Les comités / Pouvoirs des comités
Production de documents : portée du mandat d’un comité permanent; convention relative aux affaires en instance; séparation des pouvoirs du gouvernement
Débats, p. 3337–3338
Contexte
Le 14 novembre 2011, Joe Comartin (Windsor—Tecumseh) invoque le Règlement au sujet d’une motion adoptée par le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique[1]. Dans le cadre d’une étude, le Comité avait adopté une motion ordonnant à la Société Radio-Canada (SRC) de produire certains de ses documents faisant l’objet d’une action en justice. M. Comartin soutient que l’adoption de la motion et l’étude subséquente du Comité échappent au mandat de celui-ci et contreviennent à la convention relative aux affaires en instance ainsi qu’à la séparation constitutionnelle du pouvoir législatif et du pouvoir judiciaire. Il demande au Président de mettre fin à l’étude ou de la suspendre en attendant la fin de l’action en justice. D’autres députés font des observations et le Président prend l’affaire en délibéré[2]. Le 15 novembre 2011, Peter Van Loan (leader du gouvernement à la Chambre des communes) réplique que les comités sont maîtres de leurs délibérations et qu’en l’absence d’un rapport du Comité, les circonstances ne justifient pas l’intervention du Président. Le Président prend de nouveau l’affaire en délibéré[3].
Résolution
Le Président rend sa décision le 21 novembre 2011. Il déclare que lorsqu’il n’y a pas de rapport de comité, le poids des précédents fait pencher la balance en faveur d’une non-intervention, afin de respecter et de préserver la primauté des comités à l’égard de leurs travaux, et que le rôle du Président dans ces questions ne devrait pas dépasser les limites de ce qui a été établi avec le temps. En outre, il fait remarquer que puisque les documents en question ont été fournis dans une enveloppe scellée en attendant que le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique prenne d’autres décisions, le Comité avait encore l’occasion de résoudre lui-même la question, et qu’il était trop tôt pour que la présidence intervienne.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé le 14 novembre 2011 par le député de Windsor—Tecumseh au sujet des délibérations du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique dans le cadre de son étude sur l’accès à l’information à la Société Radio-Canada, la SRC.
Je remercie le député de Windsor—Tecumseh d’avoir soulevé cette question et de m’avoir fourni de la documentation utile. Je remercie également le leader du gouvernement à la Chambre des communes, le ministre d’État et whip en chef du gouvernement, ainsi que les députés de Winnipeg-Nord et de Saanich—Gulf Islands pour leurs interventions.
La question soulevée par le député de Windsor—Tecumseh concerne une motion adoptée par le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique ordonnant à la SRC de fournir au Comité certains documents qui font actuellement l’objet d’une action en justice opposant la SRC à la commissaire à l’information.
Tout en reconnaissant le principe de longue date selon lequel les comités sont maîtres de leurs délibérations, le député a fait valoir que la liberté dont jouissent les comités n’est ni totale ni absolue. Surtout, il a soutenu que puisque les documents en question faisaient déjà l’objet d’un litige devant la Cour d’appel fédérale, le Comité essayait dans les faits de substituer sa décision à celle des tribunaux, contrevenant ainsi à la convention relative aux affaires en instance judiciaire et au principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs législatif et judiciaire. Autrement dit, le député de Windsor—Tecumseh prétend que le Comité a outrepassé la portée de son mandat.
Lorsqu’il a sollicité l’intervention de la présidence dans cette affaire, le député a fait valoir qu’il s’agissait d’une situation exceptionnelle du même type que celles où mes prédécesseurs avaient jugé légitime l’intervention du Président. Le député réclame une intervention bien précise de ma part, à savoir que j’ordonne au Comité d’abandonner son étude ou, à tout le moins, de suspendre celle-ci jusqu’à l’issue du litige.
Pour sa part, le leader du gouvernement à la Chambre des communes a convenu que les comités sont maîtres de leurs délibérations et a reconnu qu’il pouvait y avoir des circonstances justifiant l’intervention du Président dans les affaires d’un comité. Cependant, il a affirmé n’avoir entendu aucun argument convaincant en faveur d’une intervention du Président dans l’affaire qui nous occupe, surtout en l’absence d’un rapport du Comité sur la question.
En ce qui concerne les arguments de fond qui ont été avancés, j’affirmerai d’emblée que j’apprécie le sérieux et la sincérité avec lesquels les députés ont abordé la question. Il est évident pour la présidence que le député de Windsor—Tecumseh et les autres députés sont profondément préoccupés par la tournure qu’ont prise jusqu’ici les événements au sein du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique. En même temps, la présidence reconnaît le caractère persuasif des arguments avancés par le leader du gouvernement à la Chambre quant au poids des précédents lorsqu’il est question d’intervenir dans les affaires d’un comité en l’absence d’un rapport relatif aux activités contestées.
