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TRAN Rapport du Comité

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Le raccordement sous le lac Érié : un projet dans l’intérêt public?

 

Introduction

Le 13 avril 2021, la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) et ITC Investment Holdings (ITC), une filiale de Fortis Inc.[1], ont annoncé la signature d’un accord de principe visant à investir dans le projet de raccordement sous le lac Érié[2], lequel consiste à construire une ligne de transport d’électricité sous-marine qui s’étendrait sur 117 kilomètres sous le lac Érié pour relier le réseau électrique de l’Ontario à celui de PJM Interconnection, aux États-Unis[3]. Selon les modalités de l’accord, la BIC devait investir jusqu’à 40 % des coûts du projet, pour un maximum de 655 millions de dollars, tandis que le solde devait être financé par des prêteurs privés.

Le projet a toutefois été suspendu en 2022. Dans un rapport financier, la BIC a indiqué que l’interruption du projet découlait « des récentes conditions macroéconomiques qui ont eu une incidence sur sa capacité [celle du promoteur] à obtenir une entente de service de transport viable dans les délais prescrits[4] ». En réponse à une demande de renseignement au gouvernement datée du 24 octobre 2023, la BIC a confirmé que les dépenses relatives au projet de raccordement sous le lac Érié effectuées avant la suspension s’élevaient à 899 317,62 $[5]. En janvier 2024, la société NextEra Energy Transmission (NextEra) a acquis les droits du projet.

Le 1er février 2024, le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités de la Chambre des communes (le Comité) a adopté la motion suivante :

Étant donné que,
La Banque de l’infrastructure du Canada (BIC) a dépensé près de 900 000 $ en frais de consultation pour le projet de raccordement sous le lac Érié;
Que le Comité entreprenne une étude sur la participation de la Banque de l’infrastructure du Canada au projet de raccordement sous le lac Érié; que le Comité tienne trois réunions pour entendre des témoins sur le sujet; et que le Comité invite le ministre du Logement, de l’Infrastructure et des Collectivités et des représentants d’Infrastructure Canada ainsi que le président-directeur général et les représentants de la Banque de l’infrastructure du Canada, à comparaître dans le cadre de l’étude.

Dans le cadre de l’étude, le Comité a tenu deux réunions, soit les 9 et le 11 avril 2024, et a entendu 8 témoins.

Contexte : La Banque de l’infrastructure du Canada

La BIC, dont la création a été annoncée lors de la publication de l’Énoncé économique de l’automne 2016, a pour objectif de favoriser les investissements privés dans les projets d’infrastructure du Canada. Elle est devenue une société d’État l’année suivante au titre de la Loi sur la Banque de l’infrastructure du Canada (LBIC).

Aux termes de l’article 6 de la LBIC, la Banque a pour mission

de faire des investissements et de chercher à attirer des investissements d’investisseurs du secteur privé et d’investisseurs institutionnels dans des projets d’infrastructures situés au Canada ou en partie au Canada qui généreront des recettes et qui seront dans l’intérêt public, par exemple en soutenant des conditions favorables à la croissance économique ou en contribuant à la viabilité de l’infrastructure au Canada[6].

Le Résumé du plan d’entreprise 2020-2021 à 2024–2025 de la BIC énonce les trois responsabilités de la société d’État, qui consistent à offrir des conseils, à réaliser des investissements, ainsi qu’à développer la recherche et les connaissances en ce qui concerne l’investissement dans de nouvelles infrastructures au Canada. Au titre de la LBIC, la BIC contribue à des projets d’infrastructure au moyen d’investissements dans son capital-actions, de prêts et de garanties d’emprunts. Selon cette loi, son budget est limité à un maximum de 35 milliards de dollars.

En mai 2022, le Comité a déposé un rapport intitulé La Banque de l’infrastructure du Canada, qui a été adopté par la suite à la Chambre des communes le 26 octobre 2023. Le rapport reprenait les propos des témoins, recueillis en février et en mars 2021, sur la lenteur des progrès réalisés par la BIC dans l’avancement des projets d’infrastructure et comportait une seule recommandation : « Que le gouvernement du Canada abolisse la Banque de l’infrastructure du Canada. »

D’après Ehren Cory, président-directeur général de la BIC, celle-ci « a vraiment atteint son plein potentiel » au cours des trois dernières années, investissant près de 13 milliards de dollars dans des projets dont le coût total avoisine les 35 milliards de dollars si l’on tient compte des investissements du secteur privé. Lors de son témoignage du 9 avril 2024, il a indiqué que 70 des investissements de la BIC avaient atteint le stade de la clôture financière[7], que deux projets étaient terminés et qu’un autre (le système de transport du Réseau électrique métropolitain à Montréal) était opérationnel.

