FAIT Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON FOREIGN AFFAIRS AND INTERNATIONAL TRADE
COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 6 novembre 2001
Le président (M. Bill Graham (Toronto-Centre—Rosedale, Lib.)): Je déclare ouverte cette séance du comité. Le ministre ne peut rester avec nous que jusqu'à 17 h 30; j'aimerais donc qu'on commence immédiatement.
Monsieur le ministre, merci de votre présence. Nous avons remarqué que vous courrez beaucoup ces derniers temps, puisque vous avez couru le marathon de New York et que vous participez aussi à la course à obstacles de la politique au Moyen-Orient. Je ne sais ce qui vous semble plus facile, mais vous avez l'air en grande forme. Soyez le bienvenu devant le comité.
Pour la séance d'aujourd'hui, monsieur le ministre, nous avons séparé votre intervention en deux; à partir de 15 h 30—il est déjà 15 h 40, mais cela ne fait rien—jusqu'à 16 h 15, soit pendant environ 45 minutes, nous allons parler du projet de loi C-35, que le comité a étudié.
[Français]
Pour la deuxième partie, jusqu'à 17 h 30, nous allons vous demander de nous présenter votre aperçu sur la politique générale et surtout les résultats de votre voyage au Moyen-Orient.
Donc, encore une fois, soyez le bienvenu au comité.
[Traduction]
Je vous cède la parole et comme d'habitude, étant donné que le maillet est tombé, je vais demander aux caméras de quitter la salle. Merci beaucoup.
À vous, monsieur le ministre.
L'honorable John Manley (ministre des Affaires étrangères): Merci beaucoup, monsieur le président. Je devrais tenir le coup, à condition que vous ne me demandiez pas constamment de me lever et de m'asseoir ou de faire quoi que ce soit qui fasse appel aux jambes.
Le président: Vous avez dit que votre épreuve de dimanche était une des pires que vous ayez connue.
M. John Manley: J'espère qu'il en ira différemment de celle d'aujourd'hui devant le comité, mais on ne peut jamais rien dire d'avance. Une pire épreuve par semaine suffit largement.
[Français]
Monsieur le président, on va commencer par le projet de loi C-35, qui modifie la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales.
• 1540
J'aimerais tout d'abord saluer votre comité pour
l'excellent travail d'examen du projet de loi C-35
qu'il a déjà accompli. J'ai suivi les débats et les
auditions de témoins devant le comité. Cet
après-midi, je voudrais commenter les principales
modifications et répondre à des questions.
[Traduction]
Comme vous le savez, la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales constitue le fondement législatif des privilèges et immunités diplomatiques au Canada. Elle donne également au gouvernement la capacité de traiter, par décret, des privilèges et immunités, ainsi que du statut juridique des organisations internationales et des manifestations au sommet tenu sous les auspices du Canada.
Le sujet dont nous allons parler ici est dense et juridique, mais pour l'essentiel, la modification vise à permettre au Canada de mieux s'acquitter de son rôle de leader de l'actualité mondiale en collaboration avec ses partenaires essentiels comme les États-Unis, la Grande-Bretagne et d'autres. Les Canadiens comprennent, je suppose, qu'en tant que leader de la communauté internationale et membre d'organismes essentiels comme le G-8, il importe que le Canada continue de récolter les avantages économiques et politiques découlant de l'accueil d'importantes conférences internationales où des progrès sont réalisés sur les grandes questions qui importent aux Canadiens et à la communauté mondiale. Ce projet de loi va permettre au Canada de faire figure de chef de file aux tribunes internationales, de remplir ses obligations lorsqu'il accueillera sous peu le Sommet du G-8, et de continuer à présenter le Canada et particulièrement Montréal comme un emplacement de choix pour les sièges d'organisations gouvernementales internationales.
Il importe de se rappeler que la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques, la Convention de Vienne sur les relations consulaires et la Convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies sont fondamentales pour la conduite des relations étrangères et garantissent que les diplomates peuvent s'acquitter de leurs fonctions sans menaces d'influence par le gouvernement hôte. Le but des privilèges et des immunités n'est pas d'accorder des avantages à des particuliers, mais plutôt d'assurer l'accomplissement efficace des fonctions des missions diplomatiques.
Le projet de loi C-35 vise principalement la partie de la loi qui traite du statut juridique des organisations internationales et de leurs réunions au Canada. Il garantit que le Canada peut traiter une organisation ou une conférence internationale qui n'est pas créée par un traité, comme le Sommet du G-8 ou l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, de la même façon que nous traitons une conférence de ce type d'un organisme créé par un traité, comme les Nations Unies.
[Français]
Madame la présidente, la présente proposition donne suite à une recommandation du Comité mixte permanent sur l'examen de la réglementation d'amender la définition d'«organisation internationale» de manière à intégrer dans son champ d'application les organisations internationales gouvernementales qui ne sont pas fondées sur des traités.
Toutefois, permettez-moi de préciser que le présent projet de loi n'élargit pas le degré des privilèges et immunités que la loi accorde aux représentants d'États étrangers auprès d'organisations internationales ou à des conférences de ces organisations au Canada.
[Traduction]
Ce n'est ni l'intention ni l'effet du projet de loi. Dans cet ordre d'idées, je voudrais rappeler à mes collègues qu'à la suite du tragique accident qui a entraîné la mort de Mme Catherine MacLean et causé des blessures à Mme Catherine Doré, mon ministère a adopté un régime strict et nouveau concernant la petite minorité de diplomates étrangers qui pourraient être tentés d'abuser de ces dispositions pour contourner la loi.
Madame la présidente, je voudrais également indiquer que d'autres partenaires essentiels du Canada, comme le Royaume-Uni et les États-Unis, ont dans leurs lois des dispositions visant à accorder des privilèges et immunités à des organisations non fondées sur un traité, lesquelles dispositions ressemblent à celles que nous proposons dans ce projet de loi.
Cette nouvelle mesure législative contribue à l'objectif plus large d'établir le Canada comme un pays hôte attrayant pour les bureaux des organisations internationales, ce qui procure des avantages considérables à notre économie. Une étude réalisée en 1998 pour Montréal International par le groupe Secor évalue à 184 millions de dollars le produit économique net pour 1997 des sièges d'organisations internationales à Montréal.
• 1545
Madame la présidente, je voudrais dire un mot de la
disposition de ce projet de loi qui précise qu'un décret visant une
organisation ou une conférence internationale dispense d'émettre un
permis ministériel pour admettre au Canada des personnes qui
entrent dans les catégories non admissibles en vertu de la Loi sur
l'immigration.
[Français]
Je donne au comité l'assurance que les organisations et conférences internationales seront assujetties aux procédures de sélection très rigoureuses qui sont déjà en place et que les consultations habituelles entre le ministère des Affaires étrangères, Citoyenneté et Immigration, le SCRS et la GRC ne seront pas court-circuitées. Les décrets visant les organisations internationales et leurs conférences prévoient l'immunité des restrictions relatives à l'immigration, et non des formalités d'immigration.
