ils s’exposent et les obligeaient à se rendre dans des lieux isolés où ils étaient plus vulnérables[4].)
La Cour suprême du Canada a conclu, dans une décision unanime, que les dispositions portaient atteinte au droit à la sécurité de la personne garanti à l’article 7 de la Charte. Elle a statué, essentiellement, que la loi contribuait à exposer les travailleuses et travailleurs du sexe à un risque accru en les empêchant de prendre des mesures telles que de travailler dans un lieu fixe, de communiquer avec le client avant de monter dans sa voiture, ou d’embaucher des gens qui pourraient les protéger. La Cour a expliqué :
[88] […] L’objectif des demanderesses n’est pas que l’État adopte des mesures qui fassent de la prostitution une activité sûre, mais plutôt que notre Cour invalide des dispositions qui accroissent le risque de maladie, de violence et de décès.
[89] Le fait que le comportement des proxénètes et des clients soit la source immédiate des préjudices subis par les prostituées n’y change rien. Les dispositions contestées privent des personnes qui se livrent à une activité risquée, mais légale, des moyens nécessaires à leur protection contre le risque couru. La violence d’un client ne diminue en rien la responsabilité de l’État qui rend une prostituée plus vulnérable à cette violence[5].
La Cour s’est ensuite demandé si l’effet préjudiciable sur le droit à la sécurité de la personne était conforme aux principes de justice fondamentale, cette question étant nécessaire pour décider si l’article 7 de la Charte avait été enfreint. Les principes de justice fondamentale se trouvent « dans les préceptes fondamentaux de notre système juridique ». Ils peuvent porter sur la procédure (l’équité procédurale) ou sur le fond (l’équité de la loi elle-même). La justice fondamentale englobe les principes selon lesquels les lois ne doivent pas être arbitraires, ni de portée trop grande, et leurs effets ne doivent pas être exagérément disproportionnés eu égard aux objectifs[6].
La Cour a donné l’explication suivante :
Les trois notions — le caractère arbitraire, la portée excessive et la disproportion totale — supposent la comparaison de l’atteinte aux droits causée par la loi avec l’objectif de la loi, et non avec son efficacité. Autrement dit, elles ne s’intéressent pas à la réalisation de l’objectif législatif ou au pourcentage de la population qui bénéficie de l’application de la loi. Elles ne tiennent pas compte des avantages accessoires pour la population en général. De plus, aucune ne requiert la détermination du pourcentage de la population qui est touchée par un effet préjudiciable. L’analyse est qualitative et non quantitative. La question à se poser dans le cadre de l’analyse fondée sur l’art. 7 est celle de savoir si une disposition législative intrinsèquement mauvaise prive qui que ce soit du droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne; un effet totalement disproportionné, excessif ou arbitraire sur une seule personne suffit pour établir l’atteinte au droit garanti à l’art. 7[7].
La Cour a conclu que les dispositions n’étaient pas conformes aux principes de justice fondamentale. Elle a statué que les dispositions relatives aux maisons de débauche et à la communication étaient totalement disproportionnées et que celles sur le fait de vivre des produits de la vente de services sexuels d’autrui étaient de portée excessive[8]. Enfin, la Cour a dit :
Je conclus que, considérée isolément, chacune des dispositions contestées comporte des failles constitutionnelles qui portent atteinte à la Charte. Il ne s’ensuit pas que le législateur ne peut décider des lieux et des modalités de la prostitution. L’interdiction de tenir une maison de débauche, celle de s’adonner au proxénétisme et celle de communiquer aux fins de prostitution s’entremêlent. Chacune a une incidence sur l’autre. Atténuer l’une d’elles — par exemple en permettant aux prostituées de retenir les services de préposés à leur sécurité — peut influer sur la constitutionnalité de l’autre, comme celle des nuisances associées à la tenue d’une maison de débauche. L’encadrement de la prostitution est un sujet complexe et délicat. Il appartiendra au législateur, s’il le juge opportun, de concevoir une nouvelle approche qui intègre les différents éléments du régime actuel[9].
Le Comité estime important de garder à l’esprit ces conclusions de la Cour suprême du Canada et de mettre la sûreté et la sécurité des personnes qui vendent des services sexuels au cœur de ses recommandations. La question qui prime est de savoir quelles sont les meilleures mesures à prendre pour assurer une protection adéquate à ces personnes et sauver des vies.
La Loi sur la Protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation
Dans la foulée de la décision Bedford, le gouvernement de l’époque a présenté le projet de loi C-36, Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation (la LPCPVE), qui a reçu la sanction royale en 2014. Le projet de loi contenait aussi des modifications au Code sur une vaste gamme de sujets, dont la définition d’une arme et la détermination de la peine à l’égard de la traite des personnes. Les témoignages et les mémoires que le Comité a reçus portaient presque entièrement sur les dispositions faisant suite à l’affaire Bedford.
Le projet de loi C-36 a instauré de nouveaux objectifs, comme protéger les collectivités, réduire la demande de services sexuels, reconnaître les dommages sociaux causés par la chosification du corps humain et la marchandisation des activités sexuelles, et protéger les personnes qui vendent des services sexuels, considérées comme étant des victimes d’exploitation sexuelle dans le projet de loi. Il criminalise pour la première fois l’achat de services sexuels au Canada. Une personne pourrait tout de même vendre des services sexuels, sous réserve de certaines conditions, mais en acheter serait une infraction. Le projet de loi a aussi modifié les dispositions du Code criminel couvrant le proxénétisme, le fait de vivre des produits de la vente de services sexuels et la communication dans le but de rendre des services sexuels, en plus d’ériger en acte criminel la publicité de services sexuels, comme il en est question ci‑dessous.
Chapitre 2 : Terminologie, libre arbitre et expérience vécue
La terminologie concernant la vente de services sexuels et les personnes se livrant à cette activité demeure fortement contestée. Des expressions comme travail du sexe et travailleuse ou travailleur du sexe, personne prostituée, vendeuse ou vendeur de sexe, commerce du sexe et industrie du sexe ont été utilisées par les témoins.
Pour la plupart des témoins l’employant, l’expression « travail du sexe » renvoie à des adultes consentants qui ne subissent pas de coercition et qui choisissent de vendre des services sexuels[10]. Pour Amnistie Internationale, le travail du sexe s’entend « de l’échange de services sexuels entre adultes consentants contre une certaine forme de rémunération, selon des conditions convenues entre le vendeur et l’acheteur ».
Suzanne Jay, membre du collectif Asian Women for Equality, a insisté sur l’importance de faire une distinction entre les « travailleuses et travailleurs du sexe » et « les proxénètes, ceux qui gèrent les maisons closes, qui recrutent et qui font de la publicité », qu’elle appelle des exploiteurs.
Des témoins ont choisi de ne pas utiliser l’expression « travailleuse ou travailleur du sexe[11] ». Durant son témoignage, Jennifer Dunn, directrice exécutive du London Abused Women’s Centre, parlait plutôt de « l’industrie du sexe », qui comprend « les femmes qui ont été prostituées, exploitées sexuellement et victimes de la traite ». D’autres prétendent que les termes neutres tels que « travail du sexe » occultent les inégalités de genre inhérentes à l’industrie[12].
Reconnaissant l’importance de la terminologie, le Comité emploie les termes « travail du sexe » et « travailleuse ou travailleur du sexe » dans ce rapport pour parler des adultes qui vendent leurs propres services sexuels, parce que ce sont les termes que les témoins qui vendent des services sexuels emploient pour se décrire. Pour le Comité, le « travail du sexe » ne comprend pas les personnes qui profitent financièrement du travail du sexe d’autrui; toutefois, il reconnaît qu’il peut y avoir un chevauchement des rôles. Bien que certains témoins aient fait référence à des « tierces parties », ce terme peut ne pas être clair pour les lecteurs et le Comité a choisi de faire référence à « ceux qui profitent financièrement du travail du sexe d'autrui » pour désigner le groupe général de personnes impliquées dans l'industrie du sexe autre que les travailleurs ou travailleuses du sexe (par exemple, un garde du corps, une réceptionniste, un chauffeur, un interprète, un « proxénète » ou un propriétaire de bordel). Nous utilisons le terme « client » pour désigner les personnes qui achètent des services sexuels parce qu'il est couramment utilisé et facilement compris en français et en anglais. Le Comité réserve les termes tels que « prostituée ou prostitué » et « prostitution » aux citations directes, parce que ces termes sont de plus en plus vus comme étant péjoratifs[13].
Les différences concernant la terminologie sont en grande partie attribuables aux croyances concernant le consentement, le libre arbitre et la question de savoir si le travail du sexe peut exister sans exploitation. Les personnes évoluant ou ayant évolué dans l’industrie du sexe ont relaté des expériences allant de la joie et de l’épanouissement à la violence et à d’autres torts[14]. Certains témoins ont conseillé au Comité de concentrer son étude sur les voix des survivantes et survivants et sur l’expérience de celles et ceux qui ont quitté l’industrie du sexe, tandis que d’autres sont d’avis qu’il vaudrait mieux s’intéresser à celles et ceux qui sont toujours dans cette industrie[15]. Des organisations ont insisté sur l’importance de reconnaître la vaste gamme d’expériences qui existent dans l’industrie du sexe, ainsi que pour une même personne au fil du temps[16].
Dans son mémoire, la Fédération des femmes du Québec a dit :
Reconnaître l’agentivité signifie d’avoir un dialogue constant avec les femmes, premières concernées et affectées par les décisions en lien avec l’industrie du sexe. De plus, nous reconnaissons le besoin de différencier entre les échanges consensuels, les situations d’exploitation et la traite humaine, et qu’il faut lutter contre la pauvreté, l’exclusion et les relations conflictuelles avec l’État, avec un regard particulier pour les besoins des femmes vivant à la croisée de multiples oppressions.
Alexandra Stevenson (Ford), conférencière, survivante et spécialiste de la prévention, a estimé qu’il était « impossible » de distinguer ceux qui choisissent de travailleur dans l’industrie du sexe de ceux dont ce n’est pas le choix. Kelly Tallon Franklin, directrice générale de Courage for Freedom, a affirmé que de nombreuses survivantes avec qui elle a travaillé et qui étaient mineures en commençant n’avaient pas de libre arbitre et ne comprenaient pas leur situation.
L’Alliance évangélique du Canada a donné un autre point de vue concernant le choix et le libre arbitre :
La question du choix dans le système prostitutionnel n’est pas simple. C’est pour cette raison que nos lois et nos politiques relatives à la prostitution doivent se concentrer sur une partie à la transaction qui est certaine de faire un choix libre – l’acheteur de services sexuels. En concentrant son attention sur l’acheteur de services sexuels et sur les tiers qui profiteraient de l’exploitation d’autrui, la LPCPVE reconnaît la difficulté d’évaluer et de garantir le caractère volontaire au sein du système de prostitution, et y répond.
À l’opposé, la Sex Workers of Winnipeg Action Coalition a déclaré :
Nous avons subi directement les conséquences de la criminalisation, et nous demandons que nos voix [en tant que travailleuses du sexe] soient au centre de ces consultations. Lorsqu’on donne la primauté aux idées des partisans de l’abolition du travail du sexe, on ne sert pas les intérêts des travailleuses du sexe ni ceux des gens touchés par la traite des personnes.
Jenn Clamen, coordonnatrice nationale de l’Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe, a donné son avis sur ce qu’elle voit comme une tendance dans les témoignages venant des prohibitionnistes :
L’un de ces mythes tient à cette division erronée entre les survivantes exploitées, d’une part, et les travailleuses du sexe indépendantes ou les entrepreneures, d’autre part. Tous les témoins, y compris les travailleuses du sexe, présentent des preuves concernant des personnes qui vendent ou échangent des services sexuels dans des circonstances difficiles, la plupart avec des options limitées, et pourtant, une fausse division est créée, comme si les expériences des gens tombaient dans l’une des deux catégories suivantes: les personnes qui ont un pouvoir et ne subissent pas de violence et celles qui subissent de la violence et n’ont pas de pouvoir.
Si certaines personnes de l’industrie du sexe exercent un contrôle et une autonomie assez élevés, le Comité reconnaît que ce n’est pas le cas de tout le monde. Le Comité reconnaît l’importance d’entendre la gamme d’expériences que ces personnes ont vécues dans l’industrie du sexe. C’est pourquoi, dans son examen de la LPCPVE, le Comité a intégré leurs perspectives, en prêtant une attention particulière aux témoignages de personnes ayant une expérience vécue de l’industrie et aux recherches approuvées par des pairs.
Recommandation
Recommandation 1
Que le gouvernement du Canada entreprenne, avant de modifier la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation ou d’élaborer des programmes ou des politiques s’y rapportant, des consultations approfondies.
Chapitre 3 : Motifs pour entrer dans le commerce du sexe et données démographiques
Les données de 2021 fournies au Comité par Nathalie Levman, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, Ministère de la Justice, et qui proviennent de Statistique Canada confirment ce que la plupart des témoins affirment :
[L]a majorité des personnes qui offrent des services sexuels sont des femmes et des filles. La vaste majorité des personnes qui achètent des services sexuels sont des hommes, et la majorité des proxénètes et des exploiteurs sont aussi des hommes.
Selon une étude de 2006, les hommes et les personnes de diverses identités de genre représentent environ 20 % des personnes engagées dans le travail du sexe. L’organisme Egale soutient que selon une étude de 2014, 77 % des personnes travaillant dans l’industrie du sexe s’identifient comme étant des femmes, 17 % comme étant des hommes et 6 % comme étant transgenre, de genre fluide ou de genre autre que les hommes ou les femmes.
Charlene Gagnon, gestionnaire de Promotion, recherches et nouvelles initiatives, à YWCA Halifax, a parlé d’une enquête réalisée en 2020 auprès de 95 personnes en Nouvelle-Écosse à propos du commerce du sexe, qui révèle que 30 % des répondants venaient d’un milieu rural. Cathy Peters, éducatrice, a affirmé au Comité que 54 % des personnes qui vendent des services sexuels sont des personnes autochtones[17].
Selon le mémoire de Mme Peters, « l’industrie du sexe dépend du recrutement de personnes mineures »[18]. Glendyne Gerrard, directrice de Defend Dignity, a relaté l’expérience de 19 personnes que son organisme soutient. Douze d’entre elles étaient mineures au moment d’entrer dans l’industrie du sexe, dont une âgée de deux ans[19]. Les témoins ont mentionné diverses moyennes d’âge pour l’entrée dans l’industrie, dépendamment de la taille et de l’origine des échantillons[20].
Sandra Wesley, directrice générale de Stella, a dit :
[L]es travailleuses du sexe sont extrêmement diversifiées. Nous avons des femmes de tous les âges. Il est totalement faux de penser que la plupart des travailleuses du sexe sont jeunes. Chez Stella, la majorité des femmes que nous voyons sont dans la trentaine.
Mme Clamen a dit:
Les partisans de la LPCPVE affirment que l’âge moyen d'entrée est de 12 à 14 ans. Cette affirmation est discréditée. Les jeunes sont victimes de mauvais traitements, tant dans l’industrie du sexe qu’en dehors, mais les salons de massage, les clubs de strip-tease est les agences ne regorgent pas de jeunes de 12 et 13 ans. Ce n’est pas l’âge moyen auquel les gens commencent à vendre ou à échanger des services sexuels.
La désinformation sur l’âge d’entrée moyen dans l’industrie du sexe est ce que le chercheur John Lowman appelle la « pierre angulaire de la rhétorique prohibitionniste ». Selon lui, « traiter les prostituées comme des enfants permet aux prohibitionnistes d’affirmer plus facilement que [les femmes] doivent être sauvées de [nous-mêmes] ».
Des affirmations discréditées sur l’âge d'entrée sont diffusées par les partisans de la criminalisation et de la LPCPVE. Les recherches empiriques les plus récentes brossent un tableau très différent. Une étude de 2018 de Cecilia Benoit révèle que l’âge d'entrée moyen est de 24 ans. Une étude de 2011 de van der Meulen l'a établi à 20 ans. Une étude réalisée en 2007 par O’Doherty montre un âge moyen de 23 ans[21].
Les motifs pour lesquels des personnes en viennent à offrir des services sexuels sont divers et sont influencés par de nombreux facteurs socioéconomiques, notamment la pauvreté, le jeune âge, l’itinérance, le manque d’éducation ou l’incapacité de payer pour son éducation, le manque d’autres options d’emploi, la toxicomanie, l’endettement, la nécessité de subvenir aux besoins d’une famille et la nécessité de sortir d’une relation de violence[22]. Daphne Barile, coordonnatrice d’Action santé travesti(e)s et transsexuel(le)s du Québec, a dit au Comité que les travailleuses du sexe transgenres avec qui elle travaille veulent rester dans le commerce du sexe pour diverses raisons. Pour certaines, ce travail leur permet d’atteindre l’autosuffisance économique, de compléter les prestations d’aide sociale ou d’éviter la discrimination transphobique ou raciste dans le monde du travail licite. D’autres restent dans le milieu parce que leur statut en matière d’immigration les empêche d’occuper d’autres postes.
Gwendoline Allison, de Barton Thaney Law, a confié au Comité que « la prostitution cible les personnes vulnérables », souvent celles qui ne le font pas par choix[23]. Des expériences d’agressions sexuelles et d’inceste ne sont pas rares[24]. La mémoire de Paul Brandt dit que 75 % des personnes qui travaillent dans l’industrie du sexe ont d’abord été exploitées dans leur enfance.[25] Bon nombre avaient été placées en famille d’accueil dans leur enfance[26]. De nombreux travailleurs du sexe indépendants adultes sont entrés dans l’industrie par le biais de l’exploitation et de la traite dans leur jeunesse et n’ont pas eu la possibilité de s’instruire ni les ressources nécessaires pour changer de carrière à l’âge adulte, aux dires de Mme Gagnon. Le contrôle sur la manière, le moment et l’endroit où les services sont fournis est variable, selon Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice.
Nadia Guo, avocate criminaliste et ex-escorte indépendante, a expliqué sa motivation comme suit :
En ce qui me concerne, j’étais curieuse. Je voulais explorer ma sexualité et voulais voir comment c’était. Bien sûr, il y avait aussi l’argent, parce que vous pouvez faire beaucoup d’argent en très peu de temps. Vous pouvez décider de votre horaire. Vous avez une emprise totale sur vos conditions de travail, ce qui n’était pas le cas, par exemple, quand j’étais stagiaire.
Naomi Sayers, avocate, a aussi relaté son histoire :
La raison pour laquelle je parle autant de mon histoire, c’est qu’on ne l’entend pas. On n’en tient pas compte. J’ai commencé à l’âge de 18 ans. J’étais encore à l’école secondaire. J’apprenais à vivre avec une lésion cérébrale. Je venais de survivre à un horrible accident de voiture où j’avais presque perdu la vie. J’occupais deux emplois au salaire minimum. Lorsque vous avez une lésion cérébrale, vous avez des maux de tête, des migraines. Vous êtes fatigué. Je me disais: « Je ne peux pas atteindre mes objectifs d’études universitaires si je travaille au salaire minimum. » Je ne vivais pas à la maison, et le travail du sexe était là.
