ACVA Rapport du Comité
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Prestations de pension de retraite du survivant (mariage après 60 ans)
Introduction
Dans la plupart des régimes de retraite, qu’ils soient privés ou publics, il existe des clauses garantissant des prestations au conjoint survivant ou aux enfants, advenant le décès du membre. Les modalités de ces clauses sont très diversifiées, mais dans la quasi-totalité des situations, elles impliquent une distinction nette selon que le membre cotisait encore au régime au moment de son décès ou qu’il en était bénéficiaire.
Si le membre était encore cotisant ou n’avait pas encore pris sa retraite au moment de son décès, les critères propres à chacun des régimes permettent d’identifier aisément les personnes admissibles aux prestations de survivant, au premier chef le conjoint. Dans ce cas, le bénéficiaire des prestations de survivant sera la personne qui était le conjoint du cotisant au moment de son décès. Des distinctions peuvent intervenir lorsqu’une entente de divorce préalable entraîne le partage des montants accumulés dans le régime entre plusieurs conjoints et enfants. Cependant, ces distinctions s’appliquent habituellement aux montants des prestations, et non à la désignation des bénéficiaires comme telle, puisque le partage des montants accumulés s’effectue lors de l’entrée en vigueur du jugement de divorce. Ce partage diminuera la valeur des prestations lors du décès du membre, mais n’affectera pas la désignation du conjoint survivant.
Si le membre était à la retraite lors de son décès, et recevait donc déjà des prestations de retraite, la plupart des régimes prévoient que le conjoint pourra recevoir des prestations de survivant si et seulement si cette personne était le conjoint du membre avant que ce dernier ait pris sa retraite. Autrement dit, si un membre commence une nouvelle union après avoir commencé à retirer des prestations de retraite, le conjoint du membre ne sera pas admissible à une prestation de survivant advenant le décès du retraité[1].
Ces principes généraux se retrouvent dans toutes les lois encadrant les régimes de pension de retraite de la fonction publique fédérale. Que ce soit en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique (LPFP), de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes (LPRFC), la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada (LPRGRC) ou de la Loi sur les juges, les conjoints sont exclus des prestations du survivant lorsque le début de l’union survient après que le participant au régime a commencé à recevoir des prestations de retraite[2].
Ces clauses font partie du plan de rémunération globale visant à attirer les meilleures candidatures possibles à des postes sous juridiction fédérale. On a jugé que l’introduction de prestations de survivant était susceptible d’offrir une sécurité financière accrue aux familles, ce qui rendrait le plan de rémunération globale plus attrayant. Afin de circonscrire les engagements financiers du gouvernement et à les rendre plus prévisibles, on les a limités aux conditions prévalant durant la période où le membre a de fait exercé ses fonctions[3].
Dans le cas des retraités des Forces armées canadiennes, les conjoints sont également exclus de la prestation de survivant s'ils ont commencé leur relation après que le membre a commencé à toucher des prestations de retraite. Toutefois, dans leur cas, tel que la loi est formulée, la clause d'exclusion ne s'applique pas lorsque le membre commence à toucher des prestations, mais plutôt lorsqu'il atteint 60 ans, qui est l'âge obligatoire de la retraite dans les FAC. En d'autres termes, si un militaire commence à recevoir des prestations de retraite à 55 ans, la clause d'exclusion ne s'applique pas immédiatement. Si le retraité commence une union avant d'avoir atteint l'âge de 60 ans, son conjoint aura droit à des prestations de survivant.
Comparée à celles que l’on retrouve dans les autres lois, cette clause paraît rigide puisqu’elle semble introduire un âge arbitraire après lequel les vétérans qui entrent en relation ne pourraient pas offrir à leurs conjoints les mêmes avantages que s’ils s’étaient mariés plus tôt. De plus, le fait qu’environ 85 % des retraités des Forces armées canadiennes soient des hommes a fait soupçonner la persistance de préjugés sexistes rappelant les débats sur les « mariages sur les lits de mort » ayant eu lieu aux États-Unis après la guerre civile.
La clause dite du « mariage après 60 ans », d’après le titre paragraphe 31(1) de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, a été fréquemment critiquée au cours des dernières décennies. Durant les années 1990, comme nous le verrons, les tribunaux ont jugé que la clause n’était pas discriminatoire, ou que, si elle l’était, l’exclusion qu’elle entraînait se fondait sur des motifs raisonnables.
Dans les lettres de mandat de 2015 et de 2017 du ministre des Anciens Combattants et ministre associé de la Défense nationale, le gouvernement du Canada a fait de l’élimination de la clause de récupération du « mariage après 60 ans » une « priorité absolue, afin que les conjoints survivants des vétérans puissent recevoir des prestations de retraite et des avantages médicaux appropriés ».
Le gouvernement a par la suite abandonné la voie législative et n’a pas éliminé la « clause de récupération ». Dans le budget de 2019, il a plutôt annoncé la création d’un Fonds pour les survivants des vétérans :
Pour mieux soutenir les conjoints survivants des anciens combattants qui se sont mariés après 60 ans, le budget de 2019 a annoncé 150 millions de dollars sur cinq ans à partir de 2019 pour créer un nouveau Fonds pour les survivants des anciens combattants. Grâce à ces fonds, le gouvernement travaillera avec la communauté pour identifier les survivants touchés, traiter leurs demandes et s’assurer que les survivants ont le soutien financier dont ils ont besoin.
Peu d’information a circulé par la suite quant à la nature de ce fonds et aux investissements sur cinq ans qu’il doit entraîner d’ici l’année financière 2023–2024. Les membres du Comité ont donc désiré mieux comprendre les motifs ayant amené le gouvernement à ne pas abolir la clause du « mariage après 60 ans » et examiner si la création d’un fonds pour les survivants des vétérans pourrait parvenir au même résultat.
Le Comité a consacré trois réunions à cette étude au cours de la première session de la 44ème législature. 19 témoins ont comparu, dont un vétéran des Forces armées canadiennes, deux vétérans de la Gendarmerie royale du Canada, et quatre organisations ou individus ont soumis des mémoires. Les membres du Comité souhaitent les remercier sincèrement de leur contribution à la compréhension de cet enjeu.
Contexte historique
La clause dite du « mariage après 60 ans » se trouve au paragraphe 31(1) de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes (LPRFC). On peut retracer son origine à l’article 18 de l’Acte des pensions de la milice, de 1901, pendant la guerre des Boers. On connaît mal les motifs ayant mené à son inclusion dans la loi. Elle a plus tard été interprétée comme une manière d’empêcher ce qui se passait à l’époque aux États-Unis, où de nombreux vétérans vieillissants de la guerre civile américaine se mariaient avec des femmes beaucoup plus jeunes, les soi-disant « mariages sur le lit de mort ». Cela avait eu comme conséquence de prolonger les obligations financières du gouvernement américain pour les enfants issus de ces unions jusqu’au début du XXIe siècle[4].
À l’origine, seuls les veuves et les enfants des officiers se voyaient accorder une pension de survivant, mais après la Première Guerre mondiale, des dispositions ont été ajoutées pour les militaires du rang. En vertu de cette clause, les veuves des vétérans n’avaient pas droit à une pension de survivant (généralement 50 % de ce que le vétéran aurait reçu) si le mariage avait eu lieu alors que le vétéran avait 60 ans ou plus. Les enfants nés de ces unions ne pouvaient pas non plus bénéficier de l’allocation de survivant. Cette clause est tout à fait semblable à celle que l’on retrouve dans la LPRFC aujourd’hui, et aurait pu être moins problématique si ce n’avait été d’une clause qui l’accompagnait et qui limitait la différence d’âge entre les époux. En effet, en plus d’exclure les conjointes des pensionnés s’ils se mariaient après l’âge de 60 ans, si la différence d’âge entre le vétéran et sa conjointe était supérieure à 25 ans (ramenée plus tard à 20 ans), l’allocation était réduite.
L’objectif initial de la politique, consistant à prévenir les « mariages sur le lit de mort » des vétérans, a été supprimé des programmes de pension d’invalidité lorsque les régimes de pension de retraite ont été étendus aux militaires du rang après la Seconde Guerre mondiale. Les exclusions ont cependant été maintenues dans les régimes de retraite, car les projections actuarielles ont été faites en supposant que les conjoints étaient admissibles aux prestations s’ils vivaient avec le membre pendant qu’il cotisait au régime, de la même façon qu’un conjoint serait admissible aux prestations d’assurance collective tant que le membre cotisait au régime.
Selon les documents actuariels [en anglais seulement] préparés par le gouvernement pour surveiller les fonds de pension correspondants, la clause du mariage après 60 ans et celle de la différence d’âge de plus de 20 ans ont été maintenues dans la Loi sur les pensions des services de défense de 1950, qui a remplacé l’Acte des pensions de la milice. Dans la première version de la LPRFC qui est entrée en vigueur le 1er mars 1960, les mêmes clauses ont été maintenues. Une disposition a été ajoutée au paragraphe 13(1) qui en suspend l’application si les militaires retraités, après avoir atteint l’âge de 60 ans, revenaient dans les Forces et reprenaient leur contribution au régime de retraite. Autrement dit, dès le jour où un militaire retraité reprendrait du service après l’âge de 60 ans, son conjoint redeviendrait admissible aux prestations de survivant. La clause limitant la différence d'âge à vingt ans, souvent qualifiée de « clause de la chercheuse d'or », se trouvait également dans la LPRGRC et dans la LPFP. Elle a été abrogée dans les trois lois en 1989[5].
Description de la prestation de survivant
En 2020, selon Statistique Canada, 39,7 % des travailleur.se.s au Canada participaient activement à un régime de pension agréé dans lequel employeurs et employé.e.s versent des cotisations. 26,6 % participaient à un régime à prestations déterminées qui garantit le montant des prestations à la retraite, peu importe les fluctuations des marchés. Les régimes fédéraux sont des régimes à prestations déterminées. 7,3 % participaient à un régime à cotisations déterminées dans lequel le montant des prestations variera en fonction du rendement des investissements, et 5,7 % participaient à des formes hybrides ou à d’autres formes de régimes. C’est donc dire que 60 % de la main-d’œuvre canadienne doit compter sur ses propres épargnes à la retraite, ainsi que sur le Régime de pensions du Canada / Régie des rentes du Québec et les prestations de la Sécurité de la vieillesse.
En 2021, selon le Bureau du surintendant des institutions financières, pour chaque 100 $ de cotisations versées au régime de pension des FAC, le gouvernement du Canada a payé environ 63,50 $, alors que les membres des FAC ont payé 36,50 $. Dans le cas du régime de la fonction publique, une modification législative de 2013 a graduellement ramené cette proportion à 50 $ / 50 $. Pour le régime de pension de la GRC, la proportion est d’environ 55 $ / 45 $.
De manière générale, la prestation maximale offerte par ces régimes peut atteindre 70 % du revenu avant retraite après 35 ans de service. Le calcul de la prestation de survivant s’établit à partir du calcul de la prestation de retraite à laquelle avait droit le pensionné. Il faut donc présenter celle-ci d’abord.