[Traduction]
Madame la présidente, la modification relative à la codification des pouvoirs conférés à la police pour assurer la sécurité et la protection requises au bon déroulement des manifestations internationales a également soulevé certaines préoccupations. Je peux assurer au comité que le projet de loi ne fait que préciser les pouvoirs que la police peut déjà exercer en vertu de la common law. Certains ont affirmé que le terme «approprié» qui figure dans le projet de loi est vague. Permettez-moi de préciser que les mesures appropriées sont celles qui sont raisonnables et nécessaires dans les circonstances. Plusieurs jugements de la Cour suprême du Canada l'ont confirmé. J'ajoute que la proposition sur les pouvoirs de la police ne vise nullement à faire obstacle aux protestations pacifiques et légitimes, qui doivent toujours constituer un droit fondamental dans une société libre et démocratique. Le projet de loi propose un point de référence au public, à savoir la GRC.
En juin 2002, le Canada accueillera le Sommet du G-8 à Kananaskis, en Alberta. Dans la préparation de cet événement, nous devrons prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les dirigeants qui y participeront et pour faire en sorte que cette réunion se déroule dans de bonnes conditions de sécurité. Compte tenu des événements récents de Gênes, où les mesures de sécurité préventives n'ont pas empêché des morts tragiques, et dans le contexte des attentats terroristes du 11 septembre aux États-Unis, nous avons l'obligation, en tant que protagonistes à l'échelle mondiale, de veiller à ce que le Canada puisse accueillir avec succès ces importantes manifestations internationales.
Madame la présidente, je demande instamment au comité de ne pas perdre de vue les objectifs du présent projet de loi. Il a été proposé afin que le Canada puisse accueillir avec succès d'importantes conférences internationales comme le sommet prochain du G-8.
[Français]
Il assurera que nous serons en mesure d'amener nos hôtes internationaux ici de manière à ce qu'ils puissent apporter une contribution à ces réunions tout en ayant l'assurance de leur sécurité au Canada, comme nous nous attendons à la même chose lorsque nous assistons à des réunions à l'étranger.
[Traduction]
Enfin, le projet de loi C-35 permet au Canada de respecter ses obligations internationales et de faire avancer les objectifs de la politique étrangère canadienne sans compromettre la sécurité et la protection des Canadiens.
Je vous remercie. Je serai heureux de répondre à vos questions. À ce propos, le directeur des Services juridiques des Affaires étrangères, John Holmes, est ici pour m'aider à répondre aux questions juridiques les plus pointues.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine (Etobicoke—Lakeshore, Lib.)): Merci, monsieur le ministre; je souhaite la bienvenue aux fonctionnaires qui vous accompagnent.
Ce matin, nous avons convenu officieusement de faire des tours de cinq minutes pour ne pas dépasser le temps qui nous est accordé. Nous n'avons que 45 minutes avant la deuxième phase de cette séance. Nous allons donc commencer par M. Pallister.
M. Brian Pallister (Portage—Lisgar, Alliance canadienne): Merci, madame la présidente et monsieur le ministre. J'ai beaucoup moins de temps pour poser mes questions que vous n'en avez eu pour courir le marathon dimanche dernier, monsieur le ministre, et je vais donc essayer de m'en tenir à l'essentiel dans mes questions.
Nous avons appris qu'il y a eu 76 cas d'allégations d'activités criminelles—évidemment, ces activités n'ont pas forcément été prouvées, à cause des dispositions sur l'immunité—76 cas, donc, au cours des cinq dernières années, mettant en cause des diplomates, des membres de leurs familles, du personnel diplomatique, etc.; et surtout, ce sont des Canadiens qui ont été victimes des activités criminelles de ces personnages qui échappent à la loi. Votre gouvernement accorde déjà l'immunité diplomatique de façon plus généreuse que ne l'exige la Convention de Vienne, par exemple, en donnant l'immunité à des agents diplomatiques auxquels nos alliés ne l'accordent pas, et votre projet de loi envisage de mettre au-dessus de la loi des centaines, sinon des milliers d'agents diplomatiques et de visiteurs étrangers qui viennent assister à des congrès. Parmi eux peuvent figurer des personnes liées directement à des organisations terroristes. Cela me semble totalement incompatible avec les exigences de sécurité qui devraient vous préoccuper et qui préoccupent tous les Canadiens. Je vous pose donc directement la question suivante: ce projet de loi a-t-il été rédigé sans tenir compte du 11 septembre? Oui ou non?
M. John Manley: Non.
M. Brian Pallister: A-t-il été rédigé en tenant compte du 11 septembre?
M. John Manley: Revenons un peu en arrière, monsieur Pallister. Dans ce projet de loi, nous reconnaissons tout d'abord que l'immunité diplomatique est par définition le principe réciproque qui nous permet d'assumer nos fonctions à l'étranger. Le Canada l'accorde et il en profite également. Évidemment, nous avons toute confiance en notre appareil judiciaire et en la primauté du droit au Canada. Malheureusement, nos représentants à l'étranger ne sont pas tous dans des pays où l'on peut miser sur la primauté du droit et sur des garanties de procédure.
M. Brian Pallister: Je ne voudrais pas vous interrompre, mais vous savez que j'ai peu de temps. Je ne conteste pas l'immunité diplomatique, je demande si dans l'élaboration de ce projet de loi, on a tenu compte des événements du 11 septembre. Je demande une réponse précise. Je crois que le ministre m'en a donné une, il a dit qu'effectivement, on avait tenu compte du 11 septembre, et j'accepte cette réponse.
Il y a 10 mois, lorsqu'un diplomate russe ivre a tué Catherine MacLean avec sa voiture, la justice canadienne n'a pas pu intervenir. La justice canadienne ne signifiait rien pour ce diplomate, qui n'y était pas assujetti, et vous vous êtes demandé pourquoi il avait l'immunité diplomatique, puisque vous dites que les responsabilités de sa charge n'étaient pas évidentes dans le comportement qu'il a eu ce matin-là, et je partage vos préoccupations. Or, votre projet de loi envisage d'étendre cette immunité à toute une catégorie supplémentaire de personnes qui seront ainsi au-dessus de la loi. Il vous permet de leur accorder une carte de non-incarcération, même s'ils violent, s'ils attaquent ou s'ils assassinent. Au moment où votre gouvernement prive les Canadiens de certains droits au nom de la sécurité, je trouve incompréhensible que ce projet de loi confère des droits supplémentaires à des gens qui n'ont pas à respecter la législation canadienne.
À l'époque de cet accident, vous vous êtes engagé à étudier le problème, mais rien n'indique que vous l'ayez étudié. Vous vous êtes engagé à présenter sur le site du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international des rapports sur les abus de l'immunité diplomatique. Il devait s'agir de rapports trimestriels, et nous n'en avons vu aucun. Actuellement, les ressources du SCRS, de l'Immigration et de la GRC sont surexploitées, comme vous le savez. Ce projet de loi va aggraver les carences en matière de sécurité.
J'en viens à ma question.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Voulez-vous répondre?
M. Brian Pallister: J'aimerais une réponse. Il me semble, monsieur le ministre, que ce projet de loi a été rédigé par quelqu'un qui n'a nullement tenu compte du sort de Catherine MacLean, de sa famille et des centaines d'autres victimes canadiennes.
John Manley: Il est presque impossible de réduire cette problématique à une question.
M. Brian Pallister: Puis-je poser ma question?
M. John Manley: Commençons par quelques éléments de base. Ce projet de loi n'a nullement pour effet...
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Vous avez moins d'une demi-minute...
