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NDDN Rapport du Comité

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Rapport provisoire sur la Défense du Canada dans un contexte de menace en évolution

Introduction

Le milieu de la sécurité mondiale est en perpétuelle évolution, et il est devenu de plus en plus dangereux et difficile au cours des dernières années, avec l’émergence de menaces complexes, le bouleversement de la dynamique des pouvoirs et l’amélioration rapide des technologies militaires. Selon un certain nombre d’universitaires ainsi que de responsables gouvernementaux et militaires, la menace mondiale a évolué par rapport à celle qui existait il y a cinq ans, lorsque le gouvernement du Canada a publié la politique de défense du pays : « Protection, Sécurité, Engagement ».

On sait qu’un certain nombre de menaces existent depuis de nombreuses années, que le Comité permanent de la défense nationale de la Chambre des communes (le Comité) a examinées dans plusieurs rapports[1]. Cependant, le retour de la concurrence pour le pouvoir entre les puissances et la montée des tensions avec les gouvernements de certains pays (pensons à la Chine et à la Russie) causent de l’instabilité et des conflits dans plusieurs régions du monde, et entraînent la détérioration des relations entre les membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et la Russie, notamment depuis son invasion à grande échelle de l’Ukraine, en février 2022.

Le Canada n’est pas à l’abri des nouvelles menaces et des changements dans le contexte de la sécurité dans le monde. Celui-ci se caractérise de plus en plus par une réalité d’interconnexion, et la menace de sources étrangères peut nuire considérablement à la vie des Canadiens et avoir des incidences négatives sur la sécurité au pays en particulier, et en Amérique du Nord, en général. Dans le contexte actuel de menaces, nous nous devons de demeurer vigilants et d’être prêts à protéger notre territoire, à coopérer avec les Américains pour la défense du continent que nous partageons, ainsi qu’à contribuer à la paix et à la sécurité dans le monde par notre participation à des organisations multinationales, comme l’OTAN et les Nations Unies, et en forgeant des partenariats de sécurité avec les gouvernements de pays aux vues similaires. Pour ces motifs, les Forces armées canadiennes (FAC) doivent disposer des fonds nécessaires et d’un personnel bien formé et équipé. Les FAC doivent également avoir la bonne capacité et le niveau de préparation opérationnelle dont elles ont besoin pour défendre le pays, ses résidants et ses intérêts nationaux, quel que soit le type de menace.

Dans ce contexte, le 31 janvier 2022, le Comité a adopté une motion afin d’entreprendre une étude des menaces qui pèsent sur le Canada et de la disponibilité opérationnelle des FAC pour ce qui est de faire face à ces menaces. Cette motion se lit comme suit :

Que le Comité réalise une étude, en y consacrant au moins quatre réunions, dans laquelle il fournit une analyse des menaces ayant une incidence sur l’état de préparation opérationnelle du Canada et des Forces armées canadiennes (FAC) à faire face à ces menaces, notamment le soutien des opérations de sécurité internationale comme la stabilité de la frontière orientale de l’OTAN, y compris les efforts en cours visant l’appui des forces armées de l’Ukraine, de sa souveraineté et de son intégrité territoriale, et des menaces émergentes dans la région indopacifique, ainsi que de la capacité nationale d’intervenir en cas d’urgences civiles, que cette étude s’articule autour des thèmes que sont les problèmes de logistique, d’approvisionnement et de personnel, et que le Comité fasse rapport de ses conclusions à la Chambre.

Du 2 février au 30 mars 2022, le Comité a consacré neuf réunions à cette étude et entendu 32 témoins, y compris des représentants des FAC et du gouvernement fédéral du Canada, des chercheurs et d’autres intervenants. Il a aussi reçu des mémoires d’intervenants qui n’ont pas comparu devant lui.

Dans ce rapport sont résumés les commentaires présentés par les témoins lors de leur comparution devant le Comité ou dans un mémoire, ainsi que d’autres renseignements pertinents accessibles au public. À la première section sont analysées les façons dont le visage de la sécurité mondiale a changé au cours des dernières années et sont mises en lumière les menaces les plus sérieuses qui pèsent sur le Canada. La deuxième section porte sur l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe en février 2022, ainsi que les tensions croissantes entre les membres de l’OTAN et le gouvernement de la Russie, et les répercussions de ces tensions sur le Canada et ses alliés de l’OTAN. Du point de vue de la défense du continent, la troisième section porte sur la façon dont les récentes modifications du contexte de la sécurité mondiale et les tensions croissantes avec les gouvernements de la Chine, de la Russie et d’autres États révisionnistes nous touchent. La quatrième section traite de l’état actuel de la préparation opérationnelle des FAC, et on y décrit les améliorations qu’il y a moyen d’apporter. Le rapport se termine par les réflexions et les recommandations du Comité.

Le contexte de la sécurité dans le monde en évolution rapide

Pendant l’étude, des témoins ont affirmé que les FAC faisaient face à un certain nombre de difficultés et qu’elles avaient pris des engagements nationaux et internationaux. Les nouvelles menaces et technologies nous amènent à examiner nos capacités et nos processus militaires afin de nous assurer de demeurer pertinents et prêts à réagir efficacement à une situation de sécurité internationale qui évolue très rapidement et qui est de plus en plus complexe et ambiguë. Les témoins ont précisé la définition de « menaces », et parlé de la concurrence entre les puissances mondiales, de la Chine et de la région indopacifique, de la Russie, de la coopération militaire entre la Chine et la Russie, des nouvelles technologies militaires, de la guerre cybernétique, cognitive et hybride et d’autres menaces.

Le vice-amiral J. R. Auchterlonie, commandant du Commandement des opérations interarmées du Canada, a fait remarquer que les militaires étaient également très conscients des menaces qui pèsent sur le Canada et de celles auxquelles les forces [armées] doivent faire face, mais il a ajouté que la situation de la sécurité mondiale était en constante évolution, et que bon nombre de menaces recensées au cours de l’étude n’étaient pas près de disparaître, et qu’il ne faudrait surtout pas les oublier. Comme l’a déclaré le lieutenant-général (à la retraite) Walter Semianiw, le monde est de plus en plus interconnecté, et toutes sortes de menaces compromettent notre sécurité, notre commerce et notre mode de vie. Le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw a soutenu que l’époque où nous pouvions alléguer que le pays était « très loin de tout » et que son emplacement géographique pouvait contribuer à sa défense était révolue; l’instabilité et les menaces qui nous proviennent de l’Europe, de la région indopacifique ou d’autres parties du monde ont donc des conséquences directes sur la paix et la stabilité mondiales sur lesquelles reposent notre sécurité, notre économie et notre bien-être.

Définition des menaces

Richard B. Fadden, ancien conseiller à la sécurité nationale auprès du premier ministre du Canada, ancien sous-ministre de la Défense nationale et ancien directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, a défini la « menace » comme étant à la fois l’intention et les capacités de causer un préjudice, et comme « la façon dont un gouvernement, un ministre, un groupe ou une personne choisit de voir ces actions potentiellement dirigées contre le Canada ». Comme l’a expliqué le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw en parlant de cette intention et de ces capacités, « ces deux aspects se conjuguent pour constituer le niveau de la menace, de faible à élevé ». Indiquant qu’il « serait difficile aujourd’hui de désigner un pays qui aurait manifesté l’intention de contester la souveraineté du Canada […] », il a prévenu que « [l]'intention de causer un préjudice peut changer très rapidement ».

Colin Robertson, conseiller principal et membre de l’Institut canadien des affaires mondiales, a fait observer que les menaces qui pèsent sur le Canada sont « variées et très dangereuses », puisque le contexte de la sécurité mondiale évolue rapidement. M. Robertson a relevé les menaces suivantes pour le Canada :

les changements climatiques, les pandémies, le terrorisme, la pauvreté et les inégalités. Ce cocktail diabolique accentue les conflits intérieurs et les conflits entre États, ce qui se traduit par le plus grand nombre de personnes déplacées que nous ayons connu depuis la Seconde Guerre mondiale. Les conflits eux-mêmes sont en train de changer, avec la guerre hybride, les cyberattaques impossibles à retracer, la désinformation, les drones et les mercenaires. Les États‑Unis, dont la politique est polarisée, sont moins disposés et moins en mesure de supporter le fardeau internationaliste. Une Chine émergente et agressive et une Russie revancharde signifient le retour des rivalités entre grandes puissances et la résurgence du fossé idéologique et systémique entre l’autoritarisme et la démocratie.

Le retour de la concurrence entre les puissances mondiales

Pour les témoins, les plus grandes menaces auxquelles font face le Canada et ses alliés sont le retour de la rivalité entre les grandes puissances et la montée des tensions avec les gouvernements de la Chine, de la Russie, de la Corée du Nord et d’autres États révisionnistes et de plus en plus répressifs.

M. Fen Osler Hampson, professeur émérite à l’Université Carleton et président du World Refugee and Migration Council, a affirmé que « [l]a plus grande menace est géopolitique », et que le « monde est un endroit beaucoup plus dangereux » aujourd’hui en raison du « retour de la concurrence et de la rivalité géostratégiques ». Il a expliqué que :

[l]e système international devient très concurrentiel et instable, en raison de la montée en puissance de la Chine et de la résurgence de la Russie. Ces deux pays menacent leurs voisins et aspirent à une influence mondiale. Il y a aussi des acteurs régionaux — l’Iran et la Corée du Nord — qui menacent leurs voisins par de nouvelles provocations, sans compter l’instabilité dans de nombreuses autres régions du monde, y compris dans notre propre hémisphère.

M. David Perry, président de l’Institut canadien des affaires mondiales, a exprimé des points de vue similaires. Selon lui, la menace la plus importante de la planète à être apparue depuis la publication de « Protection, Sécurité, Engagement », en 2017, est le « retour de la compétition entre grandes puissances », qui s’est « amplifi[ée] » au cours des cinq dernières années, et à laquelle ont contribué les tensions grandissantes avec les gouvernements de « grandes puissances [de plus en plus] antagonistes » : pensons à la Chine et à la Russie. M. Perry a souligné que ces deux pays « continuent d’investir dans des programmes de modernisation militaire à grande échelle et emploient leurs forces armées modernisées de concert avec d’autres éléments de pouvoir étatique de manières qui menacent les intérêts canadiens » et ceux des alliés du Canada. En outre, il a cité la récente invasion de l’Ukraine par l’armée russe ainsi que les tensions croissantes entre les gouvernements de la Chine et des pays voisins de la région indopacifique comme exemples du comportement agressif des gouvernements de la Russie et de la Chine sur la scène mondiale.

De plus, M. Perry a dit que le retour de la concurrence et de la rivalité géostratégiques entre les grandes puissances « représente le contexte dans lequel se déroule le réinvestissement dans l’armée canadienne ». À son avis, il est nécessaire de réinvestir dans les FAC pour maintenir nos engagements à l’égard de la sécurité nationale, continentale et internationale, et pour leur permettre d’améliorer leur capacité de « dissuader tout comportement indésirable de la part des grandes puissances ». M. Hampson était d’accord avec lui, soulignant que le retour de la concurrence entre les grandes puissances et leur rivalité croissante avec les gouvernements de la Chine et de la Russie forcent les FAC à « relever les défis » d’adopter une approche de « dissuasion à deux fronts » pour « faire face à la menace militaire croissante que représentent la Russie et la Chine ».

Le Canada n’est pas le seul pays dont le gouvernement investit dans ses forces armées en raison du retour d’une concurrence entre grandes puissances. Les tensions croissantes avec la Chine et la Russie, de même que la sécurité mondiale qui s’est détériorée rapidement au cours des dernières années, incitent de nombreux autres à en faire autant. Selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), les dépenses militaires mondiales sont passées d’un montant estimatif de 1,67 billion de dollars américains en 2015[2] à plus de 2,11 billions en 2021[3]. En 2021, les cinq pays ayant enregistré les niveaux les plus élevés de dépenses militaires étaient les États-Unis, la Chine, l’Inde, le Royaume-Uni et la Russie; ensemble, ces dépenses représentaient environ 62 % des dépenses militaires effectuées dans le monde.

On prévoit que les dépenses militaires mondiales continueront à augmenter au cours des prochaines années, une augmentation largement motivée par le réarmement et l’accroissement rapides des forces armées en Amérique du Nord, en Europe et dans la région indopacifique[4]. Par exemple, les dépenses militaires totales des 30 pays de l’OTAN, dont fait partie le Canada, s’élevaient à plus de 1,17 billion de dollars américains en 2021, ce qui représente une augmentation de plus de 278,00 milliards de dollars américains par rapport au niveau de 2015, qui se situait à près de 895,68 milliards de dollars américains. La hausse des dépenses militaires dans les pays de l’OTAN est en grande partie attribuable aux tensions grandissantes avec la Russie depuis 2014[5]. De la même façon, la montée en puissance de la Chine et la détérioration continue du contexte de la sécurité dans la région indopacifique poussent de nombreux gouvernements de cette région à accroître leur budget militaire ainsi qu’à élargir la taille et la capacité de leurs forces armées[6]. La croissance des dépenses militaires mondiales de ces dernières années a coïncidé avec une augmentation de la vente et du commerce des armes à l’échelle internationale[7]. Selon le SIPRI, la valeur totale des ventes d’armes par les 100 plus grandes entreprises productrices d’armement au monde s’élevait à 531 milliards de dollars américains en 2020, ce qui représente une hausse de 17 % par rapport au niveau de 2015.

Comme en a témoigné le major-général Michael Wright, commandant du Commandement du renseignement des Forces canadiennes et chef du renseignement de la Défense, « [l]a rivalité entre les superpuissances est de nouveau au centre de l’environnement stratégique international. Cette rivalité est alimentée d’un côté par une Russie révisionniste et renaissante et, de l’autre, par une Chine puissante et désireuse de bousculer l’ordre international fondé sur des règles, alors que toutes les deux usent de moyens qui servent leurs intérêts nationaux et leurs visions autoritaristes du monde. » Selon lui, ce qui est plus préoccupant encore, c’est que les gouvernements de la Chine et de la Russie renforcent « [d]e plus en plus […] leur coopération stratégique dans les domaines diplomatique, économique et militaire », et que « [c]ette coopération a lieu dans de nombreuses régions du monde, y compris dans l’Arctique ».

La menace de la Chine et la situation de la sécurité dans la région indopacifique

Plusieurs témoins ont affirmé que la Chine représentait une menace pour le Canada. David Mulroney, ancien ambassadeur du Canada en République populaire de Chine, a décrit le pays comme représentant « la plus importante menace » à long terme pour le Canada, et il a expliqué que :

[c]ette menace croissante est nourrie par la conviction, [en Chine] que la faiblesse et le déclin de l’Ouest donnent lieu à des possibilités sans précédent pour le leadership mondial. […] Cette ambition est de nature collective et est partagée par les plus hauts membres du Parti communiste, mais aussi de nature personnelle pour le premier dirigeant de la Chine, Xi Jinping. Elle se nourrit d’un excès de confiance dangereux à l’égard des capacités de la Chine, et de certains doutes voulant que les turbulences économiques grandissantes, le déclin démographique et la résistance internationale de plus en plus importante empêchent la Chine d’atteindre l’hégémonie, à moins qu’elle n’agisse rapidement et avec détermination.

Depuis l’entrée en fonction du dirigeant suprême de la Chine Xi Jinping, en 2012, le gouvernement du pays a transformé sa façon d’aborder le reste du monde. On assiste à une intensification des tendances expansionnistes en matière de politiques étrangères et de réarmement, de même qu’à de nouveaux types de comportements coercitifs et agressifs, en particulier dirigés vers les gouvernements des États dont le Parti communiste chinois considère qu’ils agissent de manière contraire à ses intérêts. Cependant, selon M. Mulroney, les menaces provenant de la Chine sont multiples et comprennent un comportement commercial coercitif, l’ingérence étrangère, l’espionnage, le vol de propriété intellectuelle, des initiatives d’expansion militaire, l’érosion de l’ordre international fondé sur des règles, des attaques contre la démocratie, des détentions arbitraires, des violations des droits de la personne et des agressions au Canada contre des citoyens canadiens. En ce qui concerne ces dernières, M. Mulroney a souligné « les membres de la diaspora chinoise sont victimes de harcèlement, tout comme les nombreux Tibétains, Ouïghours et adeptes du Falun Gong ciblés par le Parti communiste chinois au [Canada] », ainsi que d’« un espionnage agressif » et d’« efforts pour influer sur les médias et les divers ordres de gouvernement ».

J. Paul de B. Taillon, un chercheur universitaire qui était d’accord avec M. Mulroney, a fait observer que « la plus grande menace pour la sécurité nationale du Canada et son bien-être économique, c’est l’omniprésence croissante de l’espionnage économique et du renseignement organisés par le Parti communiste chinois ». À son avis, l’intérêt stratégique de la Chine est de devenir « non seulement un concurrent économique international, mais aussi la seule superpuissance mondiale », ainsi que de remplacer les États-Unis et de dominer les biens communs mondiaux. M. Taillon a laissé entendre que, pour atteindre cette fin, le gouvernement chinois s’adonnait activement à des activités subtiles, diversifiées et sophistiquées de renseignement, d’espionnage et d’ingérence étrangère, y compris au Canada.

M. Hampson a qualifié la Chine de menace la plus importante pour le Canada. Selon lui, bien que la Russie constitue une menace à l’égard des alliés et des partenaires de l’OTAN en Europe, le gouvernement chinois « intimide ses voisins » « par des démonstrations de force et de sa puissance militaire » dans la région indopacifique. M. Hampson soutenait que la région devenait « de plus en plus instable » en raison des ambitions géostratégiques du gouvernement de la Chine, et a souligné son « comportement » sous la présidence de Xi Jinping et le renforcement de la présence militaire chinoise : entre 2010 et 2020, les dépenses militaires ont augmenté de 76 %, et les capacités de combat de l’armée chinoise se sont considérablement améliorées; d’ici 2030, la marine chinoise devrait être « plus moderne et plus grande » que la marine américaine, qui est actuellement la plus importante au monde.

Selon Elbridge A. Colby, cofondateur principal de l’Initiative Marathon, la « menace militaire que la Chine représente en Asie est réelle, grave et urgente ».

Les forces armées chinoises sont passées d’une armée relativement arriérée il y a 30 ans à une armée de premier plan aujourd’hui, ce que l’armée américaine trouve très décourageant. En outre, l’[Armée de libération populaire] n’est plus seulement une force de défense territoriale; elle est désormais une armée de projection de puissance, en mesure de projeter et de maintenir une puissance militaire dominante.

M. Colby a affirmé que l’ascension rapide de la Chine à la position de superpuissance concurrente suscitait de profondes inquiétudes chez les Américains, en particulier sur les plans géostratégique, économique et militaire. Selon lui, leur objectif immédiat était de refuser à la Chine une hégémonie régionale sur l’Asie, ce qui signifie que ceux-ci « doivent fortement réorienter leurs priorités militaires vers le Pacifique occidental ». M. Colby a fait remarquer que l’inconvénient de ce type de réorientation vers la région indopacifique était qu’ils devraient réduire la portée de leurs engagements militaires en Europe et au Moyen‑Orient, et que cela créerait des lacunes à ces endroits dans le monde, lacunes que leurs partenaires, comme le Canada et les autres alliés de l’OTAN, devraient combler. Aussi, il a indiqué que, « si les États‑Unis craignent que la Chine domine l’Asie, tout le monde, y compris le Canada, devrait être très inquiet ». Toujours selon lui, « le Canada devrait être très, très préoccupé par la possibilité que la Chine domine l’Asie ».

Cela dit, M. James Fergusson, professeur au Centre for Defence and Security Studies du département d’études politiques de l’Université du Manitoba, a indiqué que la Chine ne menaçait pas directement le Canada pour le moment, et il a ajouté qu’il n’y avait rien de « vraiment important du point de vue de l’intention et des capacités de la Chine » qui constitue une menace imminente pour l’Amérique du Nord. Selon M. Fergusson, les Chinois ont une perspective régionale en ce moment, même s’ils « sont en train de développer des capacités à long rayon d’action pour pouvoir menacer l’Amérique du Nord, et ils le peuvent effectivement grâce à leurs bases terrestres de lancement de missiles balistiques intercontinentaux et à leurs réserves croissantes de missiles balistiques mer-sol »; toutefois, « pour l’instant, les Chinois représentent davantage un problème régional de l’Asie-Pacifique qu’une menace pour l’Amérique du Nord ». Cependant, M. Fergusson a convenu que cette situation pourrait changer, une déclaration à laquelle M. Fadden a souscrit. Selon ce dernier, « [à] moyen et à long terme, [la Chine est] absolument » la plus importante menace pour la sécurité nationale du Canada, et elle représente « un adversaire stratégique ».