Prestation de retraite
Les prestations de retraite prévues à l’ensemble des régimes fédéraux sont établies en fonction de ce qu’on appelle la prestation de base. Dans le cas des membres des FAC, de la GRC et des employés de la fonction publique, on établit cette prestation de base en multipliant dans un premier temps le nombre d’années de service par 2 %. Ainsi, 30 ans de service, multipliés par 2 %, donneraient 60 %. Dans un deuxième temps, ce coefficient est multiplié par le salaire moyen gagné au cours des cinq meilleures années. Ainsi, un salaire moyen de 80 000 $ multiplié par 60 % donne des prestations de retraite à vie de 48 000 $ par année. La règle générale est que les retraités sont admissibles à cette pension sans pénalité si la somme de leur âge et de leurs années de service est égale ou supérieure à 85. Par exemple, un militaire âgé de 55 ans aura droit à une pension immédiate non réduite s’il a cumulé 30 années de service dans la force régulière. Les règles sont différentes pour les réservistes.
Si la somme de l’âge et du nombre d’années de service est inférieure à 85, et que le militaire a moins de 60 ans, la prestation sera soit « réduite », soit « différée ». Si, par exemple, le militaire est âgé de 55 ans, mais ne compte que 20 années de service, la prestation sera réduite si le militaire veut en bénéficier avant d’avoir atteint l’âge de la retraite obligatoire de 60 ans. En supposant le même salaire moyen de 80 000 $, la pension annuelle sans réduction aurait été de 32 000 $ (20 années de service X 2 % X 80 000 $). Cette pension sera réduite de 5 % pour chaque année entre l’âge du militaire et 60 ans, soit ici 5 ans. Si le militaire veut bénéficier immédiatement de sa pension, à 55 ans, le montant annuel sera réduit de 25 %, soit 24 000 $ par année à vie. Il faut être âgé d’au moins 50 ans pour bénéficier immédiatement d’une pension réduite des Forces armées canadiennes.
Ce qu’on appelle une pension « différée » est une pension non réduite, mais qu’on ne commencera à recevoir qu’après avoir atteint 60 ans. Par exemple, si le militaire décrit dans le paragraphe précédent choisissait d’attendre cinq ans avoir de recevoir sa pension, il en recevrait le plein montant, c’est-à-dire 32 000 $ au lieu de 24 000 $.
À titre de comparaison, pour les employés de la fonction publique, l’âge à partir duquel la pension est réduite est 65 ans au lieu de 60 ans. De plus, dans le cas d’une pension différée, le pensionné ne peut commencer à la recevoir qu’après avoir 65 ans. Il ne s’agit ici que des situations les plus courantes. D’autres calculs, parfois complexes, peuvent entrer en ligne de compte pour réduire ou bonifier le montant de cette prestation de base.
Les autres modifications fréquentes à la prestation de base sont celles qui découlent d’un partage des droits de pension ordonné par un jugement de divorce ou d’un rachat des droits accumulés dans un autre régime de pension agréé. Les situations liées à ces deux possibilités sont très diversifiées, et il n’est pas possible d’en détailler les variations possibles. Dans le cas des divorces, la règle générale est que les droits accumulés dans un régime de pension durant un mariage soient divisés en deux. Un montant calculé en conséquence sera versé par un époux dans le régime de pension agréé ou un régime enregistré d’épargne retraite de l’autre époux. Cela réduira d’autant la valeur de la prestation qui sera versée au pensionné au moment de la retraite. Les calculs seront très variables, mais prenons l’exemple d’un militaire ayant cumulé trente ans de service et qui divorce peu de temps avant sa retraite après un mariage de dix années. Les droits de pension accumulés durant le mariage seront divisés en deux, ce qui signifie que jusqu’à cinq années de service pourront être retranchées de la prestation de base. Au lieu d’obtenir 60 % de son salaire moyen, il n’en obtiendra que 50 %.
Le rachat des droits de pension dans d’autres régimes a l’effet inverse et peut bonifier la valeur de la prestation de base. Les cas sont tellement variables et les calculs complexes peuvent affecter la pension de retraite de tant de manières différentes qu’il n’est pas possible de donner ici d’exemple utile. Toutes ces distinctions prendront leur importance lorsqu’il faudra comparer le régime fédéral aux quelques régimes qui ne comprennent pas de clause d’exclusion pour les prestations de survivant.
Prestation de survivant
Le calcul de la prestation de survivant est beaucoup plus simple que celui de la prestation de retraite. Au lieu de multiplier le nombre d’années de service par 2 %, on le multiplie par 1 % et ce produit est ensuite multiplié par le salaire moyen calculé de la même manière que pour la prestation de base. Aucun des autres éléments n’entre en ligne de compte, peu importe l’âge du militaire ou du retraité au moment du décès, et peu importe le partage antérieur des droits lié à un divorce.
On a ainsi protégé les conjoints survivants contre une réduction de pension qui aurait découlé du partage des droits après un divorce. Comme l’explique l’Association nationale des retraités fédéraux dans son mémoire :
Les divorces devenant de plus en plus fréquents, les pensions ont fini par être légalement reconnues comme faisant partie du patrimoine familial ou comme un actif commun, et les prestations de survivant ont été repensées afin qu’elles soient offertes uniquement à l’époux qui avait soutenu l’employé pendant sa carrière, renforçant du coup les dispositions portant sur les mariages après l’âge de 60 ans ou après le départ à la retraite[6].
Par conséquent, le montant de la prestation de survivant n’est pas la moitié de celui que recevait le pensionné, il est la moitié de celui de la prestation qu’aurait reçu le pensionné le jour de son soixantième anniversaire de naissance, sans réduction. Le montant est payable immédiatement après le décès du militaire, peu importe l’âge du survivant.
Ainsi, pour un militaire gagnant 80 000 $ qui aurait pris sa retraite le jour de son cinquantième anniversaire après 30 ans de service, la pension réduite à vie aurait été de 24 000 $. S’il était mort le même jour, son survivant, peu importe qu’il ait eu 18 ou 98 ans, aurait également reçu une prestation annuelle de survivant de 24 000 $ puisque le calcul n’aurait pas tenu compte de la réduction imposée par la décision de prendre sa retraite à 50 ans au lieu de 60 ans.
Finalement, comme l’a souligné l’Association nationale des retraités fédéraux dans son mémoire, tant les bénéficiaires d’une pension de retraite que ceux d’une pension de survivant continuent d’être couverts par le Régime de soins de santé de la fonction publique (RSSFP) et le Régime de services dentaires pour les pensionnés (RSDP)[7].
Ces principes s’appliquent à l’ensemble des régimes fédéraux. Des différences existaient auparavant dans la Loi sur les juges pour le partage lié à un divorce, mais elles ont été modifiées en 2006.
Comme nous l’examinerons plus loin, les régimes qui ne contiennent pas de clause d’exclusion, comme le RREGOP, calculent généralement la prestation de survivant à partir de ce que le pensionné recevait effectivement, et non à partir de ce qu’il aurait reçu sans réduction de la prestation de base.
Clauses similaires dans d’autres lois
La même clause d’exclusion s’il y a « mariage après 60 ans » se trouve à l’article 19 de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada (LPRGRC). À toutes fins utiles, les arguments soutenant l’abolition de cette clause dans la LPRFC s’appliquent à la LPRGRC.
On trouve une clause comparable au paragraphe 26(1) de la Loi sur la pension de la fonction publique (LPFP), mais le seuil d’âge varie selon l’âge auquel le pensionné a pris sa retraite. En vertu de la LPFP, un époux ou un conjoint de fait survivant ne serait pas admissible à l’allocation de survivant si le mariage ou la cohabitation de fait a commencé après que le retraité a eu droit à une pension de retraite. Tout comme pour les militaires et les officiers de la GRC, cette restriction serait levée si le retraité, après le mariage ou la cohabitation en union libre, recommençait à travailler pour la fonction publique fédérale et versait des cotisations de retraite. La restriction s’applique également aux enfants survivants.
Une clause comparable se trouve aussi au paragraphe 44(4) de la Loi sur les juges. Dans ce cas, les époux ou les conjoints de fait survivants n’ont pas droit à l’allocation de retraite si le mariage ou la cohabitation a commencé après que le juge a cessé d’exercer ses fonctions. Cette restriction s’applique également aux enfants survivants. Ainsi, par exemple, l’âge de la retraite obligatoire des juges de la cour suprême ayant été fixé à 75 ans, la loi aurait pu inclure une clause de « mariage après 75 ans ». Une telle clause aurait avantagé les juges qui auraient choisi de prendre leur retraite plus tôt, tout comme la clause de « mariage après 60 ans » avantage les vétérans des FAC et de la GRC, en comparaison des pensionnés de la fonction publique.
Si on abrogeait la clause de la LPRFC, cela déclencherait potentiellement des appels à l’abrogation des clauses ayant le même objectif dans les autres lois. En effet, les régimes de retraite des Forces armées canadiennes, de la GRC, de la fonction publique fédérale, de la magistrature et des parlementaires, sont tous fondés sur des principes similaires, et sont tous harmonisés avec le Régime de pensions du Canada. Les projets de loi ayant été déposés depuis les années 1990 afin d’abolir ces clauses ne se limitent pas au seul régime de retraite des Forces armées canadiennes. L’abolition proposée s’appliquerait à l’ensemble des régimes fédéraux.
Contestations juridiques
Les dispositions de la LPRFC ont été contestées devant la Cour fédérale en 1994. Selon le juge McKeown, « [i]l n’y avait aucune discrimination fondée sur le sexe ou l’âge – les restrictions étaient fondées sur la nécessité de contenir les coûts et de fixer la responsabilité du régime à partir d’une certaine date – toute distinction était fondée non pas sur des caractéristiques personnelles, mais sur le statut d’emploi, qui n’était pas couvert par l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés ».
Le tribunal a reconnu l’argument voulant que les conséquences négatives d’être exclues de la prestation touchent presque entièrement les femmes, mais a ajouté que cet argument est insuffisant pour suggérer une quelconque discrimination fondée sur le sexe, étant donné que la quasi-totalité des bénéficiaires de ces prestations sont également des femmes :
Afin d’établir s’il y a discrimination par effet préjudiciable pour les femmes par rapport aux hommes, il doit d’abord être établi si l’article en question crée un tel effet préjudiciable pour les femmes par rapport aux hommes. […] La plupart des conjoints ayant épousé des pensionnés âgés de plus de 60 ans, ou âgés de moins de 60 ans mais ayant tout de même pris leur retraite, sont, en fait, des femmes. Ainsi, l'élimination des restrictions d'admissibilité aux prestations au conjoint survivant profitera surtout aux femmes et ce sont les femmes qui ont le plus de chance de subir un préjudice en raison des restrictions ainsi imposées. Le juge de première instance a émis l'avis que, puisque les femmes sont aussi bien celles qui bénéficient de l'allocation que celles qui se la voient refuser, il ne pouvait pas effectuer d'analyse comparative sur ce point étant donné que, dans les deux cas de figure, les groupes à comparer sont constitués de femmes[8].
