:
Monsieur le Président, cette affirmation désormais célèbre de l'ancien ministre, qui l'a faite devant le comité, est devenue virale, car les uns après les autres, policiers et fonctionnaires l'ont niée devant le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre ainsi que la Commission sur l'état d'urgence. Des preuves documentaires confirment par ailleurs que la déclaration du ministre était totalement fausse.
Puisque les rapports des trois organismes ont été officiellement déposés à la Chambre pendant la présente session, la Chambre est saisie d'affirmations irréconciliables qu'il faut départager. Comme on le sait, c'est un outrage que d'induire en erreur la Chambre des communes ou l'un de ses comités. Je montrerai donc que le député d' a délibérément induit le comité spécial en erreur, ce qui, à première vue, est un outrage au Parlement.
Au premier paragraphe de la section « Justification » du chapitre 7, intitulé « Invocation de la Loi sur les mesures d'urgence », du troisième rapport du comité, il est question du témoignage de l'ancien ministre le 26 avril 2022:
Certains témoins ayant comparu devant le Comité ont fait état de préoccupations liées à la sécurité publique pour justifier la décision du Cabinet d'invoquer la Loi sur les mesures d'urgence . Par exemple, l'ancien ministre [...] a dit que le gouvernement fédéral avait été avisé que « les organisations d'exécution de la loi avaient besoin de la Loi sur les mesures d'urgence pour être certaines de pouvoir résoudre, par exemple, les ambiguïtés concernant les personnes qui restaient près des points d'entrée ». Il a rappelé que cette loi a été invoquée « parce que des organisations d'exécution de la loi impartiales [les avaient] avisés que les pouvoirs existants ne permettaient pas, à l'époque, de rétablir la sécurité publique publique ».
Pour faire bonne mesure, voici ce que l'ancien ministre a également dit au comité ce soir-là:
Le gouvernement est demeuré en contact avec [d'autres] organismes d'exécution de la loi tout au long de l'occupation pour veiller à ce qu'ils disposent du soutien et des ressources dont ils avaient besoin. Cependant, quand les efforts d'exécution des pouvoirs existants se sont avérés inefficaces, on nous a conseillé d'invoquer la Loi sur les mesures d'urgence.
Il a ajouté: « Selon les conseils que nous avons reçus, les organisations d'exécution de la loi avaient besoin de la Loi sur les mesures d'urgence. » Il a également déclaré: « Lorsque nous avons pris notre décision sur ce que nous pouvions faire pour répondre, nous avons suivi les conseils de divers niveaux d'application de la loi, y compris la GRC et les commissaires. »
Cette dernière citation est particulièrement importante, compte tenu de ce que le comité a indiqué dans son rapport, à partir du 10 e paragraphe de la section sur la coopération entre les différents services de police, une rubrique du chapitre 5 intitulé « Réponse policière au “Convoi de la liberté” ». On peut y lire ceci:
Il existe des éléments probants qui donnent à penser que les chefs de police n'ont pas utilisé tous les outils à leur disposition pour mettre un terme aux manifestations et aux blocages lorsque le gouvernement fédéral a décidé d'invoquer la Loi sur les mesures d'urgence. Devant la Commission [sur l'état d'urgence], dans un courriel de [l'ancienne commissaire de la GRC] Brenda Lucki du 14 février 2022 adressé au chef de cabinet de l'ancien ministre [...], on pouvait y lire ce qui suit:
Cela étant dit, je pense que nous n'avons pas encore épuisé tous les outils disponibles dans le cadre des lois existantes. Dans [certaines circonstances], des accusations pourraient être portées en vertu des instruments législatifs en vigueur pour diverses infractions au Code criminel commises en ce moment même pendant les manifestations. La Loi sur la protection civile et la gestion des situations d'urgence de l'Ontario, qui vient d'être promulguée, sera un nouvel outil de dissuasion qui s'ajoutera aux moyens dont nous disposons actuellement.
Ces moyens sont pris en compte dans nos plans actuels et seront utilisés en temps voulu si besoin est.