Dans une décision rendue le 10 mai 2007 au sujet de l’intimidation présumée de témoins en comité, le Président Milliken a convenu que ses prédécesseurs avaient été peu enclins à intervenir dans les travaux des comités. Il avait alors déclaré, à la page 9288 des Débats, et je cite :
[...] il serait tout à fait inapproprié que le Président rompe avec les usages et anticipe les décisions éventuelles du comité. Ce dernier est saisi de la question, et s’il présente un rapport à la Chambre, la présidence étudiera évidemment toute question de procédure qu’il pourrait entraîner. Cependant, tant que ce rapport n’est pas présenté, je dois laisser la question entre les mains du comité.
Dans une décision semblable rendue le 14 mars 2008 au sujet du mandat du Comité même qui fait l’objet de la présente décision, le Président Milliken a dit, à la page 4182 des Débats, et je cite :
Pour l’instant, j’estime qu’il n’y a pas de raisons suffisantes pour usurper le rôle des membres de comité quant à la régie des affaires du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique. Toutefois, lorsque le Comité présentera un rapport, les députés qui sont toujours préoccupés par les travaux du Comité auront alors l’occasion de soulever leurs préoccupations devant la Chambre, et je réexaminerai la question à ce moment-là.
La présidence souhaite non pas minimiser l’importance de la question qui a été soulevée, mais plutôt respecter et préserver la primauté des comités dans leurs travaux et veiller à ce que le rôle du Président dans la résolution de telles questions ne dépasse pas les limites de ce qui a été établi au fil du temps.
Sur ce point, la présidence tient à rappeler à la Chambre que, lorsque le Président Fraser a rendu sa décision souvent citée relativement aux « cas extrêmes » pouvant justifier une intervention de la présidence, il était confronté à la probabilité que plusieurs mois s’écoulent avant que le comité alors en cause puisse se réunir pour résoudre la question. Évidemment, les circonstances de l’affaire qui nous intéresse aujourd’hui sont complètement différentes.
Quant à l’affaire dont nous sommes saisis, je suis conscient que la présidente du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique a indiqué, dans une note d’information à l’intention des membres du Comité, qu’elle était d’avis, et je cite : « que le Comité devrait attendre la décision du Président avant de tenir des séances dans le cadre de l’étude de l’accès à l’information à la SRC. »
Pour sa part, le leader du gouvernement à la Chambre a laissé entendre qu’une intervention du Président à ce moment crucial serait prématurée, car, et je cite : « ... il pourrait être plus opportun pour la présidence d’aborder ces questions ultérieurement, si jamais un rapport est produit par le Comité de l’éthique. »
Je signale également que le Comité a reçu des documents de la SRC dont certains, si je comprends bien, demeureront dans une enveloppe scellée jusqu’à ce que le Comité prenne d’autres décisions.
Cela semble indiquer qu’il reste de la place dans les délibérations futures du Comité pour traiter des sérieuses questions qui ont été soulevées et, éventuellement, résoudre la présente situation de manière satisfaisante. Par souci de laisser au Comité le temps de régler les questions auxquelles il est confronté, j’hésite à m’insinuer dans cette affaire à ce stade précoce tant que les événements n’auront pas suivi leur cours au Comité.
Par conséquent, compte tenu des circonstances que je viens de décrire, la présidence estime qu’elle devrait s’abstenir dans l’immédiat de préjuger de l’orientation et de l’issue des délibérations du Comité. La question devra donc, pour le moment, demeurer devant le Comité.
Je remercie les députés de leur attention.
Post-scriptum
Le 24 novembre 2011, le Comité convient de renvoyer les documents scellés à la SRC et d’examiner les documents non scellés à huis clos afin d’en assurer la confidentialité[4].
Certains sites Web de tiers peuvent ne pas être compatibles avec les technologies d’assistance. Si vous avez besoin d’aide pour consulter les documents qu’ils contiennent, veuillez communiquer avec accessible@parl.gc.ca.
[1] Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique, Procès-verbal, 1er novembre 2011, réunion no 12.
[2] Débats, 14 novembre 2011, p. 2997–3002.
[3] Débats, 15 novembre 2011, p. 3061–3063.
[4] Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique, Procès-verbal, 24 novembre 2011, réunion no 13.