M. Cory a expliqué que le rôle de la BIC en matière d’investissement consiste à réduire les risques afin d’inciter le secteur privé à faire avancer les projets d’infrastructure qui « restent bloqués » et à s’efforcer « de surmonter les obstacles qui empêchent la mise en chantier ». À son avis, sans l’apport de la BIC, de telles infrastructures « pourraient ne pas être construites ». Il a précisé que la BIC ne cherche pas « à faire de l’argent grâce au secteur privé », mais plutôt à « co-investir » avec celui-ci et à l’encourager à investir dans des projets d’infrastructure. M. Cory a ajouté que, selon les estimations de la BIC, « chaque dollar des contribuables canadiens que nous investissons dans ces projets à long terme permet d’attirer environ six dollars en capitaux privés ».

Toujours selon M. Cory, la BIC serait « un outil novateur », bien qu’il ait évoqué l’existence de structures semblables dans certains pays de l’Union européenne. Il a cité en exemple le Royaume-Uni, qui a mis sur pied une organisation inspirée du modèle de la BIC, ainsi que les annonces récentes concernant l’Ontario. Il a d’ailleurs évoqué la possibilité d’un partenariat entre la BIC et une Banque de l’infrastructure de l’Ontario, qui, selon lui, se traduirait par davantage de possibilités d’investissement pour les deux organisations.

L’honorable Lisa Raitt (à titre personnel) a fait part de son soutien en général à l’approche de partenariat public-privé (P3 ou PPP) que représente la BIC, quoiqu’elle ait souligné que « [l]e gouvernement conservateur précédent a choisi PPP Canada. L’idée est, à mon sens, très logique. Ce qui diffère beaucoup, c’est seulement la mise en œuvre et l’exécution. »

En réponse à une question sur la transparence et la hausse des salaires et des primes versés aux employés, comparativement aux frais et fonds d’exploitations totaux consacrés aux projets d’infrastructure, M. Cory a insisté sur la transparence des activités de la BIC, soulignant que l’ensemble des dépenses, des primes et des cibles de rendement sont énumérées et détaillées dans les rapports publics. Il a expliqué que les salaires sont inférieurs à ce qui est offert dans le secteur privé, mais qu’ils font l’objet d’une évaluation comparative et sont assortis de primes basées sur le rendement de sorte qu’ils sont tout de même concurrentiels. M. Cory a ajouté que « les coûts internes [de la BIC] ne comprennent que les salaires et les frais de personnel, et la location de bureaux et d’ordinateurs ».

Le projet de raccordement sous le lac Érié

Aperçu du projet

Matt Pawlowski, vice-président de NextEra Energy Transmission, a expliqué au Comité que le projet de raccordement sous le lac Érié consiste à mettre en place « une ligne de transport haute tension à courant continu de 117 kilomètres » afin de relier l’Ontario à la Pennsylvanie. La province serait ainsi liée au consortium PJM, que M. Cory a qualifié de « plus grand marché de gros de l’électricité au monde ».

Chuck Farmer, dirigeant principal, Transition énergétique, et vice-président, Planification, conservation et adéquation des ressources au sein de la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité de l’Ontario, a expliqué que l’Ontario a des interconnexions de transmission avec le Québec et le Manitoba ainsi qu’avec les États de New York, du Minnesota et du Michigan. Ces interconnexions permettent d’importer et d’exporter de l’électricité sur une base quotidienne par l’intermédiaire des marchés ontariens. Il estime que ce système d’interconnexions est un « atout concurrentiel [qui] contribue à abaisser les coûts et assure une utilisation plus efficace des actifs de l’Ontario, mais aussi à assurer un approvisionnement essentiel lorsque notre réseau ne répond pas à la demande ».

Comme l’a expliqué M. Farmer, la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité, ou SIERE, est une « agence provinciale qui, selon la loi, veille à la fiabilité du réseau électrique de l’Ontario ». Il s’agit d’une « entité indépendante chargée de l’exploitation et de la planification » qui ne possède aucun élément d’actif ou d’infrastructure du réseau. Le témoin a comparé le rôle de l’organisation, qui doit trouver un équilibre entre l’offre et la demande d’électricité en Ontario, à celui d’un contrôleur aérien : « De la même façon, nous guidons le transport des électrons dans le réseau ontarien pour assurer un approvisionnement continu et fiable d’électricité au moment et à l’endroit où la province en a besoin. »

Lors de l’annonce de la signature d’un accord de principe avec ITC, la BIC a indiqué que le projet de raccordement sous le lac Érié aurait les retombées suivantes :

  • une réduction des coûts de l’électricité en Ontario;
  • une amélioration de la fiabilité et de la sécurité du réseau énergétique de l’Ontario;
  • une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) puisqu’il s’agit d’une source d’électricité à faibles émissions de carbone pour les marchés de l’Ontario et des États-Unis;
  • la création, pendant la phase de construction, de 383 emplois par année et plus de 300 millions de dollars en activités économiques;
  • la création de 845 emplois permanents pendant toute la durée du projet;
  • une augmentation de 8,8 milliards de dollars du produit intérieur brut de l’Ontario[8].