M. Brian Pallister: Dans ce cas, je demande au ministre...
M. John Manley: Madame la présidente, je suis patient, mais on nous dit que le projet de loi prive les Canadiens de certains droits. La Charte canadienne des droits et libertés n'a été abrogée par aucun projet de loi présenté par notre gouvernement. On nous dit que nous autorisons les diplomates étrangers à enfreindre la loi, en sous-entendant, en quelque sorte, que des diplomates étrangers, comme le dit M. Pallister, commettent quotidiennement des viols ou des vols...
M. Brian Pallister: Il y a eu 76 cas au cours des cinq dernières années.
M. John Manley: ...ou d'autres crimes. C'est totalement ridicule. Moins de 1 p. 100 des diplomates étrangers commettent des crimes.
M. Brian Pallister: Pas du tout.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Votre temps est écoulé.
M. John Manley: Madame la présidente, je suis patient, mais j'aimerais que vous m'accordiez quelques secondes pour répondre à ces affirmations outrancières. Nous avons non seulement des obligations en tant que membre du G-8, mais nous en avons aussi en tant que membre de la communauté internationale. L'immunité diplomatique joue un rôle essentiel de ce point de vue, comme j'essayais de l'expliquer tout à l'heure.
• 1555
Oui, je pense que nous tous, vu ce qu'il est arrivé à
Catherine MacLean... Je rappelle à M. Pallister que c'est arrivé
tout près de chez moi. Il peut bien pontifier et détourner cet
événement à des fins politiques si ça l'amuse. Quand nous examinons
ce qui s'est produit en janvier et pensons aux ramifications de cet
événement à l'égard de la politique étrangère du Canada, je dois
conclure ceci. La Convention de Vienne existe pour de bonnes
raisons, et les diplomates canadiens en bénéficient. Quand la
Grande-Bretagne est passée par là il y a quelques années après
qu'un agent de police britannique eut été abattu à l'extérieur de
l'ambassade de la Libye, on a conclu que même si cela pouvait
paraître une application inusitée de l'immunité diplomatique, la
Convention de Vienne s'appliquait et la Grande-Bretagne n'avait pas
intérêt à tenter de quelque manière de modifier en conséquence la
Convention de Vienne.
Dans l'affaire Knyazev, nous avons formulé une politique très complète et claire, qui est maintenant en vigueur. Cela dit, le gouvernement de la Russie m'a fait savoir qu'il applique maintenant l'équivalent de cette politique à ses diplomates à l'étranger. Autrement dit, tout diplomate russe impliqué dans un incident de conduite en état d'ébriété sera automatiquement rappelé où qu'il se trouve dans le monde.
Je pense qu'étant donné les circonstances dans lesquelles nous nous trouvons... J'aimerais qu'on puisse revenir dans le temps et empêcher ce qui s'est produit, mais nous ne le pouvons pas. Les mesures nécessaires sont maintenant prises, mais ce qui est fait est fait. Pour ce qui est de Catherine MacLean, c'est une perte terrible. Pour ce qui est de Catherine Doré, elle ne s'en remettra peut-être jamais totalement sur le plan physique. Mais demander à la communauté internationale de changer la Convention de Vienne ne va pas régler la question. Par ailleurs, nous devons faire plus, quoique de façon très modeste, dois-je ajouter, pour tenir compte des besoins des organisations internationales qui ne sont pas créées par voie de traité, et c'est aussi simple que cela.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci, monsieur Manley.
Nous allons maintenant entendre Mme Lalonde.
[Français]
Mme Francine Lalonde (Mercier, BQ): Bonjour, monsieur le ministre.
M. John Manley: Bonjour, madame.
Mme Francine Lalonde: Je vous souhaite à nouveau la bienvenue. Est-ce qu'on doit dire: heureux qui, comme le ministre Manley, a fait un bon voyage? On s'entendra tout à l'heure.
Monsieur le ministre, nous avons voté pour ce projet de loi en deuxième lecture en nous posant plusieurs questions. Nous avons eu plusieurs réponses, mais il reste une chose pour laquelle nos craintes sont devenues beaucoup plus précises, en particulier à cause des témoignages que nous avons entendus. Je parle de l'article 5 du projet de loi, où on propose trois dispositions qui augmentent les pouvoirs de la GRC.
Les témoignages que nous avons eus, en particulier de deux professeurs de droit ce matin, qui, je pense, ne se connaissaient pas et avaient été invités par des membres du comité différents, sont concluants. Ces trois dispositions ne devraient pas être dans ce projet de loi. Il s'agit des paragraphes 10.1(1), (2) et (3) proposés, qui portent sur les pouvoirs de la GRC. Ces trois paragraphes ne devraient pas être là. Ou bien ils ne sont pas nécessaires, nous a-t-on dit, ou bien ils sont très incomplets.
Voici ma question. Confirmez-vous ce qui a été affirmé plusieurs fois ici par des membres du Parti libéral, à savoir que ce projet de loi n'est pas nécessaire pour la tenue du G-8, eu égard à l'article 5? Eu égard au reste, c'est autre chose. Si tel est le cas, si on n'a pas besoin de ces trois paragraphes pour la sécurité, pourquoi les mettre là alors que, de l'avis des deux avocats qui sont venus témoigner devant nous, ils sont incomplets et sortent du contexte de la Loi sur la GRC des pouvoirs qui, de toute façon, n'étaient pas prévus, notamment le pouvoir d'affirmer le droit du périmètre, mais sans autres conditions? Ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés prévus par la Charte canadienne et, dans le cas du Québec, par la Charte québécoise.
• 1600
D'après les témoignages, si ces dispositions
doivent être inscrites quelque part, elles doivent l'être
dans la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada,
où elles seraient dans un environnement
qui les complète et les explique, au lieu
d'être les trois seules dispositions sur la GRC
dans ce projet de loi et de pouvoir être
interprétées comme donnant davantage de pouvoirs à la
GRC.
La question fondamentale est vraiment de savoir si elles sont nécessaires. Tous ceux qui nous ont répondu à ce sujet nous ont dit qu'elles n'étaient pas nécessaires. Si elles ne sont pas nécessaires, il serait vraiment préférable de les inscrire dans un autre contexte, d'après tout ce que nous savons, ce qui permettrait de faire en sorte que la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales soit toute d'une venue. Cette loi va comporter quelque 120 pages et seulement trois petites dispositions sur les pouvoirs de la GRC, avec toutes les faiblesses que cela comporte.
M. John Manley: Je pense qu'à chaque fois qu'on fait une codification du droit commun, il est possible de dire que ce n'est pas tout à fait nécessaire, mais on peut aussi dire qu'une codification du droit ajoute une clarté qui vient de propositions écrites qu'on peut maintenant définir dans le contexte d'un projet de loi. Peut-être n'est-ce pas nécessaire si on accepte que ce qui existe en droit commun est suffisant, mais la codification peut toujours ajouter de la clarté.
En ce qui concerne le projet de loi, je crois que la question de savoir si les dispositions dont vous parlez devraient être mises dans ce projet de loi ou dans la Loi sur la GRC n'est pas vraiment une question politique, mais plutôt une question de législation. Je dirais que c'est approprié parce qu'on a prévu qu'il était nécessaire, dans le contexte des réunions internationales, de clarifier le rôle de la police.