La menace de la Russie

Comme pour la Chine, les témoins considéraient la Russie comme une menace grandissante pour le Canada et ses alliés. M. Robert Huebert, professeur agrégé au département de sciences politiques de l’Université de Calgary, a affirmé que, depuis son arrivée au pouvoir en tant que président du pays, Vladimir Poutine prouvait qu’il avait « à la fois l’intention et le désir de redonner à la Russie son statut de grande puissance ». À son avis, les Canadiens sont plutôt lents à reconnaître la Russie comme une menace, et nombre d’entre eux minimisent les déclarations de Poutine et les actes qu’il a commis au cours de la dernière décennie. Pour illustrer ce problème, M. Huebert a indiqué que peu de Canadiens considéraient la Russie comme une menace militaire possible dans l’Arctique, malgré les initiatives constantes de militarisation de la région par son gouvernement, et il a dit que, par le passé, les Canadiens avaient sous-évalué les menaces posées par les nouveaux systèmes d’armes russes (armes hypersoniques, systèmes sous-marins autonomes et autres types de systèmes de lancement d’armes), qu’ils considéraient aujourd’hui comme une « menace directe ». M. Huebert a fait valoir que de tels systèmes d’armes « ne sont pas brusquement apparus en 2022 »; bon nombre de programmes concernant ces systèmes ont été lancés entre 2005 et 2010, et leur existence était connue dès les années 2010 : « c’était un autre avertissement ».

Même si plusieurs témoins ont parlé de la menace croissante de la Russie et de la montée des tensions avec le gouvernement de ce pays depuis son invasion à grande échelle de l’Ukraine en février 2022, M. Huebert a insisté sur le fait que cette récente invasion ne constituait pas un phénomène nouveau et qu’on ne saurait s’en surprendre; depuis qu’il est devenu président, Vladimir Poutine a usé à plusieurs reprises « du recours à la force pour redessiner les cartes de l’Europe ». Soulignant ses interventions agressives contre les États voisins, M. Huebert et M. Hampson ont fait référence aux interventions militaires russes en Tchétchénie (1999-2009), en Géorgie (2008), en Ukraine (depuis 2014), en Syrie (depuis 2015) et au Kazakhstan (janvier 2022). Selon M. Huebert, la « menace à laquelle fait face le Canada dans le contexte de la sécurité collective et de sa propre sécurité dans le Nord » est connue des Canadiens depuis de nombreuses années, mais « le moment est venu de vraiment y accorder toute notre attention ».

Pierre Jolicoeur, vice-recteur associé de la recherche au Collège militaire royal du Canada, et le vice-amiral (à la retraite) Darren Hawco, ancien représentant militaire du Canada à l’OTAN, ont fait un survol des raisons pour lesquelles, sous l’autorité du président Poutine, les Russes se montraient agressifs sur la scène mondiale. Ils ont expliqué que Poutine tentait de rétablir la gloire de la Russie d’antan et de lui faire retrouver un statut respectable au sein de l’ordre international, de protéger les intérêts russes et la sécurité du pays, de préserver la sphère d’influence russe, de maintenir autour du pays une marge de gouvernements qui se conformeront à ses exigences, et, considérant l’OTAN comme une menace, de freiner son expansion vers l’est et de l’éloigner des frontières du pays.

Le vice-amiral (à la retraite) Hawco a indiqué que, depuis 1997, 14 pays d’Europe de l’Est avaient quitté la sphère d’influence russe et rejoint les rangs de l’OTAN, et que le président Poutine ne voulait pas que d’autres pays comme l’Autriche, la Bosnie-Herzégovine, la Finlande, la Géorgie, la Moldavie, la Serbie, la Suède ou l’Ukraine en fassent autant. Selon lui, Poutine estime qu’une telle expansion de l’OTAN et la désintégration des sphères d’influence russes peuvent être bloquées par la fomentation de différends frontaliers avec les gouvernements des États voisins, comme ce fut le cas avec la Géorgie en 2008 et l’Ukraine en 2014. Comme l’a souligné le vice-amiral (à la retraite) Hawco, « [s]'il y a un différend frontalier, on ne peut pas joindre les rangs de l’OTAN ». M. Jolicoeur a insisté sur le fait que les pays dont le gouvernement collabore avec les Russes, comme le Kazakhstan et le Bélarus, « n’ont pas de problèmes », mais que ceux qui ne le font pas, comme la Géorgie et l’Ukraine, « vivent des problèmes ».

Laissant entendre que la Russie constituait une menace pour le Canada à plus d’un égard, M. Jolicoeur a déclaré ce qui suit :

Les menaces à l’endroit du Canada pourraient prendre la forme de cyberattaques. […] La Russie pourrait s’attaquer directement à nos infrastructures ou à nos institutions gouvernementales au moyen de mesures cybernétiques. La Russie peut aussi organiser des campagnes ou des opérations d’information, afin de faire de la propagande, de dénigrer l’effort canadien, de miner le tissu social canadien et de faire que la population canadienne pourrait ne pas être d’accord sur les décisions de son propre gouvernement. […] Parmi les autres types de menaces que la Russie peut faire peser sur le territoire canadien, il y a la menace à l’intégrité territoriale canadienne. […] [Toutefois,] cela est très peu probable, car le Canada est un pays membre de l’OTAN. Une attaque contre le Canada voudrait donc dire que tous les pays membres de l’OTAN répondraient par la force de leurs canons de façon unanime.

M. Jolicoeur a ajouté :

Un autre type de menaces serait d’utiliser la communauté russe au Canada. La Russie pourrait essayer de manipuler la communauté russophone ou des ressortissants d’origine russe au Canada. […] Enfin, la Russie pourrait lancer des attaques contre les troupes canadiennes; […] celles qui sont en Europe de l’Est pour participer aux opérations Unifier et Reassurance […] au moyen de campagnes d’information ou de propagande.

La coopération militaire entre la Chine et la Russie

Plusieurs témoins ont décrit une coopération accrue entre la Chine et la Russie préoccupant de plus en plus le gouvernement du Canada et ses alliés. M. Hampson a précisé que cette coopération « remet en question l’ordre politique et militaire actuel », tandis que M. Colby a laissé entendre que « la Russie et la Chine sont plus alignées aujourd’hui qu’elles ne l’ont probablement été depuis l’époque de Mao Zedong et de Joseph Staline ».

Mettant l’accent sur les préoccupations de l’OTAN concernant la consolidation des rapports entre la Chine et la Russie, David Angell, ambassadeur et représentant permanent du Canada auprès de l’OTAN, a fait remarquer que l’organisation surveillait de près non seulement la Russie, mais aussi la Chine, et particulièrement la modernisation de son armée et sa « coopération militaire croissante avec la Russie », laquelle « est préoccupante ». Le major‑général Wright a expliqué qu’au début de la récente invasion de l’Ukraine par l’armée russe, on craignait très sérieusement que le gouvernement de la Chine ne saisisse « l’occasion » pour « accélérer » ses « propres plans pour intensifier le contrôle sur son “étranger proche”, plus précisément Taïwan ».

Cependant, les témoins ne croyaient pas tous que la coopération entre la Chine et la Russie devrait nous préoccuper à long terme, ou qu’elle perdurerait. Selon M. Fadden, la coopération entre ces deux pays doit être considérée comme une simple tactique : à « court terme, l’alliance entre la Russie et la Chine » durera, mais il est peu probable que « cette relation se poursuivra à long terme », et ce, pour les raisons suivantes :

[L]es différences en matière de puissance et d’influence sur la planète qui existent en ce moment entre la Russie et la Chine sont telles que ces deux pays n’ont pas et n’auront pas une relation stratégique du genre de celle que nous aurions pu observer entre deux pays ayant des bases plus équilibrées. En revanche, j’estime qu’à court terme, leur capacité à créer des méfaits dans la région indopacifique et en Europe s’en trouve accrue. Je pense que leur incidence sera assez significative, en particulier, s’ils commencent à se soutenir mutuellement dans le domaine de la cybernétique.

Selon M. Taillon, qui était d’accord avec M. Fadden, la Russie et la Chine, qui ne sont « pas des alliés naturels », se sont déjà affrontées par le passé, comme en 1962, lors des conflits frontaliers le long de la rivière Ussuri. M. Taillon a dit ceci : « Pour l’instant, l’ennemi de mon ennemi est mon ami. […] Le fait que les Russes soutiennent essentiellement les Chinois à Taïwan signifie que les Chinois seront plus qu’heureux de les soutenir [en Ukraine]. » À son avis, la durée probable du lien entre les gouvernements chinois et russe est inconnue, puisque les deux pays sont des puissances concurrentes à l’échelle mondiale, y compris dans l’Arctique, que les Chinois considèrent comme un État quasi arctique et dont ils désirent exploiter les ressources; Poutine, quant à lui, qui militarise les territoires arctiques et considère le passage du Nord comme une voie navigable intérieure, considère la Chine comme « une menace potentielle ». M. Taillon estime « qu’il va y avoir des affrontements intéressants du côté nord de part et d’autre ».

Émergence rapide de nouvelles technologies militaires

Un certain nombre de témoins ont souligné l’émergence rapide de nouvelles technologies militaires, précisant que celles-ci représentaient des difficultés importantes pour les armées du monde entier et incitaient de nombreux gouvernements, à grands frais, à renforcer leurs capacités de défense et à investir dans des moyens de dissuasion. Ils ont attiré l’attention sur la prolifération des systèmes aériens sans pilote et des missiles de croisière à longue portée et à grande vitesse, ainsi que sur le développement rapide de systèmes d’armes hypersoniques et autonomes; les nouvelles menaces dans les domaines de l’espace, de l’intelligence artificielle et de la cybernétique posent également des défis. Pour eux, ces menaces d’ordre technologique, combinées aux menaces militaires existantes et à l’évolution rapide du contexte de la sécurité mondiale, obligent les gouvernements du Canada et d’autres pays, un peu partout sur la planète, à s’adapter continuellement à des menaces dans plusieurs domaines.

M. Hampson a insisté sur les investissements importants dans les forces armées chinoises et russes visant leur modernisation et leur dotation des technologies et des capacités militaires dernier cri, qui leur permettront d’avoir une longueur d’avance pour lutter contre des adversaires plus puissants. Il a mentionné plus particulièrement l’élaboration de nouvelles armes et de nouvelles technologies militaires sophistiquées, comme des armes hypersoniques, des missiles balistiques et des missiles de croisière, des systèmes non stratégiques équipés pour transporter des ogives nucléaires ou classiques, des armes à énergie dirigée, des systèmes d’armes autonomes, des armes antisatellite et des systèmes de cyberguerre.

M. Colby a soulevé quelques préoccupations concernant l’émergence, observée en Chine, de nouvelles technologies liées aux armes, déclarant qu’« [i]l y a d’énormes percées en cours, et nous ne devrions plus considérer la Chine en particulier comme un pays en voie de rattrapage » en ce qui concerne les technologies militaires. Disant des Chinois que, maintenant, « ils sont pour l’essentiel à l’avant-garde », M. Colby a cité leur évolution récente en matière d’armes hypersoniques, et il a déclaré que ceux-ci « pourraient nous dépasser […] en matière de capacité technologique militaire d’ici la fin de la décennie. Nous avons beaucoup de raisons de nous inquiéter. » M. Fergusson a reconnu qu’ils avaient récemment testé un système de bombardement orbital fractionné, le décrivant comme « une menace potentielle […] pour le Canada ».

Les menaces de guerre cybernétique, cognitive et hybride

Plusieurs témoins ont décrit les cybermenaces comme suscitant des préoccupations immédiates et pressantes sur le plan de la sécurité pour Canada. En ce qui concerne la fréquence à laquelle des acteurs étrangers tentent de nuire à nos systèmes cybernétiques, M. Fadden supposait qu’il y avait probablement « plusieurs millions de tentatives par jour et que cela se répète jour après jour ». D’après Cherie Henderson, directrice adjointe des Exigences au Service canadien du renseignement de sécurité, « le Canada subit quotidiennement des milliers de cyberattaques dans tout le pays, et de nombreuses organisations font l’objet de ces attaques ». Selon le major-général Wright, le nombre de cybermenaces augmente, et, dans les États étrangers, on emploie des programmes cybernétiques offensifs pour cibler nos actifs, tels que notre secteur financier, nos infrastructures essentielles et nos institutions démocratiques.

Sami Khoury, chef du Centre canadien pour la cybersécurité du Centre de la sécurité des télécommunications, a noté que si « la cybercriminalité est la menace la plus susceptible de toucher les Canadiens […], les cyberprogrammes parrainés par la Chine, la Russie, la Corée du Nord et l’Iran constituent la plus grande menace stratégique pour le Canada ». Selon John Hewie, agent de la sécurité nationale chez Microsoft Canada inc., « 58 % de toutes les cyberattaques d’État observées par Microsoft [au cours de la dernière année] ont été attribuées à la Russie, suivie de la Corée du Nord, de l’Iran et de la Chine ». M. Hewie a confirmé que « [l]es acteurs russes ciblent de plus en plus les organismes gouvernementaux s’occupant de politique étrangère, de sécurité nationale et de défense aux fins de la collecte de renseignements ».

M. Hampson a souligné que les cybermenaces ne concernaient pas que les cyberattaques contre les systèmes du Canada et l’infiltration des réseaux sociaux, mais également le vol de notre propriété intellectuelle. Il était d’avis « que Huawei est l’une des plus grandes sociétés de télécommunications au monde aujourd’hui, sinon la plus grande, parce qu’elle a excellé dans ses efforts pour voler la propriété intellectuelle de Nortel, que l’on retrouve aujourd’hui dans son équipement ».

L’Alliance Canada Hong Kong a exprimé des inquiétudes quant au fait que le gouvernement du Canada a autorisé Huawei à participer à l’établissement au pays d’un réseau mobile de cinquième génération (ou de type 5G), précisant que le Canada était le seul membre du Groupe des cinq[8] à ne pas restreindre l’utilisation de l’équipement Huawei pour un réseau 5 G[9]. De plus, l’Alliance a souligné que les gouvernements du Japon et de plusieurs pays européens avaient banni Huawei de leur réseau 5 G[10]. Pour ce qui est de savoir si Huawei représente une menace importante pour la sécurité nationale du Canada, M. Fadden a affirmé « absolument », ajoutant :

Je pense [que Huawei] joue le rôle d’agent du Parti communiste ou de l’État chinois. […] ils ont clairement indiqué que l’acquisition d’informations, de propriété intellectuelle et de renseignements auprès des pays occidentaux faisait partie intégrante de leur approche fondamentale de la gouvernance. Huawei leur donnera la possibilité d’utiliser un certain nombre de points d’entrée dans notre système de communication traditionnel ou numérique. […] Huawei fait, sans l’ombre d’un doute, fonction d’agent du Parti communiste ou de l’État chinois. […] Nous courons un risque important en autorisant cette entreprise à exercer ses activités.

M. Fadden présumait aussi qu’en refusant, jusqu’à maintenant, d’interdire Huawei, nous avons « considérablement amoindri » notre crédibilité auprès de nos partenaires du Groupe des cinq et de nos alliés de l’OTAN. Tout en indiquant qu’il était peu probable que l’un des membres du Groupe des cinq « nous privera des renseignements opérationnels qui constituent une menace pour le Canada », il a précisé que, « si nous continuons sur cette voie, il est réellement possible qu’ils réduisent grandement les renseignements qu’ils nous communiquent ».

Depuis la comparution des derniers témoins de l’étude le 30 mars 2022, le gouvernement du Canada a annoncé, le 19 mai 2022, sa décision d’exclure Huawei du réseau 5G du Canada.

Plusieurs témoins ont formulé des remarques sur les menaces de guerre cognitive[11], en particulier les campagnes de désinformation, l’influence étrangère et l’espionnage. Marcus Kolga, agrégé supérieur de recherche à l’Institut Macdonald-Laurier, a signalé :

la menace de la guerre de l’information et des opérations d’influence menées depuis l’étranger — connue sous le nom plus général de « guerre cognitive » — est persistante et elle va en augmentant. Le Canada est une cible importante pour les acteurs chinois, russes et iraniens qui cherchent à manipuler nos médias, nos élus, notre société civile, nos forces armées, nos communautés ethniques et les intérêts canadiens au moyen d’opérations de désinformation.

Selon M. Kolga, le gouvernement de la Russie recourt de façon particulièrement active à des campagnes de désinformation; celui-ci a insisté sur le fait qu’il « y a tout un écosystème de désinformation créé par le gouvernement russe ». Selon lui, ce dernier est devenu « spécialiste des fausses informations », et les campagnes de désinformation russes constituent une menace pour le Canada, les États‑Unis et d’autres démocraties par l’exploitation des conflits civils, des enjeux environnementaux et d’autres enjeux politiques visant à « diviser notre société en érodant les liens sur lesquels elle repose ».

M. Kolga a fait allusion, à titre d’exemple, au fait que le gouvernement russe a exploité la pandémie de COVID-19 pour répandre dans les sociétés occidentales de la désinformation conçue de manière à amplifier les craintes et l’anxiété à l’égard des effets de la pandémie, et ce, en vue de déstabiliser et de diviser les pays occidentaux, de saper la démocratie, ainsi que d’éroder la confiance des gens dans leur gouvernement et dans leurs médias, et les uns envers les autres. Il a aussi soutenu que les médias nationaux russes avaient récemment exploité le mouvement contre la COVID-19 au Canada en faisant la promotion à la fois des « éléments extrémistes liés à ce mouvement » et « de voix radicales qui cherchent à renverser ce gouvernement démocratiquement élu qui est le nôtre ».

De plus, M. Kolga a mentionné que les campagnes de désinformation russes ciblaient les militaires occidentaux, soulignant que la guerre de l’information de la Russie visait les membres des FAC déployés en Lettonie et en Ukraine. Le vice-amiral (à la retraite) Hawco a parlé du fait que le gouvernement russe utilisait la guerre cognitive pour semer le doute et nuire à la cohésion de l’OTAN en menaçant de recourir aux armes nucléaires si ce dernier intervenait en Ukraine, décrivant de telles mesures comme « un exemple […] de la confrontation de l’information » et « de tactique de zone grise ».

Dans l’optique de mettre l’accent sur l’utilisation grandissante de la guerre hybride, le major-général Wright a souligné que de nombreux acteurs étatiques et non étatiques investissaient dans les systèmes d’armes et les technologies militaires. Selon lui, ces acteurs « poursuivent de plus en plus leurs objectifs en utilisant des méthodes hybrides dans la “zone grise” qui existe juste en dessous du seuil du conflit armé, y compris les opérations d’influence étrangère, de cyberespionnage et d’espionnage ».

Les autres menaces

Des témoins ont soulevé la question des menaces posées par la faiblesse de la gouvernance dans les États fragiles, l’extrémisme violent, le terrorisme et l’instabilité dans plusieurs régions du monde. Le major-général Wright a indiqué « qu’il existe une relation de renforcement mutuel entre la faible gouvernance dans les États fragiles, l’extrémisme violent et les flux migratoires irréguliers, et que les situations qui en résultent sont de plus en plus aggravées par les effets du changement climatique », ce qui signifie de « l’instabilité dans de nombreuses régions du monde au cours des prochaines années ».

M. Angell a également discuté de terrorisme, ce qui laisse croire que celui-ci demeure une menace transnationale dans bien des régions du monde. Selon lui, les gouvernements du Canada et des pays de l’OTAN « s’efforce[nt] [également] de faire face au terrorisme », participent « à la lutte contre Daech » depuis plusieurs années, et ont « élaboré un plan d’action contre le terrorisme international ».

M. Perry et M. Christian Leuprecht, professeur au Collège militaire royal et à l’Université Queen’s, ont insisté sur la situation de la sécurité au Canada, notamment en ce qui concerne les effets de la pandémie actuelle et d’éventuelles pandémies, des changements climatiques et des phénomènes météorologiques extrêmes, ainsi que des catastrophes naturelles et des crises humanitaires d’origine climatique. Ils se sont déclarés préoccupés par l’augmentation spectaculaire, au cours des dernières années, des affectations nationales des FAC visant la fourniture d’aide humanitaire dans le cadre d’opérations de secours aux sinistrés, à la suite d’une augmentation du nombre d’urgences causées par le climat, comme les inondations et les incendies de forêt.

