Privilège parlementaire / Droits des députés

Protection contre l’obstruction : services d’interprétation inadéquats lors d’une séance d’information technique sur un projet de loi

Débats, p. 3429–3430

Contexte

Le 6 février 2014, Pierre-Luc Dusseault (Sherbrooke) soulève une question de privilège au sujet du manque de services d’interprétation lors d’une séance d’information technique sur le projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d’autres lois et modifiant certaines lois en conséquence, alléguant que cela a empêché des députés de participer pleinement au débat sur la mesure législative. Pierre Poilievre (ministre d’État (Réforme démocratique)) réplique que même s’il n’y avait pas d’interprètes professionnels sur place, les représentants du Bureau du Conseil privé ont pu animer la séance et fournir toute la documentation, y compris les communiqués de presse et le projet de loi lui-même, en anglais et en français. Après avoir entendu d’autres députés le même jour puis le 7 février 2014, le Président prend la question en délibéré[1].

Résolution

Le 3 mars 2014, le Président rend sa décision. Il explique que les activités reliées à la recherche d’information pour participer au débat sur un projet de loi n’entrent pas à proprement dit dans la définition de délibération parlementaire et, par conséquent, ne sont pas protégées par le privilège. Le Président déclare aussi qu’il n’entre pas dans les fonctions de la présidence d’intervenir dans les affaires des ministères. Le Président reconnaît la légitimité du grief du député, mais il conclut cependant que la situation ne constitue pas de prime abord une atteinte au privilège.

Décision de la présidence

Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur la question de privilège soulevée le 6 février 2014 par le député de Sherbrooke concernant une séance d’information technique présentée par le ministre d’État au sujet du projet de loi C-23, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et d’autres lois et modifiant certaines lois en conséquence.

Je remercie l’honorable député de Sherbrooke d’avoir soulevé cette question, ainsi que le ministre d’État (Réforme démocratique), l’honorable leader à la Chambre de l’Opposition officielle et les députés d’Ottawa—Vanier, de Charlesbourg—Haute-Saint-Charles et de York-Sud—Weston de leurs interventions.

Le député de Sherbrooke a expliqué que, lors de la séance d’information technique à laquelle il a assisté le mardi 4 février au sujet du projet de loi C-23, les services d’interprétation offerts étaient inadéquats, déclarant que « [p]arfois, il n’y avait pas ou très peu de traduction, ou elle était de mauvaise qualité. » Selon le député, cela a empêché les parlementaires de participer pleinement au débat qui a suivi au sujet du projet de loi.

Il a ensuite affirmé que la protection des langues officielles à la Chambre était cruciale pour assurer l’égalité de tous les députés.

Pour sa part, le ministre d’État (Réforme démocratique) a reconnu qu’aucun interprète professionnel n’était présent lors de la séance, mais a indiqué que tous les renseignements avaient été fournis aux parlementaires dans les deux langues officielles, y compris l’allocution, les fiches d’information, les communiqués et le projet de loi même.

Comme l’a fait remarquer le député de Sherbrooke, la garantie relative à l’accès dans les deux langues officielles et à l’utilisation du français et de l’anglais dans les délibérations parlementaires, dans les procès-verbaux de ces délibérations et dans les textes législatifs ne constitue pas moins qu’une obligation constitutionnelle — une pierre angulaire de notre système parlementaire. En ma qualité de Président, l’une de mes principales responsabilités consiste à veiller à ce que les parlementaires ne soient pas gênés dans l’exécution de leurs fonctions parlementaires et à assurer la protection de leurs droits et privilèges.

Dans le cas des langues officielles, il est d’usage depuis longtemps à la Chambre de faire en sorte que des interprètes professionnels soient présents lors des délibérations de la Chambre et des comités. Bien entendu, cette pratique s’étend à de nombreuses autres activités, telles que les réunions de caucus et les séances d’information, ainsi qu’à d’autres activités et événements parlementaires. Dans de tels cas, s’il n’y a pas d’interprètes, l’activité est retardée jusqu’à leur arrivée ou remise si aucun interprète n’est disponible. De la même manière, s’il survient un problème technique lié à l’équipement, les délibérations sont suspendues jusqu’à ce que le problème soit résolu. Les députés le savent bien, car cela se produit parfois ici à la Chambre.