Le tribunal a retenu l’argument du gouvernement présenté par Sharon Hamilton :
Les régimes de pension du gouvernement sont conçus de façon que le coût des prestations prévues soit raisonnable aussi bien pour les employés que pour l’employeur qui est le gouvernement. Mme Hamilton a également expliqué que les prestations au survivant créent des charges importantes et qu’on a admis depuis longtemps le principe voulant qu’en matière de prestations au survivant, les obligations du régime ne s’étendent qu’aux survivants déjà en mesure de prétendre à ces prestations au jour où l’intéressé a pris sa retraite. Dans le cas des militaires, ce principe a été modifié puisqu’ils prennent leur retraite plus tôt que les autres; en fixant, de manière arbitraire, l’âge de 60 ans comme équivalent de l’âge de la retraite, le gouvernement a essayé de fournir aux conjoints des membres des Forces canadiennes des prestations au survivant comparables à celles prévues dans le cadre d’autres régimes de pension gouvernementaux. Le juge de première instance conclut en acceptant que, aux fins de la LPRFC et de la [Loi sur la continuation de la pension des services de défense], 60 ans tient tout simplement lieu d’âge de la retraite[9].
Le tribunal a également rappelé que la LPRFC ne vise pas à améliorer la condition économique des aînées : « [L]a LPRFC [ne ressortit] pas, au Canada, des programmes de bien-être social. Si l'on peut constater un problème au niveau du revenu des femmes âgées vivant seules, il convient d'y remédier par des dispositions législatives particulières et non par le biais de régimes de pension qui constituent un élément de la rémunération des employés. »
La décision a été maintenue en appel en 1997. La juge Desjardins, au nom des trois juges du tribunal de la Cour d’appel, a réitéré l’avis du juge de première instance :
[Le juge de première instance] a rejeté le témoignage de l'un des témoins des appelants, Mme Margaret McCallum, qui a déclaré que l'objet de la loi était de protéger le régime de pension des militaires contre les visées de femmes prêtes à épouser des soldats, vieux ou à la retraite, afin de pouvoir toucher les prestations au survivant, en qualifiant péjorativement ces femmes de "chercheuses d'or" tentant de contracter un "mariage in extremis". Le juge de première instance n'a pas été non plus été impressionné par la preuve fournie par l'expert des appelants concernant la situation économique actuelle des femmes au Canada, Mme Margaret Townson, qui déclare dans sa déposition que les femmes âgées vivant seules sont plus susceptibles d'avoir des revenus inférieurs au seuil de la pauvreté parce qu'elles ont passé leur vie à entretenir un foyer, dépendant financièrement de leur mari. Le juge de première instance a fait observer que Mme Townson n'avait fourni aucune preuve concernant la situation économique des veuves de militaires ou de femmes, maintenant veuves, qui ne s'étaient mariées qu'après le départ à la retraite de leurs conjoints[10].
La juge Desjardins a ensuite cité Mme Hamilton, l’experte du gouvernement :
À toutes les étapes de l'élaboration du programme de prestations au survivant, on a toujours tenu compte qu'il fallait fixer une limite à ces charges importantes [souligné dans le jugement]. Le premier principe admis était qu'en matière de prestations au survivant, les obligations du régime de pension ne s'étendraient qu'aux survivants déjà en mesure de prétendre à ces prestations au jour du départ à la retraite de l'intéressé. C'est pour cette raison que des prestations ne sont pas payables au conjoint ou aux enfants lorsque le mariage a eu lieu ou que l'enfant est né après que l'intéressé a cessé de contribuer au régime.
[…] Il est généralement accepté que les obligations d'un régime de retraite concernant les prestations au survivant doivent être connues au moment où le service actif d'un employé prend fin pour quelque raison que ce soit et que toute option relative aux prestations au survivant doit être exercée avant que l'employé commence à toucher sa propre pension[11].
Selon les jugements de la cour fédérale et de la cour d’appel, la clause du mariage après 60 ans avait comme objectif essentiel de limiter les coûts du régime de pension. Sachant qu’une proportion importante des militaires prennent leur retraite avant 60 ans, cette clause offre même un avantage aux vétérans, si on compare la clause de la LPRFC à celle qui prévaut dans les autres lois fédérales touchant les régimes de retraite[12]. En effet, si la clause de la LPRFC était libellée dans les mêmes termes que celle de ces autres régimes, l’âge qui déclencherait l’exclusion serait celui où le militaire décide de prendre sa retraite. Par exemple, si un militaire prenait sa retraite à 55 ans, et se mariait ensuite à 58 ans, selon les clauses du régime de retraite de la fonction publique, le conjoint n’aurait pas droit à la prestation de survivant.
De plus, l’exclusion qu’entraîne la clause du mariage après 60 ans est annulée si, en vertu d’une exception prévue aux Ordonnances, il reprend du service après avoir dépassé l’âge obligatoire de la retraite, ce qui, selon le tribunal, « est un autre indice que le régime se préoccupe exclusivement d'obligations financières[13] ».
La question de la discrimination a suscité un débat parmi les trois juges formant le tribunal de la cour d’appel. L’honorable juge Desjardins a rédigé la décision et les motifs évoqués ont été entérinés par l’honorable juge Hugessen, rejetant les arguments des appelants sur la question de la discrimination. Toutefois, le juge en chef de la Cour d’appel, l’honorable juge Isaac, a contesté une partie de l’argumentaire des deux autres juges et a affirmé qu’il y avait bel et bien discrimination, mais que celle-ci était « raisonnable » en vertu des principes de l’article 1 de la Charte, étant donné la nécessité de limiter les obligations financières du gouvernement. La demande d’autorisation d’appel en cour suprême a été rejetée en janvier 1999.
Malgré ces décisions des tribunaux, plusieurs témoins ont continué d’accuser la clause d’exclusion d’avoir des intentions sexistes. Cette affirmation est vraisemblable pour les premières versions des lois régissant les régimes de retraite. En effet, jusqu’en 1976, par l’entrée en vigueur d’amendements à la Loi sur la pension de la fonction publique, seules les femmes étaient admissibles aux prestations de survivant. Les survivants de sexe masculin en étaient exclus. Ce rétablissement de l’équité reconnaissait par le fait même la proportion croissante de femmes au sein de la fonction publique fédérale. Cette participation s’est accentuée et, depuis plus d’une décennie, les femmes occupent plus de la moitié des postes de la fonction publique fédérale et, depuis tout récemment, y compris dans les postes de direction. En excluant les conjointes de même sexe, ce sont donc désormais des hommes qui sont majoritairement exclus des prestations de survivant si leur conjointe avait déjà pris sa retraite lors du début de leur union.
Compte tenu de ce changement démographique et du maintien de la clause d'exclusion dans le régime de retraite de la fonction publique, il est impossible de soutenir que la clause d'exclusion du régime de retraite de la fonction publique est sexiste. Si la clause d'exclusion des régimes de pension des Forces canadiennes et de la GRC devait être harmonisée avec les dispositions du régime de pension de la fonction publique, il serait donc également impossible de soutenir que cette même clause serait sexiste pour les survivants des vétérans des FAC et de la GRC, et non pour les survivants des retraités de la fonction publique. Toutefois, le fait que les vétérans des FAC et de la GRC sont majoritairement des hommes, et que leurs conjointes ont tendance à être plus jeunes qu'eux, pourrait donner l'impression que la clause existe pour restreindre l’accès aux avantages aux conjointes qui seraient plus jeunes et recevraient ces avantages pendant une plus longue période. En fait, étant donné que les membres des FAC et les agents de la GRC prennent leur retraite en moyenne à un âge plus jeune que les autres fonctionnaires, la transposition de la clause de la LPFP à la LPRFC et à la LPRGRC serait clairement désavantageuse pour les vétérans des FAC et de la GRC.
À l'inverse, l’abrogation de la clause d'exclusion dans la LPRFC et la LPRGRC, au motif discutable qu'elle est discriminatoire, serait injuste pour les autres retraités de la fonction publique dont les survivants seraient toujours soumis à leur propre clause d'exclusion. Elle devrait donc être abrogée également dans la LPFP, ce qui montre clairement que la principale conséquence de l’abrogation de la clause d'exclusion serait une augmentation directe de la valeur financière globale des régimes de retraite fédéraux. Si l'on veut faire valoir que les prestations de survivant ne sont pas assez généreuses et devraient être augmentées, cela ne signifie pas qu'elles sont présentement discriminatoires.
Il y avait également de bonnes raisons de soupçonner des motifs sexistes derrière la clause réduisant le montant des prestations de survivant si la différence d'âge entre les conjoints était supérieure à vingt ans. Cette clause, souvent qualifiée de clause « de la chercheuse d’or », se trouvait dans les trois principaux régimes de retraite fédéraux lorsqu'ils ont été harmonisés avec le Régime de pensions du Canada dans les années 1960. La clause « de la chercheuse d’or » a été abrogée dans les trois principaux régimes de retraite fédéraux en 1989, à la suite d'une contestation judiciaire anticipée en vertu de la Charte.
On comprend aisément que l’abolition de la prestation de survivant priverait les conjoints d’un complément de revenu parfois essentiel, surtout lorsque les deux partenaires n’ont pas gagné un revenu équivalent qui leur permettrait de maintenir leur niveau de vie advenant le décès de l’autre. Si l’intention initiale de la clause d’exclusion avait été de favoriser le conjoint qui avait accompagné l’employé durant sa carrière, cette intention est devenue caduque par la reconnaissance juridique que les droits de pension font partie du patrimoine familial et doivent être répartis équitablement advenant la rupture de l’union.
La clause d’exclusion semble introduire un élément arbitraire dont le seul objectif est de limiter les obligations financières du gouvernement. Tous les autres objectifs qui ont pu avoir été visés par la clause semblent avoir perdu leur pertinence ou s’être perdus dans l’histoire. Dans le cas du régime de pension de la fonction publique, cette dimension arbitraire est moins palpable, car la clause d’exclusion n’est pas liée à un âge spécifique, alors qu’elle a été fixée à 60 ans pour les régimes des FAC et de la GRC. Il est d’ailleurs révélateur de constater que, durant cette étude, aucun des témoins représentant une institution fédérale n’ait été en mesure d’expliquer la pertinence de cette clause d’exclusion.
Même lorsqu’on retourne dans les débats juridiques ayant eu lieu lors la contestation de la clause, la limitation des coûts du régime est la seule raison évoquée pour la maintenir, mais aucun argumentaire ne permet de justifier pourquoi on a choisi de limiter de cette manière plutôt que d’une autre. Dans le jugement de la Cour d’appel de 1997, l’experte du gouvernement, Mme Hamilton, est citée en contre-interrogatoire sur la question de savoir pourquoi l’âge de 60 ans avait été choisi comme seuil de la clause d’exclusion pour les retraités des FAC et ceux de la GRC : « Je ne peux savoir quel était le principe sous-jacent. Je ne crois pas qu'il existe des preuves permettant de déterminer exactement quels facteurs ont joué dans les décisions qui ont été prises[14]. » La juge ajoute : « Elle admet qu'elle n'a pu trouver de documentation expliquant clairement la raison d'être de l'exclusion des mariages contractés après 60 ans et après le départ à la retraite du contributeur, au titre des prestations au survivant mais, essentiellement, on a jugé que cette exclusion protégeait le régime contre les obligations illimitées[15]. »
Cette limite crée un sentiment d’injustice chez les couples dont l’un des conjoints est exclu des prestations de survivant. Les manières de limiter les coûts d’un régime de pension sont très nombreuses, et le fait d’avoir choisi de le faire en pénalisant les unions plus tardives, semble aujourd’hui soit arbitraire, soit injuste.
