Le processus législatif / Forme des projets de loi
Rédaction : constitutionnalité; forme inappropriée
Débats, p. 5070-5072
Contexte
Le 9 avril 2008, Derek Lee (Scarborough–Rouge River) invoque le Règlement au sujet de la constitutionnalité et de la forme du projet de loi C-505, Loi modifiant la Loi sur le multiculturalisme canadien (non-application au Québec). Il estime que le projet de loi, dans son libellé actuel, ne doit pas faire l’objet d’un débat. Il soutient que le projet de loi est inconstitutionnel, du fait que son article 2 contrevient à l’article 27 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il ajoute qu’il est également possible de voir le projet de loi comme un changement à la Constitution, mais que, dans ce cas, le changement devrait être présenté sous la forme d’une résolution, et non d’un projet de loi. S’appuyant sur le plan constitutionnel et sur celui de la forme, il demande que l’on supprime l’article 2 du projet de loi ou que l’on raye le projet de loi du Feuilleton[1]. Après avoir entendu d’autres députés, le Président prend la question en délibéré[2].
Résolution
Le Président rend sa décision le 17 avril 2008. Il insiste sur le fait que le Président n’a pas le pouvoir de statuer sur la constitutionnalité d’un projet de loi, et qu’il l’a donc examiné dans le seul but de déterminer s’il a été présenté sous la forme appropriée. Il déclare que le projet de loi ne peut être déclaré irrecevable pour la simple raison qu’il est sous la forme d’un projet de loi plutôt que d’une résolution. Puisque le projet de loi vise à limiter l’application d’une loi existante et qu’il propose une modification à cette loi dans ce but, le Président conclut que le projet de loi a été présenté sous la forme appropriée. Par conséquent, il déclare que les délibérations à ce sujet peuvent continuer.
Décision de la présidence
Le Président : Je suis maintenant prêt à rendre ma décision sur le rappel au Règlement soulevé le 9 avril 2008 par le député de Scarborough–Rouge River au sujet du projet de loi C-505, Loi modifiant la Loi sur le multiculturalisme canadien (non-application au Québec).
J’aimerais remercier le député de Scarborough–Rouge River d’avoir porté cette question à l’attention de la Chambre, ainsi que le whip du Bloc Québécois, le leader du Bloc Québécois à la Chambre et le député de Mississauga-Sud pour leurs interventions.
Le député de Scarborough–Rouge River a soulevé deux questions au sujet de ce projet de loi. D’abord, il a fait valoir que le projet de loi dans son état actuel est inconstitutionnel parce que son article 2 dispose que : « La politique du gouvernement fédéral en matière de multiculturalisme ne s’applique pas sur le territoire du Québec. » Il estime que cela est contraire à l’article 27 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Il a ensuite allégué que le projet de loi C-505 pouvait être considéré comme une modification constitutionnelle de facto. Il fonde sa thèse sur le fait que les dispositions de la Loi sur le multiculturalisme canadien reproduisent les dispositions en matière de multiculturalisme enchâssées dans la Charte canadienne des droits et libertés. Si la mesure proposée vise réellement à modifier la Constitution, il soutient, comme second argument, qu’elle ne devrait pas prendre la forme d’un projet de loi, mais plutôt celle d’une résolution. Il a conclu que le projet de loi C-505 n’est pas la forme appropriée et a demandé que l’article 2 soit retiré du projet de loi ou que l’ordre portant deuxième lecture du projet de loi soit annulé et que le projet de loi soit rayé du Feuilleton.
Lors de son intervention, le whip du Bloc Québécois a signalé que l’un des critères appliqués par le Sous-comité des affaires émanant des députés pour décider si une affaire peut être mise aux voix est la détermination de sa constitutionnalité. Comme le Sous-comité n’a pas jugé que le projet de loi C-505 était non votable, l’honorable député a soutenu que la question de la constitutionnalité avait déjà été réglée.
Lors de son intervention, le 10 avril, l’honorable leader parlementaire du Bloc Québécois a soutenu que les objections soulevées à propos du projet de loi étaient d’ordre juridique, et non d’ordre procédural, et il a rappelé à la Chambre que le Président ne se prononce pas sur des questions de droit. Il a également affirmé que le projet de loi vise à modifier une loi existante seulement, et non la Constitution.