Mme Francine Lalonde: Si vous me le permettez, je vais vous donner un exemple. On n'a pas beaucoup de temps, mais j'aimerais que vous lisiez au complet les témoignages qu'on a entendus ce matin.
On dit au paragraphe (3) proposé:
-
(3) Il est entendu que le paragraphe (2) est sans effet sur les
pouvoirs que les agents de la paix possèdent en vertu
de la common law ou de toute autre loi ou tout autre
règlement fédéral ou provincial.
Or, on a bien établi devant nous, d'une part, que les agents de la paix sont en ce moment bien mal placés pour savoir quels sont leurs pouvoirs et leurs devoirs en vertu de la common law. Ils n'ont ni le temps ni les ressources pour faire ça. Dans le libellé des paragraphes (1) et (2) proposés, il est clair que ces deux dispositions vont indiquer que la GRC a toute priorité. Il n'y a aucune mesure de négociation obligatoire. Il n'y a aucune condition de l'exercice du contrôle du périmètre. On parle de «modalités raisonnables», mais les avocats qui ont témoigné devant nous ont dit que... [Note de la rédaction: difficultés techniques] ...direction, la GRC serait dans une situation difficile en cas de contestation, même juste pour exercer ces pouvoirs, parce que, ce faisant, elle enfreint le droit de se déplacer librement, le droit de manifester, le droit de se réunir et même le droit de propriété, parce que le périmètre peut chasser de chez eux des propriétaires de commerces, des personnes, etc.
Il y a juste ces trois dispositions bêtes, si vous me permettez de dire ça. Et ça ne vient pas de moi, monsieur Manley. J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les témoignages de ce matin et je vais vous dire qu'à cause de ça, je ne serai pas capable de voter en faveur de ce projet de loi.
M. John Manley: Je n'ai pas encore eu la possibilité de lire et d'étudier les témoignages de ce matin.
D'abord, et M. Kennedy pourra peut-être ajouter quelques mots à ce sujet, je ne crois pas qu'on puisse dire que la GRC a le rôle principal. Ce n'est pas uniquement le rôle de la GRC. C'est un rôle qui doit être joué par tous les policiers et qui doit être coordonné entre les niveaux de police.
Monsieur Kennedy.
M. Paul Kennedy (sous-solliciteur général adjoint principal, Police et sécurité, ministère du Solliciteur général du Canada): Il me semble qu'on a déjà évoqué cette préoccupation. Comme le ministre, je n'ai pas eu l'occasion de lire les mémoires ce matin, mais réflexion faite, je me demande s'il ne vaudrait pas la peine d'envisager d'adopter une formulation semblable à celle qu'on trouve à l'article 6 de la Loi sur les infractions en matière de sécurité. Dans cette loi—je pense d'ailleurs en avoir remis une copie au comité après ma dernière comparution—, aux termes de laquelle la GRC a ce pouvoir de faciliter l'exercice de ces fonctions, ils auraient l'occasion de conclure, au besoin, des ententes avec les autorités municipales et provinciales pour faciliter l'exercice de cette fonction. Un passage traite de la Loi sur les infractions en matière de sécurité, et nous avons à la grandeur du pays diverses ententes avec nos homologues provinciaux. C'est quelque chose que vous pourriez peut-être envisager.
La disposition exacte de la loi est formulée comme suit:
-
Afin de faciliter la consultation et la coopération dans le cadre
de l'exécution de la responsabilité que le paragraphe (1) attribue
à la Gendarmerie royale du Canada, le solliciteur général du Canada
peut, avec la collaboration du gouverneur en conseil, conclure des
ententes avec le gouvernement d'une province sur les
responsabilités des membres de la Gendarmerie royale du Canada et
celles des membres des polices provinciales et municipales quant à
l'exercice des fonctions attribuées aux agents de la paix à l'égard
des infractions visées à l'article 2 [...]
Ici nous pourrions parler des fonctions qui sont énumérées.
Nous vous le soumettons pour que vous y réfléchissiez. Je ne sais pas si cela pourra vous aider.
La vice-présidente (Mme Jean Augustine): Merci.
La parole est maintenant à Mme Jennings.
Mme Marlene Jennings (Notre-Dame-de-Grâce—Lachine, Lib.): Je vais tâcher d'être brève. Merci, madame la présidente.
Merci beaucoup pour votre présentation, monsieur Manley. Je suis heureuse de vous revoir, messieurs Kennedy et McCallum. Je suis impatiente d'entendre ce que vous avez à nous dire.
Je ne suis pas contre la codification du pouvoir de la police ni l'utilisation de la common law, des précédents qui ont été établis en common law, de la jurisprudence et ainsi de suite, qui ont permis de définir quels sont les pouvoirs de la police et quelle est sa responsabilité première et son devoir. Cela ne me pose aucune difficulté, mais j'ai deux questions.
D'abord, je me demande si c'est bien dans cette loi qu'il y a lieu de le faire. Deuxièmement, à propos justement de ce que M. Kennedy vient tout juste de mentionner, à savoir qu'aux termes d'autres lois, comme la Loi sur les infractions en matière de sécurité, on traite de la responsabilité première de la GRC qui consiste à assurer la sécurité de certaines personnes alitées, le solliciteur général a le pouvoir de conclure, par décret, certaines ententes avec d'autres forces policières, parce qu'on prévoit la possibilité et même la nécessité dans certains cas de faire appel à d'autres forces policières pour assurer l'exercice de ce pouvoir. J'aimerais donc entendre ce que le ministre, et peut-être vous aussi, monsieur Kennedy, et vous, monsieur McCallum, avez à nous dire sur cette question précise, à savoir si c'est bien dans cette loi qu'il y a lieu de codifier des attributions et des pouvoirs de la police.
Auparavant, j'aimerais faire une très courte observation. Je ne suis pas d'accord pour dire que nos forces policières n'ont pas les outils ni les ressources voulus pour savoir précisément quels sont leurs pouvoirs en common law. Je pense qu'on a largement montré que la police comprend bel et bien quel est son pouvoir et qu'en fait elle l'exerce dans les limites de la loi et dans le respect de la Charte des droits et libertés, qui est une codification de nos droits. Je ne suis donc pas d'accord avec ma collègue Mme Lalonde, qui semble penser que nos agents de police n'ont pas les renseignements nécessaires pour bien remplir leurs fonctions. Je pense qu'ils les ont.
Mme Francine Lalonde: Je n'ai pas dit ça.
Mme Marlene Jennings: Ah, oui.
[Traduction]
M. John Manley: Bien que j'adore jouer l'avocat, je ne vais pas me lancer dans une longue discussion sur la question de savoir si c'est la loi qui convient ou non. Sur le plan stratégique, ce que nous essayons de faire ici, c'est de clarifier des choses quant à la responsabilité qu'a la GRC dans le cadre des conférences internationales. C'est quelque chose qui m'apparaît souhaitable, du fait que l'on clarifie ainsi certaines questions quant au pouvoir approprié et quant à la façon dont il faut le structurer. Nous nous attendons, évidemment, que dans le cadre de l'une ou l'autre de ces réunions, comme le laisse entendre le titre de l'article 5 du projet de loi, la GRC prenne les mesures nécessaires pour s'assurer d'une coordination appropriée avec les forces policières locales ou provinciales.
