Les règles du débat / Divers

Décorum : Questions orales; chanter l’hymne national et agiter des drapeaux canadiens afin d’empêcher un député de poser une question

Débats, p. 4902-4903

Contexte

Le 26 février 1998, Michel Gauthier (leader parlementaire du bloc Québécois) invoque le Règlement concernant un désordre créé par certains députés qui avaient empêché Suzanne Tremblay (Rimouski—Mitis) de poser une question durant les Questions orales. Ces députés avaient chanté l’hymne national et agité des drapeaux canadiens parce que Mme Tremblay avait auparavant critiqué l’installation de drapeaux canadiens dans le village des athlètes durant les Jeux olympiques d’hiver de 1998. M. Gauthier, après avoir signalé que le président suppléant (Ian McClelland) avait déjà statué que le fait d’agiter des drapeaux durant un discours de Mme Tremblay était irrecevable parce qu’inapproprié[1], déclare que si l’on souhaite obtenir la collaboration de son parti à la Chambre, il ne faudrait pas permettre que de tels gestes empêchent un député de poser des questions ou de participer à un débat. Après avoir entendu les interventions d’autres députés, le Président prend l’affaire en délibéré[2].

Résolution

Le 16 mars 1998, le Président rend sa décision. Il statue que les incidents survenus durant les Questions orales du 26 février étaient inacceptables et qu’ils ne devraient pas se reproduire. Le Président déclare que la décision ne porte ni sur le drapeau canadien ni sur l’hymne national ni sur le patriotisme, pas plus que sur la préséance d’une tendance politique sur une autre. Les principes fondamentaux en cause sont l’ordre et le décorum et l’obligation pour le Président d’appliquer les règles et les pratiques de la Chambre. En ce qui touche à l’étalage de drapeaux à la Chambre, le Président statue qu’à moins que la Chambre en décide autrement, aucun étalage ne sera autorisé et que la pratique actuelle sera maintenue.

Décision de la présidence

Le Président : Je veux maintenant traiter de l’incident qui s’est produit juste avant l’ajournement de la Chambre, le jeudi 26 février 1998.

Je veux également parler des événements subséquents qui s’y rattachent et qui semblent avoir pris une certaine ampleur en cette Chambre.

Comme la Chambre le sait, lorsqu’on leur demande de rendre une décision, les Présidents doivent se limiter aux éléments essentiels de l’incident précis en cause. Cependant, dans le cas présent, l’incident original a tellement été déformé qu’on l’a presque perdu de vue et, pendant ce temps, la controverse s’envenime à propos de sujets qui n’étaient pas en cause à l’origine. Dans ces circonstances, je vous demande de m’écouter pendant que je rappelle les points saillants de cette affaire.

D’abord, rappelons-nous l’incident original. Pendant la période des questions orales, ce jour-là, j’ai donné la parole à la députée de Rimouski—Mitis. Avant qu’elle ne puisse commencer à formuler sa question, un désordre chez certains députés l’a empêchée de prendre la parole. Après que le calme se soit plus ou moins rétabli, la députée a pu poser sa question.

Après la période des questions orales, le leader du Bloc québécois à la Chambre a invoqué le Règlement au sujet de ce désordre et plusieurs autres députés ont pris la parole pour exprimer leur point de vue sur le sujet.

L’ajournement et les délibérations des leaders parlementaires m’ont permis de réfléchir sérieusement sur ce désordre ce jour-là et sur les questions qui ont été soulevées en raison de celui-ci. J’étais prêt à rendre ma décision dès le retour de la Chambre, mais j’ai voulu laisser aux leaders parlementaires le temps nécessaire pour régler cette question.

Il me semble qu’il y a une question simple et fondamentale en cause ici : l’obligation pour le Président de maintenir l’ordre et le décorum à la Chambre.

En termes simples, notre Parlement fonctionne comme ceci : premièrement, les députés ont le droit de prendre la parole; deuxièmement, les règles de la Chambre et ses pratiques déterminent comment ce droit doit s’exercer pour que tous les députés soient traités équitablement; troisièmement, le Président a le devoir de maintenir l’ordre à la Chambre en veillant à ce que les règles et les pratiques de cette dernière soient respectées.

Comme on le lit aux pages 52 et 56 de la 6e édition du Beauchesne :

[…] le Président a pour responsabilité première d’assurer l’ordre dans les débats. […] il doit concilier le droit des députés de s’exprimer librement et le droit non moins important de la Chambre de fonctionner sans désordre grave ni obstacle.

En d’autres mots, le Président doit maintenir l’équilibre entre les revendications contradictoires des différents députés.

Indépendamment de l’écart qui peut séparer nos points de vue et de la passion avec laquelle nous tenons à certaines convictions que nos opposants politiques ne partagent pas, la politesse est de mise à la Chambre des communes. Cela signifie que chaque député a le droit de prendre la parole et que chaque député peut raisonnablement espérer être écouté, que les autres soient d’accord ou non avec ce qu’il dit ou ce qu’il croit.