J'aimerais prendre un instant pour souligner trois choses. Premièrement, le 22 septembre 2022, le comité a adopté une motion en vue de réaliser des gains d'efficacité dans ses propres travaux. On peut y lire que le comité:
[...] considère que les éléments de preuve, y compris les témoignages et les documents, reçus par les comités permanents de la Chambre des communes et la Commission sur l'état d'urgence, et publiés sur leurs sites Web, relativement à l'état d'urgence de février 2022 et aux questions qui en découlent, ont été reçus par le Comité et peuvent [avoir été] utilisés dans ses rapports [...]
Deuxièmement, comme nous le savons d'après les dossiers de la Commission Rouleau, le chef de cabinet de l'ancien ministre a transmis le message de la commissaire de la GRC directement au ministre de l'époque. Cela se trouve dans le document ssm.nsc.can.00002280 de la Commission Rouleau.
Troisièmement, la déclaration de l'ancienne commissaire Lucki selon laquelle tous les outils disponibles n'avaient pas été épuisés a été mise en évidence par des lettres rouges afin d'attirer l'attention du ministre.
Il est clair que le député d' a été clairement averti que le recours à la Loi sur les mesures d'urgence ne relevait pas de l'avis de la GRC, contrairement à ce qu'il avait prétendu devant le comité. Pour revenir au troisième rapport, quatre paragraphes plus loin, nous lisons: « [L'ancien chef du Service de police d'Ottawa,] Peter Sloly[,] a déclaré au Comité que le [Service de police d'Ottawa] avait un plan prêt pour dégager le centre-ville d'Ottawa, et que pendant qu'il était le chef de police, le [Service de police d'Ottawa] a gardé le contrôle de ce plan. »
Son mandat a pris fin le lendemain du recours à la Loi sur les mesures d'urgence. M. Sloly a témoigné devant le comité le 6 octobre 2022, et il est cité à la page 3 des témoignages: « Dans mes discussions avec les trois ordres de gouvernement, il n'a jamais été expressément question d'un recours à la Loi sur les mesures d'urgence. » Il a ensuite immédiatement clarifié sa réponse en ajoutant: « Nous avons effectivement eu des conversations avec la ville d'Ottawa concernant la situation de crise, mais pas avec les deux autres ordres de gouvernement. »
D'autres témoins qui ont comparu devant le comité mixte spécial ont également déclaré qu'ils n'avaient pas demandé le recours à la Loi sur les mesures d'urgence. Brenda Lucki, qui était alors commissaire de la GRC, est citée à la page 10 des témoignages du 10 mai 2022: « Non, il n'a jamais été question de demander la Loi sur les mesures d'urgence. » Quand on lui a demandé de confirmer cette déclaration et de dire si elle avait déjà demandé l'invocation de la Loi, elle a répondu fermement: « Non ».
Le ministre de la Protection civile de l'époque, qui est maintenant , a déclaré le 14 juin 2022, aux pages 22 et 23 des témoignages, qu'il n'avait pas entendu de conseils ni de demandes de la part de la police au sujet du recours à la Loi sur les mesures d'urgence, ajoutant: « Franchement, j'aurais été très surpris que la police fasse une recommandation stratégique ou demande une autorisation législative. »
Le 27 octobre 2022, l'ancien maire d'Ottawa, Jim Watson, a confirmé, à la page 14 des témoignages, qu'il n'avait pas demandé que la Loi sur les mesures d'urgence soit invoquée. Le 3 novembre 2022, le commissaire de la police provinciale de l'Ontario, Tom Carrique, a confirmé, à la page 17 des témoignages: « Je peux affirmer que je vous dis la vérité absolue, monsieur. Je n'ai jamais demandé que la Loi sur les mesures d'urgence soit invoquée. » Il a ensuite ajouté: « Je n'ai pas donné de conseils de cette nature, et je ne connais personne de mon équipe juridique qui l'ait fait. »
Ces déclarations montrent à elles seules que le comité disposait de preuves irréconciliables, qui ont maintenant été rapportées à la Chambre, mais les problèmes ne s'arrêtent pas là. Parallèlement aux travaux du comité mixte spécial, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre a mené sa propre étude sur les mesures de sécurité sur la Colline du Parlement ou à proximité, et il a entendu un certain nombre de témoins pertinents en matière de police et de sécurité qui ont comparu à la suite de la fameuse déclaration de l'ancien ministre.