D’autres témoins se sont penchés plus spécifiquement sur la situation en matière de sécurité dans l’Arctique. M. Kolga a parlé de la militarisation de l’Arctique et des investissements par le gouvernement de la Russie dans les capacités militaires de ce pays dans la région. Il a mentionné « une menace croissante dans cette région », et ses propos ont porté sur l’aménagement de nouvelles bases en Russie (dont des bases offensives pour bombardiers à long rayon d’action), et la réfection d’anciennes installations, ainsi que sur le déploiement de divers systèmes d’armes sophistiqués dans l’Arctique, y compris « des torpilles à grande vitesse, des torpilles à armement nucléaire qui sont conçues pour irradier nos côtes arctiques ».

M. Hampson a aussi affirmé que la Chine représentait une menace militaire croissante dans l’Arctique, et a souligné que « [l]a menace là‑haut est croissante de la part de la Chine, qui construit des brise-glaces lourds équipés d’armes » et « qui voi[t] l’Arctique non seulement comme un endroit où exploiter des ressources naturelles, mais aussi comme un espace de transit et de compétition militaire ».

Selon une déclaration offrant un point de vue différent du vice-amiral (à la retraite) Hawco, ni la Russie ni la Chine ne constituent une menace immédiate pour la sécurité du Canada dans l’Arctique, et il n’y a pas de « risque imminent pour la souveraineté dans le Nord ». Tout en reconnaissant l’existence d’« incursions normales » d’avions militaires russes dans les zones d’identification de défense aérienne du Canada et des États-Unis dans le nord, « dont le [NORAD] s’occupe de façon routinière », le vice-amiral (à la retraite) Hawco n’entrevoyait pas de menace militaire directe dans l’Arctique, mais plutôt, au cours des années à venir, une concurrence croissante à l’égard des ressources naturelles de cette région. Il estimait que cette concurrence n’entraînerait pas « une contestation directe de la zone économique exclusive du Canada et des revendications de sa souveraineté sur l’Arctique ». Il a plutôt indiqué que « ça a des conséquences sur notre application à la base arctique de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer ». Il a de plus souligné que l’on prévoyait que l’Arctique contiendrait environ 25 % des ressources mondiales, et a mentionné que les gouvernements de la Russie, de la Chine et d’autres pays avaient exprimé leur intérêt à exploiter ces ressources.

Le Canada, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et la guerre en Ukraine

Des témoins ont parlé de l’agression russe contre l’Ukraine, affirmant que cette agression préoccupe le gouvernement du Canada et ses alliés de l’OTAN depuis longtemps. Dans leurs commentaires, ils ont surtout mis l’accent sur la guerre en Ukraine ainsi que sur la condamnation internationale du gouvernement russe, nos contributions à l’OTAN, l’opération REASSURANCE et notre soutien à l’Ukraine.

Des témoins ont condamné le gouvernement russe pour sa récente invasion à grande échelle de l’Ukraine, qui a commencé en février 2022 et a entraîné la mort de milliers de civils innocents et d’autres personnes, ainsi que la destruction de villes. Ils estimaient que cette invasion non provoquée, illégitime et injustifiable avait entraîné une variété d’atrocités, de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis par l’armée russe en Ukraine.

Des témoins ont également souligné que le gouvernement du Canada, les membres de l’OTAN et d’autres partenaires internationaux s’exprimaient haut et fort et demeuraient unis dans leur soutien à l’Ukraine et dans leur condamnation de l’agression par les Russes. Ils ont ajouté qu’en soutenant les Ukrainiens dans leur résistance contre l’agression russe, ces pays et ces partenaires les approvisionnaient en armes et en matériel militaire, leur fournissaient une aide financière et humanitaire, et imposaient des sanctions contre la Russie. De plus, ils ont souligné que les gouvernements du Canada et d’autres pays de l’OTAN avaient également pris des mesures pour renforcer la sécurité collective de l’alliance ainsi que pour accroître les mesures de défense et de dissuasion contre la Russie. En outre, mentionnant que les membres de l’OTAN ne toléreraient aucun acte d’agrégation par cette dernière du territoire de l’un de leurs 30 pays, ils ont souligné, par exemple, l’augmentation du nombre de forces aériennes, terrestres et maritimes de l’OTAN sur le flanc oriental de l’alliance en Europe et leur renforcement, ainsi que la mobilisation de sa force de réaction rapide pour la première fois dans l’histoire.

Andrew Rasiulis, membre associé de l’Institut canadien des affaires mondiales, a ajouté : la « menace immédiate à laquelle le Canada fait face, et qui, en conséquence, concerne directement les Forces armées canadiennes, est le conflit entre l’Ukraine et la Russie », la guerre « ayant un effet de propagation sur les pays de l’OTAN voisins » et constituant un « danger évident et réel » pour le Canada et ses alliés de l’OTAN. De l’avis du vice-amiral (à la retraite) Hawco, la Russie constitue la menace immédiate, et nous devons faire front commun avec nos alliés de l’OTAN, de façon forte et ferme, pour intervenir et contenir cette menace pour la sécurité de l’Europe. Le vice-amiral (à la retraite) Hawco a qualifié cette sécurité de « question d’intérêt national pour le Canada ».

Le vice-amiral Scott Bishop, représentant militaire du Canada à l’OTAN, a déclaré que, « peu importe l’issue en Ukraine, [la Russie démontre qu’elle est un] acteur imprévisible et irresponsable sur la scène internationale, un acteur prêt à prendre des risques extraordinaires et irresponsables et à violer le droit international », une réalité que le gouvernement du Canada et les membres de l’OTAN ne peuvent passer sous silence.

La guerre en Ukraine et la condamnation de la Russie

Lorsque le Comité a commencé son étude, en janvier 2022, l’armée russe n’avait pas encore envahi l’Ukraine, et les préoccupations de la communauté internationale concernaient essentiellement le renforcement militaire de la Russie le long de sa frontière avec le pays. Ce renforcement s’accroissait presque quotidiennement depuis l’automne 2021, et les tensions entre les membres de l’OTAN et le gouvernement de la Russie s’intensifiaient, parce que la menace d’une guerre entre la Russie et l’Ukraine semblait encore plus susceptible de se concrétiser. Pendant les jours qui ont précédé l’invasion, le Comité a tenu plusieurs réunions sur la situation en Ukraine, et sur ce que le gouvernement du Canada et les membres de l’OTAN faisaient pour accroître leur aide à l’Ukraine et sur ce qu’ils pourraient faire, puisque la perspective d’une nouvelle guerre européenne était de plus en plus probable.

Pendant ces réunions, des témoins ont insisté pour dire que l’agression russe en Ukraine durait depuis plusieurs années. Ihor Michalchyshyn, directeur exécutif et directeur général du Congrès des Ukrainiens-Canadiens, a mentionné l’annexion illégale de la Crimée par la Russie en 2014 et son soutien aux forces séparatistes prorusses dans les oblasts de Donetsk et de Louhansk, en Ukraine. Il a souligné que, dans l’est de ce pays, la guerre « a fait plus de 13 000 morts et a forcé le déplacement de 1,5 million de personnes à l’intérieur de l’Ukraine » depuis 2014.

De nombreux témoins ont également souligné la nécessité d’appuyer les Ukrainiens en leur fournissant des armes et en imposant de nouvelles sanctions contre la Russie. M. Michalchyshyn a demandé instamment au gouvernement du Canada de commencer à fournir du matériel militaire létal aux forces ukrainiennes et d’imposer des sanctions supplémentaires et plus rigoureuses contre la Russie. La plupart des témoins estimaient également que le gouvernement russe créait une pression sur l’Ukraine en déployant des forces militaires le long de sa frontière. Peu de témoins croyaient qu’il lancerait une invasion à grande échelle de l’Ukraine.

La situation a changé radicalement le 24 février 2022 avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Comme des témoins l’ont souligné, les gouvernements du Canada et de pays autour du globe ainsi que les alliés de l’OTAN ont immédiatement et vigoureusement condamné l’acte d’agression russe non provoqué et injustifié contre l’Ukraine, le Canada et ses alliés de l’OTAN imposant de fortes sanctions à la Russie et offrant une aide financière, militaire et humanitaire sans précédent à l’Ukraine. Depuis février 2022, nous imposons un certain nombre de sanctions contre des centaines de personnes et d’entreprises de la Russie, et nous fournissons aux forces ukrainiennes de l’équipement militaire létal et non létal d’une valeur de plusieurs dizaines de millions de dollars. Le gouvernement du Canada a signalé qu’en date du 8 mai 2022, nous avions atteint plus de 131 millions de dollars de dons d’équipement militaire à l’Ukraine depuis février 2022, et qu’une aide militaire additionnelle était attendue au cours des prochains mois, avec l’annonce par le gouvernement du Canada, le 7 avril 2022, de son intention de lui fournir une aide militaire supplémentaire de 500 millions de dollars en 2022‑2023. Depuis, le gouvernement a annoncé une aide militaire supplémentaire de 50 millions de dollars le 8 mai 2022, suivie d’une nouvelle aide de 98 millions le 24 mai 2022.

Les témoins qui ont comparu après l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont exprimé leur appui à l’Ukraine et exhorté le gouvernement du Canada et ses alliés de l’OTAN à continuer à condamner la Russie et à aider l’Ukraine. Le major-général Paul Prévost, directeur de l’état‑major, État‑major interarmées stratégique, ministère de la Défense nationale, Heidi Kutz, haute représentante et directrice générale, Affaires arctiques, eurasiennes et européennes, Affaires mondiales Canada, et Kevin Hamilton, directeur général, Politique de sécurité internationale, Affaires mondiales Canada, ont déclaré que le gouvernement du Canada et les membres de l’OTAN continueraient de former une alliance forte et unie contre la Russie et de soutenir l’Ukraine. Convenant de ces propos, M. Angell a fait observer que :

L’unité et l’adaptabilité de l’alliance ont toutes deux été évidentes en réponse à la violation par la Russie de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. […] L’OTAN a fait preuve d’une extraordinaire unité en répondant à la crise actuelle, en offrant à la Russie une voie diplomatique crédible pour éviter la crise et en prônant des sanctions sans précédent une fois que cette option diplomatique a été écartée. De plus, l’OTAN a mis en œuvre de façon préventive des mesures de vigilance accrue et a activé ses mécanismes de planification avancés pour renforcer sa posture de dissuasion, tandis que des alliés individuels fournissent un soutien sans précédent à l’Ukraine. Tout au long de cette crise, l’OTAN est demeurée unie et fidèle à ses valeurs.

Des témoins ont expliqué que la guerre en Ukraine avait causé l’intensification des tensions en Europe de l’Est et en Europe centrale et qu’elle pouvait entraîner une déstabilisation plus importante de la sécurité de la région. Ils ont souligné que plusieurs millions de réfugiés ukrainiens se rendaient dans les États voisins, tels que la Pologne et la Hongrie, et que les membres de l’OTAN dans les régions des Baltiques et des Balkans demandaient des renforts pour pouvoir protéger leur intégrité territoriale contre l’expansion russe. Selon eux, alors que la réaction des membres de l’OTAN continue d’évoluer, ceux-ci insistent sur l’importance de leur solidarité et de la force du lien transatlantique.

Selon Mme Maria Popova, professeure à l’Université McGill, « la réalité à laquelle l’Europe et l’Amérique du Nord font face aujourd’hui, après l’agression russe, c’est qu’un nouveau rideau de fer va s’abattre sur l’Europe ». Mme Popova a indiqué qu’après la guerre entre la Russie et l’Ukraine, « les voisins de la Russie et tous les États qui faisaient autrefois partie de la Russie ne se sentiront pas à l’abri d’une attaque russe », et que les États non membres de l’OTAN dans la région ne disposaient pas des structures collectives nécessaires pour transiger avec un gouvernement russe hostile, et qu’ils « devront trouver un moyen d’éviter d’être aspirés dans la sphère d’influence de la Russie — ou pire encore ». À son avis, [c]e que M. Poutine a démontré avec cette invasion, c’est qu’il a fini de faire semblant de coopérer de quelque manière que ce soit avec l’Occident. Il est maintenant en mission expansionniste. Il va tenter d’annexer le plus grand territoire possible et il est prêt à une nouvelle confrontation avec l’Occident.

La contribution du Canada à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord

Des témoins ont fait remarquer qu’aujourd’hui, peut-être plus que jamais, la pertinence de l’OTAN en tant qu’alliance militaire dans un monde de plus en plus instable et dangereux est éprouvée, et que le Canada en demeure un solide allié. Ils ont mentionné que l’OTAN était une alliance défensive fondée sur les principes que sont la démocratie, la liberté individuelle et la primauté du droit, et un pilier majeur de la sécurité de l’Europe depuis plus de 70 ans, et ils ont décrit le Canada comme un membre fiable et solide de l’OTAN qui continue d’être attaché à l’alliance et à la défense collective de ses 30 pays. Selon eux, l’OTAN revêt de l’importance pour le Canada, et le Canada revêt de l’importance pour l’OTAN.

Selon M. Angell, l’OTAN a pour optique « de garantir la sécurité de la zone euro‑atlantique et de près d’un milliard de citoyens des 30 pays désormais alliés ». M. Angell a aussi indiqué que, comme membres fondateurs, nous sommes un « architecte de l’OTAN » et nous « continuons de jouer un rôle de chef de file au sein de l’alliance », insistant sur le fait que l’OTAN est « demeurée une pierre angulaire de notre sécurité pendant sept décennies ».

Après avoir fait observer que le Canada était un allié sérieux de l’OTAN dans le contexte actuel, le vice-amiral (à la retraite) Hawco a souligné nos contributions à l’OTAN dans le cadre de ses opérations, grâce à l’affectation d’unités, de navires et d’avions de l’armée ainsi que du personnel connexe. À son avis, le Canada et les FAC sont bien perçus par les membres de l’OTAN, et les gouvernements des pays alliés considèrent que nous exerçons une influence décisive sur l’alliance. Le vice-amiral (à la retraite) Hawco a souligné que « [n]ous nous percevons nous-mêmes comme un petit pays, mais nous avons une mobilité stratégique », et que, comparativement aux petits pays de l’OTAN, comme « la Croatie, la Lituanie, la Belgique, les Pays-Bas ou la Norvège », « nous avons une énorme armée avec l’ensemble des capacités » nécessaires, y compris des appareils à réaction et une flotte de sous-marins. À son avis, le fait que nous dirigions l’un des quatre groupements tactiques multinationaux de l’OTAN de taille d’un bataillon en Europe de l’Est, soit le groupement tactique de la présence avancée renforcée (PAR) en Lettonie, prouve clairement notre réputation au sein de l’OTAN[12].

Pour souligner le rôle de leader que nous jouons au sein de l’OTAN, M. Angell a noté que le Canada, l’un des fondateurs de l’OTAN, était en situation de leadership dès le début : « C’est une responsabilité que nous prenons très au sérieux. » Il a également déclaré :

Au sein de l’alliance, nous sommes un membre remarquablement créatif. Nos forces armées sont extrêmement compétentes et nous sommes présents pour le travail important. Notre rôle en Lettonie et en Irak en est un exemple. […] Nous sommes également des chefs de file dans les enjeux de premier plan, comme le témoigne ce que nous faisons pour le climat et la sécurité, par exemple. Nous sommes des leaders dans les enjeux touchant les valeurs, et le travail […] L’appui de l’égalité des femmes, de la paix et de la sécurité en est un exemple.

M. Angell et le vice-amiral Bishop ont affirmé que les membres de l’OTAN demeuraient plus unis que jamais, et qu’ils s’engageaient à tenir tête au gouvernement russe et à condamner son invasion de l’Ukraine. Laissant entendre que la force de l’OTAN reposait sur l’unité de ses alliés, qui considèrent tous, en vertu de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord, qu’une attaque armée contre l’un des pays de l’OTAN est une attaque contre tous les pays de l’OTAN, les deux hommes ont allégué que le gouvernement du Canada et ses alliés de l’OTAN appuyaient solidairement l’Ukraine et étaient prêts à défendre le territoire de l’OTAN contre l’agression russe. Le vice-amiral Bishop a, quant à lui, fait valoir : « face à cette invasion flagrante et non provoquée de l’Ukraine par la Russie, je crois que je n’ai jamais vu les 30 pays de l’OTAN être aussi unis qu’ils le sont actuellement », ajoutant :

L’OTAN se prépare depuis l’annexion de la Crimée par la Russie et sa première invasion de l’Ukraine en 2014. Nous avons été très préoccupés par les possibilités d’agression de la Russie contre l’OTAN. [On] a beaucoup travaillé à l’élaboration de plans […] visant à réagir à une agression de la Russie. Ces […] plans ont été activés […] avec l’approbation du Conseil de l’Atlantique Nord [à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022]. Conformément à ces plans, [l’OTAN] a pu renforcer considérablement les pays qui se trouvent sur [son] flanc est. […] Plusieurs pays, dont le Canada, ont pris des mesures pour renforcer les forces qu’ils avaient déjà en place dans ces régions.

Aussi, M. Angell et le vice-amiral Bishop ont énuméré certaines des mesures que l’OTAN a prises depuis février 2022 en vue de renforcer son flanc oriental, y compris le déplacement d’autres militaires et équipements vers son flanc nord‑est afin de solidifier les groupements tactiques existants dans la région des pays baltes, et la création de nouveaux groupements tactiques dans la partie sud‑est de son flanc, y compris en Roumanie, en Bulgarie, en Slovaquie et en Hongrie.

M. Angell a mentionné que la « force de l’OTAN découle de sa capacité à s’adapter dans un environnement géostratégique en constante évolution », et a décrit « un processus de réforme de grande envergure, OTAN 2030, pour s’assurer qu’elle demeure adaptée à l’objectif visé ». Selon lui, le processus aboutira à l’adoption « d’un nouveau concept stratégique de fond » qui « tracera la voie à suivre pour l’OTAN au cours de la prochaine décennie environ ». Soulignant le nouveau concept stratégique de l’OTAN, qui devrait être lancé en juin 2022, et la nécessité constante pour l’organisation de s’adapter aux changements observés au contexte de la sécurité dans le monde, le vice-amiral Bishop a déclaré :

[la guerre en Ukraine aura] une incidence considérable sur l’élaboration de ce concept stratégique. Je pense que cela suscite déjà beaucoup de discussions au sein de l’OTAN sur la façon dont nous devons examiner notre posture de défense et de dissuasion, en particulier le long du flanc est. Je pense que plusieurs de nos alliés, en particulier ceux qui se trouvent dans la partie orientale de l’alliance, vont demander à l’OTAN d’envisager sérieusement d’augmenter considérablement les capacités qu’elle maintient le long des frontières avec la Russie et du flanc est de l’OTAN.

Évoquant les activités de l’OTAN liées aux changements climatiques comme exemple de son adaptation aux changements rapides observés en ce qui concerne le contexte de la sécurité mondiale, M. Angell a souligné que ses « alliés sont conscients des répercussions des changements climatiques sur la sécurité en tant qu’amplificateur des menaces et de l’importance de réduire les émissions, les équipements et les activités militaires ». Il a également présenté un exemple de notre leadership au sein de l’OTAN : lors du sommet de l’OTAN de 2021, le gouvernement du Canada a annoncé que son engagement renforcé à l’égard de l’organisation comprendrait l’établissement d’un centre d’excellence de l’OTAN pour le climat et la sécurité, afin de donner suite aux priorités de l’Organisation en matière de sécurité climatique, de faciliter l’échange d’expertise, de renforcer les capacités et de faire progresser les initiatives visant à réduire les répercussions des activités militaires sur le climat. D’après M. Angell, ce centre contribuera à faire « progresser, de manière importante » le travail des membres de l’OTAN dans le « domaine crucial » que sont les changements climatiques et la sécurité.

L’opération REASSURANCE du Canada

Certains des témoins ont fait des commentaires sur l’opération REASSURANCE. Le gouvernement du Canada a récemment annoncé sa décision de renforcer le soutien des FAC aux mesures de défense et de dissuasion de l’OTAN en Europe de l’Est et en Europe centrale dans le cadre de l’opération REASSURANCE. Par conséquent, il continuera de soutenir l’Organisation par des ressources financières, humaines et matérielles au cours des années à venir.