Le député de Mississauga-Sud a précisé que le Sous-comité des affaires émanant des députés, lorsqu’il détermine si un projet de loi peut faire l’objet d’un vote, peut ne pas être en mesure d’en évaluer tous les aspects constitutionnels. Il a maintenu que le processus permettant de traiter des rapports du Sous-comité ne donnait pas l’occasion aux députés d’exprimer leurs préoccupations à l’égard de la validité constitutionnelle et déclaré qu’il était par conséquent opportun que le député de Scarborough–Rouge River demande au Président de rendre une décision à ce sujet.
À la lumière de la question et des arguments présentés, je m’en voudrais de ne pas renvoyer les députés à la page 542 de l’ouvrage La procédure et les usages de la Chambre des communes, où il est mentionné :
Par ailleurs, même si elles sont présentées comme des rappels au Règlement, le Président ne peut pas répondre aux questions hypothétiques touchant la procédure, ni aux questions de nature juridique ou constitutionnelle.
Le Président Fraser a abordé brièvement le rôle limité de la présidence dans une décision sur une question semblable, qu’il est possible de lire dans les Débats du 16 septembre 1991, à la page 2179. Il avait alors déclaré, et je cite :
Il incombera peut-être plus tard à un tribunal de juger que la Chambre a adopté un projet de loi qui n’a pas force de loi, mais c’est au tribunal et non au Président d’en décider.
Conscient de ma responsabilité limitée dans ce cas, j’ai donc examiné le projet de loi dans le seul but de déterminer s’il a été présenté sous la forme appropriée étant donné l’objet qu’il cherche à atteindre.
Permettez-moi de répondre tout d’abord à l’argument soulevé par le député de Scarborough–Rouge River, selon lequel les modifications à la Constitution doivent nécessairement être proposées sous forme de résolution. Il est vrai que, au cours des dernières années, la Chambre a examiné plusieurs résolutions de cette nature. Par exemple, les 18 novembre et 9 décembre 1997, la Chambre a adopté des résolutions portant sur les systèmes scolaires du Québec et de Terre-Neuve, respectivement. Puis, le 30 octobre 2001, elle a adopté une résolution visant à remplacer le nom de Terre-Neuve par celui de Terre-Neuve-et-Labrador.
Par ailleurs, la Chambre a également examiné des projets de loi proposant des modifications à la Constitution. Parmi des exemples tirés de la législature actuelle, pensons au projet de loi d’initiative parlementaire C-223, Loi modifiant la Loi ayant pour objets la reconnaissance et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la Loi constitutionnelle de 1867, inscrit au nom de l’honorable député de Yorkton–Melville, ainsi que les projets de loi d’initiative ministérielle C-22, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (représentation démocratique) et C-19, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (durée du mandat des sénateurs), tous deux inscrits au nom de l’honorable leader du gouvernement à la Chambre.
Je vous propose ces exemples simplement pour illustrer le fait que le projet de loi qui nous préoccupe ne peut être déclaré irrecevable pour la simple raison qu’il est la sous-forme d’un projet de loi plutôt que d’une résolution. Cela dit, examinons maintenant le contenu de ce projet de loi.
Le projet de loi C-505 comprend deux articles, qui visent à modifier des dispositions de la Loi sur le multiculturalisme canadien. L’article 1 propose d’ajouter au préambule de la loi un paragraphe sur la situation particulière du Québec, et l’article 2 ajoute un paragraphe à l’article 3 de la loi afin d’exempter la province de Québec de l’application de la politique du gouvernement fédéral en matière de multiculturalisme. Le projet de loi ne fait aucunement mention d’une autre loi ou de la Charte canadienne des droits et libertés.
Puisque le projet de loi vise à limiter l’application d’une loi existante et qu’il propose une modification à cette loi dans ce but, je conclus que le projet de loi C-505 a été présenté sous la forme appropriée.
En ma qualité de Président, je ne suis pas habilité à rendre des décisions concernant la constitutionnalité du projet de loi C-505. Par conséquent, étant donné que le projet de loi C-505 a été présenté sous la forme appropriée, les délibérations peuvent continuer conformément aux règles régissant l’étude des Affaires émanant des députés.
Je remercie le député de Scarborough–Rouge River d’avoir soulevé cette question.
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[1] Débats, 9 avril 2008, p. 4686-4687.
[2] Débats, 9 avril 2008, p. 4687; 10 avril 2008, p. 4723-4724.