PROC Rapport du Comité
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
Opinion dissidente du Bloc Québécois
« Tous les Présidents qui vous ont précédé avaient le défi de passer d'une fonction partisane, même parfois très partisane, à une fonction où on doit mettre les habits de la partisanerie au vestiaire et se draper dans l'impartialité. Je suis certain que vous saurez remplir ce rôle et que vous saurez faire preuve de l'impartialité qui permet à notre Parlement de faire de nobles travaux pour la population. Cette dernière n'attend rien de moins de nous. » (Alain Therrien, leader parlementaire, 3 octobre 2023)
Le Bloc Québécois tient à réitérer que la fonction de Président de la Chambre des Communes constitue un rôle fondamental au sein du Parlement canadien et que le Président doit incarner, tel un arbitre, l’impartialité, l’équité et le discernement. Ces attributs sont essentiels pour garantir la confiance, l’ordre et le décorum et pour assurer le bon déroulement des travaux législatifs au nom de la démocratie et de la confiance des Québécois et des Canadiens envers les élus et le Parlement en tant qu’assemblée législative les représentant.
Le Bloc Québécois trouve malheureux que les gestes posés par le Président Fergus, élu à la majorité le 3 octobre dernier à la suite d’une controverse, fassent encore une fois diversion aux affaires importantes du Parlement, soient celles de répondre aux enjeux qui touchent la population, notamment ceux en lien avec la conjoncture économique actuelle.
Le Bloc Québécois déplore le manque de jugement dont a fait preuve monsieur Fergus dans l’exercice de ses fonctions de Président en décidant d’adresser une vidéo pour rendre hommage à son ami, John Fraser, chef intérimaire du Parti libéral de l’Ontario lors de la course au leadership du parti, le 3 décembre 2023.
Le choix de prononcer un discours de remerciement dans le cadre d’un évènement partisan, en revêtant l’habit officiel de sa fonction de Président de la Chambre, dans les bureaux qu’il occupe pour effectuer cette charge et en utilisant les ressources de la Chambre pour exercer celle-ci, est une erreur de jugement incontestable de nature à remettre en doute son impartialité et d’ébranler la confiance des députés membres du Parlement.
Malgré le manque d’expérience dont s’est revendiqué monsieur Fergus lors de son témoignage devant le Comité permanent de la Procédure et des affaires de la Chambre le 11 décembre 2023, le Bloc Québécois conclut qu’en raison de la gravité de la faute et de l’erreur de discernement que le Président a commis, ainsi que des agissements cumulés dont il a fait preuve dans l’exercice de ses fonctions, celui-ci a perdu la confiance d’une grande partie de la Chambre composée d’au moins 149 députés (du Bloc Québécois et du PCC).
Bien que le Bloc Québécois ait de bonne foi accordé sa confiance à monsieur Fergus lors de son élection le 3 octobre 2023, plusieurs considérations sont venues consolider le doute du Bloc Québécois quant à la capacité de celui-ci à accomplir adéquatement la fonction de Président de la Chambre, dans le respect de la tradition et des usages du Parlement en tant qu’institution démocratique de type britannique.
Le Bloc Québécois avait d’emblée avisé monsieur Fergus de la nécessité de faire preuve d’exemplarité et d’exercer son rôle de Président avec toute la hauteur et le discernement qui s’imposent compte tenu de la crise que venait de traverser la présidence. Malgré cette demande du Bloc Québécois, le Président Fergus a agi à l’opposé de cette recommandation quelques semaines seulement après avoir débuté son mandat.
Partialité et erreur de discernement
- 1. Vidéo partisane à titre de Président
Pour le Bloc Québécois, monsieur Fergus a démontré de plusieurs façons qu’il n’était pas à la hauteur de ce que les députés sont en droit d’exiger d’un Président en termes de capacité de discernement dans l’exercice de sa charge. En plus d’avoir enregistré une vidéo dans laquelle il rend hommage à un ami lors d’un évènement partisan a titre de Président de la Chambre, monsieur Fergus a affirmé devant le Comité qu’il n’avait, ni fait valider sa décision de rendre hommage en sa qualité de Président, ni demandé conseils auprès de l’équipe chargée de l’assister dans l’exercice de ses fonctions de Président. Sur cette question, monsieur Éric Janse, greffier de la Chambre des Communes à confirmer que le Président ne lui avait pas demander son avis avant d’enregistrer son témoignage et de l’envoyer au destinataire pour diffusion. Ceci nous apparaît être une manifestation flagrante d’un manque de jugement et de discernement de la part du Président. Nouvellement nommé Président, monsieur Fergus aurait dû prendre toutes les mesures qui s’imposent pour évaluer le risque de déroger à son devoir d’impartialité et pour confirmer que sa décision était adéquate dans les circonstances.