Lancée en 2014, l’opération REASSURANCE est, à l’heure actuelle, notre principale opération militaire à l’étranger; environ 1 400 membres des FAC sont déployés dans le cadre de celle-ci. Aussi, nous sommes un chef de file du groupement tactique de la PAR de l’OTAN en Lettonie, nous déployons des frégates dans un groupe maritime permanent de l’OTAN, et nous appuyons l’Organisation par une police aérienne renforcée en Roumanie, en rotation non permanente, grâce au lancement de chasseurs à réaction CF‑18 Hornet.

Le 22 février 2022, le gouvernement du Canada a annoncé de nouveaux engagements relatifs à l’opération REASSURANCE, y compris le déploiement de 460 membres des FAC qui se joindront aux quelque 800 militaires qui se trouvent déjà en Europe en appui à l’OTAN, d’une batterie d’artillerie M777 ainsi que d’observateurs avancés et de spécialistes de la guerre électronique visant à soutenir le groupement tactique de la PAR en Lettonie, et d’une deuxième frégate, qui participera aux missions des forces navales permanentes de l’OTAN, de même que l’attribution d’une nouvelle mission à un aéronef de patrouille à long rayon d’action CP-140 Aurora, qui opérera désormais dans la région euroatlantique sous le commandement et le contrôle de l’OTAN. Également, si l’OTAN en a besoin, près de 3 400 membres des FAC de toutes les unités (armée, marine, forces aériennes et forces spéciales) seront autorisés à se joindre à sa force d’intervention rapide.

De même, le 28 février 2022, le gouvernement du Canada a annoncé que les FAC déploieraient deux avions de transport CC-130J Hercules en Europe pour aider les alliés de l’OTAN à transporter du personnel et de l’équipement, ainsi que pour fournir une aide militaire à l’Ukraine. Le 8 mars 2022, soit un an plus tôt que prévu, il a renouvelé son engagement pluriannuel à l’égard de l’opération REASSURANCE en raison de l’évolution de la situation en matière de sécurité en Europe. Plus récemment, le 14 avril 2022, le MDN a annoncé le déploiement de plus de 100 membres des FAC en Pologne dans le cadre de l’opération REASSURANCE afin de contribuer aux initiatives de soutien et de soins aux réfugiés qui fuient la guerre en Ukraine. En outre, le major-général Prévost a précisé que nous avions accepté de déployer six chasseurs à réaction CF-18 en Roumanie à l’automne 2022, lesquels participeront aux missions de la police aérienne de l’OTAN, mais que ce déploiement « pourrait se faire plutôt si cela est nécessaire pour l’OTAN ».

Au sujet de l’opération REASSURANCE, le major-général Prévost a comparé notre contribution aux opérations de l’OTAN en Europe de l’Est et en Europe centrale dans le cadre de l’opération à celle des autres pays de l’alliance, présentant notre rôle comme étant « égal à celui des autres pays, c’est certain, et même plus qu’à égalité ». Il a ajouté :

Nous sommes actuellement à la tête du groupement tactique en Lettonie, [l’un des quatre groupements tactiques de l’OTAN le long du front est]. Le Canada dirige [ce groupement tactique pour] de nombreux pays. En fait, le groupement tactique que nous commandons à Riga, en Lettonie, est le plus multinational de tous les groupements tactiques déployés le long du front de l’Est.

Le vice-amiral Bishop a insisté sur nos contributions à l’OTAN, en particulier au niveau opérationnel, indiquant que « l’une de nos principales forces en tant que nation est la contribution que nous apportons à l’alliance ». Selon lui :

[l]orsque nous nous présentons à la table et que nous fournissons des capacités à l’OTAN, nous fournissons d’excellentes capacités à un haut niveau de préparation qui sont totalement adaptées à la mission. Cela a toujours été notre devise et nos alliés le reconnaissent.

Parlant de nos contributions à l’OTAN dans le cadre de l’opération REASSURANCE, le vice-amiral Bishop a souligné à la fois que « nous avons d’excellentes capacités dans le groupe de combat en Lettonie », et que notre rôle de chef de file dans ce pays est reconnu au sein de l’OTAN. Il a de plus souligné « l’excellence dont nous avons fait preuve dans la mission de police aérienne », une contribution que les alliés de l’OTAN valorisent par ailleurs. Le vice-amiral Bishop a indiqué que :

le Canada a régulièrement fourni des avions de chasse à l’appui des missions de police aérienne de l’OTAN. Sur le flanc est, le Canada a régulièrement contribué à la police aérienne en Roumanie. Nos efforts là‑bas ont été extrêmement bien appréciés par tous nos partenaires alliés. Il s’agit d’une mission extrêmement importante pour l’OTAN et, en particulier, pour les pays du flanc est. […] [N]os alliés nous remercient beaucoup pour l’excellent travail que nos hommes et nos femmes accomplissent dans le cadre de ces missions.

M. Angell a également déclaré que les gouvernements des pays de l’OTAN étaient reconnaissants pour nos contributions navales dans le cadre de l’opération REASSURANCE, affirmant que « nous avons dirigé des groupes maritimes navals permanents et nous y avons apporté notre contribution de façon très efficace ». Le vice-amiral Bishop a abondé dans le même sens, faisant valoir ce qui suit :

[N]ous apportons une contribution très régulière aux forces navales permanentes de l’OTAN. En fait, nous sommes l’un des rares pays à fournir régulièrement des navires de guerre à ces forces navales permanentes.

Le major-général Prévost a affirmé que, au besoin, le personnel des FAC affecté à l’opération REASSURANCE était prêt à combattre, et a énoncé que « les Forces canadiennes ont les pouvoirs et les règles d’engagement qu’il leur faut en ce moment pour exercer leurs activités dans le contexte actuel ». « Si la situation change, nous veillerons à ce que les membres des Forces armées canadiennes aient les règles d’engagement qu’il leur faut », cependant. Cela dit, il a également fait remarquer que « tous les membres et toutes les unités des Forces canadiennes, ainsi que leurs alliés, ont, en tout temps et depuis toujours, le droit de se défendre », de sorte que les FAC pourraient se défendre si les forces russes devaient attaquer leur personnel déjà déployé en Europe dans le cadre de l’opération REASSURANCE.

Des témoins étaient d’avis qu’une guerre entre la Russie et les pays membres de l’OTAN était très peu probable, et que les forces russes n’oseraient pas attaquer un pays de l’OTAN, en raison de l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord. Ils ont en outre souligné que les gouvernements des 30 pays de l’OTAN démontraient leur unité et leur détermination à faire respecter l’article 5 depuis le début de la crise en Ukraine, et que l’OTAN comptait également certaines des principales puissances militaires mondiales; ces puissances sont notamment les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, qui sont tous dotés de l’arme nucléaire.

De l’avis du vice-amiral (à la retraite) Hawco, il est « [d]ifficile d[…]'imaginer, sauf dans une sorte de situation extrême ou par suite d’une erreur très peu probable de calcul », que les forces russes attaquent un pays de l’OTAN; toutefois, si un tel cas se produisait, et si « certains étaient tués dans cette situation, ils riposteraient tous, sans l’ombre d’un doute », en invoquant l’article 5. M. Hawco a prédit que cette situation « n’a qu’une ou deux conclusions, et aucune n’est vraiment agréable pour l’individu Poutine […] ou pour […] la Fédération de Russie ». Dans le même ordre d’idées, le major-général Prévost a soutenu qu’en fait, une attaque russe contre un pays de l’OTAN poserait un « risque réel » pour « Poutine lui-même », et non pour l’OTAN, et a souligné que nous étions unis et prêts, et que nous « rassemblons beaucoup de capacités ». De plus, le major-général Prévost a expliqué que, à part la perspective très peu probable d’une attaque russe contre un pays membre de l’OTAN, la plus grande menace à laquelle les membres des FAC déployés en Europe dans le cadre de l’opération REASSURANCE étaient exposés actuellement était celle des campagnes de désinformation et de la guerre d’information russes.

En plus d’appuyer les initiatives des FAC en Europe dans le cadre de l’opération REASSURANCE, des témoins préconisaient d’envisager de nouveau une présence militaire permanente sur le continent comme moyen de dissuasion contre la menace russe. Signalant que notre présence en Lettonie dans le cadre de l’opération REASSURANCE était temporaire, ils ont suggéré notre retour à l’approche adoptée au cours de la Guerre froide, alors que les FAC avaient une présence permanente de l’armée et de l’aviation en Allemagne. M. Kolga a fait remarquer :

nous avons besoin d’agents de dissuasion à l’OTAN et nous devons appuyer notre mission en Lettonie en y consacrant plus de ressources, peut-être aussi travailler au sein de l’OTAN pour qu’il y ait une mission permanente dans les pays baltes pour freiner les ardeurs de Vladimir Poutine. C’est une avenue à explorer, car les agents de dissuasion représentent le type de pouvoir qui empêchera Vladimir Poutine d’agir comme il le fait actuellement en Ukraine.

(Voir la recommandation 3)

Le soutien du Canada à l’Ukraine

Plusieurs témoins ont mentionné que nous avons formé des militaires ukrainiens dans le cadre de l’opération UNIFIER, lancée en 2015, afin d’aider les membres des forces de sécurité ukrainiennes à améliorer leurs capacités et leurs moyens. En janvier 2022, le gouvernement du Canada a prolongé l’opération UNIFIER jusqu’à la fin de mars 2025. En avril 2022, le MDN a mentionné que, depuis 2015, les membres du personnel des FAC déployés dans le cadre de l’opération UNIFIER avaient formé près de 33 350 membres des forces de sécurité ukrainiennes en dispensant 726 cours. L’opération UNIFIER est temporairement suspendue en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Le MDN a affirmé que tout le personnel des FAC actuellement déployé dans le cadre de l’opération UNIFIER avait été temporairement relocalisé en Pologne jusqu’à ce que les conditions permettent une reprise de la formation.

Le major-général Prévost a précisé qu’environ 240 membres du personnel des FAC en déploiement dans le cadre de l’opération UNIFIER avaient été réinstallés ailleurs en Europe avant la récente invasion de l’Ukraine par les forces russes, parce que « la conjoncture devenait de plus en plus instable en Ukraine ». À en croire le major-général Prévost, nous « demeurons prêts à retourner en Ukraine pour continuer [nos] efforts de formation dès que la situation le permettra de nouveau ».

De même, des témoins ont indiqué que le gouvernement du Canada apportait de l’aide militaire à l’Ukraine. Lors de sa comparution devant le Comité, le 23 mars 2022, la ministre de la Défense nationale, Anita Anand, a insisté sur le fait que, depuis février 2022, le gouvernement avait annoncé une aide militaire létale et non létale à l’Ukraine évaluée à plus de 100 millions de dollars, y compris des armes antichars, des lance-roquettes, des grenades, des pistolets, des fusils de tireur d’élite, des munitions et des caméras utilisables sur des drones. Selon elle, « [n]ous faisons tout en notre possible pour aider les soldats ukrainiens à l’heure actuelle. Nous songeons notamment à l’approvisionnement par des fournisseurs tiers. » Le major‑général Prévost a expliqué que la plupart de ces dons d’équipement militaire provenaient des « stocks en service » des FAC, bien que certains équipements aient été déclarés « excédentaires ». De plus, il a souligné qu’aux dons, venait s’ajouter l’aide militaire de 23 millions de dollars que nous avons déjà fournie à l’Ukraine depuis 2015, et, en ce qui concerne l’échange d’information, il a dit que le gouvernement du Canada annonçait que des images satellites à haute résolution évaluées à 1 million de dollars seraient accordées à l’Ukraine.

Depuis la comparution des derniers témoins pendant l’étude du Comité, le 30 mars 2022, le gouvernement du Canada a mentionné qu’il fournirait une aide militaire supplémentaire à l’Ukraine. Par exemple, le 7 avril 2022, dans le budget fédéral, il a annoncé l’attribution d’une aide militaire supplémentaire de 500 millions de dollars à l’Ukraine en 2022‑2023, puis, le 22 avril 2022, le MDN a dit que nous avions offert au pays des munitions anti‑blindés Carl Gustaf additionnelles, ainsi que des obusiers tractés M777 de 155 mm assortis de leurs munitions, et que nous avions entrepris de mettre la dernière main aux contrats relatifs à certains véhicules blindés de modèle commercial, de même qu’à un marché de services concernant l’entretien et la réparation de caméras sur drone déjà fournies au pays. Le 26 avril 2022, le gouvernement du Canada annonçait que nous avions finalisé les contrats pour huit véhicules blindés de modèle commercial et un contrat de service pour l’entretien et la réparation de caméras spécialisées transportées par drone. Selon le gouvernement du Canada, depuis février 2022 et en date du 8 mai 2022, nous aurions envoyé en Ukraine de l’équipement militaire évalué à plus de 131 millions de dollars. Depuis, le gouvernement du Canada a annoncé le 8 mai 2022 une aide militaire additionnelle de 50 millions de dollars à l’Ukraine, qui comprend des images satellitaires à haute résolution et des caméras pour drones ainsi que des munitions d’armes légères et d’artillerie. De plus, le gouvernement a annoncé une aide supplémentaire de 98 millions de dollars le 24 mai 2022, dont 20 000 obus d’artillerie de munitions standard de 155 mm pour les obusiers M777.

Si l’on exclut nos contributions en Ukraine à ce jour, quelques témoins ont recensé du matériel militaire supplémentaire que nous pourrions fournir, y compris certaines technologies militaires évoluées et spécialisées de pointe. M. Jolicoeur a mentionné que nous pourrions approvisionner l’Ukraine en drones ou en systèmes de surveillance pour « aider les forces armées ukrainiennes à renforcer leur capacité militaire », tandis que M. Hampson a souligné que le pays avait besoin d’armes antichars et de missiles surface‑air.

Plusieurs témoins ont parlé de nos sanctions contre la Russie. Mme Kutz a insisté sur le fait que nous travaillons « en étroite collaboration » avec les gouvernements des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Australie et de l’Union européenne pour harmoniser ces sanctions avec celles d’autres pays, afin d’obtenir « un effet immédiat et maximal sur la Russie ». Notant les sanctions imposées par le gouvernement du Canada contre des personnes, des entités et des institutions financières russes, et le fait que celui-ci envisage des sanctions additionnelles, elle a indiqué que « [l]'importance de prendre des mesures parallèles [à celles des autres pays] se rapporte à la masse critique ».

Selon Mme Kutz, les sanctions internationales contre la Russie portent leurs fruits. D’après les responsables de la mission du Canada à Moscou, qui consiste à surveiller attentivement la situation en Russie pour aider à comprendre son incidence sur la société dans le pays, ces sanctions mettent de « la pression sur l’économie russe ». Mme Kutz a donné un exemple de ces incidences, soulignant que la décision de restreindre l’accès par la Russie à la Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunications (SWIFT) et aux systèmes mondiaux de paiements interbancaires SWIFT avait « un effet considérable sur les banques et le système financier de la Russie, ainsi que sur son pouvoir de faire des transactions ».

Mme Popova, qui était d’accord avec l’affirmation de Mme Kutz selon laquelle les sanctions ont des répercussions, a souligné que le « rouble russe s’effondre », et que les « banques [russes] sont menacées ». À son avis, les sanctions seront le plus efficaces si elles peuvent donner lieu à des manifestations en Russie, et si « la société russe, en se mobilisant », met fin à cette guerre et remplace le président Poutine, même si cette éventualité semble improbable. Tout en reconnaissant qu’il y a des manifestations en Russie contre la guerre avec l’Ukraine, Mme Popova a dit qu’il était peu probable que ces manifestations amènent de tels changements, puisque le président Poutine avait mis en place un régime autoritaire très répressif qui rend « très difficile la protestation ».

Les témoins ont convenu de façon générale que des sanctions supplémentaires contre la Russie permettraient de démontrer un soutien pour l’Ukraine. M. Hamilton a indiqué que des sanctions supplémentaires pourraient inciter le président Poutine « à réfléchir à deux fois à ce qu’il tente de faire sur le plan militaire ».

(Voir la recommandation 4)

Le Canada et la défense continentale

Des témoins ont fait des commentaires au sujet de l’incidence que l’évolution récente du contexte de la sécurité mondiale et les tensions croissantes avec le gouvernement de la Russie pourrait avoir sur le Canada sur le plan de la défense continentale. En particulier, ils ont mentionné le NORAD et sa modernisation, la sécurité et la souveraineté de l’Arctique, ainsi que l’aide militaire aux autorités civiles.

Plusieurs témoins ont affirmé que, malgré les investissements que nous réalisons actuellement afin de renforcer notre défense nationale et continentale, nous devrions continuer d’effectuer des investissements majeurs au cours des années à venir pour pouvoir faire face aux diverses menaces. Ces investissements nous permettront également de relever les défis en matière de protection de notre territoire contre les menaces nouvelles et émergentes, de collaboration avec les Américains pour la défense du continent, d’assurance de la souveraineté de notre pays dans l’Arctique et d’intervention en cas de situations d’urgence liées au climat, dont le nombre croît sans cesse.

La modernisation du commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord

Soulignant nos contributions sur le plan des ressources financières, du personnel, des avions de chasse et d’autres ressources aériennes ainsi que de l’infrastructure militaire, plusieurs témoins ont reconnu avant tout l’importance que prend le NORAD pour la défense de l’Amérique du Nord. Ils ont aussi mentionné l’urgence de le moderniser, conformément à l’engagement pris dans le document « Protection, Sécurité, Engagement » à collaborer avec les États-Unis, afin de relever les défis existants et de faire face aux nouvelles menaces qui pèsent sur l’Amérique du Nord[13]. Le 14 août 2021, les gouvernements canadien et américain ont publié une déclaration conjointe sur la modernisation du NORAD, dans laquelle ils faisaient remarquer que le « NORAD doit être en mesure de détecter et d’identifier ces menaces plus tôt et d’y réagir plus rapidement et de façon plus décisive, y compris les menaces aérospatiales qui traversent nos approches nordiques ». De plus, ils y mentionnaient dans quels domaines prioritaires doivent se faire les nouveaux investissements.

Jonathan Quinn, directeur général responsable de la politique de défense du continent au ministère de la Défense, a fait remarquer que les gouvernements canadien et américain avaient officiellement établi le NORAD en 1958 comme commandement militaire binational, et a affirmé que l’organisation contribuait à défendre avec succès l’Amérique du Nord depuis plus de 60 ans. Selon lui, « le mandat du NORAD, qui consiste à assurer l’alerte aérospatiale, le contrôle aérospatial et l’alerte maritime, est plus important que jamais pour faire face aux menaces actuelles et changeantes qui pèsent sur l’Amérique du Nord ».

Au sujet des attentes à savoir que le gouvernement du Canada continue d’investir dans le NORAD au cours des années à venir tout au long du processus de modernisation, Anessa Kimball, professeure agrégée en science politique au Centre sur la sécurité internationale de l’Université Laval, a fait valoir que, « si le Canada veut demeurer un partenaire important du NORAD, il doit faire plus d’investissements ». Mme Andrea Charron, directrice du Centre d’études sur la défense et la sécurité de l’Université du Manitoba, a fait l’observation suivante :

La modernisation du NORAD ne sera pas bon marché… Il est clair que le statu quo ne peut pas continuer. Il ne s’agit plus de nous contenter d’être en queue de peloton et de contribuer « juste assez » pour satisfaire nos alliés, ou de croire que l’Amérique du Nord ne sera jamais la cible d’attaques. L’Amérique du Nord court un risque considérable… Et une Amérique du Nord en péril est une responsabilité pour l’OTAN et ses partenaires si nous ne contribuons pas de manière significative à la défense du continent[14].

Le major-général Prévost a fait remarquer que les « discussions vont bon train » entre les gouvernements canadien et américain sur la modernisation du NORAD, les deux travaillant « fort à ce dossier, en ce moment ».

Indiquant les secteurs prioritaires d’investissement, le vice-amiral Auchterlonie a cerné des améliorations à apporter à la connaissance de la situation, par l’entremise du remplacement du Système d’alerte du Nord, de la modernisation des systèmes de commandement et de contrôle, de la mise à niveau et de la modernisation des capacités de surveillance et d’intervention, de la collaboration en matière de recherche, de développement et d’innovation, ainsi que de l’amélioration des infrastructures du NORAD, plus particulièrement dans les régions de l’Arctique et du Nord.

