TRAN Rapport du Comité
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Une étude de La certification des aéronefs au Canada à la lumière de deux accidents impliquant le vol 610 de Lion Air et le vol 302 D’Ethiopian Airlines
Introduction
Le premier aéronef Boeing 737 a été lancé en janvier 1967. Depuis, le modèle initial a subi de nombreuses modifications. C’est le modèle d’avion à réaction commercial le plus produit au monde, le 10 000e 737 ayant été construit en mars 2018.
Le modèle le plus récent, mis en marché sous le nom de 737 MAX[1], a effectué son premier vol en janvier 2016 et est devenu, selon Boeing, l’avion s’étant vendu le plus rapidement de l’histoire de l’entreprise. Trois transporteurs aériens canadiens (Air Canada, WestJet et Sunwing Airlines) exploitent des aéronefs 737 MAX.
Les 737 MAX ont été cloués au sol dans le monde entier en mars 2019, à la suite de deux incidents impliquant des 737 MAX 8. Le premier s’est produit le 29 octobre 2018, lorsque le vol 610 de Lion Air s’est écrasé dans les minutes qui ont suivi son décollage de Jakarta, en Indonésie. Le second a eu lieu le 10 mars 2019, lorsque le vol 302 d’Ethiopian Airlines s’est aussi écrasé quelques minutes après son décollage d’Addis Abeba, en Éthiopie.
Des rapports subséquents du Komite Nasional Keselamatan Transportasi (KNKT) de l’Indonésie, du National Transportation Safety Board (NTSB) des États‑Unis et du Joint Authorities Technical Review (JATR)[2] ont pointé du doigt des défaillances du système de renforcement des caractéristiques de manœuvrabilité (MCAS). Le MCAS est un logiciel développé pour le 737 MAX afin de régler des problèmes décelés lors de la phase de la conception préliminaire, au cours de laquelle les moteurs et les nacelles redessinés provoquaient le tangage de l’avion dans certaines situations. Le MCAS a été conçu essentiellement de manière à abaisser le nez de l’appareil s’il détecte une inclinaison longitudinale indésirable menaçant la stabilité de l’aéronef.
Le rapport du NTSB tentait spécifiquement de déterminer les causes des deux écrasements. Il indique que, dans les deux cas, des informations erronées traitées par un capteur d’angle d’attaque ont incité le MCAS à abaisser le nez de l’aéronef afin de corriger une inclinaison longitudinale perçue vers le haut. Et dans les deux cas, l’équipage de conduite a été incapable de contrer complètement les commandes de piqué répétées du système. Le rapport dit aussi qu’un problème similaire s’est produit au cours du vol précédent de l’aéronef de Lion Air, mais que l’équipage de conduite avait pu désactiver les commandes de compensation et réussi à terminer le vol en effectuant manuellement les compensations.
Les trois rapports soulignent des problèmes ayant trait au processus de certification de la nouvelle conception du 737 et du MCAS en particulier. Le NTSB a recommandé que le processus de certification de type soit révisé afin d’exiger que les constructeurs équipent leurs aéronefs de systèmes à sécurité intégrée, au cas où la réaction de l’équipage de conduite à une alerte ou un indicateur ne correspondrait pas à la réaction prévue par le constructeur. Le JATR a abouti à 12 recommandations, dont une portant sur la révision, par la Federal Aviation Administration (FAA), de la règle dite du produit modifié (Changed Product Rule), qui permet de ne pas réévaluer les éléments réputés non modifiés par un changement dans la conception.
C’est dans ce contexte que le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités de la Chambre des communes (le Comité) a adopté la motion suivante le 20 février 2020 :
Que le Comité entreprenne une étude de quatre réunions concernant le processus de certification des aéronefs de Transports Canada, qui portera notamment sur la nature de la relation de Transports Canada avec l’Administration fédérale de l’aviation et d’autres organismes de certification, de même que sur le rôle des constructeurs d’avions dans le processus de certification.
Entre le 25 février et le 12 mars 2020, le Comité a tenu trois réunions sur le sujet; il a alors entendu 18 témoins.
L’étude ayant été interrompue par les restrictions imposées en raison de la pandémie de COVID‑19, et le Parlement ayant ensuite été prorogé, le Comité a adopté la motion suivante le 29 octobre 2020 :
Que, conformément à l’article 108(2) du Règlement, le Comité entreprenne une étude du processus de certification des aéronefs de Transports Canada, notamment sa relation avec la Federal Aviation Administration des États‑Unis et les autres organismes de certification, et du rôle que jouent les constructeurs d’avions dans le processus de certification; qu’au moins deux réunions soient prévues pour celle‑ci; que, pendant la session en cours, les membres du Comité prennent en considération les témoignages et les documents qu’ils ont recueillis à ce sujet pendant la première session de la 43e législature.
Le Comité a tenu trois réunions sur le sujet, entre le 24 novembre 2020 et le 16 février 2021. Il a alors entendu dix témoins et reçu un mémoire. Conformément à la motion la plus récente, le Comité a également pris en considération les témoignages et les documents qu’il a reçus entre le 25 février et le 12 mars 2020.
Le processus de certification au Canada
Comme de nombreux témoins l’ont fait savoir au Comité, le Canada est un chef de file mondial respecté en certification des aéronefs[3]. Pour être plus précis, ils ont dit que le Canada a un bilan enviable en matière de sécurité des aéronefs commerciaux de passagers[4].
Nicholas Robinson, directeur général de l’Aviation civile à Transports Canada, a expliqué que la certification d’un aéronef est un processus long et complexe qui sert à vérifier que l’aéronef est conforme aux normes et aux règlements du Canada sur la navigabilité. Dans le cas d’un aéronef construit au Canada, Transports Canada est considéré comme l’autorité responsable de sa certification. Si l’aéronef a été fabriqué à l’étranger, comme c’est le cas du 737 MAX, Transports Canada joue plutôt le rôle d’autorité chargée de la validation. Le Ministère examine alors les décisions de certification prises par le pays où est établi le constructeur, c’est‑à‑dire l’État de conception. Transports Canada doit s’assurer, pendant le processus de validation, que l’aéronef respecte les normes et les règlements canadiens.
Pour qu’un aéronef puisse être exploité au Canada, il faut qu’un document – appelé autorité de vol – atteste de sa navigabilité aérienne, comme l’exige le paragraphe 605.03(1) du Règlement de l’aviation canadien (RAC). L’autorité de vol est habituellement délivrée sous la forme d’un certificat de navigabilité (CdN).
Transports Canada, Aviation civile (TCAC) peut délivrer, au nom du ministre des Transports, un CdN à l’égard d’un aéronef. Pour être admissible, l’aéronef doit normalement correspondre à un type de conception certifié par le ministre au moyen d’un certificat de type. L’aéronef doit aussi être conforme aux spécifications du type de conception et pouvoir être utilisé en toute sécurité.
Le processus national de délivrance d’un certificat de type
Un certificat de type est délivré par TCAC au nom du ministre des Transports, généralement à la demande d’un constructeur; ce certificat confirme que la conception de l’aéronef est conforme à toutes les normes applicables. Ce qui suit est un résumé du processus de délivrance d’un certificat de type pour un aéronef au Canada, applicable aux aéronefs mis en vol au pays ainsi qu’aux aéronefs de construction canadienne vendus sur le marché international.
TCAC fait office de délégué du ministre des Transports en ce qui concerne le processus de certification. L’organisation détermine si un demandeur potentiel satisfait aux critères d’admissibilité pour la catégorie du produit aéronautique proposé avant d’accepter d’examiner sa demande d’approbation de la conception.
Une fois la demande officiellement déposée, TCAC examine les dessins conceptuels initiaux du demandeur ou les documents du certificat de type étranger. TCAC établit ensuite une stratégie de certification en collaboration avec le demandeur, laquelle décrit les normes réglementaires et de conception à respecter. C’est ce qu’on appelle la « base de certification ». Comme l’a dit au Comité Michael Deer, spécialiste de la navigabilité à Bell Textron Canada limitée, on encourage « les communications précoces et ouvertes entre les spécialistes du ministère et ceux [du demandeur] pour veiller à établir un engagement et une compréhension commune à l’égard de notre conception et pour assurer la conformité aux normes applicables ».
