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CLAR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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LEGISLATIVE COMMITTEE ON BILL C-20, AN ACT TO GIVE EFFECT TO THE REQUIREMENT FOR CLARITY AS SET OUT IN THE OPINION OF THE SUPREME COURT OF CANADA IN THE QUEBEC SECESSION REFERENCE

COMITÉ LÉGISLATIF CHARGÉ D'ÉTUDIER LE PROJET DE LOI C-20, LOI DONNANT EFFET À L'EXIGENCE DE CLARTÉ FORMULÉE PAR LA COUR SUPRÊME DU CANADA DANS SON AVIS SUR LE RENVOI SUR LA SÉCESSION DU QUÉBEC

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le vendredi 18 février 2000

• 1234

[Français]

Le président (M. Peter Milliken (Kingston et les Îles, Lib.)): À l'ordre, s'il vous plaît. Nous avons quorum pour entendre les témoins. Nous sommes prêts à commencer.

Je voudrais dire au comité qu'à la suite de la réunion du Sous-comité du programme et de la procédure, tenue ce matin à mon bureau, nous avons convenu de dates pour convoquer des témoins.

[Traduction]

Après la réunion, j'ai demandé au greffier d'organiser avec les témoins des séances pour mercredi et jeudi prochains.

J'ai aussi reçu une lettre de M. Turp.

[Français]

Il y en a des copies pour tout le monde. La lettre se lit ainsi:

    À la suite de notre rencontre de ce matin, je vous demande de vous assurer que le greffier du Comité législatif chargé d'étudier le projet de loi C-20 poursuive la convocation des témoins selon la liste soumise par les différents partis politiques ou qui ont exprimé le désir d'être entendus à titre individuel par les membres du comité.

    Conformément aux motions que le comité a adoptées lors de sa première séance, rien ne justifie le greffier du comité de ne pas convoquer les témoins susmentionnés.

    Je vous prie de recevoir, Monsieur le Président, mes salutations distinguées.

• 1235

La liste est vraiment remplie pour le moment et nous continuerons d'inviter des témoins pour ces deux jours.

[Traduction]

Je devrais également informer les membres du comité que j'ai reçu un avis de motion de la part de M. Alcock, qui se lit ainsi:

    Que le comité puisse, s'il y a lieu, afin de pouvoir entendre un maximum de témoins parmi ceux qui sont prévus sur la liste, continuer à recevoir des témoins jusqu'à 17 h 30 le jeudi 24 février 2000, à condition que le président mette aux voix, sans qu'elles fassent l'objet de débat ou d'amendements, toutes les questions nécessaires pour régler définitivement le projet de loi C-20 au plus tard à minuit le jeudi 24 février 2000.

[Français]

M. Daniel Turp (Beauharnois—Salaberry, BQ): Monsieur le président, j'aimerais faire appel au Règlement. Au sujet de la lettre que je vous ai fait parvenir, dois-je comprendre, à la lumière de l'information que vous avez donnée aujourd'hui, que vous allez convoquer les personnes qui ont écrit au greffier pour dire qu'elles souhaiteraient être entendues par le comité, ainsi que celles qui l'ont demandé de vive voix?

Le président: Non, j'ai demandé au greffier d'organiser un horaire pour entendre 45 témoins, qui ont été choisis parmi les personnes nommées par les partis, selon la résolution adoptée par le comité.

M. Daniel Turp: Est-ce que je peux savoir pourquoi et en vertu de quelle motion ou règlement applicable à ce comité vous n'acceptez pas d'entendre les personnes qui ont exprimé le désir d'être entendues?

[Traduction]

Le président: Oui. C'est en vertu de la motion adoptée par le comité, à savoir que nous entendrions 45 témoins, choisis parmi ceux sélectionnés par les différents partis, et dont les noms étaient précisés. Il s'agit des témoins que le comité devait entendre, conformément aux consignes que nous avons reçues, et nous entendrons ces témoins-là. Si on nous demande d'en entendre davantage, nous le ferons.

[Français]

M. Daniel Turp: Selon l'interprétation que vous faites du Règlement et des motions, vous ne pouvez pas entendre des personnes qui ont soumis une demande à cet effet.

Le président: Plusieurs personnes ont soumis une demande au comité pour venir témoigner. Le comité n'est pas obligé de les entendre; c'est à lui d'en décider. Si le comité prend la décision d'entendre plus de 45 témoins, ou des témoins qui ne figurent pas sur les listes soumises par les partis, ça va. Le président est prêt à obéir aux directives du comité.

M. Daniel Turp: Est-ce que je peux demander au secrétaire parlementaire s'il est disposé à accepter que des personnes qui ont soumis une demande à titre personnel puissent être entendues par le comité?

Le président: Cette discussion doit être tenue au Sous-comité du programme et de la procédure et non pas devant les témoins que nous sommes prêts à entendre maintenant. Je voudrais que nous commencions par entendre les témoins qui sont ici. Si vous êtes d'accord, notre discussion pourra se poursuivre ailleurs.

M. Bernard Amyot est le président du Groupe des Cent. Il est accompagné de deux collègues, M. Clemens Mayr et M. Sébastien Gignac. Messieurs, vous êtes les bienvenus.

[Traduction]

Nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir nous rencontrer et nous sommes prêts à recevoir vos témoignages.

Conformément aux règles que nous avons adoptées, vous aurez 10 minutes pour votre exposé, et les membres du comité disposeront ensuite d'un maximum de 35 minutes pour poser leurs questions.

[Français]

Monsieur Amyot, vous avez la parole.

M. Bernard Amyot (président, Groupe des Cent): Merci, monsieur le président.

Je voudrais remercier M. Milliken et le greffier de nous donner l'occasion de vous adresser la parole. Avant de commencer, j'aimerais vous faire un court historique de la genèse du Groupe des Cent et vous dire d'où on vient et où on s'en va.

Le Groupe des Cent a été créé il y a cinq ans, presque jour pour jour, soit en février 1995, à l'aube du référendum d'octobre de cette même année. C'est un groupe restreint de réflexion, composé de jeunes entrepreneurs, de jeunes professionnels et universitaires québécois fédéralistes, qui se sont donné pour défi de rassembler une centaine de collègues, avec la mission fort simple de démontrer à nos concitoyens québécois la désuétude et l'inutilité du projet indépendantiste québécois.

• 1240

Non seulement avons-nous réussi à relever le défi de rassembler une centaine de jeunes professionnels, entrepreneurs et universitaires québécois, mais à la fin de la campagne référendaire de 1995, nous avions rassemblé 1 000 personnes prêtes à partager notre mission.

Malheureusement, compte tenu de l'appel lancé par le premier ministre de l'époque, M. Parizeau, le soir même de sa défaite référendaire, compte tenu aussi de ses remarques consternantes à l'endroit du rôle joué par l'argent et les minorités et à la lumière des révélations faites dans les jours qui ont suivi, selon lesquelles il avait l'intention, advenant une victoire du oui, même par une marge infime, de faire une déclaration unilatérale d'indépendance, nous nous sommes vus forcés de continuer. Par la force des choses, nous avons tenté depuis de répéter notre message dans les journaux et dans des colloques, notamment à l'occasion du renvoi à la Cour suprême.

Nous avons eu l'occasion de débattre de cette question avec le professeur Laforêt, souverainiste convaincu, qui, il est ironique de le constater, a déclaré dans La Presse de cette semaine que la poursuite du projet indépendantiste était nuisible pour le Québec et que le Parti québécois avait affaibli la place du Québec dans le système fédéral canadien. De notre côté, nous nous contentons de dire que c'est désuet et inutile. Je vois qu'il utilise les mots «nuisible» et «néfaste». Alors, on n'est pas les seuls à prôner ce point de vue.

Le mémoire que nous vous avons soumis se divise en quatre axes principaux: dans un premier temps, nous tâchons d'examiner les sources du projet de loi C-20 et la légitimité de la Cour suprême du Canada; dans une deuxième temps, nous tentons de dénoncer le mythe du caractère automatique de l'opération qui serait lancée à la suite d'un Oui; dans un troisième temps, nous réitérons la nécessaire clarté du débat; dans un quatrième temps, nous réitérons la nécessaire clarté de l'appui obtenu avant que des négociations ne puissent être entamées.

D'abord, nous croyons que le projet de loi découle du raisonnement soumis par la Cour suprême du Canada dans son renvoi du mois d'août 1998. Alors, de deux choses l'une: ou bien on respecte la décision de la Cour suprême du Canada, et on respecte l'entité qu'est la Cour suprême du Canada, son autorité légale autant que sa légitimité constitutionnelle, ou bien on attaque l'essence même de notre démocratie parlementaire. Pour nous, le choix est simple, et on ne saurait souffler à la fois chaud et froid sur une question aussi importante.

Il est impératif, selon nous, de réaffirmer l'autorité de la plus haute cour du pays. Bien que nous soyons en l'an 2000, à entendre certains commentaires, on se croirait revenus à la grande noirceur, et c'est fort inquiétant.

La Cour suprême nous a simplement dit que nous devions respecter la loi et la Constitution. La sécession n'y est pas prévue. Par contre, on ne peut pas retenir une province contre son gré. Si on veut la sécession, on a ajouté l'exigence que cela se fasse dans la clarté, la transparence, avec un appui clair à un projet soumis clairement aux Québécois. C'est seulement dans ces circonstances que la porte serait ouverte à la négociation des termes de ce départ.

Voilà qui m'amène au second point: le mythe du caractère magique du processus qui serait enclenché advenant une victoire du Oui à un référendum. On a vécu les ravages de l'incertitude préréférendaire à deux occasions. Il a fallu plusieurs années pour s'en remettre. On connaît les difficultés que l'incertitude préréférendaire engendre; il est donc facile de s'imaginer le chaos qui pourrait s'ensuivre et les difficultés...

M. Daniel Turp: [Note de la rédaction: Inaudible].

M. Bernard Amyot: Monsieur Turp, vous aurez l'occasion de parler. Vous êtes comme un enfant d'école. Le décorum veut qu'on écoute la personne qui parle.

M. Daniel Turp: J'écoute.

• 1245

M. Bernard Amyot: Alors, on connaît les difficultés engendrées par un référendum. Il est illusoire de penser que, même après un Oui massif, une partie puisse seule, en vase clos, imposer la fin d'un partenariat, sans avoir à rendre compte d'abord à ses futurs anciens associés. Si le reste du Canada a le devoir de négocier avec un Québec clairement en faveur de la sécession, de toute évidence, le premier ministre Bouchard ne peut prétendre du même souffle qu'il n'aura jamais à tenir compte de la position de ses vis-à-vis fédéral et provinciaux. De toute évidence, l'enclenchement du processus menant à la sécession ne saurait s'opérer par la magie d'un diktat unilatéral d'une seule des parties. Nier cette incontournable réalité, c'est leurrer les Québécois sur les conséquences d'un vote majoritaire en faveur d'un Oui, même massif, lors d'un prochain référendum.

Le troisième axe que nous avons abordé dans notre mémoire, c'est que l'enjeu doit être clairement défini. Encore une fois, de deux choses l'une: ou bien on prétend agir dans la légalité et on propose un projet clair, ou bien on veut simplement modifier l'entente actuelle, et il y a déjà des mécanismes qui sont prévus pour cela.

Par contre, si on veut semer la confusion en posant une question ambiguë sur la souveraineté et le partenariat alors qu'on dit en privé qu'on fera une déclaration unilatérale d'indépendance, le décalage entre le discours des leaders sécessionnistes et leurs intentions réelles démontre, de manière évidente, le besoin pressant de clarté en ces matières. Si la confusion permet à des idéologues de réaliser un but non avoué, on aura fait fausse route, monsieur le président.

Le quatrième et dernier axe, c'est la nécessaire clarté du résultat avant que les négociations puissent s'engager. Nous prétendons qu'en l'absence d'un large consensus, le projet est voué à l'échec.

La Cour suprême n'a pas affirmé qu'une majorité simple serait claire. En effet, il est difficile d'imaginer qu'une seule personne sur 5 ou 6 millions puisse représenter une réponse probante à une question aussi importante. En fait, selon nous, ce serait le pire des scénarios. Il mènerait à une impasse politique néfaste pour tous et résulterait en une province coupée en deux au couteau, divisée plutôt que rassemblée par un projet porteur, et on sortirait de ce débat amoindris et affaiblis, comme le professeur Laforêt l'a affirmé.

D'ailleurs, René Lévesque lui-même avait compris cela au sujet de l'indépendance en déclarant, dès 1968, dans son ouvrage Option Québec, et je cite un extrait de la page 47 de son livre:

    Notre hypothèse ne se réalise que dans le moyen terme, qu'on a le temps de voir et de préparer. Au moment où une nette majorité sera apparue, aura pesé et voulu la direction nouvelle du Québec, et aura à sa tête un gouvernement qui l'incarnera parfaitement là-dessus...

On ne sort jamais grandi de l'ambiguïté, monsieur le président. La clarté a la constante vertu d'éviter des malentendus. Merci.

[Traduction]

Le président: Madame Meredith, vous êtes la première intervenante.

Mme Val Meredith (South Surrey—White Rock—Langley, Réf.): Merci, monsieur le président.

Je vous remercie pour votre exposé. J'ai écouté attentivement pour être sûre de comprendre votre position sur la question. Si je comprends bien, vous êtes d'avis que le projet de loi C-20 permettra de garantir que la question référendaire au Québec de même que la majorité requise seront claires. Mais quelles dispositions du projet de loi C-20 vous garantissent cette clarté? Pourquoi estimez-vous que cette mesure législative permettra de clarifier ces questions-là?

M. Bernard Amyot: Pour moi, le projet de loi permet de clarifier les règles qui devront être suivies pour que des négociations puissent s'ouvrir et pour évaluer le degré de transparence et de clarté de la procédure, conformément aux exigences établies par la Cour suprême du Canada dans sa décision.

• 1250

Mme Val Meredith: Dans sa décision, la Cour suprême a indiqué qu'une majorité des habitants d'une province devait clairement exprimer sa volonté pour que la décision soit prise d'entamer des négociations. Ni la décision de la Cour suprême ni le projet de loi de clarification n'incluent des chiffres. De l'avis de votre organisation, en quoi consisterait une majorité claire en faveur de la sécession?

M. Clemens Mayr (conseiller juridique, cabinet Ogilvy-Renaud, Groupe des Cent): Monsieur le président, la Cour suprême du Canada, de même que le projet de loi C-20, font allusion non seulement à l'existence d'une majorité claire, mais aussi à la qualité du soutien dont bénéficie l'option retenue. Et pour évaluer la qualité du consentement donné à une option en particulier, il convient de tenir compte de plusieurs facteurs, y compris les chiffres. Il apparaît clairement, notamment dans la décision de la Cour suprême, qu'on ne peut conclure qu'une majorité de 50 p. 100 plus un est celle qu'avait en tête la Cour suprême en parlant d'une majorité claire, car autrement, comment pourrait-on définir une majorité qui ne serait pas claire? Est-ce que ce serait 50 p. 100 plus 0,5 p. 100?

On demande aussi aux acteurs politiques d'assumer leur rôle et leurs responsabilités en ce qui concerne la définition et la mise en place des mesures de protection appropriées pour permettre de contrôler la qualité de la décision—de sorte que les normes de qualité prévues soient respectées du point de vue du processus d'approbation—et d'entamer éventuellement des négociations conformément aux exigences du cadre juridique et dans le contexte d'un consensus définitif au niveau international, de sorte que l'exercice débouche sur un résultat constructif plutôt que sur une impasse qui n'avantage personne.

M. Sébastien Gignac (conseiller juridique, Advanced Research Technologies Inc., Groupe des Cent): À mon avis, il n'est pas nécessaire de fixer à l'avance un pourcentage ou chiffre précis. S'agissant des expériences du passé, il en ressort clairement que dans presque tous les cas, le projet de sécession du nouvel État avait l'appui d'une majorité écrasante des habitants. Les cas d'espèce nous apprennent qu'il n'est pas forcément nécessaire de fixer un pourcentage. C'est le résultat qui compte.