Si vous vous attaquez au salaire minimum, au logement sûr, à ces autres mesures de soutien... Je n’aurais peut-être jamais travaillé dans l’industrie du sexe. Je ne sais pas, mais cela m’a permis de m’en sortir. Cela m’a menée là où j’en suis aujourd’hui. Je suis avocate et j’aide d’autres victimes et survivants. Je pense que tout est là.
D’après le mémoire de Cecilia Benoit et Andrea Mellor, de l’Université de Victoria, une étude auprès de 218 personnes se livrant au travail du sexe dans six villes canadiennes en 2012-2013 conclut aussi que les répondants trouvent une meilleure qualité de travail dans l’industrie du sexe que dans d’autres emplois qu’ils avaient occupés ou qu’ils occupaient simultanément. Dans leur mémoire, Cecilia Benoit et Andrea Mellor écrivent :
La vision selon laquelle les personnes qui vendent des services sexuels le font contre leur gré est un mythe. Les éléments de preuve montrent qu’elles décident de commencer le travail du sexe pour des raisons similaires à celles qui poussent les gens à entrer dans d’autres emplois. Il ne fait aucun doute que pour certains, en particulier pour les plus défavorisés, le travail du sexe peut être le moyen le plus réaliste de gagner sa vie. Les données probantes montrent que le travail du sexe est l’une des nombreuses possibilités d’emploi qui s’offrent aux travailleurs peu qualifiés. De nombreux travailleurs du sexe occupent plusieurs emplois précaires. L’autonomie que leur procure le travail du sexe sur le plan de la satisfaction professionnelle, du revenu et de l’indépendance en fait un substitut favorable aux autres formes d’emploi à leur portée.
Chapitre 4 : Modèles possibles
Il existe quatre types de modèles pour réglementer le travail du sexe effectué entre des adultes consentants :
- le modèle nordique (où les clients sont criminalisés);
- le modèle prohibitif (où les vendeurs de services sexuels et les clients sont criminalisés);
- la décriminalisation (où le travail du sexe est traité comme tout autre travail, sans infraction criminelle précise, et régi par les lois générales sur l’emploi et le travail);
- la légalisation (où il existe un régime spécial régissant le commerce du sexe, et des lois pénales applicables en dehors de cette sphère[27]).
Les témoins ont surtout parlé du modèle nordique et du modèle de la décriminalisation; les travailleuses et travailleurs actuels du sexe demandent généralement la décriminalisation et ceux et celles ayant quitté l’industrie ont des opinions plus diverses. Des témoins ont évoqué les obligations internationales du Canada, mais le Comité ne les a pas analysées en profondeur et son rapport se concentre sur le droit canadien[28].
Expériences ailleurs dans le monde
Les affirmations des témoins sur les expériences menées dans d’autres pays étaient parfois contradictoires. La Suède a introduit le modèle nordique en 1999 et la Nouvelle-Zélande a décriminalisé le travail du sexe en 2003. La plupart des discussions sur les expériences d’autres pays étaient liées aux expériences de ces deux pays[29].
Certains témoins ont parlé de l’expérience suédoise en termes positifs. La sensibilisation du public et la formation des acteurs du système judiciaire ont été jugées essentielles[30]. Mme Levman a dit que le modèle « semble réduire autant que possible la demande ». En contrepartie, Claudyne Chevrier, Ph. D., Santé communautaire, a contesté l’idée selon laquelle le modèle suédois avait réduit la demande comme prévu, affirmant que les recherches montrent qu’il y a peut-être eu une diminution au début, mais que cette baisse n’a pas duré. Du même coup, elle a déclaré que la violence et le harcèlement policier avaient augmenté.
Christa Big Canoe, directrice du plaidoyer juridique aux Aboriginal Legal Services, a déclaré que la décriminalisation en Nouvelle-Zélande avait permis de renforcer la sécurité, de réduire les pertes de vies humaines et d’améliorer les relations entre la police et les travailleuses et travailleurs du sexe[31]. Pour sa part, Kerry Porth, consultante sur les politiques du travail du sexe pour la Pivot Legal Society, a affirmé que les recherches laissent croire que ce modèle a permis aux travailleuses et travailleurs du sexe de mieux contrôler leurs conditions de travail, notamment leur capacité de refuser des clients et d’insister sur l’utilisation de préservatifs.
De l’avis de Mme Clamen, il n’existe « aucune source solide sur le plan méthodologique » qui soutient les affirmations selon lesquelles le modèle néo-zélandais serait un échec. Par contre, Lynn Kent, présidente, Vancouver Collective Against Sexual Exploitation, a déclaré :
Les prostituées néo-zélandaises ont manifesté, fait campagne et exercé des pressions en faveur d’une décriminalisation totale, pour s’apercevoir que leur propre capacité d’action était réduite et que l’ensemble des avantages, du contrôle et du pouvoir revenait aux propriétaires de maisons closes, aux proxénètes, aux clients et aux exploiteurs.
Elle a dit que la Nouvelle-Zélande a été signalée comme ayant un problème de traite dans tous les rapports du Département d’État américain sur la traite des personnes depuis la décriminalisation[32]. Les partisans du modèle néo-zélandais ont déclaré que la criminalisation continue des travailleurs du sexe migrants dans ce pays a conduit à des hypothèses de traite qui ne sont pas toujours exactes[33].
Le Comité n’a entendu aucun témoin de la Suède, mais a entendu deux chercheuses de la Nouvelle-Zélande. Voici les propos de Gillian Abel, professeure, Département de santé de la population, University of Otago :
L’année prochaine, cela fera 20 ans que le commerce du sexe a été décriminalisé en Nouvelle-Zélande, et je peux affirmer de façon catégorique que les travailleuses du sexe se portent beaucoup mieux maintenant qu’avant, lorsque j’ai entrepris cette première étude dans les années 1990.
Elle reconnaît que tout n’est pas parfait, mais a expliqué que les travailleuses du sexe ont une meilleure capacité à négocier leurs limites et leurs services et à refuser des clients, qu’elles connaissent mieux leurs droits, qu’il y a plus de recours judiciaires contre l’exploitation et de meilleures relations avec la police. Elle a dit que le nombre de travailleuses du sexe n’a pas augmenté. Les règles qui bannissent les migrants et migrantes du travail du sexe seraient toutefois à revoir, selon elle.
De même, Lynzi Armstrong, maître de conférences à l’Institut de criminologie de la Victoria University of Wellington, a fait état d’avantages et d’inconvénients semblables avec le modèle néo-zélandais. Elle a dit qu’en définissant le travail du sexe en tant que travail, on pouvait aisément distinguer la traite des personnes du travail du sexe.
Recherche sur l’impact de la LPCPVE
Statistique Canada a produit un rapport analysant les statistiques à sa disposition avant et après la LPCPVE. Elles ont révélé qu’avant l’entrée en vigueur de la LPCPVE, 43 % des auteurs présumés d’infractions liées au commerce du sexe étaient des femmes, tandis que dans les cinq années qui ont suivi son adoption, 7 % étaient des femmes. L’analyse a également montré que les victimes étaient moins susceptibles de signaler des blessures depuis l’adoption de la LPCPVE et qu’il y avait également moins d’homicides de travailleuses et travailleurs du sexe.
Le projet AESHA, une recherche longitudinale auprès de plus de 900 travailleuses et travailleurs du sexe à Vancouver qui a été la source de publications approuvées par des pairs, a comparé les expériences vécues avant et après l’entrée en vigueur de la LPCPVE. Premièrement, 72 % des participants n’ont signalé aucun changement de leurs conditions de travail après l’entrée en vigueur de la LPCPVE, tandis que 26 % ont signalé des changements négatifs, surtout une moindre capacité de présélectionner les clients et de négocier leurs conditions. Ensuite, les signalements de violence à la police n’ont pas augmenté : seulement 26 % des travailleuses et travailleurs du sexe en ont signalé (13 % dans le cas des migrants et immigrants racisés travaillant dans l’industrie). La recherche a aussi constaté une diminution de 41 % de l’accès aux services de santé et une diminution de 21 % de l’accès aux services de soutien communautaires. Enfin, la recherche a dévoilé que les services de sécurité et le soutien administratif étaient liés à la santé et à la sécurité au travail, mais que l’accès à ces services avait diminué de 31 % pour les travailleuses et travailleurs du sexe après l’entrée en vigueur de la LPCPVE[34].
Selon une autre étude de Kate Shannon, Chris Bruckert et d’autres menée auprès de 200 travailleuses et travailleurs du sexe dans cinq villes canadiennes, 80 % des participants ont indiqué que la violence avait augmenté ou n’avait pas changé après l’entrée en vigueur de la LPCPVE, les signalements de violence étant plus courants pour les personnes travaillant dans la rue ainsi que pour les travailleuses et travailleurs du sexe autochtones. Dans une proportion de 87 %, les répondants ont déclaré qu’il était aussi difficile, voire plus, d’obtenir de l’aide en situation d’urgence sous le régime de la LPCPVE qu’avec la loi antérieure, et 31 % ont déclaré ne pas vouloir composer le 911 par crainte que la police ne les détecte, leurs collègues ou d’autres personnes. Cette proportion était plus du double chez les Autochtones travaillant dans l’industrie du sexe.
Certains témoins ont mis en doute la fiabilité des données de Statistique Canada[35]. Andrea Krüsi, membre du corps professoral et professeure adjointe, Département de médecine, Université de la Colombie-Britannique, à titre de représentante du Centre for Gender and Sexual Health Equity, a rappelé au Comité que les données de Statistique Canada ne comprennent pas les personnes qui n’ont pas fait de signalement à la police. D’autres études en tiennent compte, ce qui peut expliquer les conclusions divergentes quant à l’impact de la LPCPVE.
Le modèle nordique – LPCPVE
La LPCPVE adopte l’élément clé du modèle nordique, à savoir la criminalisation de l’achat de services sexuels. Certains témoins en parlent comme d’une « loi étalon[36] », tandis que d’autres réclament son abrogation, affirmant que les modifications ne suffiront pas.
Les témoins favorables à la LPCPVE considèrent généralement que le travail du sexe est une forme d’exploitation, qu’il est nuisible et contraire à l’égalité hommes-femmes[37]. Voici ce qu’on peut lire dans le mémoire de Rose Dufour :
Pour [les clients et les proxénètes], le sexe tarifé est un droit, le droit de disposer du corps des femmes au nom de leurs désirs sexuels qu’ils définissent le plus souvent irrépressibles et devant être satisfaits par les femmes. Toute la prostitution souscrit à cette vision patriarcale et quand la prostitution est légale dans un pays, le commerce sexuel et la marchandisation des êtres humains sont légitimés[38].
Trisha Baptie, membre fondatrice et coordonnatrice des services communautaires d’EVE, appuie le modèle Nordique, et remet en question l’idée que le travail du sexe est un travail :
Je pense que le problème tient au fait que nous continuons d’en parler comme d’un travail, comme si c’était inévitable. Nous nous employons à y mettre fin, tout comme nous nous employons à mettre fin à la violence familiale, au viol et à toutes ces choses qui affligent les femmes et la société[39].
Pour ces témoins, faire diminuer la demande est essentiel. Andrea Heinz a confié au Comité :
En fin de compte, les lois en vigueur, quelles qu’elles soient, ne sont pas présentes dans les chambres pendant les échanges. Plus il y aura d’échanges, plus les préjudices seront importants, quantitativement, car ils sont inhérents à cette activité[40].
Certains témoins qui appuient la LPCPVE affirment aussi que la demande baisse quand on pénalise les acheteurs de services sexuels[41]. Le mémoire de l’ICOSE contient des données montrant que les industries du sexe sont beaucoup plus grosses dans les pays l’ayant légalisée ou décriminalisée.[42] Janine Benedet, professeure de droit à la Peter A. Allard School of Law, Université de la Colombie-Britannique, estime nécessaire de criminaliser l’industrie même s’il est impossible d’éliminer entièrement le comportement, comme d’autres infractions telles que l’agression sexuelle ou l’homicide, afin que le comportement ne soit pas normalisé.
Dans les mots de Mme Jay :
Nous soutenons cette loi. C’est une loi moderne, qui tient compte des différences entre les exploiteurs et les exploités en les traitant différemment. Elle criminalise les exploiteurs et non pas les exploités.
L’Aboriginal Women’s Action Network s’est aussi dit en faveur de la LPCPVE.
Beaucoup contestent l’idée, dont il sera question plus loin, que la LPCPVE cause des préjudices, et blâment les hommes qui achètent du sexe et ceux qui exploitent les travailleuses et travailleurs du sexe pour tous les préjudices[43]. Ces témoins ont évoqué des préjudices d’ordre physique, émotionnel et mental[44].
Mme Baptie a dit au Comité :
Ce n’est pas à cause de la loi et à cause de la stigmatisation que mes amies et moi avons été battues, violées et tuées; c’est à cause des hommes. Ce ne sont pas les endroits où nous nous trouvions qui n’étaient pas sécuritaires. Ce sont les hommes qui étaient là qui les ont rendus dangereux. Il ne s’agit pas d’un seul type d’homme, mais bien d’hommes de tous les horizons.
Dans son mémoire, VCASE déclare :
Par sa façon d’aborder la chosification et la marchandisation des femmes et des filles victimes de façon disproportionnée d’exploitation sexuelle, contrôlées, sous l’emprise d’un proxénète et livrées à la prostitution, la LPCPVE est transformatrice tant sur le plan social, juridique que relationnel.
Dans son mémoire, le London Abused Women’s Centre a indiqué que depuis l’entrée en vigueur de la LPCPVE, il y a eu moins d’homicides dans l’industrie du sexe, moins d’accusations contre les femmes dans le commerce du sexe et plus d’accusations pour avoir obtenu des services sexuels d’un mineur contre des hommes[45]. Mme Franklin a déclaré que la LPCPVE avait contribué à l’identification des personnes mineures violées et victimes de la traite des personnes[46].
Pareillement, M. Brandt a affirmé :
Les faits sont clairs. Depuis l’adoption de la LPCPVE, le cadre et les mécanismes de sécurité qu’elle a créés et dont on a tant besoin ont permis de repérer et de soutenir plus de victimes, de protéger plus d’enfants et d’inculper plus d’acheteurs de services sexuels.
[…]
Je dirais que le soutien et le maintien de la LPCPVE et l’amélioration de la loi, sous sa forme actuelle, seraient utiles aux Canadiens. Les femmes, les filles, les jeunes et les enfants, ainsi qu’un nombre disproportionné d’Autochtones, sont attirés dans l’industrie du sexe. La LPCPVE s’attaque au problème. En améliorant les mesures prévues dans la LPCPVE, on peut améliorer l’efficacité de la LPCPVE.
Pour M. Brandt et Mme Jay, les préjudices sont attribuables à une mauvaise application de la loi; pour eux, lorsque la loi est appliquée, elle fonctionne.
Bien que reconnaissant les craintes des opposants à la LPCPVE, Mme Stevenson a fait valoir qu’il fallait appliquer la LPCPVE pour protéger les plus vulnérables :
Je crois que les deux camps sont porteurs de vérités et qu’ils ne doivent pas être éternellement opposés. Or, une loi fédérale doit protéger les populations les plus vulnérables de ce pays et c’est ce que fait la LPCPVE. […] Pour qu’il existe un monde dans lequel l’industrie du sexe peut évoluer sans inégalités extrêmes, sans exploitation et sans prédation, nous devons d’abord travailler ensemble pour le créer.
La surintendante Lisa Byrne, de la police de Vancouver et membre du Comité sur les amendements législatifs, Association canadienne des chefs de police, a dit au Comité que la LPCPVE protégeait les propriétaires de bordels réguliers qui n’exploitent personne et qui fonctionnent dans les limites de la loi, ainsi que les femmes qui y travaillent. Elle a aussi dit que la Loi protégeait les personnes vulnérables en donnant à la police les outils nécessaires pour entreprendre des enquêtes.
Plusieurs témoins ont évoqué l’impact de la LPCPVE sur la stigmatisation que subissent les travailleuses et travailleurs du sexe. Le Centre to End All Sexual Exploitation (CEASE) a avancé que la LPCPVE avait un effet déstigmatisant. À l’opposé, voici ce qu’on peut lire dans le mémoire de Mmes Benoit et Mellor :
la LPCPVE et son préambule contiennent des termes et des formules qui sont intrinsèquement stigmatisants pour les travailleurs du sexe.
[…]
Les conséquences de la stigmatisation sont considérables, notamment la discrimination dans l’emploi et dans la recherche de soins de santé et de services de protection.
Contrairement aux témoignages ci-dessus, de nombreux témoins ont critiqué le modèle nordique et demandé l’abrogation de la LPCPVE[47]. Amber Lindstrom, coordonnatrice de programmes de SafeSpace London, a fait remarquer que l’objectif de la Loi, à savoir réduire la demande pour le travail du sexe, n’avait pas été atteint[48]. Pour sa part, le Centre de lutte contre l’oppression des genres écrit dans son mémoire : « L’idée que des mesures législatives puissent réduire la demande pour un service est absurde[49]. »
Mme Wesley a déclaré, au sujet de la Loi :
Il est important de noter que la protection n’est pas nécessairement l’objectif principal. On ne peut pas éradiquer le travail du sexe et protéger les personnes qui se prostituent en même temps, car ces deux objectifs entrent en contradiction.
Sandra Ka Hon Chu, codirectrice exécutive du Réseau juridique VIH, a également contesté la perception selon laquelle la LPCPVE ne criminalise pas les travailleuses et travailleurs du sexe, en se référant à l’article 213 du Code criminel (concernant les communications dans un endroit public), ainsi qu’à d’autres infractions dans lesquelles des travailleuses et travailleurs du sexe fournissent des services à d’autres travailleuses et travailleurs du sexe et sont accusés d’en avoir profité, d’en avoir fait la publicité ou d’avoir facilité l’échange d’un service sexuel moyennant rétribution[50].
Miia Suokonautio, directrice exécutive du YWCA Halifax, a dit au Comité que rien ne prouvait que la LPCPVE avait empêché ou arrêté l’exploitation en Nouvelle-Écosse, sa province[51]. Comme l’a dit Mme Ka Hon Chu :
La LPCPVE rétablit ces mêmes dispositions, en ajoutant l’interdiction d’acheter et l’interdiction de faire de la publicité. Rien n’a changé. Les préjudices que la Cour suprême du Canada a constatés il y a près d’une décennie sont toujours présents, comme vous l’ont dit les chercheurs. Cela signifie que la loi actuelle est encore inconstitutionnelle; elle ne résistera pas à un examen fondé sur la Charte[52].
