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TRAN Rapport du Comité

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RAPPORT COMPLÉMENTAIRE
DU
NOUVEAU PARTI DÉMOCRATIQUE DU CANADA

 

Trains à grande fréquence

Les trains passagers modernes offrent au Canada une formidable occasion d’adopter un système de transport durable, efficace, sûr et équitable. Pourtant, notre pays continue d’être en retard par rapport à la plupart de ses pairs dans le monde en matière d’infrastructures et d’investissements. Bien que les néo-démocrates du Canada appuient l’investissement dans une infrastructure ferroviaire dédiée au transport de passagers dans le corridor Toronto–Québec, nous sommes déçus que le rapport du Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités sur le projet de trains à grande fréquence (TGF) du gouvernement ne tienne pas compte des principales préoccupations soulevées par les témoins au cours de l’étude du Comité.

Les néo-démocrates sont heureux d’avoir travaillé avec les autres partis pour soutenir plusieurs des recommandations du rapport, sur la base de témoignages solides. Ces recommandations sont les suivantes :

  • s’inspirer des pays qui disposent de systèmes ferroviaires à grande vitesse exploités avec succès par le secteur public pour définir le modèle de passation des marchés et d’exploitation du projet de TGF;
  • publier le rapport complet et non caviardé du Bureau de projet conjoint sur le projet de TGF;

  • assurer une connectivité transparente entre le TGF et les systèmes de transport en commun locaux et régionaux, grâce à une collaboration avec les provinces et les municipalités;

  • garantir que le TGF n’entraîne pas une réduction du service dans les localités actuellement desservies par VIA Rail.

Toutefois, ces recommandations ne répondent pas aux préoccupations majeures concernant le modèle de partenariat public-privé et les répercussions probables du projet de TGF sur l’actuel système ferroviaire public de transport de passagers au Canada.

Le présent rapport complémentaire met en lumière les témoignages qui ne figurent pas dans le rapport principal du Comité, ainsi que les recommandations que les néo-démocrates jugent nécessaires à la mise en place d’un système ferroviaire moderne et efficace pour le transport de passagers, au bénéfice de tous les Canadiens. Ces recommandations sont les suivantes :

  • élaborer des politiques et des lois qui confèrent un mandat à VIA Rail et qui favorisent la fiabilité du transport ferroviaire de passagers dans tout le Canada;
  • atteindre les objectifs climatiques du Canada en remplaçant les vols et les déplacements en voiture par le transport ferroviaire.

Privilégier la propriété publique à la privatisation

Bien que la majorité des témoignages concernant le modèle de passation des marchés du projet aient exprimé de graves préoccupations quant à la décision du gouvernement de recourir à un partenariat public-privé (PPP) plutôt qu’à un modèle public, le rapport principal n’inclut pas de recommandations reflétant ces témoignages.

Des témoins ont fait part de leurs préoccupations concernant le PPP pour le TGF, notamment le manque de transparence, les retards, l’augmentation de la charge financière pour les contribuables, la perte d’avantages économiques, la priorité donnée aux profits du secteur privé plutôt qu’au bien commun, les conditions de travail des ouvriers, les effets néfastes sur le reste du service de VIA, ainsi que de nombreux exemples de mauvais résultats obtenus dans le cadre de projets ferroviaires en PPP à l’étranger.

Transparence

Pour un projet aussi important et coûteux pour le contribuable canadien que le projet de TGF, la transparence et la responsabilité sont essentielles pour garantir la viabilité. Cependant, confier la planification, le développement et l’exploitation du projet à des sociétés privées comporte des risques importants. Comme l’a souligné Ryan Katz‑Rosene :

« [U]ne entreprise privée […] a la responsabilité fiduciaire de réaliser des profits […] Je vous donne quelques exemples. Le risque de manque de transparence est bien documenté dans la littérature. Si le projet est financé par le gouvernement — s’il s’agit d’un projet public —, il sera assorti d’un processus de reddition de comptes transparent intégré. Je pense qu’il vaut la peine de conserver cet élément. »

Cette opinion a été réitérée par Yonah Freemark, de l’Urban Institute, qui a souligné qu’un manque de responsabilité et de contrôle pourrait entraîner des changements majeurs dans le projet, ce qui se traduirait par une explosion des coûts :

