OGGO Rapport du Comité
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Le Service postal du Canada : Un lien vital pour les collectivités rurales et éloignées
Introduction
Le bureau de poste a été l’un des premiers ministères fédéraux créés lors de la Confédération; il est entré en activité le 1er avril 1868. Le gouvernement a accordé à l’organisation responsable des services postaux une plus grande autonomie et souplesse opérationnelle en la transformant en une société d’État dans les années 1980. Aujourd’hui, la Société canadienne des postes (Postes Canada) emploie près de 70 000 personnes au Canada, et elle a livré environ 6,5 milliards de lettres et de colis à 17,4 millions d’adresses en 2023. Elle est chargée de fournir des services à tous les Canadiens, y compris ceux vivant dans les collectivités rurales et éloignées, tout en maintenant son autonomie financière.
Ces dernières années, Postes Canada a dû surmonter d’importants obstacles. Selon son rapport annuel de 2023, la Société a accumulé des pertes de 3 milliards de dollars entre 2018 et 2023, qu’elle attribue en partie à « l’évolution rapide des secteurs de la livraison des lettres et des colis, ainsi que par des mesures réglementaires désuètes qui entravent la capacité de l’entreprise à évoluer et être compétitive[1] ». Postes Canada, qui prévoit d'autres pertes à l'avenir si des changements importants ne sont pas apportés, signale également que « sans emprunts et refinancements supplémentaires, [elle s’attend à ne plus être] en mesure de couvrir ses besoins en trésorerie d’exploitation et de réserve d’ici le début de 2025[2] ».
Les membres du Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires de la Chambre des communes (le Comité) reconnaissent que la situation financière de Postes Canada, combinée à l'évolution démographique du Canada, a nui à la capacité de la Société de fournir des services postaux aux collectivités rurales et éloignées. Dans son rapport annuel, la Société a admis elle-même que « [l]es défis majeurs qui menacent Postes Canada constituent également une menace pour les communautés rurales et éloignées » qui dépendent davantage de ses services que les communautés urbaines[3].
Le 5 février 2024, le Comité a adopté la motion suivante :
Que le Comité entreprenne une étude sur la perte du service postal dans les collectivités rurales et éloignées du Canada; qu'au moins huit heures de témoignages soient consacrées au sujet; que le Comité invite le PDG de Postes Canada, le président de l'Association canadienne des maîtres de poste et adjoints (ACMPA) et la sous-ministre des Services publics et de l'Approvisionnement, ainsi que tout témoin que le Comité juge nécessaire d’inviter.
La motion demande aussi au Comité de faire rapport de ses conclusions et recommandations à la Chambre des communes et de demander que le gouvernement dépose une réponse globale.
Le Comité a tenu quatre réunions dans le cadre de cette étude, et il a accueilli des témoins de Postes Canada, de Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC), du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) et de l'Association canadienne des maîtres de poste et adjoints (ACMPA). Ensemble, ces syndicats représentent les maîtres de poste, les adjoints, les facteurs, les commis des postes et d'autres travailleurs, tant à Postes Canada que dans le secteur privé, y compris dans les bureaux de poste en région rurale. Le Comité a également reçu le point de vue de John Anderson, un chercheur syndical spécialisé, qui a comparu à titre personnel.
Importance du service postal pour les collectivités rurales et éloignées
Les témoins ont souligné l’importance du service postal dans les collectivités rurales et éloignées. D’après Alexandre Brisson, vice‑président des Opérations et ingénierie à la Société canadienne des postes, cette dernière possède actuellement 3 211 bureaux de poste en région rurale : « C’est 633 bureaux de plus que dans les secteurs urbains. » Le Comité a entendu comment le service postal est indispensable pour ces collectivités, qui n’ont souvent pas d’accès direct aux biens et services essentiels. Dwayne Jones, président national de l’ACMPA, a fait remarquer que de nombreux bureaux de poste en région rurale sont situés dans des endroits dépourvus d’accès routier. Par conséquent, « les options pour envoyer et recevoir les produits de première nécessité sont beaucoup plus limitées ».
M. Brisson et Jan Simpson, présidente du STTP, ont tous les deux expliqué que leurs concurrents dans le secteur privé n’offrent souvent pas de services à ces collectivités, car les coûts dépassent les avantages. D’ailleurs, ils ont tous les deux indiqué que les concurrents de Postes Canada comptent souvent sur la société d’État pour effectuer les livraisons du dernier kilomètre dans les collectivités rurales et éloignées du pays[4].