Le mémoire de l’Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe précise :
Bien que l’établissement et le maintien du consentement soient considérés comme étant essentiels à toute rencontre sexuelle, y compris dans le contexte du travail du sexe, les paragraphes et articles 213(1), 213(1.1), 286.1, 286.2, 286.3 et 286.4 sapent la capacité des travailleuses du sexe à négocier, à communiquer et à établir clairement les termes de leur consentement à des activités sexuelles auprès des parties concernées, notamment les clients potentiels et les personnes avec lesquelles elles travaillent. La criminalisation du travail du sexe a également d’énormes répercussions sur les conditions de travail des travailleuses du sexe, et par conséquent sur les contextes et les conditions dans lesquels elles négocient le consentement. Ces interdictions privent les travailleuses du sexe de l’autonomie personnelle et sexuelle et de moyens, et les exposent à des dangers inutiles.
Mme Wesley a été encore plus vive :
Personne ne conteste nécessairement le fait que cette loi tue des gens, qu’elle les expose à la violence, qu’elle les plonge dans la pauvreté ou qu’elle leur cause toutes sortes de préjudices. C’est juste que maintenant, avec cet objectif plus général de nous éradiquer, certaines personnes penseront peut-être qu’il y a un argument à défendre, que ce n’est pas grave si certaines d’entre nous finissent par être assassinées à cause de cet objectif[53].
La Sex Workers of Winnipeg Action Coalition a déclaré :
[La prohibition] criminalise inutilement de nombreux membres de la population, elle remplit les prisons, elle encombre les systèmes et elle soumet sans bonne raison des gens à des systèmes correctionnels néfastes qui brisent les familles, qui empêchent les personnes qui en sortent de se trouver du travail, et qui font proliférer les troubles de santé mentale […] Il suffit de penser à la guerre à la drogue et à la prohibition de l’alcool effectuées à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle. Les lois prohibitives transforment des activités qui pourraient être sûres en activités dangereuses, comme dans le cas de la prohibition, qui a mené des Américains à boire de l’alcool de contrebande qui détruisait la vue, ou la crise des opioïdes qui sévit actuellement[54].
Mme Wesley a affirmé au Comité que ce sont les femmes les plus marginalisées – comme les femmes autochtones, les femmes transgenres et les femmes migrantes – qui subissent le plus de conséquences et qui sont les plus visées par la police et les agresseurs sous le régime de la LPCPVE[55].
Mme Ka Hon Chu a affirmé :
Les participants ont également expliqué comment la criminalisation les force à accepter de mauvaises conditions de travail et des incidents de violence. La criminalisation force les tiers et les lieux de travail à dissimuler le travail du sexe, de sorte que les travailleuses et les travailleurs du sexe ne peuvent ni avoir accès à des conditions de travail décentes, ni signaler le harcèlement ou la violence, parce que cela a pour effet que leurs employeurs et leurs pairs sont scrutés à la loupe en tant que tiers ou trafiquants de personnes[56].
Comme leurs revenus sont le fruit de la criminalité, les travailleuses du sexe n’ont pas accès à l’assurance-emploi et à d’autres prestations gouvernementales, ni aux protections en matière de santé et de sécurité au travail selon Mme Wesley. Les comptes bancaires et les systèmes de paiement en ligne peuvent être gelés si l’on soupçonne une personne d’être une travailleuse du sexe et il est risqué de produire une déclaration de revenus. Selon le mémoire du Réseau juridique VIH, les travailleuses et travailleurs du sexe se heurtent aussi à des difficultés lorsqu’ils cherchent de l’emploi en dehors de l’industrie en raison de la criminalisation, par exemple s’ils ont fait l’objet d’accusations criminelles liées au travail du sexe et qu’ils échouent à l’enquête de sécurité d’un secteur vulnérable.
Comme l’a fait valoir Mme Clamen, l’incidence de la LPCPVE pour les travailleuses et les travailleurs du sexe va également au-delà du contexte pénal :
L’incidence de la LPCPVE est loin de s’arrêter aux arrestations. Elle a une influence sur la vie des travailleuses et travailleurs du sexe, par exemple en ce qui concerne le logement, la prise en charge des enfants, la violence et l’incapacité d’avoir un revenu stable[57].
Mme Wesley a affirmé que des partenaires violents se servent du fait qu’une femme est une travailleuse du sexe pour menacer de lui retirer la garde de ses enfants.
Shira Goldenberg, directrice de la recherche en éducation et professeure adjointe, Division d’épidémiologie et de biostatistique, Université Simon Fraser, a confié au Comité que la LPCPVE créait aussi « des inégalités en matière de santé et des obstacles à la sécurité et à l’accès aux services de santé pour les travailleuses du sexe ». La Direction régionale de santé publique de Montréal dresse la liste, dans son mémoire, de plusieurs préjudices sanitaires induits par la criminalisation, dont un risque accru de contracter le VIH, une augmentation du risque de violence ainsi que des barrières à l’accès aux services de santé en raison de facteurs comme la stigmatisation et la discrimination.
Les travailleuses et travailleurs du sexe ayant participé à une étude du Réseau juridique VIH ont parlé des répercussions négatives de la criminalisation sur leur santé mentale, comme de l’anxiété à l’idée d’être perquisitionnés ou surveillés par la police. Ils ont dit craindre, par ailleurs, la stigmatisation qui suit un « dévoilement forcé » de leur travail; l’expulsion de leur lieu de résidence ou de leur lieu de travail; des conséquences négatives sur leur vie familiale, comme perdre la garde de leur enfant; ou des obstacles à la pratique d’activités sexuelles plus sécuritaires.
Mme Guo a été la seule témoin à ne pas avoir remarqué de grandes différences, positive ou négative, dans son travail ou celui d’autres travailleuses et travailleurs du sexe qu’elle connaît, suite à l’entrée en vigueur de la LPCPVE.
Certains témoins ont également critiqué des dispositions précises de la LPCPVE, qui sont examinées plus en détail ci-dessous. Les témoins en faveur de la LPCPVE étaient généralement favorables à ses dispositions, sauf dans les cas mentionnés ci‑dessous.
Criminalisation des clients
L’article 286.1 du Code érige en acte criminel l’achat de services sexuels. Mme Guo a constaté que les clients qui se font arrêter « ont tendance à être moins instruits, moins blancs et moins aisés », même si ce ne sont pas les seuls clients.
Le mémoire soumis par la SWAN Vancouver Society précise : « On ne peut pas criminaliser une partie d’une interaction sans que cela ait des conséquences et des résultats négatifs pour l’autre[58]. » Le mémoire de Living in Community et ses cosignataires explique que « les travailleuses et travailleurs du sexe sont régulièrement surveillés et harcelés par la police qui cible les clients ».
Le mémoire du projet AESHA cite des recherches qui montrent que la criminalisation des clients reproduit les préjudices exposés dans l’affaire Bedford[59]. En outre, selon Mme Clamen, si la décision Bedford a reconnu que le travail à l’intérieur était plus sécuritaire, l’article 286.1 fournit des motifs pour expulser des travailleuses et travailleurs du sexe de leur résidence ou d’un espace de travail en milieu commercial, vu qu’ils prennent part à une activité illégale.
Selon Jenny Duffy, présidente du conseil d’administration de Maggie’s, les travailleuses du sexe de la rue « ont régulièrement fait état de harcèlement de la part des forces de l’ordre et ont été contraintes de se déplacer dans la ville pour éviter la police ». Par exemple, avant la LPCPVE, il était autrefois possible d’évaluer un client potentiel et de négocier un prix, l’utilisation du préservatif, l’endroit où ils iraient et les services à fournir avant de monter dans un véhicule pour les travailleuses du sexe de la rue. Or selon ce qui a été dit au Comité, ces conversations sont désormais criminalisées, de sorte que la travailleuse du sexe saute plus rapidement dans la voiture avant que ces négociations n’aient lieu et se retrouve alors dans une position vulnérable face au client et peut être emmenée n’importe où[60]. Comme l’a souligné Mme Porth, « une fois qu’un travailleur ou qu’une travailleuse du sexe se trouve à l’intérieur d’un véhicule en mouvement, il perd tout pouvoir de négociation ».
La No Pride in Policing Coalition précise, dans son mémoire :
[Les personnes de l’industrie du sexe travaillant dans les rues] sont également plus susceptibles de prendre des risques avec des clients nouveaux ou inconnus et de fournir des services qu’elles n’offriraient pas autrement lorsque leurs clients habituels sont forcés de changer de secteur ou de renoncer à leurs services. Comme elles ont moins de clients, elles doivent travailler plus longtemps ou plus souvent pour générer le même revenu […]. Cela peut également les amener à travailler dans des secteurs plus sombres et moins peuplés, où elles sont plus vulnérables à la violence.
[…]
Par conséquent, leurs réseaux de soutien informels s’en trouvent affaiblis et il est plus difficile pour elles de se tenir informées des agresseurs abusifs ou violents qui se font passer pour des clients, ou de consulter des ressources comme une « liste noire ». Dans ces circonstances, il est également plus difficile pour les fournisseurs de services sociaux de garder le contact avec les personnes du milieu[61].
Pour ceux et celles qui font de la publicité et négocient en ligne, les clients ne veulent pas donner leur vrai nom, fournir une pièce d’identité, ni négocier en détail ou de manière explicite; tout se fait donc en utilisant des mots codés ou une fois en personne[62].
Susan Davis, directrice, BC Coalition of Experiential Communities, a aussi dit au Comité que les acheteurs « sont un allié essentiel dans la lutte contre l’exploitation […] Les clients ne sont pas des croquemitaines ». Elle a dit au Comité que des clients avaient appelé la police pour signaler qu’une adolescente vendait des services sexuels en ligne, et que le fait de les criminaliser ne les motivait pas à signaler des cas d’exploitation. Dans son mémoire, l’Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe écrit que de nombreuses travailleuses du sexe membres de l’Alliance ont rapporté qu’avant la LPCPVE, les clients étaient plus disposés à signaler les actes de violence, de coercition ou d’exploitation à l’encontre des travailleuses du sexe, et qu’ils les accompagnaient parfois pour qu’elles puissent faire des signalements.
Dans son mémoire, Butterfly (le réseau de soutien aux travailleurs du sexe asiatique et migrants) explique le rôle important que peuvent jouer les clients dans les vies des travailleuses et travailleurs du sexe migrants, précisant qu’ils sont « une ressource et un soutien essentiels ». Cela dit, le réseau Butterfly a constaté que la nature des relations entre clients et travailleurs du sexe avait changé, car la criminalisation avait nui à leur capacité de nouer des relations productives et de soutien avec les clients, qui craignent les répercussions.
L’Association canadienne du Barreau a fait valoir que l’article 286.1 était arbitraire, grossièrement exagéré et d’une portée beaucoup trop générale, car « il criminalise les services sexuels consentis et empêche les travailleurs de se protéger[63] ». En revanche, Mme Benedet précise dans son mémoire que la loi est conforme avec la Constitution. Elle y mentionne que les clients et les proxénètes n’ont pas le droit d’acheter des services sexuels ou de profiter de l’exploitation d’autrui et que la « Charte ne demande pas la décriminalisation de tels acteurs afin de porter assistance aux femmes qui se trouvent dans la prostitution ». Elle a dit que l’évaluation au titre de l’article 7 serait aujourd’hui différente de ce qu’elle était dans l’affaire Bedford, puisque l’achat de services sexuels est maintenant illégal et que les femmes, ne courant pas le risque d’être arrêtées, peuvent prendre le temps nécessaire pour sélectionner les clients. Les objectifs de la loi ont aussi changé et visent maintenant à condamner l’achat de services sexuels, à promouvoir l’égalité et à reconnaître la nature exploitante de la prostitution et son effet disproportionné sur les femmes et les enfants. Elle souligne en outre que la décision Bedford a exclu une analyse de l’égalité au titre de l’article 15[64], et déclare que la « prostitution est une violation du droit des femmes à l’égalité […] ».
Criminalisation de la publicité
L’article 286.4 érige en acte criminel le faire de faire sciemment de la publicité pour « offrir des services sexuels moyennant rétribution ». L’alinéa 286.5(1)b) accorde toutefois l’immunité contre les poursuites à quiconque fait de la publicité pour ses propres services sexuels.
Selon le St. John’s Status of Women Council, la possibilité de faire de la publicité facilite le travail à l’intérieur, ce qui permet une meilleure planification de la protection, le recours à du personnel de soutien et la présélection des clients. Les travailleuses et travailleurs du sexe sont eux-mêmes autorisés à faire de la publicité, mais les journaux, sites Web ou fournisseurs de services Internet impliqués peuvent faire l’objet de poursuites[65].
Qui plus est, la SWAN Vancouver Society a dit au Comité que les travailleuses et travailleurs du sexe confrontés à la barrière linguistique ne peuvent recevoir l’aide d’autrui sans risque de criminalisation. Selon le réseau Butterfly, les travailleurs du sexe migrants, en particulier, comptent sur d’autres personnes, notamment leurs amis, leur famille et leurs clients, pour les aider à afficher de la publicité s’ils ne parlent pas la langue locale ou n’ont pas accès à la technologie. Selon le réseau, maintenant que c’est un acte criminel, peu de gens consentent à les aider.
Malgré l’illégalité, la nouvelle infraction relative à la publicité n’a pas mis fin complètement à la publicité. Auparavant, il existait des options bon marché ou même gratuites, mais depuis que la LPCPVE a criminalisé la publicité, des sites Web ont fermé, ont commencé à facturer ou ont augmenté leurs prix, aux dires du réseau Butterfly. Les travailleuses et travailleurs du sexe annoncent aussi sur des sites de publicité à l’extérieur du Canada, ce qui serait beaucoup plus cher, font appel à des sites de moins bonne réputation qui pourraient partager leurs renseignements sans permission ou se tournent vers le travail de rue, qui peut être plus dangereux[66].
Le Comité a été informé que les publicités ne peuvent pas être aussi explicites qu’avant la LPCPVE. Sans communication claire, des malentendus peuvent survenir et mener à de la violence, selon Mme Porth. Les limites imposées à la publicité exigent également que les communications concernant notamment les limites et les prix se fassent en personne, ce qui rend la situation moins sûre que si ces communications se faisaient avant la rencontre[67].
Les annonces d’emploi dans l’industrie du sexe se sont aussi raréfiées, ce qui signifie qu’il est maintenant plus difficile de quitter une situation désavantageuse ou dangereuse pour un autre travail[68]. En outre, sur les sites de publicité en ligne, les travailleuses et travailleurs du sexe peuvent réseauter, mettre à jour leur « liste noire » et échanger de l’information sur la santé sexuelle; c’est aussi un endroit où les fournisseurs de services peuvent s’adresser aux travailleurs du sexe. Mais avec la criminalisation de la publicité effectuée par toute personne autre que le travailleur ou la travailleuse du sexe, cette tribune de discussion est disparue, selon PACE et la Pivot Legal Society.
Voici ce que Kevin B. Westell, secrétaire de la Section de la justice pénale de l’Association du Barreau canadien, a dit au Comité au sujet des articles 286.2 et 286.4 du Code:
[L]a quantité importante de litiges qui portent sur l’étendue de ces dispositions et sur leur constitutionnalité prouvent que des modifications s’imposent pour en réduire la portée.
Le Centre canadien de protection de l’enfance a préconisé que l’on modifie la Loi pour établir une distinction entre la publicité mettant en cause des mineurs et celle mettant en cause des adultes, faire retirer des plateformes en ligne les images de telles publicités et obliger les policiers et les juges à vérifier si ces publicités constituent de la pornographie juvénile. PDF Québec a déclaré que la police ne disposait pas des outils nécessaires pour intervenir aisément et rapidement pour fermer ces sites d’annonces.
Criminalisation des personnes qui profitent financièrement du travail du sexe d’autrui
Les dispositions sur le proxénétisme et le fait de vivre des produits de la vente de services sexuels ont été modifiées dans la LPCPVE afin d’accorder une certaine immunité aux personnes qui concluent des ententes légitimes de services sexuels exemptes d’exploitation. On a abrogé l’article 212 du Code (y compris le proxénétisme) et créé l’article 286.3 (proxénétisme). On a par ailleurs créé des infractions à l’article 286.2 pour les personnes qui reçoivent un avantage financier ou matériel provenant de la prestation de services sexuels d’autrui. Enfin, l’article 286.2 prévoit des exceptions là où il n’y a pas d’exploitation.
Comme l’a indiqué Mme Levman :
[L]e régime parlementaire fait état que les exceptions législatives à l’infraction relative à l’avantage matériel signifient que les vendeurs de leurs propres services sexuels peuvent interagir avec d’autres sur les plans personnel ou commercial au même titre que n’importe qui d’autre, notamment s’ils veulent louer des lieux ou embaucher des personnes pour offrir des services à la juste valeur marchande. La disposition sur l’immunité signifie qu’ils ne seront pas criminellement tenus responsables s’ils offrent des services sexuels de façon autonome ou en collaboration, y compris en mettant en commun des ressources pour payer pour des services qui sont exemptés en vertu de l’infraction relative à l’avantage matériel.
Toutefois, il semble y avoir beaucoup de confusion et de débat entourant ce qui est permis par l’article 286.2 du Code criminel, même avec la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. N.S., traitée plus en détail ci-après. Comme il en est question dans la section précédente, la quantité de litiges entourant l’article 286.2 montre bien la nécessité de le rendre plus limpide.
Le mémoire de la SWAN Vancouver Society remet en question la présomption d’exploitation dans de telles relations :
Nous avons rencontré de nombreux tiers au cours de deux décennies de travail, et nous pouvons affirmer avec confiance que la majorité ne sont pas des trafiquants ou des exploiteurs […] Toutefois, cela ne veut pas dire que les pratiques de travail abusives n’existent pas […]
…Il est préférable de régler ces questions au moyen des normes d’emploi, et non par le droit pénal ou la police. Cependant, en raison de la LPCPVE, il n’y a que peu ou pas de recours en cas de pratiques d’emploi abusives[69].
Si le travail du sexe était entièrement décriminalisé ou légalisé au Canada, les normes d’emploi relèveraient des provinces.
Le projet AESHA a constaté que 30 % des travailleuses et travailleurs du sexe embauchaient un service de sécurité ou de soutien administratif et que ceux-ci sont directement liés à une augmentation de 84 % de la santé et de la sécurité au travail. Toutefois, comme il est précisé plus haut, la LPCPVE serait liée à une réduction de 31 % des chances d’accéder à un tel service[70]. PACE et la Pivot Legal Society écrivent dans leur mémoire commun qu’en interdisant les entreprises commerciales, l’article 286.2 élimine les lieux intérieurs gérés, qui, selon la décision Bedford, constituent le moyen le plus sûr d’exercer le travail du sexe.
Selon un document stratégique de nswp, Global Network of Sex Work Projects [disponible en anglais seulement], des recherches montrent que la majorité des personnes qui profitent financièrement du travail du sexe d’autrui sont des travailleuses du sexe ou d’anciennes travailleuses du sexe. Sophia Ciavarella, directrice des opérations chez Peers Victoria Resources Society, a expliqué que les agences d’escorte offrent des espaces sûrs et du mentorat aux nouvelles travailleuses du sexe. Dans sa communauté, ces entreprises sont gérées par des femmes et offrent un cadre de travail souhaitable. Elles sont cependant interdites par le Code criminel, selon Mme Ciavarella. De même, le Centre de lutte contre l’oppression des genres remet en question, dans son mémoire, le discours sur les salons de massage, précisant qu’on « y trouve souvent de la joie, des rires, de l’amitié, un endroit chaud pour dormir et une stabilité financière ».