« [C]e qui importe le plus — plus que de savoir qui, au bout du compte, construit ou gère le projet de construction —, c’est la transparence et la promesse du gouvernement comme quoi il assurera un contrôle quotidien de la conception, de la planification et de la construction des projets. Sans une capacité importante provenant du secteur public, il y aura probablement des problèmes majeurs de dépassement des coûts et de modifications des plans au fil du temps. »

La décision du gouvernement de recourir à un PPP a déjà entraîné un manque de transparence, ainsi que les retards et les dépassements de coûts décrits par M. Freemark. Terrence Johnson, président de Transport Action Canada, a souligné que le passage du projet de TGF de son modèle public initial sous VIA Rail au modèle actuel de PPP a déjà contribué à des retards dans les délais et à des dépassements de coûts, dont l’information a été cachée au public :

« [À] l’été 2018, le gouvernement a hésité à prendre une décision concernant le futur du TGV. Si le gouvernement avait suivi les conseils de sa société d’État, le TGV serait aujourd’hui en phase finale de construction, et fonctionnel d’ici 2025. Au lieu de cela, le BPC (Bureau de projet conjoint) a été mis sur pied en 2019 par la Banque de l’infrastructure du Canada, avec un budget de 71 millions de dollars. Son mandat était de réduire les risques du projet. Néanmoins, les tâches qui lui ont été confiées, notamment la poursuite de la collaboration avec les communautés autochtones, ne semblent pas avoir été réalisées. Par ailleurs, le rapport du BPC n’a jamais été publié, et les renseignements obtenus grâce à une demande d’accès à l’information ont été lourdement caviardés. »

Le NPD est préoccupé par le manque de transparence et de responsabilité dont on a fait preuve jusqu’à présent et se réjouit que le comité ait recommandé au gouvernement fédéral de publier le rapport complet du Bureau de projet conjoint.

Augmentation des coûts pour les contribuables

Les témoins ont souligné que les PPP ont des taux d’échec et de dépassement de coûts beaucoup plus élevés que les projets réalisés par le secteur public. Bruno Dobrusin, de la Fédération internationale des ouvriers du transport, a indiqué que l’expérience de son organisation avec les modèles publics et les modèles de PPP a fait ressortir que les projets en PPP sont beaucoup plus susceptibles de subir d’importants dépassements de coûts qui, malgré les affirmations selon lesquelles les PPP réduisent les risques et la charge financière pour les contribuables, doivent être subventionnés par les contribuables et les passagers :

« Notre fédération a constaté que la privatisation peut mener à la fragmentation et à l’inefficience des systèmes ferroviaires en plus de contribuer à une baisse de la qualité des services ainsi que de la qualité du travail effectué dans le cadre des partenariats public-privé. Les partenariats de ce type ont entraîné de lourdes pertes financières pour les grands services de transport nationaux et internationaux. Les soumissions irréalistes présentées par des entrepreneurs privés pour décrocher des contrats ont voué à l’échec des projets visant les itinéraires principaux, fait crouler les gouvernements sous leurs obligations financières et souvent abouti à une offre de services fortement subventionnée par les contribuables et les passagers. Le financement par le secteur privé s’est révélé plus coûteux que celui provenant du secteur public, car les profits vont directement aux actionnaires, ce qui se traduit par un sous-investissement dans les services. »

Cette opinion a été reprise par M. Katz‑Rosene, qui a expliqué que des recherches universitaires avaient montré que les PPP étaient beaucoup plus susceptibles d’entraîner l’échec d’un projet, ce qui se traduit par une augmentation des coûts pour les contribuables :

« [D]es recherches universitaires sur les PPP laissent croire que ce modèle pourrait présenter un risque plus élevé de dépassement des coûts et de retards dans l’exécution des projets et qu’il pourrait limiter davantage la capacité du gouvernement à utiliser ces projets pour atteindre des objectifs publics à plus grande échelle. Si ces objectifs ne sont pas atteints, la population canadienne pourrait devoir en payer le prix au bout du compte. »

M. Freemark a cité un exemple précis aux États‑Unis, où un projet de métro léger en PPP a complètement échoué, entraînant des retards et des dépassements de coûts massifs, à la charge du gouvernement et des contribuables :