Toutefois, Mme Simpson a affirmé que l’importance du service postal rural va au‑delà de la livraison de courrier : « Dans les régions rurales et éloignées où il n'y a parfois pas d'infrastructure traditionnelle, le service postal joue un rôle inestimable en reliant les collectivités, en favorisant l'équité et l'inclusion ainsi qu'en stimulant les économies locales. » Selon Mme Simpson et M. Jones, le bureau de poste est également un symbole national (qui permet « d'affirmer notre engagement à veiller les uns sur les autres en tant que citoyens et citoyennes du Canada »). Ces bureaux sont parfois le seul lien physique des collectivités rurales et éloignées avec le gouvernement fédéral. En outre, on a informé le Comité que les services postaux créent plus de 10 000 emplois dans les régions rurales et permettent aux entreprises locales de se développer, soutenant le développement économique dans les régions éloignées du Canada.
La Société canadienne des postes et sa surveillance
Conjointement avec le Protocole du service postal canadien (le Protocole), la Loi sur la Société canadienne des postes établit le mandat de la Société et les attentes en matière de services, telles que l’obligation de service universel de Postes Canada[5]. Même si le Protocole doit être révisé tous les cinq ans, Lorenzo Ieraci, sous‑ministre adjoint à SPAC, a indiqué qu’il n’a pas changé depuis son entrée en vigueur en 2009.
La Société canadienne des postes est une société d’État indépendante du gouvernement. Elle rend des comptes au Parlement par l’intermédiaire du ministre des Services publics et de l’Approvisionnement, qui est chargé « de fournir des conseils et une surveillance, afin de s'assurer que l'orientation globale de Postes Canada est conforme aux politiques et aux objectifs du gouvernement ». M. Ieraci a dit que, même si SPAC « n'a pas d'autorité directe sur les sociétés d'État, il joue un rôle à l'égard de la coordination des politiques ainsi que de la cohérence des activités et des rapports des sociétés ».
Notamment, le ministre envoie chaque année une lettre d’attentes au président‑directeur général de Postes Canada. M. Ieraci a expliqué que la plus récente lettre d’attentes a souligné de nouveau les obligations du Protocole du service et a affirmé que « c'était le rôle du conseil d'administration de demander des comptes à la direction à cet égard ». Le gouvernement est également responsable des augmentations de tarifs de la Poste‑lettres. Doug Ettinger, président‑directeur général de la Société canadienne des postes, a expliqué que les tarifs sont « [régis] par le gouvernement et [soumis] à l’approbation du gouverneur en conseil ».
Même si elle est autosuffisante sur le plan financier, la Société canadienne des postes reçoit un crédit annuel de 22 millions de dollars voté par le Parlement pour compenser les coûts du courrier du gouvernement (les Canadiens peuvent envoyer des lettres gratuitement à certains représentants, tels que les parlementaires) et de l'envoi de matériel à l'usage des personnes aveugles. M. Ieraci a également dit que, « en tant que société d'État, Postes Canada reçoit du soutien financier du gouvernement du Canada lorsqu'elle n'est pas en mesure de financer ses activités. Par exemple, les prêts qui lui sont accordés viennent du gouvernement du Canada. »
Évolution du paysage concurrentiel
Postes Canada est aux prises avec un paysage concurrentiel changeant depuis presque deux décennies : son secteur d’activité le plus rentable – le service Poste‑lettres – ayant perdu de sa popularité après avoir atteint son apogée en 2006, année au cours de laquelle il a assuré la livraison de 5,5 milliards de lettres. Cependant, M. Ettinger a dit au Comité que des changements affectent aussi l’autre principal secteur d’activité de la Société : « [L]e marché de la livraison de colis est devenu extrêmement concurrentiel […] Par conséquent, notre part du marché de la livraison de colis a fondu de plus de la moitié depuis 2019. » Selon son rapport annuel, la part de marché de la livraison des colis de Postes Canada est passée de 62 % à 29 % en 2023[6].
M. Brisson a expliqué que ces changements au paysage concurrentiel sont l’une des raisons pour lesquelles Postes Canada a adopté un plan de transformation :
La concurrence est extrêmement vive, et c'est ce qui nous pousse à nous transformer. Il va sans dire que les attentes des Canadiens ont changé. Notre plan a pour but d'opérer cette transformation […] Postes Canada a été créée pour la livraison du courrier, mais nous évoluons désormais dans un gros marché de colis, d'où l'obligation de nous adapter.