Pour ce qui est de savoir dans quelle loi il faudrait l'insérer, il semble logique d'en traiter là où il est question de l'immunité diplomatique des participants à ces conférences. Par ailleurs, je pense que c'est quelque chose qui n'est vraiment pas de mon ressort. Ce n'est pas vraiment une question de politique, c'est une question de rédaction législative, comme je l'ai dit à Mme Lalonde. Peut-être que M. Kennedy a quelque chose à ajouter à ce sujet.
M. Paul Kennedy: Vous avez tout à fait raison. La réalité, c'est qu'il n'y a pas vraiment de loi maîtresse, comme la Loi sur la GRC, où sont définis tous ces pouvoirs. Par exemple, il y a des pouvoirs dans la Loi sur le contrôle des armes à feu, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, la Loi sur le programme de protection des témoins, la Loi sur les jeunes contrevenants, la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, la Loi sur les douanes et l'accise et enfin la Loi sur les infractions en matière de sécurité. On y fait référence aux pouvoirs que peut exercer soit le commissaire de la GRC ou la GRC.
Alors, je le répète, on pourrait en traiter dans diverses lois, et l'une d'elles pourrait bien sûr être la Loi sur la GRC, et c'est la loi qui la régit. La Convention de Vienne est celle qui oblige clairement l'État à assurer non seulement l'immunité mais aussi une protection positive pour assurer leur bien-être physique. Pour cette raison, ces pouvoirs sont définis là. C'est la loi qui régit ces événements. C'en est le fondement.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Nystrom, vous avez la parole.
M. Lorne Nystrom (Regina—Qu'Appelle, NPD): Soyez le bienvenu, monsieur le ministre. Je remplace aujourd'hui mon collègue Svend Robinson. La dernière fois où j'étais à un comité avec le ministre, c'était avant 1993; nous étions tous deux membres du Comité des finances à l'époque.
J'aimerais vous poser deux ou trois très courtes questions. Premièrement, avez-vous du nouveau en ce qui concerne l'enquête en Russie, la poursuite dont pourrait faire l'objet la personne qui était en état d'ébriété quand elle a happé Catherine MacLean?
M. John Manley: Conformément à la loi russe, les enquêteurs sont revenus au Canada pour présenter les résultats de leur enquête aux familles des victimes. Cette étape est nécessaire afin que les familles des victimes et, dans le cas de Catherine Doré, la victime même aient l'occasion d'examiner le dossier et de faire des observations à ce sujet avant qu'on entame des poursuites. Je ne peux prévoir rien d'autre en ce qui concerne la poursuite même. Nous avons beaucoup insisté dans nos discussions bilatérales avec les autorités russes pour qu'on comprenne que nous considérons que c'est très important. Toutefois, bien sûr, c'est du ressort de leur homologue du procureur général plutôt que de leur ministre des Affaires étrangères.
M. Lorne Nystrom: Avez-vous l'impression que les choses se déroulent assez rapidement compte tenu du contexte juridique en Russie?
M. John Manley: Je crois qu'ils ont mené l'enquête sans tarder indûment. Cependant, je ne serai pas entièrement satisfait tant que l'affaire n'aura pas été présentée aux tribunaux et qu'une condamnation n'aura pas été prononcée. Comme je l'ai dit à mon homologue M. Ivanov la dernière fois que l'ai vu, je préférerais encore qu'on lève l'immunité diplomatique et qu'on permette que M. Knyazev soit jugé au Canada.
M. Lorne Nystrom: Ma seconde question a trait aux pouvoirs contenus dans le projet de loi que nous examinons aujourd'hui, au rôle et aux pouvoirs de la GRC. Ma question concerne la conférence qui aura lieu à Kananaskis. Quel pouvoir additionnel, à votre avis, confère-t-on ainsi à la GRC, et quels types d'activités pourra-t-elle entreprendre à Kananaskis qu'elle n'aurait pu mener autrement?
M. John Manley: À ce que je sache, on n'accorde aucun pouvoir additionnel, c'est simplement une codification du droit existant, et la GRC ne peut faire rien de plus que ce qu'elle pouvait déjà faire. Je suppose que le comité a déjà entendu des témoignages intéressants ce matin. Je suis impatient d'en prendre connaissance.
M. Lorne Nystrom: À l'article 5 du projet de loi, on énumère les attributions qu'on ajoute: sous la rubrique «Pouvoirs de la GRC», au paragraphe 10.1(2), on peut lire:
-
[...] peut prendre les mesures qui s'imposent, notamment en
contrôlant, en limitant ou en interdisant l'accès à une zone dans
la mesure et selon les modalités raisonnables dans les
circonstances.
Cet énoncé est très explicite dans le projet de loi, ce qui n'était pas le cas auparavant. Il me semble qu'il doit bien y avoir une raison pour inclure cela dans la loi. Contrairement à vous, monsieur le ministre, je ne suis pas avocat mais si on a senti le besoin de le préciser dans la loi, il doit bien y avoir une raison, autre que le simple désir de présenter une subtilité de façon poétique et éloquente.
M. John Manley: Je n'ai pas payé mes primes d'assurance erreurs et omissions depuis des années et j'hésite donc moi aussi à me décrire comme un avocat. Comme je vous l'ai déjà dit, je pense que le but de la codification c'est la clarification. Ainsi, plutôt que de s'en tenir simplement à la common law, on dispose d'un fondement législatif pour les mesures que peut prendre la police. Je ne pense pas qu'on y trouve là le moindre pouvoir que n'avait pas déjà la police pour d'autres rencontres internationales. Bien sûr, s'il y a un passage quelconque qui inquiète le comité, j'aimerais le savoir et je voudrais pouvoir en tenir compte avant qu'on mette aux voix le texte final du projet de loi.
M. Lorne Nystrom: Avec la prochaine conférence à Kananaskis, les Canadiens aimeraient évidemment beaucoup savoir à quoi s'en tenir. Ils veulent savoir si nous changeons vraiment la loi.
Il semblerait qu'avec ce projet de loi, un diplomate étranger recherché pour infraction criminelle, même grave, puisse assister à une conférence dans notre pays, à moins qu'il s'agisse d'un crime contre l'humanité. Pourriez-vous nous préciser un peu de quels genres d'infractions criminelles une telle personne pourrait être accusée dans un autre pays, sans l'empêcher de jouir de l'immunité pour assister à une conférence dans notre pays. Où se font les distinctions? Quelle infraction criminelle serait jugée assez grave pour que l'on ne puisse bénéficier de l'immunité pour assister à une conférence ici?
M. John Manley: Vous comprenez que c'est un peu délicat. Si l'on n'a pas la possibilité de faire des exceptions pour des gens qui peuvent avoir un casier judiciaire, des gens comme Nelson Mandela, par exemple, ceux-ci pourraient ne pas être autorisés à assister à ces conférences au Canada. On peut penser à des tas d'exemples. Par contre, pour certains types de crimes, nous essayons en fait de nous en tenir au système de filtrage que nous avons pour déterminer le genre d'infractions en question. D'autre part, puisque le Canada défend le Traité de Rome et que nous avons une Cour pénale internationale, si celle-ci émet un mandat d'arrestation contre quelqu'un, nous n'accorderions pas l'immunité à cette personne. La définition de crime contre l'humanité figure de façon détaillée dans le traité.