« J’inviterais les députés à se renseigner sur la ligne mauve, un projet de train léger dans la banlieue du Maryland aux abords de Washington, D.C. Le partenariat public-privé qui devait prendre en charge la construction et les opérations du train pendant 30 ans s’est complètement effondré. Le projet a par conséquent été interrompu après seulement deux ans de construction. Le gouvernement a dû attribuer un autre contrat pour poursuivre le projet. Les coûts ont alors explosé par rapport aux coûts proposés initialement. »

M. Dobrusin s’est également penché sur le mythe selon lequel les PPP déchargent les entreprises privées des risques liés aux :

« Une étude de 2012 sur les partenariats public-privé ferroviaires à l’échelle mondiale a révélé que ces projets ne sont couronnés de succès que lorsque les autorités publiques garantissent des profits aux concessionnaires privés. Les projets ferroviaires au titre desquels les concessionnaires assument leur part des risques financiers ont tendance à échouer. »

M. Johnson a fait remarquer que le plan initial du gouvernement prévoyant un modèle public aurait coûté moins cher que l’approche de PPP actuelle, et que le passage à la nouvelle approche a déjà entraîné d’importants retards dans les projets :

« Nous prenons un risque financier, car le projet va coûter plus cher; il faudra des années avant même que nous commencions à poser des rails et, au bout du compte, les Canadiens vont payer davantage pour le même train que nous avions ébauché en 2018 et que nous aurions pu construire. »

Le gouvernement actuel et les défenseurs des PPP répètent que les projets publics-privés déchargent les contribuables des risques liés aux projets en les confiant à des entreprises privées, mais la réalité est tout autre. Il a été démontré à maintes reprises que les PPP, en plus de coûter plus cher au public, conduisent aussi le secteur public à assumer le risque si les « partenaires » du secteur privé rencontrent des problèmes.

Perte de bénéfices économiques

Si le projet de TGF peut être rentable pour un consortium privé, il peut également l’être pour une société d’État. Ainsi, le fait de confier les bénéfices futurs à des investisseurs privés empêche le gouvernement de les réinvestir dans le développement du réseau ferroviaire de passagers du Canada dans l’intérêt du public.

M. Freemark a indiqué dans son témoignage que le gouvernement retirerait probablement des bénéfices du projet, comme c’est le cas dans le monde entier :

« Dans une perspective opérationnelle, les services de train à grande vitesse dans d’autres parties du monde sont presque tous rentables, ce qui veut dire que les profits couvrent leurs dépenses liées aux opérations quotidiennes. »

Jennifer Murray, d’Unifor, a souligné que, puisque le contribuable canadien va déjà subventionner le projet de TGF, nous ne devrions pas renoncer à l’opportunité d’en acquérir les bénéfices :

« Parce que ces réseaux sont dispendieux, nous devons aussi nous assurer que la richesse créée par leur construction et leur exploitation demeure au pays. Le réseau ferroviaire contribue à l’édification du pays et au développement économique, et pas seulement au transport de produits et de personnes. Il faut le bâtir, l’entretenir et faire tout le nécessaire pour assurer sa viabilité. Si nous continuons de privatiser ces services et de les vendre à des intérêts étrangers, nous abandonnons une part importante des retombées économiques liées à la construction ferroviaire et nous divisons davantage notre réseau de chemins de fer. »

Ce coût de renonciation a été repris par le M. Katz‑Rosene dans son témoignage :

« Il y a également des difficultés ou des risques réels associés à la privatisation d’une société d’État, notamment le fait de ne plus pouvoir jouir des actifs extraordinaires parce que nous les aurons cédés au secteur privé. Je vais m’arrêter ici, mais il n’y a aucune raison, en effet, pour laquelle une ligne appartenant au secteur public ne produirait pas de revenus à réinvestir dans les autres composantes du service. »

Le NPD juge irresponsable que le gouvernement soit prêt à renoncer aux bénéfices évidents à long terme d’un modèle de projet qui réinvestit les profits futurs pour le bien commun.