M. Fergusson a fait remarquer que la modernisation du NORAD serait ambitieuse et coûteuse tant pour le Canada que pour les États-Unis, mais il a mentionné que cette modernisation ne se limitait pas aux « systèmes de détection, de tir et d’interception, mais aussi [aux] dispositifs de commandement et de contrôle et de l’infrastructure [servant] à détecter les menaces potentielles et à venir, à dissuader et à vaincre les agresseurs éventuels et à nous en défendre ». Dans le même ordre d’idées, de l’avis de Mme Charron

[l]a modernisation du NORAD ne consiste pas qu’à acquérir des capacités et du nouveau matériel, mais aussi à réexaminer l’architecture de commandement et de contrôle ainsi que la préparation opérationnelle, à combler les lacunes entre les commandements de combat, à protéger les infrastructures essentielles et à s’assurer que la logistique peut être maintenue; or, tout cela nécessitera que [le NORAD] travaille de manière plus concertée avec les autres organismes gouvernementaux [américains et canadiens], les alliés [à l’étranger] et de nouveaux partenaires[15].

Plusieurs témoins ont mis en évidence l’urgence de remplacer le Système d’alerte du Nord. M. Fergusson a expliqué que le réseau de radars n’avait pas été conçu pour la surveillance de systèmes d’armes du XXIe siècle et qu’il était maintenant « obsolète ». Soulevant des préoccupations quant au développement et au déploiement rapides par la Chine et la Russie de missiles de croisière à longue portée et d’armes hypersoniques, ainsi qu’aux menaces que de tels systèmes d’armes font peser sur l’Amérique du Nord, M. Fergusson a indiqué que « la défense de l’Amérique du Nord comporte des lacunes importantes et graves » en raison de l’incapacité du Système d’alerte du Nord de permettre de surveiller ces nouveaux systèmes d’arme. Il a précisé que les missiles de croisière à longue portée posaient problème, car le Système d’alerte du Nord « peut capter très brièvement leur présence lorsqu’ils survolent la région, mais il ne peut pas vraiment les détecter, les suivre et guider des intercepteurs sur leur trajectoire ». Selon lui , les armes hypersoniques constituent « un autre problème très défini » parce que « le Système d’alerte du Nord n’est pas calibré pour ces armes, et il n’a pas la capacité de les repérer ».

M. Fergusson préconisait le remplacement du Système d’alerte du Nord par un système de systèmes, faisant valoir que nous devons penser au-delà d’un réseau de radars; un nouveau système devrait inclure des radars et des systèmes de détection plus perfectionnés, ainsi qu’une gamme d’autres capacités, comme des drones, des satellites et des aéronefs de surveillance. Décrivant l’Amérique du Nord comme « un continent qu’il faut défendre à 360º », M. Fergusson a indiqué :

[l]e besoin le plus important et le plus pressant à l’heure actuelle, ce sont les systèmes de détection, et pas seulement le remplacement de la base terrestre du Système d’alerte du Nord. On s’intéresse actuellement aux radars transhorizon à réflexion troposphérique. En remplaçant en même temps les systèmes terrestres et les systèmes aériens.

Selon lui, « l’acquisition éventuelle de systèmes [aéroportés d’alerte et de contrôle] [et…] l’utilisation de ballons captifs en haute altitude ou de systèmes basés dans l’espace » devraient être prises en compte.

M. Huebert était d’accord avec M. Fergusson en ce qui concerne le remplacement du Système d’alerte du Nord, mais il a ajouté deux éléments que nous devrions acquérir pour faire face à de nouvelles menaces : des ressources spatiales pour la surveillance et le repérage des menaces liées aux missiles, « surtout compte tenu de la vitesse et de la furtivité de certains missiles de croisière russes » et à l’avènement des armes hypersoniques, et pour la fonction d’alerte maritime du NORAD, des systèmes de détection des activités maritimes sous-marines menées en Amérique du Nord. Selon M. Huebert, la Russie dispose d’une gamme de ressources sous-marines qui posent une menace directe à l’Amérique du Nord, y compris de nouveaux systèmes d’armes sous-marins et des véhicules sous-marins autonomes; la menace devrait croître à l’avenir.

De l’avis du lieutenant-général (à la retraite) Semianiw, il est urgent de se doter de capteurs sous-marins, surtout dans l’Arctique, car « [i]l y a des sous-marins qui traversent régulièrement le Nord canadien […] sans que nous le sachions. […] Nous ne savons pas vraiment ce qui se passe sous l’eau dans le Nord canadien », et l’ajout de ces capteurs serait « un pas dans la bonne direction ».

On prévoit garder le Système d’alerte du Nord en service jusqu’à son remplacement. En janvier 2022, le gouvernement du Canada a annoncé qu’un contrat de soutien en service d’une durée initiale de sept ans avait été octroyé à Nasittuq Corporation, société appartenant à des Inuits, pour l’exploitation et la maintenance du Système; on prévoit quatre périodes d’option de deux ans. M. Fergusson a indiqué que l’octroi de ce contrat était une étape positive et un exemple du type de possibilités commerciales que la modernisation du NORAD permet aux communautés nordiques de mettre à profit. Selon lui, « les occasions de partenariat avec des entreprises inuites et autochtones dans le Nord et l’Arctique se multiplieront » vraisemblablement au cours de l’année à venir en raison de diverses initiatives : l’extension de la zone d’identification de la défense aérienne du Canada, qui comprend maintenant tout l’archipel des îles situées dans l’Arctique, le remplacement attendu du réseau de radars au sol du Système d’alerte du Nord, et, éventuellement, la construction et l’exploitation de nouveaux terrains d’aviation et de nouvelles bases d’opérations avancées dans le Nord.

Des témoins ont suggéré que, dans le cadre des initiatives de modernisation, la mission du NORAD soit élargie au-delà de l’alerte aérospatiale, du contrôle aérospatial et de l’alerte maritime et qu’elle englobe tous les environnements (aérien, spatial, maritime, terrestre et cybernétique) dans l’ensemble de l’Amérique du Nord. Selon eux, le NORAD doit inclure des capacités multidomaines pour pouvoir faire face aux menaces nouvelles et émergentes. M. Colby a expliqué que, au cours des premières années du NORAD, la seule préoccupation était la menace d’une attaque nucléaire par des bombardiers stratégiques et des missiles soviétiques; toutefois, aujourd’hui, la menace est beaucoup plus complexe et active, et elle inclut une gamme de nouvelles technologies de pointe. Il a particulièrement insisté sur la nécessité de protéger l’Amérique du Nord contre les menaces maritimes, et a énoncé qu’« il y a des sous-marins russes munis d’une grande diversité de capacités conventionnelles et des missiles de croisière nucléaires qui croisent dans l’Atlantique, et très bientôt, avant que nous n’ayons le temps de réagir, il y aura aussi des capacités chinoises ». À son avis, la modernisation du NORAD devrait passer par des investissements dans des capacités multidomaines.

Le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw était d’accord avec M. Colby et a souligné la possibilité d’élargir le mandat du NORAD à la menace maritime. À son avis, cette menace « devrait être gérée par une seule organisation », et le « NORAD dispose déjà d’un grand nombre des éléments utiles, mais il a clairement besoin d’un mandat à cet égard ».

Plusieurs témoins ont déploré notre manque de participation à la défense antimissile balistique (DAB) et les récents débats entourant ce sujet; en février 2005, le gouvernement du Canada a annoncé qu’il n’allait pas prendre part au programme de DAB des États‑Unis. Anessa Kimball et le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw ont déclaré que nous devrions réexaminer la question de notre participation au programme. Ils ont soutenu que son absence nuisait à la défense du continent, en particulier compte tenu de l’évolution rapide du contexte de la sécurité dans le monde.

Souscrivant à leur thèse, M. Fergusson a fait observer que les gouvernements de la Russie, de la Chine et de la Corée du Nord ne feraient pas de distinction entre des frappes balistiques contre le Canada et contre les États-Unis : les deux pays sont généralement considérés comme « une seule et même cible ». D’après M. Fergusson,

[à] la base, l’idée que tout le monde ferait la distinction entre le Canada et les États‑Unis est un mythe canadien dont les motifs sont politiques. Nous sommes une seule et même cible, et c’est ce que confirment nos relations étroites avec les États‑Unis. […] [Parce que] des villes canadiennes se trouvent près de la frontière et de villes américaines, les problèmes liés à l’exactitude et au guidage de missiles balistiques intercontinentaux de longue portée potentiellement menaçants et le fait [que la Russie, la Chine ou la Corée du Nord] savent parfaitement que nous sommes intégrés sur le plan économique font en sorte qu’ils nous considèrent, à mon avis, comme une seule et même cible.

(Voir la recommandation 5)

La sécurité et la souveraineté dans l’Arctique

Certains des témoins ont mentionné que l’accroissement des activités militaires dans l’Arctique exerçait une pression pour que nous renforcions la présence des FAC dans la région. Ils ont mentionné les investissements récents dans l’infrastructure militaire, les activités des Rangers canadiens dans le Nord, la construction de navires de patrouille extracôtiers de l’Arctique, le renouvellement de la flotte de brise-glaces, l’acquisition prévue de systèmes d’aéronef non habités ainsi que de diverses capacités de surveillance, et, comme il a été mentionné plus tôt, le remplacement du Système d’alerte du Nord.

Plusieurs témoins se sont exprimés sur le besoin d’investir dans la sécurité et la souveraineté dans l’Arctique. Du point de vue de M. Kolga, « notre manque de préparation est déplorable », et nous devons « être mieux préparés » à contrecarrer l’activité russe et chinoise dans cette région. Après avoir fait observer que la sécurité et la souveraineté dans l’Arctique doivent être pour nous une source importante de préoccupations, « surtout en raison des changements climatiques et de l’utilité accrue du passage du Nord-Ouest », M. Rasiulis a déclaré que nous devions nous doter d’une capacité militaire afin de faire valoir notre souveraineté dans la région et nos droits sur le passage du Nord-Ouest; il a attiré l’attention notamment sur les « forces navales et aériennes, avec quelques forces terrestres ». Selon M. Robertson, nous éprouvons actuellement de la difficulté à exercer notre souveraineté dans l’Arctique, et nous devrions y allouer des ressources additionnelles, de même qu’à la sécurité dans cette région.

Quelques témoins considéraient la Russie comme une menace militaire dans l’Arctique, contrairement à d’autres. M. Stephen Saideman, titulaire de la chaire Paterson en affaires internationales à la Norman Paterson School of International Affairs de l’Université Carleton, a déclaré :

je suis sceptique concernant l’Arctique. Si les Russes n’arrivent pas à fournir l’appui logistique nécessaire à une campagne militaire conventionnelle menée contre un voisin immédiat [en Ukraine], je ne vois pas en quoi ils représentent une menace énorme pour le Nord. […] Il ne faut pas oublier que la plupart des investissements russes visent à protéger l’Arctique russe plutôt qu’à passer de notre côté de l’Arctique. Ils ne seraient donc pas vraiment capables d’envahir l’Arctique et d’y rester.

Il a également commenté le coût élevé des opérations et des combats dans l’Arctique, à cause de la géographie, des conditions météorologiques extrêmes, des grandes distances ainsi que d’autres facteurs et difficultés logistiques : « C’est tout simplement un endroit où tout coûte très cher. […] Et, si cela nous coûte cher, cela coûte cher aussi aux Russes. » Cela dit, M. Saideman a fait valoir que nous devrions investir dans la sécurité et la souveraineté de l’Arctique en collaborant davantage avec les membres des collectivités autochtones de la région, notant que « [l]a meilleure façon de nous protéger contre les menaces dans le Nord est d’avoir de meilleures relations avec les gens qui y vivent et d’investir dans leurs collectivités ».

Plusieurs témoins craignaient que les tensions avec la Russie depuis la récente invasion de l’Ukraine puissent entraîner des répercussions dans l’Arctique. Mme Kutz a affirmé que les membres du Conseil de l’Arctique demeuraient très déterminés à coopérer et à éviter les conflits dans la région. Cela dit, elle a admis que la guerre en Ukraine entraînait des conséquences sur leurs activités, et a souligné que sept des huit membres du Conseil (le Canada, le Danemark, les États-Unis, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède) condamnaient les actions non provoquées et injustifiables de la Russie en Ukraine; la Russie est le huitième membre du Conseil de l’Arctique.

Tentant de démontrer l’importance des investissements dans la sécurité et la souveraineté dans l’Arctique pour le MDN et les FAC, M. Quinn a indiqué que :

il y a certes des intérêts canadiens dans l’Arctique qui ne relèvent aucunement du mandat du NORAD. Nous avons bien sûr nos propres capacités nationales. Il est nécessaire pour nous que les Forces armées canadiennes puissent lancer et mener à terme toute une gamme d’opérations dans le Nord, allant des mesures de sécurité jusqu’aux interventions de recherche et sauvetage, en passant par la protection de notre souveraineté et des intérêts canadiens dans le contexte d’un environnement géopolitique de plus en plus concurrentiel.

Plusieurs témoins ont souligné la nécessité d’améliorer la connaissance de la situation de l’Arctique canadien, en particulier celle du domaine maritime. Le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw a fait l’affirmation suivante :

nous devons être en mesure de détecter les menaces aériennes, maritimes et terrestres, ainsi que certaines ou l’ensemble des menaces multiples, comme on vient de vous le dire. À cet égard, notre faiblesse concerne toujours la connaissance du domaine maritime — c’est‑à‑dire sur ce qui se passe sur et sous les eaux de l’Arctique canadien.

Selon lui, nous devrions investir dans des systèmes de capteurs permettant de détecter l’activité des sous-marins dans l’Arctique ainsi qu’acquérir des drones de moyennes et de grandes tailles pour pouvoir patrouiller dans les airs. « On pourrait ainsi accroître considérablement notre capacité à détecter les menaces terrestres sur les quelque 2,6 millions de kilomètres carrés du Nord canadien. » De plus, le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw a exhorté le gouvernement du Canada à investir dans l’acquisition de nouveaux navires et de nouveaux aéronefs pour pouvoir réagir aux menaces qui sont détectées dans l’Arctique, et il a suggéré d’armer les navires de la Garde côtière canadienne à cette fin.

En ce qui concerne les nouveaux navires de patrouille arctique et hauturière de la Marine royale canadienne, M. Perry a fait remarquer que ces navires offriraient aux FAC de plus grandes capacités dans l’Arctique, mais a aussi indiqué que nous devrions aller de l’avant et mettre en œuvre d’autres initiatives d’approvisionnement en matière de défense, par exemple en achetant des brise-glaces, des sous-marins et systèmes de surveillance servant à des opérations dans l’Arctique.

Des témoins ont fait état de la nécessité d’améliorer l’infrastructure militaire dans l’Arctique. Anessa Kimball a insisté sur le fait que les investissements liés à la sécurité du Canada dans les installations militaires de l’Arctique étaient largement inférieurs à ceux de la Finlande, de la Russie, de la Suède, des États-Unis et d’autres pays nordiques. Le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw a encouragé le gouvernement du Canada à construire de nouveaux aérodromes pour les bases d’opérations avancées dans l’Arctique destinés aux chasseurs à propulsion et aux autres aéronefs militaires actifs dans la région[16]. Selon le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw, nous avons besoin de plusieurs aérodromes additionnels « pour couvrir efficacement le Nord ».

Plusieurs témoins ont encouragé le gouvernement du Canada, pour améliorer la présence des FAC dans l’Arctique, à renforcer ses relations aussi bien avec les responsables des communautés nordiques qu’avec les résidants de la région, certains ayant aussi souligné la nécessité de se doter d’une présence physique dans la région afin d’en assurer la sécurité et la souveraineté. Selon le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw « pour être en mesure de garder et de conserver un territoire, il faut que quelqu’un y soit présent. Il ne peut pas être conservé par un drone, un avion ou un navire. Il faut que quelqu’un soit sur place, et, pour prendre le contrôle, il faut pouvoir le déplacer de ce territoire. »

Anessa Kimball a qualifié de coûteuse la pratique actuelle qui consiste à faire appel à l’Aviation royale canadienne pour le transport du personnel, de l’équipement et des fournitures des FAC du sud du Canada jusqu’à l’Arctique en vue de la participation à des exercices et à des opérations, faisant remarquer que, « plus on met d’effectifs dans l’Arctique, plus cela coûte cher ». Le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw a proposé, comme solution partielle au problème des coûts élevés, d’investir davantage dans les Rangers canadiens et d’envisager d’établir des postes permanents des FAC dans l’Arctique.

En ce qui concerne les Rangers canadiens, le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw a souligné qu’actuellement, plus de 5 000 vivaient dans plus de 200 collectivités du Nord canadien; comme les Rangers sont affectés à cinq groupes qui ne couvrent pas entièrement le Nord, ils y effectuent des patrouilles, signalent des activités ou des phénomènes inhabituels, et s’acquittent de leurs obligations relatives à la souveraineté ou à la sécurité nationale.

À son avis, le programme des Rangers canadiens devrait être élargi et professionnalisé : élargi grâce au recrutement, de sorte qu’il y ait des patrouilles en nombre suffisant « pour qu’il couvre tout le Nord », et professionnalisé par l’assurance que les Rangers canadiens reçoivent les mêmes prestations, le même soutien, la même formation et le même équipement que les autres militaires des FAC. M. Semianiw a déclaré que l’élargissement et la professionnalisation des Rangers canadiens seraient « la façon la plus économique, la plus rapide et la plus efficace d’implanter un système de surveillance terrestre des régions du Nord », ajoutant :

Les Rangers canadiens font un travail extraordinaire avec ce qu’on leur donne, c’est vrai, mais le soutien qu’ils reçoivent en matière d’équipement, de formation et de logistique doit être massivement amélioré pour qu’ils soient aptes à détecter les menaces terrestres modernes dans le Nord canadien.

En ce qui concerne l’établissement de postes permanents des FAC dans l’Arctique, le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw a proposé de créer une « organisation » permanente de la Force de réserve primaire du Nord, qui serait « dirigée par des Autochtones, mais [ferait] partie de l’armée canadienne »; une telle organisation, dont le coût serait moins élevé que si des unités de la Force régulière étaient basées dans la région, travaillerait avec un groupe élargi et professionnalisé de Rangers canadiens dans le nord du pays. Selon sa proposition, cette organisation de type bataillon compterait environ 800 militaires : 200 à Whitehorse, 200 à Yellowknife et jusqu’à 400 à Iqaluit. M. Semianiw a reconnu que les FAC disposaient d’un petit nombre de membres de la Force de réserve au sein du Loyal Edmonton Regiment dans le Nord, mais, d’après lui, ce n’est « pas assez ».

Les témoins étaient d’accord pour dire que tout ce que nous pourrions faire pour accroître la sécurité et la souveraineté canadienne dans l’Arctique serait coûteux. Le lieutenant‑général (à la retraite) Semianiw a déclaré : « En général, il en coûte au minimum environ quatre fois plus pour construire et entretenir une infrastructure dans le Nord que dans le Sud. » Anessa Kimball et M. Saideman lui ont donné raison, la première indiquant que le coût de l’investissement dans la sécurité de l’Arctique « sera assez élevé », et le second révélant que « chaque investissement dans le Nord sera très, très coûteux. Les changements climatiques ne vont pas réduire les dépenses. […] Nous aurons besoin de plus de ressources dans le Nord » si un plus grand nombre de personnes circulent dans la région, y compris des ressources consacrées à la recherche et au sauvetage.

Le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw a préconisé l’élaboration d’une stratégie visant à protéger le nord du Canada et à établir des capacités dans la région conformément à un plan pluriannuel, et il a souligné que les investissements dans la sécurité de l’Arctique seraient « extrêmement coûteux. […] Donc […,] il faut échelonner le développement sur un certain nombre d’années » et « à partir d’une base et d’un plan ». Anessa Kimball a ajouté, au sujet de ces investissements, qu’il faudrait que « tout le monde soit sur la même longueur d’onde et considère que c’est une priorité, parce que la défense territoriale du Canada est importante ».