Le président: Chers collègues, il y a deux personnes à ma liste, M. Casey et M. Patry. Il nous reste six minutes avant de passer à la seconde séance. Je sais que nous voulons tous entendre le ministre nous parler de son voyage. Monsieur Casey, j'aimerais également donner la parole à M. Patry et je vous demanderais donc d'être bref.
M. Bill Casey (Cumberland—Colchester, PC/RD): Merci beaucoup.
Je vous ai vu l'autre soir à la télévision dans les Maritimes et nous étions tous très fiers.
Il y a un mois, le sous-ministre était ici et nous avons parlé des niveaux d'emploi et de ceux qui vont nous permettre de mettre en oeuvre la loi dont nous discutons aujourd'hui. Il a déclaré qu'il ne faisait aucun doute que nous perdions des gens excellents parce que nous ne les rémunérons pas assez bien. Je lui ai demandé s'il avait le budget voulu pour remplacer ceux qui s'en allaient et il m'a déclaré que pour le moment il ne l'avait pas.
• 1620
Depuis lors, j'ai eu l'occasion de visiter trois de nos
ambassades et j'ai l'impression que le sentiment général est qu'il
est très urgent de faire quelque chose à ce sujet. Quand on pense
que ce sont peut-être les gens dont nous avons le plus besoin dans
les circonstances actuelles, il faut absolument faire quelque
chose. Qu'en dites-vous et qu'entendez-vous faire pour combler ces
600 postes vacants?
M. John Manley: Tout d'abord, comme je vous l'ai déjà dit à d'autres occasions, je partage beaucoup de vos préoccupations, surtout pour ce qui est de la catégorie du service extérieur et de l'échelle de salaire. Je suis ennuyé que nous perdions du monde. D'après l'enquête que nous avons fait faire et dont vous avez certainement entendu parler, jusqu'à 25 p. 100 de nos employés envisagent de quitter le ministère. Ceci pourrait évidemment avoir à long terme une incidence grave sur la capacité du Canada de jouer son rôle diplomatique dans le monde.
Il va me falloir continuer à faire avancer ce dossier avec le Conseil du Trésor. Nous avons entrepris un examen exhaustif de tous nos programmes, sans parler des questions de relation avec nos employés, afin d'essayer de trouver des solutions nous permettant de combler certaines de ces lacunes et de relever les salaires avec les ressources à notre disposition. Ce n'est pas une mince affaire.
M. Bill Casey: Le projet de loi donne la première responsabilité à la GRC pour toutes les conférences intergouvernementales. Qui est responsable à l'heure actuelle?
M. John Manley: C'est déjà la GRC. Là encore, nous nous contentons de l'indiquer dans la loi pour que ce soit évident et que nous puissions indiquer en vertu de quelle loi les choses se font ainsi. Je ne crois pas que dans l'histoire récente il y ait eu des conférences intergouvernementales dans notre pays pour lesquelles la GRC n'ait pas assumé la première responsabilité, mais c'était plus une question d'usage que le fait d'une loi. C'est maintenant prévu dans la loi, tout comme les pouvoirs proposés au paragraphe 10.1(2), qui, lui aussi, codifie une pratique existante. Il s'agit plus de clarifier les choses et de donner une base législative à l'exercice de ces pouvoirs.
[Français]
Le président: Docteur Patry, très brièvement, s'il vous plaît.
M. Bernard Patry (Pierrefonds—Dollard, Lib.): Merci beaucoup. Monsieur le ministre, merci de votre présence.
Ma question porte aussi sur l'article 5, qui concerne les pouvoirs des policiers. Aucun des témoins qui ont été entendus ici, devant ce comité, n'est d'accord sur cet article. Il semble que les vastes pouvoirs qui ont été conférés aux policiers par ce projet de loi n'aient pas leur place dans la Loi sur les missions étrangères et les organisations internationales, puisque cela n'a rien à voir avec la protection des diplomates par la GRC.
L'article 5 du projet de loi étend considérablement les pouvoirs des policiers. Un témoin nous a même dit que les pouvoirs donnés aux policiers dans ce projet de loi C-35 étaient plus importants que ceux que les policiers vont avoir en vertu du projet de loi C-36, qui est une loi antiterroriste. C'est un témoin qui nous a dit cela ici. Pour moi, avec le pouvoir discrétionnaire qui lui est donné, c'est la police qui va décider quelle mesure s'impose et est raisonnable dans les circonstances.
Ma question est très simple. Comment doit-on surveiller l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la police?
M. John Manley: Docteur Patry, la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada prévoit un processus pour observer les pratiques de la GRC, et je crois que ce processus existe toujours. On prévoit dans la loi un processus qui permet aux citoyens de faire des plaintes et d'avoir des résultats dans de telles circonstances.
M. Bernard Patry: Monsieur le ministre, dans un autre ordre d'idées, la Gendarmerie royale aura la possibilité de créer un périmètre de sécurité. Il ne faut pas se méprendre: on est pratiquement tous d'accord sur le fait d'avoir un périmètre de sécurité, mais avec des balises.
Ce projet de loi n'énonce ni critères ni balises. On n'y précise pas la durée du périmètre avant et après. Il n'y a rien. On fait tout simplement un périmètre de sécurité. Cela peut même être un périmètre de sécurité virtuel.
Pourquoi n'y a-t-il pas de balises? Pourquoi n'y a-t-il pas de critères? Ce projet de loi est trop vague, à mon point de vue, et cela me fatigue. Il devrait être un peu plus précis sur la question du périmètre de sécurité.
M. John Manley: Ce n'est pas plus vague que ce qui existe déjà. On sait que les autorités policières sont dans l'obligation de prendre des décisions qui sont parfois difficiles. Elles ont l'expertise nécessaire pour prendre ces décisions. Par exemple, on a créé un périmètre à Québec, pendant le sommet. Cette décision a été prise, non pas par le gouvernement, non pas par les autorités politiques, mais par les autorités policières parce que ce sont elles qui étaient responsables de la sécurité de nos visiteurs.
Je ne sais pas s'il est possible d'inscrire dans une loi des critères spécifique pour les conférences dont on prévoit la tenue sans avoir d'informations exactes. C'est peut-être une chose que quelques-uns des témoins souhaitent, mais je dirais qu'il n'y a pas de critères qui existent dans une loi actuellement en vigueur. Ce sont toujours des décisions qui doivent être prises par les autorités.
[Traduction]
Le président: Monsieur le ministre, nous allons devoir interrompre ceci pour que vous ayez le temps de nous parler de votre voyage mais j'aimerais vous laisser sur la réflexion suivante.
Je crois que l'on peut dire que les témoignages du ministère du Solliciteur général et d'autres autorités ayant comparu devant le comité furent très clairs. Comme vous l'avez dit, ce projet de loi codifie une pratique existante. Je peux aussi toutefois vous dire que ce matin et à d'autres occasions, des spécialistes du droit, des professeurs de droit constitutionnel et international et autres, nous ont fait remarquer que le projet de loi conférait de nouveaux pouvoirs très importants à la GRC qu'il conviendrait peut-être mieux de définir en révisant la Loi sur la GRC. Je voulais simplement attirer votre attention là-dessus. Vous voudrez peut-être y réfléchir. Ces témoignages préoccupent en effet notre comité puisque tout le monde ne semble pas d'accord là-dessus.