Action Canada pour la santé et les droits sexuels exprime, dans son mémoire :
L’interdiction générale des « avantages matériels » dans le contexte d’une « entreprise commerciale » nuit de façon disproportionnée aux femmes racisées, migrantes et à faible revenu. Parmi les gens qui vendent des services sexuels ou en font le commerce, ce sont généralement les plus favorisés sur les plans économique et social qui ont les ressources nécessaires pour établir leurs propres entreprises, les gérer et créer des espaces de travail sécuritaires, que ce soit de façon indépendante ou dans le cadre d’initiatives coopératives. Pour ceux qui ont moins de ressources, ce sont les agences d’escorte et les salons de massage qui fournissent l’infrastructure et l’administration essentielles ou en couvrent les coûts[71].
Mme Sayers a expliqué l’importance d’avoir un chauffeur lorsqu’on est travailleuse du sexe autochtone dans le Nord de l’Ontario, où il n’y a pas d’autobus. Les taxis coûtent cher et il est arrivé qu’ils déposent des femmes autochtones à des endroits où elles n’avaient pas demandé d’aller. L’Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe a dit au Comité que les travailleuses et travailleurs du sexe autochtones comptaient énormément sur les membres de leur famille pour leur protection parce qu’ils leur font confiance, mais les dispositions 286.2 et 286.3 criminalisent ces relations même s’il ne s’agit pas d’exploitation.
Mme Barile a affirmé :
Je pense que c’est l’un des aspects les plus dommageables de la LPCPVE : elle empêche les travailleuses et travailleurs du sexe de travailler ensemble, d’échanger des renseignements sur la façon de travailler en toute sécurité, d’établir des mesures de sécurité les uns pour les autres et de veiller les uns sur les autres. Dans la communauté transgenre, cela a toujours été très important pour assurer la sécurité des travailleuses et travailleurs du sexe transgenres. C’est la capacité de travailler ensemble, et la LPCPVE l’interdit expressément.
Elene Lam, directrice générale de l’organisme Butterfly, a expliqué les difficultés liées aux règles :
On traite les personnes qui forment des réseaux essentiels pour les travailleuses du sexe migrantes, y compris les amis, les tiers et les clients, comme des trafiquants. Ces personnes sont arrêtées alors qu’elles essaient de s’entraider. Près de 200 femmes ont été accusées de proxénétisme ou de publicité ces dernières années. Une travailleuse du sexe a été arrêtée parce qu’elle aidait d’autres femmes à faire de la publicité, à communiquer avec les clients et à faire des vérifications.
Dans son mémoire, la Triple-X Workers’ Solidarity Association of B.C. écrit que la loi n’envisage pas que les travailleuses et travailleurs du sexe se syndicalisent ou forment des associations professionnelles, pas plus qu’elles n’entrevoient la possibilité que ces organisations perçoivent des cotisations et fournissent des services comme la publicité et la promotion de l’industrie. Cette association demande des modifications afin qu’on autorise expressément l’organisation des travailleuses et travailleurs du sexe.
Le St. John’s Status of Women Council a fait valoir qu’il existait d’autres dispositions couvrant l’exploitation et que l’article 286.2 n’avait pas sa raison d’être. Melissa Lukings, titulaire d’un Juris Doctor, auteure et chercheuse, a dit au Comité qu’il y avait souvent un recoupement entre les situations d’exploitation et les cas de violence familiale; ainsi, elle demande qu’on abroge la LPCPVE et qu’on érige le contrôle coercitif en infraction. Elle a avancé que cette criminalisation, conjuguée aux autres lois, « [aiderait] celles qui ont besoin d’aide sans nuire aux autres[72] ».
Mme Benedet, à l’inverse, a estimé que les infractions liées aux avantages matériels protégeaient les femmes contre la violence et d’autres préjudices. Comme elle l’explique dans son mémoire :
Il est généralement admis que le fait de profiter de la prostitution d’autrui comporte un potentiel d’exploitation; la personne qui profite ainsi a une incitation à garder la source des profits dans la prostitution et une désincitation à faire obstacle aux acheteurs de sexe masculin qui causent des préjudices. Dans l’affaire Bedford, la Cour suprême du Canada a reconnu que de telles infractions ont un objectif important et valable, mais elle a jugé que l’infraction précédente, de vivre des produits de la prostitution, avait une portée excessive.
L’infraction actuelle relative à un « avantage matériel » contient une liste d’exceptions qui ont été conçues avec soin pour répondre à la conclusion de l’arrêt Bedford selon laquelle l’infraction relative au proxénétisme empêchait les femmes qui font de la prostitution de payer d’autres personnes pour qu’elles les protègent.
L’Alliance évangélique du Canada a exprimé son soutien envers la décision dans l’affaire R. v. N.S. et la confirmation selon laquelle les travailleuses et travailleurs du sexe étaient autorisés à travailler en coopération pour obtenir des services comme de la protection et qu’ils pouvaient donner des conseils aux personnes ayant décidé de vendre des services sexuels. Les auteurs mentionnent dans leur mémoire que certaines des craintes exprimées plus haut découlent d’une mauvaise compréhension de la LPCPVE. Ils sont aussi en faveur de l’infraction concernant le proxénétisme, à l’article 286.3 du Code, et ont dit craindre que l’exploitation irait en augmentant si on l’abrogeait.
Le Comité constate que, bien qu’il y ait des exceptions aux règles élaborées à l’article 286.2 du Code, il y a également des exceptions aux exceptions, ce qui fait en sorte que l’ensemble des règles est difficile à comprendre. La confusion règne quant à ce qui est autorisé ou non et il n’est pas facile, dans la pratique, de tracer une ligne entre l’aide consensuelle et l’exploitation, ce qui décourage les travailleuses et travailleurs du sexe de nouer même des relations légitimes qui pourrait favoriser leur sécurité et leur bien-être. Il serait bon de clarifier ces dispositions.
Communication dans les endroits publics
Le paragraphe 213(1) érige en infraction le fait d’arrêter ou de tenter d’arrêter un véhicule à moteur ou de gêner la circulation, dans un endroit public ou à la vue du public, dans le but d’offrir, de rendre ou d’obtenir des services sexuels moyennant rétribution. Le vendeur et le client peuvent tous deux être accusés. Les alinéas 213(1)a) et b) du Code criminel (interférence à la circulation) n’ont pas été contestés sur le plan constitutionnel dans l’affaire Bedford.
Le paragraphe 213(1.1) a été ajouté par la LPCPVE pour ériger en infraction le fait de communiquer avec quiconque dans le but d’offrir, de rendre ou d’obtenir des services sexuels moyennant rétribution « dans un endroit public ou situé à la vue du public qui est une garderie, un terrain d’école ou un terrain de jeu ou qui est situé à côté d’une garderie ou de l’un ou l’autre de ces terrains ». Seul le vendeur peut être accusé de cette infraction, car il existe une infraction équivalente pour le client à l’article 286.1 du Code. Le paragraphe 213(2) donne comme définition d’un endroit public « tout lieu auquel le public a accès de droit ou sur invitation, expresse ou implicite; y est assimilé tout véhicule à moteur situé dans un endroit soit public soit situé à la vue du public ».
Ce sont ces dispositions qui continuent de criminaliser les personnes vendant des services sexuels, même s’il s’agit uniquement de leurs propres services sexuels. Comme il est indiqué précédemment, les travailleuses et travailleurs du sexe se dépêchent d’entrer dans la voiture, plutôt que de négocier avec les clients dans un endroit plus sûr à l’extérieur de la voiture. Ils se rendent également dans des zones moins sûres pour être éloignés des endroits où il est interdit de faire de la sollicitation[73]. L’Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe a fait valoir que ces dispositions affectaient les personnes les plus marginalisées, qui travaillent dans la rue, et qu’une disposition semblable, l’alinéa 213(1)c) (communication), avait été invalidée dans la décision Bedford.
Certains témoins ont déploré le fait que l’on continue de criminaliser les personnes qui vendent des services sexuels. Comme l’a déclaré Mme Jay, « [c]oncentrez-vous sur les exploiteurs et cessez de punir les femmes qui sont exploitées en public ». L’abrogation de l’article 213 était la seule modification recommandée au Code criminel qui était soutenue à la fois par ceux qui veulent maintenir la LPCPVE et par ceux qui veulent l’abroger[74]. Pour ceux qui désiraient maintenir la criminalisation des clients, les dispositions les ciblant étaient considérées comme étant suffisantes pour empêcher le travail du sexe à proximité d’endroits énumérés à l’article 213[75]. Certains témoins ont aussi recommandé que l’on supprime les casiers judiciaires des travailleuses et travailleurs du sexe[76].
Dans un autre ordre d’idée, PDF Québec recommande que l’on conserve le paragraphe 213(1) pour « empêcher que les membres des collectivités dans lesquelles la prostitution est pratiquée soient harcelés par les personnes qui achètent et vendent des services sexuels ». Quelques autres témoins ont exprimé des craintes semblables concernant des hommes qui, dans certains quartiers, abordent régulièrement les femmes et les filles pour obtenir des services sexuels, et de l’impact de ce comportement sur les habitants de ces quartiers[77].
Jeneane S. Grundberg, présidente de la Section de la justice pénale de l’Association du Barreau canadien (ABC), a demandé que l’on modifie la loi afin de la clarifier (l’ABC n’a pas pris position sur la décriminalisation du travail du sexe). Elle a qualifié la définition d’endroit public de « circulaire », disant qu’elle « manque de substance […] ou de contexte ». À son avis, il y a risque d’ambigüité, parce que les termes ne sont pas définis. Par exemple, un terrain de jeu pourrait-il être à l’intérieur? a-t-elle demandé. Il y aussi des endroits que les enfants fréquentent qui n’y sont pas énumérés. Elle a recommandé que l’on ajoute des définitions au paragraphe 213(1.1) et qu’on y inclue d’autres endroits que les enfants fréquentent, comme les piscines, les installations de loisirs et les centres commerciaux[78].
PDF Québec a recommandé que les modifications incluent le cyberespace dans la définition des termes « endroit » et « endroit public ». PACE et la Pivot Legal Society ont aussi déploré que l’expression « à côté » ne soit pas définie. Voici ce qu’en a dit M. Westell :
Il n’est pas dans l’intérêt de la population que le travail du sexe soit pratiqué dans des endroits publics réservés aux enfants, aux familles et à certaines fins. Toutefois, si l’on interdit, à juste titre, la pratique du travail du sexe dans ces endroits, il faut que d’autres dispositions soient assouplies pour faciliter l’utilisation d’hôtels, de logements loués sur Airbnb et d’autres endroits de ce genre. À l’heure actuelle, une personne qui permet qu’un logement loué sur Airbnb soit utilisé à cette fin est partie à l’achat de services sexuels et partie à un crime.
Constitutionnalité de la LPCPVE
La LPCPVE ou certaines de ses parties ont été contestées devant les tribunaux dans le cadre d’un certain nombre d’affaires. Différents résultats ont été obtenus en première instance. Mme Levman a notamment tenu les propos suivants avant qu’une décision soit rendue récemment dans l’affaire R. v. N.S. :
L’un des principaux enjeux dont la cour est saisie, c’est la portée des infractions relatives à l’avantage matériel et au proxénétisme, et plus particulièrement si elles englobent les coopératives de travailleuses du sexe ou les travailleuses du sexe qui s’entraident. Le régime parlementaire, comme je l’ai dit, fait état que ces activités ne sont pas censées être visées, mais certaines décisions sont arrivées à une autre conclusion. C’est donc un enjeu d’interprétation législative à l’heure actuelle qui doit être résolu avant de pouvoir évaluer les dispositions pour vérifier le respect de la Charte.
Mme Levman a également souligné que les objectifs de la LPCPVE avaient changé depuis l’époque de l’arrêt Bedford, ce qui pourrait avoir un effet sur les décisions des tribunaux.
Dans la décision N.S., la Cour d’appel de l’Ontario a déterminé que les dispositions relatives aux avantages matériels et à la publicité étaient constitutionnelles. Cette affaire ne portait toutefois pas sur l’interdiction de l’achat de services sexuels. Comme l’a expliqué l’Alliance évangélique du Canada dans son mémoire, la Cour a confirmé que les travailleuses et travailleurs du sexe pouvaient travailler sur une base coopérative et donner des conseils à une personne qui a décidé de vendre ses propres services sexuels.
Mme Allison a avoué ne pas savoir avec certitude ce que la Cour suprême du Canada déciderait si elle était saisie du dossier. Mme Clamen a critiqué le jugement rendu dans l’affaire N.S. parce que celui‑ci se fonde uniquement sur les activités d’une coopérative, où chaque personne travaille de façon indépendante et apporte une contribution égale, ce qui, selon ce qu’elle a dit au Comité, n’est pas la façon dont fonctionnent généralement ces relations dans l’industrie du sexe.
L’Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe conteste dans son intégralité le régime prévu par le Code criminel.[79]
Décriminalisation
De nombreux arguments présentés pour soutenir la décriminalisation sont liés aux critiques de la criminalisation décrites dans la section ci-dessus sur le modèle nordique; ils ne seront donc pas répétés dans le présent document. Amnistie Internationale a souligné que son organisation ainsi que l’Alliance mondiale contre le trafic des femmes, la Commission mondiale sur le VIH et le droit, Human Rights Watch, l’ONUSIDA, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à la santé et l’Organisation mondiale de la santé préconisent toutes la décriminalisation.
Dans son mémoire, l’organisme ANSWER Society a énuméré certains des avantages que procure le travail du sexe aux personnes qui le pratiquent et à leur famille :
Le travail du sexe ne convient pas à tout le monde, mais pour celles d’entre nous qui sont à l’aise de pratiquer cette activité, celle-ci a été une bouée de sauvetage. Ce travail nous permet de subvenir à nos besoins sans avoir à demander d’aide sociale au gouvernement; nous pouvons choisir nos horaires et nos quarts de travail afin qu’ils conviennent à notre vie et à celle de nos familles. Il convient à celles d’entre nous qui doivent prendre un temps d’arrêt pour cause de dépression — ce qu’un emploi normal ne peut offrir. Les personnes parmi nous qui souffrent d’un handicap physique les empêchant de travailler à des heures normales peuvent travailler quand elles se sentent bien.
Des témoins ont remis en question l’idée selon laquelle le travail du sexe est nécessairement synonyme d’exploitation et qu’il faille criminaliser toutes les formes de travail du sexe[80]. Par exemple, Queer Ontario a fait valoir que les personnes ayant un handicap « peuvent avoir besoin d’aide pour se faire plaisir à elles‑mêmes ou bien pour avoir des relations sexuelles consensuelles avec d’autres personnes de leur choix » et que la décriminalisation permettrait la prestation de ce type de soins d’assistance.
Des défenseurs de la décriminalisation du travail du sexe ont fait valoir au Comité que l’exploitation en milieu de travail devrait être abordée au moyen de normes d’emploi et non pas du droit criminel[81]. Mme Wesley a expliqué que la criminalisation a les effets suivants :
Si notre patron refuse de nous payer, eh bien, il n’y a pas de tribunal auquel nous pouvons nous adresser pour corriger cela. Si notre lieu de travail n’est pas sécuritaire, il n’y a pas de comité de santé et sécurité au travail qui viendra nous aider à résoudre ce problème.
[…]
Cela signifie que si une personne travaille dans une agence d’escortes, par exemple, et que tout va bien, ses collègues commettent exactement le même crime qu’un patron qui bat ses employés, prend tout leur argent et fait toutes sortes d’autres choses.
Dans un contexte de décriminalisation, la capacité de négocier avec les clients et de bénéficier de la santé et de la sécurité en milieu de travail, ainsi que d’autres avantages, était considérée comme un élément clé par Mme Wesley. Mme Ka Hon Chu a indiqué au Comité que des recherches sur la transmission du VIH ont révélé que la décriminalisation pouvait réduire la transmission de 33 à 46 % sur une période de 10 ans[82].
Mme Wesley s’est exprimée contre la légalisation et pour la décriminalisation parce que la légalisation créerait un cadre juridique strict et que toute personne qui n’entrerait pas dans ce cadre, souvent les personnes les plus marginalisées, serait toujours considérée comme une criminelle. Les défenseurs de la décriminalisation ont également contesté l’idée selon laquelle seules les personnes privilégiées désirent la décriminalisation, parce que c’est chez les personnes marginalisées que la criminalisation a les répercussions les plus graves[83].
Plusieurs témoins ont mentionné que d’autres dispositions du Code permettent de contrer l’exploitation et la violence, comme les infractions liées à l’enlèvement, aux agressions sexuelles, à la traite de personnes et à la pornographie juvénile, et que les dispositions relatives au travail du sexe ne sont pas nécessaires[84]. Dans le même ordre d’idées, dans son mémoire, Maxime Durocher a écrit :
La PCPVE repose sur des valeurs puritaines, une vision du sexe ou celui-ci est soit mal ou sacré, sans aucune place pour notre vision, qu’elle soit positive ou même neutre. Le Code criminel possède déjà les lois nécessaires pour combattre l’exploitation qu’elle soit sexuelle ou non. La PCPVE est inutile et ne sert qu’à nous stigmatiser, nous mettre à l’écart, à nous effacer.
Selon l’organisme Freedom United, la décriminalisation est :
[U]ne voie cruciale et nécessaire pour prévenir la traite des personnes. La traite des personnes reste un crime lorsque ces infractions sont supprimées, et ces dernières renforcent la résistance à la traite en donnant aux travailleuses du sexe la possibilité de négocier des environnements de travail plus sûrs et de communiquer entre elles afin d’empêcher l’exploitation de se produire en premier lieu.
En revanche, selon Mme Heinz, la décriminalisation aurait pour effet « d’éliminer l’outil le plus puissant dont nous disposions au Canada pour prévenir et contrer l’exploitation[85] » et de favoriser l’expansion du marché. Elle a également fait état du seuil élevé à atteindre pour que le dépôt d’accusations de traite des personnes tienne si l’on supprimait du Code les infractions relatives au travail du sexe. Diane Matte, co‑coordonnatrice, Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle, a témoigné des expériences de la décriminalisation dans d’autres pays et fait valoir que la demande et la traite des personnes ont augmenté[86].
Mme Jay a déclaré :
Certains vous diront peut-être qu’une loi sur la traite de personnes est suffisante, mais cette loi ne fait que cibler les trafiquants. Une loi sur la traite de personnes laisse le champ libre aux hommes qui achètent des services sexuels d’une femme qui a été victime de la traite de personnes. Les plateformes publicitaires qui ont permis à cet homme de la trouver ont aussi un passe‑droit. La loi a de la valeur, parce qu’elle criminalise la publicité pour la prostitution. Elle habilite la police à fermer les plateformes Internet qui transforment la prostitution en produit, en marque et en commerce.