De l’avis de M. Cory, le projet de raccordement sous le lac Érié est « un exemple parfait de projet d’infrastructures qui pourrait donner de bons résultats d’intérêt public, mais qui est resté sur la touche pendant une décennie […] en raison d’un écart d’abordabilité ». Il a expliqué qu’en dépit du fait que le projet, présenté pour la première fois en 2014, bénéficiait du soutien du gouvernement de l’Ontario et de la SIERE, les coûts élevés auraient eu une incidence importante sur les contribuables ontariens. « La BIC est intervenue en 2019. Après avoir analysé à la fois le coût prévu du projet et les avantages économiques et liés aux émissions de gaz à effet de serre, nous avons convenu d’accorder un prêt de 655 millions de dollars qui réduirait le coût total du projet et minimiserait les répercussions sur les contribuables. »

Suspension du projet en 2022

En avril 2021, lors de l’annonce initiale du projet par la BIC, le Comité avait interrogé la ministre de l’époque, l’honorable Catherine McKenna, à propos des risques et des avantages du projet. Environ un an et demi plus tard, le projet n’avait toujours pas atteint l’étape de la clôture financière, et en juillet 2022, Fortis a annoncé la suspension du projet.

M. Cory a expliqué que le projet avait été suspendu en raison de « l’augmentation rapide des coûts » attribuable à la pandémie de COVID-19 et à l’inflation qui en a découlé. Dans les circonstances, Fortis n’était plus en mesure de mener à bien le projet en respectant le prix fixe qui avait au départ été convenu avec la société indépendante d’exploitation[9]. Il a précisé que c’est Fortis qui a pris la décision de suspendre le projet, non sans avoir d’abord consulté la BIC et le gouvernement de l’Ontario. À l’époque, aucune des deux instances n’était disposée à investir davantage. À cet égard, M. Farmer a souligné que le travail de la SIERE est axé sur la valeur économique du projet pour les contribuables :

Nous ne construirions pas la ligne à tout prix, je tiens à le préciser. Nous devons comprendre quelle est sa valeur pour les contribuables ontariens, ce qui nous dira ce que nous serions prêts à payer, et ce sera ensuite la base de la négociation entre le promoteur et la SIERE.

M. Cory a ajouté qu’à l’époque, d’autres projets ont été affectés de la même manière par l’augmentation des coûts, mais il a insisté sur le fait que « chaque projet a neuf vies », ce qui laisse entendre que les difficultés financières à court terme n’ont pas eu d’incidence sur les avantages éventuels généraux ou sur la viabilité à long terme du projet. Mme Raitt a aussi indiqué que la suspension de projets est un phénomène « tout à fait normal dans le secteur privé ».

M. Cory a fait référence à deux projets qui ont été suspendus en raison de la hausse des coûts, soit le projet énergétique de Whapmagoostui, dans le Nord du Québec, et le projet de B.C. Transit pour l’achat d’autobus à zéro émission. Selon Frédéric Duguay, avocat général et secrétaire de la société pour le compte de la BIC, les frais juridiques et les frais de conseil technique payés par la BIC pour ces deux projets totalisent respectivement « près de 85 000 $ » et « 185 000 $ environ ».

Acquisition du projet par NextEra Energy Transmission en janvier 2024

M. Pawlowski a confirmé que NextEra a fait l’acquisition des titres de participation au projet en janvier 2024, que l’entreprise a obtenu l’appui de la Première Nation Mississauga de Credit et du conseil élu des Six Nations de la rivière Grand et que NextEra « participe activement aux discussions avec la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité de l’Ontario et les Premières Nations ». Il a ajouté que l’entreprise a repris les discussions avec la BIC afin que celle-ci devienne partenaire du projet. Selon lui, la BIC pourrait jouer un rôle d’investisseur, mais aussi agir « à titre de partenaire des Premières Nations et encourager leur participation au projet. Nous ne voulons pas collaborer avec la BIC seulement pour le financement, mais parce qu’elle peut apporter d’autres contributions au projet. » M. Cory a confirmé que la BIC « a récemment participé à plusieurs réunions sur le projet ».

