Privilège parlementaire / Droits des députés
Protection contre l’obstruction : lettre ternissant la réputation d’une députée
Débats, p. 2205
Contexte
Le 6 décembre 2013, Nathan Cullen (Skeena—Bulkley Valley) invoque le Règlement afin de demander le consentement unanime de la Chambre pour déposer une lettre envoyée à Charmaine Borg (Terrebonne—Blainville) par le sénateur Jean-Guy Dagenais, qui a aussi été distribuée à l’ensemble des députés, des sénateurs et de leur personnel. M. Cullen qualifie cette lettre de révoltante et d’attaque personnelle à l’encontre de Mme Borg. Le consentement unanime pour déposer la lettre lui est refusé[1]. Le 9 décembre 2013, Mme Borg soulève une question de privilège et déclare que l’intimidation, l’obstruction et l’ingérence dans le travail d’un député sont considérées comme une atteinte à son privilège et comme un outrage au Parlement. Elle soutient que le tort que le sénateur Dagenais a causé à sa réputation avec cette lettre peut nuire à son travail de députée et, par conséquent, aux habitants de sa circonscription. Le Président suppléant (Barry Devolin) prend la question en délibéré[2]. Le 10 décembre 2013, Tom Lukiwski (secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes) rétorque que le sénateur habite aussi dans la circonscription de Mme Borg et que la lettre lui a été envoyée en réponse à un bulletin parlementaire qu’elle avait distribué. Il ajoute que Mme Borg n’a fait allusion à aucune délibération parlementaire pour laquelle elle aurait pu faire l’objet d’obstruction ou d’intimidation et que les députés ne peuvent invoquer le privilège pour se parer contre les critiques de l’extérieur. M. Cullen répond que la lettre expédiée par le sénateur constitue un effort concerté qu’il fallait prendre au sérieux[3].
Résolution
Le Président rend sa décision le 28 janvier 2014. Il mentionne que même si pareilles déclarations sont potentiellement nuisibles, en l’espèce, il n’y a pas de lien direct entre les déclarations et de quelconques délibérations du Parlement. Par conséquent, comme il ne peut conclure que la députée a été empêchée d’exercer ses fonctions parlementaires, le Président conclut qu’il n’y a pas matière à question de privilège de prime abord.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision au sujet de la question de privilège soulevée le 9 décembre par la députée de Terrebonne—Blainville.
J’aimerais tout d’abord remercier l’honorable députée d’avoir soulevé cette question, ainsi que l’honorable leader à la Chambre de l’Opposition et l’honorable secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre pour leurs interventions sur le même sujet.
L’honorable députée de Terrebonne—Blainville a fait valoir à la Chambre qu’une lettre diffusée à de nombreuses personnes par le sénateur Dagenais a porté injustement atteinte à son intégrité et à sa réputation. Elle a également déploré le ton de la lettre, qu’elle a qualifié de dépréciateur, sexiste, misogyne, personnel et hostile. Puis, citant La procédure et les usages de la Chambre des communes, [deuxième édition], elle a invoqué la question de privilège au motif que cette attaque contre sa réputation l’a gênée dans l’exercice de ses fonctions parlementaires.
Bien entendu, la présidence sait que les communications de ce genre, peu importe leur origine, sont toujours susceptibles de causer des torts. Or, elle se doit également d’évaluer chaque situation à la lumière des précédents parlementaires.
O’Brien et Bosc, à la page 109, contient un passage qui illustre bien le lien important qui doit exister entre la situation donnant lieu à la plainte et la capacité des députés à remplir leurs fonctions parlementaires :
Pour qu’il y ait à première vue matière à question de privilège, la présidence doit être convaincue que les faits confirment les propos du député selon lesquels il a été gêné dans l’exercice de ses fonctions parlementaires et que la question a un lien direct avec les délibérations du Parlement. Dans certains cas où elle a statué que la question de privilège n’était pas fondée de prime abord, la présidence a rendu des décisions axées sur le lien, direct ou non, avec les fonctions parlementaires du député.
Dans le cas actuel, la députée elle-même a cité une décision du Président Fraser qui souligne l’importance d’un lien avec l’exercice des fonctions parlementaires et qui établit une distinction entre les déclarations faites à la Chambre et celles faites à l’extérieur. En l’occurrence, il est clair que la communication à l’origine de cette situation n’a pas eu lieu dans l’enceinte de la Chambre. La députée peut donc toujours se prévaloir des recours habituels.
Le Président Milliken, dans une décision rendue en février 2009, en a dit autant. Il existe, en fait, de nombreuses décisions de la présidence en ce sens, tel que mentionné lors des interventions.
Sans minimiser l’importance de la plainte ou diminuer la réponse de l’honorable députée, il est difficile pour la présidence, en raison de la nature des événements, d’en venir à la conclusion que ces derniers empêchent la députée d’exercer ses fonctions parlementaires. En conséquence, je conclus qu’il n’y a pas matière à question de privilège dans le cas présent.
Cela étant dit, comme la députée l’a elle-même signalé, elle a évidemment les mêmes recours que n’importe quel autre citoyen face à des atteintes à sa réputation ou des attaques qu’elle considère être diffamatoires. Ce sera là une décision qui lui reviendra. Entre-temps, la présidence est tenue par les nombreux précédents qui statuent qu’un lien direct aux fonctions parlementaires est essentiel dans de tels cas.
Je remercie les députés de leur attention.
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[1] Débats, 6 décembre 2013, p. 1896–1897.
[2] Débats, 9 décembre 2013, p. 1907–1908.
[3] Débats, 10 décembre 2013, p. 1981–1982.