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PACP Rapport du Comité

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Le potentiel de l'hydrogène pour réduire les émissions de gaz à effet de serre

Introduction

Principaux constats du Commissaire à l’environnement et au développement durable

  • Ressources naturelles Canada a surestimé le potentiel de l’hydrogène pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
  • Environnement et Changement climatique Canada s’est appuyé sur des politiques qui n’avaient pas encore été annoncées pour faire valoir que son plan permettrait d’atteindre la cible initiale de 2030.
  • Les deux ministères ont utilisé des hypothèses irréalistes pour modéliser le potentiel de l’hydrogène en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
  • Dans sa modélisation, Ressources naturelles Canada n’a pas pris en compte la façon dont l’approvisionnement en hydrogène serait déployé ni les coûts associés pour satisfaire à la demande projetée[1].

Tableau 1 — Sommaire des recommandations du Comité et Échéances

Recommandation

Mesure recommandée

Échéance

Recommandation 1

Sur la base de la modélisation mise à jour, Ressources naturelles Canada (en partenariat avec les parties prenantes intéressées) doit fournir au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes un rapport d'étape détaillé sur la publication d'une feuille de route pour le développement du marché de l'hydrogène afin de suivre les progrès et les résultats du déploiement et de l’adoption des technologies de l'hydrogène au Canada.

le 31 janvier 2024

Recommandation 2

Pour améliorer la cohérence entre les ministères, Environnement et Changement climatique Canada (en consultation avec d'autres ministères fédéraux) doit fournir au comité un rapport d'étape détaillé sur l'adoption d'un cadre normalisé pour estimer les répercussions sur les émissions des politiques, des technologies propres et des carburants proposés sur les émissions.

le 31 mai 2024

Recommandation 3

ECCC doit fournir au comité des communes un rapport d'étape détaillé sur l'élaboration et la publication des résultats des scénarios qui

  • A)    comprenne une liste détaillée des mesures et des hypothèses prises en compte ; et
  • B)    établisse une distinction claire entre
    • (1)  les scénarios fondés sur les politiques et mesures existantes et;
    • (2)  les scénarios exploratoires qui comprennent des politiques et mesures proposées ou ambitieuses; et
  • C)    inclus la source des données utilisées pour les « scénarios » ci-haut).

le 31 mai 2024

Recommandation 4

Afin de mieux éclairer la prise de décision, ECCC (en coordination avec RNCan) doit fournir au comité un rapport d'étape détaillé sur l’amélioration de sa modélisation des voies à suivre, en utilisant des hypothèses raisonnables, efficientes et techniquement réalisables.

le 31 mai 2024

Recommandation 5

Pour améliorer la qualité, la transparence et la confiance dans la modélisation du changement climatique, ECCC doit fournir au comité un rapport d'étape détaillé sur l'élaboration d'un cadre d'examen officiel dans lequel sa modélisation serait soumise à un examen approfondi par les pairs, à des consultations officielles auprès des parties prenantes, à un contrôle d’assurance de la qualité périodique et à un examen public.

le 31 mai 2024

Contexte

L’hydrogène est l’élément chimique le plus léger et le plus abondant de l’univers connu. Ce vecteur énergétique sans carbone ne libère aucun polluant et sa combustion ne dégage que de la vapeur d’eau et de la chaleur. De plus, la combustion d’un kilogramme d’hydrogène produit trois fois plus d’énergie que la combustion d’une quantité équivalente d’essence. Pour ces raisons, l’hydrogène pourrait contribuer à réduire la dépendance à l’égard des carburants à haute teneur en carbone et favoriser l’atteinte de la cible de la carboneutralité[2].

L’hydrogène peut produire de l’énergie de deux façons : soit en étant brûlé (p. ex. dans un moteur ou une turbine), soit en étant utilisé dans une pile à combustible pour produire de l’électricité[3]. Malheureusement, l’hydrogène se retrouve uniquement dans des molécules complexes, comme l’eau ou les hydrocarbures; il doit donc d’abord être produit et stocké avant de pouvoir être utilisé dans sa forme pure. Or, la production d’hydrogène, contrairement à sa combustion, exige une grande quantité d’énergie, ce qui peut, selon la source d’énergie utilisée, entraîner l’émission de gaz à effet de serre[4].

Compte tenu de la capacité de cet élément à fournir de l’énergie propre, le « rôle que pourrait jouer l’hydrogène dans les systèmes énergétiques carboneutres et la décarbonisation suscite un intérêt mondial important. L’hydrogène peut servir à réduire les émissions lorsque l’électrification n’est pas réalisable sur le plan technique ou économique, notamment dans les industries à forte intensité énergétique. » Voici des exemples d’utilisations possibles :

  • le transport longue distance qui exige une production d’énergie élevée (trains, navires, aéronefs, camions longue distance et autobus);
  • les véhicules miniers;
  • les petits réseaux électriques stationnaires (particulièrement en régions éloignées);
  • la production et le stockage d’énergie (le stockage et la diffusion d’électricité renouvelable excédentaire, communément appelée « transformation de l’électricité en gaz »);
  • comme combustible de chauffage pour les industries qui requièrent une chaleur de haute température (p. ex. dans le secteur pétrolier et gazier ou la fabrication de ciment et d’acier);
  • comme combustible pour le chauffage des locaux et de l’eau dans les bâtiments (une option de rechange au gaz naturel);
  • comme matière première pour les procédés industriels (le raffinage du pétrole, la valorisation du bitume et la production d’ammoniac, de méthanol ou d’acier)[5].

Le potentiel de l’hydrogène en tant que stratégie de décarbonisation dépend de la manière dont il est produit et utilisé. Un système de couleurs a récemment été mis au point pour distinguer les différentes méthodes de production d’hydrogène et leur intensité carbonique :

  • L’hydrogène « gris » est produit à partir de gaz naturel par reformage du méthane à la vapeur sans que les émissions de dioxyde de carbone soient captées;
  • L’hydrogène « bleu » est produit à partir de combustibles fossiles, et les émissions de dioxyde de carbone sont réduites grâce à des technologies de captage et de séquestration du carbone;
  • L’hydrogène « vert » est produit par électrolyse en utilisant de l’électricité renouvelable sans rejeter de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.

En 2018, l’hydrogène gris représentait 99 % de la production mondiale d’hydrogène, alors que la production d’hydrogène bleu et vert commençait à peine[6].

En 2020, les coûts de l’hydrogène et les émissions qu’il engendre ont été comparés à ceux du gaz naturel (une source d’énergie répandue au Canada), ce qui a mis en évidence l’ampleur et l’étendue des écarts :

  • L’hydrogène gris était l’hydrogène le moins cher à produire et il coûtait 4,4 fois plus cher que le gaz naturel;
  • L’hydrogène bleu et l’hydrogène vert produits à partir d’hydroélectricité se situaient au milieu de la fourchette;
  • Le prix de l’hydrogène vert produit à partir d’énergie solaire et éolienne était beaucoup plus élevé, soit environ 16 fois celui du gaz naturel.