Une fois la stratégie en place, TCAC et le demandeur déterminent comment et à qui la conformité sera démontrée. C’est à cette étape que le niveau d’intervention de TCAC est déterminé. La conformité du demandeur peut s’appuyer sur ses propres conclusions, exprimées par l’entremise d’un système de délégués du demandeur sélectionnés par Transports Canada, des représentants ministériels agissant comme superviseurs. À tout moment au cours du processus, TCAC peut revoir son niveau d’intervention. Des témoins représentant le secteur manufacturier ont indiqué au Comité que le demandeur et Transports Canada restent en contact tout au long du processus[5].
L’aéronef est ensuite construit et mis à l’essai. Lorsque le demandeur a démontré qu’il satisfait à la base de certification, il doit signer une déclaration de démonstration de conformité.
L’étape finale est la délivrance d’un certificat de type pour le type d’aéronef. Les certificats délivrés peuvent être consultés sur le site Web de Transports Canada. TCAC prépare également une fiche de données de certificat de type, qui décrit les spécifications du type d’aéronef. Celle-ci doit inclure les limites d’exploitation, telles que la vitesse, le taux d’occupation et l’altitude, les types de moteur et de carburant à utiliser pour les aéronefs de ce modèle, ainsi que toute exigence, exemption ou condition spéciale propre à la base de certification.
À partir de ce moment, il incombe exclusivement au demandeur d’assurer le maintien de la navigabilité de l’aéronef. Toute modification de la définition de type approuvée, aussi mineure soit-elle, doit être acceptée par TCAC. Toute modification importante de l’aéronef nécessite un certificat de type supplémentaire, pour lequel il faut suivre un processus identique à celui d’un nouveau certificat de type. Il est important de noter que le processus de délivrance d’un certificat de type supplémentaire examine l’ensemble de l’aéronef fini et modifié, et pas seulement les dernières modifications. Cela permet à TCAC d’évaluer l’impact que ces modifications peuvent avoir sur des spécifications ou systèmes distincts.
La validation par le Canada du Boeing 737 MAX
L’actuelle fiche de données de certificat de type (FDCT) du Boeing 737 a été approuvée pour la première fois par Transports Canada en 1985. La FDCT A-146 a d’abord été délivrée pour les Boeing 737‑300. Depuis, elle a été mise à jour plusieurs fois afin de couvrir les générations subséquentes du 737. La plus récente mise à jour, celle de la série 737‑8 mise en marché par Boeing sous le nom de 737 MAX – et aussi connue sous l’appellation 737 MAX 8 – a été approuvée le 23 juin 2017. La FDCT A‑146 de Transports Canada se fonde sur l’information contenue dans la FDCT A16WE [disponible en anglais seulement] de la FAA.
La section Technicité de vol et certification de l’exploitant de la Direction des normes de l’Aviation civile de Transports Canada a produit un rapport d’évaluation opérationnelle (REO) du 737 MAX le 30 novembre 2017. Selon ce REO, le 737 MAX[6] a fait l’objet d’évaluations conjointes de TCAC, de la FAA et de l’Agence européenne de la sécurité arienne (AESA) en 2016 et 2017.
Ces évaluations visaient à établir si les programmes de formation de Boeing pour le nouvel aéronef étaient adaptés à son exploitation au Canada, si des qualifications ou une formation supplémentaires des pilotes étaient nécessaires par rapport aux précédents modèles de 737, et si le 737 MAX était convenable sur le plan opérationnel.
Les préoccupations relatives au système de délégation et à la possibilité d’autocertification
« À l'avenir, nous ne devrions pas confier en sous-traitance cette tâche essentielle pour assurer la sécurité aux États-Unis ou à d'autres pays, qui peuvent à leur tour confier en sous-traitance à l'industrie des aspects de leur propre surveillance réglementaire. »
Rob Giguere Président-directeur général Association des pilotes d’Air Canada
L’exemple du 737 MAX soulève des questions importantes au sujet du système de délégation, surtout à la suite des révélations selon lesquelles la société Boeing aurait agi en qualité de déléguée pour la certification de son propre aéronef et qu’elle aurait omis de fournir des renseignements essentiels à la FAA[7]. M. Perry a dit craindre que, vu la complexité technique croissante des aéronefs modernes, on en vienne à une situation où « le fabricant est en fait celui qui les comprend le mieux ».
L’hon. Marc Garneau, ministre des Transports, a signalé toutefois que Boeing avait le droit de choisir ses propres délégués dans le cas du 737 MAX. Le système canadien permet bel et bien aux demandeurs de fournir des délégués, mais, comme l’a précisé le ministre, ces délégués sont quand même choisis avec grande prudence par Transports Canada. M. Robinson a ajouté que Transports Canada maintient des relations de travail étroites et un dialogue constant avec les fabricants afin de trouver d’un commun accord des solutions aux problèmes rencontrés. Il ne croit pas que le manque de communication observé entre la FAA et Boeing pourrait se produire dans le système canadien. M. Robinson a aussi fait valoir que, vu la complexité croissante des aéronefs, il est encore plus important de confier le processus de certification et de validation à des experts, comme le groupe de la certification nationale des aéronefs de Transports Canada.
Les fabricants se sont empressés de défendre le système de délégation du Canada. M. Deer en a témoigné devant le Comité : « Au final, ce sont nos délégués qui tirent des conclusions au chapitre de la conformité, mais le produit ne sera jamais approuvé à moins que Transports Canada n’ait participé au processus et soit convaincu que le produit est sécuritaire. »
Tout au long de l’étude du Comité, d’autres craintes ont été exprimées à propos du risque que des pressions commerciales soient exercées durant le processus de certification ou de validation. Ce risque était au nombre des principales constatations du rapport de comité produit par la Chambre des représentants des États-Unis[8], mais il a aussi été mentionné dans deux exposés des sujets de préoccupation produits par Transports Canada concernant la validation du 737 MAX. Les deux exposés renferment le paragraphe suivant :
Veuillez prendre note qu’afin de respecter ses engagements de livraison envers des exploitants canadiens, Boeing a demandé à Transports Canada de délivrer le certificat de type modifié (CTM) du 737-8 MAX en juin 2017. Afin d’éviter aux exploitants de subir des délais de livraison, Transports Canada examinera et commentera la position de la FAA en réponse au présent exposé des sujets de préoccupation et dans le cadre de la validation ultérieure du 737-9. Par conséquent, le présent exposé des sujets de préoccupation demeurera ouvert lorsque le CTM du 737-8 MAX sera délivré par Transports Canada.[9].
Le contenu de ces documents sera analysé plus en détail ci-dessous. En ce qui a trait aux craintes de pressions commerciales, cependant, David Turnbull, directeur de la Certification nationale des aéronefs à Transports Canada, a indiqué qu’il n’était pas rare que Transports Canada tienne compte des dates de livraison lorsqu’il déterminait les étapes prioritaires du processus de certification. Il a toutefois pris soin d’ajouter que TCAC n’est « pas forcément contraint » par ces dates, et que le Ministère poursuit son travail après la date indiquée s’il reste des problèmes à régler. M. Robinson a insisté sur le fait que les dates de livraison servent à fixer l’ordre de priorité du travail, mais que le « processus est dicté par les règlements et les normes que nous établissons ».
M. Deer a dit au Comité que le système canadien de délégation exige que les délégués ne soient soumis à aucune pression commerciale; l’autorité responsable doit d’ailleurs signer un engagement à cet égard.
Le certificat de type supplémentaire et la règle du produit modifié
Le Comité a entendu de nombreuses recommandations concernant la « règle du produit modifié », qui permet de faciliter l’examen des modifications mineures apportées à un composant déjà certifié. Comme l’a observé Jodi Diamant, ingénieure en chef, Navigabilité et certification, à Pratt & Whitney Canada, ce processus exige d’abord d’évaluer l’étendue des changements et de déterminer s’il y a lieu de mener un exercice de certification intégral.