C’est pourquoi plusieurs témoins ont recommandé l’abrogation pure et simple de l’article 31 de la LPRFC qui crée cette clause, comme s’y était engagé le gouvernement du Canada dans les Lettres de mandat de 2015 et de 2017 du ministre des Anciens combattants et ministre associé à la Défense[16]. Il existe également une certaine ambiguïté quant aux responsabilités respectives du ministre de la Défense nationale et du ministre des Anciens combattants et ministre associé de la Défense nationale. La Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes est sous l'autorité du ministre de la Défense nationale, et l'administration des prestations de retraite, y compris les prestations de survivant, est la responsabilité du ministère de la Défense nationale. Cela n'empêche pas le ministre de la Défense nationale de déléguer certaines de ces responsabilités au ministre des Anciens Combattants et au ministre associé de la Défense nationale. Si tel était le cas, l'administration des prestations resterait sous la responsabilité du ministère de la Défense nationale. Le ministre des Anciens Combattants pourrait également décider de lancer un programme, comme le Fonds pour les survivants des vétérans, pour aider les conjoints des vétérans décédés. Un tel programme resterait sous la responsabilité du ministre et du ministère des Anciens Combattants et serait indépendant des prestations fournies en vertu de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes. Étant donné la complexité de ces rôles, le Comité recommande :
Recommandation 1
Que le ministre des Anciens Combattants et ministre associé de la Défense nationale travaillent avec le ministre de la Défense nationale et le ministre de la Sécurité publique pour émettre une déclaration qui donne une réponse définitive à la question de savoir quel ministère est responsable des prestations de pension de survivant des vétérans.
Depuis 1994 (année à partir de laquelle la législation fédérale peut être recherchée en ligne), neuf projets de loi d’initiative parlementaire ont été déposés en vue d’abroger le paragraphe 31(1) de la LPRFC : 38‑1, C‑362, Werner Schmidt; 39-1, C-202, Daryl Kramp (réintroduit durant le 39-2); 39-1, C-238, Peter Stoffer (réintroduit durant le 39-2); 40-1, C-210, Peter Stoffer (réintroduit durant le 40-2 et le 40‑3); 40-3, C-524, Peter Stoffer; 41‑1, C-243, Peter Stoffer (réintroduit au cours du 41-2); 42-1, C‑319, Irene Mathyssen; 42-1, C-397, Irene Mathyssen (ajout de modifications à des lois non incluses dans le C‑319) et, tout récemment, 44-1, C-221, Rachel Blaney. Aucun de ces projets de loi n’a atteint la deuxième lecture et le débat à propos de C-221 n’a pas encore été mis à l’ordre du jour.
Le 2 novembre 2006, une motion déposée par le député Peter Stoffer a été adoptée par la Chambre des communes. Elle stipulait, entre autres appels à l’action, que le gouvernement devait immédiatement « modifier le paragraphe 31(1) de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes de manière à ce que les seconds conjoints des membres des Forces et des anciens combattants aient droit aux droits de pension des défunts dès leur décès ».
L’une des difficultés liées à la compréhension de cette clause vient de l’absence de déclaration claire du gouvernement quant aux objectifs qu’elle est censée atteindre. Lors des contestations judiciaires des années 1990, les représentants gouvernementaux ont expliqué que la clause servait essentiellement à limiter les obligations financières à long terme du gouvernement. Il n’a pas été possible de trouver une autre explication officielle de la part du gouvernement. On peut donc accepter que les raisons du maintien de la clause sont de nature financière, mais cela n’explique pas pourquoi la limitation des coûts s’est faite ainsi, et pas autrement. Il existe de nombreuses façons de limiter les obligations financières liées à un régime de pension. Pourquoi avoir choisi, et maintenu durant plus d’un siècle, une clause d’exclusion des pensions de survivant, et pourquoi ne pas l’avoir expliquée ?
Ce manque d’information est venu nourrir la présupposition selon laquelle la persistance de la clause était la continuation anachronique négligente des préjugés associés aux « mariages sur le lit de mort ». Cette perception est renforcée par le manque apparent d'informations fournies aux vétérans qui prennent leur retraite. Lorsqu'il a réalisé comment la clause d'exclusion affecterait sa femme, le vétéran Kevin Sewell s'est senti trahi :
Elle était déjà bénéficiaire de tout ce que je pouvais lui donner pour ce qui est d'Anciens Combattants Canada, mais la disposition sur le régime de retraite de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes et la disposition relative aux mariages intéressés l'empêcheront nettement, voire totalement de recevoir ma pension si je meurs.
Quand je l'ai appris, j'ai eu l'impression de prendre un coup de poing dans l'estomac. J'étais complètement abattu. Je ne pourrai pas lui donner ce que j'avais prévu de lui donner, et j'avais l'impression de ne pas être totalement humain ou totalement un homme[17].
De nombreux témoins, comme Alexander Glenn et Kelly Vankoughnett, se sont fait l'écho des mêmes sentiments :
Je ne peux imaginer le stress — M. Pinsent en a parlé — que ressent un pensionné qui s'est marié après 60 ans, la crainte qu'il éprouve que sa femme de nombreuses années sera laissée pour compte à sa mort. Sa conjointe ne mérite pas d'être traitée de cette façon; le pensionné qui a consacré la majorité de ses années productives à servir le Canada non plus[18].
Le seul problème était ma perte de revenu et le fait que Pat, avons-nous appris, ne pourrait pas me laisser de prestations de pension du survivant s'il partait avant moi. Pour Pat et moi, il était illogique qu'après 37 années et demie de travail, la femme qu'il aime, qui a travaillé depuis l'âge de 16 ans, qui lui a offert de partager sa maison quand il a perdu la sienne dans son divorce, soit qualifiée de profiteuse. Le paradoxe, c'est que la profiteuse que je suis laissera à Pat une maison sans hypothèque dans laquelle il aura les moyens de rester, et des prestations de pension du survivant du Régime de retraite des employés municipaux de l'Ontario dont il n'aura même pas besoin pour vivre confortablement[19].
M. Simon Crabtree, directeur exécutif, Pensions et avantages sociaux, au Secrétariat du Conseil du Trésor, a bien tenté de corriger cette perception, mais l’explication qu’il a donnée, fondée sur son expertise personnelle et non sur la position du gouvernement, aurait mérité plus d’éclaircissements :
Pour parler de façon générale, je dirais d'abord qu'il est malheureux que la connotation liée aux mariages intéressés soit associée à cette disposition, parce que ce n'est pas vraiment l'intention. Je pense que les restrictions visant le mariage après la retraite visaient l'harmonisation avec le droit de la famille et à donner des indications sur qui aurait des droits sur les actifs de pension, le droit de la famille garantissant les droits des conjoints à l'égard des actifs acquis pendant le mariage ou l'union de fait[20].
Cette explication semble valable pour les débats juridiques ayant entouré le partage des prestations de retraite en cas de divorce, mais ceux-ci ont eu lieu dans les années 1980 et 1990 et ont mené à l’adoption de la Loi sur le partage des prestations de retraite qui est entrée en vigueur en 1994. Peut-être ces raisons expliquent-elles qu’on ait maintenu les clauses d’exclusion, mais elles n’expliquent leur existence avant cette période. De plus, les experts du gouvernement ne les ont pas mentionnées durant les contestations judiciaires des années 1990. De plus, sachant que les régimes de pension fédéraux sont harmonisés avec le Régime de pensions du Canada et la Régie des rentes du Québec, comment se fait-il que ces régimes ne comportent pas de clause similaire ? Il y a sans doute des explications valables, mais les témoignages présentés au Comité n’ont pas permis de les éclaircir. M. Crabtree reconnaît d’ailleurs que, touchant ces clauses d’exclusion, « en ce qui concerne les études, nous n'avons pas fait beaucoup de travail sur ce sujet. Il n'y a pas eu beaucoup d'orientations. La question est évidemment soulevée de temps à autre[21]. »
Ne connaissant pas les intentions réelles ayant mené à l’adoption de cette clause, l’Association nationale des retraités fédéraux affirme qu’il faut demeurer prudent de ne pas provoquer d’effets pervers inattendus en l’abolissant sans en analyser les conséquences :
Il s’agit d’une question de politique complexe. En tant qu’organisation en faveur de l’adoption de politiques publiques rigoureuses qui se fondent sur des données et visent à améliorer la sécurité financière, la santé et le bien-être des participants à son régime et de tous les Canadiens, l’Association exhorte le Comité à recommander l’évaluation appropriée de l’étendue et de l’incidence de cette question avant de recommander des changements de politique qui, bien que bien intentionnés, pourraient avoir des conséquences imprévues sur le revenu de retraite, la sécurité et les soins de santé des vétérans et des autres retraités du gouvernement fédéral. Il est essentiel de disposer de données claires et précises pour comprendre ce problème et éclairer les solutions possibles. Il faut évaluer la pertinence de chercher à remédier à ce problème en fonction des principes et des objectifs établis pour les régimes de retraite du secteur public fédéral et la politique en matière de pensions ainsi qu’en fonction de la manière dont les régimes de retraite comparables et les autres gouvernements au Canada traitent cette question. Les vétérans méritent qu’on leur rende des comptes[22].
C’est cette voie de la prudence que semble avoir adopté le gouvernement du Canada en choisissant de ne pas abroger la LPRFC et de créer le Fonds pour les survivants des vétérans. Cependant, on ne comprend toujours pas pourquoi la clause d’exclusion a été maintenue. Le Comité recommande donc :
Recommandation 2
Que le gouvernement du Canada dépose dans les plus brefs délais un document expliquant de manière détaillée les raisons de la création et du maintien des clauses d’inadmissibilité aux pensions de survivant lorsque l’union a commencé après que le pensionné a atteint l’âge de 60 ans (LPRFC et LPRGRC).
Prestation de survivant optionnelle
Une prestation de survivant optionnelle (PSO), ajoutée à la loi en 1992 et entrée en vigueur en 1994, permet aux vétérans de la Force régulière qui se sont mariés lorsqu’ils avaient 60 ans ou plus de diminuer le montant de leurs prestations de retraite afin de permettre à leur conjoint légalement marié de recevoir des prestations après leur décès. Selon ACC, « environ 95 membres du régime de retraite établi en vertu de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes (LPRFC) touchaient la prestation de survivant optionnelle[23] ». Cette clause se retrouve également dans la LPRGRC. La réglementation applicable à la PSO n’ayant pas été adoptée, elle n’est pas offerte aux conjoints de fait.
Les témoignages et la recherche de documents n’ont pas permis de connaître les motifs ayant empêché le gouvernement d’adopter cette réglementation depuis 1992. On ne sait pas non plus pourquoi une prestation similaire n’est pas offerte aux pensionnés de la fonction publique. Il est toutefois apparu comme une évidence qu’étant donné l’existence de cette prestation, il n’y avait aucune raison valable d’en limiter l’admissibilité aux seuls conjoints légalement mariés. Le Comité recommande donc :
Recommandation 3
Que le gouvernement du Canada adopte immédiatement les règlements permettant à la prestation de survivant optionnelle (PSO) d’être offerte aux conjoints de fait autant qu’aux conjoints légalement mariés.
Selon la Brigadière-générale Virginia Tattersall, directrice générale, Rémunération et avantages sociaux, au ministère de la Défense nationale, la PSO offre, à moindre coût, une protection comparable à celle d’une assurance-vie. Ses conditions sont également plus souples que celles qui régissent habituellement les régimes d’assurance-vie :
Les paiements que reçoit le pensionné sont réduits, mais ces sommes sont toujours dans le fonds de pension. Autrement dit, en cas de décès du conjoint, le pensionné peut annuler la prestation de survivant optionnelle et il percevra, par conséquent, de nouveau 100 % de sa pension. La prestation avait été mise en place, mais le pensionné ne sera pas lésé à la mort de son épouse[24].