Pour moi, ce projet de loi explicite les critères à partir desquels les acteurs politiques—qui, d'après la Cour suprême, sont ceux qui doivent évaluer les résultats—peuvent déterminer ce qu'il leur faut pour s'acquitter de cette responsabilité. Nous avons toujours été d'avis que si le Québec, par exemple, ne veut plus faire partie de la fédération canadienne, il ne pourra réaliser ce projet que s'il peut obtenir un appui très solide de la part de la population, car il faut avoir la certitude non seulement que les exigences légales associées à cette démarche sont remplies, mais que le résultat final—si c'est bien ce résultat-là que souhaitent les Québécois—est en fin de compte viable.

Mme Val Meredith: Sans vouloir vous contredire, il me semble toutefois que si l'appui requis n'est pas précisé avant le référendum, comment peut-on espérer que le pourcentage fixé après coup, que ce soit 55, 60, 70 ou 85 p. 100...? C'est-à-dire que si vous confiez cette décision à une autre partie après coup, quelle est la probabilité que la population respecte cette décision, que le pourcentage fixé soit 55, 60 ou 70 p. 100? Si 55 ou 60 p. 100 des habitants d'une province—plus de la moitié, quoi—déclarent qu'ils ne veulent plus faire partie de la fédération, comment pouvez-vous leur forcer la main dans une situation pareille?

Le président: Je suis désolé, mais votre temps est écoulé.

M. Bernard Amyot: À mon avis, il s'agit de déterminer si un large consensus se dégage de l'exercice en question, et ce dans un contexte de clarté. La Cour suprême du Canada a été assez sage pour ne pas fixer de normes arbitraires, mais je pense qu'il est tout de même possible de tirer certaines conclusions après coup au sujet de la qualité du consentement.

• 1255

[Français]

Le président: Monsieur Guimond, vous avez la parole.

M. Michel Guimond (Beauport—Montmorency—Côte-de-Beaupré—Île-d'Orléans, BQ): Monsieur Amyot, dans quel domaine oeuvrez-vous? Vous êtes avocat. Comment va votre pratique en général?

M. Bernard Amyot: Est-ce une question pertinente? Ma pratique va très bien.

M. Michel Guimond: Contentez-vous de répondre. Arrêtez de faire l'insolent et le petit clown savant. Contentez-vous de répondre.

De voix: Oh, oh!

Le président: Ce commentaire n'est pas nécessaire.

M. Michel Guimond: Oui, mais...

Le président: L'abus de témoin n'est pas permis ici.

M. Michel Guimond: Je vais essayer de...

Le président: Vous pouvez poser vos questions.

M. Michel Guimond: Comment va votre pratique en général? Ça va très bien? Les membres du Groupe des Cent sont-ils, pour la plupart, des professionnels? Est-ce que ce sont des gens qui sont dans les affaires?

M. Bernard Amyot: Il y a aussi des universitaires.

M. Michel Guimond: Ces gens oeuvrent-ils principalement au Québec?

M. Bernard Amyot: Ils oeuvrent uniquement au Québec.

M. Michel Guimond: Uniquement au Québec.

M. Bernard Amyot: Ils oeuvrent dans plusieurs régions.

M. Michel Guimond: Si je posais la même question à M. Mayr, à M. Gignac ou aux autres membres du Groupe des Cent dont les noms paraissent ici, me répondraient-ils que, de façon générale, leurs affaires vont très bien?

M. Bernard Amyot: Il faudrait le leur demander.

M. Michel Guimond: Mais à votre connaissance, les affaires sont-elles bonnes pour eux?

M. Sébastien Gignac: Ça pourrait aller mieux.

M. Michel Guimond: Ça pourrait aller mieux, dites-vous?

M. Bernard Amyot: Ça irait mieux si on payait moins de taxes, s'il y avait moins d'incertitude dans la province...

M. Michel Guimond: Ah, bon.

M. Bernard Amyot: ...à cause d'un troisième référendum qui nous pend au-dessus de la tête depuis cinq ans.

M. Michel Guimond: Donc, vous modifiez votre réponse à la première question, alors que vous disiez que votre pratique allait bien.

M. Bernard Amyot: Ma pratique va toujours bien.

M. Michel Guimond: Elle va toujours bien.

M. Bernard Amyot: Ça va bien en dépit des efforts du mouvement souverainiste pour amoindrir la force du Québec dans la Confédération.

M. Michel Guimond: En dépit du chaos et en dépit de la situation apocalyptique qui a suivi le référendum de 1980 et que vous avez décrite tout à l'heure, ça va bien.

M. Bernard Amyot: Je n'ai pas dit cela.

M. Michel Guimond: Pouvez-vous nous donner des indicateurs précis de situations qui ont périclité après le référendum de 1980? Pouvez-vous nous en donner?

M. Bernard Amyot: Le Québec...

M. Sébastien Gignac: Si vous me le permettez, ce n'est pas ce que mon collègue a dit tout à l'heure. On n'a pas parlé de situation apocalyptique ou chaotique.

M. Michel Guimond: Vous n'avez pas parlé de chaos?

M. Sébastien Gignac: On n'a pas dit que dans le passé, il y avait eu du chaos.

M. Michel Guimond: Ah, non?

M. Sébastien Gignac: J'ai dit qu'il y avait un risque. On a dit qu'il y avait un risque qu'on en arrive à ça si les choses n'étaient pas faites de façon civilisée, transparente et dans la légalité.

M. Michel Guimond: Autrement dit, j'ai mal compris. En tout cas, on pourra réviser les bleus. J'ai mal compris quand le Groupe des Cent...

M. Sébastien Gignac: Je m'excuse, monsieur. Je n'ai pas insinué que vous aviez mal compris; j'ai simplement dit que nous n'avions pas dit ça.

M. Michel Guimond: Ah, vous n'avez pas dit...

M. Sébastien Gignac: Vous pouvez vérifier le compte rendu si vous le voulez.

M. Michel Guimond: N'avez-vous pas parlé, monsieur Amyot, de chaos avant, pendant et après la campagne référendaire de 1980...

M. Bernard Amyot: Non.

M. Michel Guimond: ...et avant et après la campagne référendaire de 1995?

M. Bernard Amyot: J'ai parlé...

M. Michel Guimond: Est-ce que je peux finir ma question?

M. Bernard Amyot: Pardon.

M. Michel Guimond: N'avez-vous pas parlé de chaos avant, après et pendant la campagne référendaire de 1980, et avant, après et pendant la campagne référendaire de 1995?

M. Bernard Amyot: Ce que j'ai dit, c'est que le débat référendaire, tant en 1980 qu'en 1995, avait causé des incertitudes graves et un affaiblissement du Québec, tant politique qu'économique. On le voit clairement à Montréal. Je ne sais pas si vous y venez à l'occasion, mais Montréal reprend du poil de la bête, en dépit de vos efforts pour remettre ça sur le tapis. Il faut une ville qui a du bagout pour continuer à essayer de grandir dans une atmosphère négative et néfaste. C'est tout ce que j'ai dit. On le sent, et c'est une réalité incontournable. Vous n'êtes pas obligé d'être d'accord.

M. Michel Guimond: Vous dites être en mesure de faire le lien direct entre la tenue d'un référendum et la situation économique. Pouvez-vous nous donner des exemples d'indicateurs économiques?

M. Bernard Amyot: On a écrit dans les journaux à cet effet. Je pourrai vous faire parvenir les articles qu'on a écrits dans La Presse pendant la campagne électorale de l'automne dernier, à l'issue de laquelle votre parti soeur, ou frère, a été reporté au pouvoir. On l'a dit dans ces articles, et ça me fera plaisir de vous les faire parvenir.

Une voix: On les a.

M. Michel Guimond: Mais depuis 1995...

M. Bernard Amyot: Vous les avez sans doute vus.

Une voix: On a ça.

M. Michel Guimond: Oui, on lit les journaux, même si on vient de Québec, et on va à Montréal de temps en temps.

M. Bernard Amyot: Moi, je vais souvent à Québec.

M. Michel Guimond: Il ne faudrait pas avoir de complexe. Il ne faudrait pas souffrir de nombrilisme.

M. Bernard Amyot: À qui le dites-vous?

M. Michel Guimond: Avez-vous des indicateurs précis à nous donner qui se sont détériorés après le référendum de 1995?

M. Clemens Mayr: Puis-je répondre, monsieur le président?

Je suis également avocat et j'oeuvre dans le domaine des valeurs mobilières au sein d'un grand cabinet national. Je pourrais vous parler longuement de ma pratique à Montréal et au Québec en général. Je pourrais vous parler également de la pratique de mes associés à Toronto et ailleurs au pays, de leur niveau de vie, de leur niveau de revenu, de leur niveau de taxation. On pourrait en parler longuement, mais je ne pense pas que ce comité soit le forum pour refaire, cet après-midi, le débat sur le lien entre l'incertitude politique et l'impact économique d'un référendum sur la province de Québec.

• 1300

M. Michel Guimond: C'est vous qui soulevez la question.

M. Clemens Mayr: Alors, laissez-moi compléter. Il y a de nombreuses études, et nous-mêmes, le Groupe des Cent, avons écrit sur le sujet. Il y a d'autres études qui font ce lien, et il nous fera plaisir de les partager avec vous. Nous ne les avons pas ici aujourd'hui parce que ce n'était pas le but du débat, mais ces études font un lien. Il y a effectivement des divergences de vues quant à la nature exacte du lien, mais il y en a un, et ça, je pense que ça fait consensus. Tous les économistes qui se respectent le savent. Si vous voulez, je peux vous en parler pour ce qui touche mon domaine, celui des valeurs mobilières de la Bourse de Montréal.

M. Michel Guimond: Le taux de chômage...

Le président: Votre temps est expiré, monsieur Guimond. Monsieur Dubé, vous avez la parole.

M. Jean Dubé (Madawaska—Restigouche, PC): Il me fait plaisir d'ajouter ma voix, celle d'un francophone hors Québec fédéraliste, à un débat extrêmement important. Je suis aussi content que nous ayons parmi nous de jeunes entrepreneurs d'un groupe du Québec. Mais je dois vous dire, monsieur le président, que je suis très déçu, très déçu de la façon dont ce projet de loi a été présenté. Il s'agit d'un projet de loi d'une importance incroyable pour notre pays, et nous sommes forcés d'en faire l'étude trop rapidement. On pourrait entendre encore plus de témoins, comme ceux qui sont parmi nous aujourd'hui, mais le gouvernement libéral du Canada semble pressé de pousser ce dossier qui est, je pense, de première importance pour le Canada.

C'est un projet de loi sur la clarté. Or, je suis très inquiet parce que c'est nous, encore une fois, qui avons commencé le débat. Avant la présentation de ce projet de loi, on ne parlait pas de séparation. Le Bloc québécois en parlait un peu à la Chambre des communes, certes, mais autrement, on n'en parlait pas. On parlait plutôt de choses qui unissent le pays. On parlait de choses à cultiver.

Je comprends que, pour le gouvernement, cela ait pu constituer un problème. Je le comprends très bien. Mais pour moi, le problème, c'est la participation du pays à ce débat. On parle de partition et d'acteurs politiques. Qui sont les acteurs politiques? Je demande à M. Amyot de nous dire s'il pense que, dans un dossier d'une telle importance, les provinces devraient participer au grand débat, si elles devraient participer aussi aux décisions prises par le Parlement du Canada lorsque celles-ci touchent à l'unité canadienne et à l'unité d'une province à l'intérieur de ce grand pays.

M. Bernard Amyot: Sans doute devraient-elles le faire dans leur législature, selon les pouvoirs qu'elles ont en vertu de la Constitution.

M. Jean Dubé: Vous avez mentionné, monsieur...

M. Bernard Amyot: Ce sont des parties prenantes au débat.

M. Jean Dubé: Oui, oui, c'est compris.

Selon vos paroles, la Cour suprême a dit, dans son jugement, que la sécession n'était pas prévue. Pensez-vous qu'avec le projet de loi C-20, elle est prévue?

M. Bernard Amyot: Si j'ai bien compris la décision de la Cour suprême, elle dit que dans la Constitution actuelle, rien ne prévoit la sécession d'une province. Je pense que tout le monde s'entend là-dessus. Ce à quoi la Cour suprême a tenté de répondre, c'est à la question de savoir comment on peut arriver à faire la sécession dans la légalité, en dépit du silence de la Constitution sur ce sujet.

M. Jean Dubé: Monsieur le président, le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Bernard Lord, a également regretté que le gouvernement fédéral n'ait pas consulté les provinces quant à ses intentions législatives au niveau du dossier référendaire au Québec. Il faut comprendre que le dossier est très important pour le Nouveau-Brunswick, surtout pour les francophones de cette province. En tant qu'entrepreneurs, êtes-vous inquiets? C'est sûr qu'il y a présentement de l'incertitude et que c'est difficile pour l'entrepreneuriat au Québec—vous réussissez quand même à bien vous en tirer, mais c'est quand même difficile, et je le comprends—, mais pensez-vous qu'après la séparation, ce serait plus difficile encore pour l'entrepreneuriat au Québec?

M. Bernard Amyot: À tous égards, oui, ce le serait.

• 1305

Je suis un enfant de la Révolution tranquille, et tous les gens de ma génération se retrouvent malheureusement aujourd'hui avec un vieux débat et des idéologies des années 1960 qui ne collent plus à la réalité du Québec contemporain. C'est à regret que nous constatons cela, parce que nous nous voyons forcés de continuer à faire un débat sur un sujet que nous considérons désuet.

Le Québec s'est affirmé à l'intérieur du système fédéral actuel, continue à le faire et, j'espère, continuera à le faire très longtemps. Et jamais on ne m'a convaincu, depuis mon tout jeune âge, que j'étais opprimé d'une quelconque façon à l'intérieur du cadre juridique et constitutionnel actuel. J'ai confiance, mes collègues ont confiance, notre génération a confiance dans l'avenir du Québec, qui peut se bâtir dans le système actuel. Ce n'est pas en cassant la baraque qu'on va régler quelques problèmes. Au contraire, il va falloir rebâtir après tout ce qu'on a déjà bâti. On a des fondations solides. Continuons à bâtir là-dessus, s'il vous plaît.

[Traduction]

Le président: Monsieur Nystrom, vous avez la parole.

[Français]

M. Lorne Nystrom (Regina—Qu'Appelle, NPD): Merci beaucoup, monsieur le président.

Je vous souhaite la bienvenue à notre comité cet après-midi. Je ne suis pas du tout le porte-parole néo-démocrate en la matière; c'est Bill Blaikie, mais il ne peut pas être ici aujourd'hui. Toutefois, au cours des années 1980-1990, j'ai été cinq fois le critique néo-démocrate: pour le rapatriement de la Constitution; Charlottetown; Meech; etc. C'est une question qui subsiste depuis fort longtemps, depuis avant ma naissance même, et une question très compliquée.

[Traduction]

Je voulais également préciser, monsieur le président, que notre caucus a décidé d'appuyer la loi de clarification en principe à l'étape de la deuxième lecture, c'est-à-dire le vote sur le principe d'exiger une question et une majorité claires. Donc, devant le travail du comité, nous gardons une grande ouverture d'esprit en ce sens que nous souhaitons répondre aux préoccupations exprimées.

Selon mon interprétation de la réaction des Canadiens, il semble moins problématique de savoir ce qu'est une question référendaire claire qu'une majorité claire. Certains Canadiens trouvent inquiétant qu'on laisse au Parlement le soin de déterminer après coup ce qu'est une majorité claire. On suppose que les parlements vont se montrer responsables, mais il s'est déjà produit qu'un parlement ne le soit pas, et on ne peut absolument pas supposer par conséquent que tous les acteurs agiront de manière responsable.

Avez-vous réfléchi à la question de savoir comment nous pourrions clarifier ce en quoi consiste une majorité claire? Certains prétendent que ce serait 50 p. 100 plus une voix. Le problème que pose cette formule, de l'avis de certains, c'est que 70 p. 100 des votants pourraient se prononcer en faveur alors que le taux de participation est de seulement 60 p. 100—ce qui voudrait dire que seulement 42 p. 100 des gens sont en faveur de l'indépendance. Ou il pourrait s'agir de 50 p. 100 plus une voix dans le contexte d'un taux de participation de 90 p. 100, ce qui signifierait que 45 p. 100 des gens étaient en faveur de l'indépendance. Donc, pour que ce soit vraiment 50 p. 100, il faudrait que plus de 70 p. 100 des votants se prononcent en faveur, selon le taux de participation, etc.