Le paysage concurrentiel a été profondément bouleversé ces dernières années, et Postes Canada doit s'adapter à ces changements. Tel que le dit M. Ettinger, « nous sommes au volant d'une Chevrolet 1967 dans une course de Formule 1. C'est là où nous nous situons actuellement. Nous sommes tenaces et notre voiture a été mise au goût du jour à bien des égards, mais c'est difficile. »
Défis pour les services en régions rurales et éloignées
Dans son rapport annuel, Postes Canada indique clairement que des « changements importants sont nécessaires pour moderniser et protéger notre service postal national[7] ». Selon M. Ettinger, il apparaît « clairement que le service postal fait face à des défis importants sur les plans financier et opérationnel ». De nombreux défis de ce genre nuisent à toutes les activités de Postes Canada, mais surtout à celles dans les collectivités rurales et éloignées. La section suivante examine les témoignages entendus par le Comité concernant ces défis dans la mesure où ils ont un impact sur la capacité de Postes Canada de desservir les régions rurales et éloignées.
Modèle d’entreprise et rentabilité
Le Comité a appris que le modèle d’entreprise de Postes Canada pose les obstacles suivants pour les activités dans les collectivités rurales et éloignées.
- Il y a peu d’endroits où installer des bureaux de poste et des cases postales dans des régions éloignées (par exemple, Manon Fortin, chef de l’exploitation de la Société canadienne des postes, a signalé qu’on pourrait se procurer des cases postales pour le bureau à Kuujjuaq qui en manque, mais Postes Canada doit trouver des solutions pour savoir où les installer étant donné l’espace limité).
- Le modèle d’entreprise existant est dépassé (M. Ettinger a affirmé que « le modèle de fonctionnement [de Postes Canada] remonte à loin — en fait, au siècle dernier. Cela peut sembler un peu exagéré, mais il a été conçu pour une économie fondée sur le papier — presque avant Internet —, et cela nous empêche de progresser. »).
- Il est plus difficile d’attirer et de conserver des travailleurs dans les régions rurales.
- Les changements démographiques, y compris le nombre croissant d'adresses, exacerbent la pression financière sur Postes Canada.
Les dirigeants syndicaux représentant les travailleurs et travailleuses des postes ont indiqué au Comité que, malgré de « légères augmentations » au fil des ans, les salaires de ces travailleurs n’ont pas suivi l’inflation. Ils ont aussi mentionné qu’il y a un taux de roulement élevé chez les travailleurs temporaires à cause des salaires de départ moins élevés, de l’absence d’avantages sociaux et de pensions et du nombre d’heures non garanties. Selon la documentation envoyée par Postes Canada, les taux de rémunération (en date de janvier 2023) des maîtres de poste embauchés à partir d’août 2015 varient de 18,44 $ à 30,02 $ l’heure, en fonction de facteurs tels que la taille de la collectivité et le volume des colis. Cette rémunération s'ajoute à l'indemnité de location pour l'approvisionnement des locaux. Selon M. Jones, « bien souvent, [les maîtres de poste] constate[nt] que [l’indemnité de location ne suffit pas] pour couvrir tous les coûts d’exploitation […] [Ils] paient [donc] de leur poche pour que le bureau de poste maintienne ses activités. »
Moratoire de 1994 et fermeture des bureaux de poste en région rurale
Selon une enquête menée par M. Anderson en 2014, Postes Canada avait fermé plus de 1 700 bureaux de poste en région rurale depuis le début des années 1980. M. Anderson a aussi constaté que certains de ces bureaux de poste avaient été remplacés par des bureaux franchisés, mais que la plupart des communautés s’étaient retrouvées sans comptoir postal. En 1994, le gouvernement fédéral a imposé un moratoire sur la fermeture des bureaux de poste en région rurale. Le moratoire dresse une liste de 3 962 bureaux de poste. M. Ettinger a confirmé que la liste a été créée par le gouvernement fédéral, et non par Postes Canada. Les données fournies par Postes Canada révèlent que, malgré le moratoire, 516 bureaux de poste ont depuis été fermés (voir la figure 1 ci‑dessous). Ces données montrent que le plus grand nombre de fermetures a eu lieu en Ontario (88), en Saskatchewan (86) et à Terre‑Neuve‑et‑Labrador (67).
Figure 1 — Bureaux de poste figurant sur la liste du moratoire et fermés depuis 1994
Sources : Carte préparée en 2024, à partir de données obtenues de Postes Canada, Document PDF sur les emplacements des bureaux de poste en région rurale fermés depuis 1994, fourni au Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires de la Chambre des communes, mai 2024; et Ressources naturelles Canada (RNCan), Limites administratives au Canada - Série CanVec - Entités administratives, 1:15M et 1:5M, 2019. Le logiciel suivant a été utilisé : Esri, ArcGIS Pro, version 3.3.1. Contient de l’information visée par la Licence du gouvernement ouvert – Canada.