(Voir les recommandations 6, 7 et 8)

Opérations nationales et aide militaire aux autorités civiles

Plusieurs témoins ont mentionné que les autorités civiles sollicitaient de plus en plus la contribution des FAC en cas d’urgence nationale, dans certains cas pour renforcer les capacités dans la province. L’Opération LENTUS, qui est l’intervention des FAC lors des catastrophes naturelles nationales, a été activée 31 fois entre 2010 et 2020. Les FAC ont été déployées une seule fois en 2010, mais, en 2021, sept déploiements ont été effectués, notamment lors des incendies de forêt en Colombie‑Britannique, au Manitoba et en Ontario, et des inondations au Yukon et en Colombie-Britannique[17]. D’autres analyses laissent entendre qu’au cours de la dernière décennie, nous avons commencé à dépendre davantage des FAC pour les interventions en cas d’urgences nationales, qui sont de plus en plus fréquentes, particulièrement les urgences climatiques[18].

En ce qui concerne ce déploiement des ressources, le vice-amiral Auchterlonie a fait observer que :

quand des situations difficiles dépassent la capacité d’intervention d’une municipalité ou d’une province, il peut arriver qu’elle demande l’aide du gouvernement fédéral, qui peut dépêcher les Forces armées canadiennes. La province doit faire une demande d’aide au gouvernement fédéral. La coordination relève alors du ministre de la Sécurité publique.

Laissant entendre que les « Forces armées canadiennes doivent être considérées comme une force de dernier recours pour le Canada », il a reconnu que les « effets démontrés d’un climat changeant ont également créé une plus grande demande pour ses ressources et son soutien ».

En ce qui concerne la pandémie de COVID-19, le vice-amiral Auchterlonie a mentionné que les FAC déployaient du personnel et des ressources dans différentes collectivités du pays dans le cadre de l’opération LASER et de l’opération VECTOR : dans le cas de la première, pour appuyer les établissements de soins de longue durée de l’Ontario et du Québec ainsi que les collectivités autochtones et les gouvernements provinciaux du pays[19], et dans le cas de la seconde, pour la distribution de doses de vaccins dans tout le pays.

Comme la fréquence des interventions des FAC en cas d’urgences nationales devrait continuer d’augmenter au cours des prochaines années étant donné les changements climatiques, le major-général Wright a prévu qu’au « pays, les phénomènes météorologiques extrêmes deviendront plus graves et plus fréquents, notamment les sécheresses, les inondations et les incendies, ce qui exercera une pression accrue sur les ressources fédérales, y compris […] sur les Forces armées canadiennes ».

De l’avis de M. Saideman, « il se trouve que les menaces les plus importantes auxquelles font face le Canada et les FAC sont les changements climatiques ». Celui-ci a expliqué :

Cet automne, des tempêtes et des inondations ont isolé Vancouver et rompu le lien du Canada avec le Pacifique plus efficacement qu’une première frappe russe ou chinoise. […] L’aide [militaire] aux autorités civiles [est] en train d’augmenter en intensité et en fréquence. La pandémie elle-même, qui a fait plus de morts parmi les civils canadiens que n’importe quelle attaque ou guerre, a été une autre situation d’urgence où les FAC sont largement intervenues, et pourtant, nous continuons de considérer les opérations internes comme secondaires. Elles font toujours partie des priorités, mais toujours parmi les moindres. Il faut que cela change. Cela doit devenir une priorité plus importante pour les Forces armées canadiennes.

M. Saideman a également attiré l’attention sur l’effet des urgences liées au climat sur la capacité des FAC de défendre le Canada et de se concentrer sur leurs fonctions militaires, en mentionnant :

En fait, les FAC consacrent plus de temps aux inondations, aux incendies, aux tempêtes de verglas et aux pandémies en raison des changements climatiques. […] Les FAC ont moins d’argent, moins de temps et moins de ressources pour s’occuper d’autres problèmes. […] Les périodes d’entraînement et d’autres activités sont interrompues. Les FAC sont débordées.

Selon lui, si l’on s’attend à ce que les autorités civiles continuent à demander aux FAC de leur prêter main-forte dans le cadre d’urgences nationales, et que le nombre d’opérations que ces dernières doivent mener en territoire canadien continue de croître au cours des prochaines années, alors nous devrions leur donner les ressources nécessaires pour leur permettre d’appuyer les autorités. M. Saideman a ajouté que :

[nous devons] dire aux militaires que les opérations d’urgence nationales ne sont pas simplement un contretemps qui entrave les opérations expéditionnaires. Elles sont tout aussi prioritaires que les autres opérations. […] Ces situations d’urgence ont causé plus de préjudices que n’importe quelle agression étrangère au cours des dernières années.

Souscrivant à la thèse de M. Saideman, M. Perry a toutefois souligné que les « changements climatiques et la pandémie actuelle ont mené à des déploiements plus fréquents partout au Canada, et cela pour des objectifs nouveaux et imprévus ». Selon M. Perry, si le gouvernement du Canada prévoit continuer à déployer les FAC à l’intérieur du pays avec la même envergure et la même fréquence qu’il le fait à l’heure actuelle, il devrait réévaluer l’ensemble des missions qu’on leur demande d’exécuter ainsi que les ressources disponibles pour ces missions. M. Perry a expliqué :

La planification de la défense présume que l’armée sera une force de dernier recours pour les opérations intérieures, mais cette présomption ne semble plus être valide. Si l’armée est devenue la force de choix pour offrir de l’assistance au pays, et si ces rôles sont priorisés, cela réduira inévitablement la préparation opérationnelle de l’armée en vue de s’engager dans d’autres missions et entraînera des conséquences sur l’entraînement, l’utilisation des équipements et le rythme opérationnel du personnel. Si ce type de réorientation en matière de défense est souhaité, cela se doit d’être fait de façon délibérée, en tenant en compte des compromis nécessaires en matière de ressources.

Des témoins ont fait remarquer qu’il fallait réévaluer l’aide militaire aux autorités civiles. Selon M. Perry, il faut se demander s’il serait plus rentable et efficace que les FAC fournissent le soutien, ou que celui-ci soit plutôt le fait d’organismes civils spécialisés. M. Perry a émis l’hypothèse selon laquelle on pourrait « voir s’il pourrait y avoir d’autres organismes au sein du gouvernement fédéral ou d’autres niveaux ou types de soutien qui pourraient fournir une partie de l’aide que l’on demande de plus en plus aux militaires »; ces autres organismes pourraient inclure certaines entreprises de construction. De plus, M. Perry a mentionné que, chaque fois que les FAC sont appelées à prendre part à la lutte contre des incendies de forêt, à intervenir en cas d’inondation ou à entreprendre d’autres activités que pourraient effectuer de premiers intervenants civils, leur personnel ne se concentre pas sur ses autres tâches militaires, ce qui pourrait nuire à son état de préparation opérationnelle dans les cas de menaces militaires. Il a affirmé que l’armée s’était « très bien acquittée » de son travail d’assistance aux autorités civiles, mais a ajouté :

[cette assistance] a eu un coût sur la capacité à faire autre chose, qu’il s’agisse d’entraînement collectif, de préparation individuelle ou encore d’entretien des véhicules. Vous faites un compromis chaque fois que vous déployez quelqu’un pour accomplir ce type de tâche. Les militaires peuvent certes s’en acquitter de façon plutôt efficace, mais ils ne peuvent pas faire autre chose en même temps.

En ce qui concerne l’éventualité de nous doter d’une garde nationale comme celle qui existe aux États-Unis, qui permettrait de pallier le manque de ressources qui existe du côté des premiers intervenants civils, ou que l’on pourrait déployer rapidement en cas de grandes catastrophes, M. Perry a fait valoir qu’il « y a beaucoup d’avantages à examiner attentivement ce type de modèle », mais que cela « nécessiterait évidemment des ressources, des effectifs et des formations spécialisées supplémentaires ». Il considérait qu’un tel modèle ne devrait pas être adopté au détriment des capacités de combat des FAC, et que « nous devons toujours mettre l’accent sur le type d’état de guerre opérationnel que vous avez décrit. […] Nous ne nous tournerons jamais vers d’autres fonctionnaires pour mener des déploiements à l’étranger et des missions de ce genre. » Seules les FAC peuvent le faire. La préparation à la guerre et la défense du pays contre les menaces militaires constituent leur engagement principal. M. Perry a noté que, si le gouvernement du Canada décidait d’accroître sa dépendance à l’égard des FAC à des fins d’aide aux autorités civiles, celles-ci devraient alors être dotées de plus de ressources, et leurs membres devraient recevoir une formation spécialisée pour pouvoir s’acquitter de leurs fonctions; de plus, les attentes des recrues qui se joignent aux FAC devraient être gérées.

M. Robertson a soutenu que, plutôt que de compter sur les FAC comme premiers intervenants en cas d’inondations, d’incendies et de tempêtes de verglas et pour l’aide dans les maisons de retraite pendant les pandémies, on devrait créer un « corps de bénévoles » qui aiderait les autorités civiles et qui compléterait les initiatives civiles de défense ainsi que de secours en cas de catastrophe. M. Hampson, qui était d’accord avec ces propos, a suggéré qu’au lieu de nous fier aux FAC, nous établissions un corps de bénévoles semi-professionnels qui se consacrerait particulièrement aux catastrophes naturelles et aux crises civiles nationales. Expliquant que l’Allemagne pourrait constituer un modèle à suivre, il a déclaré :

Nous faisons appel à nos forces armées dans le cadre de toutes sortes de catastrophes et d’urgences nationales. Je suis toutefois d’avis que ce n’est pas une très bonne utilisation de nos forces armées. C’est un service de déneigement bien dispendieux à envoyer à Terre-Neuve. Nous devrions suivre l’exemple de l’Allemagne qui dispose d’un corps de volontaires, soit quelque 100 000 civils bien formés pour gérer les urgences. […] C’est quelque chose que nous devrions envisager très sérieusement au Canada.

L’amélioration de l’état de préparation opérationnelle des Forces armées canadiennes

Des témoins ont expliqué que, en raison des menaces mondiales et dans le cadre de nos engagements internationaux, nos alliés nous demandent de plus en plus d’investir dans nos forces armées, ainsi que d’améliorer et de renforcer nos contributions aux alliances et opérations militaires au pays et à l’étranger. Selon eux, l’état de préparation opérationnelle des FAC aux nouvelles menaces doit constituer une priorité essentielle afin de nous permettre de nous adapter à un contexte de sécurité mondial qui évolue rapidement; le gouvernement du Canada doit bien évaluer, comprendre clairement et classer par ordre de priorité stratégique les menaces et les mesures à prendre pour les résoudre. Dans ce contexte, les témoins ont établi des domaines dans lesquels on pourrait apporter des améliorations pour renforcer les FAC et améliorer leur état de préparation opérationnelle. Ils ont surtout mis l’accent sur la politique de défense du Canada, ses dépenses de défense, le recrutement et le maintien en poste au sein des FAC, l’approvisionnement en matière de défense, les capacités de guerre cognitive et cybernétique, ainsi que la présence militaire dans la région indopacifique.

En ce qui concerne la disponibilité opérationnelle des FAC pour ce qui est de leur capacité de faire face aux menaces et de s’adapter aux changements, M. Leuprecht a affirmé que « les Forces armées canadiennes gardent la tête hors de l’eau, mais elles font probablement du surplace, » et qu’elles « ne pourront pas continuer ainsi si l’organisation maintient le cap ». Selon lui, il est nécessaire de se concentrer davantage sur l’avenir : « nous avons les forces appropriées pour aujourd’hui, mais pas pour demain, et nous n’avons pas de plan pour adapter les FAC à l’avenir et nous assurer qu’elles sont adaptées à l’objectif ».

M. Fadden a signalé que, plutôt que de faire l’erreur de nous concentrer sur les « menaces passées » et de nous préparer à nous livrer la dernière guerre, nous devrions nous attacher à « la nature de la guerre actuelle et future à laquelle les gouvernements et les Forces canadiennes doivent se préparer ». Selon lui, il est important de comprendre le contexte des menaces ainsi que de cibler et d’établir les types de capacités dont les FAC ont besoin pour y faire face.

L’élaboration d’une nouvelle politique de défense

Plusieurs témoins ont fait valoir que nous devrions élaborer une nouvelle politique de défense. Mentionnant que plusieurs années s’étaient écoulées depuis la publication, en 2017, de « Protection, Sécurité, Engagement », M. Fergusson a souligné que le contexte des menaces s’était transformé, d’où la « nécessité d’un examen de la défense » et d’une politique de défense qui permettent de mettre en évidence les menaces, les priorités et l’investissement dans les capacités militaires afin de permettre de maximiser les résultats. De plus, il a relevé que, depuis plusieurs années, le MDN reportait chaque année des fonds inutilisés, ce qui n’était pas la bonne marche à suivre.

Nombre de témoins préconisaient l’élaboration d’une nouvelle politique de défense parallèlement à sa nouvelle politique étrangère et à sa nouvelle politique de sécurité nationale. Selon M. Leuprecht, le Canada a besoin d’un livre blanc sur la défense qui s’inscrit dans un examen intégré de la politique étrangère, de la défense, de la sécurité et du développement international; « Protection, Sécurité, Engagement » ne renvoyait pas à une telle approche. De son point de vue, le fait de travailler « isolément » a conduit à une politique de défense qui « était obsolète dès sa présentation ». Il a indiqué qu’étant donné cette situation, « nous n’avons pas de plan pour l’armée de demain ». M. Perry a convenu que nous devions nous doter d’une nouvelle politique de défense pour réévaluer ce que « le Canada exige de son armée et des ressources requises pour le faire », alors que M. Rasiulis a souligné qu’il faudrait adopter cette nouvelle politique conjointement avec une nouvelle politique des affaires étrangères, ce qui pouvait s’expliquer par le fait que « l’armée […] fonctionne de concert avec la diplomatie. Les deux vont de pair ».

M. Robertson a indiqué qu’un examen de la défense, des affaires étrangères et de la sécurité nationale était nécessaire, car les menaces pour le Canada évoluaient toujours, ce qui donne à penser que « l’évolution de la géopolitique et les nouvelles menaces exigent une nouvelle stratégie de grande ampleur qui combine objectifs, priorités et budget ». À son avis :

[l’]évolution de la géopolitique signifie que les primes d’assurance pour la sécurité nationale ont augmenté. Il va falloir trouver plus d’argent pour la défense, mais aussi pour les moyens civils de la sécurité nationale. Cela signifie davantage d’investissements dans la diplomatie et le développement, mais aussi dans la diffusion à l’étranger de nos messages sur la démocratie, le multilatéralisme et un ordre fondé sur des règles. La puissance militaire gagne les batailles, mais pour gagner les guerres dans le monde d’aujourd’hui, il faut à la fois le pouvoir de contraindre et le pouvoir de convaincre. Dans ce monde plus dangereux et plus désordonné, le Canada a besoin de plus de chaque.

M. Mulroney a laissé entendre que les politiques du Canada en matière d’affaires étrangères et de défense nationale « sont déconnectées […] depuis un bon moment », ce qui est largement le résultat de « l’incapacité [du gouvernement] de penser de façon stratégique » et de prendre au sérieux la politique étrangère et la défense nationale. Selon lui, cette déconnexion entre la politique étrangère et la politique de défense du Canada nuit à nos relations avec nos alliés, et la place qu’occupe notre pays à l’échelle internationale a diminué. M. Robertson, qui était d’accord avec lui, a fait observer que, en « l’absence d’une stratégie globale […] [nous] continuerons d’être en retard, mal préparés et obligés de suivre plutôt que de mener » sur la scène internationale.

Des témoins ont mentionné que nous devrions imiter le gouvernement américain et revoir la politique de défense tous les quatre ans. De l’avis de M. Saideman, « [i]l nous faut des points de repère à évaluer régulièrement », et des examens quadriennaux nous aideraient à accroître la responsabilisation et la surveillance des FAC, et nous permettraient de nous adapter plus rapidement aux nouvelles menaces ainsi qu’aux changements au contexte de la sécurité dans le monde, et « de prendre des habitudes en vue d’évaluations régulières » au sein du MDN et des FAC.

(Voir la recommandation 2)

Augmenter les dépenses militaires

Selon certains témoins, il faudrait augmenter les dépenses militaires. Reconnaissant que les gouvernements du Canada et d’autres pays de l’OTAN se sont engagés à affecter au moins deux pour cent de leur produit intérieur brut (PIB) aux dépenses militaires, plusieurs témoins soutenaient l’atteinte de cet objectif par le Canada. Selon les Comptes publics du Canada, les dépenses militaires réelles du Canada ont atteint 26,8 milliards de dollars en 2020-2021. Selon le SIPRI, le Canada arrivait au 13e rang des pays aux dépenses militaires les plus élevées en 2021, tandis que l’OTAN a fait état du fait que nous consacrions actuellement environ 1,36 % de notre PIB à la défense. Dans son budget fédéral du 7 avril 2022, le gouvernement du Canada a annoncé que le budget de la défense augmenterait d’environ huit milliards de dollars sur cinq ans sous forme de nouveaux fonds et atteindrait environ 1,5 % du PIB d’ici 2026-2027.

M. Angell a fait remarquer que le gouvernement du Canada ne consacrait pas 2 % de son PIB à la défense, même si les dépenses qui y sont liées avaient augmenté ces dernières années. En ce qui concerne l’objectif de 2 % de l’OTAN, M. Angell a déclaré :

La question du financement à hauteur de 2 % fait partie d’un ensemble d’engagements que les dirigeants [de l’OTAN] ont pris en 2014 en vue de dépenser 2 % du PIB pour la défense, et les engagements relatifs à la capacité. […] Le Canada continue d’apporter une contribution très importante. […] Dans le cadre de la politique de défense « Protection, Sécurité, Engagement », nous avons augmenté nos dépenses de défense de 70 % sur une période de 10 ans, ce qui a permis au Canada de figurer parmi les alliés ayant la plus forte augmentation réelle des dépenses en matière de défense. […] Nous avons pris l’engagement d’augmenter les dépenses en matière de défense, mais pas au‑delà des 2 %.

Faisant remarquer que les « dépenses de défense se situent entre 1,3 et 1,4 % » du PIB, alors que l’OTAN « s’est engagé[e] à en dépenser 2 % », M. Colby a affirmé : « je ne pense pas que le Canada joue dans la cour des grands » au sein de l’alliance. Le vice-amiral (à la retraite) Hawco a fait observer que les gouvernements de plusieurs pays de l’OTAN, y compris l’Allemagne, avaient récemment augmenté leurs dépenses militaires au-delà de 2 % du PIB en raison des tensions croissantes avec la Russie, et il a laissé entendre que le Canada serait un meilleur partenaire de l’OTAN si nous accordions une plus forte proportion de notre PIB à la défense nationale. M. Colby a affirmé que le gouvernement de l’Australie « consacre plus de 2 % de son PIB à la défense, » et a fait valoir que rien « ne justifie que nous ne puissions pas encourager le Canada » à faire la même chose.

Plusieurs témoins ont déclaré que le gouvernement du Canada dépensait plus de 2 % de son PIB pour la défense par le passé. M. Taillon a souligné que, pendant la Seconde Guerre mondiale, nous « avions un million de personnes sous les armes » et nous « étions la quatrième force armée du monde en importance »; nous avons poursuivi nos investissements substantiels dans les FAC lors de la guerre froide. M. Hampson a affirmé : « La dernière fois que nos dépenses en matière de défense ont atteint 2 % du PIB […,] c’était en 1988 », juste avant que la guerre froide prenne fin, et que, depuis, « notre engagement n’a fait que se dégrader ».

Toutefois, certains témoins ont qualifié le chiffre de 2 % de l’OTAN d’arbitraire. De l’avis de Anessa Kimball, « l’objectif de 2 % [du PIB] est manifestement de nature politique » et « ne s’appuie sur aucune analyse quantitative » ni sur « une analyse stratégique ni de quoi que ce soit du genre ». Selon elle, il « ne dit pas grand-chose de ce qu’on fait en réalité » du partage du fardeau, ou du leadership et des capacités que nous apportons à l’OTAN. Pour M. Hampson, cet objectif de 2 % est « une mesure grossière », tandis que, pour M. Huebert, il s’agit d’un « objectif politique ». Ce dernier estimait que c’était la capacité, et non pas les chiffres, qui importait : « Il s’agit [d’avoir] la capacité de contrer la montée en puissance d’États agresseurs et de lutter dans un cadre de sécurité collective », et de disposer des forces requises pour « mettre en œuvre » cette capacité ainsi que pour faire face aux diverses menaces du monde d’aujourd’hui.