M. Turnbull a signalé que le rapport du JATR avait traité en profondeur de cette question. Selon le rapport, « il manque à la règle du produit modifié un mécanisme d’évaluation adéquat permettant d’établir comment les changements proposés à la conception s’intègrent aux systèmes existants et de déterminer les effets de cette interaction sur l’aéronef dans son ensemble[10] ». Le rapport a aussi recommandé d’adopter une approche descendante révisée à la règle : « Tout changement devrait être évalué selon une perspective considérant le système de l’aéronef dans son intégralité[11] ». D’après Gilles Primeau, qui a comparu à titre personnel, une telle approche exigerait de mettre à l’essai tout système modifié de manière intégrée avec tous les systèmes qui y sont reliés, plutôt que de faire des mises à l’essai de façon isolée. Il a affirmé que l’adoption de cette approche aurait nécessité un examen plus approfondi du système MCAS. M. Primeau a également recommandé de restreindre l’octroi de « droits acquis » afin d’assurer la recertification complète de tout système qui a précédemment été considéré comme étant critique et qui est relié à des composants nouveaux ou modifiés.
Les représentants de Transports Canada ont confirmé que la règle du produit modifié était en cours de réévaluation, et que cet exercice était envisagé avant même les incidents ayant impliqué des 737 MAX[12]. M. Turnbull a parlé de cette question :
[Nous devons] trouver une méthode plus systémique d’évaluation des défaillances et des répercussions par rapport à ce que nous faisions auparavant, pour suivre l’évolution des technologies. En ce qui concerne la règle du produit modifié, nous reconnaissons qu’une partie du défi est que, après l’introduction de nouvelles technologies dans un modèle plus ancien, il faudrait peut-être passer à une approche plus moderne d’assurance de la conception, où il ne suffit pas d’étudier ce qui a été changé, mais où on tient aussi compte des répercussions dans l’ensemble de l’aéronef.
Plusieurs témoins provenant du secteur manufacturier ont dit avoir confiance dans la règle du produit modifié et ont expliqué que son application au Canada exige d’évaluer l’ampleur du changement apporté à un composant. Cette évaluation est menée au départ par le fabricant, mais elle est examinée par Transports Canada, qui prend la décision finale sur le besoin d’appliquer des exigences supplémentaires en matière de certification[13]. David Curtis, président et chef de la direction de Viking Air Limited, a présenté au Comité un exemple qui témoigne de l’efficacité du processus : le Dash 8 de De Havilland Canada, un appareil produit depuis plus de 20 ans, dont on compte plus de 700 exemplaires, et dont la capacité est passée de 37 à 90 places avec le temps. Cet aéronef est le fruit d’« un processus des plus solides ».
Dans son mémoire, M. Primeau signale plusieurs traits de conception du 737 MAX qui, à son avis, ne reflètent pas les pratiques actuelles et ne répondent qu’aux normes de sécurité minimales. Pour sa part, M. Turnbull a dit au Comité que Transports Canada n’avait pas pour rôle d’imposer des solutions sur le plan de la conception au constructeur, mais plutôt de déterminer si la conception satisfait aux normes canadiennes de sécurité.
Le système de renforcement des caractéristiques de manœuvrabilité (MCAS)
Comme il a été mentionné précédemment, le MCAS est un logiciel développé pour le 737 MAX qui sert à résoudre des problèmes décelés lors de la phase de la conception préliminaire. Le MCAS a été conçu essentiellement de manière à abaisser le nez de l’appareil s’il détecte une inclinaison longitudinale indésirable menaçant la stabilité de l’aéronef. Différents rapports ont désigné le MCAS comme étant en cause dans les écrasements des appareils de Lion Air et d’Ethiopian Airlines et ont soulevé des préoccupations concernant la certification initiale du système par la FAA.
Sylvain Alarie, qui a témoigné à titre personnel, a dit au Comité que, à son avis, l’« erreur » dans le processus de certification du 737 MAX a été faite dans la classification selon le logiciel MCAS; le système a considéré que l’erreur présentait un risque mineur et qu’elle n’augmenterait que « légèrement » la charge de travail des pilotes. M. Primeau a estimé que, si l’erreur avait été classée comme posant un plus grand risque, il aurait fallu donner aux pilotes du 737 MAX un entraînement par simulateur, ce qui aurait entraîné un rabais de 1 million de dollars par avion. Chris Moore, qui a également témoigné à titre personnel, s’est dit d’avis que Transports Canada n’aurait pas validé le 737 MAX si Boeing avait signalé que la catégorie de dangers était potentiellement catastrophique – comme c’était le cas – et qu’elle travaillait à développer une solution.
M. Turnbull a expliqué que Transports Canada avait posé des questions concernant le système MCAS lors de la validation initiale en 2016. Selon lui, la décision de valider l’aéronef était bonne, compte tenu des informations alors fournies, mais il estimait quand même que le manque de communication entre Boeing et la FAA concernant le fonctionnement du système MCAS avait eu des incidences sur le processus de validation canadien.
M. Turnbull a aussi dit au Comité que, contrairement à ce qui avait été largement rapporté dans les médias, le 737 MAX ne dépend pas du MCAS pour être stable. En fait, selon lui, le retrait pur et simple du système MCAS avait été envisagé lors du processus de recertification, mais la FAA avait déterminé que le système était nécessaire pour « répondre à une exigence précise » relative à un effort au manche particulier lors du décrochage.
Le matériel de formation
« Les aéronefs d’aujourd’hui comportent des interfaces homme machine et des systèmes informatiques très complexes destinés à aider les pilotes et qui ont démontré au fil du temps qu’ils permettaient de réduire les taux d’incidents et d’accidents. Cela étant dit, les équipages et les pilotes doivent toujours être conscients de la façon dont ces systèmes interagissent avec les principaux systèmes de l’aéronef. »
Rob Giguere Président directeur général Association des pilotes d’Air Canada
Une fois qu’un aéronef est certifié et validé, le constructeur propose un programme de formation. Dans le cas d’un aéronef modifié mais précédemment approuvé, le programme permet aux pilotes d’acquérir les connaissances et les compétences nécessaires pour passer d’un modèle à l’autre. Le programme proposé est examiné par un comité mixte d’évaluation opérationnelle (CMEO), qui vérifie s’il répond aux besoins. Le CMEO fait habituellement appel à des « candidats naïfs », qui sont des pilotes de ligne n’ayant pas d’idées préconçues ou de préjugés (dans le cas de la revalidation du 737 MAX, le CMEO comprenait deux représentants choisis par les trois transporteurs canadiens et leurs associations de pilotes)[14]. Enfin, le CMEO produit un rapport indiquant le programme de formation minimale à suivre; ce rapport est remis aux compagnies aériennes et aux autorités locales concernées, qui s’en serviront comme guide pour élaborer un programme adapté à leur situation et à leurs besoins, de même qu’à l’expérience de leurs pilotes[15].
Comme M. Turnbull l’a fait remarquer au Comité, les exigences en matière de formation varient en fonction de la conception de l’aéronef. Pour cette raison, un manque de clarté dans la conception de l’aéronef se fait sentir dans la production du matériel de formation. De l’avis de certains témoins, c’est ce qui est arrivé dans le cas du 737 MAX : Boeing a omis de fournir des données critiques sur le fonctionnement du système MCAS.
M. Curtis a expliqué que tout changement apporté aux systèmes de commande d’un aéronef est généralement considéré comme une modification majeure, qui requiert un degré de supervision plus élevé. Scott Wilson, vice-président aux Opérations de vol à WestJet, a trouvé « inhabituel » qu’on n’ait pas pris la peine de parler du système MCAS dans le matériel de formation ou de le décrire adéquatement aux transporteurs. Pour sa part, M. Primeau a jugé que cette omission était « inadmissible », compte tenu des capacités du logiciel.
À propos de la revalidation du 737 MAX, M. Turnbull a indiqué que Transports Canada a fait pression pour rendre obligatoire une formation sur simulateur de vol. Le Ministère a d’ailleurs réussi à convaincre Boeing de changer sa position à cet égard au début de 2020. M. Primeau s’est dit d’accord avec ce point de vue.
