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TRAN Rapport du Comité

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RAPPORT COMPLÉMENTAIRE

DU

NOUVEAU PARTI DÉMOCRATIQUE DU CANADA

La Banque de l’infrastructure du Canada

Le Nouveau Parti démocratique appuie les conclusions et les recommandations du rapport majoritaire, qui décrivent en détail les manquements de la Banque de l’infrastructure du Canada (BIC), que ce soient son manque d’efficacité dans la réalisation de projets, les problèmes qu’engendre la participation du secteur privé à la construction d’infrastructures publiques, le défaut de tenir compte des besoins des collectivités dans ses décisions de financement et les lacunes sur le plan des coûts et de la transparence. C’est la raison pour laquelle le NPD appuie la recommandation d’abolir la Banque dans sa forme actuelle.

Cette opinion complémentaire vise à mettre en lumière d’autres témoignages présentés dans le cadre de l’étude qui révèlent que ces problèmes proviennent du mandat central de la Banque et qu’il sera impossible de les éradiquer sans une réforme en profondeur. En particulier, la sélection des projets pour attirer les investissements privés et le fonctionnement essentiellement axé sur le profit des infrastructures achevées sont au cœur de la mission de privatisation de la Banque et brident fortement sa capacité de servir l’intérêt public. De plus, cette opinion complémentaire fait valoir qu’en appuyant le projet de loi C-245, le gouvernement pourrait mieux adapter le mandat et les activités de la Banque au bien commun et aux intérêts des collectivités autochtones et du Nord.

La création de la BIC avait été annoncée dans l’Énoncé économique de l’automne 2016. À l’époque, le gouvernement fédéral avait présenté la Banque comme un outil grâce auquel le financement public des infrastructures permettrait d’attirer des investissements privés dans les projets. Le ministre des Finances en exercice, Bill Morneau, et le premier ministre avaient promis que chaque dollar d’investissement fédéral permettrait d’aller chercher jusqu’à 11 $ dans le secteur privé.

La Banque offrait assurément un moyen possible de remédier au déficit infrastructurel croissant du Canada – un problème réel et pressant à cause duquel les collectivités ne disposent pas des outils dont elles ont besoin pour bâtir des milieux de vie sains et durables dans le contexte de la crise climatique, des inégalités de richesse et de la hausse du coût de la vie.

Amplement dotée de 35 milliards de dollars en fonds fédéraux, la BIC avait les moyens de réduire le fossé des infrastructures et de concrétiser des projets créateurs d’emplois qui améliorent les collectivités. Or, quatre ans après sa création, en octobre 2020, quand le Comité permanent des transports, de l’infrastructure et des collectivités de la Chambre des communes a adopté une motion du député néo-démocrate Taylor Bachrach concernant la réalisation d’une étude sur la Banque, elle était loin d’avoir rempli ses promesses. À cette époque, la Banque n’avait annoncé qu’une poignée de projets et un seul, le Réseau express métropolitain (REM) à Montréal, avait reçu du financement et été mis en chantier. Cofinancé par le gouvernement du Québec et la Caisse de dépôt et placement du Québec, le projet n’avait pas su attirer les investissements du secteur privé que le gouvernement fédéral avait fait miroiter.

Pendant l’étude du Comité, de nombreux témoins ont relaté par le menu les nombreux ratés de la Banque dans l’exécution de son mandat. Le directeur parlementaire du budget (DPB) Yves Giroux a présenté la récente analyse que son bureau a effectuée des engagements financiers de la Banque à ce jour. Elle a montré que seulement 3 % de l’engagement de capital de 35 milliards de dollars de la Banque avait été débloqué et que la Banque n’était pas en voie d’atteindre les objectifs qu’elle s’était elle-même fixés. Une analyse de suivi effectuée par le DPB a confirmé que la Banque n’atteindra probablement pas ses objectifs de dépenses et que l’écart prévu se chiffrera à 19 milliards de dollars[1].

La constatation la plus frustrante de l’analyse du DPB concernait peut-être le processus de sélection des projets par la Banque. En date de la comparution de M. Giroux, la BIC avait reçu 420 propositions de projet, mais s’était engagée publiquement envers seulement 13 d’entre eux. Fait alarmant, il a constaté que la Banque avait rejeté ou écarté 82 % des projets soumis. La plupart ont été éliminés à la présélection parce qu’ils n’étaient pas dans le bon secteur ou parce que leur envergure n’a pas été jugée suffisante. Comme l’indique le grand nombre des propositions, les collectivités ont manifestement des besoins d’infrastructures qui nécessitent une participation financière du gouvernement fédéral. Cependant, l’obsession dogmatique des mégaprojets et des investissements du secteur privé amène la Banque à rejeter la plupart des propositions.