Mme Raitt est d’accord avec l’hypothèse selon laquelle « [l]’inflation et les taux d’intérêt » auraient une « incidence macroéconomique sur le coût du financement des projets et de la construction d’infrastructures au Canada ». En effet, lorsqu’on lui a demandé ce qui avait changé depuis la suspension du projet, M. Pawlowski a répondu qu’il existait encore des problèmes importants en ce qui concerne l’inflation et les chaînes d’approvisionnement. Il a néanmoins déclaré que NextEra s’efforçait d’adresser ces problèmes et que les « mesures de diligence raisonnable ont révélé beaucoup de changements dans le système qui sont bénéfiques pour le projet. […] [N]otre propre analyse et celle de nos experts montrent qu’il s’agit d’un projet viable, et nous voulons aller de l’avant. » Il a ajouté que, sur la base de ses efforts de diligence raisonnable, NextEra, a constaté des changements de conditions dans le réseau électrique, notamment en ce qui a trait « aux ressources, à la lenteur de la croissance et à d’autres facteurs », qui l’ont amené à considérer que le projet de raccordement sous le lac Érié pourrait devenir un actif « de premier plan pour le Canada et la SIERE ».

Le 9 mai 2023, lors de sa comparution devant le Comité, M. Cory avait déclaré que « le rapport qualité-prix [du projet de raccordement sous le lac Érié] n’était plus satisfaisant ». Lorsqu’on lui a demandé s’il était toujours de cet avis, il a répondu qu’il était « un peu trop tôt pour se prononcer ». Il a reconnu qu’une plus grande connectivité du réseau électrique serait un avantage, tout en précisant que la BIC et la SIERE mettraient à jour leur modèle afin de déterminer la valeur exacte des améliorations et le montant qu’elles seraient prêtes à investir dans le projet. Ces données seraient ensuite comparées à l’estimation révisée des coûts établie par NextEra afin d’évaluer la viabilité du projet.

En réponse à une question concernant le point de vue de la SIERE quant à la poursuite du projet, M. Farmer a indiqué que celle-ci était ouverte à reprendre l’exploration. Cependant, à l’instar de M. Cory, il a indiqué que le soutien de la SIERE à l’itération antérieure du projet était basé sur son analyse du rapport coût-bénéfice et que, les conditions ayant changé, il faudrait se livrer à une analyse plus poussée pour bien saisir les avantages que le projet pourrait avoir pour les contribuables de l’Ontario.

Comme l’a confirmé M. Pawlowski, les négociations ont repris quand NextEra a fait l’acquisition des droits du projet. Aucun des accords commerciaux ou de financement conclus dans le cadre du projet de Fortis n’a été reconduit. Il a ajouté que la BIC n’avait pas encore fixé de taux d’intérêt applicable à un éventuel prêt puisque les discussions venaient à peine de recommencer.

M. Pawlowski a expliqué que son entreprise est formée de deux principales entités. En effet, NextEra Energy Resources se spécialise dans l’énergie éolienne et solaire et exploite quelques centrales nucléaires, tandis que Florida Power & Light, une « entreprise de service public aux États-Unis, où elle est le numéro un en production de mégawatt‑heure » comporte un grand nombre de centrales au gaz. L’entreprise a récemment annoncé la mise sur pied d’un programme qui vise à accroître « la carboneutralité de [la] production d’électricité en Floride d’ici 2045 » en convertissant certaines centrales au gaz à l’hydrogène et en augmentant le développement de l’énergie solaire ainsi que le stockage par batterie.

M. Pawlowski a ajouté qu’au Canada, NextEra « détient une participation majoritaire dans un projet de ligne de transport d’électricité de 450 kilomètres entre Wawa et Thunder Bay, en Ontario ». L’entreprise possède et exploite aussi des installations de production et de stockage d’énergie éolienne.

Questions sur les éventuelles retombées du projet

M. Pawlowski a expliqué que NextEra souhaitait relancer le projet de raccordement sous le lac Érié parce que le raccordement présente notamment « des possibilités économiques pour la région et [permettrait de] renforcer la fiabilité et la résilience du réseau électrique de l’Ontario en lui procurant un accès au marché de PJM ». Plus précisément, il estime que la possibilité de faire circuler l’électricité dans les deux sens entre le réseau de l’Ontario et celui de PJM élargirait les possibilités de parvenir à « la bonne combinaison » en ce qui concerne les moyens de production pour répondre à la demande.