Mme Peters a dit craindre que le Canada « devien[ne] une destination mondiale de choix pour le tourisme sexuel, un bordel américain ». Mme Stevenson a abordé cette question :
Je peux comprendre l’idéologie selon laquelle il faudrait mettre à part les travailleurs et les travailleuses du sexe consentants et abroger la LPCPVE pour leur sécurité, mais cela n’est pas réaliste. La décriminalisation du travail du sexe entraînera des dommages collatéraux pour toute une population, pour qui le coût à payer pour vivre au Canada sera des traumatismes complexes qui dureront toute leur vie.
Selon Mme Stevenson, tant que nous n’aurons pas atteint l’égalité entre les sexes et la réconciliation avec les peuples autochtones et que nous n’aurons pas mis en place des services d’éducation pour tous sur le consentement, les relations saines et l’exploitation, nous ne pourrons pas décriminaliser la prostitution sans danger.
Selon certains témoins, les normes d’emploi et du travail s’appliqueraient[87], mais selon Mme Allison, dans les régimes où le commerce du sexe est légal ou décriminalisé, les personnes qui vendent des services sexuels sont considérées comme des entrepreneurs indépendants, c’est‑à‑dire qu’elles n’ont pas d’avantages sociaux et ne sont pas protégées par les normes d’emploi[88].
Devant des idées et des expériences aussi divergentes, le Comité a trouvé difficile d’élaborer des recommandations précises concernant le maintien, l’abrogation ou la modification des dispositions ou encore d’en venir à la décision d’abroger toutes les dispositions de la LPCPVE relatives au travail du sexe. Le Comité reconnaît toutefois que les témoins qui travaillent dans l’industrie du sexe ne croient pas que la Loi les protège et estime que des améliorations doivent y être apportées.
Recommandations
Recommandation 2
Que le gouvernement du Canada reconnaisse que le cadre établi par la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation permet difficilement de protéger la santé et la sécurité des travailleuses et travailleurs du sexe et qu’il reconnaisse qu’en fait, la Loi cause un préjudice grave aux personnes qui travaillent dans l’industrie du sexe en rendant le travail plus dangereux.
Recommandation 3
Que le gouvernement du Canada modifie la Loi sur la protection des collectivités et des personnes exploitées en déposant un projet de loi abrogeant les articles 213 et 286.4 du Code criminel.
Recommandation 4
Que le gouvernement du Canada continue de suivre de près les affaires judiciaires concernant les dispositions du Code criminel ayant trait au travail du sexe entre adultes consentants.
Recommandation 5
Que le gouvernement du Canada encourage l’échange de données sur l’industrie canadienne du sexe et appuie l’analyse des écarts relevés durant l’étude du Comité en ce qui concerne les données et les conclusions sur le sujet.
Chapitre 5 : Lien entre le travail du sexe, l’exploitation et la traite des personnes
Les témoins ont exprimé des points de vue très différents sur le lien entre le travail du sexe et la traite des personnes et sur les effets que l’abrogation de la LPCPVE aurait sur les victimes de la traite. Étant donné la quantité de témoignages reçus sur le sujet, le Comité a décidé d’aborder brièvement la question, même si ce n’est pas l’objet du présent rapport. S’il est vrai qu’il y a de l’exploitation et de la traite dans l’industrie du sexe, il est important de distinguer le travail du sexe entre adultes des situations d’exploitation et de traite de mineurs et d’adultes. En amalgamant les deux et en tenant pour acquis que toutes les formes de travail du sexe sont forcément synonymes d’exploitation et de violence, nous passons à côté de la véritable violence contre laquelle nous voulons justement lutter.
L’une des difficultés à résoudre consiste à faire la distinction entre la situation où une personne exerce de son plein gré le travail du sexe de celle où une personne est forcée de le faire ou est victime de la traite. Mme Baptie a parlé des expériences de prostitution qu’elle avait elle‑même vécues de 13 à 28 ans. Elle a souligné la complexité d’être perçue, à l’âge adulte, comme une « femme libre » ayant choisi le travail du sexe, sans égard à son histoire. Elle a soulevé les questions suivantes :
Une fois que la prostitution est reléguée dans des bureaux, une fois qu’on l’enferme dans une pièce, comment savoir qui se cache derrière la porte? Que se passe-t-il derrière des portes closes? Et puis, qui a posé ces portes pour commencer? Comment savons-nous que les personnes sont en sécurité? Comment savons-nous qu’elles ne sont pas victimes de traite? Comment savez‑vous si elles ont l’âge légal? Dès que nous perdons la capacité de surveiller ce qui se passe, cela devient en quelque sorte le Far West et le problème ne fait que continuer à prendre de l’ampleur et à se répandre alors que, par souci d’égalité, nous devrions nous efforcer d’y mettre fin[89].
Pour d’autres, le travail du sexe et la traite de personnes sont deux choses différentes, et la décriminalisation permettrait de mieux cibler les responsables de la traite de personnes[90]. Mme Lukings a dit :
En criminalisant toute la communauté des travailleuses du sexe, vous éliminez pour ainsi dire tous vos alliés […] Alors que, dans un contexte décriminalisé, les travailleuses du sexe signaleraient des situations suspectes, ce n’est pas le cas à l’heure actuelle. Alors que des clients sauraient reconnaître les signes de situations suspectes et les dénonceraient, ce n’est pas le cas à l’heure actuelle.
Dans son mémoire, Freedom United a mentionné :
Assimiler la « prostitution », ou le travail du sexe, à l’exploitation sexuelle commerciale et la positionner comme intrinsèquement violente à l’égard des femmes obscurcit la distinction entre une transaction éclairée entre adultes consentants se livrant à des activités sexuelles et la crainte subjective pour sa sécurité et sa vie, la coercition, la menace et la manipulation qui sont présentes dans la traite des personnes. La criminalisation de nombreux aspects du travail du sexe déresponsabilise activement les travailleuses du sexe et donne plutôt du pouvoir aux agresseurs en créant un environnement où la violence à l’encontre des femmes dans le commerce du sexe peut foisonner, car leur crainte qu’elles‑mêmes, leurs clients ou les personnes avec lesquelles elles travaillent soient découverts par la police l’emporte souvent sur leur recherche de protection par la loi.
Le Comité a appris comment les infractions liées au travail du sexe et à la traite de personnes sont utilisées dans les enquêtes et les poursuites. Selon la surintendante Byrne, étant donné que des victimes revivent leurs traumatismes chaque fois qu’elles racontent leur histoire et que des victimes refusent parfois de témoigner, la police peut décider de porter des accusations qui n’obligent pas les victimes à témoigner. Les procureurs utilisent parfois les infractions liées au travail du sexe pour s’assurer que le délinquant soit tenu responsable de ses actes, alors qu’une condamnation pour traite des personnes aurait obligé la victime à témoigner. La surintendante Byrne a ajouté que les infractions liées au travail du sexe sont utilisées pour rassembler des éléments de preuve et obtenir une autorisation judiciaire.
Mme Davis a dénoncé cette approche :
Le recours aux lois sur la prostitution est devenu la norme en l’absence de lois efficaces sur la traite des personnes. Il existe de nombreuses lois qui peuvent être utilisées pour lutter contre la violence à l’endroit des travailleuses du sexe sans avoir à recourir aux lois sur la prostitution.
Dans le même ordre d’idées, la Sex Workers of Winnipeg Action Coalition a avancé l’argument suivant : « Nous avons des lois raisonnables contre l’exploitation qui ne créent pas des préjugés contre les travailleuses du sexe. »
Le Comité est conscient des difficultés qu’ont les policiers et les procureurs à prouver qu’il y a eu exploitation et traite de personnes. Selon des témoins, les infractions liées au travail du sexe sont nécessaires parce qu’il est trop difficile d’obtenir des condamnations pour traite de personnes et d’autres infractions pour lesquelles il faut établir qu’il y a effectivement eu exploitation. Le Comité s’en inquiète. En effet, selon ce raisonnement, un vaste groupe de travailleuses et travailleurs du sexe, de clients et d’autres personnes sont sujets à la criminalisation, même s’il n’y a pas d’exploitation, pour protéger cet autre groupe, ce qui soulève d’importantes questions d’ordre éthique et de sécurité se rapportant à la Charte.
Recommandations
Recommandation 6
Que le gouvernement du Canada prenne des mesures pour lutter contre l’exploitation et la traite des femmes et des enfants en renforçant les autres mesures du Code criminel, le cas échéant, en offrant d’autres ressources aux victimes et aux organismes d’application de la loi qui luttent contre l’exploitation, et en envisageant d’ériger en infraction le fait de se livrer à une conduite contrôlante ou coercitive envers un partenaire intime, comme le proposent le projet de loi C‑202, Loi modifiant le Code criminel (conduite contrôlante ou coercitive) et le rapport unanime de 2021 de ce Comité.
Recommandation 7
Que le gouvernement du Canada présente une mesure législative visant à renforcer les dispositions du Code criminel concernant l’exploitation et la traite de personnes avant tout changement législatif visant à décriminaliser le travail du sexe.
Chapitre 6 : Méfiance à l’égard de la police
Lors des audiences du Comité, plusieurs témoins ont parlé de la méfiance à l’égard des policiers. La surintendante Byrne a dit au Comité que la confiance envers les policiers est plus importante encore que les dispositions du Code comme telles pour protéger les travailleuses et travailleurs du sexe :
D’après mes rencontres avec les gens de la communauté, je peux vous dire que la clé pour protéger les personnes qui travaillent dans l’industrie du sexe est le maintien d’un dialogue ouvert. Il faut aussi encourager les gens à signaler les actes criminels et à se sentir à l’aise avec les policiers. C’est le principal obstacle, à mon avis, plus que toute infraction au Code criminel ou n’importe quelle modification[91].
De l’avis de la surintendante Byrne, les travailleuses et travailleurs du sexe ne craignent pas les policiers du Service de police de Vancouver, car ils n’interviennent et n’appliquent la Loi que lorsqu’il y a de la violence ou de l’exploitation de mineurs ou encore si le crime organisé est impliqué.
À l’opposé, dans leur mémoire conjoint, Katrin Roots, Ann De Shalit et Emily van der Meulen ont fait remarquer que des études montrent que des travailleuses et travailleurs du sexe ont plus peur que des policiers portent atteinte à leur sécurité que leurs clients ou ceux qui profitent de leur travail du sexe. Elles ont également fait allusion à une étude menée auprès de 367 travailleuses du sexe, selon laquelle 38 % des participantes ayant été victimes de violence avaient fait un signalement à la police (seulement 13 % dans le cas de migrantes). Sans être identiques, ces données sont semblables à celles du projet AESHA. Selon l’étude menée dans cinq villes par Kate Shannon, Chris Bruckert et coll., seulement 17 % des travailleuses et travailleurs du sexe qui avaient été victimes de violence ou de séquestration ont signalé l’incident. Près de 60 % des participants à cette étude disent avoir subi du harcèlement de la part de policiers au cours des 12 derniers mois, et 56 % d’entre eux, s’être fait appeler par des noms injurieux comme whore ou ho [putain ou pute] par des policiers[92]. Selon une étude réalisée par Trans PULSE Canada avec 280 travailleuses et travailleurs du sexe transgenres et non binaires, ces personnes évitaient d’appeler le 911 même si elles connaissaient des niveaux extrêmement élevés de violence (51 % ont préféré ne pas appeler les policiers et 36 % ont préféré ne pas téléphoner aux services médicaux d’urgence au cours des cinq dernières années).
Selon les études dont parlent Cecilia Benoit et Andrea Mellor dans leur mémoire, le taux de signalement aux services policiers des travailleuses et travailleurs du sexe est faible pour diverses raisons, y compris de mauvaises expériences avec les policiers, notamment les agressions physiques et sexuelles perpétrées par les policiers, les mauvais comportements des policiers, par exemple le manque d’empressement à répondre aux appels à l’aide, la stigmatisation et la discrimination.
Mme Wesley a expliqué qu’à Montréal, la police encourage le personnel hôtelier et les chauffeurs de taxi à repérer les travailleuses et les travailleurs du sexe et à les dénoncer. Par conséquent, les travailleuses et les travailleurs du sexe ne peuvent plus utiliser les hôtels en toute sécurité. Des opérations policières ont également ciblé des établissements de commerce sexuel : de 10 à 30 policiers s’y présentent, détiennent les femmes sur place et vérifient leurs pièces d’identité. À une occasion, les policiers ont pris note de tous les tatouages et perçages corporels des femmes et leur ont dit que cela aiderait la police à identifier leur corps lorsqu’elles seraient retrouvées mortes. Les interventions de ce genre n’entraînent pas nécessairement des arrestations, mais comme l’a indiqué Mme Wesley, elles créent un climat de terreur chez les travailleuses et les travailleurs du sexe[93].
Dans son mémoire, Butterfly décrit les conséquences qu’ont les descentes policières pour les travailleuses et travailleurs du sexe asiatiques et migrants. Après la fermeture de leurs lieux de travail à la suite de descentes policières, des travailleuses et travailleurs du sexe ont été contraints de travailler dans des lieux isolés et parfois de déménager dans des villes plus petites, où ils étaient plus éloignés des personnes parlant leur langue, des autres travailleurs du sexe et des ressources de soutien communautaire. D’autres ont dû se réinstaller dans des appartements et ont déclaré avoir subi plus de vols, car ils étaient moins en sécurité que dans l’établissement commercial où ils menaient auparavant leurs activités, et qu’ils se sentaient forcés de faire des actes sexuels contre leur gré.
Dans son mémoire, Showing Up For Racial Justice écrit :
Depuis l’entrée en vigueur de la LPCPVE, la surveillance accrue exercée contre les travailleuses du sexe PANDC [personnes autochtones, noires ou de couleur] pousse celles‑ci dans l’ombre. Comme les policiers sont prompts à les remarquer, ces travailleuses doivent se cacher non seulement des forces de l’ordre, mais aussi du public, de leur propre communauté et des travailleurs sociaux. Elles sont moins susceptibles d’être contactées par les services de soutien communautaires et sont moins bien placées pour négocier une amélioration de leurs conditions de travail. En conséquence, elles sont plus isolées et sont exposées à des conditions de travail abusives.
Mme Duffy a parlé d’une membre de la communauté de Toronto, Alloura Wells, une femme noire et autochtone transgenre portée disparue en 2017. Son père a signalé sa disparition à la police, qui lui a répondu que le dossier n’était pas prioritaire. La communauté a formé des équipes de recherche et, cinq mois plus tard, la police a produit un rapport de personne disparue. Peu après, un corps a été trouvé, mais la police n’en a pas informé le père d’Alloura Wells ni la communauté. Maggie’s l’a seulement appris de la personne qui a découvert le corps, plus tard identifié comme étant celui d’Alloura Wells.
Selon l’Aboriginal Women’s Action Network :
L’absence d’attention accordée aux femmes disparues à Vancouver s’explique en grande partie par le manque d’intervention policière et la croyance insidieuse de la société selon laquelle ces femmes ne méritaient pas d’être protégées, un message qui est explicitement transmis aux clients et leur donne le feu vert pour s’en prendre à ces femmes en toute impunité.
Plusieurs témoins ont parlé des conséquences que peuvent avoir la méfiance et la peur que ressentent les travailleuses et travailleurs du sexe à l’égard des policiers. Alison Clancey, directrice exécutive, SWAN Vancouver Society, a dit ceci au Comité :
La LPCPVE est souvent le point d’entrée par lequel la police intervient dans la vie des travailleuses du sexe immigrantes et migrantes. Elle fait cela en enquêtant sur leurs clients ou sur les plaintes des voisins concernant le travail sexuel, ou pour d’autres raisons. Avec la LPCPVE comme point d’entrée, il n’y a jamais que deux résultats possibles pour les femmes que nous, chez SWAN, servons, après une intervention policière en lien avec la LPCPVE. Soit la femme elle‑même devient la cible d’une enquête contre la traite de personnes, soit elle est arrêtée, détenue et expulsée du pays.
Les femmes ont souvent dit à SWAN qu’elles craignent la police plus que les prédateurs. En conséquence, elles ne signalent pas les actes de violence.
La LPCPVE s’est avérée un cadeau pour les prédateurs et les trafiquants[94].
Dans son mémoire, le Projet Iskweu du Foyer pour femmes autochtones de Montréal a écrit :
Notre expérience auprès des travailleuses du sexe autochtones montre que les mesures d’application de la loi ont nui à leur sécurité. Nous avons entendu de nombreux témoignages indiquant que les ingérences policières dans la vie des travailleuses du sexe autochtones ont contribué à accroître la marginalisation et la criminalisation et ont entraîné une méfiance totale à l’égard des institutions. Nous avons pu aider les femmes en situation d’exploitation au moyen de ressources communautaires et non par les services de police. À l’évidence, en raison de la longue histoire de colonisation, les femmes autochtones qui travaillent dans le commerce du sexe ne veulent pas avoir affaire à la police […]
Mme Barile a dit :
Un grand nombre des travailleuses du sexe trans évitent à tout prix les contacts avec la police, y compris après avoir été agressées au travail, parce que ces contacts et le fait d’être connues de la police comme travailleuses du sexe les entraînent dans un cycle d’aggravation des problèmes juridiques qu’elles éprouvent, comme l’interdiction de territoire pour criminalité dans le système d’immigration, l’augmentation des obstacles au logement et à l’emploi et l’escalade des accusations criminelles exacerbée par les contacts constants et violents avec la police. L’amélioration de la formation policière ou de l’accès à des ressources juridiques ne réglerait pas les problèmes de ces femmes, car c’est la loi elle‑même qui les cause. C’est la loi qui donne à la police le pouvoir d’entrer dans leurs maisons et leurs lieux de travail[95].
Les faibles taux de signalement s’expliquent en partie par l’inaction des policiers dans le passé. Mme Suokonautio a indiqué que le nombre d’accusations déposées contre les « mauvais clients » qui recourent à la violence n’a pas augmenté. Mme Ciavarella a dit au Comité que, en dépit d’une bonne relation de travail avec le service de police de Victoria, pas un seul cas de violence signalé par les travailleuses et travailleurs du sexe avec l’aide de son organisation n’avait conduit à une arrestation ou à des accusations officielles.