M. Leuprecht a maintenu qu’il fallait dépenser pour la défense afin d’assurer la préparation opérationnelle des FAC, d’autant plus que le contexte de sécurité d’aujourd’hui est de plus en plus complexe et dangereux. Mettant en évidence les besoins des FAC en matière de ressources, M. Leuprecht a souligné que « [l’o]n s’attend à ce que les FAC d’aujourd’hui contribuent à une gamme complète de missions ». Il a mentionné les activités suivantes des FAC : se préparer en vue d’une guerre conventionnelle à grande échelle; fournir des conseils et de l’aide concernant le renforcement des capacités et la formation des troupes étrangères; contribuer aux mesures de dissuasion de l’OTAN en Europe de l’Est; contribuer aux opérations de maintien et de rétablissement de la paix de l’ONU; poursuivre la Politique d’aide internationale féministe du gouvernement du Canada; envoyer des forces d’opérations spéciales à différents endroits dans le monde; se préparer à dissuader l’extrémisme violent et le terrorisme; coopérer avec le gouvernement américain pour la défense de l’Amérique du Nord; venir en aide aux autorités civiles en situation d’urgence nationale. À son avis, les « FAC n’ont jamais joué un rôle aussi important dans la promotion des intérêts du Canada, et pourtant, on ne leur a jamais demandé d’en faire autant avec si peu de moyens ».

Plusieurs témoins ont fait référence aux pénuries de personnel et d’équipement des FAC pour donner une idée de la nécessité d’accroître les dépenses militaires. M. Perry a mis en évidence les lacunes dans l’entretien et le soutien de l’équipement militaire par manque de fonds, ce qui entraîne des répercussions sur la disponibilité opérationnelle des FAC et sur l’état de fonctionnement de leurs flottes d’aéronefs, de navires et de véhicules.

(Voir la recommandation 1)

Les problèmes de recrutement et de maintien en poste

Plusieurs témoins se sont concentrés sur l’incidence des problèmes que présentent le recrutement et le maintien en poste sur l’état de préparation opérationnelle des FAC. M. Hampson a insisté sur le fait qu’une fois que l’effectif serait complet, l’armée devrait compter un total de 100 000 membres du personnel de la Force régulière et de la Force de réserve; « aujourd’hui, elle fait face à un manque de 12 000 soldats, et la situation semble s’aggraver ». Le major-général Prévost a commenté, qualifiant la pénurie de personnel des FAC de menace pour leur préparation opérationnelle et de grande préoccupation au sein de celles-ci. Affirmant que « [t]out le personnel du ministère [de la Défense nationale] travaille fort pour augmenter le recrutement de personnel, pour changer nos politiques et pour effectuer un changement de culture », il a expliqué :

[n]ous devons recruter davantage. Nous devons reconstituer la force. Notre force a actuellement des lacunes au niveau du personnel. Nous devons revoir nos politiques visant le personnel. Nous devons examiner notre changement de culture. Les Forces armées canadiennes doivent faire tout cela simultanément, dans les prochaines années, pour relever les défis de l’avenir.

Le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw a affirmé que c’est « évidemment surtout dans les gens qu’il faut investir ». Faisant une distinction entre la façon d’aborder le manque d’équipement militaire et celui de membres du personnel, il a déclaré qu’il était souvent possible d’y remédier relativement rapidement en achetant du « matériel de série »; une telle méthode ne fonctionne pas pour les membres du personnel : il faut 20 ans « pour avoir un sergent qui a 20 ans d’expérience ». M. Leuprecht, qui était d’accord avec ses propos, a souligné que « le plus grand atout et le plus grand défi [des FAC] n’est pas l’argent, mais le personnel ». À son avis, il faut compter près de « sept ans et un million de dollars pour la formation complète d’un officier ». Anessa Kimball a exprimé la même opinion, disant que « [c]e qu’il y a de plus important aujourd’hui, c’est d’investir davantage dans les gens » et dans leurs talents, et de « convaincre la prochaine génération de jeunes Canadiens de s’engager dans l’armée ».

Des témoins ont proposé que, pour parvenir à plus de diversité au sein des FAC, on recrute plus de femmes, d’Autochtones ou encore de personnes issues de communautés racisées. M. Leuprecht a mentionné que « les organisations plus diversifiées ont tendance à obtenir de meilleurs résultats; elles sont plus productives et plus créatives. On peut donc faire valoir le principe de la diversité. » Pour Anessa Kimball, il est crucial de puiser à même le bassin de population diversifiée et multiculturelle du Canada, puisque « l’un des atouts de l’armée canadienne est littéralement la diversité des gens qu’elle peut envoyer sur le terrain ».

Plusieurs témoins ont reconnu que l’organisation devait aborder la question de l’inconduite sexuelle et s’engager à changer les mentalités au sein des FAC afin d’attirer de nouvelles recrues et de maintenir le personnel en poste. Selon M. Saideman, une menace importante pour les FAC est « les FAC elles-mêmes », et l’inconduite « sexuelle n’est qu’une partie de la crise plus vaste due aux abus de pouvoir. De nombreux généraux et amiraux ont perdu leur poste à cause d’un comportement répréhensible, et cela crée un effet paralysant. » Celui-ci a également révélé que le « ressentiment et les querelles caractérisent souvent les relations entre les deux tours de contrôle que sont le MDN et les FAC », et que, « [d]ans ce contexte et compte tenu d’un marché de l’emploi favorable, il ne faut pas se surprendre que les gens n’aient pas envie de s’enrôler ou de rester dans les FAC ».

M. Robertson a soutenu que les FAC devraient revoir leurs conditions de service pour le personnel militaire afin de recruter des personnes et de les maintenir en poste, et a ajouté :

Nous avons accordé la priorité au changement de culture pour lutter contre l’inconduite sexuelle. Nous devons également examiner les conditions de service. Réfléchissons de façon créative à la façon dont nous pouvons former et attirer en plus grand nombre les talents capables de maîtriser les défis technologiques de notre ère numérique et de faire face à de nouvelles menaces comme la cyberguerre et la désinformation.

M. Leuprecht a affirmé que le recrutement ne consistait pas seulement à embaucher des personnes et à remplir des quotas, mais aussi à assurer leur perfectionnement professionnel. Faisant remarquer que le secteur privé mène une vive concurrence pour recruter des travailleurs spécialisés et hautement qualifiés, et que les salaires et les avantages sociaux de ce secteur dépassent souvent ceux des Forces armées, il a mis l’accent sur la nécessité particulière de se doter de spécialistes du cyberespace qualifiés.

De plus, M. Leuprecht a laissé entendre que les FAC pourraient accroître la diversité et pallier les pénuries de certains travailleurs spécialisés par un « enrôlement latéral », en particulier dans les métiers très spécialisés qui nécessitent de nombreuses années de formation et d’expérience. À son avis,

[l]a difficulté […] est qu’il y a dans l’armée un délai de 30 ans entre le recrutement et l’accès effectif aux échelons supérieurs. L’enrôlement direct nous permettra de combler certaines lacunes en matière de dotation. Il s’agit en effet de rendre l’organisation plus diversifiée, mais je crois que les gammes de compétences dont les FAC ont besoin sont aujourd’hui des compétences où les diverses composantes de la société canadienne sont surreprésentées. L’enrôlement latéral permet non seulement de diversifier l’organisation, mais aussi de combler certaines lacunes.

Suggérant de prendre l’Allemagne comme modèle, M. Leuprecht a souligné que les forces armées d’autres pays ont recours à l’enrôlement latéral pour attirer des personnes qualifiées possédant des compétences spécialisées, et a déclaré :

L’Allemagne […] recrute certains de ses cyberspécialistes au moyen d’un programme d’enrôlement direct destiné aux gens qui ont des doctorats spécialisés en informatique, en génie électrique, etc. On en fait des lieutenants-colonels à vie. Pourquoi lieutenant-colonel? Parce que c’est à peu près l’équivalent salarial de ce que les recrues obtiendraient dans le secteur privé. Nous n’avons rien de tel ici.

M. Leuprecht a reconnu que, pour mettre en œuvre un modèle d’enrôlement latéral au Canada, il faudrait apporter des modifications à divers domaines, notamment aux cadres de recrutement et de rémunération, ce qui serait « extrêmement difficile à faire, en partie parce que la rémunération est liée au grade », ainsi qu’aux exigences uniformes pour certains métiers et à l’exigence d’universalité du service, qui oblige tous les membres du personnel à respecter certaines normes de fonctionnement de base et à être facilement déployables.

M. Robertson a appuyé la suggestion de M. Leuprecht d’enrôler latéralement des personnes dans les FAC comme lieutenants-colonels afin de remédier aux pénuries dans certains métiers spécialisés. Signalant que, dans le service extérieur du Canada ainsi que dans différents ministères, on a recours à l’embauche latérale pour améliorer les capacités et combler les pénuries dans les métiers spécialisés, M. Robertson a affirmé que les FAC pourraient adopter une pratique similaire.

Selon M. Leuprecht, les FAC pourraient attirer des recrues en déployant plus d’initiatives en matière d’éducation et de sensibilisation, car la population canadienne doit en apprendre davantage sur l’importance de ses forces armées ainsi que sur la valeur de la démocratie, de l’administration publique et du service de son pays. À son avis, « les gens se font une idée tout à fait fausse du rôle que jouent des institutions comme les Forces armées canadiennes du point de vue de nos intérêts nationaux, régionaux et internationaux ».

M. Saideman a expliqué que, comme autre moyen d’accroître le recrutement, nous devrions envisager de « faire du service militaire une voie d’accès à la citoyenneté », soulignant ceci :

[l]es États-Unis offrent ainsi depuis longtemps la citoyenneté à des gens d’ailleurs, qui finissent par devenir des citoyens américains. Ce ne serait pas facile, mais cela aiderait à créer un bassin de recrues plus vaste, plus riche et plus diversifié. […] Ce n’est pas parce que c’est difficile qu’il ne faut pas essayer. Nous pouvons le faire nous aussi. Nous pouvons à tout le moins réduire les obstacles auxquels se heurtent les immigrants qui vivent déjà ici, car nous avons besoin de leurs compétences, de leurs perspectives multiples et de leur énergie.

M. Leuprecht a mis en évidence l’urgence de résoudre les problèmes de recrutement et de maintien en poste des CAF, avertissant que, « [s]i on ne peut pas attirer suffisamment de ressources [humaines], la situation va empirer », et ce, pour deux raisons :

Premièrement, le marché du travail va se resserrer et, deuxièmement, les taux de fécondité vont continuer de diminuer au Canada. Par conséquent, on ne pourra pas trouver les gens dont on a besoin. Il faut donc repenser la façon dont nous attirons les recrues.

(Voir la recommandation 11)

La réforme et l’accélération de l’approvisionnement en matière de défense

Plusieurs témoins ont mis l’accent sur la nécessité de réformer l’approvisionnement en matière de défense au Canada, ainsi que d’accélérer la livraison de nouveaux systèmes d’armes et d’équipement militaire aux Forces armées canadiennes. M. Robertson a souligné que « notre approche de la modernisation de la défense est beaucoup trop lente à produire des résultats utiles », ce qui a une incidence sur l’état de préparation opérationnelle des FAC.

Des témoins ont également soulevé des préoccupations quant à la mesure dans laquelle l’approvisionnement en matière de défense au Canada est trop politique. M. Huebert a laissé entendre que « le Canada est de ceux dont le processus d’approvisionnement est le plus politisé » sur l’échiquier mondial, et il a soutenu que, dans des pays aux vues similaires comme l’Allemagne, l’Australie, le Danemark, la Finlande, le Japon, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, ces processus sont beaucoup moins politiques, même s’ils sont « loin d’être parfaits ». Selon lui, ils « permettent de prendre des décisions à une vitesse que le Canada ne peut tout simplement pas égaler ». M. Huebert a souligné que le gouvernement de la Finlande avait pris une décision concernant l’achat de l’avion de chasse Lockheed Martin F-35 Lightning II dans un délai de deux ans, et il a mentionné l’approche « bipartite » adoptée relativement aux décisions d’approvisionnement en matière de défense en Australie et au Japon.

De l’avis de M. Hampson, « [une] extrême lenteur et [une] incroyable inefficacité […] caractérisent notre progression », et « [c]haque fois que le gouvernement change [au Canada], des programmes sont annulés et des projets sont mis en veilleuse, pour ensuite faire l’objet d’une décision quatre ans plus tard ». Selon M. Robertson, qui a mentionné l’unité entre tous les partis, nous devons dépolitiser le processus d’acquisition de matériel militaire, car cette politisation « est un problème depuis longtemps » et « subsiste malgré les changements de gouvernements ».

Plusieurs témoins se sont prononcés sur la nécessité d’accélérer certaines initiatives essentielles d’approvisionnement de l’armée, de la marine et des forces aériennes. Ils ont attiré l’attention sur des initiatives d’approvisionnement de la défense de grande envergure qui sont en cours, initiatives qui sont coûteuses et complexes, et dont deux sont les plus chères de l’histoire du Canada : l’initiative des navires de combat de surface canadiens, qui vise à remplacer les destroyers et les frégates de la Marine royale canadienne par 15 nouveaux navires de guerre qui seront construits par les Chantiers maritimes Irving à Halifax, en Nouvelle-Écosse, et l’initiative de capacité future en matière d’avions-chasseurs, dans le cadre de laquelle 88 chasseurs F-35 remplaceront les avions de la flotte canadienne de CF-18 Hornet.

M. Perry a dit de l’initiative des navires de combat de surface canadien qu’il s’agissait actuellement de l’initiative d’approvisionnement en matière de défense la plus coûteuse du MDN. Ce dernier a déclaré que son coût actuel estimatif se situait entre 56 et 60 milliards de dollars. M. Perry a prévu que les nouveaux navires de guerre « seront très efficaces et adaptés » aux différents coins du monde, entre autres à l’océan Atlantique et à la région indopacifique. Il a aussi indiqué qu’il espérait que le gouvernement du Canada achèterait les 15 navires de guerre et ne réduirait pas leur nombre au cours des années à venir.

Le major-général Stephen Kelsey, chef du développement des forces des FAC, s’est concentré sur l’initiative Capacité des futurs chasseurs et fait référence à la décision du gouvernement du Canada, en date du 28 mars 2022, d’acheter les F-35. Le MDN a déclaré que le coût actuel de l’initiative était estimé entre 15 et 19 milliards de dollars. Le major-général Kelsey a affirmé que les F-35 joueraient un rôle crucial au sein du NORAD et seraient en mesure de voler dans l’Arctique.

M. Perry a cerné d’autres initiatives de marchés publics en cours, notamment les navires de patrouille extracôtiers et de l’Arctique, les navires de soutien interarmées, l’aéronef stratégique de transport et de ravitaillement, les systèmes d’aéronefs télépilotés ainsi que divers véhicules blindés. À son avis, il est possible d’accélérer la mise en œuvre de certaines de ces initiatives, notamment la Stratégie nationale de construction navale, car celles-ci « progressent, mais à un rythme plus lent qu’anticipé ». M. Perry a fait remarquer que les navires associés à cette stratégie « seront essentiels » pour la Marine royale canadienne, et il a laissé entendre que, jusqu’à leur livraison, « nos options dans le Pacifique en particulier seront nettement plus limitées qu’elles le seront, du moins nous l’espérons, une fois ces navires arrivés ».

Dans le cadre des nouvelles initiatives d’approvisionnement en matière de défense, M. Perry, M. Robertson et le lieutenant-général (à la retraite) Semianiw ont plaidé pour le remplacement de la flotte de sous-marins canadiens de la classe Victoria par une nouvelle classe de sous-marins capables de fonctionner dans l’Arctique. Le vice-amiral (à la retraite) Hawco a souligné la nécessité d’investir dans des capacités de transport maritime logistique afin de permettre aux FAC de déployer plus facilement et plus rapidement leur personnel et leur équipement vers divers théâtres d’opérations à l’étranger, tandis que le major-général Prévost a parlé de l’acquisition d’équipement de défense aérienne au sol.

(Voir les recommandations 12 et 13)

Les investissements dans les capacités de guerre cognitive et de cyberguerre

Certains témoins ont soutenu que nous devrions prendre part plus activement à la guerre cognitive et à la cyberguerre, ainsi qu’à la lutte contre la désinformation et les influences étrangères. M. Kolga a déclaré :

Je crois qu’il est extrêmement important que nos forces soient équipées pour gérer la guerre cognitive. […] C’est le champ de bataille du XXIe siècle, et nos forces sont couramment la cible d’attaques du genre, surtout à des endroits comme la Lettonie et l’Ukraine. […] Nous devons nous assurer que nos forces disposent des ressources nécessaires pour se protéger.

À son avis, les FAC, « tant la Force de réserve que la Force régulière », devraient être « formées afin de disposer à tout le moins des ressources de base en matière de guerre de l’information, d’être en mesure de la reconnaître sur le plan cognitif et d’y réagir le cas échéant ».

Selon certains témoins, la guerre cognitive et les campagnes de désinformation étrangères ciblent tous les Canadiens, et pas seulement les membres des FAC. Selon M. Fadden, l’une des principales difficultés liées à la désinformation consiste à « convaincre la population canadienne […] de l’existence de ce risque ». Soutenant que la sensibilisation de la population est un outil important pour la lutte contre la désinformation, celui-ci a proposé de mettre sur pied un organisme fédéral dédié dont le mandat est de sensibiliser la population à la désinformation et de s’y attaquer.

Plusieurs témoins ont mis en évidence la nécessité d’investir dans des capacités de défense cybernétique pour contrer les cybermenaces. M. Perry a qualifié la cybersécurité de « domaine clé » de préoccupations depuis un certain nombre d’années. Il a ajouté qu’« il a été reconnu que nous ne disposons pas de la capacité suffisante pour participer adéquatement à ce type de guerre moderne ». À son avis, la cyberdéfense « devrait être un domaine d’intérêt et potentiellement d’une certaine force pour le Canada à l’avenir », la cyberguerre occupant activement les gouvernements chinois et russe, qui présentent une menace pour le Canada et ses intérêts. M. Perry a déclaré que nous devrions « bien comprendre comment tout cela fonctionne, […] être en mesure de défendre nos propres réseaux et […] prendre des mesures dites offensives, si les intérêts canadiens l’exigent […] ». Tout en reconnaissant la nécessité d’investir dans les capacités de cyberdéfense, M. Leuprecht a indiqué :

Nous vivons dans un monde globalisé où, au final, ce n’est pas la défensive qui compte, mais l’offensive. Nous devons savoir ce que prépare l’adversaire, connaître ses capacités et être au fait de ses intentions avant même qu’il puisse nous attaquer. Le plus gros problème pour le gouvernement, ce sont les vieux réseaux. […] Nous pouvons bien investir […] dans du personnel, etc., mais plus nos réseaux sont vieux, plus nous devenons vulnérables. Il est urgent que le gouvernement du Canada investisse dans nos réseaux.

Benoît Dupont, professeur et titulaire d’une chaire de recherche en cybersécurité à l’Université de Montréal, a réclamé des FAC qu’elles recrutent et forment davantage d’experts en cybersécurité. Reconnaissant qu’une « pénurie généralisée de main-d’œuvre dans ce domaine […] touche le secteur privé », et que les FAC sont en concurrence avec ce secteur pour ce qui est du recrutement de personnel, il a suggéré qu’elles examinent et reformulent leurs stratégies de recrutement afin d’attirer des spécialistes. M. Dupont a expliqué que cela :

va requérir de la créativité de la part des forces armées afin de pouvoir attirer les personnes qualifiées [en cybersécurité]. Certains pays ont déjà mis en place des procédures de recrutement spécifiques pour leurs forces armées, alors que d’autres ont fait le choix de développer des forces de réservistes spécialisés permettant de mobiliser rapidement des personnels qualifiés en temps de crise. À ma connaissance, la réflexion du Canada en ce domaine reste embryonnaire.

M. Dupont a expliqué que les gouvernements européens avaient lancé des « initiatives intéressantes ». Notamment, il a mentionné que les Français et les Britanniques avaient créé des unités de réserve de cyberdéfense « pour attirer des gens du secteur privé pour travailler temporairement sur des questions de sécurité nationale », tandis que les Allemands avaient mis sur pied un « parcours de recrutement spécifique » pour susciter l’intérêt des experts spécialisés en cybersécurité en les recrutant au grade de lieutenant‑colonel.