Les questions auxquelles le pays est confronté et qui sont débattues en cette Chambre sont difficiles. Pendant les délibérations, l’émotion peut nous emporter et, dans le vif du débat, nous pouvons parfois nous écarter de ce qui est acceptable. Quand cela se produit, la Présidence doit veiller à ramener la Chambre à l’ordre et insister pour que nous respections la pratique.

J’ai soigneusement pris connaissance de la pratique en cette Chambre, de celle d’autres assemblées législatives au Canada, de celle de la Chambre des communes du Royaume-Uni et celle d’autres parlements de type britannique. Partout où nous avons regardé, nous avons constaté que le déroulement ordonné des délibérations est primordial en pratique parlementaire.

Dans leur défense vigilante de délibérations ordonnées à la Chambre, mes prédécesseurs ont constamment déclaré inacceptables les étalages et démonstrations de toutes sortes utilisés par les députés pour illustrer leur discours ou faire valoir leur opinion. De même, les accessoires de toutes sortes servant de commentaire non verbal sur certains sujets ont toujours été jugés inacceptables à la Chambre.

Il est regrettable que, dans leur couverture des événements, certains médias semblent être passés à côté de la question. Des pontifes sont outrés, prétendant que ce qui est en cause est de savoir si le drapeau canadien a sa place à la Chambre. Un journal est même allé jusqu’à déclarer dans son éditorial principal « au diable le décorum ». Je crois qu’il s’agit d’un commentaire exagéré qui révèle une conception désolante de la nature des parlements et de la manière dont ils fonctionnent. Pour fonctionner efficacement et de manière constructive, la Chambre, comme toute autre assemblée délibérante, doit compter sur le respect des règles de politesse.

Dans une décision rendue le 24 mars 1993, le Président Fraser a éloquemment exprimé ce que l’ordre et le décorum signifient dans une assemblée comme la nôtre lorsqu’il a dit :

[…] notre institution et notre pays doivent compter plus que notre colère et nos propres convictions lorsque nous intervenons à la Chambre […]. Reste qu’il faut faire régner un ordre raisonnable parce que, sans un ordre raisonnable, il ne saurait y avoir de liberté de parole. Or, le droit de parole est fondamental à la Chambre[3].

Vous me voyez devant vous aujourd’hui, un drapeau du Canada déployé de chaque côté du fauteuil. Je suis tout à fait d’accord pour dire qu’il n’y a pas de meilleure place que la Chambre des communes pour notre drapeau, le symbole de notre nation. Nous pouvons aussi être fiers d’avoir adopté comme pratique il y a peu de temps de chanter l’hymne national chaque mercredi avant le début des délibérations.

Cependant, ma décision ne porte ni sur le drapeau ni sur l’hymne national ni sur le patriotisme, pas plus que sur la préséance d’une tendance politique sur une autre. Je l’ai dit tout à l’heure, et il convient de le répéter, les principes fondamentaux en cause ici sont l’ordre et le décorum et l’obligation pour le Président d’appliquer les règles et les pratiques de la Chambre.

Notre droit garantit le droit de parole à tout député dûment élu. Nos pratiques lui garantissent le droit d’être entendu. Il est du devoir du Président de garantir que ces droits soient respectés en garantissant que les règles et les pratiques de la Chambre soient respectées.

Aujourd’hui, mon devoir de Président m’oblige à faire respecter les règles, les précédents et les traditions qui nous ont si bien servis au cours des 130 dernières années de démocratie parlementaire canadienne. Les événements qui se sont produits pendant la période des questions du 26 février étaient manifestement contraires à nos règles et à nos pratiques. Je juge donc qu’un tel incident ne doit pas se répéter.

Cependant, on me presse de démontrer que je suis un patriote canadien en permettant l’étalage sans contraintes de drapeaux à la Chambre. Cela constituerait une modification unilatérale et sans précédent des pratiques de la Chambre des communes, ce qu’aucun Président n’a le pouvoir de faire. Ainsi, quelles que soient les pressions qui s’exercent sur moi, je ne peux pas m’arroger un tel pouvoir et je ne le ferai pas. Tant que la Chambre n’en aura pas décidé autrement, aucun étalage d’aucune sorte ne sera autorisé.

J’espère, et tous les députés devraient penser comme moi, que, lorsque le Président donne la parole à un député, la Chambre aura la courtoisie de l’écouter respectueusement. J’invite tous les députés à se conduire conformément aux règles et aux pratiques de la Chambre des communes, que le Président doit faire respecter.

Nous devons à nos commettants qui nous ont élus de faire notre possible afin de toujours maintenir ce qui prévaut la plupart du temps, des débats courtois et polis.

P0703-f

36-1

1998-03-16

Certains sites Web de tiers peuvent ne pas être compatibles avec les technologies d’assistance. Si vous avez besoin d’aide pour consulter les documents qu’ils contiennent, veuillez communiquer avec accessible@parl.gc.ca.

[1] Débats, 26 février 1998, p. 4488.

[2] Débats, 26 février 1998, p. 4509-13, 4503.

[3] Débats, 24 mars 1993, p. 17487.