Les témoignages qu'il a entendus ont été rapportés à la Chambre dans le 19e rapport de ce comité, qui a été déposé le 14 décembre 2022. Premièrement, à la page 14, on peut lire le point de vue de l'ancien ministre:
Lors de la comparution [de la ministre des Services publics et de l'Approvisionnement et du ministre de la Sécurité publique de l'époque], certains membres du Comité ont posé des questions sur l'invocation de la Loi sur les mesures d'urgence. En particulier, on demande quel service de police avait demandé que la Loi sur les mesures d'urgence soit invoquée.
En réponse, [le député d'Eglinton—Lawrence] a déclaré:
[I]l y a eu un très solide consensus entre les forces de l'ordre pour dire que la Loi sur les mesures d'urgence était nécessaire, comme l'indiquait la lettre de l'Association canadienne des chefs de police [...]
À la page 24 du 19 e rapport, on peut lire ceci: « Questionné sur l'invocation de la Loi sur les mesures d'urgence par le gouvernement fédéral, [le chef intérimaire du Service de police d'Ottawa de l'époque, Steve Bell,] a indiqué que le [Service de police d'Ottawa] a eu des conversations avec ses partenaires politiques et les ministères impliqués, mais n'a pas demandé directement que cette loi soit invoquée. » L'ancien chef Bell a par la suite témoigné devant le comité mixte spécial le 3 novembre 2022, et à la page 2 des témoignages, il a dit: « Non, nous n'avons jamais demandé directement d'invoquer la loi. »
Plus tard au cours de la même réunion, à la page 9, il a confirmé: « C'est exact. Le Service de police d'Ottawa n'a pas fait de demande directe. »
Revenons maintenant au 19e rapport du comité de la procédure et des affaires de la Chambre. À la page 28, on peut lire ceci: « Questionné à savoir si [le Service de police de la Ville de Gatineau] avait été mesure de gérer les débordements qui se sont produits du côté québécois pendant le convoi de la liberté, [le directeur du service,] M. [Luc] Beaudoin a indiqué que son service a été en mesure de le faire, notamment grâce à la collaboration de ses partenaires et au centre de coordination. »
À la page 30, on peut lire:
Questionné à savoir si le [Service de protection parlementaire] a demandé l'invocation de la Loi sur les mesures d'urgence en février 2022, M. [Larry] Brookson [qui était alors directeur par intérim du service et surintendant] a répondu que ce n'était pas le cas. M. Brookson a par ailleurs précisé que la Loi sur les mesures d'urgence n'a présenté aucun avantage pour le [Service de protection parlementaire] puisque, n'étant pas un corps policier, il n'a pas obtenu de pouvoir supplémentaire à la suite de sa mise en œuvre.
Je prends ici le temps d'ajouter que l'ancien surintendant Larry Brookson a confirmé ce témoignage lors de sa comparution devant le comité mixte spécial le 29 septembre 2022. On peut le lire à la page 10 des témoignages.
M. Sloly, l'ancien chef la police d'Ottawa, avait également comparu devant le comité de la procédure et des affaires de la Chambre. On peut lire à la page 40 du rapport du comité qu'il n'a pas « demandé au gouvernement fédéral de recourir à [la Loi sur les mesures d'urgence]. À sa connaissance, il ne croit pas que quiconque au sein du [Service de police d'Ottawa] ait formulé une telle demande. »
Le directeur municipal de la Ville d'Ottawa de l'époque, Steve Kanellakos, a également témoigné et, dans le 19e rapport, à la page 50, on peut lire ceci: « Le Comité a demandé à M. Kanellakos si le [Service de police d'Ottawa] avait réclamé l'application de la Loi sur les mesures d'urgence. Il a répondu qu'il n'était au courant d'aucune demande de ce genre. »
Le 27 octobre 2022, dans sa déclaration préliminaire au comité mixte spécial, à la page 3 des témoignages, M. Kanellakos a aussi dit: « À ma connaissance, la Ville n'a jamais demandé l'invocation de cette loi. »
Passons maintenant au rapport de la Commission sur l'état d'urgence déposé à la Chambre le 17 février 2023, soit le document parlementaire 8530-441-17.