L’hydrogène vert ne produit aucune émission, tandis que l’hydrogène gris produit 2,2 fois plus d’émissions que le gaz naturel[7].

Par ailleurs, la « hausse de la tarification de la pollution causée par le carbone pourrait faire augmenter le prix relatif des différents types d’hydrogène, selon leur intensité carbonique et leur taux de captage. Cela s’explique par le fait que le prix du marché tient compte de certains coûts rattachés aux émissions[8]. »

Plusieurs pays et administrations ont récemment élaboré des stratégies pour exploiter le potentiel de l’hydrogène. En décembre 2020, Ressources naturelles Canada (RNCan) a publié la Stratégie canadienne pour l’hydrogène. L’hydrogène est aussi mentionné dans le plan climatique renforcé du Canada (Un environnement sain et une économie saine), publié au cours du même mois. L’Alberta, la Colombie-Britannique, l’Ontario et le Québec ont également pris des mesures dans les dernières années pour établir des cadres visant à développer le secteur de l’hydrogène[9].

Le tableau 2 montre les réductions d’émissions à long terme prévues par la Stratégie dans les principaux secteurs de l’économie.

Tableau 2 — Potentiel de réduction à long terme des émissions de gaz à effet de serre dans des secteurs clés de l’économie, selon la Stratégie canadienne pour l’hydrogène

Secteur de l’économie qui utilise l’hydrogène

Réduction des gaz à effet de serre en 2030 (mégatonnes d’équivalent en dioxyde de carbone par année)

Réduction des gaz à effet de serre en 2050 (mégatonnes d’équivalent en dioxyde de carbone par année)

Mélange avec le gaz naturel

1,7

57,4

Pétrole et gaz

25,0

22,3

Procédés industriels

3,3

24,4

Transports

14,8

61,5

Combustibles à faible teneur en carbone

0,2

24,4

Total

45,0

190,0

Source : Commissaire à l’environnement et au développement durable, Le potentiel de l’hydrogène pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, rapport 3 des Rapports de 2022 du commissaire à l’environnement et au développement durable, pièce 3.3 (Données provenant de Ressources naturelles Canada).

Environnement et Changement climatique Canada (ECCC) et RNCan sont les principaux ministères du gouvernement du Canada chargés de l’élaboration et de la mise en œuvre du cadre stratégique canadien relatif à l’hydrogène.

ECCC appuie l’élaboration et la mise en œuvre des politiques, des programmes, des règlements et des plans du Canada visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre en vue d’atteindre les objectifs climatiques que le pays s’est fixés pour 2030 et 2050. Pour ce faire, le Ministère mène notamment les activités suivantes, en collaboration avec d’autres ministères fédéraux, des partenaires autochtones, les provinces et territoires et d’autres parties intéressées :

  • définir des plans de réduction des émissions crédibles et fondés sur la science, appelés « voies à suivre », pour atteindre chaque cible annoncée par le gouvernement;
  • appuyer et coordonner la mise en œuvre du plan climatique du Canada; s’employer à réduire les émissions de gaz à effet de serre produites au Canada; favoriser une croissance propre; élaborer des instruments réglementaires; aider les entreprises et la population canadienne à s’adapter et à devenir plus résilientes aux changements climatiques; contribuer aux actions menées à l’international pour lutter contre les changements climatiques afin d’en accroître les bienfaits à l’échelle mondiale;
  • concevoir et mettre en œuvre l’approche du Canada en matière de tarification du carbone[10].

RNCan dirige l’élaboration et la mise en œuvre de la Stratégie canadienne pour l’hydrogène; à ce titre, il « doit notamment fournir au ministre des Ressources naturelles et au gouvernement du Canada une analyse, les résultats de la modélisation et des avis sur l’hydrogène dans le système énergétique canadien[11] ».

En 2022, le Commissaire à l’environnement et au développement durable (CEDD) a publié un audit visant à déterminer si ECCC et RNCan « avaient fait une évaluation exhaustive du rôle que l’hydrogène devrait jouer comme voie pour atteindre les objectifs climatiques du Canada. L’audit a pris en compte la cible de réduction des émissions de 2030, à savoir la réduction des émissions de gaz à effet de serre de 30 % par rapport aux niveaux de 2005, qui était en vigueur au moment de l’élaboration de la Stratégie canadienne pour l’hydrogène[12]. »

Le 2 décembre 2022, le Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes (le Comité) a tenu une audience sur cet audit, à laquelle ont assisté :

  • Bureau du vérificateur général : Martin Dompierre, vérificateur général adjoint, et Philippe Le Goff, directeur principal
  • RNCan : John Hannaford, sous-ministre, et Sébastien Labelle, directeur général, Direction des carburants propres
  • ECCC : Christine Hogan, sous-ministre; Douglas Nevison, sous-ministre adjoint, Direction générale des changements climatiques; et Derek Hermanutz, directeur général, Direction de l’analyse économique, Direction générale de la politique stratégique[13].

Le tableau 3 contient un glossaire des principaux termes employés dans le présent rapport.

Tableau 3 — Définitions

Gaz à effet de serre

Gaz dans l’atmosphère qui réchauffent la Terre en empêchant les rayonnements infrarouges de s’échapper. Ils comprennent le dioxyde de carbone, le méthane et l’oxyde nitreux.

Décarbonisation

Processus consistant à réduire et à retirer les émissions de dioxyde de carbone de l’économie d’un pays.

Intensité carbonique de la production d’hydrogène

Méthode permettant de comparer les émissions de gaz à effet de serre de bout en bout du cycle de vie de l’hydrogène, de la source d’énergie primaire jusqu’au produit énergétique livré.

Reformage du méthane à la vapeur

Procédé par lequel le méthane provenant du gaz naturel est chauffé à l’aide de la vapeur, habituellement avec un catalyseur, pour produire un mélange de monoxyde de carbone et d’hydrogène.

Captage et séquestration de carbone

Procédé consistant à capter le dioxyde de carbone d’installations (y compris d’applications industrielles et énergétiques), à le compresser et à le transporter afin qu’il soit stocké de façon permanente dans des formations géologiques sous terre (par exemple, des aquifères salins ou des réservoirs de pétrole).

Électrolyse

Procédé consistant à utiliser l’électricité pour séparer l’eau en hydrogène et en oxygène.

Mégatonne d’équivalent en dioxyde de carbone

Quantité de gaz à effet de serre qui a le même potentiel de réchauffement qu’un million de tonnes (une mégatonne) de dioxyde de carbone sur une période donnée.

Captage, utilisation et stockage du carbone

Processus de captage et de séquestration du carbone lorsque le dioxyde de carbone capté est utilisé pour créer des produits (par exemple, du béton et des combustibles synthétiques à faible teneur en carbone) ou stocké dans des formations géologiques sous terre.