M. Simon Crabtree, directeur exécutif, Pensions et avantages sociaux, au Secrétariat du Conseil du Trésor, a confirmé ce jugement en affirmant que « la prestation de survivant optionnelle est en fait une option plus généreuse et plus souple qui a été ajoutée à notre régime et qui n'existe pas ailleurs[25] ».
Malgré ces intentions, les témoignages entendus en lien avec la PSO furent parfois déchirants. Walter Pinsent est entré à la GRC en 1960, à l’âge de 20 ans. Il a pris sa retraite en 1984, à 44 ans, après 24 ans de service. Après le décès de sa première femme, en 2005, il s’est marié avec Norma en 2006, à l’âge de 66 ans. Étant donné l’âge de M. Pinsent au moment du mariage, Mme Pinsent n’était pas admissible à la prestation de survivant. L’option de souscrire à la PSO fut alors envisagée. Elle était susceptible d’offrir une meilleure sécurité financière à long terme pour Norma, mais son coût annuel était trop élevé pour ce qu’ils pouvaient se permettre. Selon elle : « Il nous aurait fallu investir une partie de nos ressources financières fixes et limitées dans un avenir incertain et nous priver des joies et des biens nécessaires que nous pouvions nous permettre avec nos revenus combinés. En plus, si je mourais la première, cet investissement serait perdu[26]. » M. Pinsent a renchéri : « Nous avons décidé en tant que couple que la meilleure option pour nous est de profiter des 500 $ par mois que nous devons verser en option. Nous étions d'accord[27]. » 17 ans plus tard, on peut dire que la décision de ne pas souscrire à la PSO s’est avérée bonne puisqu’ils ont pu bénéficier ensemble de la pleine pension de Walter au lieu d’avoir à la diviser durant ces années. Comme l’a dit Mme Pinsent :
La décision de quitter nos emplois et de nous installer comme nous l'avons fait, avec une famille recomposée et en mettant nos ressources en commun, nous a semblé à l'époque la chose la plus sensée à faire. Nous sommes ensemble depuis maintenant 17 ans. Cela représente plusieurs milliers de dollars que nous avons partagés entre nous, avec notre famille et nos amis, et qui seraient totalement perdus si je décédais avant Walter. […] Walter a quitté le service militaire assez tôt, comme il l'a mentionné, si bien que sa pension n'était pas bien garnie[28].
Patrick Boudreau, lui, est un agent correctionnel comptant 37 années de service. Après une rupture en avril 2015, il rencontre trois mois plus tard sa nouvelle conjointe, Kelly Vankoughnett, veuve depuis septembre 2014. Après qu’elle eut remboursé son prêt hypothécaire, et que M. Boudreau eut réglé les paiements liés à son divorce, ils ont pris la décision de ne pas cotiser à la PSO car ils n’en avaient plus les moyens[29] :
Kelly et moi avons choisi d'être ensemble, et je voulais l'inscrire sur ma pension comme survivante. On m'a dit que si je voulais reverser 30 %, 40 % ou 50 % de ma pension, sur laquelle je vis d'un chèque à l'autre, elle toucherait une prestation du survivant d'un montant minimal. Je ne sais même pas combien ce serait parce que nous n'avons pas les moyens de cotiser. La moitié de ma pension pour joindre les deux bouts? C'est ridicule[30].
Mme Vankoughnett, à 57 ans, a préféré recevoir tout de suite des prestations réduites de sa propre pension :
J'ai choisi de prendre ma retraite un peu plus tôt parce que Pat est plus âgé que moi et que je veux passer le plus de temps possible avec lui […] J'avais la chance d'avoir ma propre pension, mais je devais faire un choix. Je n'avais pas droit à ma pleine pension avant 65 ans. J'en ai 57, j'ai donc dû décider: est-ce que je veux de bons moments et peut-être moins de choix par rapport aux choses à faire à la retraite[31]?
Comme on peut le voir, le seul fait de recevoir une pension de retraite ne garantit pas la sécurité financière à long terme d’une famille. Selon Robert Demers, un vétéran de la GRC : « Si je partais demain matin, ma conjointe ne pourrait pas rester où nous vivons présentement. Elle serait obligée de louer un endroit qui, sans être nécessairement à prix modique, serait d'une qualité moindre. Cette situation me met très mal à l'aise[32]. »
L’existence même de la PSO suggère que le gouvernement reconnaît les difficultés que peut entraîner la clause du mariage après 60 ans, ainsi que toutes les autres clauses d’exclusion des prestations de survivant. En effet, cette prestation sert directement à compenser l’impossibilité pour les conjoints de profiter des prestations de survivant lorsque le pensionné décède. Selon M. Crabtree :
Je verrais cela comme une assurance-vie temporaire. C'est une option offerte aux participants qui leur permet de subvenir aux besoins d'un conjoint qui, autrement, ne serait pas admissible à une prestation de survivant ordinaire. Il est vrai que le conjoint survivant du membre n'en bénéficiera pas dans tous les cas. Il est possible qu'il paie pour une prestation et qu'il subisse une réduction pendant un certain temps, sans en tirer profit.
Oui, le régime ne rembourserait pas dans ces circonstances et les fonds resteraient dans le régime.
[…] Les régimes de retraite sont une mise en commun des risques entre les membres. Ils ne sont pas conçus pour payer dans tous les cas exactement ce que les gens y versent. De nombreux employés ou membres qui cotisent à ces régimes ne touchent jamais ce qu'ils ont versé parce qu'ils meurent avant de pouvoir toucher ces prestations ou pour d'autres raisons. C'est le cas pour tous les régimes du secteur public[33].
Recommandation 4
Que le ministère responsable des prestations de pension remette au vétéran les fonds qui ont été mis de côté dans le cadre du programme de prestation de survivant optionnelle, au décès du conjoint du vétéran, si le conjoint décède avant le vétéran.
Recommandation 5
Que le ministère de la Défense nationale et le ministère de la Sécurité publique prennent des mesures énergiques afin de s’assurer que les membres des Forces armées canadiennes et de la Gendarmerie royale du Canada possèdent toute l’information nécessaire concernant leur régime de pension, et aient accès à des conseils financiers pour prendre les décisions financières les plus éclairées avant de prendre leur retraite.
Coût de l’abolition de la clause du mariage après 60 ans
Lors des contestations judiciaires des années 1990, l’expert actuaire du gouvernement avait affirmé que :
Autoriser le versement de prestations au survivant aux femmes qui épousent des militaires pensionnés ayant plus de 60 ans ferait augmenter le coût annuel du régime de 0,23 %, ce qui exigerait, au niveau des cotisations annuelles, un supplément situé entre 12,1 millions de dollars et 108 millions de dollars qui viendrait s’ajouter à l’amortissement sur quinze ans de nouvelles charges d’un montant situé entre 362 millions de dollars et 3,87 milliards de dollars[34] [traduction].
Trente ans plus tard, il faudrait une nouvelle évaluation actuarielle pour établir les coûts du régime, sur une base annuelle, ainsi qu’en fonction des obligations financières à long terme. On peut toutefois noter que cette évaluation est conforme à deux autres, plus récentes, effectuées par le Bureau du directeur parlementaire du budget.
Selon la brigadière générale Virginia Tattersall, directrice générale de la rémunération et des avantages sociaux au ministère de la Défense nationale, au début des années 2010, le directeur parlementaire du budget avait procédé à une évaluation actuarielle pour les trois principaux régimes de retraite de la fonction publique fédérale du coût de l’abolition de la clause excluant les conjoints provenant d’une union commencée après que le membre soit devenu un pensionné[35]. Selon Simon Crabtree, directeur exécutif des pensions et avantages sociaux au Secrétariat du Conseil du Trésor :
D'après les chiffres calculés il y a plus d'une décennie, la mise en œuvre de cette mesure aurait coûté près de 1 milliard de dollars. Pour vous donner un ordre de grandeur, en se fondant sur des modifications des hypothèses observées ailleurs, on peut avancer prudemment que ce coût a doublé entretemps. Il faudrait, évidemment, que nous calculions par rapport à des scénarios exacts reposant sur les dernières données actuarielles, mais ce serait probablement de l'ordre de 2 milliards de dollars[36].
Une étude de juin 2022 du directeur parlementaire du budget a évalué les coûts budgétaires du projet de loi C-221 déposée par la députée Rachel Blaney. On y estime que pour le seul régime de pension des Forces armées canadiennes, le coût initial serait de 62 millions de dollars en 2023–2024 et comprend les sommes versées aux survivants qui sont présentement exclus des prestations. Ce coût augmenterait ensuite à mesure que d’autres survivants s’ajouteraient pour atteindre 69 millions de dollars en 2026–2027. Dans un supplément à cette évaluation initiale publié en août 2022, le DPB a estimé que si tous les régimes de retraite fédéraux visés par le projet de loi C-221 étaient pris en compte, les dépenses annuelles en espèces seraient multipliées par 5 et atteindraient 354 millions de dollars en 2026–2027. Ces coûts seraient récurrents et ne cesseraient d’augmenter que si un équilibre finissait par être atteint entre le nombre de décès de survivants prestataires et le nombre de nouveaux survivants admissibles. L'étude a supposé que ces dépenses seraient compensées par une augmentation équivalente des contributions. Elle n’a pas évalué les obligations actuarielles du gouvernement à long terme et ne dit pas comment elle a tenu compte ou non de l’inflation et de l’indexation des prestations. L’abolition de la clause du mariage après 60 ans s’avérerait donc plus coûteuse que le fonds pour les survivants, doté d’un investissement non récurrent de 150 millions de dollars sur cinq ans, annoncé par le gouvernement en 2019.
Selon M. Crabtree, du Secrétariat du Conseil du trésor, les coûts estimés à l’époque à un milliard tenaient compte des obligations financières à long terme du gouvernement, et auraient probablement doublé si on refaisait les calculs aujourd’hui :
Ce milliard de dollars ou ces deux milliards de dollars, ou le montant final, quel qu'il soit, est un rajustement du passif global. Il s'agirait d'un rajustement unique aux obligations du régime de retraite pour tenir compte des nouvelles prestations prévues qui seront versées au cours de la vie des membres actuels et ensuite en prestations de survivant. Cela n'inclurait pas les membres qui ont déjà pris leur retraite et qui sont décédés avant. Je suppose que cela soulèverait des questions quant aux membres actuels, car il s'agit d'une approche prospective.
Ces 2 milliards de dollars, je le répète, sont destinés aux membres actuels qui cotisent au régime et non à ceux qui ont déjà pris leur retraite ou qui sont déjà décédés. […] Ce chiffre de 2 milliards de dollars correspond théoriquement à la suppression de la clause de mariage après 60 ans dans les trois régimes de retraite du secteur public[37].