Tout d'abord, à la page 130 du volume 1, le commissaire Rouleau écrit:
Une question qui a été soulevée au cours des audiences de la Commission était de savoir si le Cabinet avait été informé de l'opinion de la commissaire Lucki selon laquelle tous les outils existants n'avaient pas encore été utilisés à Ottawa. Elle avait exprimé ce point de vue au chef de cabinet du ministre Mendicino moins d'une heure avant le début de la réunion du Cabinet, mais cette information n'a pas été transmise au Cabinet.
Plus loin, à la page 106 du volume 3, le commissaire revient sur cette question et écrit:
Au cours des audiences de la Commission, on a voulu savoir si le Cabinet avait été informé du point de vue de la commissaire Lucki selon lequel tous les outils n'avaient pas encore été épuisés à Ottawa. Moins d'une heure avant le début de la réunion du Cabinet, la commissaire Lucki a répondu à une demande par courriel du chef de cabinet [de l'ancien] ministre [...], Mike Jones, qui souhaitait obtenir la liste des mesures d'urgence pouvant aider les forces de l'ordre à maîtriser les manifestations. La commissaire Lucki a suggéré un certain nombre d'outils, mais a ajouté qu'à son avis, tous les outils accessibles par le biais de la législation en vigueur n'avaient pas encore été épuisés. Elle a souligné qu'il y avait des situations où des accusations pouvaient être portées en vertu du Code criminel et que la récente déclaration de situation d'urgence par le gouvernement [d'Ottawa] contribuerait également à fournir des outils supplémentaires.
M. Jones a transmis le courriel de la commissaire Lucki [à l'ancien ministre] et au sous-ministre [Robert] Stewart une demi-heure avant le début de la réunion du Cabinet. Les commentaires sur le caractère suffisant des outils en vigueur n'ont pas été intégrés aux notes d'allocution que la commissaire Lucki a transmises [à l'ancien] ministre [...] et à la [conseillère à la sécurité nationale et au renseignement du premier ministre de l'époque, Jody Thomas,] quelques minutes avant le début de la réunion.
En plus de ces trois rapports, le témoignage que l'ancien ministre a donné devant le comité mixte spécial a également été contredit par la réponse du gouvernement à la question Q‑613 inscrite au Feuilleton, qui a été signée par la secrétaire parlementaire du ministre de l'époque. Dans cette question écrite, on a demandé ceci au gouvernement: « En ce qui concerne le recours à la Loi sur les mesures d'urgence par le gouvernement plus tôt cette année: des corps policiers ont-ils demandé d'invoquer la Loi et, le cas échéant, quels sont les détails spécifiques de toutes ces demandes, y compris le nom des corps policiers qui ont fait une demande, et à quelle date le gouvernement a-t-il reçu chacune de ces demandes? »
La réponse de la secrétaire parlementaire de l'époque tournait autour du fond de la question, mais elle a tout de même répondu que « la GRC n'a pas demandé d'invoquer la loi ». Elle a répété: « Quant à elle, la Gendarmerie royale du Canada n'a pas demandé d'invoquer la loi. »
Somme toute, les affirmations de l'ancien ministre au comité mixte spécial, qui se trouvent dans le rapport dont la Chambre est maintenant saisie, ont été carrément contredites par tous les autres témoignages sur la question à l'étude.
À la page 82 de la troisième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes, on peut lire, parmi les motifs d'outrage, le fait de « tenter délibérément d'induire en erreur la Chambre ou un comité (par une déclaration, un élément de preuve ou une pétition) ». Ce point est réitéré à la page 112.
Pour sa part, le comité des privilèges de la Chambre des communes du Royaume‑Uni s'est récemment penché sur la question d'un ministre qui avait induit le Parlement en erreur. Au paragraphe 6 du cinquième rapport du comité, déposé en juin 2023, on peut y lire qu'induire en erreur, intentionnellement ou sans se soucier des conséquences, refuser de répondre à des questions légitimes ou omettre de corriger des déclarations trompeuses, entrave ou frustre le fonctionnement de la Chambre des communes et constitue un outrage.