Source : Commissaire à l’environnement et au développement durable, Le potentiel de l’hydrogène pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, rapport 3 des Rapports de 2022 du commissaire à l’environnement et au développement durable, « Définitions ».

Constats et recommandations

Le potentiel de l’hydrogène pour réduire les émissions a été surestimé

Pour éclairer les options stratégiques, RNCan a retenu l’approche de la filière du combustible, la filière représentant le parcours de l’énergie depuis son état initial de ressource naturelle brute jusqu’à son état de combustible raffiné[14]. Le Ministère « a réalisé des exercices de modélisation afin d’avoir une idée du rôle que l’hydrogène pourrait jouer dans la décarbonisation du système énergétique canadien et de l’ampleur que pourrait représenter la demande en hydrogène[15] ». Il a exploré les deux scénarios suivants :

  • le scénario graduel : Il s’agit d’une modélisation de la demande agrégée ascendante fondée sur le maintien du statu quo, c’est‑à‑dire sur des technologies et des règlements connus de même que sur des politiques peu contraignantes. Ce scénario présente une adoption plus lente et une demande en hydrogène minimale;
  • le scénario transformateur : Il s’agit d’un modèle audacieux qui suppose que les règlements futurs, les avancées technologiques et les taux d’adoption les plus favorables seront en place pour atteindre la carboneutralité d’ici 2050[16].

Selon le scénario transformateur, l’hydrogène permettrait de réaliser jusqu’à 15 % des réductions d’émissions nécessaires pour atteindre la cible de 2030. Le Commissaire a cependant constaté que, dans l’un de ses rapports sur la demande croissante en hydrogène, le Ministère estimait qu’en 2030, l’hydrogène ne contribuerait à l’atteinte des cibles de 2030 et de 2040 qu’à hauteur de 0,5 % et de 5,5 % respectivement. RNCan n’a pas trouvé cette projection convaincante et a choisi d’adopter des chiffres plus ambitieux dans la modélisation de la Stratégie canadienne pour l’hydrogène[17].

Le CEDD a constaté qu’il était présumé, dans la Stratégie canadienne pour l’hydrogène, que plusieurs mesures et politiques provinciales seraient en vigueur dans toutes les provinces. Par exemple, RNCan « a proposé l’idée d’un mélange dans le gaz naturel qui s’appliquerait à l’hydrogène et dans toutes les provinces. Cependant, si la Norme sur les combustibles propres est adoptée telle quelle, l’exclusion des carburants gazeux proposée ne soutiendra pas l’élargissement du mandat de mélange à d’autres provinces. La norme proposée favoriserait le mélange pour les liquides, mais pas le mélange d’hydrogène dans le gaz naturel[18]. » En outre, la Stratégie supposait que :

  • les exigences relatives aux véhicules à zéro émission qui ne s’appliquent qu’à la Colombie-Britannique et au Québec seraient adoptées de façon similaire par toutes les provinces;
  • le gouvernement fédéral mettrait en œuvre un règlement relatif aux autobus à zéro émission semblable à celui en vigueur en Californie[19].

Le rapport a conclu que ces « hypothèses sont non fondées parce qu’elles ne sont appuyées ni par des politiques provinciales ni par des politiques fédérales[20] ».

Le Commissaire a également relevé :

  • des hypothèses irréalistes quant aux faibles coûts de production;
  • des coûts de l’infrastructure de soutien non pris en compte;
  • des hypothèses trop ambitieuses quant à l’adoption de technologies[21].

Par exemple, au moment d’évaluer les possibilités de production d’hydrogène par électrolyse, RNCan a supposé un prix de l’électricité très faible dans toutes les provinces. Plus précisément, il « a utilisé un prix de l’électricité de 40 $ par mégawattheure pour l’ensemble des provinces. Ce prix était nettement inférieur aux prix récents observés dans les provinces canadiennes en 2020, qui allaient de 52 $ à 124 $ par mégawattheure pour les gros consommateurs. C’est donc dire que le Ministère a surestimé la possibilité de produire de l’hydrogène à faible coût par électrolyse[22]. »

Par conséquent, le CEDD a recommandé que RNCan réalise « une modélisation exhaustive ascendante pour l’utilisation de l’hydrogène. Cette modélisation devrait tenir compte des éléments suivants :

  • les gains d’efficacité en matière de réduction d’émissions par secteur (les coûts de réduction d’émissions par mégatonne d’équivalent en dioxyde de carbone);
  • les combustibles de rechange (par exemple, biocarburants, électrification, systèmes de crédits);
  • le déploiement réalisable des technologies et des infrastructures de soutien[23]. »

Dans son Plan d’action détaillé, RNCan a souscrit à cette recommandation et a reconnu « que la modélisation entreprise n’a pas inclus un coût précis par tonne, étant donné que l’accent a été mis sur le plein potentiel d’utilisation de l’hydrogène dans l’ensemble de l’économie, par opposition à une focalisation sur le coût et les répercussions d’une mesure particulière ou d’une combinaison de mesures particulière[24] ». Il s’est alors engagé à ce que :

  • la modélisation de l’ensemble du potentiel économique et environnemental de l’utilisation de l’hydrogène dans de multiples secteurs de l’économie canadienne soit mise à jour pour inclure les données les plus complètes disponibles. Cette modélisation sera rendue publique par la publication du premier rapport d’étape bisannuel sur la mise en œuvre de la Stratégie sur l’hydrogène (indiqué en réponse à la recommandation 3.35);
  • la modélisation soit mise à jour d’ici le 31 décembre 2022, puis de nouveau au plus tard le 31 décembre 2024, qu’elle continue d’être mise à jour tous les deux ans et diffusée dans l’ensemble du gouvernement du Canada, et que les résultats continuent d’être rendus publics[25].

Au cours de l’audience, plusieurs questions ont été posées pour déterminer si RNCan avait surestimé le potentiel de l’hydrogène dans la stratégie du gouvernement en la matière. En réponse, John Hannaford, sous-ministre de RNCan, a indiqué ce qui suit :

Nous nous sommes livrés à un exercice très ciblé visant à évaluer le plein potentiel de l’hydrogène à un moment précis. C’est ainsi que nous en sommes arrivés aux chiffres que nous avons cités. Nous voulions que ce soit une incitation à agir. L’effort d’analyse se limitait à déterminer le plein potentiel de cette technologie.
Nous continuons d’approfondir la question. Nous avons formé différents comités pour tirer parti de l’expertise disponible notamment au sein du secteur privé — le tout en collaboration avec les provinces et les territoires — pour nous assurer de mieux comprendre cette technologie, son évolution et les possibilités qu’elle offre. Nous publierons ainsi l’an prochain un rapport de mise à jour qui présentera notre évaluation actualisée du potentiel de cette technologie[26].