Fonds pour les survivants des vétérans
Dans le budget de 2019, le gouvernement a créé le Fonds pour les survivants des vétérans :
Pour mieux soutenir les conjoints survivants des anciens combattants qui se sont mariés après 60 ans, le budget de 2019 a annoncé 150 millions de dollars sur cinq ans à partir de 2019 pour créer un nouveau Fonds pour les survivants des anciens combattants. Grâce à ces fonds, le gouvernement travaillera avec la communauté pour identifier les survivants touchés, traiter leurs demandes et s’assurer que les survivants ont le soutien financier dont ils ont besoin.
Peu d’information a circulé par la suite quant aux modalités de ce fonds et aux 150 millions de dollars d’investissements qu’il doit entraîner d’ici l’année financière 2023–2024. Alexander Glenn, de l’Association des anciens de la GRC, a déploré que les vétérans de la GRC en aient été exclus :
Nous ne sommes pas admissibles. C'est aussi simple que cela. En ce qui concerne les 150 millions de dollars, je crois savoir qu'aucune somme n'a été dépensée. La GRC n'est pas incluse. Le gouvernement du Canada ne reconnaît pas les membres de la GRC comme des anciens combattants. Par conséquent, nous avons été exclus de ces 150 millions de dollars. […] J'ai sondé l'ensemble de notre association pour savoir combien de personnes étaient touchées. Quatre-vingt-une personnes m'ont répondu, déclarant qu'elles étaient inquiètes ou avaient déjà des difficultés financières à cause de la législation.[38]
L’Association nationale des retraités fédéraux s’est plainte du manque d’information quant aux motifs ayant poussé le gouvernement à remplacer son engagement d’abroger la clause d’exclusion par la création de ce fonds :
Un rapport est attendu sur les progrès et les résultats du Fonds pour les survivants des vétérans de 150 millions de dollars administré par Anciens Combattants Canada. Ce rapport communiquera notamment le montant dépensé, à quelle fin, et les plans. On a promis aux vétérans que les dispositions sur le mariage après 60 ans seraient éliminées. Cela ne s’est pas produit, et ils méritent de savoir pourquoi ainsi que ce que les études ont révélé[39].
Dans le cadre de la présente étude, le Comité a appris qu’ACC a demandé à Statistique Canada de mener des études permettant de mieux comprendre les caractéristiques des personnes les plus susceptibles d’avoir été désavantagées par la clause d’exclusion[40]. Lors de son témoignage, Amy Meunier, d’Anciens Combattants Canada, a expliqué à quoi devaient servir ces données :
Ce que nous envisageons, c’est d’utiliser ces informations, en tenant également compte du fait que l’augmentation de la sécurité de la vieillesse qui entrera en vigueur en juillet 2022 permettra d’injecter des fonds supplémentaires pour les personnes âgées de plus de 75 ans. Nous voulons tenir compte du niveau de risque de cette population afin de mettre en place un programme et des soutiens qui répondent à ces besoins[41].
Les constats suivants sont ressortis de cette analyse :
- On estime que 4 490 survivants sont entrés en relation avec un retraité des FAC après le 60ème anniversaire de naissance de ce dernier.
- Ce sont presque exclusivement des femmes, et 90 % sont âgées de plus de 70 ans.
- Leur revenu est en général plus élevé que celui des autres femmes canadiennes du même âge.
- De ces 4 490 survivants, 850 avaient un revenu inférieur à la mesure de faible revenu qui est d’environ 25 000 $ pour une personne seule.
- En moyenne, pour atteindre ce seuil, ces 850 survivants auraient eu besoin d’un revenu supplémentaire de 671 $ par année.
- Les conjoints veufs de vétérans qui se sont mis en couple à l'âge de 60 ans ou après avaient un revenu personnel plus élevé que les conjoints de vétérans vivants, mais ils étaient également plus susceptibles de se trouver dans une situation de faible revenu, car ils étaient plus susceptibles de vivre dans un ménage à un seul revenu.
Ces données sont certes intéressantes, mais, selon les membres du Comité, elles ne permettent pas de comprendre pour quelles raisons la création du Fonds pour les survivants des vétérans constituerait une alternative valable à l’abrogation des clauses d’exclusion. On en comprend quand même que l’objectif du gouvernement est d’identifier les personnes dont la situation économique est la plus précaire et qui auraient le plus bénéficié des prestations de survivant.
Cette impression semble confirmée par les objectifs de l’étude préliminaire commandée par le gouvernement par l’entremise de l’Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans. Le professeur Eric Li, de la Faculté de gestion de l’Université de la Colombie-Britannique (Okanagan), en a obtenu le contrat d’une valeur de 225 000 $. Leur rapport de 20 pages a été déposé en décembre 2020 après avoir interviewé sept conjoints survivants et trois vétérans. Même si le prof. Li reconnaît que « l’échantillon des participants est relativement restreint[42] », le rapport propose trois recommandations :
- « Revoir les critères d’héritage des pensions des vétérans;
- Procéder à une refonte des technologies de l’information et des plateformes de soutien social des FAC et d’ACC de manière à mieux servir les conjoints survivants des vétérans;
- Fournir un soutien psychologique supplémentaire aux vétérans et aux survivants[43]. »
En synthèse des constats de son étude, le prof. Li a affirmé, lors de son témoignage que :
Ce sont les survivants qui ont épousé un vétéran après ses 60 ans qui souffrent le plus, car la réduction substantielle de leur revenu due à la perte de la pension militaire les oblige à changer considérablement leur mode de vie. Les vétérans qui ont entamé une nouvelle relation après l'âge de 60 ans conviennent également que les politiques actuelles sur la pension de réversion créent une incertitude pour leur conjoint[44].
Malgré les efforts déployés par l’équipe du prof. Li, plusieurs erreurs assez graves se sont glissées dans le rapport, et ont possiblement affecté la compréhension des enjeux qu’il propose. Par exemple, à la page 8 du rapport il est écrit : « [L]a participante 05 a droit à la pension complète de son défunt mari. Pour cette raison, son cas a servi de point de référence pour comparer le bien-être financier des survivants qui reçoivent la pension du vétéran et celui des survivants qui ne la reçoivent pas. » Or, la note qui accompagne ce passage indique que la pension que reçoit la participante 05 est la pension d’invalidité, et non la pension de retraite. Autrement dit, le rapport ne fait pas la distinction entre la pension d’invalidité, pour laquelle il n’y a aucune clause d’exclusion, et la pension de retraite.
Cette étude nous renseigne tout de même sur les intentions du gouvernement en ce qui touche le Fonds pour les survivants des vétérans. Les paramètres de l’étude, tels que définis par ACC, touchent essentiellement le bien-être financier[45], ce qui suggère que c’est pour combler les besoins financiers des survivants qui en ont le plus besoin que le Fonds a été créé.
Or, M. Crabtree a suggéré que si l’objectif était d’aider les personnes dont les revenus sont les plus faibles à maintenir un niveau de vie décent après la retraite, l’abolition de la clause d’exclusion ne serait pas une solution efficace :
Le défi avec les prestations de retraite en général est qu'elles sont un instrument assez émoussé parce qu'elles s'appliquent aux personnes à revenu élevé, ainsi qu'aux personnes à faible revenu. Souvent, lorsque nous envisageons, par exemple, de supprimer une limite comme celle du mariage après 60 ans, les plus grands bénéficiaires de cette mesure seront les personnes à revenu élevé.
Il ne s'agit pas nécessairement d'une méthode visant à cibler une sous-population particulière. La question est de savoir ce que nous voulons faire. Si c'est pour, disons, aider à garantir que les personnes survivantes à faible revenu soient prises en charge à la retraite, il y a beaucoup de coûts et de fonds qui ne vont pas être alloués à ces membres. C'est une très petite composante[46].
Il s’agit là d’un argument de poids si l’objectif soutenant originellement l’abolition de la clause d’exclusion dans la LRPFC était d’aider les survivants les plus défavorisés. Quant à savoir si le Fonds pour les survivants pourrait atteindre ce but de manière plus efficace, les intentions du gouvernement sont encore trop vagues pour qu’un jugement éclairé puisse être porté. Selon Patrick Imbeau, de l’Association nationale des retraités fédéraux, « [l]e Fonds d'aide aux anciens combattants qui a été suggéré ne s'attaque pas à la source du problème[47] ». Crystal Garrett-Baird, d’ACC, a également confirmé que « aucune partie de cette somme n'a été utilisée à ce jour. […] Nous n'avons pas eu accès aux 150 millions de dollars qui ont été annoncés dans le budget de 2019[48]. »
Le Comité recommande donc :
Recommandation 6
Qu'Anciens Combattants Canada utilise les recherches et les données fournies par Statistique Canada et l'Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans pour identifier les survivants et distribuer immédiatement les 150 millions de dollars du Fonds pour les survivants des vétérans, en mettant l'accent sur ceux qui ont le plus besoin d'aide financière, et qu'il fournisse publiquement la formule et les calculs pour l'attribution des fonds.
Recommandation 7
Que le gouvernement du Canada reconnaisse que les prestations de retraite doivent être modernisées afin de s'assurer que les survivants des vétérans des FAC et de la GRC, principalement des femmes âgées, ne soient pas poussés dans une vie de pauvreté parce que leur partenaire est décédé sans pouvoir leur laisser des prestations de retraite de survivant.
Recommandation 8
Que le ministre des Anciens Combattants travaille avec la GRC et l'Association des vétérans de la GRC pour s'assurer que les survivants des vétérans de la GRC recevront une portion équitable du Fonds pour les survivants des vétérans.
Comparaison avec d’autres régimes de pension
Dans le cadre des témoignages recueillis pour cette étude, trois régimes de pension ont été mentionnés parce qu’ils avaient aboli la clause d’exclusion liée à l’âge. Ces trois régimes sont le régime américain, le régime de retraite des employés du gouvernement provincial du Québec, et le régime de retraite des employés municipaux de l’Ontario.
Le régime américain
Selon le mémoire déposé au Comité par Brandon J. Archuleta, auteur d’un livre retraçant l’histoire des pensions militaires aux États-Unis[49], le système américain a connu deux périodes après la seconde guerre mondiale. Entre 1948 et 2018, les militaires ne versaient aucune contribution au régime et devenaient admissibles à une « acquisition en bloc » après 20 ans de service. Les prestations de retraite équivalaient à 50 % du revenu de la moyenne des trois meilleures années. Toutefois, des régimes volontaires auxquels les militaires pouvaient cotiser étaient disponibles.
Une réforme importante est entrée en vigueur en 2018, et, malgré certaines différences importantes, le régime s’est rapproché du système canadien. En effet, il est devenu un régime à cotisations et prestations déterminées permettant aux militaires d’être admissibles à une pension de retraite sans avoir complété 20 ans de service.
En ce qui concerne les prestations de survivant, il est difficile d’utiliser le mémoire de M. Archuleta comme référence, car sa comparaison avec le régime canadien ne porte pas sur le régime de pension des FAC, mais strictement sur la prestation optionnelle de survivant. De plus, selon ce qu’il est possible d’inférer à partir de sa présentation du régime américain, les conjoints qui se marient légalement après que le vétéran a commencé à recevoir des prestations de retraite ne sont admissibles aux prestations de survivant que s’il s’agit du premier mariage du vétéran. Les conditions s’appliquant aux conjoints d’unions antérieures ne sont pas explicitées.
Le Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics du Québec (RREGOP)
Comme l’ont mentionné plusieurs témoins[50], le RREGOP ne comporte pas de clause d’exclusion en fonction de l’âge. Les différences avec le régime fédéral sont nombreuses. Afin de mieux les comprendre, il faut décrire les conditions des prestations de retraite.