L'importance de fournir des renseignements exacts au Parlement a été soulignée dans un certain nombre de décisions rendues dans cette enceinte, notamment par votre prédécesseur, monsieur le Président, le 3 mars 2014, à la page 3430 des Débats de la Chambre des communes, où l'on peut lire ceci:
Cet incident met en évidence l'importance primordiale que revêtent l'exactitude et la vérité dans nos délibérations. Tous les députés sont investis, à titre individuel et collectif, de la responsabilité de choisir leurs mots avec le plus grand soin et de ne jamais oublier les conséquences graves qui peuvent découler d'un oubli à l'égard de cette responsabilité.
Au paragraphe 8 de son quatrième rapport, déposé en mars 2023, le comité des privilèges du Royaume‑Uni explique ceci:
Lorsque des ministres s'adressent à la Chambre, on s'attend à ce qu'ils disent la vérité, pour autant qu'il puisse en juger. La Chambre étudie les projets de loi et examine les affaires gouvernementales en partant du principe que ce qui lui est dit est exact. Le Parlement exige une franchise et une transparence proactives. C'est ce qui est nécessaire pour que la Chambre puisse bien faire son travail. Si un ministre commet une erreur par inadvertance, on s'attend à ce qu'il la corrige à la première occasion. Il est inévitable que des erreurs soient commises et des corrections sont apportées régulièrement. Chaque année, environ 100 corrections sont apportées par des ministres qui ont induit la Chambre en erreur par inadvertance. Plus la question est importante, plus la Chambre prendra au sérieux toute déclaration erronée.
Il existe un critère bien établi pour déterminer si les déclarations trompeuses ont été faites délibérément, ce que le Président a, par exemple, expliqué dans sa décision du 15 février, à la page 21158 des Débats de la Chambre des communes:
[...] il faut établir que la déclaration était effectivement trompeuse; il faut également établir que, au moment de faire sa déclaration, le député savait qu'elle était inexacte; enfin, il faut prouver que le député avait l'intention d'induire la Chambre en erreur.
Je soutiens respectueusement que le cas qui nous occupe répond aux trois critères.
Premièrement, l'écrasante majorité des témoignages, en fait, pratiquement tous les témoins que j'ai déjà cités, autres que l'ancien ministre lui-même, contredisent l'ancien ministre. La seule conclusion raisonnable est que sa déclaration au comité était trompeuse.
Deuxièmement, le courriel envoyé par la commissaire de la Gendarmerie royale du Canada de l'époque au chef de cabinet de l'ancien ministre, qui l'a à son tour transmis à son patron, montre clairement que l'ancien ministre était au courant de l'opinion réelle de la plus haute responsable des forces de l'ordre du pays. Dans ces conditions, comment pourrait-il prétendre de manière plausible que les forces de l'ordre ont réellement formulé la demande?
Troisièmement, le contexte dans lequel s'inscrit le commentaire de l'ancien ministre, qui tente de gérer les préoccupations relatives à l'affirmation extraordinaire de pouvoirs juridiques par le Cabinet fédéral en réponse à une manifestation contre ses politiques, permet d'expliquer l'intention probable qui le sous-tend: faire porter la responsabilité d'une décision aussi controversée sur les épaules d'institutions non politiques telles que la police et l'éloigner des acteurs politiques qui ont effectivement pris la décision.
Quoi qu'il en soit, l'intention n'est pas un élément qui, à mon humble avis, nécessite, à ce stade, une preuve irréfutable, comme un aveu. En effet, le comité de la procédure et des affaires de la Chambre, au paragraphe 15 de son 50e rapport présenté en mars 2002, reconnaît explicitement que l'intention pourrait bien être un sujet d'enquête pour lui:
Comme l'a expliqué M. Corbett [le greffier de la Chambre à l'époque] au Comité, il n'est pas rare que des déclarations inexactes soient faites dans le cadre d'un débat ou de la période de questions à la Chambre. Le tout est de savoir si elles l'ont été délibérément, c'est-à-dire dans l'intention d'induire la Chambre ou ses membres en erreur. Dans le cas du député qui avoue par la suite qu'il a sciemment fourni des renseignements faux, comme dans l'affaire Profumo, la question d'intention est claire. En l'absence d'un tel aveu, cependant, il incombe au Comité d'examiner toutes les circonstances et de déterminer si la preuve corrobore l'intention d'induire en erreur.