Avez-vous réfléchi à la possibilité—ce n'est pas ce que je recommande; je me contente de vous poser la question, puisque vous êtes des experts—d'une formule correspondant à 50 p. 100 plus une voix chez les votants admissibles? D'autres ont proposé qu'on considère que la question est claire s'il y a double majorité à l'Assemblée nationale du Québec—c'est-à-dire qu'une majorité des membres de l'opposition et une majorité des députés ministériels diraient: «Oui, ce résultat-là constitue une majorité claire», de sorte que ce soit l'Assemblée nationale qui donne le signal au Parlement.

Peut-être avez-vous d'autres idées? J'aimerais qu'on en discute un peu... Il va sans dire que cette question suscite énormément d'inquiétude. Comme on dit, c'est un peu comme si on décidait de fermer la porte de la grange une fois que le cheval était déjà sorti, en ce sens que nous faisons confiance au Parlement pour agir de façon responsable. Mais qui sait ce qui arrivera dans 20 ans? Même M. Mills n'y sera peut-être plus. Comment peut-on avoir la certitude que le Parlement prendra une décision responsable?

Je sais que ce n'est pas une question facile que je vous pose là.

M. Sébastien Gignac: Ce serait une erreur à mon avis—et je pense que le Groupe des Cent serait du même avis—d'établir à l'avance une exigence numérique ou un pourcentage précis, en partie pour les raisons que vous avez déjà évoquées. Il y a de nombreuses formules possibles, et le gouvernement fédéral ou le Parlement ne devrait pas préjuger de la situation en fixant un pourcentage à l'avance.

L'objet du projet de loi est de donner effet sur le plan juridique à l'opinion exprimée par la Cour suprême, qui a eu la grande sagesse de ne pas préjuger du résultat. En réalité, ce jugement crée une obligation pour toutes les parties d'agir de bonne foi et d'examiner de bonne foi toutes les questions pertinentes, y compris l'éventuel démembrement du Canada.

C'est une immense obligation que la Cour suprême a imposée à l'ensemble des acteurs politiques du Canada. Pour moi, aucune autre démocratie moderne n'a envisagé de façon aussi rationnelle son éventuel démembrement.

• 1310

Il faut attribuer à cette expression tout son sens. Autrement dit, l'obligation d'agir de bonne foi signifie que si le résultat est clair, le pourcentage correspondant à un résultat clair est quelque chose que vous devrez toujours évaluer après coup. Par exemple, si vous décidiez à l'avance qu'un résultat clair correspondait à 55 p. 100 des voix, si c'était 55 p. 100 dans un contexte où régnaient la confusion et l'ambiguïté, vous pourriez induire les gens en erreur, de sorte que les gens donnent une réponse qui ne correspond pas en réalité à leur opinion.

Cela a pour effet de préjuger du résultat. Il est donc préférable d'examiner les précédents et de voir ce qui a été fait dans d'autres pays où il y a eu sécession. Dans la plupart des cas, un résultat supérieur à 55 p. 100 n'était pas obligatoire. Mais en Norvège en 1905, par exemple, 99 p. 100 des électeurs ont voté en faveur. Devant un tel résultat, qui pourrait prétendre que la population n'a pas clairement exprimé sa volonté?

Je vais m'en tenir là.

M. Lorne Nystrom: Et la deuxième partie de ma question? Certains estiment que s'il y a unanimité au sein de l'Assemblée législative de la province qui veut faire sécession—c'est-à-dire le Québec, éventuellement—ou peut-être une double majorité, soit une majorité des membres de l'opposition et une majorité des députés ministériels qui seraient d'accord pour dire que le résultat obtenu correspond à une majorité claire... À votre avis, convient-il d'explorer cette possibilité? Encore une fois, je ne suis pas nécessairement en faveur, mais d'autres ont soulevé cette possibilité.

M. Sébastien Gignac: C'est une idée intéressante. Le fait est qu'il n'y a jamais eu d'unanimité à l'Assemblée nationale par le passé. Même au sujet de la question.

M. Lorne Nystrom: Le fait d'exiger que la majorité des membres de l'opposition plus la majorité des députés ministériels soient en faveur écarte le problème de l'unanimité.

M. Sébastien Gignac: Vous voulez dire à l'Assemblée nationale?

M. Lorne Nystrom: Oui, une majorité des membres de l'opposition et une majorité des députés ministériels. Cela pourrait correspondre à une majorité claire.

M. Sébastien Gignac: À mon sens, le projet de loi C-20 n'exclut pas cette possibilité. Il permet aux acteurs politiques, y compris la Chambre des communes, de déterminer éventuellement que cette formule convient.

Le président: Monsieur Cotler.

[Français]

M. Irwin Cotler (Mont-Royal, Lib.): J'ai une question pour M. Amyot.

Monsieur Amyot, les leaders souverainistes parlent du présent projet de loi comme d'une grave atteinte à la démocratie et d'un affront au peuple québécois.

À cet égard, j'aimerais entendre votre point de vue sur la présente campagne publicitaire menée par le gouvernement du Québec contre le projet de loi sur la clarté.

M. Bernard Amyot: Je pense d'abord que la démarche actuelle n'est pas antidémocratique, car elle procède d'une décision de la Cour suprême du Canada, qui est l'arbitre du plus haut niveau, et que la démocratie est indissociablement liée au concept de la primauté du droit. La cour a pris la peine d'exiger une volonté claire pour qu'il y ait sécession et, pour une question d'une telle gravité—René Lévesque l'a reconnu et je vous l'ai cité tout à l'heure—, il faut une nette majorité et une transparence. Je vois difficilement comment la transparence pourrait être antidémocratique.

Quant à la compagne de publicité, je la trouve affligeante, tant par son manque de discernement que par son caractère tendancieux et partisan. Quant à moi, la bêtise de la démarche n'a d'égal que son mépris de la population, qu'elle suppose pouvoir manipuler de la sorte.

M. Sébastien Gignac: Si je peux me permettre d'intervenir, monsieur le président, la Cour suprême a été très éloquente sur cette question, et je pense que ça vaut la peine d'écouter ce que les juges nous ont dit. Ils nous ont dit, entre autres, que ce serait une grave erreur d'assimiler la légitimité à la seule volonté souveraine ou à la seule règle de la majorité, à l'exclusion des autres valeurs constitutionnelles reconnues. Ils ont ajouté, par ailleurs, que les Canadiens n'avaient jamais admis que notre système était entièrement régi par la seule règle de la simple majorité.

Je crois que la campagne publicitaire que le gouvernement du Québec fait en ce moment élude complètement cet aspect de la question.

Le président: Monsieur Proulx, avez-vous une question?

M. Marcel Proulx (Hull—Aylmer, Lib.): Soyez les bienvenus au comité. Monsieur Amyot, quelles seraient, à votre avis, les questions qui devraient être négociées si jamais les Québécois optaient clairement pour la sécession en réponse à une question claire?

• 1315

M. Sébastien Gignac: : Au paragraphe 3(2) du projet de loi C-20, on envisage certaines questions qui devraient être négociées. Le projet de loi n'est pas nécessairement exhaustif sur la question, et je crois qu'il n'a pas besoin de l'être non plus.

La Cour suprême a reconnu—et le projet de loi vise à donner effet au jugement de la cour—que les questions seront d'une très grande complexité et qu'elles seront nombreuses. On ne peut pas a priori dresser une liste exhaustive de tout ce qu'il y aura à négocier. Le projet de loi donne suffisamment d'indications sur le type d'enjeux et de questions qui devront faire à tout le moins l'objet de négociations, sans aller nécessairement au-delà. Nous sommes personnellement à l'aise face à cette approche.

Le président: Monsieur Assad.

M. Mark Assad (Gatineau, Lib.): Monsieur Amyot, je vous souhaite la bienvenue.

M. Bernard Amyot: Merci.

M. Mark Assad: Vous représentez des entrepreneurs et des hommes d'affaires. Votre échange avec M. Guimond saurait répondre en partie à cette question. Nous connaissons tous les propos qu'a inscrits M. Lisée, l'ancien conseiller de M. Parizeau et de M. Bouchard, dans son livre Sortie de secours au sujet de l'éventualité d'un Oui au référendum et de l'exode des anglophones et allophones. Il y disait qu'il ne faisait aucun doute que cet exode serait préjudiciable au Québec de toutes sortes de façons.

Je connais évidemment M. Lisée de réputation et je sais que les propos qu'il écrit sont fondés et qu'il est convaincu de leur véracité.

J'ai toujours cru que lors d'un exode, c'étaient généralement les gens qui avaient les moyens de le faire qui faisaient leurs valises et qui partaient. Qu'arriverait-il dans une telle éventualité? Quels dommages l'économie du Québec subirait-elle?

M. Bernard Amyot: D'abord, on perdrait une partie importante de la population du Québec. J'espère qu'on n'arrivera jamais à ce point-là.

Il faut aussi se rappeler que la Loi 101 a été faite au Québec, dans le cadre juridique actuel. La Charte des droits et libertés de la personne du Québec—on s'en vante souvent—est un exemple en la matière. Si la sécession survenait, en quoi les Québécois francophones seraient-ils mieux protégés qu'en vertu de la Loi 101? En quoi les minorités seraient-elles mieux protégées après une sécession qu'avec une charte des droits qui est enchâssée dans la Constitution? Il me semble qu'on a tous les ingrédients pour faire une solution gagnante. Pourquoi gâter la sauce? Je me le demande.

M. Clemens Mayr: Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter quelques propos en complément de réponse.

Le président: Monsieur Mayr.

M. Clemens Mayr: Nous croyons évidemment qu'une des façons d'éviter cet exode est de s'assurer de définir un projet qui soit porteur et qui fasse l'objet d'un large consensus au sein de toute la population du Québec. Dans le contexte où il y a un projet porteur et dans l'hypothèse où ce projet s'appelle la sécession du reste du Canada et a fait l'objet d'un large consensus, lequel consensus a été obtenu à la suite d'une communication claire de la nature et de la portée du projet, à ce moment-là, une sécession pour s'effectuer, comme on l'a vu dans des exemples récents qui ont fait l'objet d'un large consensus, sans cette conséquence désastreuse d'un exode et des autres répercussions que cela entraîne.

C'est pour cela qu'on réitère qu'il est essentiel que le projet fasse l'objet d'un large consensus et qu'en l'absence d'un tel consensus, il n'aille pas de l'avant.

[Traduction]

Le président: Val Meredith.

Mme Val Meredith: Merci, monsieur le président.

Je voudrais tout de même que vous m'expliquiez comment vous pouvez tenir des élections—car c'est ça un référendum, en fin de compte—dans le cadre desquelles vous posez une question aux votants sans savoir avec précision—et tel est l'objet du projet de loi—jusqu'où vous pouvez aller avant qu'on vous mette dehors.

• 1320

Si je comprends bien votre position, vous estimez que les modalités précises doivent rester vagues ou inconnues jusqu'à ce que le référendum ait eu lieu, et que c'est seulement alors qu'on déterminera quand ils seront mis dehors. Je ne comprends pas comment vous pouvez entreprendre un exercice aussi important sans établir les modalités à l'avance pour que les votants qui doivent se prononcer sur la question—qu'ils soient au Québec ou en Colombie-Britannique—soient conscients des conséquences de leur décision.

Pour moi, vous induisez en erreur les personnes qui doivent faire un choix, si vous leur dites: nous déciderons après coup combien d'entre vous devront voter en faveur pour déclencher des négociations. À mon avis, c'est très trompeur.

J'ai du mal à comprendre pourquoi vous êtes d'avis que 50 p. 100 plus un, formule universelle appliquée même à l'échelle internationale... Si cette formule n'est pas satisfaisante, pourquoi ne pas en proposer une autre, pour que les gens qui doivent se prononcer sur la question sache à partir de quel résultat leur réponse sera prise au sérieux?

[Français]

M. Bernard Amyot: D'abord, lors du dernier référendum, on n'avait pas obtenu 50 000 voix et 50 p. 100 plus un, mais 50 p. 100 avec 50 000 voix. On a bien vu ce que cela a donné: on a recommencé le lendemain et on a appelé les troupes à repartir en croisade.

La qualité du consentement s'analyse de maintes façons, y compris en tenant compte de la clarté de la question et d'une majorité qui est claire. La Cour suprême a été quand même assez sage lorsqu'elle a pris la peine de ne pas la déterminer à l'avance. Elle croyait que ce serait plus néfaste que de l'évaluer après le fait, en considérant tous les facteurs qu'on doit considérer, notamment l'appui ainsi que la compréhension des gens. Il pourrait même arriver qu'on ait une question claire, mais que des politiciens confondent les thèmes au cours de la campagne. On ne peut pas nécessairement dire que, parce que la question était claire, le résultat est clair.

[Traduction]

M. Sébastien Gignac: Monsieur le président, permettez-moi d'ajouter quelque chose.

Vous avez utilisé l'expression «avant qu'on vous mette dehors». À mon avis, la question n'est pas là. Il s'agit plutôt de s'assurer qu'il existe une procédure rationnelle, ordonnée et stable dans la mesure du possible. Ainsi l'évaluation de l'existence ou non d'un consensus peut se faire de différentes façons, mais certainement pas en appliquant une formule purement mathématique, en l'occurrence 50 p. 100 plus 0,00001 voix pour déterminer qu'on vous met dehors. Selon moi, l'enjeu est tout de même plus considérable.

Par conséquent, le degré de soutien dont jouit un projet aussi lourd de conséquences doit être soigneusement évalué.

Mme Val Meredith: En fonction de quels critères?

M. Sébastien Gignac: En fonction des critères qui sont explicités dans le projet de loi, qui sont sans équivoque.

Le président: Monsieur Turp.

[Français]

M. Daniel Turp: Monsieur le président, d'abord, pour ceux qui parlent des ravages de l'incertitude préréférendaire, de chaos, d'exode et de je ne sais quoi encore, il y a des indicateurs économiques qui laissent entendre que l'économie du Québec se porte très bien depuis que le Parti québécois a été élu en 1994: un taux de chômage qui est passé de 12,4 à 9,3 p. 100, une augmentation des investissements privés au Québec plus importante que dans le reste du Canada et ainsi de suite.

Quand on entend des choses comme ça et quand on entend dire que les souverainistes veulent casser la baraque—c'est exactement ce que vous avez dit—, on ne peut pas s'empêcher de penser qu'il y a un mépris, un mépris pour ceux qui, comme Réal et moi et d'autres au Québec, font la promotion d'un projet qui, même si on est en désaccord, devrait être respecté. C'est ça, la démocratie. Parlons-en, de la démocratie. Vous parlez de consensus, vous. Je l'ai entendu plusieurs fois, ce mot «consensus». On dit qu'un projet doit faire l'objet d'un large consensus au sein de la population du Québec.

Ce projet de loi C-20, dont vous venez parler ici, il n'y a pas un large consensus en sa faveur, me semble-t-il. Au Québec, les trois partis politiques, y compris un parti politique fédéraliste et même l'Action démocratique, ne sont pas d'accord sur ce projet de loi. Beaucoup de gens vont venir ici nous dire qu'ils ne sont pas d'accord sur le projet de loi: nous entendrons syndicats, groupes de femmes et ainsi de suite manifester leur désaccord.

Il y a une dissidence, et vous en êtes, bien entendu. À la Chambre des communes, les députés fédéraux du Parti conservateur du Québec et du Bloc québécois sont contre ce projet de loi. Dites-moi donc s'il y a un consensus sur le projet de loi C-20 et si la norme du consensus devrait aussi s'appliquer à ce projet de loi.

• 1325

M. Sébastien Gignac: Vous parlez de consensus. L'expression d'un des consensus les plus clairs qui aient existé dans l'histoire récente du Québec se manifeste dans le Rapport de la Commission sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec, autrement connu sous le nom de rapport Bélanger-Campeau.