Selon le Protocole, les « situations concernant le personnel de Postes Canada (p. ex. départ à la retraite, maladie, décès) ou l’infrastructure de la Société (p. ex. incendie ou expiration du bail) peuvent […] toucher l’exploitation continue d’un bureau de poste », malgré le moratoire. Par exemple, M. Brisson a expliqué que « lorsqu'un maître de poste dans une collectivité rurale, éloignée ou nordique prend sa retraite ou quitte son poste, il peut être très difficile de le remplacer ». Cela peut entrainer la fermeture d’un bureau de poste, même s’il figure sur la liste du moratoire.
En 2016, le Comité a rédigé un rapport exhaustif sur la voie à suivre pour Postes Canada. Pour ce qui est du moratoire de 1994, le Comité avait affirmé ce qui suit : « Le moratoire doit aussi être revu à la lumière des changements de la croissance démographique. Cependant, le Comité a entendu à de nombreuses reprises que le moratoire a des effets bénéfiques sur la cohésion sociale et économique des régions rurales et éloignées[8]. »
En ce qui concerne les changements démographiques, M. Ieraci, Michael Yee, vice‑président de la vente au détail et des services financiers à la Société canadienne des postes, et M. Ettinger ont tous signalé que le Canada rural a beaucoup changé au cours des 30 dernières années. Par conséquent, certaines communautés qui auraient été considérées comme « rurales » en 1994 peuvent être devenues des communautés urbaines depuis (M. Ettinger a donné Stittsville, Richmond Hill et Milton, toutes situées en Ontario, à titre d’exemples de communautés visées par le moratoire qui sont maintenant des régions urbaines ou suburbaines). Selon M. Ettinger, les paramètres du moratoire ne donnent pas à Postes Canada la flexibilité requise pour s’adapter à de tels changements et pour affecter « les bonnes ressources aux régions rurales où elles sont encore plus nécessaires ».
Dans son rapport de 2016, le Comité a recommandé de mener une analyse démographique pour s’assurer que le moratoire s’applique vraiment à des régions rurales. Dans une réponse écrite récente, Postes Canada a affirmé que « [l]e gouvernement du Canada a maintenu le Protocole du service sous sa forme initiale, et le moratoire sur la fermeture des bureaux de poste en région rurale demeure inchangé ». On ne sait pas trop si le gouvernement ou Postes Canada a mené l’analyse démographique recommandée par le Comité.
Dans son rapport annuel, Postes Canada a soutenu qu’il « est temps de mettre à jour les exigences réglementaires de 1994 visant les bureaux de poste ruraux afin qu’elles tiennent compte des 30 dernières années d’étalement urbain. Aujourd’hui, ces exigences s’appliquent à plusieurs communautés qui étaient autrefois rurales, mais qui sont désormais clairement suburbaines et ont accès à plus d’options de service à proximité[9]. »
Trois décennies plus tard, il semble que le moratoire a peut‑être entraîné des conséquences imprévues. En imposant des paramètres rigides à la Société, il a peut-être aggravé les problèmes qu’il tentait de résoudre en empêchant Postes Canada d’affecter des ressources aux collectivités rurales et éloignées en ayant le plus besoin. Le fait que 516 bureaux de poste figurant sur la liste du moratoire ont fermé leurs portes depuis 1994 remet aussi en question la pertinence de l'approche adoptée pour maintenir les services postaux dans les régions rurales et éloignées.
Changements climatiques et phénomènes météorologiques violents
Le Comité a aussi entendu parler d’interruptions découlant de phénomènes météorologiques violents. Dans une réponse écrite, Postes Canada a confirmé que 122 collectivités ont subi une interruption de service à cause d’incendies de forêt ou d’inondations en 2023. M. Brisson a confirmé que ces phénomènes sont devenus plus fréquents : « [L]es répercussions [des changements climatiques] se manifestent de différentes façons au Canada […] Les feux de forêt de [2023] sont probablement un excellent exemple pour nous. »
M. Brisson a ajouté que Postes Canada « consacr[e] énormément de temps à l'élaboration de plans d'urgence et à la possibilité d'avoir des bureaux de poste temporaires pour desservir certaines des régions où les gens ont dû s'installer après avoir quitté leur domicile ». En 2022, une grande roulotte a été déployée à Lytton, en Colombie-Britannique, pour servir de bureau de poste complet durant une interruption de service. Selon M. Yee, « [à cause] des enjeux climatiques en Nouvelle‑Écosse […], [il] pourrait être nécessaire d'avoir une flotte plus facilement accessible ou une capacité déployable ».
Solutions possibles et pratiques prometteuses
Le Comité a également entendu parler de solutions possibles et de pratiques prometteuses pour aider Postes Canada à s’adapter aux défis et aux changements.