La participation des exploitants aériens, des pilotes et du personnel navigant
« Nous n’enverrons jamais un pilote, un agent de bord ou un passager dans un avion qui n’est pas sécuritaire. »
Murray Strom Vice-président, Opérations de vol, Air Canada
Des témoins représentant les transporteurs aériens canadiens ont dit au Comité qu’ils ne participent pas, habituellement, aux discussions concernant la certification d’un aéronef[16]. Le capitaine John Hudson, directeur intérimaire des Opérations de vol à Sunwing Airlines, a expliqué que l’expertise des pilotes des exploitants aériens est très différente de celle des pilotes de Transports Canada : « [N]ous ne sommes pas des pilotes d’essai pour la certification des avions; nous sommes des exploitants […] Je pense qu’il faut être prudent si l’on commence à trop faire intervenir l’exploitant dans la certification initiale d’un aéronef. » M. Hudson a ajouté que, même s’ils ne participent pas à la certification, les exploitants restent habituellement en étroite communication avec les constructeurs, d’autres exploitants et Transports Canada tout au long du processus, de manière à bien amorcer la préparation de leurs programmes de formation sur l’utilisation des aéronefs.
Comme il a été mentionné plus haut, l’élaboration des programmes de formation relatifs aux nouveaux aéronefs se fait en fonction des rapports produits par un CMEO, auquel peuvent contribuer des pilotes de ligne. Outre ces pilotes jouant le rôle de « candidats naïfs », TCAC demande à ses propres pilotes d’essai de participer aux processus de certification en effectuant des vols d’essai et en élaborant des plans de travail. Les inspecteurs de TCAC – dont bon nombre sont aussi des pilotes – prennent part aux CMEO pour s’assurer que les manuels de formation et les procédures d’atténuation des risques peuvent s’appliquer dans une situation réelle[17].
En ce qui concerne la revalidation du 737 MAX, Rob Giguere, président-directeur général de l’Association des pilotes d’Air Canada, et Tim Perry, président de l’Air Line Pilots Association – Canada, se sont tous deux dits satisfaits de l’approche de collaboration adoptée par Transports Canada. M. Giguere a exprimé l’espoir que ce niveau de participation des associations de pilotes transparaisse dans les futurs exercices de certification et de validation. Il a ajouté à ce sujet que « des pilotes de première ligne expérimentés devraient faire partie intégrante de la certification et de la conception de la formation ». Par ailleurs, M. Perry a maintenu que, compte tenu des différences importantes entre l’expertise des pilotes de ligne et celle des pilotes de certification de Transports Canada, il serait bon d’officialiser davantage la participation des pilotes de ligne au processus de certification. Selon lui, les pilotes de ligne ont un point de vue unique sur le développement de systèmes et de procédures, car ce sont eux qui, au bout du compte, sont responsables de les mettre en œuvre en cas d’urgence. Il a convenu que des « candidats naïfs » étaient occasionnellement sélectionnés pour contribuer au travail des CMEO, mais il a précisé que « la participation des pilotes de ligne dans le processus de certification et de validation relève beaucoup plus de l’exception que de la règle ».
Le Comité a aussi pris conscience de l’importance de consulter l’équipage de cabine durant le processus de certification ou de validation. Bien que les syndicats d’agents de bord aient pris part au processus de validation du 737 MAX[18], Jordan Bray-Stone, président du Comité de la santé et sécurité à la Division aérienne du Syndicat canadien de la fonction publique, a fait savoir que ce n’était pas la norme. Selon lui, le fait que l’équipage de cabine n’ait pas été suffisamment consulté lors de l’achat initial d’appareils 737 MAX a entraîné de nombreuses lacunes en sécurité, notamment la sélection d’une option d’aménagement intérieur « qui maximise le nombre de sièges au détriment des toilettes fonctionnelles, des offices et, surtout, des strapontins pour l’équipage de cabine ». Il peut alors être difficile, pour l’équipage de cabine, de gagner leur strapontin et d’y demeurer assis lors d’urgence. M. Bray-Stone a recommandé que des représentants des équipages de cabine soient consultés à titre de partie prenante importante et qu’ils reçoivent régulièrement des séances d’information à l’étape de la conception, qui fait partie du processus de certification ou de validation.
Recommandation 1
Que Transports Canada soit tenu de mener un processus complet de recertification dans le cas de tout système aéronautique qui a précédemment été considéré comme étant critique et qui est relié à des composants nouveaux ou modifiés.
Recommandation 2
Que Transports Canada officialise un processus pour envisager la participation des pilotes de ligne au processus de certification des aéronefs commerciaux où les pilotes de ligne peuvent avoir la possibilité de participer.
Recommandation 3
Que Transports Canada veille à ce que des représentants des équipages de cabine soient consultés à titre de partie prenante importante et qu’ils reçoivent régulièrement des séances d’information à l’étape de la conception, qui fait partie du processus de certification ou de validation des aéronefs.
Recommandation 4
Que Transports Canada examine le rôle des représentants délégués dans le cadre du processus de certification des aéronefs et confie aux organismes de réglementation indépendants un rôle plus actif.
La certification d’un aéronef construit à l’étranger
Comme il est indiqué plus haut, un demandeur cherchant à obtenir la certification canadienne d’une conception d’aéronef étrangère doit présenter une copie des documents du certificat de type du pays d’origine, ou leur équivalent, lors de la phase initiale du processus de certification.
Le Canada est signataire de divers accords et arrangements internationaux visant à faciliter le processus de certification par les pays concernés, et il entretient actuellement des relations de travail particulièrement étroites avec les autorités aéronautiques des États-Unis, de l’Union européenne et du Brésil, qui forment ensemble l’Équipe quadrilatérale de gestion de la certification (CMT). Selon la stratégie de collaboration [disponible en anglais seulement] de la CMT, établie en mai 2016, l’objectif de l’Équipe est d’harmoniser les processus de certification respectifs des quatre autorités, et de consolider les liens de confiance afin de limiter le nombre d’évaluations techniques supplémentaires nécessaires.
Outre la CMT, Transports Canada a conclu des accords bilatéraux avec chacune des trois autres autorités. Par exemple, l’Accord bilatéral concernant la promotion de la sécurité aérienne (ABSA), conclu en 2000 avec les États-Unis, visait à réduire le coût économique des redondances perçues dans les inspections techniques, les évaluations et les essais en matière de navigabilité, d’évaluations environnementales et de certification des produits aéronautiques. Les procédures de mise en œuvre en matière de navigabilité, révisées le 10 novembre 2016, précisent davantage les processus d’approbation de la conception et de la production, ainsi que l’assistance technique mutuelle.
À l’instar de la CMT, l’ABSA et les procédures de mise en œuvre en matière de navigabilité reflètent une tendance à l’harmonisation des politiques et à la coopération. En fait, le 19 novembre 2018, TCAC et la FAA ont établi une feuille de route pour l’amélioration de la validation afin de soutenir une intégration plus poussée[19]. D’après la feuille de route, les autorités tentent depuis quelques années d’accroître le nombre de modifications pouvant être apportées à la conception d’un aéronef dans un pays sans qu’il soit nécessaire de mener un examen technique dans l’autre. L’objectif affirmé de la feuille de route consiste à établir une base commune grâce à laquelle la certification d’un aéronef – ou d’un autre produit aéronautique – par une autorité serait automatiquement acceptée par l’autre.
Le recours à l’autorité responsable de la certification
« Il est très difficile pour une autorité de certification de pouvoir détecter un facteur de risque dans le cadre de son examen si cette autorité et l’avionneur ne l’ont pas fait initialement. Ce serait comme chercher une aiguille dans une meule de foin, et le temps accordé à cet exercice est limité. »
Jodi Diamant Ingénieure en chef, Navigabilité et certification Pratt & Whitney Canada
Au cours de l’étude, des préoccupations ont souvent été exprimées relativement à l’idée que le Canada dépendrait de l’autorité de certification pour la validation d’un aéronef. Dans le cas du 737 MAX, Paul Njoroge, qui a comparu à titre personnel, a dit que « Transports Canada a trop misé sur les décisions et la documentation de la FAA et de Boeing » et que le Ministère s’était limité à « approuver la validation des avions ».