Effet sur le reste du service de VIA

La privatisation du corridor le plus rentable de VIA Rail a éveillé des craintes chez plusieurs témoins, qui ont exprimé leur inquiétude quant à la façon dont VIA Rail continuerait à financer le reste de son service pour les voyageurs dans tout le pays. Le corridor Toronto–Québec représente la grande majorité des revenus de VIA. Dans le cadre du projet de TGF du gouvernement, les revenus du service passagers sur ce corridor seront transférés à un consortium privé, laissant à VIA le soin d’exploiter ses services publics dans le reste du pays avec une petite fraction des revenus actuels tirés de la vente des billets. M. Johnson a fait part de son inquiétude quant à l’avenir des lignes moins fréquentées de VIA :

« [S]i le reste de VIA Rail continue de fonctionner comme un service public, il lui faudra une subvention beaucoup plus importante pour fournir tous les services de base qui sont actuellement partagés le long du corridor. Je pense que ce serait quelque chose qui, à notre avis, ne se produirait absolument pas. Résultat : des trains comme le Skeena risqueraient de disparaître parce que le gouvernement dirait ne pas pouvoir les subventionner. »

Ces préoccupations ont été reprises par Joel Kennedy, directeur national des chemins de fer pour Unifor, qui a prédit que VIA pourrait subir un sort similaire à celui de Greyhound :

« Ce que nous vivons ici est similaire à ce qui est arrivé à Greyhound à travers le Canada. Ce service, qui était très bon à une époque, a été réduit, réduit et réduit, jusqu’à sa disparition. C’est exactement ce que nous craignons qu’il arrive une fois que nous aurons commencé à détourner les profits du corridor. Qu’adviendratil du reste de la flotte? La flotte de VIA Rail est actuellement vieillissante. Elle est médiocre. Elle n’est plus du tout pratique et elle n’est pas fiable. C’est l’une de nos principales préoccupations. »

Bien que les liaisons rurales de VIA génèrent moins de revenus que le corridor, elles fournissent un service vital aux habitants de certaines localités rurales qui n’ont souvent pas accès à d’autres moyens de transport. Les services ferroviaires peuvent jouer un rôle important en aidant les habitants des régions rurales à accéder à des services tels que des traitements médicaux qui sont moins bien accessibles dans les petites localités.

Le manque d’accès aux transports dans les régions rurales peut obliger des groupes vulnérables à se mettre dans des situations dangereuses, comme faire du stop. Voilà pourquoi l’accès à des moyens de transport abordables et fiables est mentionné dans les appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Afin d’éviter la dégradation de services essentiels pour les régions rurales du Canada, le gouvernement ne doit pas céder la majorité des revenus de VIA à des intérêts privés.

Les bénéfices privés contre le bien commun

Les entreprises privées ont la responsabilité fiduciaire de générer des profits pour leurs actionnaires — un objectif qui peut aller à l’encontre de l’intérêt du public. Dans le cas du TGF, les témoins ont exprimé la crainte que ce conflit n’entraîne une augmentation des tarifs, une hausse des émissions de gaz à effet de serre, un abaissement des normes de sécurité et une détérioration des conditions de travail. Comme l’a dit M. Katz‑Rosene aux membres du comité :

« Il peut ensuite y avoir un risque pour la sécurité, ou d’autres risques, lorsqu’une entreprise privée essaie de réduire ses coûts pour maximiser les profits. Cela peut être un réel problème. Par exemple, si une situation nécessite tout à coup des investissements supplémentaires, et qu’investir davantage est la bonne chose à faire parce qu’il s’agit du choix le plus écologique ou le plus sûr, l’entreprise qui se concentre sur l’optimisation de la valeur et du rendement du capital investi pourrait décider de ne pas réaliser cet investissement. On peut aussi s’exposer à des risques lorsqu’une entreprise privée veut obtenir plus rapidement un meilleur rendement sur investissement. Par exemple, il se pourrait que le prix des billets augmente. Cela représente des risques supplémentaires. Lorsqu’une entreprise souhaite obtenir un meilleur rendement, on assiste à une sorte d’escalade des risques qui fait qu’un projet pourrait se solder par un échec. »

M. Katz‑Rosene a développé la question des entreprises privées qui tirent des bénéfices de l’augmentation des tarifs, en exprimant la crainte que ces tarifs plus élevés ne fassent fuir les passagers, ce qui conduirait à des tarifs encore plus élevés :