Nouveaux modèles pour les bureaux de poste en région rurale
Postes Canada exploite actuellement des carrefours communautaires à Little Current, en Ontario, à Membertou, en Nouvelle‑Écosse, à High Prairie, en Alberta et à Fort Qu’Appelle, en Saskatchewan. Ces carrefours communautaires servent de bureaux de poste, mais ils offrent aussi :
- des services financiers (guichets automatiques, transferts de fonds);
- des fournitures commerciales, un poste de travail informatique, de l’impression et du déchiquetage;
- des bornes de recharge pour véhicules électriques;
- des services de location de salles de réunion;
- un accès à des renseignements sur les entreprises locales et la collectivité.
Selon M. Ieraci,
Postes Canada a créé un certain nombre de carrefours communautaires dans le cadre d'un projet pilote afin de voir, premièrement, s'ils offrent des avantages aux communautés locales, y compris les communautés autochtones, et, deuxièmement, de mettre à l'essai son modèle d'affaires afin d'évaluer les coûts d'exploitation de ces carrefours et de déterminer si leur niveau de revenu ou de rendement de l'investissement diffère de celui d'un bureau de poste traditionnel.
En outre, M. Jones a fait remarquer que le modèle de carrefour communautaire peut permettre d’éviter l’utilisation d’une approche universelle dans toutes les collectivités rurales et éloignées : il est nécessaire que la Société « examine chaque collectivité individuellement lorsqu'elle élabore son approche globale. Il peut y avoir des similitudes, mais l'approche universelle ne fonctionnera pas nécessairement avec toutes les collectivités. Elle doit être suffisamment souple pour pouvoir s'adapter à chacune d'entre elles. »
Mme Simpson, M. Jones et M. Anderson ont tous déclaré que les bureaux de poste en région rurale pourraient également contribuer à combler les écarts financiers en rétablissant les services bancaires postaux. Dans son rapport de 2016, le Comité s’est penché sur les services bancaires postaux et a « déterminé que Postes Canada a fait preuve de diligence raisonnable en évaluant le potentiel des services bancaires postaux et que sa décision de ne pas s’engager dans cette avenue pour plutôt se concentrer sur ses principales activités était raisonnable[10] ».
M. Anderson a soutenu que, en plus de créer une source de revenus, le rétablissement des services bancaires postaux comblerait une lacune dans l'offre de services bancaires dans les régions rurales et éloignées. Il a souligné que les services bancaires postaux ont été adoptés avec succès dans plus de 100 pays, et que plus de 84 % des services postaux du monde offraient des services financiers. M. Anderson a aussi observé que des services bancaires postaux pourraient être mis en place graduellement dans différentes régions et que, avec le temps, un nombre croissant de services financiers pourraient être offerts. Il a ajouté que les bureaux de poste et le gouvernement fédéral disposent déjà des infrastructures, du personnel et des logiciels requis, ainsi que d’expertise dans la prestation sûre de services financiers, qu’il serait possible de mettre à profit pour soutenir un recours croissant aux services bancaires postaux.
Leçons tirées d’autres pays
Les services postaux d’autres pays font face à des défis semblables à ceux de Postes Canada. M. Ieraci a dit ceci :
La livraison de lettres par la poste enregistre un déclin généralisé. Les services postaux dans le monde sont tous aux prises avec les difficultés causées par ce déclin, notamment la baisse des revenus et l'augmentation des points où le courrier doit être livré, ce qui amène des préoccupations fondamentales. Bon nombre de pays ont décidé de fournir une aide financière à leurs services postaux ou aux services de courrier.
Selon Eugene Gourevitch, directeur, Analyse du rendement et des répercussions, SPAC, plus de la moitié des 192 pays membres de l’Union postale universelle subventionnent maintenant leurs services postaux pour assurer le maintien du service universel. Il a également signalé ce qui suit :
[L]es postes un peu partout dans le monde ont un privilège exclusif, un monopole, pour la livraison du courrier. À mesure que le déclin se poursuivra, le financement ne permettra plus à un moment donné de maintenir le service universel actuel. Étant donné que les services postaux sont en train de passer d'un système axé sur la livraison de messages à un système centré sur les biens, la logistique et les colis, le gouvernement devra réfléchir à la notion de service universel dans le monde d'aujourd'hui.