En ce qui concerne le rôle joué par la FAA dans le processus de recertification du 737 MAX à la suite des deux écrasements d’avions, M. Moore a déploré que la FAA semble être « la meneuse de claque de Boeing ». Dans le même ordre d’idées, le Comité des transports et de l’infrastructure de la Chambre des représentants des États-Unis a constaté, dans le cadre de sa propre étude, l’existence d’une culture inquiétante à Boeing en matière de sécurité. Dans son rapport final, le Comité de la Chambre des représentants estime que le système d’autorité désignée de Boeing « fait des conflits d’intérêts un problème inhérent et, comme le rapport l’a révélé, empêche trop souvent les représentants autorisés de défendre régulièrement les intérêts de la FAA. Les intérêts commerciaux de Boeing influent souvent sur la conduite des représentants autorisés et nuisent au renforcement de la sécurité aérienne du public voyageur[20] ». Le rapport final indique également que « Boeing ne semble pas avoir tiré pleinement les leçons des accidents de ses appareils MAX ni assumé la responsabilité de ses erreurs de conception[21] ». L’entreprise est « soucieuse, d’abord et avant tout, de remettre les MAX en service, plutôt que de rendre des comptes et de corriger les erreurs et les processus qui ont permis la conception, la certification et la production d’un aéronef non sécuritaire[22],[23] ».
M. Primeau a aussi regretté que Boeing ait tendance à ne pas fournir suffisamment de réponses, que ce soit à Transports Canada, aux experts ou aux familles des victimes des écrasements de Lion Air et d’Ethiopian Airlines. Selon lui, il serait important que les autorités compétentes aient véritablement le pouvoir de suspendre les processus de certification ou de validation, à n’importe quel moment, lorsqu’elles doivent régler les problèmes observés.
Le Comité a appris qu’il est extrêmement difficile, pour une autorité responsable de la validation, de détecter par elle-même des problèmes potentiels lorsque ni le constructeur ni l’autorité de certification n’en ont signalé[24]. Transports Canada a quand même pu déceler des problèmes possibles : dans un exposé de sujets de préoccupation envoyé à la FAA, le Ministère affirme que Boeing s’écartait de la méthodologie et de la procédure standards, sans fournir de clarification[25]. Un autre exposé indique que les réponses de Boeing à une lettre antérieure sont contradictoires[26].
La délégation de la certification des aéronefs aux constructeurs inquiète M. Giguere, car cette pratique constitue une forme d’autocertification « dans laquelle il faut compter sur les fabricants pour prendre des décisions responsables ». Selon lui, au lieu de se « fier uniquement à ce qui pourrait être un processus réglementaire imparfait d’un autre pays », le Canada devrait certifier indépendamment les aéronefs qui naviguent dans le ciel canadien. M. Perry a abondé dans le même sens, tandis que M. Njoroge a dit au Comité que Transports Canada devrait prendre ses propres décisions, sans se fier à celles de Boeing et de la FAA.
Les représentants de Transports Canada ont néanmoins affirmé qu’ils avaient confiance dans le processus de validation actuel[27]. M. Wilson a souligné que le processus canadien était tellement rigoureux que la validation du 737 MAX a été accordée près de trois mois après celle de l’Union européenne. M. Turnbull a reconnu que la certification initiale n’avait pas été faite correctement dans le cas du 737 MAX, ce qui avait eu des conséquences sur le processus de validation du Canada. Il a néanmoins maintenu sa confiance à l’égard d’un processus qu’il juge « évolutif », c’est-à-dire un processus qui permettra à Transports Canada de « procéder à un examen plus approfondi dans certains secteurs » en s’appuyant sur les leçons retenues. M. Robinson a aussi indiqué que les aéronefs certifiés par la FAA feraient dorénavant l’objet d’une attention accrue de Transports Canada.
Jim Quick, président et chef de la direction de l’Association des industries aérospatiales du Canada, a recommandé de faire de TCAC une direction à part au sein de Transports Canada, « dotée de toute l’autonomie, les pouvoirs et la structure de responsabilité nécessaires ». Selon lui, cette direction devrait avoir à sa tête un haut fonctionnaire possédant une expérience pertinente en aviation et chargé d’un énoncé de mission clair. M. Quick a aussi fait remarquer que, même si l’industrie aéronautique canadienne affiche une croissance annuelle moyenne de 5 %[28], le financement de TCAC n’a pas augmenté depuis plusieurs années. Il a aussi parlé de la main d’œuvre : « [Notre] effectif, tout excellent soit-il, est insuffisant. Comment pouvons-nous alors réaliser des progrès du point de vue de la compétitivité mondiale[29]? ». Il a proposé l’établissement d’une équipe de haut niveau composée de représentants de l’industrie et de Transports Canada qui serait chargée de cerner et d’évaluer les besoins en personnel et en financement de TCAC.
Mme Diamant a recommandé que Transports Canada établisse les besoins du secteur manufacturier en matière de systèmes de gestion de sécurité. M. Deer a appuyé cette recommandation. De façon plus générale, M. Quick a recommandé de rétablir le Conseil consultatif sur la réglementation aérienne canadienne afin de garantir une bonne collaboration entre le gouvernement et l’industrie pour évaluer les dossiers et proposer, au besoin, des modifications réglementaires.
La reconnaissance mutuelle de la certification des aéronefs
Comme M. Robinson l’a dit au Comité, le processus de validation d’un aéronef conçu à l’étranger est distinct du processus de certification de l’État de conception. Le degré de participation de l’autorité de validation peut varier selon le cas, mais, au dire de M. Robinson, Transports Canada prend part habituellement au processus de certification de la FAA tout en effectuant ses propres essais en vol des aéronefs construits aux États‑Unis. Par ailleurs, M. Alarie a indiqué que, d’après son expérience, il est courant pour Transports Canada, la FAA et l’AESA d’intervenir réciproquement dans leurs processus de certification.
Le Comité a appris que la certification d’un nouvel aéronef « à partir de zéro » consomme beaucoup de temps et de capital; la certification de l’Airbus 220 aurait exigé environ 160 000 heures-personnes[30].
Afin de simplifier le processus de validation des aéronefs provenant de certains pays dignes de confiance, le Canada a conclu plusieurs accords bilatéraux. Comme l’a indiqué M. Turnbull, l’élaboration de ces accords « repose sur la compréhension fondamentale » voulant que les deux autorités de certification doivent parvenir à « un niveau de sécurité équivalent ». Selon certains témoins, l’industrie aérospatiale canadienne profite grandement de ces accords, notamment en raison de la réputation de Transports Canada et de l’influence que le Ministère exerce à l’échelle internationale, lesquelles ouvrent les marchés étrangers aux aéronefs construits au Canada[31]. Les autorités responsables de la validation y trouvent aussi leur compte, car les aéronefs certifiés par des partenaires de confiance n’ont pas besoin d’un examen aussi approfondi, ce qui rend le processus de validation plus rapide et plus efficace[32]. Plusieurs témoins ont avancé qu’un retrait de ces accords par le Canada serait lourd de conséquences pour l’industrie aérospatiale canadienne et pour la réputation de Transports Canada dans le monde[33].
M. Primeau a recommandé que les autorités nationales de certification procèdent à des échanges de représentants permanents; ce serait un moyen, selon lui, d’améliorer le système international de reconnaissance mutuelle.
La feuille de route pour l’amélioration de la validation
Comme il a été mentionné précédemment, TCAC et la FAA ont établi une feuille de route pour l’amélioration de la validation le 19 novembre 2018. Ce document expose les mesures prévues pour appuyer une intégration plus poussée, pour accroître le nombre de modifications pouvant être apportées à la conception d’un aéronef dans un pays sans qu’il soit nécessaire de procéder à un examen technique dans l’autre. L’objectif affirmé de la feuille de route consiste à assurer « l’acceptation complète par l’autorité de validation, de manière à réduire ou à éliminer le besoin de procéder à d’autres examens techniques ou à fournir d’autres approbations en matière de validation[34] ».
M. Moore a soulevé certaines préoccupations au sujet de la feuille de route pour l’amélioration de la validation, car son objectif consiste essentiellement à établir une base commune grâce à laquelle la certification d’un aéronef – ou d’un autre produit aéronautique – par une autorité serait automatiquement acceptée par l’autre.