En mars 2023, Ressources naturelles Canada a fourni au Comité une copie de sa modélisation complète et actualisée, basée sur les trois scénarios suivants :

Neutre sur le plan technologique — un scénario de base avec des paramètres reflétant une approche neutre au niveau de la gamme des valeurs disponibles dans la littérature. Par rapport à la modélisation originale réalisée dans le cadre de la Stratégie canadienne pour l’hydrogène, ce scénario pourrait être considéré comme le plus proche du scénario « graduel ».
Favorable à l’hydrogène — un scénario montrant les résultats si des conditions plus favorables à l’hydrogène étaient réunies, comme une baisse des coûts, un soutien politique plus important ou des innovations technologiques. Par rapport à la modélisation originale réalisée dans le cadre de la Stratégie canadienne pour l’hydrogène, ce scénario pourrait être considéré comme le plus proche du scénario « transformateur ».
Défavorable à l’hydrogène — un scénario montrant les résultats si des conditions moins favorables à l’hydrogène étaient réunies, comme moins de réductions des coûts au fil du temps, ou d’autres limitations politiques ou technologiques. Il n’y a pas d’équivalent à ce scénario dans la Stratégie canadienne pour l’hydrogène[27].

En outre, l’analyse « explore également des scénarios hypothétiques spécifiques basés sur l’évolution du marché depuis la publication de la stratégie pour l’hydrogène. Ces scénarios étudient notamment l’impact de niveaux importants d’exportation d’hydrogène, d’une plus grande utilisation de l’hydrogène pour le chauffage des bâtiments et d’une plus grande conversion de l’infrastructure de gaz naturel vers l’hydrogène[28]. »

À la lumière des nouvelles informations de modélisation détaillées du département, le Comité n'émet pas de recommandation dans ce domaine.

Entre autres recommandations, le CEDD était d’avis qu’en « se fondant sur la modélisation mise à jour, Ressources naturelles Canada, en partenariat avec les parties prenantes intéressées, devrait publier une feuille de route pour le développement du marché de l’hydrogène afin de surveiller les progrès et les résultats du déploiement de l’hydrogène au Canada[29] ».

Dans son plan d’action, le Ministère a adhéré à cette recommandation et expliqué qu’il « fait déjà avancer les travaux sur les plans directeurs en partenariat avec les provinces et territoires et les principaux intervenants » et qu’il « a apporté un soutien technique et financier à l’élaboration de plusieurs stratégies régionales qui ont été publiées ou sont en cours d’élaboration, notamment celles de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, de l’Ontario, du Québec et de la région de l’Atlantique[30] ». En outre, il a souligné qu’il « travaille également à l’élaboration du cadre de rapport pour le rapport d’étape biennal, qui permettra de suivre les progrès réalisés à l’égard des recommandations énoncées dans la Stratégie canadienne pour l’hydrogène ainsi que les données et les analyses de marché liées à la croissance prévue au Canada et dans le monde[31] », et s’est engagé à atteindre les jalons suivants :

  • Des plans régionaux devront être publiés pour les principales administrations d’ici le 1er avril 2023;
  • Le premier rapport d’étape bisannuel sur la mise en œuvre de la Stratégie sur l’hydrogène devra être publié d’ici le 1er avril 2023[32].

Le rapport d’étape « comprendra des mesures clés relatives à l’état de la production, de la distribution et de l’utilisation finale de l’hydrogène dans de multiples secteurs de l’économie canadienne, ainsi que pour l’exportation. Il fera également le suivi des progrès réalisés à l’égard des 32 recommandations énoncées dans la Stratégie canadienne sur l’hydrogène et présentera l’état d’avancement de la production, de la distribution et du déploiement de l’hydrogène dans d’autres juridictions clés du monde, afin de servir de comparaison avec la situation au Canada[33]. »

Lors de l’audience, quand on lui a demandé si cette approche ressemblait à celles des autres organismes fédéraux qui s’intéressent aux technologies propres et si elle devait inclure des indicateurs de l’adhésion des consommateurs et de l’industrie (p. ex. leur volonté à adopter l’hydrogène et à mettre en œuvre cette technologie), Sébastien Labelle, de RNCan, a répondu :

Oui, absolument. Notre réflexion sur le plein potentiel de l’hydrogène dans ce contexte doit se faire en collaboration avec les intervenants du secteur qui effectuent des investissements, qui achètent de l’hydrogène et qui en génèrent. J’imagine que cette approche s’inscrit tout à fait dans une collaboration éventuelle avec d’autres secteurs de l’économie et de l’énergie.
[…]
Prenons l’exemple de notre Fonds pour les carburants propres, qui comprend un volet de sensibilisation. Nous offrons un peu de financement pour sensibiliser la population et raffermir la confiance dans des carburants comme l’hydrogène et d’autres carburants propres[34].

Par conséquent, le Comité recommande :

Recommandation 1 — Une feuille de route pour le développement du marché

Que, d'ici le 31 mai 2024, sur la base de la modélisation mise à jour, Ressources naturelles Canada (en partenariat avec les parties prenantes intéressées) fournisse au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes un rapport d'étape détaillé sur la publication d'une feuille de route pour le développement du marché de l'hydrogène afin de suivre les progrès et les résultats du déploiement et de l’adoption des technologies de l'hydrogène au Canada.

Des approximations inadéquates utilisées pour modéliser le potentiel de l’hydrogène

ECCC s’est servi d’une approximation inadéquate pour modéliser la demande potentielle en hydrogène dans le plan Un environnement sain et une économie saine, puis pour commenter la Stratégie canadienne pour l’hydrogène. Cette variable approximative (correspondant à une obligation de mélanger de l’hydrogène au gaz naturel) ne reposait sur aucune politique provinciale ou fédérale existante; par ailleurs, elle était désavantageuse sur le plan économique, compte tenu de la tendance actuelle de la tarification du carbone. Les faiblesses de la variable utilisée font douter du caractère plausible et réalisable de cette voie de réduction des émissions[35].

Dans ce type de modélisation énergétique, il existe deux mécanismes principaux pour intégrer la production d’hydrogène dans le bouquet énergétique, soit :

  • l’approche concurrentielle fondée sur la dynamique du marché, lorsque la technologie de production la moins coûteuse répond à la demande d’hydrogène ou que les subventions directes à l’hydrogène sont suffisantes pour rendre la technologie de l’hydrogène efficiente. Cette approche nécessite toutefois que l’on formule des hypothèses quant au coût de production et au niveau de subvention, et à l’incidence de ces facteurs sur l’offre et la demande d’hydrogène;
  • l’approche réglementaire, lorsque l’incorporation d’hydrogène dans le gaz naturel est rendue obligatoire et que l’on suppose donc un remplacement, du moins partiel, du gaz naturel par l’hydrogène. La modélisation aide alors à déterminer les technologies les moins coûteuses pour produire l’hydrogène nécessaire au respect des exigences[36].