M. Ettinger a dit au Comité qu’il est en contact avec son homologue de l’Australie : « Je dirai simplement que, dans ce pays, un peu plus de souplesse a pu être obtenue en ce qui concerne le modèle de fonctionnement — le modèle de livraison. » Il a plus tard ajouté : « Ils sont en mesure d'élaborer une structure de prix, avec leur gouvernement, qui fonctionne assez bien pour générer du financement, afin d'avoir le financement nécessaire pour faire rouler l'entreprise. »
M. Ettinger a également affirmé que :
Pour ce qui est de la fixation des prix, à partir de ce qui se passe sur d'autres marchés ailleurs dans le monde — au Royaume-Uni, en Australie, en France, et même aux États-Unis —, nous avons été en mesure de concevoir une méthode de fixation des prix fondée sur un calcul tenant compte de l'inflation, des coûts, du contexte économique et commercial, etc. Il y a eu deux augmentations de prix au cours de la dernière décennie, et aucune au cours des quatre dernières années. Par conséquent, il nous faut ce financement pour appuyer la stratégie de redressement que nous tentons de mettre en œuvre dans le reste de l'organisation. Je parle d'investissements dans les véhicules électriques ou dans les boîtes aux lettres centralisées que vous avez mentionnés.
Tel qu’il est mentionné précédemment, les augmentations de tarifs de la Poste‑lettres au Canada doivent être approuvées par le gouverneur en conseil. Cependant, Postes Canada peut déterminer ses tarifs pour les colis.
Réconciliation avec les peuples autochtones
Au Canada, de nombreuses communautés autochtones se situent dans des régions rurales ou éloignées. Tel que l’a souligné M. Jones :
Nous devrions également nous rappeler l'engagement du Canada envers les communautés autochtones […] La nécessité d'assurer l'accès à la gamme complète de services postaux et d'installations postales dans ces collectivités fait partie de l'obligation fondamentale du Canada. Postes Canada reconnaît cette obligation dans le cadre de son engagement à mettre en œuvre une stratégie de réconciliation avec les communautés autochtones et du Nord.
M. Ettinger a précisé que les quatre carrefours communautaires mentionnés plus haut sont situés dans des communautés des Premières Nations : « L'élément clé, c'est que nous avons mobilisé la communauté locale des Premières Nations dès le début du projet. Nous voulions qu'elle conçoive le bureau de poste en tenant compte de sa culture, de ses artefacts, de ses œuvres d'art, de ses palettes de couleurs et ainsi de suite. »
M. Ettinger a aussi indiqué que, en 2022, Postes Canada a été la première société d’État à lancer une stratégie quinquennale de réconciliation : « [N]ous avons déjà amélioré 45 bureaux de poste autochtones dans les communautés. Nous avons prévu d'en améliorer 25 autres cette année. Nous sommes soumis à la cible minimale de 5 % pour ce qui des approvisionnements [auprès des entreprises autochtones]. Nous avons atteint les 4 %. Nous avons même instauré un objectif exprimé en pourcentage pour l'embauche d'employés autochtones et, actuellement, 3,3 % des employés de l'organisation sont autochtones. »
Élargissement des services
M. Anderson a soutenu que les propositions de réduire le nombre de jours de livraison, d’aménager des boîtes postales communautaires et de privatiser des bureaux de poste élimineraient des emplois, amoindriraient la qualité des services fournis aux Canadiens et ne permettraient pas de répondre aux besoins en nouvelles sources de revenus. À l’instar d’autres témoins, il a proposé plutôt d’accroître les services, en s’assurant notamment que Postes Canada traite plus de colis – au moyen d’accords avec des entreprises de livraison et de mesures législatives au besoin – et en diversifiant les services fournis.
Pour sa part, Mme Simpson a soutenu que le Protocole « commande d’innover pour élargir les services afin de répondre aux besoins en évolution de la population. [Le STTP exerce] donc des pressions sur Postes Canada pour qu’elle étende ses services et veille à ce que personne ne soit laissé pour compte. » Mme Simpson a mentionné la campagne d’élargissement des services du STTP, Vers des collectivités durables, qui plaide en faveur des services bancaires postaux, des carrefours communautaires, des services de vigilance auprès des personnes âgées, d’Internet haute vitesse et des bornes de recharge électrique aux bureaux de poste, ainsi que de la livraison de denrées alimentaires à des prix abordables par l’entremise d’un nouveau programme d'approvisionnement alimentaire par la poste qui améliorerait la situation dans le Nord[11].
Voici quelques exemples soulevés lors de l’étude sur l’élargissement des services :
- Augmenter les livraisons à domicile dans les régions rurales et éloignées (Mme Simpson a soutenu que Postes Canada pourrait « livrer ensemble le courrier, les colis et les autres services »).
- Offrir des livraisons la fin de semaine (M. Ettinger a indiqué que la Société doit mener des négociations à ce sujet avec les agents négociateurs).
- Prolonger les heures d’ouverture des bureaux de poste pour répondre aux besoins d’un plus grand nombre de clients.