M. Daniel Turp: Très bien.

M. Sébastien Gignac: Je vous signalerais d'ailleurs qu'il y avait pas mal de signataires à ce rapport, dont M. Lucien Bouchard qui l'a signé sans réserves. Contrairement à M. Parizeau, il n'a pas mis de petit astérisque. On lit à la page 60 de ce rapport:

    En l'absence d'un tel accord, la démarche du Québec vers la souveraineté relèverait d'un processus de sécession unilatérale qui devrait se fonder sur une volonté populaire incontestable et clairement exprimée.

On précise «incontestable et clairement exprimée», qui ne peut pas être contestée. Il va sans dire que dans un cas comme celui de la Norvège, à 99 p. 100, il est difficile de contester. On ne dit pas qu'il faut 99 p. 100, mais il est clair que même la commission Bélanger-Campeau, avec l'aval complet de M. Bouchard, avait décrété qu'il fallait une volonté populaire incontestable et clairement exprimée. Il nous semble que le projet de loi C-20 donne effet à cela.

M. Daniel Turp: Mais vous ne répondez pas à ma question.

Y a-t-il un consensus ou non au Québec sur le projet de loi C-20? Si le consensus est si important et que vous constatez qu'il n'y a pas de consensus au Québec chez les élus, dans la société civile et dans les sondages, comment pouvez-vous prétendre que le projet de loi a une légitimité? Comment pouvez-vous venir le défendre ici? S'il est adopté à la Chambre des communes, 60 p. 100 députés québécois auront voté contre.

Le consensus est-il important ou non concernant ce projet de loi C-20?

M. Sébastien Gignac: On retrouve le consensus dans le rapport de la commission Bélanger-Campeau, qui dit clairement...

M. Daniel Turp: Je parle du projet de loi C-20. Arrêtez de parler de Bélanger-Campeau. Parlez-moi du projet de loi C-20. Est-ce qu'il y a consensus sur le projet de loi C-20?

Le président: À l'ordre, monsieur Turp. Donnez au témoin la possibilité de répondre. Vous lui avez posé une question.

M. Daniel Turp: Il y a des témoins qui se passent des réponses là; c'est quand même pas mal, ça. Il y a des députés qui passent des réponses au témoin.

Le président: Monsieur Turp, franchement...

M. Daniel Turp: Qu'est-ce que notre collègue vient de faire ici?

M. Sébastien Gignac: Je ne sais pas de quoi vous parlez. On a peut-être donné une note par mégarde, mais de toute évidence, elle a été reprise.

Donc, je disais, au sujet du consensus qui a été établi au Québec, que la société québécoise, du moins au niveau de ses élites, reconnaît clairement, dans le rapport de la commission Bélanger-Campeau, qu'il faut une volonté populaire incontestable et clairement exprimée. On dit cela à plusieurs endroits, y compris à la page 59, un peu avant, où l'on parle de l'expression démocratique d'une volonté claire de la population québécoise.

M. Daniel Turp: Il ne répond pas à ma question.

Le président: La période des questions à nos témoins est terminée. Je remercie les trois témoins qui ont comparu cet après-midi. Ce fut un plaisir de vous rencontrer ici. Merci beaucoup.

• 1330




• 1332

Le président: À l'ordre. Nous pouvons recommencer nos délibérations.

Monsieur Ménard, vous avez invoqué le Règlement.

M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Monsieur le président, je sais que tout le monde est en droit de pouvoir compter sur l'appui du personnel de recherche et tout, mais serait-il possible que vous vous assuriez qu'on fasse un peu appel à la nuance et à la discrétion? Si le Conseil privé, qui, comme vous le savez, est le plus grand département de sciences politiques au Canada, veut influencer les questions et les réponses en faisant circuler des papiers, est-ce qu'il lui serait possible d'agir discrètement et délicatement, avec nuance et sans trop d'ostentation?

[Traduction]

Le président: Je ne suis pas...

[Français]

M. Réal Ménard: Vous savez, monsieur le président, que le Conseil privé devrait faire preuve de nuance.

M. Daniel Turp: Surtout au niveau des questions sur la publicité à la télévision.

Le président: À l'ordre. Il y a beaucoup de personnes dans cette salle qui aident des députés et leurs collègues. Il n'appartient pas au comité de prendre une décision à cet égard.

M. Réal Ménard: C'est le Conseil privé, monsieur le président.

M. Daniel Turp: Cela ressemble à ce qui se passe en Chambre lorsqu'un député libéral pose une question à un ministre libéral.

Le président: À l'ordre. Un autre député a demandé la parole.

[Traduction]

Monsieur Alcock, vous avez la parole.

M. Reg Alcock (Winnipeg-Sud, Lib.): C'est sur le même rappel au Règlement.

À mon avis, il faut avoir un peu plus de respect pour les témoins, ce qui fait un peu défaut chez les membres de votre parti. Les gens qui se présentent devant le comité ne viennent pas ici pour se faire insulter.

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît.

M. Daniel Turp: Vous aurez certainement remarqué que je ne donne pas de papiers aux témoins, comme M. Assad...

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît. À l'ordre!

[Français]

M. Daniel Turp: Au moins, ne donnez pas de papiers aux témoins.

Le président: À l'ordre. À l'ordre. À l'ordre.

[Traduction]

Il n'y a pas de mal à se passer des papiers. Les députés font ça tout le temps. Le président ne désire ni intervenir dans ce débat, ni entendre des arguments à ce sujet. Ce ne serait pas du tout approprié, d'ailleurs.

Nous accueillons cet après-midi

[Français]

M. Jean-Pierre Derriennic, professeur agrégé au Département de sciences politiques de l'Université Laval.

Cela nous fait plaisir de vous accueillir aujourd'hui, monsieur Derriennic. Nous vous accordons la parole pendant 10 minutes, après quoi les députés des différents partis vous poseront des questions pendant 35 minutes.

M. Jean-Pierre Derriennic (professeur agrégé au Département de science politique de l'Université Laval; témoigne à titre personnel): Merci, monsieur le président. Bonjour, mesdames et messieurs.

Comme je n'ai que quelques minutes, je sais que je serai obligé de présenter mes arguments de façon très synthétique, sans avoir le temps de les développer autant qu'il serait nécessaire de le faire.

Le projet de loi qui est devant vous énonce des choses qui devraient aller de soi et il pourrait sembler inutile. Mais il suscite aussi des objections vives, qui seraient très graves si elles étaient fondées. Les plus importantes me semblent être les suivantes: le Parlement fédéral porte atteinte à la démocratie de deux façons, en intervenant dans un domaine qui ne le regarde pas et en mettant en cause la règle dite du 50 p. 100 plus un. Je parlerai rapidement de ces deux arguments.

Le premier se résume ainsi: le gouvernement canadien n'a pas le droit d'intervenir dans la procédure par laquelle serait prise la décision de l'indépendance du Québec; le choix de cette procédure appartient au gouvernement et à l'Assemblée nationale du Québec parce que la décision sur le fond appartient aux Québécois seuls—je souligne le mot «seuls»—, en application de leur droit à l'autodétermination.

• 1335

C'est là un contresens sur la notion d'autodétermination. La pratique des États civilisés, dans la deuxième moitié du XXe siècle, a été que le principe de l'autodétermination donne le droit de fonder un nouvel État dans les cas de peuples vivant sous un pouvoir politique qui leur refuse une véritable citoyenneté, situation qui était celle des habitants des colonies et qui est aussi celle des Palestiniens dans les territoires occupés par Israël.

Pour tous ceux qui ont une citoyenneté entière et effective, ce qui est la situation des Québécois au Canada, la création d'un nouvel État n'est pas un droit. Elle est une possibilité qui se réalise normalement par consentement mutuel des parties concernées. Les exemples récents de la Tchécoslovaquie et de l'URSS ont correspondu exactement à ce schéma. Dans le cas de la Yougoslavie, cela y a correspondu d'une façon plus approximative. Dans le document que j'ai apporté, je développe cela un tout petit peu plus.

Les décisions d'autodétermination qui ont été prises dans des pays pleinement démocratiques sont davantage pertinentes pour savoir ce qui est acceptable ou non au Canada. En France, en 1962, l'indépendance de l'Algérie a été décidée par deux référendums, un en France et un en Algérie. En 1975, les Comores sont devenues indépendantes après un référendum dans l'archipel et un vote du Parlement français. En 1979, le Jura a été séparé du canton de Berne à la suite de plusieurs référendums, dont un dans toute la Suisse. En 1997, le référendum sur le statut de l'Écosse a été tenu selon des règles faites par le Parlement britannique.

Ces exemples ne sont pas identiques au nôtre. À chaque fois, il y a des différences; il n'y a aucune situation identique à la nôtre. Ces exemples permettent cependant l'observation générale suivante: l'autodétermination d'un territoire n'est pas une décision qui appartient à ses habitants seuls; elle regarde aussi le gouvernement central de l'État dont il fait partie et tous les autres habitants de cet État.

Ce point, à mes yeux, n'est pas d'abord juridique; il est d'abord moral. Dans une démocratie, chacun a des droits et des devoirs envers tous ses concitoyens. L'indépendance du Québec aurait des conséquences pour tous les Canadiens, et pas seulement pour ceux qui habitent au Québec. Une procédure de décision juste devrait donc tenir compte des opinions, des intérêts et des droits des uns et des autres.

Contrairement à l'accusation qui lui est faite, le Parlement canadien ne viole aucun principe démocratique en intervenant dans la procédure de décision de l'indépendance du Québec. C'est l'affirmation que cette décision appartient aux Québécois seuls qui est inacceptable dans une démocratie. Le Parlement fédéral a donc parfaitement le droit d'intervenir dans la procédure de décision d'une éventuelle indépendance et d'y mettre des conditions.

Il n'en résulte pas que n'importe quelle condition serait juste, ce qui m'amène à mon deuxième point: est-il vrai que 50 p. 100 plus un soit une règle obligatoire?

Dans une démocratie, la règle de la majorité, dont la définition correcte est plus de la moitié des voix et non 50 p. 100 plus un, ne s'applique pas de la même façon à toutes les décisions. Que je sache, il n'existe ni au Canada ni dans aucun autre pays de règle constitutionnelle écrite et explicite qui dise que l'indépendance d'un territoire se décide par un vote à la majorité des habitants de ce territoire. Ceux qui affirment que c'est là une règle fondamentale supposent donc qu'il s'agit d'un principe général du droit, d'un principe tellement évident qu'il s'impose nécessairement sans avoir besoin d'être inscrit explicitement dans une loi.

Or, il ne peut pas s'agir d'un principe général du droit parce qu'il aurait des conséquences absurdes pour des raisons d'abord simplement statistiques. Quand on fait voter neuf personnes sur une question, comme à la Cour suprême du Canada, s'il y a une seule voix de majorité, cinq contre quatre, c'est une décision extrêmement claire. Si on fait voter un Parlement de 300 personnes, il faut déjà prendre plus de précautions. C'est pour cela que, dans un Parlement, pour adopter une loi, on vote plusieurs fois sur le même texte, et non pas une seule fois, pour éviter que la décision puisse être prise par accident ou par inadvertance, uniquement à cause de l'absence un jour de quelques députés.

Ce problème augmente évidemment quand augmente le nombre des gens qui votent. Dans un référendum, où on fait voter des millions de personnes, il y a un grand nombre d'incertitudes dues aux erreurs possibles dans l'inscription des électeurs, dans l'identification des bulletins nuls ou dans le décompte de millions de petits papiers par des milliers de personnes.

• 1340

Une voix de majorité ne veut alors plus rien dire. Quelques centaines ou quelques milliers de voix de majorité comportent encore une incertitude considérable. Il faut donc, dans un référendum, avoir une majorité au moins égale à cette marge d'erreur, un résultat assez fort pour ne pas donner l'impression qu'il aurait été inverse si on avait voté une semaine plus tôt ou plus tard.

Dans une élection aussi, il peut arriver que des candidats soient élus avec des majorités très faibles, mais il y a deux différences importantes entre une élection et un référendum sur l'indépendance. La première est que dans une élection, il est obligatoire de décider quelque chose. Une circonscription ne peut pas rester sans député. Le candidat qui a le plus de voix, même s'il en a très peu, est le député le moins mal élu possible dans cette circonscription. Par contre, beaucoup de référendums portent sur des décisions qu'il n'est nullement indispensable de prendre. Si la majorité est très faible, il est raisonnable de penser qu'il vaut mieux ne rien décider du tout, renoncer au projet ou attendre que la population ait à son égard une opinion plus solide.

Il y a des exceptions à cette observation. Certains référendums d'autodétermination sont tenus dans des situations où il est obligatoire de décider quelque chose et où la moins mauvaise décision vaut mieux que pas de décision du tout. C'était le cas à Terre-Neuve, dont la situation de dépendance envers la Grande-Bretagne devait prendre fin et devait être remplacée par un autre statut, et c'était le cas récemment au Timor, dont l'occupation par l'Indonésie n'avait été acceptée ni par ses habitants ni par la société internationale.

Au contraire, le Québec a un statut politique normal, qu'il n'est ni nécessaire ni urgent de modifier. Il vaut donc beaucoup mieux ne rien décider que prendre une décision contestable ou impossible à mettre en oeuvre, faute d'un soutien populaire suffisant. Je pense que s'il y a tant de gens au Québec aujourd'hui qui souhaitent qu'il n'y ait pas de référendum, c'est parce que beaucoup d'entre eux savent cela. Il vaut beaucoup mieux éviter d'essayer de faire une indépendance gagnée avec la «peau des dents», selon l'expression courante.

La deuxième raison pour laquelle des majorités faibles sont plus acceptables dans une élection que dans un référendum est qu'une élection désigne un parlement, ou un gouvernement, pour un temps limité. Ceux qui sont mécontents du résultat savent qu'ils auront bientôt la possibilité de voter de nouveau. À cette observation, il y a deux types d'exceptions. Certains référendums portent sur des décisions faciles à annuler ou à corriger ultérieurement. C'est le cas quand, en Suisse, on vote sur le montant des indemnités parlementaires ou sur le prix des carburants. C'était aussi le cas du référendum écossais de 1997, puisque le Parlement britannique peut à tout moment annuler le statut d'autonomie de l'Écosse.

De l'autre côté, certains gouvernements ont des politiques très ambitieuses qui peuvent créer des situations irréversibles. Leur capacité d'action dépend alors de la force du soutien qu'ils ont dans la population, et pas seulement de la légalité de leur élection. Dans certains cas, des gouvernements ayant gagné des élections avec des majorités faibles ont quand même entrepris des programmes de réforme ambitieux, comme en France en 1936 ou au Chili en 1970. Ce fut, dans les deux cas, une des raisons de leur échec. Ce n'est pas là un problème juridique, mais un problème politique qu'aucun chiffre magique ne permet de faire disparaître. Il en va presque sûrement de même pour un référendum ayant pour but d'amorcer un projet aussi ambitieux que l'indépendance de l'État.

Donc, dans notre situation, la meilleure solution serait que les dirigeants nationalistes comprennent qu'il faut s'abstenir d'organiser des référendums d'indépendance tant qu'on n'est pas sûr que cette option est très largement majoritaire dans la population, attitude qui a prévalu dans plusieurs des pays devenus indépendants depuis 10 ans, après des référendums produisant des majorités toujours supérieures à 70 p. 100 et souvent supérieures à 90 p. 100. De grâce, si vous me le permettez...

Le président: Oui, vous avez une minute.

M. Jean-Pierre Derriennic: L'autre solution est, bien sûr, d'appliquer loyalement la conception du référendum consultatif qui est le fait dans notre droit, qui est la définition qu'en donne la Loi québécoise de 1977 sur la consultation populaire. Un référendum consultatif n'impose aucune décision à personne et ses résultats doivent être évalués par les autorités compétentes. Dans notre cas, les autorités compétentes sont l'Assemblée nationale à Québec et la Chambre des communes à Ottawa, bien évidemment. Je vous remercie, monsieur le président.

Le président: Merci beaucoup, professeur.

Mme Meredith a des questions.

• 1345

[Traduction]

Mme Val Meredith: Merci, monsieur le président.