Dans sa modélisation de la filière, ECCC a présumé que tous les acheteurs actuels de gaz naturel devraient passer à un mélange de gaz naturel contenant 7,3 % d’hydrogène. Or, le Commissaire a constaté que cette formule d’adoption obligatoire de l’hydrogène donnait une fausse idée du rôle éventuel des autres options de mélange (p. ex. un mélange de gaz naturel renouvelable et de gaz naturel). La modélisation impose donc, de fait, une substitution vers un mélange d’hydrogène et de gaz naturel, même si d’autres types de mélanges et de combustibles pourraient s’avérer plus économiques[37].

Par ailleurs, le CEDD a constaté que le plan Un environnement sain et une économie saine attribuait seulement une demande limitée en hydrogène au secteur des transports, puisque celui‑ci utilisait peu de gaz naturel. Cette approche « ne concorde pas avec la Stratégie canadienne pour l’hydrogène publiée par Ressources naturelles Canada dans laquelle il est indiqué que l’hydrogène peut être utilisé dans les transports. Ainsi, la modélisation de l’hydrogène à l’aide d’un indicateur de 7,3 % de mélange d’hydrogène et de gaz naturel pourrait fausser les projections quant aux choix des entreprises et des consommatrices et consommateurs entre les combustibles existants, l’hydrogène et d’autres carburants à faible teneur en carbone et fausser la part respective de chaque combustible dans le système énergétique[38]. »

S’il semblait réalisable, sur le plan technique, d’injecter 7,3 % d’hydrogène dans certains réseaux de gaz naturel, cette avenue s’est révélée économiquement non viable. Par exemple, selon une analyse fournie à RNCan, une tarification du carbone plus rigoureuse d’au moins 500 $ par tonne serait requise pour encourager les entreprises à adopter un mélange d’une telle concentration. De plus, le gaz naturel, puisqu’il s’agit d’un combustible gazeux, était exclu de la récente Norme sur les combustibles propres proposée par ECCC. Il « était contradictoire de présumer que les fournisseurs de services publics procéderaient à un tel mélange puisqu’il n’est pas économique pour eux de le faire à l’heure actuelle et qu’il en sera de même lorsque le prix du carbone atteindra 170 $ par tonne d’équivalent en dioxyde de carbone en 2030[39] ».

Enfin, l’hypothèse d’ECCC concernant un taux de mélange de 7,3 % supposait une capacité accrue en matière de captage, d’utilisation et de stockage du carbone, étant donné que le gaz naturel serait principalement mélangé avec de l’hydrogène bleu. Or, « dans son plan Un environnement sain et une économie saine, le Ministère avait projeté qu’en 2030, la capacité annuelle du Canada en matière de captage, d’utilisation et de stockage du carbone serait de 57 mégatonnes, comparativement à la capacité actuelle qui est de 4 mégatonnes. Pour atteindre cette projection, une hausse importante de l’adoption et de l’utilisation des procédés de captage, d’utilisation et de stockage de carbone serait requise au cours de la présente décennie[40]. »

À la lumière de ces considérations, le CEDD a recommandé que, pour « assurer l’uniformité entre les ministères, Environnement et Changement climatique Canada, en collaboration avec les autres ministères fédéraux, [adopte] un cadre normalisé en vue d’évaluer l’incidence des politiques, des technologies propres et des combustibles proposés sur les émissions[41] ».

Dans son Plan d’action détaillé de gestion, le Ministère a indiqué qu’il acceptait cette recommandation et a expliqué que le « Centre d’expertise intégré de l’optique climatique récemment créé, situé à [ECCC], a pour mandat de veiller à ce que les principales décisions gouvernementales, notamment dans le cadre des processus budgétaires et ministériels, tiennent compte de l’atténuation et de l’adaptation au climat de manière rigoureuse, cohérente et, si possible, mesurable[42] ». Il s’est aussi engagé à dresser un inventaire des approches fédérales en matière de modélisation des émissions et à définir des orientations pour l’évaluation des impacts des politiques et des programmes pertinents sur les émissions[43].

Lors de l’audience, Derek Hermanutz, directeur général à ECCC, a expliqué que « l’ensemble du gouvernement est responsable d’élaborer l’analyse politique et les projections qui sont incorporées dans les plans climatiques. Environnement et Changement climatique Canada, ou ECCC, coordonne le processus. » Il a également indiqué que :

Les projections sont effectuées pour représenter les politiques existantes du gouvernement. Elles sont réalisées en coordination avec d’autres ministères fédéraux, comme la sous-ministre l’a dit, y compris au ministère de l’Agriculture, à Ressources naturelles Canada et au ministère des Transports. Le résultat final est qu’Environnement et Changement climatique Canada modélise l’ensemble des mesures et estime quelles seront les répercussions globales sur les réductions d’émissions pour le Canada[44].

Par conséquent, le Comité recommande :

Recommandation 2 — Un cadre normalisé

Que, d'ici le 31 mai 2024, pour améliorer la cohérence entre les ministères, Environnement et Changement climatique Canada (en consultation avec d'autres ministères fédéraux) fournisse au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes un rapport d'étape détaillé sur l'adoption d'un cadre normalisé pour estimer les répercussions des politiques, des technologies propres et des carburants proposés sur les émissions.

Des plans étayés sur des politiques qui n’ont pas été annoncées

Le CEDD a constaté que le plan Un environnement sain et une économie saine d’ECCC s’appuyait sur des mesures n’ayant pas été mises en œuvre et sur des politiques dépourvues du soutien législatif ou financier nécessaire, comme si elles étaient déjà en place. Il s’agissait, par exemple :

  • d’un incitatif fiscal semblable à la mesure 45Q adoptée aux États‑Unis pour le captage, l’utilisation et le stockage du carbone — une telle mesure fiscale n’avait pas encore été annoncée au Canada au moment de la publication du plan Un environnement sain et une économie saine et n’était toujours pas au point au moment de l’audit;
  • du pourcentage approximatif de 7,3 % d’hydrogène mélangé au gaz naturel, qui a été utilisé pour représenter la demande en hydrogène — ce pourcentage ne s’appuyait sur aucune réglementation provinciale ou fédérale en la matière;
  • de la Norme sur les combustibles propres — cette norme à venir, qui n’est pas encore au point, a évolué au cours des dernières années et, au moment de l’audit, elle ne tenait compte que des combustibles liquides[45].