Mme Kent a dit au Comité que les exploiteurs enseignent aux travailleuses et aux travailleurs du sexe, et tout particulièrement aux jeunes, à avoir peur des policiers pour ne pas que ceux‑ci apprennent qu’ils les agressent et leur font du mal. Mme Baptie a indiqué qu’elle connaissait des femmes qui s’étaient adressées à la police; elle a ajouté ne pas comprendre « pourquoi on pense que les femmes ne s’adressent pas à la police si elles ont subi un préjudice ». Joy Smith, fondatrice et présidente de la Joy Smith Foundation inc., a mentionné que, sur les 6 000 personnes avec qui elle avait travaillé, plus d’un millier étaient allées voir la police. Si, parmi les témoins citées plus haut, beaucoup ont dit croire que les relations entre les travailleuses et travailleurs du sexe et les policiers ne pourraient que s’améliorer à la suite de l’abrogation de la LPCPVE, l’Asian Women for Equality a affirmé le contraire : « Une application adéquate de la Loi fondée sur une bonne connaissance de la situation améliorerait la relation entre les femmes et les policiers canadiens et porterait un coup au crime organisé. »
Recommandation
Recommandation 8
Que le gouvernement cerne, diffuse et promeuve les pratiques exemplaires pour établir la confiance entre les policiers et les travailleuses et travailleurs du sexe pour qu’ils perçoivent les policiers comme une source de protection et soient efficacement desservis par eux.
Chapitre 7 : Mise en œuvre et application
Selon plusieurs témoins, il est difficile d’évaluer les effets de la LPCPVE ou d’obtenir des statistiques fiables puisque la Loi n’est pas entièrement mise en œuvre partout au Canada[96]. PDF Québec a écrit :
Après sept années de mise en application de la LPCPVE, il est étonnant de constater le nombre peu élevé de déclarations d’infractions liées à l’achat de services sexuels au pays, alors que « la plupart des femmes prostituées disent subir en moyenne cinq clients par jour; certaines, plus de vingt[97] ».
Selon Mme Kent, il faut former et sensibiliser la police à bien appliquer la LPCPVE, car cette loi n’est pas préjudiciable en soi et peut réellement protéger les travailleuses et travailleurs du sexe. Elle a apporté une précision : « Il y a les dispositions, puis il y a l’opérationnalisation. Nous devons combiner les deux[98]. »
D’après Mme Peters, la police a besoin de plus de financement et de formation pour appliquer la Loi. Elle a déploré le fait que les responsables de l’application de la loi de la Colombie‑Britannique ne connaissent pas ou n’appliquent pas la LPCPVE, contrairement à l’Ontario, ce qui fait que certaines villes de la province sont en train de devenir « une destination mondiale de choix pour le tourisme sexuel ».
Les services policiers de Vancouver, après avoir ouvert le dialogue avec les travailleuses et travailleurs du sexe, ont décidé de ne pas intenter de poursuites en cas d’infractions liées au travail du sexe, parce que cela pousse ceux et celles qui s’y livrent vers des secteurs encore plus dangereux. Selon Mme Big Canoe, les policiers ont tiré des leçons de ce qui s’est passé à la ferme porcine de Pickton. Mme Allison a mentionné que d’autres services policiers de la Colombie‑Britannique ont emboîté le pas et décidé de ne pas arrêter les clients. La surintendante Byrne a mentionné : « La police a pour objectif de cibler les délinquants prédateurs et les groupes criminels organisés qui exploitent les victimes vulnérables. » Elle a attribué la réussite de l’approche des forces policières de Vancouver aux lignes directrices sur l’application de la loi et au dialogue avec le milieu des travailleuses et travailleurs du sexe[99]. Mme Porth a dit être d’accord avec elle, mais a informé le Comité que des policiers de Vancouver continuent de harceler des travailleuses et travailleurs du sexe qui exercent dans la rue.
À l’opposé, la LPCPVE est appliquée à London, en Ontario, ainsi qu’à Edmonton, Saskatoon et Winnipeg selon des témoins[100]. Plusieurs témoins ont prôné une application uniforme de la loi partout au pays[101].
La surintendante Byrne a précisé que l’application des lois pénales varie au pays de façon générale, que ce problème n’est pas propre au travail du sexe et qu’il persistera tant que des lignes directrices nationales ne seront pas élaborées. Ces lignes directrices devraient respecter les compétences provinciales relatives à l’administration de la justice.
Le Comité comprend l’approche adoptée en Colombie‑Britannique, qui consiste à appliquer la Loi aux situations impliquant de l’exploitation ou des mineurs. Cependant, les différences importantes dans l’application des dispositions dans ce domaine à la grandeur du pays pourraient causer problème.
Recommandation
Recommandation 9
Que le gouvernement du Canada examine comment encourager une application plus uniforme de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation à l’échelle du pays.
Chapitre 8 : Expériences des personnes autochtones, migrantes et racisées
Mme Allison a fait valoir ce qui suit au Comité :
[L]a prostitution a une hiérarchie qui est à la fois classiste et raciste. Les plus pauvres, les personnes racisées et les plus vulnérables sont au bas de l’échelle. De plus, la prostitution encourage le racisme, car les acheteurs recherchent des expériences liées à des stéréotypes racistes[102].
Selon Mme Duffy, les femmes autochtones, noires et racisées, transgenres et migrantes ainsi que les personnes vivant dans la pauvreté sont surreprésentées dans le commerce du sexe de rue, qui peut être le travail le plus dangereux.
Showing Up For Racial Justice a expliqué :
Comme dans la plupart des industries, l’exploitation est souvent le résultat de la discrimination, de la pauvreté et d’autres circonstances précaires. La LPCPVE ne règle aucun de ces problèmes; elle les exacerbe. Lorsque la pauvreté et les inégalités raciales limitent les choix d’un groupe, il est néfaste de restreindre les choix restants. Des mesures punitives comme la LPCPVE diminuent la capacité des travailleuses du sexe PANDC à se loger et à subvenir à leurs besoins, ce qui crée un taux de pauvreté démesuré chez ces personnes déjà marginalisées par les injustices et les inégalités.
Mme Duffy a également apporté l’explication suivante :
En ce qui concerne les travailleuses et travailleurs du sexe racisés et autochtones, ce projet de loi augmente le nombre de contacts avec la police, la surveillance et le fait d’être pris pour cible, tout en décourageant les communautés marginalisées de faire appel à la police et aux autres services sociaux en vue d’obtenir du soutien.
Selon l’étude menée par Trans PULSE auprès de personnes transgenres et non binaires, le traitement injuste de la part des policiers, la méfiance à leur égard et le fait d’éviter les interactions avec eux étaient nombreuses, mais nettement plus élevés parmi les travailleuses et travailleurs du sexe autochtones et racisés que les travailleuses et travailleurs blancs. En effet, 95 % des travailleuses et travailleurs du sexe autochtones et 84 % de celles et ceux qui sont racisés s’attendaient à se faire harceler par les policiers, et plus de la moitié d’entre eux avaient déjà été interpellés, fouillés ou détenus sans motif valable. Moins de 5 % des travailleuses et travailleurs du sexe autochtones et racisés s’attendaient à un traitement juste de la part de la police ou des tribunaux dans des affaires de violence physique ou sexuelle.[103]
Ce ne sont pas tous les témoins qui étaient d’avis que la LPCPVE est préjudiciable pour les personnes autochtones et racisées. La surintendante Byrne a affirmé au Comité que les communautés autochtones qu’elle a rencontrées à Vancouver appuient la Loi et estiment qu’elle protège les femmes de leur communauté contre le crime organisé.
Mme Benedet a rejeté la faute sur le sexisme, le colonialisme et le racisme, et non sur la LPCPVE :
Personne ne peut raisonnablement affirmer que le « choix » de la prostitution est plus fréquent chez les femmes et filles autochtones, ou les femmes asiatiques, que chez les femmes blanches, sans reconnaître que ce prétendu choix est le produit d’une intersection entre le sexisme, le colonialisme et le racisme.
Expériences autochtones
Le mémoire du Projet Iskweu énonce certaines des raisons pour lesquelles des femmes autochtones s’adonnent au travail du sexe :
Les femmes que sert le Projet Iskweu n’ont guère accès à un revenu et aux mesures de soutien en raison de leur passé marqué par le colonialisme, l’instabilité et le racisme, et c’est pourquoi elles font le travail du sexe.
Le Projet Iskweu nous a appris que des femmes qui ont choisi de faire le travail du sexe peuvent quand même être victimes d’actes criminels. Les femmes que nous avons rencontrées dans le cadre du Projet décrivent des expériences variées dans leur travail du sexe, qu’elles soient positives, négatives ou neutres.
Mme Peters a parlé au Comité des troubles complexes de stress post‑traumatique, d’abus sexuel durant l’enfance et d’autres problèmes présents dans les communautés autochtones. Les femmes et les filles autochtones sont ciblées par l’industrie du sexe, selon Mme Peters. Mme Big Canoe a souligné le passé d’abus sexuels dans les pensionnats autochtones et déclaré : « C’est ce que les Autochtones ont reçu comme héritage dans ce pays. » Ces expériences vécues par les personnes autochtones sont « intégrées au discours des victimes de la traite de personne », selon Mme Duffy, quelles que soient les raisons qui les ont amenées à pratiquer le travail du sexe. De même, le mémoire du Projet Iskweu mentionne :
Certains affirment que les femmes autochtones ne choisissent pas librement de travailler dans le commerce du sexe, mais pour les femmes autochtones servies par le Projet Iskweu, cette idée est infantilisante. Malgré leurs choix limités, les femmes que nous rencontrons dans le cadre du Projet prennent les meilleures décisions possible à un moment précis de leur vie, et nous reconnaissons leur libre arbitre.
Mme Big Canoe a avancé l’argument suivant :
Les lois qui interdisent l’échange de services sexuels pour de l’argent, entre adultes consentants, ne permettent pas de mettre un terme à la violence à l’endroit des femmes autochtones ni de régler les inégalités ou la pauvreté systémique.
[…]
L’exploitation sexuelle des femmes et des filles autochtones ainsi que des membres de la communauté bispirituelle commence bien avant qu’ils ne décident de se livrer au travail du sexe. Les enfants autochtones, qui sont appréhendés par les services de protection de la jeunesse à un taux alarmant au pays, subissent souvent de l’exploitation sexuelle. Régler les problèmes liés à la pauvreté et aux inégalités ainsi qu’adopter des approches décolonialistes dans les institutions de protection de la jeunesse sont les meilleurs moyens de réduire l'exploitation sexuelle que vivent les enfants autochtones au Canada.
La criminalisation fait craindre aux travailleuses et travailleurs du sexe de perdre la garde de leurs enfants et fait augmenter encore plus le pourcentage déjà élevé d’enfants autochtones en foyer d’accueil, élevés loin de leur communauté et de leurs traditions[104].
Mme Benoit et Mme Mellor ont également souligné dans leur mémoire que beaucoup de travailleuses et travailleurs du sexe n’ont pas les moyens de gérer une entreprise indépendante de travail du sexe et que la décriminalisation leur permettrait d’exercer leurs activités dans des « espaces intérieurs légaux, sécuritaires, propres et adéquatement financés ».
En revanche, Mme Franklin a indiqué que la décriminalisation mettrait davantage à risque les femmes autochtones de subir des préjudices, d’être victimes de violence et même d’être assassinées, sans pour autant accroître leur sécurité ou leurs libertés. L’Aboriginal Women’s Action Network a dit au Comité « qu’il ne peut y avoir aucune réconciliation véritable entre les peuples autochtones et les colons tant que les femmes autochtones sont exploitées dans la prostitution ».
Mme Big Canoe a réclamé la mise en œuvre des appels à la justice pertinents de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées[105].
Expériences des personnes migrantes et racisées
Les travailleuses et travailleurs du sexe racisés ne sont pas tous des migrants, mais les deux groupes ont des expériences similaires et ont souvent été mentionnés ensemble par des témoins. Tel qu’il est indiqué plus haut, le Comité a entendu que les travailleuses et travailleurs du sexe migrants et racisés étaient moins susceptibles de signaler des actes de violence aux policiers, et que les travailleuses et travailleurs du sexe racisés semblaient plus susceptibles d’être poursuivis en justice lorsqu’ils contactaient la police pour obtenir de l’aide[106]. Les agresseurs en tirent parti[107].
Butterfly a expliqué les stéréotypes concernant les travailleuses et travailleurs du sexe asiatiques :
Les effets des dispositions criminelles se combinent au racisme anti‑asiatique, qui véhicule souvent deux stéréotypes. D’une part, on présume que les femmes asiatiques sont naïves et passives, qu’elles ne peuvent pas consentir au travail du sexe et que, par conséquent, elles sont victimes de la traite de personnes […] Un autre stéréotype courant que Butterfly a observé est que les travailleurs du sexe asiatiques et migrants feraient partie de réseaux d’exploitation du crime organisé. […]
D’autre part, les femmes asiatiques sont fétichisées et considérées comme des corps sexués associés au péché, et qui sont immoraux et illégaux. Ces attitudes, qui sont renforcées par la criminalisation du travail du sexe, alimentent la haine et la violence à l’égard des travailleurs du sexe asiatiques.
Mme Barile a témoigné des expériences de migrantes transgenres au Canada :
Bon nombre des femmes avec lesquelles ASTTeQ travaille sont de nouvelles arrivantes au Canada, qui sont venues à la recherche d’une vie à l’abri de la haine, de la discrimination et de la violence. Pourtant, la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation a privé un grand nombre de ces femmes de la vie qu’on leur avait promise en les forçant à travailler dans des conditions dangereuses et en les exposant aux préjudices causés par la présence policière constante.
Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés interdit aux ressortissants et ressortissantes étrangers de travailler dans l’industrie du sexe, et les contrevenants et contrevenantes sont expulsés, y compris s’ils signalent être victimes d’actes de violence ou si l’on découvre qu’ils travaillent dans l’industrie du sexe[108]. Elene Lam a parlé d’une travailleuse qui a été agressée à quatre reprises, mais qui ne criera pas si elle se fait à nouveau violenter par crainte d’être appréhendée par la police, car une amie a été arrêtée et expulsée du pays. Elle a également parlé de la collaboration entre les services policiers et l’Agence des services frontaliers du Canada, notamment dans le cadre d’enquêtes sur la traite des personnes. Elle a mentionné que, même si l’on découvre que les travailleuses et travailleurs du sexe ne sont pas des victimes de la traite, ils sont arrêtés et expulsés. Par ailleurs, elle a dit que les travailleuses et travailleurs du sexe asiatiques sont victimes de profilage racial par les policiers. À l’opposé, la surintendante Byrne a affirmé que, du moins en Colombie‑Britannique, les lignes directrices destinées aux policiers ne visent pas à faire appliquer la loi à l’immigration. Un certain nombre de témoins se sont dit en faveur de l’abrogation des règles interdisant aux migrants de se livrer au travail du sexe[109].
Recommandations
Recommandation 10
Que le gouvernement du Canada dépose un projet de loi pour abroger les alinéas 183(1)b.1), 196.1a), 200(3)g.1) et 203(2)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui expose injustement les travailleuses et travailleurs du sexe migrants à un risque élevé de violence et de danger en les empêchant de signaler ces incidents sans crainte d’être expulsés.
Recommandation 11
Que le gouvernement du Canada examine les meilleures façons de lutter contre l’exploitation des travailleuses et travailleurs du sexe migrants et d’empêcher les conclusions d’interdiction de territoire et d’expulsion lorsque ces personnes signalent être victimes d’actes criminels. Pour ce faire, le gouvernement du Canada pourrait modifier, notamment, le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés ou d’autres mesures.
Recommandation 12
Que, avant de modifier la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation, le gouvernement du Canada effectue une analyse comparative entre les sexes plus pour veiller à ce que les modifications ne portent pas disproportionnellement préjudice aux travailleuses et travailleurs du sexe les plus vulnérables, dont les personnes autochtones, migrantes, racisées et transgenres, et répondent à leurs besoins uniques. L’analyse devrait être déposée au Parlement et rendue publique.
Recommandation 13
Que le gouvernement du Canada mette entièrement en œuvre les appels à la justice 4.3, 5.3 et 12.14 de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.
Chapitre 9 : Éducation et formation
Des témoins ont insisté sur l’importance de l’éducation pour lutter contre l’exploitation sexuelle, s’attaquer à la stigmatisation liée au travail du sexe et améliorer la sécurité dans l’industrie du sexe. L’éducation repose notamment sur des programmes pédagogiques destinés aux policiers ainsi qu’à la population.
Éducation de la population
Même si les opinions quant au contenu divergeaient, la plupart des témoins ont réclamé la tenue de campagnes de sensibilisation du public.
Les défenseurs des travailleuses et travailleurs du sexe ont dit que les préjugés dont ils font l’objet ont de grandes répercussions dans leur vie, en contribuant à leur isolement social, à leur déshumanisation et à un manque de protection[110]. Ces témoins étaient d’avis que l’éducation devrait être axée sur l’élimination de la stigmatisation entourant le travail du sexe[111]. Selon Mme Porth : « La sensibilisation est également nécessaire pour démanteler les stéréotypes négatifs sur les travailleurs du sexe. »
D’autres témoins ont recommandé que l’éducation vise à empêcher que des personnes s’engagent dans le travail du sexe et à diminuer la demande. Ces témoins voyaient l’éducation comme un facteur déterminant pour assurer l’efficacité de la LPCPVE et ont fait des recommandations axées sur les liens entre l’industrie du sexe, l’exploitation sexuelle et la traite de personnes à titre d’approche préventive[112]. Ils ont réclamé des campagnes nationales pour informer les Canadiens des lois liées à la vente de services sexuels, des objectifs de la LPCPVE et des conséquences préjudiciables de l’achat de services sexuels[113]. Defend Dignity a mentionné :
Il doit y avoir une éducation publique intentionnelle sur la réalité de la prostitution et les dispositions et objectifs de la LPCPVE. Il s’agit notamment d’attirer l’attention sur le risque élevé de préjudices physiques et psychologiques que représente la vente de services sexuels, sur les services et les aides disponibles, sur les raisons pour lesquelles l’achat de services sexuels est si néfaste et donc illégal, sur l’immunité pénale et les exceptions offertes aux personnes qui vendent leurs propres services sexuels, sur le fait qu’il s’agit d’un pas en avant vers l’égalité des sexes, etc.
L’organisme a recommandé des formations normalisées dans des secteurs comme l’éducation et le tourisme ainsi que des campagnes de sensibilisation sur les médias sociaux et des publicités sur les moteurs de recherche.
Soulignant que l’éducation du public a été essentielle dans la réussite du modèle suédois, des témoins se sont penchés sur les efforts menés par la Suède auprès de la population pour lutter contre l’achat de services sexuels, la sensibiliser aux retombées sociales d’une réduction de la demande et amener un changement de perception dans la population[114]. Selon l’Association for Reformed Political Action, « [l]’éducation est un aspect important des efforts à déployer pour aider les Canadiens à comprendre les torts causés par la prostitution et la traite des personnes ». Citant une étude suédoise menée auprès d’hommes qui achètent des services sexuels et d’hommes qui n’en achètent pas, les auteurs du mémoire ont souligné :
L’information venant de la Suède indique que les hommes de génération plus jeune estiment, à juste titre, que l’achat de services sexuels n’a pas sa place, alors que cette opinion est moins répandue chez ceux de générations antérieures. Des lois adéquates combinées à des mesures de sensibilisation peuvent produire des résultats positifs, en réduisant la demande.