Pour autant que sache la présidence, des normes semblables sont observées durant les activités organisées par le gouvernement. C’est ce qu’illustre une affaire qui a été portée à l’attention de la Chambre le 23 octobre 2013, après qu’une séance d’information technique au sujet d’un projet de loi d’exécution du budget avait dû être annulée parce que les services d’interprétation simultanée n’étaient pas disponibles. Dans les Débats de cette date, à la page 303, le leader du gouvernement à la Chambre avait présenté des excuses à la Chambre. Il avait alors déclaré :

On m’a informé qu’une nouvelle réunion aura lieu ce soir, qu’elle se tiendra dans les deux langues officielles et que les participants pourront bénéficier de services d’interprétation. Il va sans dire que le gouvernement s’attend à ce que toutes les activités se déroulent convenablement dans les deux langues officielles.

Il est clair que dans ce cas, le gouvernement avait considéré l’absence d’interprètes comme une affaire sérieuse.

Lorsqu’une situation est portée à l’attention de la présidence, elle doit être évaluée selon les paramètres assez stricts de la procédure et de la jurisprudence parlementaires. Dans le cas présent, le député de Sherbrooke demande à la présidence de conclure que les problèmes d’interprétation ont privé les députés de l’accès aux renseignements du ministère, et que cela constitue de prime abord une atteinte au privilège.

Avant de tirer une telle conclusion, la présidence doit déterminer si le député a été gêné dans l’exercice de ses responsabilités liées directement aux délibérations au Parlement.

À la page 109 de La procédure et les usages de la Chambre des communes, deuxième édition, il est écrit :

Pour qu’il y ait à première vue matière à question de privilège, la présidence doit être convaincue que les faits confirment les propos du député selon lesquels il a été gêné dans l’exercice de ses fonctions parlementaires et que la question a un lien direct avec les délibérations du Parlement.

On peut également lire ceci à la page 111 :

Un député peut aussi faire l’objet d’obstruction ou d’ingérence dans l’exercice de ses fonctions par des moyens non physiques. Dans ses décisions sur ce type de situation, la présidence examine l’effet de l’incident ou de l’événement sur la capacité des députés de remplir leurs responsabilités parlementaires.

La question qui se pose à la présidence est simple : est-ce que le fait d’assister à une séance d’information ministérielle qui n’a pu être interprétée en totalité remplit ce critère décisif? La décision du Président Parent rendue le 9 octobre 1997, à la page 688 des Débats, est très instructive sur ce point. Il y est dit :

[...] les activités relatives à la demande de renseignements en vue de préparer une question ne tombent pas sous le coup de la stricte définition de ce qui constitue des « délibérations du Parlement » et, en conséquence, elles ne sont pas protégées par le privilège.

L’affaire qui nous intéresse aujourd’hui est analogue en ce que les mêmes définitions et principes fondamentaux s’appliquent, peu importe que le député tente d’obtenir des renseignements dans le but de préparer une question ou de participer à un débat sur un projet de loi. Que le député qui se prépare en vue de participer à des délibérations — que ce soit en assistant à une séance d’information technique ou par un autre moyen — n’est pas en train de participer aux délibérations en soi. Bien que l’importance d’une telle préparation ne fasse aucun doute, elle n’en demeure pas moins accessoire aux délibérations du Parlement et n’en fait pas partie.

De plus, en l’espèce, c’est un ministère qui est responsable de la situation que dénonce le député. Sur ce point, le Président Bosley a déclaré ceci, le 15 mai 1985, à la page 4769 des Débats :

On a admis à maintes reprises à la Chambre qu’une plainte sur les agissements ou sur l’inaction du gouvernement ne pouvait donner lieu à la question de privilège.

Dans ma propre décision du 7 février 2013, j’ai tiré la même conclusion. À la page 13869 des Débats, j’ai déclaré :

Il n’appartient pas à la présidence d’intervenir dans les affaires des ministères ni de se mêler des processus gouvernementaux, peu importe à quel point ils semblent frustrants aux yeux du député.

Dans sa décision, la présidence est contrainte de respecter les stricts paramètres du privilège parlementaire. Par conséquent, même s’il appert que l’honorable député de Sherbrooke a un grief légitime, la présidence ne peut pas conclure qu’il y a, de prime abord, atteinte au privilège.

Cela dit, la présente décision n’enlève rien au besoin du député d’avoir un accès complet et équitable aux renseignements sur les mesures législatives, ni à l’importance de fournir ces renseignements dans les deux langues officielles.

Bien que je ne puisse fournir au député de Sherbrooke aucun recours parlementaire fondé sur le privilège, celui-ci voudra peut-être explorer les autres recours à sa disposition en s’adressant directement au ministre ou en soulevant la question auprès du commissaire aux langues officielles.

Je remercie les députés de leur attention.

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[1] Débats, 6 février 2014, p. 2675–2678, 7 février 2014, p. 2748–2749.