Le CEDD a aussi constaté que « le plan Un environnement sain et une économie saine présentait une liste de politiques, de programmes et de stratégies gouvernementaux qui visaient à appuyer l’atteinte de la cible de réduction des émissions du Canada. Toutefois, le plan ne faisait pas la distinction entre les politiques et mesures existantes et celles qui n’avaient pas encore été annoncées ou mises en œuvre[46]. » En ce sens, ECCC a manqué de transparence dans la présentation de sa modélisation. En outre, malgré le fait que le plan Un environnement et une économie saine comportait un scénario de référence et un scénario actualisé tenant compte d’initiatives annoncées, le document ne présentait aucune liste claire et exhaustive des hypothèses retenues pour chaque scénario. Au contraire, il mentionnait seulement des hypothèses générales et vagues, ce qui a empêché la tenue d’un débat public éclairé sur les choix stratégiques[47].

Par ailleurs, si le commissaire a obtenu d’ECCC une liste complète des hypothèses sous-jacentes aux deux scénarios, il a constaté que le Ministère s’était appuyé sur des hypothèses exagérément optimistes lors de sa modélisation des mesures requises pour atteindre la cible de réduction des émissions de 30 % d’ici 2030[48].

Enfin, le CEDD a déterminé qu’ECCC avait utilisé des fonds ciblés pour appuyer des politiques ou des secteurs particuliers sans avoir publié d’estimations des réductions d’émissions attendues. Par exemple, « le Ministère n’avait pas encore effectué d’exercice de modélisation de l’incidence sur les émissions des 5 milliards de dollars prévus dans le cadre de l’initiative Accélérateur net zéro du Fonds stratégique pour l’innovation, qui avait été annoncée dans le budget de 2021[49] ».

Par conséquent, le CEDD a recommandé que, pour accroître la transparence de ses projections d’émissions, ECCC établisse et publie les résultats des scénarios. Ces résultats devraient :

  • comprendre une liste détaillée des mesures et des hypothèses envisagées;
  • faire clairement la distinction entre, d’une part, les scénarios fondés sur les politiques et les mesures existantes et, d’autre part, les scénarios exploratoires qui intègrent des politiques et des mesures proposées ou ambitieuses[50].

Bien qu’ECCC ait accepté cette recommandation dans son Plan d’action détaillé de gestion, il a également indiqué qu’elle « est conforme à la pratique actuelle d’[ECCC]. Les projections d’émissions de GES [établies par ECCC] sont publiées conformément aux normes internationales qui exigent une distinction claire entre les initiatives existantes et les initiatives prévues. [ECCC] modélise et publie deux scénarios de GES : le scénario “de référence” », fondé sur les politiques et les mesures fédérales, provinciales et territoriales financées, adoptées par voie législative et mises en œuvre, et le scénario « avec mesures supplémentaires », qui fait fond sur le scénario de référence et y ajoute les politiques planifiées. Les directives internationales de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) pour la production de rapports sont disponibles en ligne :

  • Directives pour l’établissement des communications nationales des Parties visées à l’annexe I de la Convention, deuxième partie : Directives CCNUCC pour l’établissement des communications nationales (l’annexe commence à la p. 35, et la section VI, « Projections », se trouve à la p. 41, paragr. 26);
  • Directives CCNUCC pour l’établissement des rapports biennaux des pays développés parties (l’annexe I commence à la p. 34, et la section V, « Projections », se trouve à la p. 36)[51].

Le Ministère a ajouté qu’il « continuera à suivre les directives de la CCNUCC en matière de rapports en délimitant clairement les politiques et mesures qui ont été mises en œuvre et ont reçu un soutien législatif et financier de celles qui n’ont pas encore été mises en œuvre, légiférées ou financées ». (Les dates varieront en fonction des échéances de la CCNUCC ou des délais prescrits par la loi. Le prochain rapport sera la huitième communication nationale du Canada et le cinquième rapport biennal à la CCNUCC, attendus à la fin de 2022[52].)

Lors de l’audience, quand elle a été invitée à expliquer les écarts entre les hypothèses et les faits (présentés dans l’audit), Christine Hogan, sous-ministère, ECCC, a répondu :

Pour la modélisation des émissions aux fins des plans climatiques du Canada et l’évaluation des progrès réalisés dans l’atteinte des cibles de réduction des émissions de notre pays, le ministère suit les lignes directrices établies en la matière à l’échelle mondiale. En pareil cas, le ministère procède à une modélisation permettant d’estimer les réductions d’émissions associées à l’ensemble des mesures contenues dans les différents plans. C’est ce que nous avons fait avec notre plan climatique renforcé ainsi qu’avec le plan de réduction des émissions rendu public en mars dernier. Cette façon de faire est conforme aux lignes directrices sur la présentation de rapports établies dans la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques[53].

Derek Hermanutz a ajouté ce qui suit :

Le Canada s’en remet pour cette modélisation au cadre de comptabilisation et aux lignes directrices de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques qui autorisent deux scénarios différents. Il y a d’abord le scénario de référence qui tient compte des politiques établies par des lois, mises en œuvre ou financées. C’est l’analyse de base que nous effectuons […] conformément aux modalités établies dans la Convention-cadre. Il s’agit donc des mesures qui sont mises en œuvre en application d’une loi et bénéficient d’un financement en conséquence.
La Convention-cadre autorise en outre le recours à un scénario avec mesures additionnelles. C’est ce qui permet aux différents pays d’estimer les impacts des politiques qui ont été annoncées, mais qui ne sont pas encore entièrement financées ou mises en œuvre[54].

Nonobstant ce qui précède, pour veiller à ce que la modélisation du cadre stratégique relatif à l’hydrogène réponde aux préoccupations soulevées par l’audit, le Comité recommande :

Recommandation 3 — De meilleurs scénarios aux fins d’analyse

Que, d'ici le 31 mai 2024, Environnement et Changement climatique Canada fournisse au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes un rapport d'étape détaillé sur l'élaboration et la publication des résultats des scénarios qui

  • A)     comprenne une liste détaillée des mesures et des hypothèses prises en compte ;
  • B)     établisse une distinction claire entre
    • (1)   les scénarios fondés sur les politiques et mesures existantes;
    • (2)   les scénarios exploratoires qui comprennent des politiques et mesures proposées ou ambitieuses; et
  • C)      inclus la source des données utilisées pour les « scénarios » ci-haut).

Le CEDD a aussi recommandé que, pour « mieux éclairer le processus décisionnel, Environnement et Changement climatique Canada, de concert avec Ressources naturelles Canada, [améliore] ses modélisations de la voie à suivre en se servant d’hypothèses raisonnables, efficientes et réalisables sur le plan technique[55] ».

Dans son Plan d’action détaillé de gestion, le Ministère s’est dit d’accord avec cette recommandation et s’est engagé à mettre en œuvre « un processus avec Ressources naturelles Canada et d’autres ministères, au besoin, pour créer une liste permanente de technologies émergentes ou en évolution rapide (p. ex. captage, utilisation et stockage du carbone, hydrogène, technologies de réduction du méthane, solvants des sables bitumineux, etc.) qui pourraient avoir des répercussions importantes sur les résultats des modèles utilisés dans les projections nationales des émissions de GES, avec les coûts et les paramètres techniques connexes[56] », à compter de l’hiver 2023.