En réponse aux questions posées sur le sujet, M. Turnbull a présenté la feuille de route comme un « document évolutif » qui s’appliquait à certains produits, mais pas aux gros aéronefs de transport. Il a ajouté qu’il avait des réserves concernant l’objectif énoncé dans la feuille de route : un tel degré de réciprocité ferait en sorte que Transports Canada n’aurait « plus la possibilité d’ajuster [ses] décisions » par rapport à ce que font les autres autorités. Lors d’une comparution ultérieure devant le Comité, M. Turnbull a dit que Transports Canada voulait en modifier le libellé avant les incidents qui ont impliqué des 737 MAX de Boeing.
Les exposés des sujets de préoccupation
Au cours de l’étude du Comité, il a souvent été question de la capacité de Transports Canada de valider un aéronef sans recevoir la réponse de l’autorité de certification à ses exposés des sujets de préoccupation. Ces exposés, qui sont aussi appelés des « lettres de préoccupation », sont des documents que l’autorité de validation écrit à l’autorité responsable de la certification initiale. Le ministre Garneau a expliqué qu’ils servent à obtenir des précisions ou à exprimer un désaccord avec une partie du processus de certification. Les exposés restent « ouverts » jusqu’à ce que l’autorité de certification donne une réponse satisfaisante.
Les deux exposés des sujets de préoccupation dont il a été question lors de l’étude portaient les numéros C‑FT‑03 (« Interprétation de l’identification de décrochage et évaluation des modes de défaillance connexes ») et C‑FT‑04 (« Anomalie du système de commandes automatiques de vol »)[35]. Ces deux documents ont été envoyés à la FAA et étaient encore « ouverts », et donc non réglés, lorsque Transports Canada a validé le 737 MAX.
L’exposé C‑FT‑03 met en lumière des problèmes signalés à la suite d’un vol d’essai mené par Transports Canada le 9 novembre 2016. Lors de l’évaluation des caractéristiques de décrochage, Transports Canada a adopté la technique proposée par Boeing et la FAA qui consiste à « faire en sorte que le pilote ne sollicite pas la gouverne de profondeur une fois que l’actionneur de sensation artificielle profondeur est activé », sans tenter d’arrêter le piqué. Les pilotes de Transports Canada jugeaient que cette technique était contraire aux normes américaines de navigabilité. C’est pourquoi Transports Canada a fait la demande suivante dans son exposé des sujets de préoccupation : « La FAA est invitée à partager son expérience de certification du 737 et son interprétation de la classification ″piqué difficile à arrêter″ (″nose down pitch not readily arrested″) en conjonction avec la technique utilisée par Boeing et par la FAA qui consiste à cesser de solliciter la gouverne de profondeur lorsque la restitution d’efforts augmente. La logique justifiant l’acceptation de cette technique en conformité avec l’article 25.201 du titre 14 du CFR n’a pas été partagée par Boeing ou par la FAA dans le cadre de notre validation du 737-8 MAX[36]. »
L’exposé C-FT-04 met en lumière une anomalie dans le système de contrôle automatique de vol (AFCS) qui avait aussi été décelée par les pilotes de Transports Canada durant un vol d’essai le 9 novembre 2016. Lors d’un essai de descente rapide, le mode de changement de niveau de l’aéronef avait inopinément redressé le nez de l’avion, dérogé au profil de descente et amorcé une montée. Transports Canada a alors soulevé une préoccupation concernant le comportement de l’AFCS qui ne correspondait pas au mode de fonctionnement normal de l’aéronef. Le Ministère s’est demandé si la situation inverse pouvait se produire, c’est-à-dire que l’aéronef pique du nez contre toute attente lors d’une montée, même si le pilote a sélectionné une altitude plus élevée[37]. Dans sa lettre, Transports Canada dit avoir reçu une réponse de Boeing en mars 2017. Le constructeur y confirme que la situation observée par les pilotes d’essai était conforme à la conception de l’aéronef :
Boeing a déclaré que les lois de commandes régissant le changement de niveau du 737‑8 MAX avaient changé par rapport au mode de fonctionnement normal de l’AFCS, et que ces lois étaient propres à un scénario de descente d’urgence. Boeing a également mentionné que lorsque la fonction de descente d’urgence des commandes de vol électriques des déporteurs est appelée pendant que l’avion est en mode de changement de niveau, l’AFCS resserre considérablement les gains au niveau de la commande de vitesse et que la logique normale relative aux protections d’altitude n’est plus présente. Alors que la charge de travail est élevée lors d’un changement de niveau pendant une descente d’urgence, l’avion est maintenant autorisé à monter en dérogeant du réglage du sélecteur d’altitude, car il suit de près tout changement nettement inférieur à la vitesse commandée que l’équipage pourrait sélectionner.
En outre, Boeing a informé Transports Canada que les protections d’altitude associées à une montée lorsque l’avion se trouve à une altitude inférieure à celle réglée sur le sélecteur d’altitude ont également été éliminées dans le cas où le mode de changement de niveau est toujours actif pendant une descente d’urgence. Dans ce cas, le système de commandes ne modifiera pas la vitesse de l’avion afin de tenter de prévenir une descente à la suite d’une réduction de la poussée disponible lorsque l’avion se trouve en montée et que le sélecteur d’altitude est réglé à une altitude supérieure. Ce comportement est également contraire à celui de l’AFCS précédemment certifié sur le 737 NG et est contraire au fonctionnement normal de l’AFCS sur le 737‑8 MAX[38].
Malgré les assurances fournies par Boeing, selon lesquelles le redressement automatique du nez de l’aéronef était un élément de conception prévu, Transports Canada affirme dans son exposé des sujets de préoccupation qu’il « craint que ce fonctionnement ne surprenne les équipages de conduite lors d’une exploitation inhabituelle de l’avion et que cela vienne augmenter la charge de travail de l’équipage à un moment où la marge de manœuvre dont il dispose est déjà réduite. Nous considérons les mesures d’atténuation prévues dans la formation inadéquates étant donné qu’il s’agit d’une caractéristique de conception que les équipages de conduite ne rencontreront pas couramment[39]. » L’exposé indique aussi que Transports Canada met en doute la conformité de ce mode de fonctionnement aux règlements canadiens et américains sur la navigabilité.
Comme il a été mentionné plus haut, Transports Canada a fait savoir que les deux exposés des sujets de préoccupation en question resteraient ouverts après la validation de l’aéronef afin d’éviter les retards dans la livraison.
Lors de sa comparution devant le Comité, le ministre Garneau a confirmé qu’il était au courant de ces exposés des sujets de préoccupation lorsque le 737 MAX a été validé la première fois. Cela dit, M. Wilson et Murray Strom, vice-président aux Opérations de vol à Air Canada, ont indiqué que les compagnies aériennes n’ont pas été informées au sujet des exposés, mais ce dernier a dit que ce n’était pas inhabituel. M. Moore a exprimé l’avis que les « Canadiens ont le droit de savoir pourquoi Transports Canada a publié une lettre dans laquelle il expose ses préoccupations à propos du système antidécrochage avant l’écrasement mais n’a pas eu recours à son pouvoir pour prendre des mesures efficaces lorsqu’il a déclaré qu’il ne souscrivait pas à l’interprétation de la FAA ».
Les représentants de Transports Canada et le ministre des Transports ont clairement exprimé l’opinion que les exposés des sujets de préoccupation sont des documents couramment produits et qu’ils ne reflètent pas nécessairement une grave crainte pour la sécurité[40]. M. Perry et M. Wilson ont aussi défendu ce point de vue.
M. Turnbull a expliqué que les questions posées dans ces lettres de préoccupation touchaient principalement la méthodologie utilisée par la FAA pour certifier le 737-8 MAX, et que Transports Canada cherchait surtout à déterminer si le système devait être classé comme un système d’identification de décrochage ou un système anti-décrochage. Ce dernier cas aurait exigé un examen de plus haut niveau. M. Robinson a laissé entendre que le terme « sujet préoccupant » était source de confusion et qu’il fallait peut-être le changer. Il a indiqué que, si un document du genre mettait en lumière un risque sérieux pour la sécurité, la validation devrait attendre jusqu’à ce que le problème soit résolu.
Lors de sa dernière comparution, M. Turnbull a confirmé qu’aucun exposé des sujets de préoccupation ne restait à régler au moment où le 737 MAX a été revalidé, au début de 2021.