« À mon avis, l’un des principaux risques, si l’on veut accélérer le rendement du capital investi, c’est la majoration éventuelle des tarifs. […] Le premier déterminant pour le choix du mode de transport interurbain, c’est le coût, le prix. Cela a un lien avec le TGV et le TGF, parce que si vous dépensez plusieurs milliards de dollars pour cet énorme projet et qu’une entreprise privée essaie de récupérer ces coûts, vous devrez facturer des tarifs plus élevés, et cela aura une incidence sur votre capacité à remplacer une part des modes de transport concurrents. »

M. Dobrusin a indiqué au comité que ces effets négatifs sur les passagers ont été observés dans d’autres pays. Il a cité en particulier le Royaume‑Uni :

« C’est au Royaume‑Uni que ce constat est le plus facile à faire. Le réseau ferroviaire privatisé y nécessite plus de financement public qu’avant la libéralisation du service. Le prix des billets a grimpé en flèche et les usagers du transport ferroviaire au Royaume‑Uni sont parmi les passagers les plus insatisfaits en Europe. »

Il a également décrit l’effet de la privatisation sur les travailleurs syndiqués du secteur ferroviaire et ses répercussions sur le grand public :

« [C]es entreprises essaient généralement de soumettre des offres plus basses les unes que les autres, et l’une des façons dont elles réduisent la valeur de ces offres consiste à restreindre les coûts salariaux. Cela se répercute ensuite non seulement sur les conditions de travail, mais aussi sur la sécurité. »

M. Kennedy était d’accord avec M. Dobrusin, et il a décrit le fait que les PPP ont tendance à réduire les emplois syndicaux de qualité :

« Comme mon collègue Bruno l’a également mentionné, lorsque nous voyons des entreprises privées participer à ces propositions, nous remarquons que les conditions de travail, les salaires et toutes sortes d’éléments relatifs à la santé et à la sécurité diminuent également. »

Avec le TGF, le gouvernement fédéral envisage d’investir des dizaines de milliards de dollars publics dans le réseau de transport ferroviaire de passagers du Canada. Il est impératif que l’intérêt public à long terme reste primordial et que la recherche de profits par les investisseurs privés ne soit pas autorisée à amoindrir les objectifs publics importants. Nous pensons qu’un système de transport ferroviaire de passagers développé, détenu et exploité par l’État est le meilleur moyen d’y parvenir.

Les avantages d’un système public

Les témoins n’ont pas seulement exprimé leurs préoccupations à l’égard du modèle de PPP; ils ont également évoqué les avantages d’un système de transport ferroviaire de passagers détenu et exploité par l’État, en citant des exemples de réussite dans le monde entier.

Pour contrebalancer sa critique de la privatisation des chemins de fer au Royaume‑Uni, M. Dobrusin a cité les systèmes publics en Espagne, en Allemagne et en Corée du Sud :

« À l’inverse, l’Allemagne, l’Espagne et la Corée du Sud ont des réseaux de transport ferroviaire à grande vitesse financés par l’État qui fonctionnent bien. Parmi les résultats positifs, mentionnons la réduction des temps de déplacement, le développement économique et l’amélioration de la connectivité. »

M. Freemark a également souligné la réussite du modèle public espagnol, et notamment le fait qu’il a permis de réduire les coûts pour les contribuables :

« En Espagne, les coûts liés à l’infrastructure de transport ferroviaire à grande vitesse sont parmi les plus bas au monde, ce qui est intéressant, car l’Espagne a adopté une approche purement publique. »

De même, Mme Murray a fait remarquer que les consortiums soumissionnaires pour le projet de TGF comprennent des sociétés d’État de chemin de fer qui exploitent des systèmes ferroviaires publics performants dans leur propre pays :

« Le fait que la demande de propositions comprenne deux sociétés d’État européennes de chemin de fer montre à quel point il est ridicule de penser que nous avons besoin de l’expertise du secteur privé. »

Le NPD est heureux que le rapport principal du Comité recommande au gouvernement d’examiner des exemples internationaux de systèmes ferroviaires publics afin d’éclairer le modèle de passation des marchés et d’exploitation pour le TGF, d’autant plus que le gouvernement n’a pas pris en compte les exemples publics lors de l’évaluation des modèles de passation des marchés potentiels pour le projet[1].