Lors de l’audience, en réponse à une question sur les responsables de l’élaboration de ces pistes de solutions, Christine Hogan a expliqué ce qui suit :

Le plan climatique renforcé et le plan de réduction des émissions qui ont suivi en mars sont extrêmement exhaustifs. Ils couvrent une multitude de secteurs de l’économie et, par conséquent, sont le fruit d’un travail détaillé réalisé à l’interne dans les ministères, puis ils ont été élaborés collectivement à l’échelle du gouvernement.
De toute évidence, [ECCC] travaille en étroite collaboration avec nos ministères partenaires, que ce soit Transports Canada dans le secteur des transports, Ressources naturelles Canada dans les enjeux liés à l’énergie et aux ressources naturelles, ou d’autres ministères. Beaucoup d’efforts détaillés sont déployés pour compiler ces plans et [en arriver à une vision pangouvernementale][57].

Par conséquent, le Comité recommande :

Recommandation 4 — Une meilleure modélisation de la voie à suivre

Que, d'ici le 31 mai 2024, afin de mieux éclairer la prise de décision, Environnement et Changement climatique Canada (en coordination avec Ressources naturelles Canada) fournisse au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes un rapport d'étape détaillé sur l’amélioration de sa modélisation des voies à suivre, en utilisant des hypothèses raisonnables, efficientes et techniquement réalisables.

Un contrôle de la qualité et un examen limités

Le CEDD a constaté qu’ECCC s’était doté d’un cadre limité par lequel ses principaux modèles étayant les décisions relatives aux politiques de décarbonisation étaient soumis à l’examen de pairs et de parties prenantes et à un contrôle de la qualité[58].

Une constatation additionnelle

En 2014, le Bureau du vérificateur général du Canada a réalisé un audit des méthodes utilisées pour estimer les futures émissions de gaz à effet de serre du Canada et en faire rapport. Il avait alors recommandé à Environnement Canada de prendre des mesures pour améliorer l’examen externe de son cadre de modélisation des changements climatiques, et ce, afin de renforcer ses méthodes de contrôle de la qualité et d’accroître sa transparence. De l’avis du CEDD, bien que des progrès aient été réalisés à certains égards, cette recommandation de 2014 reste pertinente.

Source : Commissaire à l’environnement et au développement durable, Le potentiel de l’hydrogène pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, rapport 3 des Rapports de 2022 du commissaire à l’environnement et au développement durable, paragr. 3.67.

ECCC « consultait chaque année les provinces, les territoires et d’autres ministères fédéraux pour discuter des projections. Ainsi, il communiquait des données, des renseignements, des hypothèses et les résultats de ses modélisations pour expliquer les résultats des projections et pour mieux comprendre et refléter toutes les politiques provinciales[59]. »

En outre, le Ministère a fait savoir que les rapports Tendances en matière d’émissions au Canada et les articles savants produits par ses fonctionnaires au sujet des modèles étaient examinés par des pairs externes. Or, le CEDD a révélé qu’un seul des quatre modèles utilisés par le Ministère pour estimer les émissions a fait l’objet d’un examen par les pairs en 2018. Le commissaire a aussi constaté que les experts-conseils avaient examiné une série de questions prédéterminées[60].

Si ECCC estimait que ces examens étaient suffisants pour conclure que sa modélisation était acceptable, le CEDD était plutôt d’avis que « la rigueur et la transparence de ces examens étaient insuffisantes comparativement aux pratiques d’autres administrations. Par exemple, certaines administrations ont pour pratique de demander à une autre organisation de choisir les pairs qui mèneront l’examen, disposent d’un cadre pour éviter les conflits d’intérêts et publient sur le Web les examens du cadre de modélisation réalisé par des pairs[61]. »

Par conséquent, le CEDD a recommandé que, pour « améliorer la qualité et la transparence de sa modélisation climatique ainsi que la confiance à l’égard de celle‑ci, Environnement et Changement climatique Canada [établisse] un cadre d’examen officiel selon lequel sa modélisation ferait l’objet :

  • d’un examen approfondi par des pairs;
  • de consultations officielles auprès de parties prenantes;
  • d’un contrôle d’assurance de la qualité officiel périodique;
  • d’un examen public[62] ».

Dans son Plan d’action détaillé de gestion, le Ministère a indiqué qu’il acceptait cette recommandation. Il a aussi ajouté qu’en « plus des mesures existantes de consultation, d’examen et de transparence, ECCC examinera les mesures supplémentaires qui pourraient être nécessaires pour garantir que le processus de modélisation reste adapté et fiable en examinant les meilleures pratiques internationales et en consultant des experts en modélisation. Les détails de l’approche seront déterminés sur la base de ces consultations[63]. » Par ailleurs, il s’est engagé à réaliser ce qui suit :

  • Les projections d’émissions seront publiées chaque année après une consultation approfondie des parties prenantes;
  • Un processus dirigé par des experts sera organisé afin d’obtenir des conseils indépendants en vue d’améliorer le régime de modélisation actuel et de jeter les bases des futurs plans de réduction des émissions et des rapports d’étape;
  • Les données détaillées qui sous-tendent les projections seront publiées sur le portail de données ouvertes du gouvernement du Canada;
  • Les processus d’examen international des communications nationales et des rapports biennaux du Canada par les équipes d’experts de la CCNUCC seront appuyés.
  • (Dans le cas du processus dirigé par des experts en vue d’obtenir des conseils indépendants, l’achèvement est prévu à l’automne 2023; les autres mesures sont « en cours ».)[64]

Lors de l’audience, Christine Hogan a déclaré :

[J]’aimerais souligner que le plan de réduction des émissions publié en mars comprend une annexe extrêmement détaillée sur la modélisation. Il s’agit d’un domaine très complexe. Nous faisons de notre mieux pour expliquer le processus de modélisation appliqué aux plans climatiques.
[…]
nous acceptons les recommandations du commissaire. De fait, le plan de réduction des émissions comprend aussi un engagement concernant l’organisation d’un processus dirigé par des experts qui nous permettra de faire le point et de continuer à améliorer notre processus de modélisation. Cet engagement se trouve également dans notre plan d’action de la direction[65].

Par conséquent, le Comité recommande :

Recommandation 5 — Une modélisation améliorée des changements climatiques

Que, d'ici le 31 mai 2024, pour améliorer la qualité, la transparence et la confiance dans la modélisation du changement climatique, Environnement et Changement climatique Canada fournisse au Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes un rapport d'étape détaillé sur l'élaboration d'un cadre d'examen officiel dans lequel sa modélisation serait soumise à un examen approfondi par les pairs, à des consultations officielles auprès des parties prenantes, à un contrôle d’assurance de la qualité périodique et à un examen public.