J'ai bien écouté votre exposé—dont vous nous avez fourni le texte—et je vous remercie de nous avoir parlé d'autres pays où ont été organisés des référendums sur la sécession. Si je vous ai bien compris, la majorité d'entre eux, même si le résultat en faveur était beaucoup plus élevé, appliquait la méthode de la majorité simple pour prendre la décision.

Au Canada, nous avons tenu deux référendums dans la province du Québec sur la sécession, et dans les deux cas, on partait du principe qu'une majorité simple suffirait. En fait, au dernier référendum, une majorité simple de voix contre le projet de sécession a permis de déterminer que le Québec n'aurait pas la possibilité de négocier la séparation. Donc, on a accepté une majorité simple à deux reprises.

Si vous êtes d'avis qu'il ne faut pas accepter une majorité simple, à votre avis, quel niveau d'appui de la part de la population du Québec ou d'une autre province serait suffisant?

[Français]

M. Jean-Pierre Derriennic: Il faudrait pouvoir répondre très longuement à votre question. Quand on organise un référendum et qu'on sait qu'on obtiendra plus de 70 p. 100 de votes positifs, comme en Lettonie, ou plus de 90 p. 100, comme en Slovénie et dans d'autres endroits, pourquoi se disputer sur un niveau de majorité qualifiée? Évidemment, c'est complètement inutile, de la même façon qu'il est inutile de mettre une limite de vitesse sur les piste cyclables, parce qu'on est sûr que personne ne va pouvoir dépasser la vitesse limite. Le fait que, lors de référendums tenus ailleurs, on n'ait souvent pas pris la peine de fixer des majorités qualifiées ne constitue pas la preuve qu'il n'est pas nécessaire de le faire dans une situation où, comme ici, on risque d'avoir une majorité très faible. C'est cela, ma réponse sur le premier point.

Sur le deuxième point, je réponds que les référendums que nous avons eus ici n'étaient pas des référendums qui se décidaient à la majorité simple. En 1980, nous avons eu un référendum purement consultatif, qui n'aurait abouti à une véritable décision qu'après une négociation, un accord et un nouveau référendum. Peut-être que le problème de la majorité nécessaire se serait posé au deuxième référendum, parce que c'est lui qui aurait été décisif. Dans le cas du premier référendum, le problème ne se posait guère. Le référendum sur Charlottetown, en 1990, n'était pas un référendum à la majorité simple. Il est bien évident que s'il y avait eu une majorité dans tout le Canada, mais pas dans toutes les provinces, on aurait eu un très gros problème. C'était un référendum à majorité multiple, au minimum, et ce n'était pas un référendum décisif. Il fallait ensuite faire voter les législatures provinciales. Si le soutien pour la réforme constitutionnelle avait été très faible dans telle ou telle province, il n'est pas du tout sûr que la révision constitutionnelle de l'Accord de Charlottetown aurait été adoptée. Ce n'était pas du tout un référendum où on pouvait décider des choses avec une voix de majorité. En 1995, pour la première fois, malgré une loi québécoise qui n'institue que des référendums consultatifs, le discours du gouvernement du Québec était que ce référendum allait être décisif. Le mot «décision» a été utilisé tout le temps, et effectivement, cela correspondait à une sorte de chèque en blanc donné par la population au gouvernement puisqu'ensuite, il devait y avoir une négociation; ou il n'y en aurait pas eu. Mais ça donnait au gouvernement du Québec, dans sa propre vision, le droit de proclamer l'indépendance un jour, sans avoir à consulter la population de nouveau. Ça, c'est la différence entre 1995 et 1980.

Dans le cas du référendum de 1995, l'idée que ça pouvait se décider sur une majorité simple a été contestée dans un grand nombre de domaines. À l'époque, j'ai moi-même contesté cette idée dans des écrits publics, le premier ministre du Canada l'a contestée à la Chambre des communes et la question a été posée devant un tribunal à Québec. Il n'est pas vrai qu'en 1995, il y a eu un consensus sur le fait que lors de ce référendum, on pouvait prendre une décision à la majorité simple.

• 1350

[Traduction]

Le président: Avez-vous d'autres questions, madame Meredith?

Mme Val Meredith: Si le gouvernement du Canada, la population du Québec et la population du Canada sont d'avis que la question est claire, et si une majorité des habitants de la province du Québec se prononce en faveur de négociations en vue de la sécession—à supposer que la question soit claire et que les partis soient d'accord pour la reconnaître comme telle—comment le gouvernement du Canada et la population du Canada pourraient-ils décider de ne tenir aucun compte de la volonté de la majorité des habitants d'une province?

[Français]

M. Jean-Pierre Derriennic: Je ne crois pas qu'ils passeront outre, madame. Ce qui me semble très clair dans ce pays depuis longtemps, c'est que s'il y a une volonté claire du Québec de faire l'indépendance, ça posera beaucoup de problèmes pratiques, mais il y aura une volonté de part et d'autre de résoudre ces problèmes pratiques.

Ce qui serait terrible, c'est que cette volonté au Québec soit tellement faible qu'elle ne soit pas convaincante aux yeux des autres Canadiens et même aux yeux des Québécois. Ce serait terrible s'ils votaient majoritairement, mais avec une marge très faible, pour l'indépendance, que les négociations s'engagent et que le soutien pour l'indépendance s'effrite pendant la négociation. On saurait, au bout de trois mois ou de six mois, qu'il n'y a plus au Québec une majorité en faveur de l'indépendance. À ce moment-là, les difficultés pratiques très nombreuses, administratives, financières et autres, de l'indépendance ne seraient pas surmontables.

La logique du référendum consultatif, c'est de donner à un gouvernement la force politique de réaliser une réforme. C'est à cela que devait servir le référendum de Charlottetown; il devait servir à donner une force politique suffisante au projet de réforme pour qu'il soit ensuite très difficile pour les différentes législatures de le bloquer, ce qui n'a pas été atteint dans le cas de la réforme de 1992, mais ce qu'il faudrait viser comme objectif dans le cas d'un référendum sur l'indépendance du Québec.

Le président: Monsieur Turp, la parole est à vous.

M. Daniel Turp: D'abord, je voudrais remercier M. Derriennic pour cette présentation et pour l'intérêt que présentent ses thèses, dont nous avons eu l'occasion de prendre connaissance au cours des dernières années et des derniers mois. Je crois que vous faites une contribution très utile à ce débat. Mon collègue le député de Verchères—Les Patriotes, qui est un de vos anciens étudiants et dont vous avez dirigé le mémoire de maîtrise, si je me rappelle bien, a pu être le bénéficiaire de vos enseignements. Des contributions comme la vôtre seront sans doute très utiles au comité dans ses travaux.

J'ai d'abord une question pour vous. Avec la rigueur qu'on vous connaît, vous avez pris connaissance du projet de loi C-20. Est-ce que, dans son état actuel, ce projet de loi est parfait?

M. Jean-Pierre Derriennic: Non.

M. Daniel Turp: Comment, selon vous, pourrait-il être amélioré, amendé? Quelles sont ses imperfections et comment pourraient-elles être améliorées?

M. Jean-Pierre Derriennic: Je ne le sais pas bien. Je pense que c'est un projet de loi très utile, pour les raisons que j'ai expliquées tout à l'heure. Est-ce que vous avez des suggestions d'améliorations à me faire? Si vous en avez, je vous donnerai mon avis sur ces suggestions d'améliorations. Pour ma part, tout en sachant qu'il n'est évidemment pas parfait pour la raison simple que rien n'est jamais parfait, je n'ai pas de suggestions d'améliorations à faire maintenant.

M. Daniel Turp: Les témoins pourraient nous être utiles en faisant des suggestions d'améliorations, surtout si, comme vous l'admettez, il est imparfait et pourrait être corrigé. Il n'y a aucune amélioration dont vous pouvez nous parler?

M. Jean-Pierre Derriennic: Je n'ai pas réfléchi à cette question-là.

M. Daniel Turp: Permettez-moi d'abord de vous parler d'une chose qui nous préoccupe beaucoup, au Bloc québécois, et qui préoccupe ainsi beaucoup de Québécois, quelle que soit leur allégeance politique.

• 1355

Dans un cas de conflit potentiel entre l'Assemblée nationale et la Chambre des communes, si l'Assemblée nationale devait statuer que la question est claire et que la majorité était claire, et que la Chambre des communes, plus tard, en application de ce projet de loi, statuait, sur l'avis qui aurait été obtenu des assemblées législatives et du Sénat et sur tout autre avis pertinent—peut-être que les mots «tout autre avis pertinent» ne sont pas très clairs—, que la majorité n'est pas claire, qui prévaudrait? Où siège la souveraineté du peuple, en définitive? Est-ce que la Chambre des communes peut devenir une cour de cassation de l'Assemblée nationale et du peuple québécois?

M. Jean-Pierre Derriennic: Vous posez là un problème qui est absolument classique dans tout le droit constitutionnel, et pas seulement sur la question dont nous discutons. Vous savez comme moi que, dans une fédération, aucun gouvernement n'est souverain, que la logique d'une fédération, c'est que la souveraineté est partagée et qu'il faut apprendre à travailler ensemble sans jamais se demander qui a le dernier mot. Justement, la logique d'un régime fédéral est que personne n'a le dernier mot.

Que se passerait-il si le blocage que vous décrivez avait lieu? Tout dépendrait de la substance des positions des deux assemblées.

Dans notre régime parlementaire, si une élection donnait pour résultat une Chambre des communes où il y aurait trois partis politiques à peu près à égalité entre eux, comment ferait-on un gouvernement? Eh bien, on dirait qu'il faut faire une coalition entre au moins deux partis. S'ils refusent de discuter et de s'entendre, qui a le dernier mot? Il n'y a pas de réponse à cela. La population leur dirait qu'ils sont des irresponsables et qu'ils doivent établir un gouvernement.

Peut-être le gouverneur général trouverait-il un moyen juridique pour dissoudre la Chambre des communes et provoquer de nouvelles élections; peut-être que les électeurs éliraient un parlement composé différemment. S'ils réélisent un parlement composé de la même façon et que les partis continuent à ne pas vouloir s'entendre, qui a le dernier mot? Dans notre système politique, personne n'a le dernier mot. La règle, c'est qu'à un moment ou un autre, on doit entendre.

Je crois que dans un pays comme le nôtre, la population, dans sa sagesse, pour déterminer qui a raison et qui a tort, devrait poser un jugement sur la valeur, sur le fond des arguments mis de l'avant par l'Assemblée nationale, qui dirait qu'elle pense que le résultat est clair, et par la Chambre des communes, qui dirait qu'elle pense que le résultat n'est pas clair. Quelle est la valeur de ces arguments-là, sur le fond? C'est cela qui déciderait que, finalement, l'impasse devrait être rompue. Elle serait probablement rompue, comme dans mon exemple parlementaire de tout à l'heure, par la population: on convoquerait un autre référendum ou on déclencherait une élection, soit une élection provinciale, soit une élection fédérale, qui confirmerait la position de l'assemblée qui serait soumise à l'élection, et son poids deviendrait alors beaucoup plus fort dans le débat, ou qui, au contraire, montrerait que cette assemblée se trompe et qu'elle avait une interprétation qui ne correspondait pas à celle de la population. Nous serions dans une crise qui se résoudrait par le même type de procédure de négociation que les crises de nos régimes parlementaires, tel que nous y sommes habitués.

[Traduction]

Le président: Monsieur Nystrom, vous avez la parole.

[Français]

M. Lorne Nystrom: Monsieur Derriennic, je vous souhaite la bienvenue à notre comité cet après-midi. Je viens de la Saskatchewan.

[Traduction]

J'ai une question à vous poser. Vous avez beaucoup parlé de la nécessité d'équilibrer les droits des uns et des autres dans le contexte du débat constitutionnel et du projet de loi de clarification. La question que l'on me pose de temps en temps en Saskatchewan, étant donné que nous avons une forte population d'Autochtones, est celle-ci: à votre avis, les peuples autochtones jouent-ils un rôle suffisamment important—et là je parle de consultation—dans toute la question de l'évaluation de la clarté de la question et de la majorité obtenue?

Certains Autochtones sont d'avis qu'on devrait les consulter davantage au sujet du projet de loi. Après tout, le Parlement est bien tenu de consulter le Sénat, et le Sénat n'est même pas élu; les sénateurs ne représentent finalement que la personne qui les nomme au Sénat. Il s'agit donc d'un organe non élu qui a énormément d'influence.

Par contre, les dirigeants autochtones sont élus dans le cadre d'une procédure assez sophistiquée dans la plupart des provinces. À votre avis, le projet de loi accorde-t-il suffisamment d'importance au rôle que doivent jouer les peuples autochtones dans ce dossier?

[Français]

Il y a beaucoup d'Indiens en Saskatchewan, comme vous le savez; il y en a aussi au Québec. C'est donc une question très importante pour moi et pour vous aussi, j'espère.

• 1400

M. Jean-Pierre Derriennic: Je vous donnerai deux réponses un peu antinomiques.

Premièrement, les peuples autochtones sont, pour des raisons historiques et juridiques, dans une situation particulière au Canada. Lorsqu'on discute de l'indépendance du Québec, on ne peut pas ignorer cette situation particulière. Il faut tenir compte très soigneusement de ce que disent leurs représentants.

Je me souviens d'avoir pris connaissance, en 1995, d'un excellent document préparé par le Grand Conseil des Cris du Québec, sous la direction de Matthew Coon Come, qui s'appelait Sovereign... Enfin, c'était un recueil d'analyses et de documents juridiques sur...

M. Lorne Nystrom: Sovereign Injustice.

M. Jean-Pierre Derriennic: Oui, Sovereign Injustice. C'était un document remarquable du point de vue du travail qui avait été fait. Donc, quand les responsables des autochtones interviennent dans le débat, on a certainement le devoir de les écouter. C'est la première partie de ma réponse.

Deuxièmement, les participants principaux à ce conflit pacifique qui oppose, au Québec, ceux qui veulent que le Québec reste au Canada et ceux qui veulent qu'il en sorte, devraient faire très attention à ne pas faire des autochtones une sorte d'avant-garde ou une sorte de fer de lance dans le conflit entre eux, cela pour beaucoup de raisons: parce qu'ils sont moins nombreux, d'abord, et peut-être aussi parce qu'ils sont plus pauvres. Les autochtones sont un groupe plus vulnérable dans notre société, et je trouve qu'il serait moralement et politiquement extrêmement grave que, dans notre conflit, nous les utilisions comme un pion ou comme un élément en les poussant en première ligne dans le conflit.

Je pense que notre attitude vis-à-vis des autochtones doit tenir compte de ces deux préoccupations.

Le président: Monsieur Dubé.

[Traduction]

M. Jean Dubé: Merci, monsieur le président.

Merci infiniment de votre présence aujourd'hui.

En réponse à une question d'un de nos collègues, vous avez dit que ce projet de loi n'est pas parfait, mais pour ma part, j'aimerais bien qu'il le soit du moment qu'on traite de ce genre de questions. Ne pensez-vous pas que dans l'article du projet de loi où il est question de tenir compte d'autres avis éventuellement pertinents...? Autrement dit, les opinions des autres provinces qui font partie du Canada sont-elles importantes?

[Français]

M. Jean-Pierre Derriennic: Oui, bien sûr.

[Traduction]

M. Jean Dubé: Donc, ce serait une façon d'améliorer le projet de loi...?

[Français]

M. Jean-Pierre Derriennic: De dire quoi?

M. Jean Dubé: De consulter un peu plus les provinces. On parle ici d'avis à considérer.

M. Jean-Pierre Derriennic: Oui.

M. Jean Dubé: Ne pensez-vous pas que les provinces canadiennes devraient être beaucoup plus consultées quand il s'agit de la Constitution du Canada?