Le NPD recommande vivement au gouvernement de tenir compte des témoignages susmentionnés, d’abandonner son approche de PPP pour le projet de TGF et d’opter plutôt pour un modèle public qui met l’accent sur les avantages pour le public tout en minimisant les risques et les coûts.

Changements d’ordre législatif

Au cours des dernières décennies, les gouvernements libéraux et conservateurs successifs n’ont pas investi de manière adéquate dans le transport ferroviaire de passagers et, en conséquence, le Canada a pris de plus en plus de retard par rapport à ses pairs internationaux. M. Freemark a décrit cette situation au Comité :

« [J]’ai démontré que l’investissement ferroviaire par habitant au Canada a été le plus faible de tous les membres du G7 chaque année, sauf une, depuis au moins 1995. En effet, au cours des dernières décennies, ses niveaux d’investissement ont été inférieurs de moitié à ceux de pays comme la France, l’Italie et le Japon, et ils représentaient même parfois le dixième des investissements de ces pays. »

Ce manque d’investissement est associé au fait que le gouvernement fédéral n’a jamais donné de mandat législatif à VIA Rail. Le financement et les attentes en matière de prestation de services de la société sont donc entièrement laissés à la discrétion du ministre des Transports, sans obligation formelle de rendre des comptes au Parlement. Aux États‑Unis, la loi fédérale confie à Amtrak le mandat d’assurer le transport ferroviaire de passagers dans tout le pays. Le NPD propose depuis longtemps que le gouvernement fédéral adopte une loi similaire au Canada afin de définir l’objectif public de la société d’État, de protéger les niveaux de service et d’orienter toute expansion éventuelle.

Un autre exemple du retard du Canada par rapport à son voisin du sud est l’absence de loi accordant la priorité aux trains de passagers sur les voies partagées. Il est donc extrêmement difficile pour VIA d’offrir un service uniforme et fiable aux passagers, comme l’explique son PDG, Mario Péloquin :

« Comme VIA Rail ne possède que 3 % des voies qu’elle utilise, ses trains doivent souvent attendre derrière les trains de marchandises et les trains de banlieue, ce qui lui cause malheureusement des retards de façon chronique. Par exemple, sur le trajet entre Montréal et Ottawa, dont nous contrôlons entièrement les voies, plus de 90 % de nos trains respectent l’horaire. Par contre, sur le reste du réseau, où nous nos trains circulent sur des voies ferrées hôtes, nous avons du mal à respecter la ponctualité dans 60 % des cas. C’est très frustrant pour les passagers et pour l’entreprise. »

Le NPD recommande au gouvernement d’appuyer un projet de loi accordant la priorité aux trains de passagers sur les voies partagées, comme c’est actuellement le cas aux États‑Unis. En 2023, le député Taylor Bachrach a déposé le projet de loi C‑371, d’initiative parlementaire, qui permettrait d’atteindre cet objectif. Un tel projet de loi permettrait à VIA d’offrir une meilleure ponctualité, ce qui attirerait un plus grand nombre d’usagers.

Insister sur les transports de base et le changement de mode de transport

Bien que le NPD soutienne le tourisme en tant que composante vitale de l’économie canadienne, et que les trains longue distance de VIA soient des attractions touristiques de renommée mondiale, nous recommandons que le projet de TGF du gouvernement fédéral accorde une grande priorité aux objectifs de transport de passagers plutôt qu’à d’autres avantages accessoires tels que le tourisme.

Le transport ferroviaire de passagers constitue un mode de transport abordable et durable pour les navetteurs, les étudiants, les personnes handicapées et les personnes qui se déplacent régulièrement pour se rendre à des rendez-vous, faire des achats ou visiter leur famille.

Le fait que le Canada n’ait pas suffisamment investi dans l’infrastructure du transport ferroviaire de passagers a contribué à la domination actuelle de l’automobile et du transport aérien. Comme l’a dit M. Freemark au comité, en ce qui concerne les statistiques de fréquentation comparées à des exemples à l’étranger :