Le comité de la procédure et des affaires de la Chambre continue dans la même veine au paragraphe 39 du même rapport. Il y note qu'il faut parfois tirer des conclusions pour établir l'intention:
L'intention est toujours quelque chose de difficile à établir en l'absence d'un aveu ou d'une confession. Il faut soigneusement examiner le contexte de l'incident en question et tenter de tirer des conclusions fondées sur la nature des circonstances. Toutes les constatations doivent cependant être fondées sur des faits et avoir un fondement probatoire.
Pendant ce temps, à Westminster, le comité des privilèges, dans son quatrième rapport, a écrit au paragraphe 6:
Si une déclaration a induit les députés en erreur, nous tenterons d'établir si la situation s'avère accidentelle, imprudente ou délibérée. Si nous estimons qu'elle s'avère le moindrement imprudente ou délibérée, nous conviendrons de la sanction à recommander à la Chambre. Il appartiendra alors à la Chambre de décider si elle accepte ou rejette nos conclusions et nos recommandations.
Il convient peut-être également de mentionner la note de bas de page qui accompagne cet énoncé, la note de bas de page no 4 du rapport:
Nous tenons à souligner que le comité n'est pas un tribunal. Il s'agit d'un comité spécial du Parlement, et sa procédure est parlementaire plutôt que judiciaire. Le comité adoptera les définitions en langage clair des concepts clés tels qu'ils s'utilisent dans un contexte parlementaire.
À la page 244, l'ouvrage Le privilège parlementaire au Canada, deuxième édition, précise ceci: « Avant que le Président autorise la Chambre à engager le débat en pareilles circonstances [...] [il doit être démontré] qu'un député a délibérément été induit en erreur, ou reconnaisse des faits qui conduisent naturellement à cette conclusion [...] ». La longue liste de preuves contradictoires conduirait naturellement, à mon avis, à la déduction claire, voire à la conclusion, que le comité mixte spécial a été délibérément induit en erreur.
Ensuite, je voudrais aborder un autre point concernant cette question de privilège, à savoir l'obligation de soulever l'affaire dans les meilleurs délais. À première vue, un délai de plus de 31 mois ne semble pas raisonnable pour soulever une préoccupation au sujet de quelque chose qui a été dit. Toutefois, étant donné que cela s'est passé dans le cadre des travaux du Comité, le temps n'a commencé à s'écouler qu'à partir du moment où le troisième rapport a été déposé à la Chambre, c'est-à-dire ce matin. Il aurait été prématuré de soulever cette question plus tôt.
Comme l'a souligné le Président Regan le 27 septembre 2016, à la page 5175 des Débats:
[...] le Président ne peut se prononcer sur des questions dont la Chambre n'est pas officiellement saisie. Le pouvoir du Président se limite à l'examen des renseignements présentés à la Chambre, pensons aux déclarations faites à la Chambre ou aux questions étudiées dans les rapports de comité; il ne peut se saisir d'office de renseignements issus d'autres sources.
Monsieur le Président, le 11 mai 2021, votre prédécesseur immédiat a déclaré, à la page 7023 des Débats de la Chambre des communes: « Il n'existe aucun précédent où le Président a utilisé des témoignages provenant des comités sans qu'il y ait eu un rapport sur le sujet. »
Ce raisonnement a été expliqué plus en détail par le Président Milliken le 10 février 2011, à la page 8030, dans un commentaire très pertinent dans le cas présent, étant donné que la déclaration irresponsable de l'ancien ministre a fait l'objet de nombreuses discussions à la Chambre:
[...] la présidence s'est trouvée limitée dans la portée qu'elle a pu donner à son examen parce que la plupart des comptes rendus mentionnés dans les interventions des députés n'ont jamais été officiellement acheminés à la Chambre. Le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes a eu raison de dire dans sa déclaration que les propos tenus en comité, même ceux cités mot à mot devant la Chambre, relèvent exclusivement des affaires du comité jusqu'à ce que le comité décide d'en faire rapport officiellement à la Chambre.