M. Farmer a confirmé que, selon l’évaluation de la SIERE, le projet renforcerait la fiabilité du réseau électrique de l’Ontario et rendrait son exploitation plus abordable. Il a expliqué que, de façon générale, les interconnexions peuvent avoir des retombées positives :

Elles peuvent fournir de la capacité, ce qui signifie que lorsque nous sommes à la limite, nous pouvons importer de la capacité des administrations voisines. C’est ce que nous faisons assez souvent. Elles peuvent fournir de l’énergie. Elles peuvent assurer la fiabilité du service, notamment au moyen de réserves d’exploitation. Nous en retirons beaucoup de valeur. Plus nous avons d’interconnexions, et plus nos interconnexions sont robustes, plus nous pouvons compter sur elles pour assurer la fiabilité de notre réseau.

M. Pawlowski a dit qu’à long terme, le connecteur était « une ressource parmi toutes celles dont dispose la SIERE » pour accroître la fiabilité et la résilience du système dans son ensemble, ce qui peut présenter des avantages du point de vue de la réduction des émissions de GES et d’un point de vue financier. À titre de mise en contexte, Sashen Guneratna, directeur général, Investissements, BIC, a rapporté que l’Ontario avait produit plus de sept térawattheures excédentaires d’électricité propre en 2021[10], selon l’Ordre des ingénieurs de l’Ontario. Comme la demande était nulle, cette électricité « a été envoyée ou vendue à l’État de New York et au Michigan à prix réduit ou négatif ».

Réduction des émissions de gaz à effet de serre

M. Cory et M. Pawlowski ont tous deux évoqué la possibilité de retombées positives pour l’environnement associées à la réduction des émissions de GES. Selon eux, l’accès à un plus vaste éventail de sources de production d’électricité permet d’exporter l’excédent d’électricité propre vers une autre partie du système, ce qui, en théorie, réduit la dépendance à l’égard des sources qui produisent beaucoup d’émissions.

Mark Winfield, professeur, Faculté des changements environnementaux et urbains, Université York (à titre personnel), a toutefois remis en question la possibilité que l’Ontario puisse exporter des quantités importantes d’énergie propre grâce au projet de raccordement sous le lac Érié. À son avis, cette idée repose sur « l’hypothèse selon laquelle il y aurait une production excédentaire importante disponible pour l’exportation ». Or, il a indiqué que « presque toutes » les installations nucléaires de l’Ontario devront être mises hors service pour être remises en état au cours des 20 prochaines années. De tels travaux réduiront la production d’énergie propre de l’Ontario alors que les prévisions indiquent que la consommation, elle, continuera à augmenter. Selon lui, la récente surproduction d’énergie propre en Ontario est attribuable aux centrales nucléaires, car un réacteur ne peut pas être mis à l’arrêt en cas de baisse de la demande, contrairement à d’autres sources de production. Les plans de remise en état se traduiraient sans doute par une augmentation de la demande de production d’électricité à partir de combustibles fossiles dans la province.

M. Cory a concédé que la remise en état des installations nucléaires aurait des répercussions sur la capacité de l’Ontario à exporter de l’énergie propre à moyen terme, de sorte que celle-ci serait probablement acheminée en alternance dans les deux sens. Il a toutefois affirmé qu’à court terme, le réseau de la province serait certainement un « exportateur net ». Enfin, il a admis qu’à long terme, l’Ontario deviendrait probablement un importateur net d’énergie, ajoutant que des contrats bilatéraux permettraient de donner la priorité aux sources d’énergie propres de PJM.

M. Pawlowski a reconnu qu’en théorie, l’Ontario pourrait se « délester » d’un surplus d’électricité à fortes émissions dans le réseau de PJM et, de ce fait, compromettre les objectifs de décarbonisation de certains des États qui font partie de ce marché. Il a cependant exposé un autre scénario selon lequel « [a]u lieu de programmer à la demande une centrale au gaz en Ontario, la SIERE peut profiter d’une ressource de PJM qui est déjà programmée ou propre, ou les deux, afin de ne pas avoir à programmer la centrale en Ontario ».