Les témoins se sont également prononcés en faveur d’efforts pour sensibiliser les jeunes à l’égard de l’exploitation sexuelle et de la traite de personnes[115]. Mme Gagnon a dit que la Nouvelle‑Écosse avait récemment ajouté un volet au programme d’enseignement de la province, portant sur l’exploitation, la manipulation et la traite des personnes. Des témoins, tels que Mme Joy Smith, enseignent aux jeunes la façon dont les trafiquants travaillent et décrivent les signes à reconnaître et les tactiques de prévention, entre autres.
Plusieurs témoins ont parlé de l’importance de sensibiliser les hommes et les garçons à l’égard du traitement des femmes et du fait d’acheter des services sexuels[116]. Mme Heinz a fait valoir que « [l]a plupart des hommes sont également victimes de la culture qui leur dit que leur masculinité exige qu’ils soient des consommateurs sexuels ». Elle a insisté sur la nécessité d’offrir aux hommes la possibilité de s’éduquer et de leur donner accès à des programmes de rechange. M. Brandt a ajouté qu’il fallait changer la culture pour qu’à l’âge adulte, les jeunes ne vivent plus dans une société où des hommes achètent les services d’une autre personne pour assouvir leurs besoins, et que la LPCPVE permettait d’apporter un tel changement.
Les programmes STOP (Sex Trade Offender Programs) pour les délinquants sexuels et les programmes de déjudiciarisation ont également été mentionnés comme de précieuses ressources pour faire changer les mentalités[117]. Kathy King a dit au Comité :
Pour avoir travaillé pendant plus de 20 ans comme bénévole auprès d’une centaine de participants aux programmes STOP pour délinquants sexuels, aussi connus sous le nom de « John schools » ou « écoles de clients », je peux attester que de nombreux hommes sont reconnaissants d’avoir pu voir les choses dans une perspective différente et bénéficier de ressources d’aide; beaucoup s’excusent spontanément et s’engagent à changer de comportement.
Formation des policiers
La formation des divers intervenants du système de justice pénale a été abordée, mais c’est la formation des policiers qui a retenu le plus d’attention. La question de savoir si la formation des agents de police améliorerait les choses pour les personnes travaillant dans l’industrie du sexe advenant le maintien de la LPCPVE ne faisait pas du tout l’unanimité.
Plusieurs témoins ont parlé de l’importance d’offrir une formation uniforme à l’échelle nationale aux procureurs et aux agents de police[118]. Dans son mémoire, le VCASE a écrit : « Lors de nos rencontres avec des officiers supérieurs de la GRC et des forces de police, nous avons constaté une très grande ignorance de la Loi et des exigences qu’elle contient. » Le collectif a insisté sur la nécessité d’appuyer les organismes d’application de la loi en formant les policiers et en finançant les services policiers. Mme Baptie a recommandé d’éduquer les agents de police et les procureurs de la Couronne sur l’objet de la LPCPVE. Elle a déclaré :
Nous devons éduquer tout le monde, des policiers aux procureurs de la Couronne. Nous pouvons le faire de plusieurs façons. Nous avons des policiers municipaux, nous avons la GRC. Il peut s’agir tout simplement d’envoyer une directive dont ces agents pourront ensuite parler, ou il peut s’agir d’un groupe de travail itinérant qui se rend dans tous les districts et qui fait de l’éducation.
D’autres témoins ont suggéré d’enseigner aux intervenants du système de justice d’adopter une approche qui soit adaptée aux traumatismes[119] dans le cadre de leur travail pour mieux aider les victimes d’exploitation, faire tomber les préjugés et s’attaquer aux biais[120]. Mme Stevenson a dit croire « que les agents de police méritent de bien comprendre les processus mentaux, émotionnels, psychologiques et cognitifs des gens à qui ils vont offrir leur aide ».
Mme Chevrier a fait des suggestions concernant la formation, que les travailleuses du sexe interrogées dans le cadre de sa recherche lui avaient données. Voici ce qu’elle a déclaré devant le Comité :
[Les personnes interrogées] ont également formulé des suggestions concrètes, comme la possibilité pour les travailleuses du sexe d’offrir des formations aux agents de police et aux différents prestateurs de services, et la création de programmes visant à aider les policiers à comprendre les diverses réalités qui se cachent derrière l’expression « travail du sexe ». Ils comprendraient la différence entre le travail du sexe, l’exploitation sexuelle et la traite des personnes, car ce ne sont pas des synonymes et il ne faudrait pas les employer comme tels. Elles ont aussi proposé une formation sur la compassion.
En revanche, d’autres témoins ne croyaient pas que de la formation allait améliorer les relations entre les travailleuses et travailleurs du sexe et les policiers et favoriser la sécurité, car ces relations existent dans le cadre de l’application de la LPCPVE[121]. Mme Clancey qui possède 10 ans d’expérience liée à la formation des policiers sur le travail du sexe et la traite de personnes, a fait valoir que « la formation policière est futile, compte tenu du cadre juridique de la criminalisation ». Elle a également dit que le racisme systémique dans la police entrave la formation en lien avec la LPCPVE. Dans son mémoire, SWAN a également mentionné :
D’après notre expérience, la police n’est pas disposée à collaborer lorsque le matériel éducatif ne confirme pas ses préjugés, à savoir que si une personne travaille dans l’industrie du sexe, c’est parce qu’elle y a été « forcée ».
Elene Lam a ajouté :
Il est très évident que cette Loi confère beaucoup de pouvoirs aux forces de l’ordre pour cibler les travailleurs du sexe. Les policiers ne peuvent pas être formés, car cette Loi est conçue pour cibler les travailleurs du sexe.
L’expérience de la discrimination, de la pauvreté et de la criminalisation contribue à marginaliser davantage les travailleuses et travailleurs du sexe autochtones et racisés, à les rendre plus méfiants envers la police et à leur faire subir encore plus de violence. Ces expériences peuvent informer la façon dont ces communautés perçoivent l’efficacité de l’application de la Loi et de la formation des policiers. Dans son mémoire, le projet Iskweu mentionne :
Les femmes autochtones auprès desquelles nous travaillons ne croient pas que le SPVM [Service de police de Montréal] a démontré une compréhension des préjudices persistants et constants de la colonisation ou a adapté ses services à la réalité des femmes autochtones et de leur collectivité.
Le projet Iskweu a conclu qu’il n’était pas nécessaire d’offrir une formation complémentaire aux policiers, mais recommandait « plutôt le retrait des outils que le Code criminel [leur] fournit pour exercer une surveillance sur les collectivités autochtones ».
Le Comité reconnaît que l’éducation est fondamentale pour empêcher l’exploitation sexuelle et promouvoir la sécurité des travailleuses et travailleurs du sexe. Il est conscient que les préjugés associés au travail du sexe nuisent à la vie, à la santé et aux conditions de travail de nombreuses personnes qui pratiquent le travail du sexe. Il croit également essentiel de sensibiliser la population à ces questions si l’on veut protéger les personnes vulnérables, faire en sorte que l’intégration de l’industrie soit un choix et garantir le respect des droits fondamentaux des travailleuses et travailleurs du sexe. Par ailleurs, le Comité a entendu de nombreux témoignages sur les rapports difficiles entre les travailleuses et travailleurs du sexe et les responsables de l’application de la loi. Le Comité croit que cela montre bien la nécessité de faire des recherches sur ce qui pourrait améliorer ces relations, notamment sur les pratiques exemplaires en matière de formation et sur d’autres mesures susmentionnées, comme la possibilité de modifier ou d’abroger la LPCPVE.
Chapitre 10 : Services et soutien
Bien que les témoins aient recommandé des services et des mesures de soutien poursuivant des objectifs différents, le Comité a appris que trois grandes questions doivent être abordées : les causes profondes qui poussent des personnes à exercer le travail du sexe; les préjugés associés au travail du sexe et la discrimination dont sont victimes les personnes qui pratiquent ce métier lorsqu’elles cherchent à obtenir des services et du soutien; le fait d’assurer l’existence de mesures d’aide et de ressources pour les personnes qui veulent quitter l’industrie du sexe. Certaines personnes ont également recommandé une amélioration de la coordination des services sociaux et de la collaboration de tous les ordres de gouvernement[122].
S’attaquer aux causes profondes
Comme l’ont mentionné plusieurs témoins, il est impératif de s’attaquer à certains facteurs socioéconomiques tels que la pauvreté, la discrimination systémique, l’inégalité des revenus, le logement, la sécurité alimentaire, l’accessibilité aux soins de santé, l’absence de possibilités d’éducation et les lacunes du système de protection de l’enfance. Ces facteurs peuvent amputer le libre arbitre des travailleuses et travailleurs du sexe, en particulier les personnes autochtones, les membres de groupes racisés et de la communauté 2SLGBTQ+ ou à faible revenu. Multiplier les options et les mesures d’aide à leur disposition pourrait faire en sorte que les personnes qui intègrent l’industrie du sexe le font de leur plein gré[123].
Les défenseurs de la LPCPVE ont souligné la nécessité que les gouvernements luttent contre la pauvreté, qui est l’une des causes profondes menant vers le travail du sexe[124]. L’organisme Asian Women for Equality a écrit :
Éliminer la pauvreté chez les femmes ferait diminuer une vulnérabilité que les proxénètes, les annonceurs et les acheteurs de services sexuels exploitent pour recruter des prostituées. Le droit criminel ne suffit pas pour empêcher les hommes de faire croître la prostitution ou dissuader les femmes de se joindre à cette industrie.
Témoignant des expériences des travailleuses et travailleurs du sexe autochtones, le Projet Iskweu a informé le Comité que ces communautés doivent avoir « accès aux ressources, [à] des lieux offrant une sécurité culturelle ainsi qu’[à ]un logement stable ». Mme Big Canoe, en faisant référence à l’appel à la justice 4.3 de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, a fait valoir la nécessité d’un financement à long terme pour les programmes destinés aux femmes et aux filles autochtones ainsi qu’aux personnes 2SLGBTQ2+ autochtones. Plus précisément, Mme Big Canoe a demandé « un financement aux communautés autochtones pour l’autogestion de l’éducation et de la formation professionnelle, les programmes de logement, l’aide au revenu et les services de santé et de lutte contre la toxicomanie fondés sur les traditions autochtones ».
Dans le même ordre d’idées, Mme Stevenson a mentionné qu’il est important de s’attaquer à la santé mentale, à l’éducation, aux inégalités de revenu et à la réconciliation : « Jusqu’à ce qu’on puisse considérer que ces gouffres fondamentaux sont comblés, nous ne pouvons tout simplement pas ouvrir la porte à une industrie qui se nourrit de ces problèmes et des autres vulnérabilités en les exploitant. »
Soutenir les travailleuses et travailleurs du sexe
Le Comité a aussi été informé que les préjugés et la discrimination étaient des problèmes importants auxquels étaient confrontés les travailleuses et travailleurs du sexe. Dans leur mémoire, la PACE Society et la Pivot Legal Society ont écrit qu’« au Canada, la stigmatisation est le point le plus commun entre les travailleurs du sexe ». Plusieurs témoins ont parlé des préjugés qui empêchent les travailleuses et travailleurs du sexe d’accéder aux services sociaux et de santé[125]. Mme Lindstrom, notamment, a parlé de situations où du personnel médical a refusé de fournir un traitement adéquat aux travailleuses du sexe de rue[126]. Les étudiants bénévoles travaillant auprès de l’organisme SafeSpace London ont indiqué que de nombreuses travailleuses du sexe préfèrent dormir dans la rue que dans des refuges à cause, notamment, des préjugés associés à leur travail.
Par ailleurs, des obstacles passifs tels que la géographie, les heures d’ouverture, la spécificité du genre et de l’expérience (on demande aux travailleuses et travailleurs du sexe de dire qu’ils sont victimes d’exploitation ou de traite des personnes pour recevoir des soins) peuvent empêcher des personnes d’accéder à des services[127].
Selon Mme Chevrier, les personnes ayant participé à son étude ont demandé que les fournisseurs de services « utilisent un langage approprié, qu’ils se renseignent sur les diverses réalités du travail du sexe, qu’ils embauchent plus de travailleurs du sexe et, surtout, qu’ils respectent leur humanité ». Selon son expérience de travail auprès de personnes de l’industrie du sexe, Mme Gagnon a aussi fait part de ce qu’elles veulent :
Toutes ces personnes ont deux demandes fondamentales. Elles veulent avoir accès à des services dénués de jugement, ce qui signifie que nous devons nous débarrasser de certains préjugés au sujet de l'achat et de la vente de services sexuels pour réduire la stigmatisation de leurs expériences. Elles demandent aussi des services axés sur la réduction des préjudices.
Des témoins ont également recommandé que du financement et du soutien soient accordés aux organismes qui viennent en aide aux travailleuses et travailleurs du sexe[128]. À cet égard, l’organisme Queer Ontario a écrit :
Ces programmes devraient, idéalement, être guidés par une philosophie de soins selon laquelle on place les besoins, les voix et les expériences des travailleuses et des travailleurs du sexe au premier plan et on les encourage à prendre leur propre vie en main dans un contexte qui les soutient.
Autrement dit, il faut créer des services et des mesures d’aide qui renforcent la sécurité de ces personnes et leur permettent d’exercer leur libre arbitre. Mme Barile a partagé un point de vue similaire : « Je pense que la véritable solution aux problèmes de conditions non sécuritaires dans l’industrie du sexe, ce sont les soutiens communautaires pour les travailleuses et travailleurs du sexe. »
Aider les personnes qui sortent de l’industrie du sexe
Plusieurs témoins ont insisté sur la nécessité d’offrir aux survivantes et survivants et aux personnes qui décident de quitter l’industrie du sexe des services de santé mentale et de consultation qui soient adaptés aux traumatismes, du soutien social et en toxicomanie, des perspectives d’éducation, de la formation professionnelle ainsi que de l’aide pour se sortir de l’industrie du travail du sexe[129]. L’Alliance évangélique du Canada a également recommandé que « les fonds provenant des amendes imposées aux termes du paragraphe 286.1(1) soient affectés aux programmes de sortie de la prostitution et aux services à l’intention des personnes prostituées ».
Selon certains témoins, la stigmatisation et la discrimination ont été de très grands obstacles pour les personnes voulant quitter le milieu du travail du sexe et ayant survécu à l’exploitation sexuelle. Mme Franklin a témoigné de l’expérience d’une jeune femme ayant subi des traumatismes après avoir quitté l’industrie du sexe qui s’est fait dire dans un refuge qu’elle « n’était pas "woke" » et « on a tenté de la manipuler avec des affiches affirmant qu’elle est la maîtresse de son corps et que le travail du sexe est un travail légitime ». Mme Franklin a ajouté que la femme s’est fait conseiller de faire de l’effeuillage ou de donner des massages avec masturbation, deux pratiques qui réduisent les méfaits, pour pouvoir subvenir aux besoins de son enfant.
Mikhaela Gray‑Beerman a donné des exemples de personnes qui ont ressenti de la honte, connu de l’isolement social et eu un accès limité aux ressources parce qu’elles ont exercé le travail du sexe. Pour diminuer les effets de la stigmatisation chez les personnes qui cessent le travail du sexe et leur offrir de l’aide, Mme Gray‑Beerman a recommandé que le gouvernement fournisse un soutien financier. Ce soutien pourrait inclure « des programmes de lutte contre la pauvreté, des bourses d’études postsecondaires, des services adaptés aux traumatismes et des programmes de réduction de la dette et de gestion financière ».
Selon l’Archidiocèse catholique de Vancouver, divers types de soutien sont nécessaires :
Les programmes secondaires à l’appui de la LPCPVE doivent offrir un continuum de soins pour les personnes qui quittent le milieu, car un retrait complet comporte diverses étapes et peut s’étaler sur de nombreuses années et plusieurs tentatives. Certaines personnes peuvent avoir besoin de soins d’urgence et d’un lieu sûr pour se reposer et étudier leurs options. D’autres nécessitent des solutions à plus long terme ou permanentes, pour guérir et se rétablir. Les survivantes et survivants ont besoin de services de soutien durant des années, pendant qu’ils se construisent une nouvelle vie et découvrent comment réintégrer la société.
Parlant de la vulnérabilité de certaines personnes de l’industrie du sexe et de sa propre expérience comme victime de la traite et comme enfant de parents adolescents divorcés, Kelsey Smith, étudiante en neuroscience et santé mentale à l’Université Carleton, a dit : « [J]e me demande qui est responsable de protéger les filles comme moi, qui se retrouvent sans repères et sans personne pour les défendre. » Les services de protection de l’enfance, entre autres, doivent offrir plus de soutien aux familles et protéger les enfants et les jeunes de l’exploitation sexuelle.
Le Comité reconnaît que de nombreux facteurs influent sur la participation au travail du sexe. Des problèmes tels que la pauvreté, la précarité du logement, la toxicomanie et la discrimination peuvent avoir des effets multiplicateurs sur les choix offerts aux travailleuses et travailleurs du sexe. Il constate à quel point tout cela peut accroître les préjudices subis par de nombreuses personnes qui intègrent l’industrie du sexe, en particulier les membres des communautés autochtones et racisées, et les marginaliser encore davantage. Le Comité estime aussi qu’il faut augmenter le financement dans les services sociaux et l’aide en santé mentale pour les travailleuses et travailleurs du sexe, qu’ils pratiquent le métier actuellement ou qu’ils en sortent. Compte tenu des témoignages sur les conséquences de la stigmatisation, le Comité reconnaît l’importance d’offrir des services dénués de jugement. Tous devraient se faire traiter avec respect et recevoir l’aide qu’ils demandent, qu’ils choisissent de quitter l’industrie du sexe ou d’y rester.
Recommandations
Recommandation 14
Que tout changement législatif concernant les dispositions en place applicables à la vente de services sexuels soit impérativement précédé d’ententes entre le gouvernement fédéral, le Québec et les provinces et territoires afin de convenir du financement du soutien social nécessaire au sujet de la santé et de la sécurité des travailleuses et travailleurs du sexe.
Recommandation 15
Que le gouvernement du Canada investisse dans des programmes de soutien et les appuie, en collaboration avec les intervenants touchés, notamment les provinces et les territoires ainsi que les personnes ayant fait l’expérience du travail du sexe, pour s’attaquer aux causes profondes qui poussent des gens à pratiquer le travail du sexe, faire en sorte que l’intégration de l’industrie du sexe soit un libre choix et protéger les personnes vulnérables.
Recommandation 16
Que le gouvernement du Canada accorde un financement additionnel aux organismes offrant des services sans préjugés et adaptés aux traumatismes vécus par les travailleuses et travailleurs du sexe, en particulier les organismes gérés par des travailleuses et travailleurs du sexe.
Recommandation 17
Que le gouvernement du Canada appuie et finance la prestation de services de soutien social et juridique supplémentaires pour les jeunes vulnérables à risque d’exploitation sexuelle et les personnes voulant quitter l’industrie du sexe, notamment des services de santé mentale et de traitement de la toxicomanie, des programmes d’éducation et de formation professionnelle ainsi que des mesures d’aide au revenu qui soient dénués de jugement et adaptés aux traumatismes.