M. Jean-Pierre Derriennic: Oui. Peut-être le seront-elles suffisamment.

M. Jean Dubé: Merci.

Au sujet d'une majorité claire, j'ai encore énormément de difficulté face à cela. On a l'expérience du dernier référendum. M. Parizeau avait déjà sa lettre toute prête, car il croyait avoir un référendum gagnant. Je pense qu'il n'en était pas sûr, mais la majorité devait être de 50 p. 100 plus un. Donc, on sait que pour les souverainistes, 50,0 p. 100 suffit. Pensez-vous que, dans un projet de loi comme celui-ci, on devrait inscrire quelque part ce qu'est une majorité claire? Est-ce que c'est 50 p. 100 plus un, 60 p. 100, 65 p. 100? Le projet de loi n'est pas clair. On va encore se poser des questions après son adoption. Pensez-vous qu'on devrait y inscrire le chiffre qui constituerait une majorité claire?

M. Jean-Pierre Derriennic: Le fait de mettre un chiffre dans la loi aurait plus d'inconvénients que d'avantages, d'abord parce que le problème des erreurs statistiques liées au grand nombre, que j'ai évoqué tout à l'heure, n'est pas résolu par une majorité qualifiée. Si vous fixez 60 p. 100, vous avez le même problème: qu'est-ce qu'on fait à 59,99 p. 100 ou à 60,01 p. 100 s'il y a des bulletins nuls ou contestés? Donc, la majorité qualifiée ne résout pas toutes les difficultés. C'est la première partie de ma réponse.

• 1405

La deuxième partie de ma réponse, c'est que, pour qu'une majorité qualifiée soit efficace, il faudrait qu'elle soit acceptée par les deux partenaires principaux, nos deux gouvernements. S'ils le faisaient, je m'en réjouirais beaucoup parce que cela voudrait dire qu'ils ont entre eux une capacité de coopération dont les citoyens du Québec ont absolument besoin. Il n'y a rien de plus inquiétant pour nous que d'avoir deux gouvernements qui disent des choses différentes là-dessus. L'un des deux gouvernements, celui du Québec, dit qu'il a le droit de tout décider tout seul et qu'il n'a pas besoin de s'entendre avec l'autre gouvernement. Il vaudrait beaucoup mieux qu'ils soient capables de s'entendre. Donc, s'ils s'entendaient sur un chiffre de majorité qualifiée, je m'en réjouirais beaucoup, d'abord.

Ensuite, je me méfierais beaucoup parce que je pense qu'ils le fixeraient trop bas. Sans être capable de le démontrer, je ne vois pas pourquoi l'indépendance du Québec serait faisable avec des majorités beaucoup plus basses que celles qu'on a vues ailleurs. Ailleurs, plus d'une fois sur deux, on a eu plus de 90 p. 100. Si je parle de fixer un niveau comme celui-là, personne ne va jamais l'accepter. C'est toujours plus de 70 p. 100. Personne ne peut savoir exactement à partir de quel niveau la force du soutien de la population serait suffisamment grande pour surmonter les difficultés de l'indépendance. Je crois que tout le monde, y compris le gouvernement fédéral, sous-estime les difficultés de l'indépendance.

Quand je fais la comparaison avec d'autres pays, je vois que les difficultés d'une sécession résultent de trois choses.

Il y a d'abord le mélange des populations sur le territoire qui veut se séparer. C'est beaucoup plus compliqué en Bosnie-Herzégovine qu'en Slovénie pour cette raison-là. Nous ne sommes pas la Bosnie-Herzégovine, mais nous avons une population plus mélangée que la Slovénie. C'est le premier élément.

Le deuxième élément est la complexité de l'appareil administratif qui doit être séparé, démembré. Nous avons un État-providence. Nous avons une administration extrêmement envahissante, plus complexe que ce qui existait partout ailleurs où on a essayé de faire ce genre de chose. Il y a les difficultés pratiques sur le statut des fonctionnaires, sur qui s'occupe de la navigation aérienne, sur qui s'occupe de telle ou telle chose. Ces problèmes très compliqués seront difficiles à résoudre, plus difficiles qu'on ne le prévoit. C'est une constante des programmes des gouvernements: on découvre toujours en cours de route que c'est plus compliqué qu'on ne le pensait. Qu'il s'agisse de réglementer les armes à feu au niveau canadien ou de réorganiser la formation de la main-d'oeuvre au Québec, on découvre des difficultés supplémentaires en cours de route.

La troisième difficulté, et je vais sans doute surprendre énormément de gens, c'est que je crois que beaucoup de gens, y compris au niveau fédéral, ont raisonné en croyant que la démocratie rendait ce genre de chose plus facile. Or, je crois que c'est l'inverse qui est vrai. Il était plus facile de séparer des États lorsque les gouvernements étaient des monarchies absolues ou des régimes autoritaires. L'exemple tchécoslovaque montre cela très bien. Pour séparer la République tchèque de la Slovaquie, les deux gouvernements se sont arrangés derrière le dos de la population, sans consulter la population. C'est pour cela qu'ils ont pu aller vite et faire les choses de façon très simple. Je crois que personne, au Canada, n'accepterait que les choses soient faites comme en Tchécoslovaquie. La démocratie n'est pas faite pour simplifier la vie des politiciens. Elle la leur complique. Évidemment, cette décision sera plus difficile à prendre parce que le Canada et le Québec sont des démocraties et plus difficile à mettre en oeuvre que cela ne l'a été dans les autres exemples qu'on a connus avant, qui n'étaient jamais des situations de démocratie bien établie.

[Traduction]

Le président: Malheureusement, monsieur Dubé, nous avons dépassé de loin le temps imparti à ce témoin.

M. Jean Dubé: Vous me donnez trente secondes?

Le président: Non. Vous deviez avoir seulement cinq minutes, et vous en avez eu plus de sept.

Il n'y a pas de questions du côté libéral?

Monsieur Ménard.

• 1410

[Français]

M. Réal Ménard: J'ai deux courtes questions. Il y a des aspects de votre plaidoyer—j'appelle cela votre plaidoyer car cela me permet de vous flatter un peu—qui m'ont beaucoup plu, notamment le caractère éminemment contemporain de la souveraineté. Vous avez donné des exemples depuis la chute du mur de Berlin. C'est compliqué, mais c'est possible. Si l'URSS et ses composantes y sont arrivées, d'autres États multinationaux peuvent aussi y arriver. Il y a cependant d'autres aspects qui m'ont moins plu. Mais ça, évidemment, c'est la démocratie.

Ce que j'ai de la difficulté à comprendre, sur le fond, c'est que vous semblez décrire la fédération canadienne comme un lieu où il n'y a pas de domination. Je me suis alors posé une question. Supposons que nous sommes en 1982 et que vous et moi, nous nous retrouvons dans une situation analogue. Vous êtes à une table de témoignage, je suis député et je vous pose la question suivante. Si c'est le peuple qui décide dans la fédération canadienne et qu'il n'y a pas cette logique de domination et d'hégémonie, comment se fait-il que moi, francophone d'Amérique du Nord, je me retrouve dans une situation où mon assemblée nationale, qui n'a pas adhéré à la Constitution de 1982, s'y trouve quand même soumise? C'est ma première question. Comment expliquez-vous que l'absence de logique de domination que vous nous avez fait voir fait en sorte que la situation de 1982, que vous connaissez bien, perdure?

Voici ma deuxième question. Je vous pose mes questions en rafale pour ne pas avoir à revenir.

Le président: Dans l'intérêt du temps, peut-être pourrions-nous entendre la première réponse. Si elle est assez longue, vous n'aurez pas assez de temps pour en poser une deuxième.

M. Réal Ménard: Vous voyez que l'intérêt du temps n'est pas l'intérêt du peuple.

M. Jean-Pierre Derriennic: La question n'étant pas petite, j'ai peur de vous donner encore une réponse de professeur qui sera trop longue. En 1982, je n'étais pas citoyen canadien et je n'ai pas eu à donner mon avis sur le rapatriement constitutionnel de 1982. Si on m'avait demandé mon avis, il n'aurait pas été fait de cette façon, ni dans le contenu de la réforme, ni dans la procédure qui a été utilisée pour faire cette réforme. Mais je constate une chose: cette constitution est aujourd'hui appliquée par tout le monde au Canada, y compris au Québec, y compris par le gouvernement du Québec, qui a régulièrement invoqué dans ses lois la clause nonobstant, qui est une invention de 1982, et qui invoque l'article 43 de la Constitution sur l'impossibilité de modifier les frontières d'une province sans le consentement de l'Assemblée législative, qui est aussi, sauf erreur de ma part, un acquis de 1982. La procédure qui a été utilisée pour faire la réforme de l'Accord du lac Meech était la procédure de révision constitutionnelle prévue en 1982 pour modifier les commissions scolaires.

Le fait qu'une règle soit une règle qu'on aime pas tellement, le fait qu'une règle a été adoptée d'une façon que l'on trouve contestable, et le fait qu'une règle soit une règle reconnue qui existe dans la société et que l'on doit donc suivre, sont trois choses différentes. Je constate que la Constitution du Canada s'applique aujourd'hui, y compris au Québec. Les autorités principales au Québec se comportent comme des gens...

M. Réal Ménard: Mais dans un mode de violence.

M. Jean-Pierre Derriennic: Non, pas dans un mode de violence.

M. Réal Ménard: Permettez-moi une deuxième question, monsieur le président.

Le président: Non, je regrette. Les 45 minutes sont déjà écoulées.

M. Daniel Turp: Les conservateurs ont eu sept minutes.

Le président: Oui, mais vous avez vous-même eu six minutes et demie, monsieur Turp. C'est tout à fait juste.

Une voix: Trente secondes.

Le président: C'est beaucoup plus que cela. Nous devons passer au prochain témoin.

Monsieur le professeur, merci beaucoup de votre comparution de cet après-midi, que nous avons beaucoup appréciée. Vous et M. Ménard pourrez continuer la discussion...

La séance est suspendue pour quelques minutes, le temps que les autres témoins arrivent.

• 1415




• 1418

[Traduction]

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît. Peut-être pourrions- nous commencer tout de suite pour être sûrs de respecter notre programme pour cet après-midi.

[Français]

Nous entendrons maintenant les représentants du groupe Pro-Démocratie, M. André Tremblay, professeur de droit à l'Université de Montréal, et M. Gérald Larose, professeur invité à l'École de travail social de l'UQAM.

Bienvenue, messieurs. Cela nous fait plaisir de vous accueillir au comité cet après-midi. Vous avez 10 minutes pour votre présentation, après quoi il y aura un maximum de 35 minutes de questions ou de commentaires des membres du comité. Vous avez la parole, monsieur Larose.

M. Gérald Larose (groupe Pro-Démocratie): Merci, monsieur le président.

Je m'appelle Gérald Larose et je suis professeur invité à l'Université du Québec à Montréal, ancien président de la Confédération des syndicats nationaux et aujourd'hui porte-parole du groupe Pro-Démocratie, qui demande le retrait du projet de loi C-20. Je suis accompagné de M. André Tremblay, qui est avocat constitutionnaliste, qui a été principal conseiller de Robert Bourassa et qui est professeur à l'Université de Montréal.

D'abord, vous souffrirez que nous vous fassions quelques reproches ou remontrances au sujet des conditions qui nous été faites pour notre témoignage d'aujourd'hui. On nous a demandé de venir témoigner dans la précipitation, dans des conditions telles que le sujet qui est devant nous, un sujet d'une importance capitale pour un peuple, est traité comme s'il était une vulgaire question de plomberie ne pouvant souffrir quelque délai que ce soit. Il ne faudrait pas passer la nuit là-dessus, nous a-t-on dit. Pire, on s'est abstenu d'organiser un débat réel, de venir rencontrer les gens qui sont concernés et de faire en sorte qu'il puisse y avoir un débat dans la clarté.

• 1420

C'est vrai qu'Ottawa a pris l'habitude de l'unilatéralisme, du déni de justice, de la négation des droits et des accrocs répétés à l'éthique. Jamais nous n'allons nous y habituer. Au contraire, nous allons toujours le dénoncer. Même si nous devons nous déplacer un vendredi après-midi, dans les conditions qui nous sont faites, nous le faisons. C'est là notre premier message.

Notre deuxième message, c'est qu'après 1982, après les dizaines de millions de dollars mis dans les débats référendaires de 1980, 1992 et 1995, après l'acte unilatéral de l'Union sociale, après tous ces manquements au fair-play et à l'éthique, nous voulons dénoncer ce dernier coup de force et demander le retrait de ce projet de loi. Par ce projet de loi C-20, le fédéral tente de devenir le maître du jeu et de subordonner le peuple québécois, qui est lui-même une instance parfaitement autonome sur ces questions.

Je vais demander tout de suite à celui qui copréside le groupe Pro-Démocratie, André Tremblay, de vous faire les principales remarques quant à notre rejet du projet de loi C-20.

M. André Tremblay (groupe Pro-Démocratie): Monsieur le président, messieurs et madame les députés, ce projet de loi constitue un exercice apparent de démocratie. Nous, du Québec, n'avons pas de leçon de démocratie à recevoir en ce moment des autorités fédérales, qui font fi des règles démocratiques et qui se permettent d'acheter les élections à la manière de Duplessis, avec des programmes d'aide transitoire à l'emploi qui font présentement l'objet de débats à la Chambre des communes.

Comme Québécois, nous disons non à cette leçon de démocratie par un gouvernement dont les moeurs électorales douteuses ont des relents qu'il ne faut pas revisiter.

Vous nous proposez ce projet de loi. Eh bien, nous disons nyet. Nous disons non à ce projet de loi. Nous disons non à ce qui nous semble être un déficit démocratique et qui ressemble à une espèce de loi des mesures de guerre qui veut matraquer notre droit collectif de décider nous-mêmes de notre avenir.

Si c'est bien cela, l'offre de réconciliation nationale qu'on nous propose, si c'est cela, le geste d'ouverture à nos revendications, si c'est cela, le plan B ou le plan A, il faut dire non.

• 1425

Cette loi est malvenue. Elle est dirigée contre l'État québécois, contre ses institutions démocratiques, et elle est destinée à briser l'exercice de notre droit de décider nous-mêmes de notre avenir collectif.

Cette loi, malheureusement, ressemble à des lois ou à des exercices qu'on aurait voulu oublier. Elle nous ramène à la période antérieure à 1943, qu'on croyait enterrée, et à la période du colonialisme fédéral, durant lesquelles les autorités fédérales désavouaient les lois provinciales parce que celles-ci, paraît-il, allaient à l'encontre des principes de la juste législation. Eh bien, nous disons non et nyet à ce type d'exercice.

On ne peut pas accepter non plus que le reste du Canada supervise de façon arbitraire la question et la majorité requise et nous impose une tutelle dont nous n'avons pas besoin. Et on ne peut accepter la notion que le fédéral donne plus de poids au vote négatif qu'au vote affirmatif. On ne peut accepter l'idée que le fédéral fasse fi du principe fondamental de l'égalité du vote.

On ne peut pas non plus accepter ce type de camisole de force qui nous oblige à choisir entre le statu quo et la sécession absolue, qui n'existe nulle part. Il doit et peut exister autre chose, et je pense qu'un jour, on jugera sévèrement le gouvernement fédéral pour cet exercice menaçant et étouffant pour la démocratie québécoise.

Le Québec n'a pas besoin de ce type d'exercice qui nous propose le déficit démocratique. Le Québec est à l'aise avec l'équilibre démocratique qu'il connaît. Le Québec est à l'aise avec ses institutions. Il est à l'aise avec son respect de l'autorité et des prérogatives de l'Assemblée nationale. Il est à l'aise avec la notion de la primauté du droit. Il est très à l'aise avec le principe fondamental de l'égalité du vote.

En terminant, monsieur le président, je dis qu'il est peut-être trop tard pour que le gouvernement fédéral fasse marche arrière. Je le crains. Pourtant, il n'y aurait rien de menaçant à proposer plutôt un geste de réconciliation nationale entre les deux peuples fondateurs de ce pays.

Le président: Y a-t-il des questions et des commentaires?

Madame Meredith, vous avez la parole.

[Traduction]

Mme Val Meredith: Merci, monsieur le président.

Merci d'avoir accepté de comparaître devant le comité.