Cette situation nous apparait d’autant plus problématique puisque, selon la réponse donnée par monsieur Janse au Bloc Québécois, le Président doit être impartial en tout temps et non seulement lorsqu’il est assis sur le fauteuil à exercer sa fonction[1]. Il est donc justifié selon le Bloc Québécois d’affirmer que les agissements de monsieur Fergus peuvent créer un précédent dangereux qui risque d’abaisser considérablement l’attente du discernement et de l’impartialité de la Présidence de la Chambre des Communes dans l’exercice de sa charge. Le Bloc Québécois ne peut laisser une telle jurisprudence se produire au nom de la démocratie et de la confiance des citoyens envers l’Institution qu’est le Parlement.
Monsieur Fergus a également mentionné au Comité qu’il n’avait pas eu le temps de réfléchir et c’est la raison pour laquelle il a fait cette vidéo. Il apparait inquiétant que le Président n’a pas su faire appel à son propre cabinet et aux conseillers qui veillent au maintien de la tradition parlementaire. Cet aveu mine encore plus la confiance du Bloc Québécois envers le Président. La Présidence se doit parfois de rendre rapidement des décisions importantes et susceptibles d’avoir de graves conséquences. Il est donc nécessaire que le titulaire de la charge soit en mesure d’évaluer rapidement et avec discernement les actions à prendre lorsque celui-ci est interpellé.
- 2. Voyage à Washington alors que la Chambre débat d’une question de privilège à son sujet
D’autre part, le Bloc Québécois trouve complétement inapproprié que monsieur Fergus ait choisi de partir pour Washington en mission parlementaire à titre de Président en pleine tourmente au Parlement. Les leaders du parti de l’opposition officielle et du Bloc Québécois lui avaient déjà formellement demandé de se retirer de ses fonctions de Président à la suite des évènements du 3 décembre 2023. Il appert des témoignages de l’équipe du Président qu’il n’est pas coutume pour les Président de la Chambre de s’afférer à un voyage officiel lorsque la Chambre siège. De plus, les échanges entre le personnel de la Présidence et le bureau des Affaires internationales et interparlementaires obtenus par le Comité démontrent que la motivation première du Président Fergus de se rendre à Washington était une fête privée pour souligner la retraite d’un (autre) ami. Ainsi, monsieur Fergus, cherchait à légitimiser son déplacement privé à Washington en pleine semaine parlementaire par des rencontres aux États-Unis liées à sa fonction de Président de la Chambre.
Monsieur Fergus a choisi de quitter le pays en pleine tourmente afin de respecter un engagement personnel et privé plutôt que de rester à Ottawa pour tenter de regagner la confiance des parlementaires. En ce sens encore, le Bloc Québécois juge que monsieur Fergus a fait preuve d’un comportement irresponsable. De plus, le Bloc Québécois trouve totalement inacceptable que le Président récidive au lendemain de la question de privilège adressée en Chambre par les différents partis au sujet de la vidéo partisane qu’il avait enregistrée. Dans le cadre de son voyage à Washington, celui-ci a exposé dans un discours adressé publiquement son passé politique à titre de militant et de député pour le parti libéral.
- 3. Difficulté à reconnaitre son erreur et excuses tardives
Il est aussi déplorable que monsieur Fergus n’ait pas été en mesure d’admettre son erreur au moment opportun et qu’il ait par le fait même tarder à adresser des excuses convenables pour ses gestes partisans et inappropriés. Il appert que, de prime à bord, monsieur Fergus avait plutôt mentionné à la Chambre qu’il regrettait que son message qu’il a qualifié d’apolitique et de personnel envers un ami de longue date ait été diffusé publiquement. Il a ensuite déclaré dans un article de la Presse Canadienne du 4 décembre 2023 reconnaître comment ces gestes avaient pu être interprétés. Le Bloc Québécois tient à saluer les excuses senties et sincères que monsieur Fergus a finalement adressées devant le Comité lors de son témoignage le 11 décembre 2023. Bien que prononcées tardivement, le Président a reconnu qu’il avait commis une erreur notable. Le Bloc Québécois considère également que les directives de Monsieur Fergus concernant un protocole visant à améliorer de meilleures communications, au sein du cabinet de la Présidence, ne soit pas adéquat pour rétablir la confiance des députés, puisque le Bloc Québécois ne juge pas que la faute incombe à l’administration mais est la seule responsabilité de monsieur Fergus. De plus, un protocole ne pourrait à lui seul servir de rempart ou pallier pour le manque de discernement à répétition.