NOTE : Certains témoignages et mémoires renferment des statistiques qui sont mentionnées dans ce rapport. Certaines de ces statistiques proviennent d’études avec comité de lecture et de sources officielles; dans d’autres cas, la source est moins claire. Le Comité a attribué toutes les affirmations aux personnes et aux organismes qui ont fourni l’information, mais n’en a pas vérifié l’exactitude.
[1] La terminologie dans ce domaine porte à controverse. Le chapitre 2 résume les débats entourant la terminologie et les raisons pour lesquelles le Comité emploie certains termes dans le présent rapport.
[6] Gouvernement du Canada, Chartepédia, Article 7 – Droit à la vie, à la liberté et la sécurité de la personne.
[10] Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes (JUST), 43e législature, 2e session, Témoignages, 1er mars 2022 (Kerry Porth, consultante sur les politiques du travail du sexe, Pivot Legal Society); JUST, mémoire, 5 février 2022 (Centre de lutte contre l’oppression des genres).
[11] JUST, Témoignages, 11 février 2022 (Jennifer Dunn, directrice exécutive, London Abused Women’s Centre). Voir aussi JUST, Témoignages, 11 février 2022 (Trisha Baptie, membre fondatrice et coordonnatrice des services communautaires, EVE).
[12] JUST, Témoignages, 5 avril 2022 (Janine Benedet, professeure de droit, Peter A. Allard School of Law, Université de la Colombie-Britannique); JUST, Témoignages, 22 mars 2022 (Andrea Heinz).
[14] Pour des exemples d’expérience positive, voir, par exemple, JUST, Témoignages, 5 avril 2022 (Nadia Guo, avocate criminaliste); JUST, mémoire, février 2022, p. 2 (Butterfly); JUST, mémoire (Maxime Durocher). Pour des exemples d’expérience négative, voir, par exemple, Témoignages (Baptie); Témoignages (Heinz); JUST, Témoignages, 1er avril 2022 (Kelsey Smith, étudiante en neuroscience et en santé mentale, Université Carleton).
[15] JUST, Témoignages, 15 février 2022 (Lynne Kent, présidente, Vancouver Collective Against Sexual Exploitation); JUST, Témoignages, 1er mars 2022 (Kelly Tallon Franklin, directrice générale, Courage for Freedom); JUST, Témoignages, 4 mars 2022 (Alexandra Stevenson (Ford), conférencière, survivante et spécialiste de la prévention).
[16] JUST, Témoignages, 22 mars 2022 (Glendyne Gerrard, directrice, Defend Dignity); JUST, mémoire, 25 février 2022 (Action Canada pour la santé et les droits sexuels).
[17] Aucune source n’a été citée à l’appui de l’affirmation selon laquelle 54 % des personnes qui vendent des services sexuels sont des Autochtones.
[18] Voir aussi Témoignages (Baptie; Dunn).
[20] Voir, par exemple, mémoire, p. 1-2 (Butterfly); JUST, mémoire, 25 février 2022, p. 2 (Alliance évangélique du Canada (AEC)); JUST, mémoire, 23 février 2022, p. 6 (Lifeworthy - SIM Canada).
[21] Voir aussi JUST, mémoire, février 2022, p. 6 et 7 (BC Coalition of Experiential Communities), où sont contestées plusieurs des affirmations de Mme Peters.
[22] JUST, Témoignages, 8 février 2022 (Carole Morency, directrice générale et avocate générale principale, Section de la politique en matière de droit pénal, Secteur des politiques, ministère de la Justice); JUST, Témoignages, 15 février 2022 (Elene Lam, directrice générale, Butterfly); mémoire, p. 1 (Benoit et Mellor); JUST, mémoire, 21 février 2022, p. 2 (Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe); JUST, mémoire, 25 février 2022, p. 4 (Defend Dignity).
[24] JUST, Témoignages, 11 février 2022 (Cathy Peters, éducatrice); JUST, Témoignages, 15 février 2022 (Temitope Abiagom, gestionnaire, Nova Scotia Transition and Advocacy for Youth, YWCA Halifax); JUST, Témoignages, 1er mars 2022 (Christa Big Canoe, directrice du plaidoyer juridique d’Aboriginal Legal Services).
[25] La source utilisée pour étayer cette affirmation est une brochure du gouvernement de l'Alberta, qui cite une étude réalisée en 2002 auprès de 50 personnes.
[26] Témoignages (Abiagom; Kent); Témoignages (Christa Big Canoe); JUST, mémoire, février 2022, p. 3 (Iskweu, projet du Foyer pour femmes autochtones de Montréal); JUST, mémoire, février 2022, p. 3 (Archidiocèse catholique romain de Vancouver).
[27] Voir JUST, Témoignages, 8 février 2022 (Nathalie Levman, avocate-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice) pour de plus amples explications sur les quatre modèles.
[28] Pour consulter des témoignages et des mémoires sur les obligations internationales, voir, par exemple, JUST, mémoire, 25 février 2022 (Amnistie Internationale); JUST, mémoire, février 2022, p. 4 (Nancy Brown); JUST, mémoire, 25 février 2022, p. 5-7 (Centre canadien de protection de l’enfance); JUST, mémoire, p. 2 (CEASE); JUST, mémoire, 2 mars 2022, p. 9 (Alliance des chrétiens en droit); mémoire, p. 4-6 (Defend Dignity); JUST, mémoire, p. 4 (Hennes Doltze); JUST, mémoire, mars 2022, p. 4 (PDF Québec).
[29] Pour avoir une idée de l’expérience de l’Allemagne, voir JUST, mémoire, 10 février 2022 (Ingeborg Kraus).
[30] JUST, Témoignages, 1er mars 2022 (Gwendoline Allison, Barton Thaney Law); Témoignages (Baptie).
[31] Voir aussi JUST, Témoignages, 4 mars 2022 (Jenn Clamen, coordinatrice nationale, Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe; Jenny Duffy, présidente du conseil d’administration, Maggie’s).
[32] Voir aussi Témoignages (Franklin).
[33] Témoignages (Porth); Témoignages (Clamen).
[34] JUST, Témoignages, 1er avril 2022 (Andrea Krüsi, membre du corps professoral et professeure adjointe, Département de médecine, Université de la Colombie-Britannique, représentant le Centre for Gender and Sexual Health Equity); JUST, mémoire, février 2022 (projet AESHA).
[35] JUST, Témoignages, 8 février 2022 (Sandra Wesley, directrice générale, Stella); Témoignages (Clamen); Témoignages (Krüsi).
[37] Voir par exemple JUST, Témoignages, 5 avril 2022 (Kathleen Quinn, directrice exécutive, CEASE); JUST, mémoire (ICOSE); JUST, mémoire, 9 février 2022 (Persons Against Non-State Torture).
[38] Voir aussi, par exemple, Témoignages (Benedet); JUST, mémoire, 25 février 2022, p. 1 (Conseil canadien des églises).
[39] Voir aussi JUST, Témoignages, 1er avril 2022 (Cherry Smiley, fondatrice, Women’s Studies Online).
[40] Voir aussi JUST, Témoignages (Kelsey Smith).
[42] Les sources citées pour cette affirmation se trouvent dans les notes de bas de page 65-68 du mémoire.
[43] Voir Témoignages (Peters); Témoignages (Kent); Témoignages (Allison; Brandt); Témoignages (Quinn).
[44] Témoignages (Gerrard); Témoignages (Smiley); mémoire, p. 3 (Defend Dignity); mémoire (Gray-Beerman); JUST, mémoire, 22 février 2022, p. 3 (Kathy King); mémoire (Lifeworthy - SIM Canada); JUST, mémoire, 16 février 2022 (Kylee Nixon).
[45] Mme Dunn a utilisé les données de Statistique Canada mentionnées ci-dessus pour en arriver à ces conclusions.
[46] Aucune source n’a été mentionnée pour appuyer l’affirmation que la LPCPVE a contribué à l’identification de personnes mineures violées et victimes de la traite des personnes.
[47] Voir, par exemple, Témoignages (Wesley); Témoignages (Elene Lam); Témoignages (Clamen; Duffy).
[48] Voir aussi JUST, Témoignages, 4 mars 2022 (Alison Clancey, directrice exécutive, SWAN Vancouver Society); mémoire, p. 9 (Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe); JUST, mémoire, p. 3 (Nyema Reiz); JUST, mémoire, p. 5 (Shift Calgary, HIV Community Link).
[49] Voir aussi JUST, mémoire, 3 mars 2022, p. 1 (Direction régionale de santé publique de Montréal); mémoire, p. 1 (Shift Calgary).
[50] Voir aussi Témoignages (Wesley); JUST, mémoire, 15 février 2022, p. 3 (No Pride in Policing Coalition). C’est peut-être vrai, mais JUST, mémoire, 22 février 2022, p. 1 (Vancouver Rape Relief and Women’s Shelter) souligne que les poursuites en justice de travailleuses et travailleurs du sexe sont rares et renvoie à des données de Statistique Canada selon lesquelles, entre 2010 et 2014, 2 364 femmes avaient été accusées d’infractions relatives à l’interférence à la circulation ou à la communication, alors que pendant les cinq premières années de la LPCPVE, ce nombre était de 34.
[52] Voir aussi, au sujet des préjudices causés par la LPCPVE, Témoignages (Wesley); Témoignages (Barile; Claudyne Chevrier, Ph.D., Santé communautaire); Témoignages (Abiagom; Elene Lam); Témoignages (Big Canoe); Témoignages (Clamen; Duffy; Amber Lindstrom, coordonnatrice de programme, SafeSapce London); JUST, mémoire, avril 2021 (Egale); JUST, mémoire, 21 février 2022 (Lisa Lazarus); JUST, mémoire, p. 1 (Sex Workers of Winnipeg Action Coalition).
[53] Voir aussi Témoignages (Elene Lam); Témoignages (Lindstrom); JUST, Témoignages, 1er avril 2022 (Melissa Lukings, titulaire d’un Juris Doctor, auteure et chercheuse; Susan Davis, directrice, BC Coalition of Experiential Communities). Pour un point de vue opposé, voir Témoignages (Quinn).
[54] Voir l’original pour la citation.
[55] Voir aussi JUST, Témoignages, 4 mars 2022 (Sarah Smith, coordonnatrice du groupe travail du sexe en petites entreprises et à l’intérieur, Peers Victoria Resources Society).
[56] Voir aussi mémoire, p. 7 (Butterfly); JUST, correspondance, 7 février 2022 (Centre for Gender & Sexual Health Equity).
[57] Voir aussi Témoignages (Wesley); JUST, Témoignages, 11 février 2022 (Sandra Ka Hon Chu, codirectrice exécutive, Réseau juridique VIH).
[59] Voir aussi Témoignages (Wesley); Témoignages (Chevrier); Témoignages (Porth); JUST, mémoire, 23 février 2022, p. 1 (Genevieve Fuji Johnson).
[60] Témoignages (Wesley); Témoignages (Chevrier); Témoignages (Porth).
[62] Témoignages (Wesley); Témoignages (Chevrier).
[63] Les mesures législatives arbitraires, grossièrement exagérées et d’une portée trop générale sont contraires aux principes de la justice fondamentale garantie par l’article 7 de la Charte.
[64] L’article 15 (1) de la Charte stipule :
15 (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.
[65] Voir aussi mémoire, p. 5 (Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe); JUST, mémoire, 18 mars 2022, p. 2 (Association du Barreau canadien).
[66] Mémoire, p. 3 (Centre de lutte contre l’oppression des genres); mémoire, p. 4 (St. John’s Status of Women Council).
[67] Témoignages (Ka Hon Chu); Témoignages (Porth); mémoire, p. 5 (Alliance canadienne pour la réforme des lois sur le travail du sexe); JUST, mémoire, 17 février 2022, p. 4-5 (SWAN).
[70] Voir aussi Témoignages (Krüsi); mémoire, p. 2 (Lazarus).
[72] JUST, mémoire, 25 février 2022, p. 7 (Michelle Abel), recommande aussi des modifications couvrant le contrôle coercitif.
[73] Témoignages (Wesley); Témoignages (Chevrier); Témoignages (Porth).
[74] Voir, par exemple, Témoignages (Clamen); JUST, Témoignages, 22 mars 2022 (Diane Matte, co‑coordonnatrice, Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle).
[75] Témoignages (Matte); JUST, mémoire, 4 mars 2022, p. 2 (Asian Women for Equality); JUST, mémoire, 25 février 2022, p. 4 (Resist Exploitation, Embrace Dignity).
[76] Témoignages (Allison); JUST, Témoignages, 4 mars 2022 (Suzanne Jay, membre du collectif Asian Women for Equality); mémoire, p. 4 (Resist Exploitation, Embrace Dignity); mémoire, p. 2 (CEASE); mémoire, p. 8 (Defend Dignity).
[77] Témoignages (Heinz); Témoignages (Quinn); mémoire (Nixon).
[79] Canadian Alliance for Sex Work Law Reform et al. v. Attorney General of Canada, Cour supérieur de justice de l’Ontario, numéro de dossier CV-21-00659594-0000.
[83] Voir Témoignages (Wesley); Témoignages, (Duffy); JUST, mémoire, p. 10‑11 (Morgan Donaldson et coll.).
[84] Témoignages (Wesley); JUST, Témoignages, 15 février 2022 (Miia Suokonautio, directrice exécutive, YWCA Halifax); Témoignages (Big Canoe); JUST, Témoignages, 4 mars 2022 (Sophia Ciavarella, directrice des opérations, Peers Victoria Resources Society; Clamen; Duffy).
[85] Voir aussi Témoignages (Brandt); mémoire, p. 2 (ARPA); mémoire (ICOSE).
[86] Voir aussi Témoignages (Benedet); JUST, mémoire, février 2022 (Aboriginal Women’s Action Network).
[87] Voir, par exemple, Témoignages (Wesley); Témoignages (Ka Hon Chu); Témoignages (Porth).
[89] Voir aussi Témoignages (Quinn).
[90] Témoignages (Elene Lam); Témoignages (Porth).
[91] Voir aussi correspondance (Centre for Gender & Sexual Health Equity).
[93] Voir aussi mémoire (St. John’s Status of Women Council) concernant l’impact des opérations d’infiltration.
[94] Témoignages (Clancey).
[95] Voir aussi Témoignages (Lindstrom); JUST, mémoire, 18 février 2022, p. 6 (Ayden Scheim, Greta Bauer et Trans PULSE Canada).
[96] Voir, par exemple, Témoignages (Baptie; Peters); Témoignages (Kent); Témoignages (Heinz); mémoire, p. 2 et 4 (Brown); mémoire (Nixon).
[97] Pour obtenir des détails sur les accusations, voir Mary Allen et Cristine Rotenberg, Centre canadien de la statistique juridique et de la sécurité des collectivités, « Crimes liés au commerce du sexe : avant et après les modifications législatives au Canada », Statistique Canada, 21 juin 2021.
[98] Pour en savoir plus sur l’importance de l’application uniforme de la loi, voir, par exemple, Témoignages (Smiley); mémoire, p. 8 (Doltze); mémoire, p. 2 (Conseil canadien des Églises); mémoire, p. 8 (Alliance des chrétiens en droit); JUST, mémoire, 22 mars 2022, p. 2 (CLES); mémoire, p. 7 (ICOSE).
[100] Témoignages (Lindstrom); mémoire, p. 2 (Defend Dignity).
[101] Témoignages (Peters); Témoignages (Allison; Brandt); Témoignages (Jay).
[102] Témoignages (Allison). Voir aussi Témoignages (Jay).
[104] Témoignages (Sayers); mémoire, p. 25 (Egale).
[106] Témoignages (Ka Hon Chu); Témoignages (Ciavarella).
[108] Témoignages (Wesley); Témoignages (Elene Lam). Pour en savoir plus sur l’interdiction de territoire et le recoupement avec le droit l’immigration, voir JUST, mémoire (Jamie Liew).
[109] Voir, par exemple, Témoignages (Wesley); Témoignages (Porth); Témoignages (Clamen; Duffy); Témoignages (Davis); mémoire (Doltze); JUST, mémoire, 22 février 2022, p. 4 (Réseau juridique VIH); mémoire (Vancouver Rape Relief and Women’s Shelter); correspondance (Centre for Gender & Sexual Health Equity).
[110] Témoignages (Chevrier); Témoignages (Sarah Smith); mémoire (Benoit et Mellor).
[111] Témoignages (Gagnon); Témoignages (Porth); Témoignages (Ciavarella).
[112] Mémoire (Defend Dignity); mémoire (Resist Exploitation, Embrace Dignity); mémoire (Archidiocèse catholique de Vancouver).
[113] Mémoire (Asian Women for Equality); mémoire (Conseil canadien des Églises); mémoire (Defend Dignity); mémoire (Persons Against Non-State Torture).
[114] Témoignages (Kent); mémoire (ARPA); mémoire (Alliance évangélique du Canada); mémoire (VCASE).
[116] Témoignages (Baptie); Témoignages (Brandt); Témoignages (Stevenson); mémoire (Doltze); mémoire (VCASE).
[117] Témoignages (Quinn); mémoire (CEASE); mémoire (Defend Dignity); mémoire (King).
[118] Témoignages (Baptie); Témoignages (Joy Smith); Témoignages (Stevenson); Témoignages (Byrne).
[119] Voir le rapport du groupe de travail sur la traite de personnes du gouvernement de l’Alberta auquel a fait référence M. Brandt pour avoir une définition de « qui soit adapté(e) aux traumatismes », p. 29.
[120] Témoignages (Brandt); mémoire (Brown); mémoire (Defend Dignity); mémoire (Gray‑Beerman).
[121] Témoignages (Elene Lam); Témoignages (Clancey; Lindstrom).
[122] Témoignages (Joy Smith); Témoignages (Brandt; Franklin); mémoire (ARPA); mémoire (Archidiocèse catholique de Vancouver).
[123] Témoignages (Abiagom; Gagnon; Suokonautio); Témoignages (Big Canoe); Témoignages (Ciavarella; Clancey; Sarah Smith); mémoire (Centre de lutte contre l’oppression des genres); JUST, mémoire, 18 février 2022 (Tamara O’Doherty et Hayli Millar).
[124] Voir aussi mémoire (Conseil canadien des Églises); mémoire (Gray-Beerman); mémoire (Resist Exploitation, Embrace Dignity); mémoire (Archidiocèse catholique de Vancouver).
[126] Témoignages (Kent).
[127] Témoignages (Chevrier); Témoignages (Lindstrom); mémoire (Roots et. al).
[128] Témoignages (Duffy). Voir aussi Témoignages (Gagnon); mémoire (PACE and Pivot Legal Society).
[129] Témoignages (Botting); Témoignages (Baptie; Dunn); Témoignages (Joy Smith); Témoignages (Brandt); Témoignages (Stevenson); mémoire (Brown); mémoire (Persons Against Non-State Torture); mémoire (Archidiocèse catholique de Vancouver); mémoire (VCASE).