M. Ettinger a rejeté explicitement la livraison un jour sur deux :
Le problème tient à notre réseau qui a été conçu pour acheminer les colis, les produits de publipostage et les lettres. Pensez aux facteurs. Même si nous livrions les lettres une journée sur deux seulement, nous devrions suivre les itinéraires, car, pour être concurrentiel dans le commerce électronique et les colis, il faut maintenir une présence quotidienne.
Il a aussi reconnu la directive du gouvernement de ne pas recourir davantage aux boîtes postales communautaires, mais il a précisé que « l'expérience des boîtes postales communautaires, ou BPCOM, a été plutôt bonne au fil du temps, en ce sens qu'elles sont sécuritaires et pratiques, outre qu'elles sont efficaces pour l'organisation ».
Consultations avec les syndicats
Les représentants syndicaux ont dit au Comité qu’ils aimeraient être consultés davantage par la direction de Postes Canada. « Il doit y avoir des consultations sérieuses, car bien souvent, les décisions sont prises, puis on nous informe. Il faut qu'il y ait des consultations sérieuses, car nous pouvons alors proposer des idées pour élargir les services afin d'éviter les fermetures », a dit Mme Simpson. « Nous ne sommes pas toujours consultés au début du processus, mais nous le sommes à différentes étapes du processus. Lorsqu'on nous consulte au début du processus, nous pouvons alors travailler ensemble pour trouver des solutions afin d'éviter la perte des services postaux dans les régions éloignées. »
M. Jones a fait écho à ses propos : « Nous aimerions, bien sûr, être consultés […] [L’]expression "consultations sérieuses" est la clé, car bien souvent, lorsque nous apportons de l'information [en appui] à la réunion, personne ne nous écoute vraiment. Il est important que Postes Canada entende ce qu'on a à dire pour pouvoir maintenir le[s] bureau[x] de poste ouvert[s]. »
Modifications réglementaires
M. Ettinger a brièvement fait allusion à la nécessité de modifications réglementaires : « [N]ous avons besoin d'une approche réglementaire renouvelée qui offre la souplesse nécessaire pour manœuvrer rapidement dans le marché hyper concurrentiel de la livraison des colis d'aujourd'hui, tout en prévoyant des mécanismes de contrôle appropriés de la part du gouvernement. » C’est une idée que la Société a explorée de manière plus approfondie dans son rapport annuel :
Le pays que nous servons aujourd’hui n’est plus celui de 1985. Partout au pays, les besoins en matière d’expédition et de livraison ont radicalement changé et continuent d’évoluer. Toutefois, l’approche réglementaire est demeurée en grande partie inchangée. La population s’attend à ce que Postes Canada et le gouvernement travaillent ensemble pour administrer le service postal national et veiller à ce qu’il suive le rythme de ses besoins en évolution. Nous devons collaborer pour nous assurer que le système postal évolue avec son époque[12].
Le mot‑clé du témoignage de M. Ettinger et du rapport annuel de Postes Canada est « souplesse ». Tel qu’il l’a déclaré, Postes Canada doit devenir plus agile et novateur :
Nous avons besoin de plus de souplesse pour soutenir la concurrence. Nous avons besoin de plus de souplesse dans la façon dont nous livrons le courrier […] Nous avons besoin de souplesse dans notre structure de réglementation pour pouvoir réagir plus rapidement. La souplesse dans les prix peut nous aider à régler certains de nos problèmes de financement. Nous avons également besoin de souplesse pour investir et améliorer le service — pour investir davantage dans nos gens et dans la sécurité.
Conclusion et recommandations
Postes Canada et le système postal canadien sont à la croisée des chemins. Les défis à venir ne sont pas insurmontables, mais des changements importants sont nécessaires pour s'adapter, et le gouvernement du Canada devrait faire tout son possible pour aider la Société dans sa transition. Le service postal est un bien public que les Canadiens, en particulier ceux qui vivent dans des collectivités rurales et éloignées, ne peuvent pas se permettre de perdre.
D’après les témoignages mentionnés ci-dessus, le Comité formule les recommandations suivantes.
Recommandation 1
Que le gouvernement du Canada collabore avec Postes Canada pour faire approuver en temps opportun son plan d’entreprise afin d’assurer l’avenir de la Société.
Recommandation 2
Que Postes Canada veille à ce que toute mesure prise pour moderniser ses activités maintienne son autonomie financière par égard pour les Canadiens et qu’elle soit alignée sur son objectif principal, qui consiste à fournir des services de livraison postale abordables et de grande qualité à toute la population canadienne.