M. Farmer a affirmé que la SIERE, dans le cadre de ses analyses, a estimé que le projet de raccordement sous le lac Érié pourrait contribuer de « plusieurs manières » à réduire les émissions de GES dans l’ensemble du réseau. En effet, PJM aura accès à davantage d’énergie propre grâce à ses liens avec l’Ontario, qui dispose d’une base solide d’énergie nucléaire et hydroélectrique. Le témoin a aussi présenté une variation du scénario de M. Pawlowski, qui consiste à privilégier les sources d’énergie propre au lieu de programmer à la demande des centrales au gaz naturel. En fait, d’après M. Farmer, l’accès à la production des centrales au gaz naturel en Ontario pourrait incarner la solution la plus propre. En exportant de l’énergie vers le réseau de PJM, l’Ontario « éliminera une ressource moins efficace ou plus polluante dans l’empreinte de PJM, ce qui entraînera un gain net dans l’ensemble du bassin atmosphérique que nous partageons ». En réponse aux préoccupations de M. Winfield, M. Farmer a indiqué que les lignes de raccordement « permettent d’importer et d’exporter de l’énergie en tout temps », et ce même si la demande varie beaucoup au cours de l’année et même au cours d’une journée. Il a aussi ajouté que l’Ontario dispose « d’un important parc nucléaire pour fournir la charge de base, même avec [son] programme de remise en état, d’un important parc hydroélectrique et d’une grande quantité d’énergie éolienne et solaire sur le réseau, de sorte qu’il y a beaucoup d’heures où [il dispose] d’une énergie non émettrice [qui peut être exportée] vers les administrations voisines ».

Interconnexions possibles avec le Québec

M. Winfield a également déclaré qu’il serait avantageux, tant sur le plan financier que sur le plan environnemental, de renforcer les interconnexions entre l’Ontario et le Québec. Il a expliqué que ces interconnexions existent déjà et qu’après avoir été mises à niveau, celles-ci pourraient faire des réseaux des deux provinces des partenaires idéaux :

Les deux pourraient très bien s’équilibrer, et le Québec pourrait aider l’Ontario lorsque la production d’énergies renouvelables est réduite. Lorsque la production de l’Ontario est élevée, elle pourrait la vendre au Québec. C’est souvent le cas en hiver, lorsque le Québec a de la difficulté à répondre à la demande de pointe et qu’il n’exploite pas les barrages hydroélectriques. L’énergie est stockée derrière les barrages.

M. Cory a convenu que le renforcement des interconnexions entre les provinces canadiennes serait utile, mais il estime qu’« il ne s’agit pas de choisir l’un ou l’autre ». Il a affirmé que la BIC avait accueilli favorablement la version antérieure du projet ayant reçu l’appui de la SIERE et qu’elle serait prête à examiner des propositions concernant des interconnexions entre l’Ontario et le Québec. De plus, il estime que le projet de raccordement sous le lac Érié profitera à Hydro-Québec en lui donnant accès, par l’intermédiaire de ses interconnexions avec l’Ontario, au réseau de PJM. Une telle connexion, il a précisé, n’existe pas à l’heure actuelle.

En réponse à une question sur l’opposition de NextEra au projet de ligne qui relierait le réseau d’Hydro-Québec à celui de la Nouvelle-Angleterre, M. Pawlowski a affirmé que le projet de raccordement sous le lac Érié est différent parce qu’il permet des échanges bidirectionnels. Le projet de lien entre le Québec et le Maine est plutôt axé « sur la production d’électricité par une entité en vue de son exportation aux États-Unis ».

Questions sur les efforts de diligence raisonnable déployés par la BIC

En réponse à une demande de renseignement au gouvernement datée du 24 octobre 2023, la BIC a confirmé que ses dépenses dans le cadre du projet de raccordement sous le lac Érié s’élevaient à 899 317,62 $ :

  • 555 145,30 $ pour des « [c]onseils juridiques relatifs au droit canadien pour la structuration du projet, la diligence raisonnable, le droit environnemental et réglementaire, et la rédaction de la documentation juridique pour le projet »;
  • 248 170,82 $ pour des « [c]onseils juridiques relatifs au droit américain pour la structuration du projet, la diligence raisonnable, le droit environnemental et réglementaire, et la rédaction de la documentation juridique pour le projet »;
  • 25 010,00 $ pour des « [c]onseils et [de l’]expertise financiers liés au transport d’électricité et conseils en structuration financière pour le projet »;
  • 70 991,50 $ pour des « [c]onseils sur les marchés de l’électricité et [une] analyse indépendante des impacts des émissions de GES du projet[11] ».