Bon nombre de provinces sont aussi préoccupées que vous semblez l'être par l'ingérence du gouvernement fédéral dans des sphères de compétence qui, de l'avis de certains, ne relèvent pas de sa responsabilité, et par le fait que le fédéral arrive à faire ce qu'il veut dans les provinces grâce aux importants crédits dont il dispose. Mais la Cour suprême a tout de même indiqué que si la question et la majorité obtenue étaient claires, le Québec serait tenu de négocier avec le gouvernement fédéral et les provinces, ou que des négociations avec le gouvernement fédéral et les provinces seraient nécessaires. Êtes-vous d'accord avec la décision de la Cour suprême, selon laquelle des négociations avec tout le Canada, et pas juste entre le gouvernement fédéral et le Québec, seraient nécessaires?

[Français]

M. Gérald Larose: Je voudrais vous rappeler que toutes les propositions du Québec ont été à l'effet d'offrir au Canada une négociation. Celui qui a dit qu'il ne négocierait jamais, c'est le fédéral. La Cour suprême oblige le fédéral à négocier. Pour contourner l'obligation faite par la Cour suprême, que fait Stéphane? Il prépare le projet de loi C-20 dans lequel il met plusieurs dispositions afin, précisément, de ne pas répondre à l'obligation qui lui est faite par la Cour suprême de négocier.

• 1430

En fait, ce projet de loi est un projet de loi mensonger, un projet de loi astucieux. C'est une nouvelle astuce du fédéral pour échapper à l'obligation qui lui est faite par la Cour suprême.

[Traduction]

Mme Val Meredith: Mais vous avez mal compris le sens de ma question. Ce n'est pas quelque chose qui concerne uniquement le Québec et le gouvernement fédéral. Cela concerne au contraire l'ensemble du Canada. Il y a d'autres provinces et d'autres personnes au Canada qui ne vivent pas dans la province du Québec. D'après ce que j'ai compris de la décision de la Cour suprême, cette dernière reconnaissait que si une province veut faire sécession, ce n'est pas uniquement à elle de prendre la décision, ce qui veut dire que les autres membres de la fédération canadienne doivent être consultés. Je vous demande simplement si vous êtes d'accord avec la Cour suprême pour reconnaître le droit des autres provinces de participer au débat. Doit-on ou non tenir compte de leur avis dans le contexte de ce projet de loi?

[Français]

M. Gérald Larose: Soyons concrets. S'il y a eu un renvoi à la Cour suprême, ce n'est pas parce que l'Alberta avait des velléités de souveraineté. S'il y a eu un renvoi à la Cour suprême, c'est parce que le Québec pose cette question depuis bon nombre d'années. Alors, si l'obligation touche formellement l'ensemble des provinces, c'est dû à une fiction juridique. La réalité politique, c'est que la question est posée par le Québec.

Maintenant, à la question que vous posez, à savoir si on doit tenir compte de l'avis des autres provinces, je vous dirai que ça, c'est une question canadienne. Il appartient au reste du Canada de voir à l'organisation de sa propre vie. Et ça, il n'est pas du tout dans l'intention des Québécois de s'en mêler, comme on demande au reste du Canada de ne pas se mêler de nos affaires.

Le président: La parole est à vous, monsieur Turp.

M. Daniel Turp: Merci, monsieur le président.

Au nom du Bloc québécois, j'aimerais souhaiter la bienvenue à nos deux invités et souligner en particulier la présence de mon professeur. C'est une affaire de professeurs. J'ai été un étudiant de M. Tremblay.

Je vous ferai remarquer que le professeur Tremblay avait essayé de m'attirer un jour dans le giron du Parti libéral du Québec, parce qu'il est fédéraliste, et qu'il n'a pas réussi. Je pense que c'est important pour vous de savoir que Pro-Démocratie ne regroupe pas que des gens qui sont souverainistes; ils sont démocrates et ils croient que le projet de loi C-20 porte atteinte à la démocratie québécoise.

J'ai deux questions pour vous.

Monsieur Larose, on entend souvent dire dans ce Parlement, par le premier ministre, par M. Dion et par d'autres, que les Québécois n'avaient pas compris la question de 1995, qu'ils ne savaient pas sur quoi ils votaient. Ils ne savaient pas que, s'ils votaient oui, le Québec deviendrait un pays souverain. J'aimerais que vous nous indiquiez votre opinion sur cette question-là.

Et au constitutionnaliste Tremblay, j'aimerais poser une question que j'ai posée à plusieurs témoins déjà et qui porte sur la possibilité d'un conflit potentiel entre l'Assemblée nationale et la Chambre des communes sur la clarté de la question et de la majorité, conflit qui résulterait du fait que l'Assemblée nationale pourrait dire que la majorité et la question sont claires, alors que la Chambre des communes, elle, prétendrait le contraire.

Dans le cas d'un conflit, qui va l'emporter finalement? Est-ce que l'expérience de la pratique du fédéralisme ne laisse pas croire que c'est la Chambre des communes qui va l'emporter, comme elle l'a emporté lorsqu'elle a imposé la Constitution au Québec en 1982?

M. André Tremblay: J'ai entendu la question, car vous l'avez posée à l'autre témoin. C'est une question hypothétique à laquelle, normalement, un politicien devrait toujours refuser de répondre.

• 1435

Monsieur Turp, ma position, tout comme celle de Pro-Démocratie, est claire: nous demandons le retrait du projet de loi. Nous estimons que ce projet de loi est malvenu et antidémocratique. La position inébranlable de Pro-Démocratie est la suivante: en accord avec les instruments internationaux, que vous connaissez parfaitement, nous estimons que c'est au peuple québécois de décider exclusivement seul de son avenir collectif. C'est une affaire qui relève de sa gouverne. Il n'appartient pas à la Chambre des communes de s'ériger en maître de la pertinence et de la clarté de la question. Cet arbitraire de la Chambre des communes est malvenu. C'est le peuple qui décide et c'est l'Assemblée nationale qui, dans l'exercice de ses prérogatives, doit décider. Elle l'a fait en 1980 et elle l'a fait en 1995. Nos moeurs électorales et nos moeurs référendaires sont suffisamment saines pour que nous puissions, comme adultes démocrates, exercer notre choix.

M. Gérald Larose: Sur la clarté de la question, j'estime, et c'est l'avis de Pro-Démocratie, que tous les exercices faits à ce jour l'ont été dans la plus grande clarté. Quand 94 p. 100 des gens se déplacent, il me semble qu'il y a là un indice qu'il y a une grande question qui a été débattue et sur laquelle il vaut la peine de se pencher.

Dire que la question n'est pas claire, c'est mépriser l'intelligence du monde, c'est se prendre pour d'autres, c'est croire que quand on n'est pas d'accord, tout le monde ne devrait pas être d'accord et que s'il y en a qui sont d'accord, c'est parce que ce sont des «tarlas». Ce n'est pas vrai.

Lors du dernier référendum, quel pourcentage de Québécois ont voté non à la question parce qu'ils ont cru Jean Chrétien quand il leur a dit qu'il allait faire les changements nécessaires, y compris aux plans administratif et constitutionnel? Ce n'est pas parce que Jean Chrétien n'avait pas fait un discours clair. C'était un discours clair, et ils lui ont donné raison. Malheureusement, il les a trompés.

Quand Pierre Elliott Trudeau a dit: «Nous mettons nos sièges en jeu», Brian Mulroney et Claude Ryan, qui étaient assis à ses côtés, l'ont cru. Combien de Québécois l'ont cru aussi et ont voté non? Ce n'est pas parce que ce n'était pas clair. Le discours était clair, mais ils ont été trompés.

La question de la clarté est la suivante. On voudrait qu'on pose une question simple et simpliste, qui est en même temps une fausse question. On ne veut pas que le peuple discute d'une question complexe—parce que c'est une question complexe—qui est celle de réorganiser les rapports entre deux peuples. Le peuple québécois va continuer à poser cette question complexe, oui. Le peuple québécois veut respirer, veut vivre et veut s'épanouir en ayant d'excellents rapports avec les autres peuples, y compris celui du Canada. C'est cette question qui sera posée. Elle a toujours été claire et elle sera claire la prochaine fois aussi.

Le président: Monsieur Cotler.

M. Irwin Cotler: J'ai quelques questions à poser à mon collègue André Tremblay. André, vous avez dit au sujet du jugement de la Cour suprême sur la sécession: «Il doit être pris au sérieux par les politiciens. Après tout, la Cour suprême leur fait la leçon.» M. Bouchard disait lui-même que le jugement de la Cour suprême avait un statut constitutionnel.

• 1440

Lors d'une entrevue avec un journaliste du National Post, Joseph Facal énonçait la position officielle du gouvernement du Québec face au renvoi. Il disait que le Québec n'était absolument pas lié par cette décision. Comment conciliez-vous cette affirmation de M. Facal avec vos propres commentaires et ceux de M. Bouchard à l'égard de la décision de la Cour suprême?

M. André Tremblay: Monsieur le président, est-ce que je peux demander une précision à M. le député? Est-ce qu'il cite des textes de mes enseignements à l'Université de Montréal?

M. Irwin Cotler: Non, je citais une référence que j'ai lue. Si je fais erreur, veuillez me le faire savoir.

M. André Tremblay: Pourriez-vous répéter votre question?

M. Irwin Cotler: Lorsque vous parliez du jugement de la Cour suprême sur la sécession, vous disiez: «Il doit être pris au sérieux par les politiciens. Après tout, la Cour suprême leur fait la leçon.» Ces commentaires me portent à croire que vous estimez que le jugement de la Cour suprême du Canada fait autorité juridique.

M. André Tremblay: Monsieur le président, je suis prêt à supposer que ces propos qu'on m'attribue sont exacts. Dans le cadre de cette supposition, je vais répondre à la question.

Je respecte la décision de la Cour suprême du Canada. C'est une décision qui fait autorité, comme toutes ses décisions et tous ses avis consultatifs, mais elle doit aussi être lue et comprise à la lumière des commentaires récents du juge en chef du Canada. Comme vous le savez sans doute, monsieur le président, le juge en chef du Canada lui-même disait, il y a 10 jours, que cette décision ne liait pas les gouvernements et n'avait qu'un statut strictement consultatif. C'est bien ce que M. Lamer a dit, et il avait parfaitement raison de le dire.

Il faut toutefois tenir compte de deux propositions, monsieur le député de Mont-Royal. Comme première proposition, le jugement de la Cour suprême est un avis consultatif au plan juridique qui ne lie pas les gouvernements. Cependant, à cause de son autorité dans d'autres débats judiciaires éventuellement, ce jugement serait suivi par la Cour suprême. C'est la première proposition.

Comme deuxième proposition, ce que dit M. Facal au sujet des propos de M. Lamer est juste.

M. Irwin Cotler: Nous avons les propos de...

M. André Tremblay: Oui. C'est juste, mais cela ne fait rien. Cela s'avère conforme aux propos tenus ultérieurement par M. Lamer. Même si le jugement de la Cour suprême n'est pas un jugement au sens strict, vous comprendrez très bien, tout comme moi, que si un véritable procès s'engageait, la Cour suprême aurait inévitablement tendance à se reporter à son avis consultatif. Je pense que c'est la réponse qu'il faut donner.

Le président: Monsieur Cotler.

M. Irwin Cotler: Permettez-moi de poser une deuxième question. Monsieur Tremblay, vous avez écrit, et j'espère que je vous cite correctement: «L'Acte final d'Helsinki donne au Québec un droit à la sécession.»

Avant que je pose ma question centrale, est-ce que vous pourriez nous donner un bref sommaire de ce que l'Acte final d'Helsinki prévoit à l'égard du droit à l'autodétermination?

M. André Tremblay: Monsieur le président, je dois vous dire que je n'ai pas écrit cela. Je n'ai jamais écrit quoi que ce soit de semblable. C'est un autre M. Tremblay qui doit en être l'auteur, probablement le professeur de l'Université Laval.

• 1445

M. Irwin Cotler: Ce sont vos propres mots, et j'ai en main un texte que je pourrais vous lire.

M. André Tremblay: Déposez-le parce que je ne me reconnais pas du tout dans ces citations. Alors, je ne peux pas les commenter.

M. Irwin Cotler: Je pourrais vous citer un extrait de la déclaration et vous pourriez me dire si vous êtes d'accord ou non.

    ...tous les peuples ont toujours le droit, en toute liberté, de déterminer, lorsqu'ils le désirent et comme ils le désirent, leur statut politique interne et externe, sans ingérence extérieure, et de poursuivre à leur gré leur développement politique, économique, social et culturel.

M. André Tremblay: Encore une fois, monsieur le président, pour les fins de la question, je suis prêt à m'imputer ce type d'affirmation. Si je l'ai écrite, je l'ai écrite en regard du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que je connais mieux. Je suis prêt à défendre l'idée que le peuple québécois se qualifie, au sens des instruments internationaux, pour déterminer librement son avenir collectif, constitutionnel, civil et politique.

Le président: Vos cinq minutes sont écoulées.

Madame Meredith, est-ce que vous avez une autre question?

[Traduction]

Mme Val Meredith: Oui, merci.

Monsieur Larose, je voudrais réagir à la réponse que vous avez donnée à ma première question. Je vous rappelle que le Québec semble être tout à fait prêt à accepter l'appui financier de l'Alberta et de la Colombie-Britannique—appui qu'il reçoit sous forme de paiements de péréquation—mais j'ai l'impression qu'à votre avis, la Colombie-Britannique et l'Alberta ne devraient pas être consultées sur quelque question que ce soit qui touche le Québec, et notamment cette question-ci. Ce qui ressort de vos remarques, c'est qu'à votre avis, les citoyens de la Colombie- Britannique et de l'Alberta ne devraient pas se préoccuper le moindrement de la population du Québec.

[Français]

M. Gérald Larose: Au contraire, ils devraient s'inquiéter. Ils doivent se mobiliser et participer à une rénovation en profondeur du fédéralisme, pour ceux qui y croient. La Colombie-Britannique et l'Alberta n'ont pas à venir s'ingérer dans le processus québécois. Je n'ai pas dit que ces provinces ne devaient pas s'y intéresser. J'ai dit que je reconnaissais qu'elles sont impliquées dans le cadre de la réorganisation du Canada. Elles en ont parfaitement le droit. On devrait aménager des voies pour que la diffusion puisse se faire et qu'on puisse tenir compte de préoccupations, compte tenu du fait qu'il y a effectivement un des trois peuples qui décide de faire sa vie autrement. Je ne nie pas le droit des Albertains ou des Britanno-Colombiens de s'intéresser à ces questions-là. Je ne le reconnais toutefois pas dans le cadre de la juridiction du Québec.

[Traduction]

Mme Val Meredith: Donc, en ce qui vous concerne, les autres provinces ne devraient pas s'intéresser le moindrement à la question des frontières, du partage du territoire, de la prise en charge d'une portion de la dette, et d'autres questions du même genre qui se poseraient à la suite de la décision d'une province—et pas juste le Québec—de faire sécession? Si la Colombie-Britannique décidait de quitter la fédération canadienne, toutes ces questions-là seraient sur la table, et malgré tout vous semblez croire qu'il n'est pas nécessaire que tous les partenaires de la Confédération participent au débat, n'est-ce pas?

[Français]

M. Gérald Larose: Je répète que la réorganisation du Canada appartient au Canada; que la Colombie-Britannique et l'Alberta sont des provinces, des entités administratives à l'intérieur de la fédération; que le Québec se considère comme un peuple dont l'unité administrative correspond à un État provincial; mais que le Québec est plus qu'une province; et que le Québec est un peuple qui a le droit de s'autodéterminer.

• 1450

Je ne suis pas sûr que c'est le même droit qui s'applique dans les autres provinces. Je pense que cela n'a jamais été revendiqué, en tout cas pas sur la base du caractère national des Britanno-Colombiens. Je n'ai jamais entendu cela. On ne m'a jamais parlé du peuple manitobain non plus. Je pense qu'il y a là une grande distinction. Si les gens veulent réaménager leur cadre administratif, ils peuvent le faire. Mais je ne pense pas que l'Assemblée nationale du Québec devrait venir interférer dans cette réorganisation.

Le président: Monsieur Proulx.