M. John Manley: Je tiendrai certainement compte de tous ces témoignages. Comme je vous l'ai déjà dit, je n'ai pas encore eu la possibilité d'examiner ce qui a été dit ce matin.
Le président: Je le comprends bien mais je voulais simplement attirer votre attention là-dessus.
M. John Manley: Je tiens aussi à vous avertir que lorsque j'ai commencé à travailler pour le juge en chef Laskin, il a regardé mon relevé de notes et dit que mon B en droit constitutionnel l'ennuyait. Je vais donc peut-être devoir faire appel à d'autres spécialistes.
Le président: Le juge en chef a toujours été généreux dans la façon dont il traitait ses étudiants—il se trouve que j'ai moi aussi eu affaire à lui.
Monsieur le ministre, avant que vous ne commenciez, je tiens à vous remercier infiniment de votre réponse au rapport du comité à propos du Sommet de Québec. J'attire l'attention de mes collègues sur le fait que le ministère a déposé la réponse du gouvernement à notre rapport sur ce sommet.
Monsieur le ministre, je vous demanderais maintenant de nous parler de votre voyage au Moyen-Orient et de ce que vous pouvez nous dire à propos de la situation actuelle.
M. John Manley: Je suis venu témoigner à ce sujet le mois dernier. Depuis, beaucoup de mesures ont été prises sur le plan législatif, diplomatique, réglementaire et militaire pour contrer la menace globale et s'adapter au nouveau contexte de la sécurité.
Aujourd'hui, je me concentrerai brièvement sur trois domaines: les efforts antiterroristes au niveau national et les relations canado-américaines, les progrès de la campagne militaire et la participation du Canada à la lutte internationale contre le terrorisme.
J'ajouterai que les quelques jours passés dernièrement à New York et dans les environs ont clairement fait ressortir l'importance cruciale de nos efforts. Nos partenaires et nos amis, comme les Canadiens, comptent sur nous. On ne peut trop insister sur l'inquiétude suscitée par ces événements. Ce ne sont pas simplement les Américains, je n'ai pas parlé à suffisamment d'entre eux, mais aussi les employés de notre consulat à New York. Ils vivent dans un climat d'incertitude palpable. Cela leur rend la vie très difficile. On comprend alors combien les Américains sont inquiets de leur propre sécurité.
• 1630
Je dirais que quels que soient les effets du 11 septembre, ils
ont été multipliés de nombreuses fois pour la population par la
menace de l'anthrax. D'une façon ou d'une autre, cela semble
omniprésent. À New York, bien sûr, il y a eu un décès récent, et on
ne sait pas d'où venait l'anthrax.
C'est donc un pays très inquiet et nous devons en tenir compte dans tout ce que nous faisons.
[Français]
Depuis le 11 septembre, le gouvernement a mobilisé les efforts de l'ensemble des ministères fédéraux en vue de présenter un train de mesures antiterroristes concrètes et d'une grande portée.
Le projet de loi C-36 constitue l'un des plans d'action antiterroristes les plus complets du monde. Il permet au gouvernement de prendre des mesures étendues pour gérer les avoirs des terroristes, met en place des moyens d'identifier, de traduire en justice, de faire condamner et de punir les groupes terroristes, et donne de nouveaux outils d'enquête aux organismes d'exécution de la loi et de protection de la sécurité nationale.
Le gouvernement a également pris des mesures pour resserrer la sécurité à la frontière et pour renforcer l'examen préliminaire des demandes de statut de réfugié, de façon à arrêter les terroristes qui chercheraient à entrer au Canada sous de faux prétextes.
[Traduction]
Le 28 septembre, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 1373, document clé qui engage les États membres à agir contre les terroristes et qui présente un plan d'action international clair. Le Canada a immédiatement adopté un nouveau règlement nous autorisant à geler les avoirs des personnes associées à des activités terroristes. Au 1er novembre, la liste avait déjà fait l'objet de deux mises à jour. À l'heure actuelle, le nom de 30 entités et 200 individus associés à des activités terroristes y figurent. Ces mesures nous placent dans le peloton de tête des États qui ont réagi aux événements du 11 septembre. En effet, très peu de pays sont allés aussi loin que le Canada pour contrer les nouvelles menaces à la sécurité.
Quelques mots au sujet de la coopération Canada-États-Unis et de la gestion de la frontière. Tout d'abord, permettez-moi de vous dire que les relations canado-américaines ne se sont jamais aussi bien portées. La coopération entre les deux gouvernements et entre les services des douanes et les organismes d'exécution de la loi atteint un niveau sans précédent. J'étais à Washington le 24 octobre où j'ai eu un excellent entretien avec le directeur de la sécurité intérieure, M. Tom Ridge, à qui j'ai fourni des précisions sur notre projet de loi et les nouveaux fonds mis à la disposition de nos organismes de sécurité.
En ce qui concerne la situation à la frontière, même si l'attente se prolonge encore parfois de façon imprévisible, je peux vous dire que les retards de plusieurs heures que nous avons connus immédiatement après le 11 septembre sont maintenant chose du passé. Toutefois, il n'y a pas eu de «retour à la normale». L'affectation de personnel supplémentaire des deux côtés de la frontière, conjuguée à une réduction sensible du trafic, allège le fardeau occasionné par le renforcement des mesures de sécurité. Nous sommes conscients que cette situation ne peut durer. De plus, en raison d'impératifs économiques, il est essentiel que les mouvements commerciaux et non commerciaux à la frontière reviennent à ce qu'ils étaient avant le 11 septembre.
J'ai insisté sur ce point pendant mon séjour à Washington. Je suis heureux de vous dire que le gouverneur Ridge est très sensible à nos préoccupations économiques mutuelles en ce qui concerne la frontière. Nous avons convenu qu'il est possible, dans une large mesure, de mettre à contribution la technologie pour renforcer la sécurité à la frontière. Nous avons également discuté de nouvelles idées, comme le prédédouanement du trafic commercial légitime, afin de ramener le commerce transfrontalier à son niveau normal.
Je voudrais maintenant parler de la situation de la campagne contre le terrorisme, car je crois que l'on a beaucoup fait à cet égard au cours des huit dernières semaines. Les États-Unis ont réussi à former une large coalition antiterroriste, dont font partie certains des principaux pays arabes et musulmans. Les Talibans se retrouvent isolés sur le plan diplomatique et physique. Des mesures financières ont été mises en place pour arrêter le financement du terrorisme dans de très nombreux pays. La coalition dirigée par les États-Unis exerce d'importantes pressions militaires sur ben Laden, le réseau al-Qaïda et les Talibans. La contribution du Canada à la coalition arrive au troisième rang.
• 1635
L'effort humanitaire parallèle demeure un élément fondamental
de la campagne. Le Canada est gravement préoccupé par la
détérioration de la situation humanitaire en Afghanistan et dans la
région avoisinante. La communauté internationale a fait
d'importants efforts pendant cette période pour répondre aux
besoins fondamentaux des civils afghans, qui ont été négligés et
exploités pendant des années, et pas seulement récemment, par leurs
propres dirigeants, les Talibans. À lui seul, le Canada a versé
plus de 150 millions de dollars en aide humanitaire destinée à
l'Afghanistan au cours des 10 dernières années. Qui plus est, nous
avons répondu à l'appel lancé par les Nations Unies par une
contribution additionnelle de 16 millions de dollars.