« [L]’achalandage des services ferroviaires au Canada est extrêmement faible par rapport à celui des autres pays du G7, car le Canadien ordinaire effectue en moyenne un déplacement interurbain en train tous les 10 ans, un nombre minime comparativement aux déplacements en train dans un pays comme l’Allemagne, où un citoyen ordinaire effectue environ 25 déplacements ferroviaires interurbains par année. […] La fréquence limitée, la lenteur et le coût élevé des services ferroviaires interurbains restreignent la capacité des personnes qui n’ont pas de voiture, qui n’ont pas les moyens de se payer un billet d’avion et qui habitent loin d’un aéroport à se déplacer à l’intérieur du pays. »

La prédominance des déplacements en voiture dans le corridor Toronto–Québec a été soulignée par Karl Blackburn du Conseil du patronat du Québec :

« [À] l’heure actuelle, le service ferroviaire pour passagers ne représente que 2 % de tous les déplacements dans le corridor, par rapport à la voiture qui en représente 94 %. »

Cependant, M. Freemark a fait remarquer que la mise en place de services de transport ferroviaire de passagers rapides, fiables et abordables dans le monde entier s’est traduite par une nette augmentation de la part modale des services ferroviaires :

« Des données probantes provenant de corridors situés un peu partout dans le monde laissent croire que le projet de TGF permettra à la part des services ferroviaires d’atteindre 30 à 60 % sur le marché des déplacements pour le segment Toronto–Montréal. Toutefois, un investissement dans des services ferroviaires à grande vitesse plus rapides pourrait faire augmenter cette part à 70 ou 90 %. »

En outre, il a fait remarquer que l’insuffisance du système de transport ferroviaire de passagers au Canada a contribué à l’augmentation des émissions :

« En raison de sa dépendance à l’égard des vols et des voitures, le Canada affiche un taux d’émissions de carbone par habitant parmi les plus élevés au monde dans le secteur des transports, soit un taux jusqu’à trois fois plus élevé que celui de pays comparables. »

Le gouvernement fédéral s’est engagé à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % par rapport au niveau de 2005 d’ici à 2030, mais un audit réalisé en 2023 par le commissaire à l’environnement et au développement durable du Canada a révélé qu’il n’était pas en voie d’atteindre son objectif. Si le gouvernement veut vraiment atteindre ses objectifs pour 2030 et 2050, il doit réduire les émissions du secteur des transports, qui comptent parmi les sources de pollution climatique dont la croissance est la plus rapide au Canada. Faciliter le transfert des déplacements en voiture et en avion vers le transport ferroviaire devrait être un élément important de cet effort.

Conclusion

La construction d’une infrastructure ferroviaire dédiée au transport de passagers le long du corridor Toronto–Québec représente une importante occasion pour le Canada, mais les néo-démocrates estiment que la décision du gouvernement fédéral d’utiliser un modèle de PPP est malavisée. Cette décision coûtera plus cher aux contribuables, tout en facilitant les profits du secteur privé qui pourraient être mieux utilisés pour améliorer le transport ferroviaire de passagers dans tout notre pays. Le passage du gouvernement à un modèle de PPP a déjà retardé l’échéancier du projet et réduit la transparence et la responsabilité pour les Canadiens.

Il existe une meilleure solution. Le gouvernement fédéral devrait investir dans une nouvelle infrastructure de transport ferroviaire pour passagers reliant les centres urbains les plus densément peuplés du Canada. Il devrait le faire d’une manière qui s’appuie sur le fier héritage de VIA Rail en tant que transporteur ferroviaire et qui se traduise par des avantages tangibles à long terme pour tous les Canadiens, quel que soit l’endroit où ils vivent. Ce faisant, nous pouvons construire un système de transport abordable, efficace, sûr et pratique. Nous pouvons soutenir des emplois bien rémunérés dans le secteur ferroviaire. Nous pouvons rattraper nos homologues internationaux. Enfin, nous pouvons faire en sorte que nos enfants et nos petits-enfants disposent d’options de transport propres et durables pour les décennies à venir.

Recommandations

Que le gouvernement réoriente le projet de TGF pour mettre l’accent sur la propriété publique et l’exploitation par VIA Rail.

Que le gouvernement adopte un projet de loi accordant la priorité aux trains de passagers sur les voies partagées partout au Canada, à l’instar de ce qui se fait aux États‑Unis.

Que le gouvernement présente et soutienne un projet de loi donnant à VIA Rail un mandat législatif.


[1] Gouvernement du Canada, réponse à la question inscrite au Feuilleton Q-1365, 28 mars 2023.