Recommandation 5
Que Transports Canada produise, dans un délai de six mois, un rapport sur les leçons retenues à la suite de la décision de garder au sol les 737 MAX de Boeing – axé sur l’approche de la Certification nationale des aéronefs en matière de certification et de validation des produits aéronautiques, y compris la conception, la mise en œuvre, la supervision de son programme de délégation et le processus de revalidation subséquent, et qu’il présente ce rapport au Comité.
Recommandation 6
Que le gouvernement du Canada entreprenne une consultation de haut niveau composée de représentants de l’industrie et des travailleurs, au sujet des besoins en personnel et en financement de Transports Canada, Aviation civile.
Recommandation 7
Que le gouvernement du Canada rétablisse le Conseil consultatif sur la réglementation aérienne canadienne afin de garantir une bonne collaboration entre le gouvernement, l’industrie et les représentants des travailleurs pour évaluer les dossiers, et que ce conseil soit chargé d’examiner les besoins du secteur de la fabrication aérospatiale en matière de systèmes de gestion de sécurité.
Recommandation 8
Que Transports Canada, Aviation civile s’engage à formaliser davantage la collaboration internationale avec d'autres autorités aéronautiques en ce qui concerne les questions de certification et de validation, notamment par l’entremise d’échanges formels de représentants permanents.
Recommandation 9
Que Transports Canada, Aviation civile examine ses politiques pour s’assurer que les aéronefs ne sont pas certifiés ou validés avant que toutes les questions et préoccupations importantes n’aient été réglées entièrement.
Recommandation 10
Que le Comité exprime ses préoccupations quant à la certification des aéronefs de Boeing accordée par la FAA à la lumière des dernières constatations des autorités américaines.
Recommandation 11
Que Transports Canada réexamine ses accords internationaux en ce qui concerne l'harmonisation de la certification des aéronefs avec d'autres juridictions.
Recommandation 12
Que Transports Canada effectue une évaluation technique supplémentaire dans le cadre de la validation des aéronefs certifiés par la FAA.
La réaction aux incidents impliquant un aéronef certifié ou validé : L’exemple du Boeing 737 MAX
Le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports (BST) ne participe pas au processus de certification proprement dit, mais il peut, dans le cadre de son mandat d’enquête, émettre des avis sur la sécurité relativement à la certification. Ceux-ci peuvent prendre la forme d’une lettre d’avis de sécurité ou de recommandations. Le BST examine ensuite la réponse du ministre des Transports et fait une réévaluation annuelle des nouvelles réponses reçues[41].
Dans le cas d’un incident d’avion qui a eu lieu à l’étranger, le rôle du BST est précisé à l’Annexe 13 à la Convention relative à l’aviation civile internationale. Comme l’a expliqué au Comité Natasha Van Themsche, directrice des Enquêtes aéronautiques au BST, le pays où a lieu l’incident est théoriquement responsable de l’enquête. L’équipe de l’enquête comprend des membres provenant de l’État d’immatriculation ou de l’exploitant de l’avion, de l’État où l’appareil a été conçu et construit, ainsi que de l’État où les moteurs ont été conçus et construits. Les pays dont des citoyens étaient à bord de l’avion impliqué dans l’incident peuvent aussi jouer un rôle dans l’enquête, mais celui-ci se limite à visiter la scène de l’incident, à obtenir de l’information factuelle qui est prête à être divulguée publiquement et à recevoir une copie du rapport final de l’enquête.
Invitée à dire si le BST devrait jouer un rôle plus important dans les enquêtes portant sur les incidents qui se produisent à l’étranger mais qui concernent directement les intérêts du Canada, Kathleen Fox, présidente du BST, a donné la réponse suivante : « Ce serait vraiment à l’OACI d’apporter des changements pour qu’un pays comme le Canada, s’il a perdu un grand nombre de vies dans un écrasement et qu’il dispose d’une expertise reconnue en la matière, puisse jouer un rôle plus actif dans l’enquête. »
Dans son mémoire, M. Primeau déplore également le rôle limité que le Canada a pu jouer dans les modifications de conception apportées au 737 MAX lors du processus de recertification. Il estime que les règles de l’OACI soient modernisées pour tenir compte du fait que tous les éléments de l’industrie moderne de l’aéronautique sont étroitement reliés, et pour donner accès à un plus grand bassin d’expertise internationale durant les processus de certification et de recertification.
Le vol 610 de Lion Air
Le premier incident grave impliquant un 737 MAX a eu lieu le 29 octobre 2018, lorsque le vol 610 de Lion Air s’est écrasé dans les minutes qui ont suivi son décollage de Jakarta, en Indonésie. En tant qu’autorité de certification de l’État de conception, la FAA a diffusé une consigne de navigabilité qui modifiait la procédure à suivre afin d’aider les pilotes à neutraliser l’activation non désirée du MCAS du 737 MAX. Selon la nouvelle procédure, les pilotes devaient mémoriser deux des cinq étapes requises pour suivre la procédure en cas d’emballement du compensateur du stabilisateur[42].
Comme M. Moore l’a expliqué, il a depuis été révélé que la FAA avait effectué, à la suite de la consigne de navigabilité, une analyse des risques sur le maintien en service du 737 MAX. Selon le rapport final du Comité de la Chambre des représentants des États‑Unis, la FAA a conclu dans son analyse que, si elle n’accompagnait sa consigne de navigabilité d’urgence d’aucune autre mesure ou d’aucune modification au MCAS, elle estimait que, sur une durée de vie de 30 ans des aéronefs, la flotte de 737 MAX pouvait faire l’objet de plus de 15 écrasements causant au total plus de 2 900 morts[43]. M. Robinson a confirmé que Transports Canada avait reçu les conclusions du rapport de la FAA, mais que c’était seulement après l’écrasement du vol d’Ethiopian Airlines qu’il avait demandé l’analyse détaillée.
Transports Canada exige que les pilotes mémorisent les cinq étapes de la procédure en cas d’emballement du compensateur du stabilisateur, ce qui surpasse les exigences fixées dans la consigne de navigabilité de la FAA[44]. Le Ministère a pris cette décision en coopération avec les trois transporteurs canadiens qui exploitent des 737 MAX, soit Air Canada, Sunwing et WestJet, et il a appliqué la nouvelle exigence dans les deux semaines suivant l’écrasement de l’appareil de Lion Air[45]. M. Hudson a dit au Comité que cette solution canadienne, axée sur la collaboration, a « nettement atténué tout risque résiduel entourant le MCAS et les cas d’emballement du stabilisateur du [737] MAX ».
M. Primeau a indiqué que le rapport préliminaire sur l’écrasement de l’avion de Lion Air avait révélé « un comportement vraiment très anormal du MCAS, mais aussi du compensateur du stabilisateur ». À son avis, toute la flotte aurait dû, dès lors, être clouée au sol. À ce sujet, le ministre Garneau a souligné qu’aucun pays n’avait gardé au sol les 737 MAX après l’écrasement du Lion Air.
Le vol 302 d’Ethiopian Airlines
Le deuxième incident grave impliquant un 737 MAX s’est produit le 10 mars 2018, lorsque le vol 302 d’Ethiopian Airlines s’est écrasé quelques minutes après son décollage d’Addis Abeba, en Éthiopie. M. Robinson a dit au Comité que Transports Canada avait commencé à recueillir des données de la FAA et de Boeing tout de suite après l’écrasement. Le ministre Garneau a expliqué qu’il était à ce moment impossible de déterminer la cause de l’écrasement. Il pouvait s’agir d’une erreur du pilote, d’un acte terroriste ou d’un problème mécanique ou électrique.