Cela dit, M. Fadden a insisté sur le fait que le Centre de la sécurité des télécommunications était responsable de la cybersécurité au Canada, tandis que le MDN devait protéger son propre système. À son avis, le MDN et les FAC ne devraient pas se voir assigner la responsabilité de protéger les civils canadiens contre les cybermenaces. Selon lui, ils « devraient se préoccuper de ce qui se passe à l’extérieur du pays, tout en restant très bien informés de ce qui se passe ici », alors que le Centre de la sécurité des télécommunications « [devrait] protéger le secteur privé » et se voir confier « un mandat beaucoup plus public et beaucoup plus clair ». M. Fadden a reconnu que des discussions devraient avoir lieu au sujet des aspects du cyberespace dont le MDN, les FAC et le Centre de la sécurité des télécommunications sont chacun responsables, parce que « les chevauchements ne sont jamais utiles ».

Mme Henderson et M. Khoury ont parlé de la grande préoccupation pour la cybersécurité à l’échelle du gouvernement et « de l’ensemble de la société », et ont mentionné que le Service canadien du renseignement de sécurité ainsi que le Centre de la sécurité des télécommunications collaboraient avec les FAC et le MDN, de même qu’avec d’autres partenaires, afin de défendre les Canadiens contre les cybermenaces. M. Khoury a confirmé qu’il nous « faudra toute notre expertise et notre collaboration pour protéger le Canada et les Canadiens » dans le cyberespace.

(Voir les recommandations 9 et 10)

L’accroissement de la présence militaire du Canada dans la région indopacifique

Plusieurs témoins ont mentionné l’ascension de la Chine et ont ciblé la nécessité d’accorder une plus grande attention à la situation en matière de sécurité dans la région indopacifique, y compris au moyen d’une présence militaire accrue. M. Mulroney a indiqué que nous devrions songer « aux plus grandes sources de risque pour notre souveraineté et notre sécurité nationale » : celles-ci « proviennent maintenant du Pacifique ». À son avis, il est essentiel d’« investir sérieusement dans la capacité expéditionnaire des Forces canadiennes » « si nous souhaitons nous joindre à de nouvelles alliances [dans la région indopacifique] et si nous voulons faire entendre notre voix dans les conversations significatives ».

M. Hampson a laissé entendre que le gouvernement du Canada était « plutôt absent de la région [indopacifique] » du point de vue de la sécurité, affirmant que le pacte de sécurité conclu récemment entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, auquel il n’avait pas été invité à participer, l’avait « pris de court ». Selon lui, nous devrions « avoir plus d’actifs dans le Pacifique. Bien franchement, nous devons décider avec quels pays nous souhaitons prioritairement consolider un partenariat. » M. Hampson a mentionné en particulier l’augmentation du nombre d’attachés militaires dans la région, la création de partenariats de défense plus solides avec l’Australie, le Japon, l’Indonésie et la Corée du Sud, et, peut‑être aussi, des liens en matière de défense avec Taïwan.

Approuvant sa recommandation au sujet d’une participation militaire canadienne renforcée dans la région indopacifique, M. Perry a indiqué ce qui suit :

j’aimerais que nous soyons beaucoup plus présents dans cette région du monde de façon plus continue. C’est une région que nous avons tendance à visiter de façon épisodique. Je ne pense pas que nous avons passé suffisamment de temps dans la région pour apprendre comment bien y travailler et saisir ce qui s’y passe.

Selon lui, dans cette région, il manque au Canada ce dont il profite en Europe : « un ensemble permanent, formalisé, régulier et institutionnalisé d’ententes ». Mentionnant en particulier l’Australie, la Corée du Sud, le Japon, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, Singapour et éventuellement le Vietnam, M. Perry a encouragé à conclure des ententes « de coopération en défense, [ou des] arrangements sur les différents types de renseignement ou le soutien et le partage d’éléments de logistique » avec des gouvernements de la région attachés aux mêmes valeurs. Il a attiré l’attention sur la nécessité « d’établir des relations, de mettre en place des mécanismes et de réellement essayer de les utiliser en temps de paix dans un contexte d’entraînement afin de pouvoir y avoir recours plus tard en cas de besoin critique ».

M. Perry a reconnu que l’OTAN « a été et demeure l’une des pierres angulaires de notre politique internationale », mais il a exprimé son inquiétude que « nous n’ayons mis trop d’œufs dans ce panier particulier ». Selon lui, dans la région indopacifique, nous devrions utiliser le même processus et « investir régulièrement et de manière soutenue » ainsi qu’assurer la même présence que celle que nous avons dans les pays de l’OTAN et en Europe.

Cela dit, M. Rasiulis a indiqué que nous devrions continuer de nous concentrer sur l’OTAN et l’Europe, déclarant :

Notre déploiement actuel est très eurocentrique. Cela fait partie intégrante de notre histoire. Nous avons toujours défini l’Europe. […] Le facteur chinois est extrêmement important. […] Cependant, […] il y a une question de priorisation des ressources. À l’heure actuelle, le Canada ne dispose pas d’une force suffisante pour maintenir une présence en Europe et s’attaquer aux problèmes dans le Pacifique. Cela signifierait un déploiement naval substantiel pour le Canada, mais nous n’avons tout simplement pas à l’heure actuelle les ressources nécessaires pour faire les deux. Du point de vue canadien, le lien avec l’Europe, pour le moment […] devrait demeurer notre priorité. […] L’Europe est un important partenaire commercial du Canada. Nous avons une longue association avec l’Europe sur les plans culturel, ethnique et commercial. Je suis très à l’aise avec la position actuelle. C’est une bonne division du travail, les États-Unis s’occupant du théâtre du Pacifique et le Canada, du théâtre euro-atlantique.

M. Colby était d’accord avec l’affirmation de M. Rasiulis, à savoir que nous ne disposons pas des ressources nécessaires pour assurer une présence dans plusieurs théâtres d’opérations dans le monde. Il préconisait également de continuer de mettre l’accent sur l’Europe, et a mentionné l’Arctique. Selon lui, le fait de nous concentrer sur l’Europe et l’Arctique avec les alliés de l’OTAN pourra s’avérer « nettement mieux que si le Canada investit un peu en Asie, un peu en Europe, un peu dans l’Arctique, un peu en Amérique du Sud, et se retrouve avec très peu à la fin ». En ce qui concerne notre contribution militaire dans la région indopacifique, M. Colby a soutenu qu’il n’était pas « réaliste de penser que le Canada pourrait apporter une contribution [matérielle] importante », mais a laissé entendre que, en relation avec la Chine, il serait « très important » que nous « soyons aligné[s] » sur les États-Unis, les autres membres du Groupe des cinq et nos autres alliés dans la région.

Cela dit, M. Fadden était d’avis que le choix n’était pas binaire : « le monde est aujourd’hui suffisamment intégré pour que nous ne puissions pas simplement dire que nous allons nous concentrer uniquement sur la région indo-pacifique ou sur l’Europe ». Il a expliqué :

Que nous le voulions ou non, nous sommes une nation occidentale et cela signifie que nous sommes liés […] à l’Europe. Nous faisons beaucoup de commerce avec elle, et nos liens avec elle sont historiques. Nous ne pouvons pas ignorer l’Europe, ni la Russie. […] D’un autre côté, si nous voulons affronter efficacement le monde d’aujourd’hui, nous devons, de concert avec nos alliés, agir vis-à-vis de la Chine.

(Voir la recommandation 14)

Conclusion et recommandations

Ces dernières années, les menaces émergentes et les changements rapides dans le contexte de la sécurité mondiale ont poussé de nombreux gouvernements de partout dans le monde à réaliser des investissements sans précédent dans la sécurité nationale et la défense, et notamment dans leurs forces armées. Le Canada et ses alliés de l’OTAN ne sont pas l’exception à la règle. Le retour de la concurrence entre les puissances et les comportements de plus en plus agressifs de certains gouvernements révisionnistes, notamment ceux de la Chine et de la Russie, contribuent à la hausse des tensions entre les pays et au sein de ceux-ci, et entraînent de l’instabilité et des conflits dans plusieurs régions du monde. Actuellement, le meilleur exemple en est sans doute la récente invasion non provoquée, illégitime et injustifiable de l’Ukraine par la Russie. En parallèle, les dernières percées de la technologie militaire transforment le style de guerre et amènent les gouvernements à investir dans un vaste éventail de capacités sophistiquées et coûteuses visant à leur permettre de protéger leur territoire et leurs résidants contre des dangers nouveaux et imminents.

Cela survient à un moment où les gouvernements du monde entier font face à un certain nombre d’autres enjeux. L’un des plus importants est la pire pandémie en plus d’un siècle : celle de COVID-19. Selon l’Organisation mondiale de la santé, la pandémie a, jusqu’ici, fait plus de 6,3 millions de morts dans le monde depuis 2020, et plus de 530 millions de personnes ont été infectées. Pendant cette pandémie, de nouvelles inégalités sont apparues, les inégalités existantes ont été exacerbées, et la désinformation (au sujet de l’existence du coronavirus, ainsi que de l’efficacité des vaccins et des traitements, entre autres) se propage dans le monde. Il reste à s’attaquer à certaines difficultés liées à la sécurité, y compris les changements climatiques, et l’augmentation du nombre de catastrophes naturelles et de situations d’urgence liées à des phénomènes météorologiques extrêmes, la faible gouvernance dans les États fragiles, l’instabilité dans plusieurs régions du monde, l’extrémisme violent, ainsi que les menaces comme le terrorisme et la sécurité cybernétique.

Au cours de l’étude, les témoins ont constamment insisté sur la nécessité d’investir dans nos capacités militaires de sorte que les FAC soient toujours prêtes à s’acquitter de leur mandat et de leur mission. Le Comité apprécie le fait que les témoins aient cerné les sujets nécessitant des améliorations. Le Comité et les témoins ont un objectif commun : étant donné le contexte actuel de menaces, qui est de plus en plus incertain et volatile, garantir la préparation opérationnelle des FAC, ce qui suppose le renforcement des politiques, du personnel et de l’équipement, une formation ainsi que des alliances avec des partenaires qui ont la même vision des choses que nous. De même, ils en sont arrivés à une conclusion commune : le statu quo ne fonctionne plus, et des changements sont nécessaires, dont plusieurs immédiatement, si nous voulons défendre nos intérêts nationaux.

Selon le point de vue du Comité, le gouvernement du Canada et les FAC doivent continuer de surveiller de près les menaces à l’échelle mondiale et réagir rapidement aux nouvelles menaces futures. L’adaptation aux changements du contexte des menaces est essentielle à la disponibilité opérationnelle, ce qui exige des FAC qu’elles soient au courant des menaces ainsi que du type de capacités nécessaires pour se défendre contre ces menaces. En cette ère de changements rapides dans la technologie militaire, et d’accroissement de la complexité ainsi que des coûts des systèmes d’armes et de l’équipement militaire, le gouvernement du Canada et les FAC doivent comprendre à quelles menaces ils font face, au pays et dans le monde entier, et déterminer leur priorité avant de décider quelles capacités et quels outils leur sont nécessaires pour les contrer.

Le Comité est convaincu que, tout en prenant les bonnes décisions et en réalisant les bons investissements afin d’assurer l’état de préparation opérationnelle des FAC, le gouvernement du Canada devra toujours être axé sur ce qu’il faut pour protéger notre pays et notre continent, et pour continuer à contribuer à la paix, à la stabilité et à la sécurité dans le monde.

Compte tenu du contexte de la menace en pleine évolution à l’échelle mondiale, le Comité a décidé que la présente étude resterait active, afin que les nouvelles préoccupations en matière de défense puissent faire l’objet d’un examen et d’un rapport au besoin.

À la lumière de ce qui précède, le Comité recommande :

Liste des recommandations proposées

Recommandation 1

Que, compte tenu des circonstances actuelles en Ukraine et des tensions croissantes entre les membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et la Russie, le gouvernement du Canada augmente les dépenses de défense annuelles jusqu’à 2 % du produit intérieur brut, conformément à l’accord convenu par les pays membres de l’OTAN en 2014.

Recommandation 2

Que, parallèlement à l’augmentation du montant alloué aux dépenses dans le secteur de la défense, le gouvernement du Canada entreprenne un examen de la politique de défense actuelle et entreprenne des examens plus fréquents de la politique de défense, au moins aux quatre ans, afin de s’assurer que le Canada et les Forces armées canadiennes prennent les bonnes décisions, qu’ils investissent dans les bonnes capacités, et qu’ils demeurent prêts à faire face aux menaces actuelles et futures ainsi qu’aux changements rapides observés dans le contexte de la sécurité dans le monde.

Recommandation 3

Que le gouvernement du Canada songe à créer une présence militaire à long terme en Europe dans le cadre des mesures de défense et de dissuasion prises par l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord à l’encontre de la Russie.

Recommandation 4

Que le gouvernement du Canada continue d’augmenter l’aide militaire à l’Ukraine en lui fournissant des équipements militaires létals et non létals additionnels. Il devrait également envisager de lui fournir d’autres formes d’aide militaire, de même que de l’aide humanitaire.

Recommandation 5

Que le gouvernement du Canada continue d’investir dans la modernisation du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord, et réalise rapidement les investissements nécessaires au remplacement du Système d’alerte du Nord.

Recommandation 6

Que le gouvernement du Canada améliore la connaissance du domaine maritime et arctique du territoire canadien en investissant dans la recherche-développement et l’acquisition de technologies de surveillance novatrices et de pointe. De telles technologies pourraient comprendre des drones, des satellites et d’autres ressources spatiales, des capteurs au sol et sous-marins, des véhicules autonomes sous-marins ainsi que des radars terrestres modernes. Que le gouvernement du Canada acquière les capacités dont les Forces armées canadiennes ont besoin pour assurer la sécurité et la souveraineté du Canada dans l’Arctique ainsi que la connaissance multidomaines de la région et de toutes ses approches maritimes.

Recommandation 7

Que le gouvernement du Canada renforce la sécurité et la souveraineté dans l’Arctique en augmentant le nombre des Rangers canadiens et en améliorant l’équipement, la formation et le soutien logistique qui leur sont fournis.

Recommandation 8

Que le gouvernement du Canada renforce la présence des Forces armées canadiennes, tant de la Force régulière que de la Réserve, dans le Nord du pays, et qu’il investisse dans les infrastructures que requiert cette présence accrue; que le gouvernement envisage la possibilité d’établir d’autres unités de réserve dans les trois territoires du Canada. Ces efforts doivent être entrepris en consultation avec les peuples et les communautés autochtones concernés.

Recommandation 9

Que le gouvernement du Canada veille à ce que le personnel des Forces armées canadiennes soit adéquatement doté en ressources et formé pour fonctionner et se défendre dans un contexte de guerre cognitive.

Recommandation 10

Que le gouvernement du Canada investisse dans des capacités défensives et actives de cyberopérations. De plus, il devrait accélérer le recrutement et l’instruction de cyberspécialistes des Forces armées canadiennes et du Centre de la sécurité des télécommunications, et veiller à la protection adéquate de tous les systèmes fédéraux contre les cybermenaces.

Recommandation 11

Que le gouvernement du Canada mette sur pied des stratégies, des politiques et des processus conçus pour garantir la capacité des Forces armées canadiennes de recruter plus de personnes, ainsi qu’un personnel plus diversifié et plus qualifié. De plus, il devrait mettre des mesures en place pour améliorer le taux de rétention dans les Forces armées canadiennes. Finalement, le gouvernement devrait veiller à ce que tout le personnel des Forces armées canadiennes reçoive une formation adéquate et soit équipé correctement.

Recommandation 12

Que le gouvernement du Canada réforme les processus d’approvisionnement en matière de défense au Canada pour veiller à ce que les principaux systèmes d’armes et l’équipement militaire soient fournis rapidement aux Forces armées canadiennes.

Recommandation 13

Que, pour éviter que les Forces armées canadiennes ne soient pas en mesure de s’acquitter de leurs engagements, le gouvernement du Canada lance dès que possible un projet d’approvisionnement en vue de remplacer les sous-marins canadiens de la classe Victoria. Dans le cadre de ce programme, il devrait acquérir des sous-marins qui pourraient naviguer dans tous les milieux marins, y compris dans l’Arctique.

Recommandation 14

Que le gouvernement du Canada envisage d’augmenter ses investissements et sa présence militaires dans la région indopacifique. Aussi, le gouvernement devrait établir un partenariat de défense avec des pays de la région attachés aux mêmes valeurs.


[2]              Sam Perlo-Freeman et coll., « Trends in World Military Expenditure, 2015, » Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI) Fact Sheet, avril 2016.

[3]              Voir Diego Lopes da Silva et coll., « Trends in World Military Expenditure, 2021, » SIPRI Fact Sheet, avril 2022; SIPRI, « World Military Expenditure Passes $2 Trillion for First Time, » 25 avril 2022

[4]              Institut international d’études stratégiques (IISS), The Military Balance 2022, 2022, p. 28–317.

[5]              Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, « Les dépenses de défense des pays de l'OTAN (2014-2021), » 31 mars 2022.

[6]              IISS, The Military Balance 2022, p. 28–317.

[7]              Alexandra Marksteiner et coll., « The SIPRI Top 100 Arms-Producing and Military Services Companies, 2020, » SIPRI Fact Sheet, décembre 2021.

[8]              Les partenaires du Groupe des cinq sont l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et les États‑Unis.

[9]              Alliance Canada Hong Kong, « Written Submission to the House of Commons Standing Committee on National Defence, » 28 mars 2022.

[10]            Ibid.

[11]            Selon la définition qu’en donne une récente étude, la guerre cognitive s’entend de la transformation en arme de l’opinion publique, par une entité externe, afin « (1) d’influencer la politique publique et gouvernementale et (2) de déstabiliser les institutions publiques ». L’objectif de la guerre cognitive n’est pas seulement de contrôler le flux d’information, mais de contrôler ou altérer la manière dont les gens réagissent à l’information. « La guerre cognitive cherche à amener l’ennemi à se détruire de l’intérieur. » Voir Alonso Bernal et coll., Cognitive Warfare: An Attack on Truth and Thought, Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et Université Johns Hopkins, 2020, p. 3 [traduction]. Selon le ministère de la Défense nationale, « [l]a guerre cognitive cherche à modifier non seulement ce que les gens pensent, mais aussi leur façon d’agir. Les attaques contre le domaine cognitif impliquent l’intégration de capacités de cybernétique, de désinformation, de psychologie et d’ingénierie sociale. […] La guerre cognitive positionne l’esprit comme un espace de combat et un domaine contesté. Son objectif est de semer la dissonance, de susciter des récits contradictoires, de polariser l’opinion et de radicaliser les groupes. La guerre cognitive peut inciter les gens à agir d’une manière qui peut perturber ou fragmenter une société autrement cohésive. Le désordre qui en résulte peut influencer la prise de décision, modifier les idéologies et susciter la méfiance des alliés. » Voir Ministère de la Défense nationale, « La menace invisible : Outils pour lutter contre la guerre cognitive — Défi d’innovation de l’OTAN — Automne 2021 », 2021.

[12]            Les quatre groupements sont situés en Estonie, en Lettonie, en Lituanie et en Pologne.

[13]            Voir : Martin Auger, Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord, document d’information de la Bibliothèque du Parlement produit pour le Comité permanent de la Défense nationale de la Chambre des communes, 14 janvier 2022, p. 1-9.

[14]            Andrea Charron, « Written Submission to the House of Commons Standing Committee on National Defence », 21 mars 2022. [traduction]

[15]            Andrea Charron, « Written Submission to the House of Commons Standing Committee on National Defence », 21 mars 2022. [traduction]

[16]            À l’heure actuelle, le Canada compte quatre aérodromes de vases d’opérations avancées dans le Nord : à Yellowknife et à Inuvik dans les Territoires du Nord-Ouest, à Iqaluit au Nunavut, et à Goose Bay à Terre-Neuve-et-Labrador.

[17]            Voir Marie Dumont, Ariel Shapiro et Anne-Marie Therrien-Tremblay, Interventions des Forces armées canadiennes en réponse à des urgences nationales : certaines répercussions, Notes de la Colline, Bibliothèque du Parlement, 13 décembre 2021.

[18]            Voir Christian Leuprecht et Peter Kasurak, The Canadian Armed Forces and Humanitarian Assistance and Disaster Relief: Defining a Role, Centre for International Governance Innovation, 24 août 2020. [en anglais seulement]

[19]            Voir Martin Auger, Marie Dumont et Christina Yeung, « Interventions militaires canadiennes et étrangères en réponse à la pandémie de COVID-19 », Notes de la Colline, Bibliothèque du Parlement, 3 juin 2020.