Les constatations du DPB rejoignent un thème préoccupant qui ressort des témoignages entendus par le Comité : la Banque de l’infrastructure du Canada privilégie la privatisation au détriment du bien public. Les néo-démocrates continuent de craindre le résultat probable d’une telle approche, soit que les collectivités rurales, éloignées et autochtones soient oubliées au profit des régions du pays qui offrent les rendements les plus élevés aux investisseurs privés.

C’était là un fil conducteur des témoignages de la part notamment des Canadiens pour une fiscalité équitable, du Syndicat canadien de la fonction publique et du Conseil des Canadiens, qui ont tous soutenu que les partenariats public-privé – et plus particulièrement ceux où l’exploitant privé perçoit des frais d’utilisation – soulèvent foncièrement des questions sur la sélection des projets. Les témoins ont demandé si les Canadiens peuvent avoir confiance que les projets d’infrastructure sont financés parce qu’ils servent l’intérêt public et non parce qu’ils offrent les meilleurs rendements aux investisseurs privés dont le principal souci est la rentabilité.

La professeure Heather Whiteside a évoqué des propos très inquiétants du PDG de la Banque de l’infrastructure du Canada, qui a dit, en réponse aux critiques concernant les retards dans le financement, qu’il « rechercherait plus activement des partenaires plutôt que d’attendre qu’on lui fasse des propositions ». Il a ajouté qu’à cette fin, il comptait « procéder à rebours en commençant par les marchés ». Comme l’a fait remarquer Mme Whiteside, une telle approche inverserait la relation d’approvisionnement en faisant passer les intérêts financiers d’éventuels investisseurs privés dans la sélection de projets avant les besoins de la population canadienne. M. Sanger, de l’organisme Canadiens pour une fiscalité équitable, a exprimé une préoccupation semblable :

[La Banque de l’infrastructure du Canada] devrait mettre l’accent sur ses priorités et sur celles des Canadiens de cette façon, et non sur les priorités d’un financier privé ou d’une entreprise quelconque. Autrement, il n’est question que de tirer le maximum de profits, et ce n’est pas ce dont nous avons besoin dans notre société à l’heure actuelle. Il y a de plus en plus d’inégalités et une crise climatique.

Des témoins ont souligné que certains des projets que la Banque a financés jusqu’à présent ont soulevé des questions du point de vue de l’intérêt public. L’exemple qui a été cité le plus souvent est peut-être le projet d’approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées du canton de Mapleton, un engagement de 20 millions de dollars de la part de la Banque qui a été annulé par la suite par le conseil de Mapleton. Malgré le triste bilan de l’Ontario en ce qui a trait à la privatisation de l’approvisionnement en eau, les responsables de la Banque de l’infrastructure du Canada avaient salué le projet de Mapleton en tant que projet pilote modèle de la privatisation des services municipaux d’approvisionnement en eau dans des collectivités partout au Canada[2]. M. Robert Ramsay, du Syndicat canadien de la fonction publique, a parlé des leçons à tirer de ce projet :

Mais le modèle de la BIC, tel qu’il a été déployé à Mapleton, s’est révélé inadapté au contexte. Le rythme de lancement du projet, les consultations juridiques et la négociation des contrats ont coûté très cher à la municipalité, qui a dépensé des centaines de milliers de dollars pour finalement se retrouver sans projet. [I]ls se sont rendu compte qu’il leur en coûterait moins cher de le faire eux-mêmes parce qu’ils pourraient le financer à des taux beaucoup moins élevés. À mon avis, ce serait le cas pour les petites municipalités du pays […]

Non seulement la Banque ne tient pas compte des besoins d’infrastructure des collectivités, mais en plus, selon plusieurs témoins, son mandat de privatisation et sa préférence pour les partenariats public-privé représentent une méthode foncièrement inefficace de financement des infrastructures. D’autre part, le facteur multiplicateur s’est révélé totalement inexact et d’ailleurs, des témoins ont fait remarquer qu’un financement privé est en grande partie inutile du fait que les entités gouvernementales ont accès à un financement à faible coût.