Conclusion

Le Comité conclut qu’Environnement et Changement climatique Canada et Ressources naturelles Canada ont modélisé le rôle que pourrait jouer l’hydrogène pour aider le Canada à réaliser ses engagements climatiques. Cependant, RNCan a surestimé le potentiel de l’hydrogène en matière de décarbonisation, tandis qu’ECCC a utilisé une variable approximative inadéquate pour le modéliser. En outre, la modélisation présentée par ECCC dans Un environnement sain et une économie saine reposait sur des politiques qui n’avaient toujours pas été mises en œuvre.

De plus, le Commissaire a noté que « les approches en matière d’évaluation du rôle que l’hydrogène devrait jouer dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre d’Environnement et Changement climatique Canada et de Ressources naturelles Canada différaient. Environnement et Changement climatique Canada s’attendait à atteindre une réduction de 15 mégatonnes d’équivalent en dioxyde de carbone en 2030, alors que cette réduction atteignait jusqu’à 45 mégatonnes selon les prévisions de la Stratégie canadienne pour l’hydrogène publiée par Ressources naturelles Canada[66]. »

Enfin, le plan était fondé sur quelques hypothèses trop optimistes, ce qui a jeté le doute sur sa crédibilité et sa capacité à permettre au Canada d’atteindre ses objectifs de réduction des émissions à l’horizon 2030.

Dans le présent rapport, le Comité a formulé cinq recommandations afin d’aider le gouvernement du Canada à améliorer la gestion de sa stratégie et de ses plans liés à l’hydrogène.


[1]              Commissaire à l’environnement et au développement durable (CEDD), Le potentiel de l’hydrogène pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, rapport 3 des Rapports de 2022 du commissaire à l’environnement et au développement durable, Survol.

[2]              CEDD, Le potentiel de l’hydrogène pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, rapport 3 des Rapports de 2022 du commissaire à l’environnement et au développement durable, paragr. 3.1.

[3]              Ibid. Pour plus d’information sur les piles à hydrogène et « l’économie de l’hydrogène », voir : Dillan Theckedath, Le point sur l’économie de l’hydrogène, Étude générale, Bibliothèque du Parlement, février 2010.

[4]              CEDD,Le potentiel de l’hydrogène pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, rapport 3 des Rapports de 2022 du commissaire à l’environnement et au développement durable, paragr. 3.2.

[5]              Ibid., paragr. 3.3.

[6]              Ibid., paragr. 3.4.

[7]              Ibid., paragr. 3.5.

[8]              Ibid.

[9]              Ibid., paragr. 3.6.

[10]            Ibid., paragr. 3.10.

[11]            Ibid., paragr. 3.11.

[12]            Ibid., paragr. 3.12. Le CEDD relève du Bureau du vérificateur général du Canada.

[13]            Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Témoignages, 1re session, 44e législature, 2 décembre 2022, réunion no 42.

[14]            CEDD,Le potentiel de l’hydrogène pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, rapport 3 des Rapports de 2022 du commissaire à l’environnement et au développement durable, paragr. 3.18.

[15]            Ibid., paragr. 3.22.

[16]            Ibid., paragr. 3.23.

[17]            Ibid., paragr. 3.27.

[18]            Ibid., paragr. 3.29.

[19]            Ibid., paragr. 3.29.

[20]            Ibid., paragr. 3.29.

[21]            Ibid., paragr. 3.31 à 3.33.

[22]            Ibid., para. 3.31.

[23]            Ibid., para. 3.34.

[24]            Ressources naturelles Canada (RNCan), Plan d’action détaillé, p. 1.

[25]            Ibid.

[26]            Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Témoignages, 1re session, 44e législature, 2 décembre 2022, réunion no 42, 1325.

[27]            Ressources naturelles Canada, Modélisation du potentiel de l’hydrogène dans plusieurs secteurs de l’économie canadienne (Mars 2023), document fourni au Comité et au Commissaire à l’environnement et au développement durable.

[28]            Ibid.

[29]            CEDD, Le potentiel de l’hydrogène pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, rapport 3 des Rapports de 2022 du commissaire à l’environnement et au développement durable, paragr. 3.35.

[30]            RNCan, Plan d’action détaillé, p. 2.

[31]            Ibid.

[32]            Ibid.

[33]            Ibid.

[34]            Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Témoignages, 1re session, 44e législature, 2 décembre 2022, réunion no 42, 1415.

[35]            CEDD,Le potentiel de l’hydrogène pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, rapport 3 des Rapports de 2022 du commissaire à l’environnement et au développement durable, paragr. 3.36.

[36]            Ibid., paragr. 3.39.

[37]            Ibid., paragr. 3.44.

[38]            Ibid.

[39]            Ibid., paragr. 3.49.

[40]            Ibid., paragr. 3.48.

[41]            Ibid., paragr. 3.50.

[42]            Environnement et Changement climatique Canada (ECCC), Plan d’action détaillé de gestion, p. 1.

[43]            Ibid.

[44]            Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Témoignages, 1re session, 44e législature, 2 décembre 2022, réunion no 42, 1340 et 1345.

[45]            CEDD, Le potentiel de l’hydrogène pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, rapport 3 des Rapports de 2022 du commissaire à l’environnement et au développement durable, paragr. 3.58.

[46]            Ibid., paragr. 3.59.

[47]            Ibid.

[48]            Ibid., paragr. 3.60.

[49]            Ibid., paragr. 3.63.

[50]            Ibid., paragr. 3.64.

[51]            ECCC, Plan d’action détaillé de gestion, p. 1 et 2.

[52]            Ibid.

[53]            Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Témoignages, 1re session, 44e législature, 2 décembre 2022, réunion no 42, 1335.

[54]            Ibid., 1340.

[55]            CEDD, Le potentiel de l’hydrogène pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, rapport 3 des Rapports de 2022 du commissaire à l’environnement et au développement durable, paragr. 3.65.

[56]            ECCC, Plan d’action détaillé de gestion, p. 3.

[57]            Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Témoignages, 1re session, 44e législature, 2 décembre 2022, réunion no 42, 1340.

[58]            CEDD, Le potentiel de l’hydrogène pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, rapport 3 des Rapports de 2022 du commissaire à l’environnement et au développement durable, paragr. 3.66.

[59]            Ibid., paragr. 3.68.

[60]            Ibid., paragr. 3.69.

[61]            Ibid., paragr. 3.70.

[62]            Ibid., paragr. 3.73.

[63]            ECCC, Plan d’action détaillé de gestion, p. 3 et 4.

[64]            Ibid.

[65]            Comité permanent des comptes publics de la Chambre des communes, Témoignages, 1re session, 44e législature, 2 décembre 2022, réunion no 42, 1405.

[66]            CEDD, Le potentiel de l’hydrogène pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, rapport 3 des Rapports de 2022 du commissaire à l’environnement et au développement durable, Paragr. 3.15.