- Tout d’abord, la proportion des cotisations versées par l’employeur est plus basse pour le RREGOP, à 50 % pour les revenus égaux ou inférieurs au maximum admissible de la Régie des rentes du Québec, environ 65 000 $, et diminuant ensuite progressivement à mesure que le revenu brut du cotisant augmente. Pour le régime des FAC cette proportion atteint environ 63 % pour l’ensemble des cotisations.
- Le calcul du montant des prestations se fait de la même manière dans les deux régimes : années de services X moyenne du revenu brut des cinq meilleures années X 2 %.
- Les prestations sont pleinement indexées dans l’ensemble des régimes fédéraux, alors que, depuis 2000, le RREGOP limite l’indexation des prestations au plus élevé de : 50 % de l’inflation ou inflation moins 3 %.
En ce qui touche les prestations de survivant :
- Le RREGOP n’offre pas de prestation de survivant aux enfants.
- Le régime des FAC verse immédiatement au survivant la moitié de ce que le militaire aurait reçu à son soixantième anniversaire, sans réduction ni pénalité. Le RREGOP verse la moitié de ce que le retraité recevait, et offre une option permettant d’augmenter le montant à 60 % en ajoutant une cotisation. Cela signifie que si le retraité a pris une retraite anticipée, les réductions et pénalités applicables se répercuteront sur le montant des prestations de survivant, et seront indexées au taux auquel les prestations de retraite auraient été indexées (50 % ou 3 % de l’inflation).
- Le RREGOP ne comporte pas de clause d’exclusion en fonction de l’âge. Toute personne qui est le conjoint du pensionné retraité au moment du décès a droit de recevoir immédiatement les prestations de survivant.
En somme, les conditions des prestations de survivant du RREGOP sont en général moins généreuses que celles des régimes fédéraux, mais le régime versera des prestations si l’union a débuté après que le pensionné a pris sa retraite.
Le régime des employés municipaux de l’Ontario (OMERS)
Les taux de cotisation et le montant des prestations versées aux retraités par OMERS sont similaires à ce qui est versé par le RREGOP. Pour les prestations de survivant, il y a cependant des différences importantes :
- La prestation d’OMERS correspond à 2/3 du montant des prestations que recevait le pensionné.
- Le taux d’indexation est limité à 6 %, peu importe le taux d’inflation.
- Le conjoint admissible aux prestations de survivant en priorité est le conjoint légalement marié au moment où le pensionné a pris sa retraite. Cela constitue une clause indirecte de mariage après la retraite puisque, si après avoir pris sa retraite, le pensionné divorce et commence une union avec une autre personne, cette personne n’aura pas droit à la prestation de survivant. Elle y aura cependant droit si le pensionné n’était pas marié au moment de prendre sa retraite.
Cette clause permet de tenir compte du partage des droits à pension advenant un divorce avant la retraite. En effet, si le divorce se produit avant la retraite, les droits accumulés dans le régime de pension seront partagés entre les ex-conjoints, ce qui réduira d’autant le montant des prestations que recevra le pensionné. Si, suite à ce partage, le pensionné reçoit par exemple 3 000 $ au lieu de 4 000 $ par mois, cela se reflétera sur le montant de la prestation de survivant puisqu’elle est calculée, dans le cas du RREGOP et d’OMERS, en fonction de ce que reçoit le pensionné, et non de ce qu’il aurait reçu sans déduction et pénalités comme dans le régime fédéral.
Cette clause d’OMERS permet au conjoint divorcé avant la retraite de bénéficier des cotisations accumulées dans le régime durant la période de vie commune. Cela vient limiter les obligations financières à long terme de l’employeur et les rend plus prévisibles. Cette clause ne s’applique qu’aux ex-conjoints légalement mariés.
Il est possible qu’une telle clause ne soit pas nécessaire dans le cas du RREGOP puisque le droit familial québécois a institué le partage obligatoire des droits à pension dans le cas d’un divorce, peu importe qu’il ait eu lieu avant ou après la retraite.
Ce qu’il importe de noter ici est que les prestations de survivant versées par le régime fédéral ne diminuent pas, même s’il y a eu préalablement partage des droits à pension dans un divorce. Cela augmente de manière significative les obligations financières à long terme du gouvernement, les rend plus imprévisibles, et l’oblige, afin de limiter les coûts, à introduire des clauses d’exclusion qui peuvent paraître arbitraires, ainsi que des prestations optionnelles dont peu de retraités ont les moyens de se prévaloir.
Les membres du Comité sont donc d’avis que le gouvernement devrait envisager le réaménagement des régimes de retraite des FAC et de la GRC afin d’établir un équilibre entre la prévisibilité des engagements à long terme du gouvernement et la volonté des vétérans de pouvoir faire bénéficier leur conjoint d’une prestation de survivant en cas de décès, même si l’union a commencé après le début de la retraite. Comme l’exprimait Mme Evanshen :
À la fin de ses jours, le vétéran, homme ou femme, qui a tout donné pour son pays, laisse son conjoint sans ressources parce que ce conjoint n'a pas droit à ses prestations si le vétéran a trouvé l'amour après l'âge de 60 ans. Je vous demande, si quelqu'un parmi vous a plus de 60 ans et a un être cher, comment vous sentiriez-vous si vous ne pouviez pas prendre soin de cette personne après votre mort[51]?
La modulation du montant des prestations de survivant en proportion de ce que reçoit le pensionné, au lieu de ce qu’il aurait reçu sans réduction ou pénalités, semblerait offrir une souplesse équitable à la fois pour le gouvernement et pour les vétérans. Si ce changement en venait à réduire de manière significative les obligations financières du gouvernement, il y aurait alors lieu d’augmenter le pourcentage appliqué au calcul de la prestation de survivant, comme l’a fait OMERS en le portant à 2/3 au lieu de 50 % comme dans le RREGOP, ou encore d’ajuster les taux de cotisation.
Recommandation 9
Que le gouvernement du Canada abroge la clause du « mariage après 60 ans » dans la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes et la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, et rende les prestations de survivant proportionnelles à ce que recevait le pensionné plutôt qu’à ce qu’il aurait reçu sans réduction, et ajuste au besoin les taux de cotisation et le pourcentage applicable au calcul des prestations de survivant afin de refléter adéquatement les obligations financières réduites qui en découleraient.
Conclusion
Les régimes de pension de retraite sont des programmes complexes qui font partie de la rémunération globale des employés qui y contribuent. La plupart de ces régimes prévoient des prestations de survivant, c’est-à-dire des clauses permettant au conjoint du contributeur de recevoir des prestations advenant le décès du contributeur. Les caractéristiques varient évidemment d’un régime à l’autre, mais plusieurs constantes se retrouvent dans la quasi-totalité des régimes à prestations déterminées, c’est-à-dire ceux qui garantissent le montant des prestations à la retraite. Ces régimes prévoient que le conjoint n’a pas accès aux prestations de survivant si l’union a débuté après que le contributeur a commencé à recevoir des prestations de retraite. C’est le cas du régime de pension des Forces canadiennes, de celui de la Gendarmerie royale du Canada et de celui de la fonction publique fédérale.
Dans le cas de la fonction publique canadienne, les conjoints sont exclus des prestations de survivant si l’union a lieu après que le pensionné a commencé à recevoir des prestations. Pour les Forces canadiennes et la Gendarmerie royale du Canada, les conjoints sont exclus des prestations de survivant si l’union a débuté après que le vétéran a atteint l’âge de 60 ans. Dans le cas des Forces canadiennes, cela reflète l’âge obligatoire de la retraite pour les militaires, qui est de 60 ans, ainsi que le fait que les militaires et les officiers de la GRC ont tendance à prendre leur retraite plus tôt que les fonctionnaires fédéraux. Si la règle s’appliquant aux fonctionnaires fédéraux s’était appliquée aux vétérans, elle leur aurait été nettement désavantageuse.
Historiquement, ces régimes ont contenu des clauses vraisemblablement discriminatoires envers les femmes. Jusqu’au début des années 1970, les prestations de survivant n’étaient accessibles qu’aux femmes, ce qui renforçait la présomption de dépendance financière des conjointes. De plus, jusqu’en 1989, les prestations de survivant contenaient une clause dite des « chercheuses d’or » qui limitait la valeur des prestations si la différence d’âge entre les conjoints dépassait 25 ans. Toutefois, à la fin des années 1990, la cour fédérale et la cour d’appel ont statué que la clause d’exclusion elle-même, c’est-à-dire celle qui exclut les conjoints des prestations de survivant si l’union a commencé après que le vétéran a atteint 60 ans, n’était pas discriminatoire. Elle visait, selon la cour, à limiter les obligations financières du gouvernement et l’âge de 60 ans remplaçait ce qui, dans le régime de la fonction publique, était l’âge de la retraite.
Il n’en demeure pas moins que cette clause semble introduire un élément d’arbitraire qui prive les conjoints survivants d’un revenu d’appoint sans autre raison que l’âge du vétéran. Plusieurs témoins ont exprimé de manière particulièrement déchirante le sentiment d’injustice et d’incompréhension qu’ils ont vécu en apprenant que leur conjointe ne serait pas admissible aux prestations de survivant à cause de leur âge au moment du début de leur relation. En effet, comme la cour l’a reconnu, le gouvernement a voulu limiter ses obligations financières en imposant ces clauses d’exclusion. Il existe toutefois de nombreuses manières de parvenir à ce résultat et le gouvernement n’a pas été en mesure d’expliquer en quoi la clause du « mariage après 60 ans » constituait la manière la plus appropriée d’y arriver.
Le gouvernement a indirectement reconnu les difficultés financières que cette clause pouvait entraîner pour certains couples puisqu’il a institué une prestation optionnelle de survivant qui permet au pensionné de transférer une part du montant de ses propres prestations à un régime au profit du survivant qui paiera des prestations à ce dernier en cas de décès du pensionné. Comme plusieurs témoins l’ont exprimé, le coût de ces contributions est si élevé qu’il n’est à peu près jamais envisagé sérieusement par les vétérans. En effet, moins d’une centaine de vétérans paient présentement des contributions en vertu de ce régime. De plus, la valeur accumulée de ces contributions est perdue si le conjoint décède avant le pensionné, et le régime n’est offert qu’aux conjoints légalement mariés. C’est pourquoi le Comité a émis deux recommandations visant à corriger les lacunes de cette prestation optionnelle de survivant.
Le versement dans les plus brefs délais des sommes prévues au Fonds pour les survivants des vétérans aux survivantes qui en ont le plus besoin sera certes bienvenu pour des centaines de survivantes en difficulté. Cela laissera toutefois entier le problème de l’arbitraire qui semble accompagner l’existence de cette clause du mariage après 60 ans. La solution consiste peut-être à s’inspirer du Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics du Québec (RREGOP). Ce régime est le seul à avoir été identifié au Canada et qui ne comporte pas de clause d’exclusion si l’union a débuté après que le pensionné a commencé à recevoir des prestations de retraite. Dans le cadre de ce régime, la personne qui reçoit les prestations de survivant est tout simplement la personne qui était le conjoint du retraité au moment de son décès. Le montant qui lui est versé est tout simplement 50% de la prestation que recevait le retraité au moment de son décès. Si la pension du retraité a été réduite après un divorce ou parce qu’il a choisi de prendre sa retraite plus tôt que l’âge prescrit, cela se reflétera sur le montant de la prestation de survivant.