Le recours par la Banque à des partenariats public-privé, surtout avec du financement privé, coûtera probablement plus cher aux Canadiens à long terme. En effet, lorsque l’exploitation d’infrastructures publiques est confiée à des sociétés privées dans le cadre de contrats à long terme, les investisseurs doivent rentrer dans leurs frais et réaliser un bénéfice en augmentant les frais d’utilisation sous forme de péages, de frais de transport ou de factures de services publics. Plutôt que d’utiliser les recettes publiques pour construire les infrastructures dont les collectivités ont besoin, ce gouvernement a opté pour un modèle qui profite aux riches investisseurs et fait payer la note aux Canadiens ordinaires, qu’ils en aient les moyens ou non. Comme l’a déclaré M. Sanger :

L’unique raison d’être des PPP est de permettre un financement hors bilan et de donner au secteur financier des possibilités lucratives d’investissement à faible risque, aux frais des contribuables pour des décennies à venir. Si ces projets étaient réellement privatisés, nous nous retrouverions sans aucun doute avec une infrastructure vraiment inadéquate […]

Pendant les audiences du Comité, des témoins ont maintes fois cité des études d’experts canadiens et étrangers selon lesquelles le modèle de l’investissement privé est une méthode coûteuse et inefficace de financement des infrastructures. Ils ont mentionné en particulier une étude de la vérificatrice générale de l’Ontario qui a démontré que les projets d’infrastructure à financement public-privé comportaient des coûts réels plus élevés que les projets réalisés selon une formule traditionnelle.

Dans l’ensemble, il ressort nettement de l’étude du Comité que, au-delà des retards et des inefficacités de la Banque de l’infrastructure du Canada, son mandat central consistant à construire de grands projets avec la participation du secteur privé est foncièrement problématique. Il amène à se demander si les projets sont réalisés dans l’intérêt public et il impose des coûts supérieurs à long terme aux Canadiens, qui doivent rembourser les investissements de riches financiers. Compte tenu de la gravité de ces défauts, le gouvernement doit soit procéder à une réforme en profondeur de la Banque ou l’abolir tout simplement.

Heureusement, les néo-démocrates ont proposé des solutions pour mettre la BIC dans la bonne voie afin qu’elle remplisse ses promesses en répondant aux besoins d’infrastructure des collectivités tout en favorisant l’atténuation des changements climatiques et l’adaptation à leurs répercussions, au lieu de financer les intérêts d’investisseurs bien nantis. En particulier, le projet de loi C-245 de la députée Niki Ashton, Loi modifiant la Loi sur la Banque de l’infrastructure du Canada, permettrait de régler un certain nombre de problèmes comme ceux relevés pendant l’étude du Comité. Ainsi, il supprimerait l’élément de privatisation du mandat de la Banque, accorderait la priorité aux projets dans les collectivités autochtones et du Nord et modifierait la structure du conseil d’administration de la Banque.

En modifiant le mandat de la Banque de manière à supprimer la mention de la recherche d’investissements privés et de la rentabilité des projets d’infrastructure, le projet de loi C-245 permettrait à la Banque de financer des projets d’infrastructure dans des collectivités que le gouvernement fédéral a longtemps négligées et de travailler véritablement dans l’intérêt de l’ensemble des Canadiens. De même, en accordant la priorité aux collectivités autochtones et du Nord, ces mesures législatives garantiraient que la Banque mette l’accent sur les collectivités ayant les plus grands besoins infrastructurels. La restructuration du conseil d’administration de la Banque afin d’inclure des représentants des Premières Nations, des Métis et des Inuits constituerait également une réforme indispensable. Le gouvernement doit reconnaître que le plus grand déficit d’infrastructures dans ce pays se trouve dans ces collectivités et qu’il est inconcevable en 2022, à l’ère de la réconciliation, que ces populations n’aient pas leur mot à dire sur l’aménagement de leur territoire.

Il a beaucoup été question pendant les audiences du Comité du manque de transparence de la BIC. Des témoins ont mentionné le refus de la Banque de fournir tous les documents demandés au DPB et de donner des séances d’information au Parlement. Les néo-démocrates considèrent que la Banque, par l’entremise du ministre compétent, doit assurer une transparence adéquate en présentant chaque année des renseignements aux parlementaires.

Les néo-démocrates exhortent tous les parlementaires à appuyer le projet de loi C-245 afin d’éviter la dissolution de la Banque. À défaut d’une réforme en profondeur de la Banque pour remédier aux préoccupations cernées dans cette étude, le gouvernement n’aurait d’autre choix que de l’abolir.


[1] Bureau du directeur parlementaire du budget, Banque de l’infrastructure du Canada – Perspectives des dépenses, 28 avril 2021, https://distribution-a617274656661637473.pbo-dpb.ca/be56a0b86f380ae30a99aa6cb28d2ae03b44e59b13df8b5fb6c3996dd9e58f7a.

[2] Banque de l’infrastructure du Canada, Rapport annuel 2019-2020, https://drdrc6dlee0yd.cloudfront.net/files/documents/reports/fr/Rapport-annuel-2019-20.pdf.