Lorsqu’un membre du Comité a fait observer que ces fonds ont été « gaspillés » en raison de la suspension du projet, M. Cory a répondu : « Ce n’est pas vrai du tout. […] Celui‑ci a été suspendu, mais il progresse à un rythme soutenu. Il s’agit d’un élément essentiel du réseau de transport d’énergie électrique en Amérique du Nord, et nous persistons à croire qu’il verra le jour. »

Selon M. Cory et M. Pawlowski, il serait nécessaire de faire preuve d’un degré supplémentaire de diligence afin d’établir une estimation à jour des retombées et des coûts potentiels du projet. Néanmoins, tous deux ont convenu que les travaux antérieurs de la BIC sur le projet constituent un atout puisqu’ils peuvent servir de point de référence pour d’autres éléments et éviteront de devoir « repartir de zéro ». M. Cory a également fourni des précisions sur la nécessité d’effectuer du travail supplémentaire :

[N]ous allons mettre à jour les prévisions. Nous allons réexaminer l’avis de la SIERE. La BIC a le devoir comme prêteuse de valider ces conclusions. Toutefois, comme nous ne sommes pas des spécialistes des marchés de l’énergie, il nous faudra retenir les services de spécialistes pour poursuivre le processus de diligence raisonnable. L’établissement de contrats pour le nouvel emprunteur occasionnera des frais juridiques, mais nous nous appuierons sur le travail de diligence raisonnable effectué jusqu’à présent.

Frais juridiques

Au cours de leur témoignage, les représentants de la BIC ont également été invité à fournir de plus amples explications sur les dépenses antérieures, dont la majeure partie a servi à couvrir des frais juridiques. M. Cory et M. Duguay ont expliqué que malgré le fait que les frais juridiques constituent une partie intégrante des efforts de diligence raisonnable de la BIC quel que soit le projet évalué, la dimension internationale du projet de raccordement sous le lac Érié revêtait un degré de complexité hors du commun. Ainsi, les frais juridiques étaient plus élevés qu’à l’habitude, notamment en raison de la nécessité d’obtenir l’aide d’experts du droit américain (et plus particulièrement des lois en vigueur en Pennsylvanie).

M. Duguay a aussi précisé que l’équipe juridique interne de la BIC, qui est relativement petite, travaille en étroite collaboration avec l’équipe des investissements et commence à intervenir dès la phase de négociation d’un projet et s’occupe de la rédaction juridique et de la diligence raisonnable. Toutefois, un projet de grande envergure comme celui du raccordement sous le lac Érié peut être trop lourd à porter pour la demi-douzaine d’avocats qui font partie de l’équipe et nécessite l’aide de spécialistes de l’extérieur de l’organisation. Il a confirmé que la BIC a une politique d’approvisionnement, qui peut être consultée sur le site Web de l’organisation[12], ainsi qu’un processus d’appel d’offres applicable aux frais juridiques :

Nous retenons les services de trois à cinq cabinets d’avocats, en moyenne, d’abord pour comprendre l’expertise nécessaire pour un projet et les taux horaires, ensuite pour nous assurer qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts relativement aux dépenses de fonds publics.

M. Cory a de nouveau confirmé que les coûts liés à la diligence raisonnable étaient « plus élevés que la moyenne » en raison de la complexité et du caractère inédit du projet de raccordement sous le lac Érié. Il a cependant souligné que ces coûts représentaient « une part relativement faible » de l’investissement et étaient tout de même « très concurrentiels[13] ». Il a aussi expliqué que, de façon générale, la BIC s’efforce d’uniformiser les outils, les documents et les approches afin de réduire ces coûts lors de l’analyse d’autres projets semblables. Compte tenu de la nature de ce projet en particulier, il n’était pas possible d’utiliser une formule établie, ce qui explique pourquoi les coûts étaient plus élevés que la moyenne.

Interrogé à savoir pourquoi ce travail ne pouvait pas être réalisé à l’interne, M. Cory a affirmé que bien que la majorité du travail relatif à un investissement soit généralement effectuée à l’intérieur de l’organisation, cette dernière s’assure « toujours » d’obtenir un avis externe, en particulier lorsqu’il est question d’investissements d’une certaine ampleur. Il a ajouté que la grande diversité des investissements auxquels la BIC peut être associée rend difficile le maintien d’une expertise interne sur toutes les questions possibles.

Le processus de diligence raisonnable de la BIC

M. Cory a décrit de façon plus générale le processus de diligence raisonnable de la BIC qui se décline généralement sous deux formes : des conseils juridiques pour aider à structurer l’accord et comprendre les éventuelles incidences juridiques, et une expertise technique pour comprendre le projet, sa valeur potentielle ainsi que les avantages qu’il présente pour les contribuables. À cet égard, il a indiqué qu’il faut vérifier le travail déjà effectué par le promoteur afin que la BIC dispose de son propre « point de vue indépendant » avant d’investir l’argent des contribuables dans un projet donné. Dans le cas du projet de raccordement sous le lac Érié, M. Guneratna a fourni davantage de contexte en indiquant que Fortis a dépensé entre 10 et 20 millions de dollars entre le moment où elle a commencé à participer au projet et le moment où celui-ci a été suspendu.