M. Marcel Proulx: Monsieur Larose, je suis un peu surpris de vous entendre dire que le premier ministre Chrétien n'a rien livré après 1995. Vous vous souviendrez que la Chambre avait adopté le projet de loi C-110 sur le droit de veto accordé aux régions. Je sais que le Bloc québécois avait voté contre son adoption, mais il ne faudrait pas exagérer comme vous le faites quand vous dites que rien n'a été livré.

Vous dites aussi, et cela me surprend aussi, que Stéphane Dion a toujours refusé de négocier. J'aimerais vous citer le ministre Dion, qui disait en janvier 1996:

    Si le Québec malheureusement votait avec une majorité ferme sur une question claire pour la sécession, j'estime que le reste du Canada a l'obligation morale de négocier le partage du territoire.

Monsieur Larose, je suis curieux d'une chose. À la CSN, quelle est la majorité requise pour la désaffiliation d'un syndicat?

M. Gérald Larose: Je vais d'abord vous donner les majorités nécessaires pour former un syndicat.

M. Marcel Proulx: Ce qui m'intéresse surtout, c'est la désaffiliation.

M. Gérald Larose: Pour se désaffilier, il faut d'abord s'affilier. À ce que je sache, le Québec ne s'est jamais affilié à la fédération. Il n'y a jamais eu d'assemblée générale et de référendum pour qu'on s'affilie à la fédération. Donc, au sens de la constitution de la CSN, il n'y a pas de désaffiliation.

Le processus est le suivant: est-ce le le Québec décide de se former un syndicat? Il est exactement dans la situation d'un grand syndicat canadien, parce que cela existe, auquel des membres québécois ont été intégrés par la force des choses. Si les Québécois décident de former leur propre syndicat, qu'est-ce qu'ils font? Eh bien, ils signent des cartes et, à partir de 35 p. 100 des cartes, il y a obligation de tenir un vote. Et s'il y a 50 p. 100 des voix plus une, il y a un syndicat québécois séparé du syndicat canadien ou souverain. Voilà comment les choses se passent.

J'ajoute, mon cher ami, qu'en Ontario, il y a même eu une commission des relations de travail qui a accrédité un syndicat qui avait voté à 38 p. 100, si mon souvenir est bon, pour la syndicalisation, compte tenu que le patron avait dépensé des centaines, sinon des milliers de dollars pour exercer une pression morale et physique afin d'empêcher les autres de s'exprimer librement.

Eh bien, je vous dirai que le comportement du fédéral, en 1980, en 1992 et en 1995, a été du même ordre. Si le Oui passait à 50 p. 100 plus un dans ces conditions-là, ce serait une immense majorité morale. Alors, on se désaffilie quand on s'affilie. Le problème, c'est qu'on n'est pas affiliés.

M. Marcel Proulx: Je vais revenir à ma question, monsieur le président. Pour un syndicat, quelle est la majorité requise pour se désaffilier de la CSN? Allons plus loin. N'est-elle pas de 50 p. 100 plus un des membres cotisants? Les membres cotisants sont l'équivalent des électeurs inscrits lors d'une élection; ce ne sont pas nécessairement les électeurs qui se sont prévalu de leur droit de vote, mais les électeurs inscrits.

M. Gérald Larose: La constitution d'un certain nombre de syndicats qui se sont affiliés et se sont dotés de statuts et règlements prévoit une règle qui peut varier: dans certains cas, c'est 60 p. 100; dans d'autres, c'est davantage. C'est afin de s'assurer que cela se fasse avec une majorité des électeurs, une majorité des membres. Mais cette règle est variable, à partir de 50 p. 100 plus un, puisque c'est dans la Constitution.

• 1455

Dans tous les cas, les membres peuvent quitter la CSN avec 50 p. 100 plus un, tantôt en changeant leur constitution, tantôt en répondant à la règle qu'ils se sont donnée.

Je répète que le problème du Québec n'est pas un problème de désaffiliation, mais bien un problème de création d'une entité autonome. Cela prend 50 p. 100 plus un.

M. Marcel Proulx: Monsieur Larose, quand vous parlez de 50 p. 100 plus un à l'intérieur de la vie du syndicat, parlez-vous de 50 p. 100 plus un des membres votants ou des membres inscrits?

M. Gérald Larose: Pour créer un syndicat, au Québec comme au Canada, il faut l'expression de 50 p. 100 plus un des personnes, et parmi ces 50 p. 100 plus un, il faut un autre 50 p. 100 plus un. Donc, avec 26 p. 100, les gens peuvent créer un syndicat.

M. Marcel Proulx: Monsieur le président, il ne répond pas à ma question. La question est simple.

M. Gérald Larose: C'est comme Stéphane Dion. Stéphane Dion voudrait qu'on réponde à une question qu'on ne pose pas.

Le président: À l'ordre.

M. Marcel Proulx: Monsieur le président, c'est une question simple qui porte sur la désaffiliation.

Des voix: Oh, oh!

Le président: À l'ordre, s'il vous plaît.

La parole est maintenant à M. Ménard.

M. Réal Ménard: Monsieur le président, je ne voudrais pas que M. Proulx se sente indisposé. Il est nouvellement élu et il faut qu'il se contrôle un peu; il a toute la vie devant lui.

Je vais continuer à propos des 50 p. 100 plus un. Cela a vraiment l'air de vous exciter.

Vous êtes des gens de terrain, des gens qui connaissez la réalité constitutionnelle, des gens qui connaissez le fonctionnement des grandes organisations. Clairement, parce que c'est ce qui préoccupe le comité, est-ce que la question d'une majorité claire exclut le 50 p. 100 plus un? C'est ma première question. Je vous pose la question.

M. Gérald Larose: Non, cela n'est pas exclu.

M. Marcel Proulx: Cinquante pour cent plus un de quoi?

Le président: À l'ordre.

M. Réal Ménard: Monsieur Proulx, voyons donc! Qu'est-ce que vous avez aujourd'hui?

M. Gérald Larose: Les gens se sont prononcés à 94 p. 100. Tous les grabataires sont sortis, tout le monde est allé voter et la participation a été de 94 p. 100. Quelqu'un l'a fait avec 4 millions de dollars et l'autre, avec au moins 38 millions de dollars. Puis-je vous dire que vous ne me gosserez pas longtemps les oreilles pour savoir si 50 p. 100 plus un, c'est suffisant?

M. Réal Ménard: Vous partagez assez ce point de vue, monsieur Tremblay?

M. André Tremblay: Je suis d'accord.

M. Réal Ménard: Bon. Le projet de loi qui est devant nous ne contient-il pas un paradoxe dans le fait que M. Dion dit que l'on reconnaît la prérogative de l'Assemblée nationale et de ses membres de rédiger la question, mais que l'on pourra la refuser si elle ne plaît pas? Est-ce que, sur le plan du droit constitutionnel, sur le plan des pratiques, cela ne s'apparente pas à quelque chose qui ressemble à une sorte de droit de veto?

M. André Tremblay: Monsieur le président, j'ai dit tout à l'heure qu'avant 1943, les autorités fédérales désavouaient souvent, couramment des lois provinciales parce qu'elles ne se conformaient pas au principe de ce qu'on appelait la juste législation. On croyait que ce type de supervision ou de tutelle fédérale était chose du passé. Avec ce projet de loi, on revient à des pratiques antérieures à 1943. On est en train de déterrer quelque chose qu'on pensait mort, heureusement, mais le fédéral revient à cette idée de supervision des opérations des provinces et de contrôle de l'Assemblée nationale.

Il est tout à fait inadmissible, tout à fait inadmissible que la Chambre des communes contrôle des opérations internes de l'Assemblée nationale et dise que ces opérations internes de l'Assemblée nationale ne lui conviennent pas pour des raisons...

M. Réal Ménard: C'est un précédent.

M. André Tremblay: Oui, c'est un précédent. On ne l'a jamais fait. Cela se faisait autrefois. Cela se faisait autrefois à propos de projets de loi qui avaient été sanctionnés par les provinces. Les projets de loi arrivaient à Ottawa, avant 1943, puis le fédéral pouvait les désavouer parce qu'ils n'étaient pas conformes au principe de la juste législation.

M. Réal Ménard: Donc, Jean Charest est le digne successeur de Robert Bourassa quand il dit non à ce projet de loi.

M. André Tremblay: Bien sûr.

M. Réal Ménard: Et c'est ce que vous auriez suggéré à M. Bourassa.

M. André Tremblay: Sans aucun doute.

M. Réal Ménard: Monsieur Larose, qui appuie le projet de loi C-20 au Québec? Quel est le consensus sur ce projet de loi au Québec? Comment l'évalue-t-on dans la classe politique et dans la population?

• 1500

M. Gérald Larose: Moi, je travaille avec la société civile. Les patrons se sont-ils exprimés en faveur du projet de loi C-2-? Je ne les ai même pas entendus. Habituellement, on n'est jamais d'accord. Je pense qu'ils ne se sont même pas exprimés là-dessus. J'essaie de voir s'il y a un seul groupe crédible au Québec qui appuie C-20. Je n'en vois pas.

M. Réal Ménard: Vous suivez l'actualité.

M. Gérald Larose: Ah, oui! Il y a la secte de Bill Johnson, largement financée d'ailleurs par les fonds du fédéral. C'est le seul groupe mystico-existentialiste qui appuie C-20.

M. Réal Ménard: Je n'ai plus de questions, monsieur le président.

Le président: Monsieur Mills, vous avez la parole.

[Traduction]

M. Dennis J. Mills (Broadview—Greenwood, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.

Monsieur Tremblay, je représente une circonscription du centre-ville de Toronto. Vous avez dit quelque chose tout à l'heure qui correspond parfaitement à l'attitude de la plupart de mes électeurs.

Je vous signale en passant qu'ils sont en faveur du projet de loi.

Vous avez dit, si je ne me trompe pas, qu'au lieu de nous intéresser à ce projet de loi, nous devrions nous efforcer de trouver de nouvelles possibilités de réconciliation. Peut-être pourriez-vous nous entretenir un peu de vos propres idées sur la question.

[Français]

M. André Tremblay: Moi, j'ai toujours été partisan de l'option fédérale du gouvernement et j'ai voté non au référendum de 1980 et au référendum de 1995. Monsieur Mills, j'ai voté une fois pour l'option péquiste, en 1995, parce qu'il n'y avait aucun plan de renouveau fédéral. Il n'y a aucune main tendue nulle part. Même à l'interne, au Québec, dans notre Parti libéral québécois, il n'y a pas de main tendue et il n'y a plus d'option pour le renouveau.

Nous, nationalistes qui ne voulons pas de l'indépendance, nous sommes devenus des sans-abri. Nous aimerions bien qu'un gouvernement quelconque fasse écho à notre voix, à notre demande de renouvellement de la fédération canadienne. On voudrait bien que, d'une certain façon, un gouvernement entende la voix de ceux qui veulent une réforme en profondeur du fédéralisme canadien.

Le message que je transmets ici, c'est le message négatif, hostile, du refus de ce plan B. Ce que nous recherchons, c'est le plan A, celui de la main tendue, de la réconciliation, de la discussion, de l'ouverture entre partenaires, pour que les peuples fondateurs du Canada puissent enfin trouver un terrain d'entente.

[Traduction]

M. Dennis Mills: Monsieur Tremblay, bon nombre d'entre nous fêtons aujourd'hui le 20e anniversaire du nouveau mandat qu'a reçu Pierre Elliott Trudeau, soit 74 sur 75 sièges.

Nous sommes d'ailleurs assez nombreux ici à croire que nous avons déjà accordé à la province du Québec de nombreux pouvoirs que d'autres provinces ne détiennent même pas. Pourriez-vous donc nous donner des détails à ce sujet? Quand vous dites que vous souhaitez renouveler le fédéralisme, que voulez-vous dire au juste? Pourriez- vous être plus précis?

[Français]

M. André Tremblay: Il n'est pas tout à fait exact de dire que le Québec a des pouvoirs que les autres n'ont pas. Il n'y a aucune asymétrie fédérale au Canada; toutes les provinces sont traitées sur la base du dogme incontournable de l'égalité absolue des provinces.

• 1505

Comme vous le savez, il y a eu, monsieur le président, des ententes administratives en matière d'immigration et en matière d'emploi, et ces ententes sont ouvertes et accessibles à toutes les autres provinces.

En ce qui concerne les pouvoirs que le Québec recherche, il s'agirait simplement, monsieur Mills, que je vous fasse parvenir le livre que le gouvernement du Québec a publié il y a deux ans, qui rappelle les revendications traditionnelles du Québec. Vous allez voir dans ce texte ce que les gouvernements précédents ont toujours réclamé. Ce serait trop long d'en faire la liste, monsieur le président, mais ils ont réclamé les instruments nécessaires au développement économique et social du Québec, notamment la souveraineté culturelle réclamée par M. Bourassa. Plus exactement, monsieur, nous serions très heureux que la Constitution de 1867 soit respectée intégralement et non pervertie chaque jour par l'exercice des pouvoirs unilatéraux du gouvernement fédéral.

Le partage des pouvoirs de 1867 peut convenir. Ce qui ne convient pas, c'est la perversion qui résulte de l'utilisation des instruments unilatéraux que vous connaissez, dont le pouvoir fédéral de dépenser.

[Traduction]

Le président: Je vous permets de poser une très brève question, monsieur Cotler, et ce sera tout.

M. Irwin Cotler: Ma question s'adresse à M. Tremblay.

Vous avez déclaré aujourd'hui—et je suis d'accord avec vous—que le droit international reconnaît le droit à l'autodétermination. Pour ma part, je serais même plus précis: le Québec a droit à l'autodétermination.

Mais comme l'affirmait la Cour suprême du Canada, ce droit à l'autodétermination n'englobe pas le droit de sécession, à moins qu'il s'agisse d'une population colonisée ou opprimée, et même M. Bouchard est d'accord avec la Cour suprême pour dire que tel n'est pas le cas.

Ma question sur le droit à l'autodétermination est donc la suivante: Si tous les peuples jouissent du droit à l'autodétermination—et comme vous l'avez dit vous-même, ce droit est prévu dans le Pacte international sur les droits civils et politiques, à la condition que j'ai précisée à l'instant—ne devriez-vous pas, par principe, rejeter la position adoptée par le premier ministre Bouchard, qui prétend que les peuples autochtones du Québec n'auraient pas le droit de choisir de rester sur leur territoire au Canada à la suite de l'indépendance du Québec? Le droit à l'autodétermination n'appartient-il pas tout autant aux peuples autochtones du Québec, si bien que ces derniers pourraient décider de continuer de faire partie de la fédération canadienne après un éventuel vote en faveur de la sécession?

[Français]

M. André Tremblay: Monsieur le président, je suis très à l'aise avec ma position antérieure sur la reconnaissance large du droit à l'autodétermination. Les restrictions qui peuvent apparaître à la première lecture du jugement de la Cour suprême ne sont pas déterminantes. Comme mon accueil est large envers les «autodéterminants»—et d'autres personnes autour de cette table partagent ce point de vue—, je crois qu'à l'égard des peuples autochtones, cet accueil doit être aussi large. C'est une question de principe pour moi: si l'autodétermination vaut pour le peuple du Québec, je crois que les nations autochtones, partout sur le territoire fédéral, peuvent certainement revendiquer le même droit. Je ne me suis pas concerté avec Gérald. Peut-être qu'il ne partage pas mon point de vue et qu'il voudrait ajouter quelque chose.

M. Gérald Larose: Je veux juste rappeler que...

M. Irwin Cotler: C'est une position de principe.

M. André Tremblay: Oui.

• 1510

M. Gérald Larose: Le mouvement souverainiste a toujours dit qu'il n'en ferait certainement pas moins que le reste du Canada à l'endroit des autochtones et, à mon avis, une réorganisation de l'ensemble canadien devrait aussi être l'occasion de faire en sorte que les autochtones de l'ensemble de ce pays puissent s'émanciper, et non pas vivre dans l'apartheid de la Loi sur les Indiens du Canada, comme ils le font depuis tant de temps.

Le président: Monsieur Tremblay et monsieur Larose, merci beaucoup pour votre comparution de cet après-midi. Nous avons été très heureux de vous recevoir.

La séance est levée jusqu'à lundi matin, 9 h 30.