- 4. Décision de rester en poste malgré le bris de confiance au sein de la Chambre
Enfin, il est inconcevable que, malgré que deux partis de l’opposition représentant 149 députés aient retiré leur confiance au Président par la voix de leurs leaders respectifs (Bloc Québécois et Parti conservateur du Canada), celui-ci ait démontré une conviction inébranlée à l’effet qu’il puisse demeurer en poste et regagner la confiance de la Chambre.
Résultat
De tous ces faits, le Bloc Québécois ne peut faire autrement que de considérer le manque de discernement dont a fait preuve monsieur Fergus depuis qu’il a été élu au poste de Président de la Chambre des Communes. Pourtant, le Bloc Québec réitère qu’il avait avisé le Président, qu’en raison de son passé très partisan, son comportement et son impartialité était sous surveillance et qu’il devait encore faire ses preuves pour mériter la pleine confiance des députés bloquistes. Le Président a dit au Comité se souvenir de la conversation durant laquelle il s’était empressé de rassurer la whip et le leader du Bloc Québécois qu’il ne décevrait pas les membres de la Chambre des Communes. Le Bloc Québécois était en droit de s’attendre à ce que le Président adopte un comportement réfléchi et irréprochable et qu’il rende des décisions exemptes de toute apparence de partialité. De tout ceci, il en résulte un bris irréversible de confiance pour les députés du Bloc Québécois envers le Président.
Atteinte au privilège
Dans le rapport du Comité au sujet de la participation publique du Président à un congrès du parti libéral de l’Ontario, à la Section B, le témoignage de monsieur Janse, greffier de la Chambre des Communes dicte très bien comment doit être analysée une question de privilège à la suite d’un ordre de la Chambre. Selon celui-ci, le « Comité doit prendre trois mesures lorsqu’il examine une question de privilège. En premier lieu, le comité doit chercher à établir les faits en question. Ensuite, il doit déterminer si, à son avis, ces événements constituent une atteinte aux privilèges des députés ou un outrage à la Chambre. Enfin, il doit examiner les mesures correctrices possibles. En définitive, la Chambre doit décider si les privilèges ont été violés et déterminer les mesures correctrices qui s’imposent. »
Il est clair pour le Bloc Québécois que les agissements du Président Fergus constituent une atteinte au privilège parlementaire et qu’une partie importante des députés de la Chambre ont perdu confiance en lui en tant que Président. D’imposer une sanction financière, de quelconque montant ne réparerait pas l’erreur qui a été commise et ne rétablirait en rien la confiance nécessaire et inaliénable qu’il doit y avoir entre l’ensemble des parlementaires et la Présidence. Au contraire, ceci serait plutôt de nature à établir un précédent à l’effet que des agissements de natures partisanes et un manque de discernement peuvent être faites par les présidents de la Chambre, moyennant le paiement d’une amende. Cette proposition serait de nature à changer fondamentalement la stature de la Présidence et affaiblirait considérablement le niveau d’attente face à celle-ci. Ceci aurait comme conséquence de miner l’autorité de la Présidence et d’affecter l’ordre, le décorum en son enceinte, ainsi que la confiance du public et des membres envers l’Institution démocratique qu’est le Parlement.
Le Bloc Québécois ne voit pas comment l’instauration d’une pénalité financière pourra redonner à ses 32 députés l’assurance d’une impartialité, d’un discernement et d’un jugement sans failles. Il est également important pour le Bloc Québécois de rappeler que le comité devait se pencher sur une mesure corrective appropriée, selon l’ordre de renvoi de la Chambre. Considérant cela, il n’est pas opportun de se pencher sur un quelconque mécanisme de formation ou d’encadrement pour la Présidence. Le Bloc Québécois suggère que le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre puisse lancer une étude, ultérieurement, sur l’amélioration des pratiques de formation lors de l’élection d’une nouvelle personne à la Présidence.
Recommandations du Bloc Québécois
Considérant que l’ordre de renvoi de la Chambre des Communes mentionne que « la Chambre renvoie la question au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre avec l'instruction de recommander une mesure corrective appropriée ».
Et étant donné ce qui précède, le Bloc Québécois émet deux recommandations possibles en pareilles circonstances, soient :
- A) Que le Président démissionne de son poste de Président étant donné qu’il n’a plus la confiance de la confiance un bon nombre de députés;
- B) Que, à la suite du débat de la Chambre concernant l’adoption du présent rapport du Comité, la Chambre tienne un vote secret sous la forme du vote utilisé pour l’élection du Président conformément à l’article 4 Règlement de la Chambre.
[1] Tiré du émoignage de monsieur Janse : « il est clair que le Président soit impartial, mais également soit vu comme l'étant, tout le temps, encore plus que les autres occupants du fauteuil. Je pense que cela aurait été plutôt cette justification, l'explication qui répond au pourquoi cela ne serait pas une bonne idée de faire une telle vidéo ».