Le Canada a fermé son espace aérien au 737 MAX le 13 mars 2018. M. Njoroge s’est dit d’avis que, en attendant aussi longtemps avant de clouer ces appareils au sol à la suite de l’écrasement, le ministre Garneau avait « fait montre d’un excès d’arrogance semblable au comportement affiché par beaucoup au sein de la FAA et de Boeing, avant et après les écrasements des avions 737 MAX ». Le ministre Garneau et M. Robinson ont expliqué que la décision de maintenir au sol les 737 MAX avait été prise le 13 mars 2018, après qu’Aireon, une société possédant un système mondial de surveillance de la circulation aérienne, ait fourni des données satellites à Transports Canada. Les données d’Aireon ont permis d’avoir un profil 3D du vol 302 d’Ethiopian Airlines, qui a montré des similitudes avec l’écrasement de l’avion de Lion Air. Les autorités canadiennes s’en sont servi pour fermer sur-le-champ l’espace aérien du pays aux appareils 737 MAX. L’examen des données d’Aireon par Transports Canada, un exercice alors inhabituel, est par la suite devenu pratique courante, surtout depuis l’enquête sur le vol 752 d’Ukraine International Airlines, abattu dans le ciel iranien le 8 janvier 2020.
Amené à dire si le Canada s’était contenté de suivre l’exemple des États-Unis lorsqu’il avait attendu avant de garder les 737 MAX au sol, le ministre Garneau a insisté sur le fait que sa décision avait été prise non seulement en toute indépendance des États-Unis, mais qu’elle avait précédé celle de la FAA de plusieurs heures.
Après l’écrasement de l’avion d’Ethiopian Airlines, le Canada a participé activement à plusieurs examens et évaluations afin de déterminer et de résoudre la cause des écrasements de 737 MAX. Le Joint Authorities Technical Review, l’Équipe de gestion de la certification et le comité mixte d’évaluation opérationnelle sont des exemples d’initiatives du genre[46]. À ce sujet, le ministre Garneau a dit au Comité que le Canada s’était révélé comme un chef de file en prenant diverses mesures. Par exemple, il a exigé aux pilotes de 737 MAX de suivre une formation sur simulateur, il a procédé à des mises à l’essai de décrochage afin de valider les fonctions de vol sécuritaire lorsque le système MCAS est éteint, et il a proposé un changement procédural pour réduire les distractions excessives dans le poste de pilotage et la charge de travail pour permettre à l’équipage de désactiver l’avertissement du vibreur du manche dans le poste de pilotage. Pour sa part, M. Turnbull a observé que son équipe a « joué un rôle central en donnant très clairement [son] opinion sur la nature des préoccupations relatives à l’application de la règle de produit modifié ».
L’écrasement del’avion d’Ethiopian Airlines a également rappelé à Transports Canada l’importance de tenir compte des conséquences des incidents aériens sur le plan humain. Comme M. Robinson l’a dit au Comité, cette catastrophe a mis en lumière le besoin d’améliorer certaines choses. Parmi ces conséquences directes, notons le fait que Transports Canada a changé sa façon de communiquer avec les familles des victimes après l’écrasement du vol PS752 d’Ukraine International Airlines en Iran, le 8 janvier 2020.
Recommandation 13
Que le gouvernement du Canada travaille avec les familles des victimes canadiennes du vol 302 d’Ethiopian Airlines afin de commémorer les victimes.
Recommandation 14
Que le Canada, grâce à son siège permanent au sein de l’OACI, s’efforce d’obtenir des modifications à l’annexe 13 afin de permettre une plus grande participation aux enquêtes sur les incidents de la part des États ayant une expertise ou un nombre important de morts dans l'incident.
Conclusion
Tout au long de l’étude du Comité, des témoins représentant l’industrie aéronautique canadienne ont exprimé leur confiance à l’égard du système de certification actuel et de la compétence de TCAC. Cela dit, différents rapports publiés à la suite des écrasements d’avions de Lion Air et d’Ethiopian Airlines ont soulevé de sérieuses préoccupations à propos du processus de certification du 737 MAX de Boeing. En outre, ces évènements ont suscité une réflexion au Canada concernant la validation des aéronefs étrangers, notamment en ce qui a trait au degré de participation de TCAC à ce processus.
Conscients du fait que la sécurité des passages et des équipages doit toujours être la priorité absolue, les témoins ont estimé que le processus de certification et de validation des aéronefs au Canada doit être encore plus solide.
[1] L’appellation 737 MAX désigne en fait une série de modèles présentant de légères différences de taille : le MAX 7, le MAX 8, le MAX 9 et le MAX 10.
[2] Le Joint Authorities Technical Review était formé de représentants techniques de la Federal Aviation Administration et de la National Aeronautics and Space Administration des États‑Unis, ainsi que des autorités de l’aviation civile de l’Australie, du Brésil, du Canada, de la Chine, de l’Union européenne, de l’Indonésie, du Japon, de Singapour et des Émirats arabes unis.
[3] Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités [TRAN], Témoignages, 43e législature, 2e session, David Curtis (président et chef de la direction, Viking Air Limited [Viking Air]); Michael Deer (spécialiste de la navigabilité, Bell Textron Canada limitée [Bell Textron Canada]); Jodi Diamant (ingénieure en chef, Navigabilité et certification [Pratt & Whitney Canada]); Gilles Primeau (à titre personnel); Jim Quick (président et chef de la direction, Association des industries aérospatiales du Canada [AIAC]); Murray Strom (vice‑président, Opérations de vol, Air Canada [AC]); et Scott Wilson (vice‑président, Opérations de vol, WestJet Airlines Ltd. [WestJet]).
[4] TRAN, Témoignages : Kathleen Fox (présidente, Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports [BST]); l’hon. Marc Garneau (ministre des Transports, Chambre des communes [CdC]); et Nicholas Robinson (directeur général, Aviation civile, Transports Canada [TC]).
[5] TRAN, Témoignages : Curtis (Viking Air); Deer (Bell Textron Canada); Diamant (Pratt & Whitney Canada).
[6] Le rapport d’évaluation opérationnelle porte principalement sur le Boeing 737 MAX 8, mais aussi sur le 737 MAX 9 et désigne les deux modèles sous le nom de 737 MAX.
[8] Chambre des représentants des États‑Unis, Comité des transports et de l’infrastructure, Final Committee Report: The Design, Development & Certification of the Boeing 737 MAX, septembre 2020 (Comité de la Chambre des représentants des États‑Unis), p. 166.
[9] Transports Canada, Exposé des sujets de préoccupation C-FT-03 : Interprétation de l’identification de décrochage, 12 mai 2017 (C-FT-03); et Transports Canada, Exposé des sujets de préoccupation C-FT-04 : Anomalie du système de commandes automatiques de vol (AFCS), 2 juin 2017 (C-FT-04).
[10] Joint Authorities Technical Review, Boeing 737 MAX Flight Control System: Observations, Findings and Recommendations (JATR), p. IV [traduction].
[11] Ibid.
[12] TRAN, Témoignages : Robinson (TC); et David Turnbull (directeur, Certification nationale des aéronefs [TC]).
[13] TRAN, Témoignages : Curtis (Viking Air); Deer (Bell Textron Canada); et Diamant (Pratt & Whitney Canada).
[15] TRAN, Témoignages : Turnbull (TC); et Wilson (WestJet).
[16] TRAN, Témoignages : Capt John Hudson (directeur intérimaire, Opérations de vol, Sunwing Airlines [Sunwing]); Strom (AC); et Wilson (WestJet).
[19] Federal Aviation Administration et Transports Canada – Aviation civile, FAA-TCCA Validation Improvement Roadmap 2018-2022, 19 novembre 2018, [Feuille de route pour l’amélioration de la validation FAA-TCAC] [disponible en anglais seulement].
[20] Comité de la Chambre des représentants des États‑Unis, p. 233 [traduction].
[21] Ibid., p. 230.
[22] Ibid., p. 232.
[23] Ni la FAA, ni Boeing n’ont répondu aux invitations du Comité à participer à son étude.
[25] C-AEG-01, 17 juin 2016, p. 1.
[26] C-AISA-01, 16 juin 2017, p. 3.
[28] Note : Cette remarque a été faite avant les restrictions imposées en raison de la COVID‑19.
[34] Feuille de route pour l’amélioration de la validation FAA-TCAC, p. 3 [traduction].
[35] Transports Canada a fourni ces documents ministériels internes à la demande du Comité.
[36] C-FT-03, p. 2.
[37] C-FT-04, p. 1.
[38] C-FT-04, p. 2.
[39] C-FT-04, p. 2.
[43] Comité de la Chambre des représentants des États‑Unis, p. 209-210.