Recommandation 3
Que, pour garantir l’affectation appropriée de ressources au maintien des services postaux dans chaque type de collectivités, le gouvernement du Canada, Postes Canada et les syndicats des travailleurs des postes adoptent des définitions communes des collectivités « urbaines », « rurales », « éloignées », « isolées » et « nordiques » en s’appuyant sur les données démographiques les plus récentes, telles que l’indice d’éloignement de Statistique Canada; et que le gouvernement mette à jour le moratoire de 1994 sur la fermeture des bureaux de poste en conséquence.
Recommandation 4
Que le gouvernement du Canada, en collaboration avec Postes Canada et les syndicats des travailleurs des postes, révise le Protocole du service postal canadien dès que possible pour tenir compte des changements qui ont marqué l’écosystème des services postaux depuis la dernière révision du Protocole en 2009 et pour mieux l’aligner sur les réalités actuelles des collectivités rurales et éloignées, tout en faisant en sorte que le Protocole garantisse la protection des services postaux fournis aux collectivités rurales.
Recommandation 5
Que Postes Canada consulte les collectivités touchées par un manque de bureaux de poste ou de cases postales afin de trouver des solutions concernant l’emplacement de ces services.
Recommandation 6
Que le gouvernement du Canada collabore avec Postes Canada à la modernisation de son cadre réglementaire afin d’améliorer les services fournis à la population et d’augmenter son assiette de revenus; et que le gouvernement mène de véritables consultations avec la population et les syndicats des travailleurs des postes tout au long du processus et avant d’apporter le moindre changement.
Recommandation 7
Que le gouvernement du Canada, Postes Canada et les syndicats des travailleurs des postes examinent le modèle axé sur les maîtres de poste pour les bureaux de poste des collectivités rurales afin de répondre aux besoins de ces collectivités et d’assurer une prestation équitable des services.
Recommandation 8
Que le gouvernement du Canada presse Postes Canada d’améliorer le maintien en poste et le recrutement de maîtres de poste et autres employés dans les collectivités rurales et éloignées en veillant à ce qu’ils soient rémunérés équitablement et que des ressources suffisantes soient allouées au fonctionnement des bureaux de poste en région rurale, reconnaissant le fait que certains maîtres de poste paient de leur poche des coûts d’exploitation.
Recommandation 9
Que, compte tenu du fait que les services postaux sont essentiels à la qualité de vie dans les collectivités rurales et éloignées du Canada, le gouvernement du Canada élabore un plan conjointement avec Postes Canada et les syndicats des travailleurs des postes afin d’accroître les revenus en élargissant l’éventail de services offerts dans ces collectivités.
Recommandation 10
Que Postes Canada s’acquitte des responsabilités uniques qui lui incombent à l’égard des collectivités autochtones en fournissant des services postaux fiables et accessibles; et que, ce faisant, Postes Canada remplisse ses obligations conformément aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation.
[1] Société canadienne des postes (Postes Canada), Rapport annuel 2023, p. 9.
[2] Ibid., p. 10.
[3] Ibid., p. 24.
[4] Le concept de « livraison du dernier kilomètre » fait référence au dernier segment du parcours d'un colis dans le système postal.
[5] L’obligation de service universel de Postes Canada est définie à l’article 1 du Protocole du service postal canadien : « Postes Canada maintient un service postal qui permet aux particuliers et aux entreprises du Canada d’envoyer et de recevoir du courrier au pays et entre le Canada et l’étranger. Postes Canada assure un service de collecte, de transmission et de livraison de lettres, de colis et de publications. » À l’article 2 du Protocole, on précise que « [l]a prestation de services postaux aux régions rurales du pays fait partie intégrante du service universel qu’offre Postes Canada ».
[6] Société canadienne des postes, Rapport annuel 2023, p. 19.
[7] Ibid., p. 6.
[8] OGGO, La voie à suivre pour Postes Canada, décembre 2016, p. 100.
[9] Société canadienne des postes, Rapport annuel 2023, p. 14.
[10] OGGO, La voie à suivre pour Postes Canada, décembre 2016, p. 118.
[11] Avant la mise en œuvre du programme Nutrition Nord Canada en 2011, Postes Canada transportait les articles alimentaires admissibles vers les communautés du Nord dans le cadre du Programme d’approvisionnement alimentaire par la poste (un programme gouvernemental qui soutenait l’envoi de ces articles à des communautés isolées du Nord). Nutrition Nord Canada fournit maintenant une contribution axée sur la vente au détail, entre autres. Pour obtenir de plus amples renseignements, voir : Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes, D'Aliments‑poste à Nutrition Nord Canada, mars 2011; et Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes, La sécurité alimentaire dans les collectivités nordiques et isolées : Garantir à tous l'accès équitable à des aliments sains en quantité suffisante, juin 2021.
[12] Société canadienne des postes, Rapport annuel 2023, p. 7.