D’autres témoins ont affirmé avec certitude que la diligence raisonnable représentait un coût nécessaire pour les projets d’infrastructure. M. Pawlowski a confirmé que NextEra a embauché des experts indépendants pour étudier le projet et M. Winfield a convenu qu’il est essentiel de faire preuve de diligence pour évaluer la viabilité d’un projet : « les choses doivent être examinées de près pour faire les validations nécessaires sur le plan économique et environnemental ». Il a expliqué que les coûts initiaux associés à cette évaluation permettent d’éviter « des dépenses beaucoup plus importantes par la suite ». Il a toutefois rappelé l’importance de ne pas entreprendre un projet sans prendre en considération les interrogations soulevées au cours de la phase de diligence raisonnable.

M. Farmer a confirmé que la SIERE devait évaluer la valeur du projet de raccordement sous le lac Érié avant d’entreprendre des négociations en vue de la conclusion d’un contrat commercial. De son côté, Mme Raitt a déclaré que « [l]es projets doivent faire l’objet d’une vérification préalable. Elle doit se faire au rythme du projet, et pas forcément au rythme de la bureaucratie, un obstacle qui peut ralentir un projet. » Elle a aussi fait la déclaration suivante à l’intention des membres du Comité :

[L]e gouvernement a décidé qu’il allait faire ses vérifications préalables hors des ministères fédéraux et différemment. Cela s’accompagne des coûts que vous voyez, qui ont été mis en évidence par le processus que vous êtes en train d’étudier. Il revient à vous et aux contribuables de déterminer s’il s’agit d’une utilisation judicieuse de l’argent des contribuables.

[1]                Au cours de cette étude, les témoins ont utilisé de manière interchangeable les termes « ITC » et « Fortis » pour désigner l’ancien promoteur du projet de raccordement sous le lac Érié. Dans les passages tirés des témoignages, le présent rapport conserve le terme employé par le témoin cité.

[2]                Banque de l’infrastructure du Canada, La BIC et des partenaires du secteur privé investiront 1,7 milliard de dollars dans le raccordement électrique sous le lac Érié, communiqué de presse, 13 avril 2021.

[3]                PJM Interconnection, qui était d’abord un consortium d’électricité entre les États de Pennsylvanie, du New Jersey et du Maryland, coordonne aujourd’hui le transport d’électricité à travers une partie ou la totalité du Delaware, de l’Illinois, de l’Indiana, du Kentucky, du Maryland, du Michigan, du New Jersey, de la Caroline du Nord, de l’Ohio, de la Pennsylvanie, du Tennessee, de la Virginie, de la Virginie-Occidentale et du District de Columbia.

[4]                Banque de l’infrastructure du Canada, Rapport financier pour le deuxième trimestre de l’exercice 2022-2023.

[5]                Gouvernement du Canada, Demande de renseignement au gouvernement : Q-1889 – Réponse de la Banque de l’infrastructure du Canada, document parlementaire no 8530-441-32, Chambre des communes, 11 décembre 2023.

[6]                Loi sur la Banque de l’infrastructure du Canada, (L.C. 2017, ch. 20, art. 403), art. 6.

[7]                D’après le Rapport annuel 2022-2023 de la Banque de l’infrastructure du Canada (p. 16), un projet est réputé avoir atteint « la clôture financière » lorsque « la BIC et ses partenaires d’investissement ont effectué toute la revue diligente et ont conclu des ententes exécutoires ».

[8]                Banque de l’infrastructure du Canada, La BIC et des partenaires du secteur privé investiront 1,7 milliard de dollars dans le raccordement électrique sous le lac Érié, communiqué de presse, 13 avril 2021.

[9]                Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités (TRAN), Témoignages, 44e législature, 1re session : Ehren Cory, président-directeur général, Banque de l’infrastructure du Canada.

[10]              À titre de comparaison, la demande annuelle totale d'énergie pour la province de l'Ontario en 2021 était de 137,6 térawattheures, selon l'aperçu de la demande historique de la Société indépendante d’exploitation du réseau d’électricité [données détaillées en anglais seulement].

[11]              Gouvernement du Canada, Demande de renseignement au gouvernement : Q-1889 – Réponse de la Banque de l’infrastructure du Canada, document parlementaire no 8530-441-32, Chambre des communes, 11 décembre 2023.

[12]              Banque de l’infrastructure du Canada, Politique relative à l’approvisionnement.

[13]              M. Cory a indiqué qu’un montant de près de 900 000 $ consacré à la diligence raisonnable « représente moins de 0,14 % de l’investissement total » nécessaire au projet de raccordement sous le lac Érié.