En vertu du régime des Forces canadiennes, les prestations de retraite des vétérans correspondent au revenu moyen des cinq meilleures années multiplié par le nombre d’années de service X 2%, jusqu’à concurrence de 35 années de service. Autrement dit, les prestations maximales peuvent atteindre 70% (35 années X 2%) du revenu. Si le militaire a moins de 35 ans de service et choisit de prendre sa retraite avant l’âge de 60 ans, le montant des prestations sera réduit. S’il y a eu préalablement partage du fonds de pension après un divorce, le montant des prestations sera également réduit. Ces réductions ne s’appliquent cependant pas au calcul de la prestation de survivant. En effet, la formule de calcul de la prestation de survivant est le revenu moyen des cinq meilleures années multiplié par le nombre d’années de service, mais ce produit, au lieu d’être multiplié par 2%, est multiplié par 1%. Étant donné que les facteurs de réduction ne s’appliquent pas, la prestation de survivant équivaut dans de nombreux scénarios à beaucoup plus que 50% de la prestation de retraite du vétéran. Sachant que le gouvernement du Canada paie actuellement près des deux tiers des contributions au régime de retraite des Forces canadiennes, si la clause du mariage après 60 ans était simplement abolie, les coûts supplémentaires seraient potentiellement importants.
L’adoption d’une formule similaire à celle du RREGOP permettrait à la fois de mettre un terme aux effets arbitraires de la clause du mariage après 60 ans et de limiter les obligations financières du gouvernement à long terme. Le Comité a donc recommandé l’adoption de cette approche.
Les membres du Comité remercient sincèrement les témoins qui, par leurs contributions, les ont aidés à chercher des solutions constructives à ces problèmes complexes.
[1] Quelques régimes font exception à cette règle générale, dont le Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics du Québec (RREGOP) et le Régime de retraite des employés municipaux de l'Ontario (OMERS). Nous examinerons plus loin dans ce rapport les particularités de ces deux régimes.
[2] Dans le cas de la Loi sur les allocations de retraite des parlementaires (LARP), la prestation de survivant est limitée à la personne qui était conjoint du sénateur ou député durant la période où leur mandat a été exercé. Si le parlementaire a eu plusieurs conjoints durant cette période, le montant de la prestation de survivant sera divisé entre ceux-ci, proportionnellement au nombre d’années où ils ont été le conjoint du sénateur ou député alors qu’il exerçait son mandat.
[3] Sutherland c. Canada (1997), Résumé de la preuve soumise par Sharon Hamilton, note 23.
[4] Le dernier enfant connu d'un vétéran de la guerre civile américaine à recevoir une pension, Irene Triplett, est décédée le 30 mai 2020, selon le Washington Post [anglais seulement].
[5] Voir Loi modifiant certaines dispositions législatives relatives aux pensions de retraite et à d’autres pensions, sanctionnée le 29 juin 1989.
[6] ACVA, Mémoire de l’Association nationale des retraités fédéraux, 29 avril 2022, p. 6.
[7] ACVA, Mémoire de l’Association nationale des retraités fédéraux, 29 avril 2022, p. 3.
[8] Sutherland c. Canada, 1994 CanLII 3497 (FC), [1994] 3 FC 662.
[9] Cité d’après le jugement d’appel Sutherland v. Canada (1997), 123 F.T.R. 80 (note), 143 D.L.R. (4th) 226, 208 N.R. 1, 68 A.C.W.S. (3d) 265 (FCA).
[10] Sutherland v. Canada (1997), 123 F.T.R. 80 (note), 143 D.L.R. (4th) 226, 208 N.R. 1, 68 A.C.W.S. (3d) 265 (FCA).
[11] Sutherland v. Canada (1997), 123 F.T.R. 80 (note), 143 D.L.R. (4th) 226, 208 N.R. 1, 68 A.C.W.S. (3d) 265 (FCA).
[12] Sutherland v. Canada (1997), 123 F.T.R. 80 (note), 143 D.L.R. (4th) 226, 208 N.R. 1, 68 A.C.W.S. (3d) 265 (FCA).
[13] Sutherland v. Canada (1997), 123 F.T.R. 80 (note), 143 D.L.R. (4th) 226, 208 N.R. 1, 68 A.C.W.S. (3d) 265 (FCA).
[14] Sutherland v. Canada (1997), 123 F.T.R. 80 (note), 143 D.L.R. (4th) 226, 208 N.R. 1, 68 A.C.W.S. (3d) 265 (FCA).
[15] Sutherland v. Canada (1997), 123 F.T.R. 80 (note), 143 D.L.R. (4th) 226, 208 N.R. 1, 68 A.C.W.S. (3d) 265 (FCA).
[16] Voir par exemple Association nationale des associations d’anciens combattants du Canada, Mémoire déposé à ACVA, mai 2022.
[17] ACVA, Témoignages, 13 mai 2022, 1325, M. Kevin Sewell (à titre individuel).
[18] ACVA, Témoignages, 29 avril 2022, 1330, M. Alexander Glenn (président national, Association des anciens de la Gendarmerie royale du Canada).
[19] ACVA, Témoignages, 13 mai 2022, 1315, Mme Kelly Vankoughnett (à titre personnel).
[20] ACVA, Témoignages, 20 mai 2022, 1435, M. Simon Crabtree (directeur exécutif, Pensions et avantages sociaux, Secrétariat du Conseil du Trésor).
[21] ACVA, Témoignages, 20 mai 2022, 1435, M. Simon Crabtree (directeur exécutif, Pensions et avantages sociaux, Secrétariat du Conseil du Trésor).
[22] ACVA, Mémoire de l’Association nationale des retraités fédéraux, 29 avril 2022, p. 10. Voir aussi les remarques de M. Pizzino : ACVA, Témoignages, 29 avril 2022, 1325, M. Anthony Pizzino (directeur général, Association nationale des retraités fédéraux); et de M. Soulière : 29 avril 2022, 1345, M. Jean-Guy Soulière (président, Association nationale des retraités fédéraux).
[23] Anciens Combattants Canada, « Réponse aux questions posées lors de la réunion d’ACVA du 20 mai 2022 ».
[24] ACVA, Témoignages, 20 mai 2022, 1345, Brigadière-générale Virginia Tattersall (directrice générale, Rémunération et avantages sociaux, ministère de la Défense nationale).
[25] ACVA, Témoignages, 20 mai 2022, 1435, M. Simon Crabtree (directeur exécutif, Pensions et avantages sociaux, Secrétariat du Conseil du Trésor).
[26] ACVA, Témoignages, 29 avril 2022, 1320, Mme Norma Pinsent (à titre personnel).
[27] ACVA, Témoignages, 29 avril 2022, 1340, M. Walter Pinsent (sergent d'état-major (à la retraite), Gendarmerie royale du Canada, à titre personnel).
[28] ACVA, Témoignages, 29 avril 2022, 1340, Mme Norma Pinsent (à titre personnel).
[29] ACVA, Témoignages, 13 mai 2022, 1315, Mme Kelly Vankoughnett (à titre personnel).
[30] ACVA, Témoignages, 13 mai 2022, 1345, M. Patrick Boudreau (à titre personnel).
[31] ACVA, Témoignages, 13 mai 2022, 1345, Mme Kelly Vankoughnett (à titre personnel).
[32] ACVA, Témoignages, 29 avril 2022, 1400, M. Robert Demers (vétéran, Gendarmerie royale du Canada, à titre personnel).
[33] ACVA, Témoignages, 20 mai 2022, 1420, M. Simon Crabtree (directeur exécutif, Pensions et avantages sociaux, Secrétariat du Conseil du Trésor).
[34] Sutherland v. Canada (1997), 123 F.T.R. 80 (note), 143 D.L.R. (4th) 226, 208 N.R. 1, 68 A.C.W.S. (3d) 265 (FCA).
[35] ACVA, Témoignages, 20 mai 2022, 1355, Brigadière-générale Virginia Tattersall (directrice générale, Rémunération et avantages sociaux, ministère de la Défense nationale).
[36] ACVA, Témoignages, 20 mai 2022, 1355, M. Simon Crabtree (directeur exécutif, Pensions et avantages sociaux, Secrétariat du Conseil du Trésor).
[37] ACVA, Témoignages, 20 mai 2022, 1450, M. Simon Crabtree (directeur exécutif, Pensions et avantages sociaux, Secrétariat du Conseil du Trésor).
[38] ACVA, Témoignages, 29 avril 2022, 1350, M. Alexander Glenn (président national, Association des anciens de la Gendarmerie royale du Canada).
[39] ACVA, Mémoire de l’Association nationale des retraités fédéraux, 29 avril 2022, p. 10.
[40] Anciens Combattants Canada, « Résumé de l’étude sur les survivants », Réponse aux questions posées lors de la réunion du 20 mai 2022.
[41] ACVA, Témoignages, 6 mai 2022, 1510, Mme Amy Meunier (sous-ministre adjointe, Politiques stratégiques et commémoration, ministère des Anciens Combattants).
[42] ACVA, Témoignages, 20 mai 2022, 1325, M. Eric Ping Hung Li (professeur agrégé, The University of British Columbia, Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans).
[43] Eric Li, Keith Culver, Patrick Gall, Dilsora Komil-Burley, et Ariele Parker, Étude qualitative sur le bien-être financier des survivants de vétérans, Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans, contrat AT46, p. 2.
[44] ACVA, Témoignages, 20 mai 2022, 1325, M. Eric Ping Hung Li (professeur agrégé, The University of British Columbia, Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans).
[45] Eric Li, Keith Culver, Patrick Gall, Dilsora Komil-Burley, et Ariele Parker, Étude qualitative sur le bien-être financier des survivants de vétérans, Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans, contrat AT46, p. 3–4.
[46] ACVA, Témoignages, 20 mai 2022, 1450, M. Simon Crabtree (directeur exécutif, Pensions et avantages sociaux, Secrétariat du Conseil du Trésor).
[47] ACVA, Témoignages, 29 avril 2022, 1345, M. Patrick Imbeau (agent des politiques et de la défense des intérêts, Association nationale des retraités fédéraux).
[48] ACVA, Témoignages, 20 mai 2022, 1415, Mme Crystal Garrett-Baird (directrice générale, Politique et recherche, ministère des Anciens Combattants).
[49] Brandon J. Archuleta, « Militaires à la retraite, conjoints et prestations de pension du survivant : Bref examen de l’expérience américaine », mémoire déposé à ACVA le 1 août 2022; d’après le livre du même auteur : Twenty Years of Service: The Politics of Military Pension Policy and the Long Road to Reform (Lawrence: University Press of Kansas, 2020).
[50] Voir par exemple : ACVA, Témoignages, 20 mai 2022, 1430, M. Simon Crabtree (directeur exécutif, Pensions et avantages sociaux, Secrétariat du Conseil du Trésor); 13 mai 2022, 1355, M. Maurice Gill (coprésident, Coalition équité des pensions aux conjoints survivants); 29 avril 2022, 1310, M. Robert Demers (vétéran, Gendarmerie royale du Canada, à titre personnel).
[51] ACVA, Témoignages, 13 mai 2022, 1315, Mme Tracy Lee Evanshen (à titre personnel).