[...] Même si cela peut apparaître comme un point très technique, il n'en demeure pas moins que la présidence doit, lorsqu'elle est appelée à trancher une affaire de ce genre, s'en tenir à la preuve dont la Chambre est officiellement saisie.
Cependant, la Chambre a maintenant toute l'information nécessaire, sous la forme du troisième rapport, du 19e rapport du comité de la procédure et des affaires de la Chambre et du rapport de la Commission Rouleau, ainsi que de la réponse à la question inscrite au Feuilleton que j'ai citée. Nous devons maintenant répondre à la préoccupation exprimée par le Président le 3 mars 2014, à la page 3431 des Débats:
Cependant, la Chambre demeure saisie de deux déclarations entièrement contradictoires. Cela laisse les députés dans une position difficile, eux qui doivent pouvoir compter sur l'intégrité des renseignements qu'on leur fournit dans le cadre de l'exercice de leurs fonctions parlementaires.
Dans ce cas, la présidence a conclu qu'il y avait de prime abord matière à question de privilège, tout comme le Président Milliken l'avait fait le 1er février 2002, à la page 8581 des Débats, lorsqu'il a dit:
Les ouvrages faisant autorité sont unanimes sur le besoin de clarté dans le déroulement de nos délibérations ainsi que sur la nécessité d'assurer l'intégrité de l'information que le gouvernement fournit à la Chambre. De plus, dans le cas présent, comme l'ont souligné les honorables députés, l'intégrité de l'information est d'une importance capitale du fait qu'elle vise directement les règles d'engagement des troupes canadiennes affectées au conflit en Afghanistan, un principe qui est au cœur même de la participation du Canada à la guerre contre le terrorisme.
[...] lorsqu'il s'agit de trancher une question de privilège, la présidence en arrive relativement peu souvent à la conclusion qu'il existe une question de privilège fondée de prime abord; il est beaucoup plus probable que le Président qualifie la situation de «désaccord quant aux faits». Mais dans le cas qui nous occupe, il me semble n'y avoir aucun désaccord quant aux faits; je crois que tant le ministre que les autres honorables députés reconnaissent que deux versions des mêmes faits ont été présentées à la Chambre.
En me fondant sur les arguments présentés par les honorables députés et compte tenu de la gravité de la question, j'en arrive à la conclusion que la situation qui nous occupe, dans laquelle la Chambre a reçu deux versions des mêmes faits, mérite que le comité compétent en fasse une étude plus approfondie, ne serait-ce que pour tirer les choses au clair.
Le même motif, soit tirer les choses au clair, a également incité la présidence à conclure le 9 mars 2011 qu'il y avait aussi, de prime abord, matière à question de privilège. Elle a tiré la même conclusion dans l'affaire de 2014 que j'ai mentionnée.
Bien que les circonstances actuelles n'aient rien à voir avec la participation du Canada à un conflit à l'étranger, elles concernent le motif d'invocation de la Loi sur les mesures d'urgence, une décision qui a permis au Cabinet de légiférer sans tenir compte de l'autorité du Parlement ou du partage habituel des pouvoirs constitutionnels. Une décision de cette ampleur doit reposer sur des informations claires et exactes, tout comme le Président Milliken l'avait souligné au sujet du déploiement de soldats de la Deuxième Force opérationnelle interarmées en Afghanistan.
Monsieur le Président, je soutiens que le seuil requis a été atteint dans le cas présent, ce qui vous permet de conclure qu'il y a, de prime abord, matière à question de privilège. Pour tirer les choses au clair en bonne et due forme, j'ai l'intention de proposer de renvoyer la question au comité de la procédure et des affaires de la Chambre afin que nous puissions obtenir un rapport définitif sur la question.
En conclusion, le Parlement mérite de recevoir des réponses claires et définitives aux questions. Il a droit à la vérité. En ce qui concerne le fait d'avoir mis de côté l'autorité législative et constitutionnelle du Parlement, les enjeux sont encore plus grands. C'est pourquoi je vous exhorte à conclure qu'il y a, de prime abord, matière à question de privilège en ce qui concerne le témoignage du député d' devant le Comité mixte spécial sur la déclaration de situation de crise, au sujet duquel je suis prêt à présenter une motion appropriée.