[Français]
Le Canada a toujours reconnu que cette campagne ne sera pas gagnée par des moyens militaires seulement. C'est pour cette raison que nous continuons à déployer des efforts sur les fronts politique et diplomatique afin de maximiser l'efficacité de la coalition.
En particulier, nous sommes d'avis que la coalition doit être élargie bien au-delà des six membres qui participent au combat. Il est impératif d'avoir une coalition politique vraiment mondiale contre le terrorisme.
Ma participation, la semaine prochaine, à la session annuelle des ministres des Affaires étrangères à l'Assemblée générale des Nations Unies sera une importante occasion de renforcer la solidarité de la coalition. J'ai l'intention, à cette fin, de profiter stratégiquement de mes entretiens bilatéraux.
Ce sera également l'occasion de mettre en évidence le rôle de premier plan que les Nations Unies peuvent jouer en vue d'établir un nouveau cadre juridique international contre le terrorisme, un cadre qui allie aux engagements sur papier de sérieux mécanismes de contrôle destinés à assurer le respect des obligations internationales.
[Traduction]
Au sein d'un grand nombre d'organisations, de régions et de forums, les pays continuent à faire front commun. Pour sa part, le G-8 travaille à un ensemble de mesures antiterroristes concrètes. Je dois rencontrer mes homologues du G-8 à New York la semaine prochaine. Je m'attends à ce que nous soyons en mesure d'approuver un plan d'action complet. Entre temps, nous devons concentrer notre attention sur les sources de tension régionales, et notamment en Asie du Sud-Est et au Moyen-Orient, où le soutien de la coalition demeure délicat et où des dissensions aussi vieilles que profondes aggravent une situation déjà fragile.
Comme beaucoup d'entre vous le savent, je viens de terminer une tournée au Moyen-Orient. Mes visites en Iran, en Syrie, au Liban, en Israël et à l'Autorité palestinienne visaient à recueillir l'appui le plus large possible à la campagne contre le terrorisme. Au cours de mes entretiens bilatéraux, j'ai mis l'accent sur l'importance que le Canada attache aux ramifications mondiales d'al-Qaïda. J'ai insisté sur le fait que la campagne est dirigée contre les éléments terroristes et ne constitue en aucune façon une guerre contre l'Islam. À chacune de mes escales, j'ai souligné dans les termes les plus énergiques que les attentats terroristes sont des actes criminels auxquels les griefs existants ne donnent aucune justification morale, et qui doivent être réglés par la voie politique.
J'ai exprimé à mes hôtes en Iran, en Syrie et au Liban ma préoccupation au sujet de leur soutien d'organisations telles que le Hizbollah, le Hamas et le Djihad islamique. Les actes terroristes, et surtout les attentats-suicides à la bombe et l'assassinat récent du ministre du Tourisme d'Israël ont nui à la cause de l'autodétermination palestinienne. J'ai exhorté encore une fois les Israéliens et les Palestiniens à renoncer à la violence et à revenir à la table de négociation, comme l'a recommandé le rapport de la Commission Mitchell en mai dernier. J'ai demandé à Israël de se retirer de la zone A des territoires et aux Palestiniens, de contrôler les terroristes. Les entretiens n'ont pas été faciles. Le dialogue avec les pays de la région—même s'il y a désaccord sur des points fondamentaux—est un élément essentiel de ce processus.
• 1640
Curieusement, ce conflit nous donne l'occasion de résoudre un
certain nombre de problèmes internationaux de longue date qui ont
provoqué beaucoup d'instabilité dans le monde. Vous vous demandez
peut-être de quelles occasions je veux parler.
Il y a le changement radical des relations avec le Pakistan, qui a des incidences positives sur la démocratisation et le désarmement. Il y a aussi la possibilité d'une reprise des négociations entre l'Inde et le Pakistan et peut-être une intervention américaine visant à régler le problème du Cachemire. Il y a en outre la formation de nouveaux partenariats, surtout entre les États-Unis et la Russie, et entre ce premier pays et la Chine.
La crise actuelle offre également la possibilité d'apporter des changements souhaités par la communauté internationale en Afghanistan, source d'instabilité depuis des dizaines d'années. Avec ses alliés aux Nations Unies et avec le concours des principaux acteurs dans la région, le Canada examine les solutions qui pourront être mises en oeuvre après la chute du régime taliban à Kaboul. Nous pensons à un régime de gouvernement qui serait inclusif, multiethnique et représentatif, pour la première fois dans l'histoire de l'Afghanistan.
C'étaient là quelques-unes des questions sur lesquelles nous nous pencherons dans les prochaines semaines et les prochains mois. Comme vous pouvez le voir, nous aurons fort à faire. Dans tout cela, la sécurité des Canadiens demeure notre priorité absolue. La protection des Canadiens est un travail de longue haleine qui a de multiples facettes et nécessitera la mise à contribution de toutes les ressources du gouvernement fédéral, et ce, pendant un certain temps sans doute.
Nous traversons une période difficile, mais les Canadiens sont clairement à la hauteur de la tâche. Je serai très heureux de continuer à collaborer avec le comité à mesure que cette campagne évoluera.
Merci.
Le président: Je vous remercie beaucoup, monsieur le ministre.
Nous disposons d'environ 50 minutes. Les noms de sept personnes figurent déjà sur ma liste. Si chacun s'en tient à six minutes, il sera peut-être possible d'avoir un deuxième tour.
Monsieur Pallister, je vais donc vous demander de ne pas dépasser six minutes pendant ce premier tour.
M. Brian Pallister: J'aimerais d'abord féliciter le ministre de ses efforts. Je crois qu'il est animé des meilleures intentions quand il cherche à mener à bien la tâche monumentale qui lui a été confiée tant à l'échelle nationale qu'internationale. Je sais aussi à quel point il est difficile de trouver une solution aux problèmes qui se posent au Moyen-Orient. Je tiens donc à le féliciter du travail accompli jusqu'ici et à l'assurer de mon appui.
Je suis aussi d'accord avec lui pour dire que le dialogue entamé depuis le 11 septembre crée certaines occasions dont il faut profiter. J'espère que nous saisirons les occasions qui s'offrent à nous de faire avancer la cause de la paix et je félicite encore une fois le ministre de ses efforts.
Mes observations—qui, je l'espère, seront considérées comme des suggestions constructives—ont trait à la question des relations canado-américaines dans le cadre de ces entretiens. Les événements survenus le 11 septembre ont suscité un débat difficile notamment en raison malheureusement du fait que certains Américains attribuent, à tort, au Canada un rôle dans la tragédie qui est survenue et en raison des arguments présentés à l'encontre de cette thèse. Le premier ministre et le solliciteur général ont affirmé à plusieurs reprises que le Canada n'a rien à voir avec les incidents survenus le 11 septembre. Il faudra évidemment attendre l'issue des longues enquêtes qui sont actuellement menées par nos deux pays pour savoir exactement ce qu'il en est à ce sujet.
De façon générale, je crois que cette question préoccupe beaucoup la plupart des Canadiens et des Américains. Nos deux pays partagent une certaine responsabilité, comme l'a bien reconnu le ministre. La responsabilité commune que nous partageons est celle d'assurer la sécurité de nos deux pays ainsi que d'autres pays et voilà pourquoi il ne sert à rien de chercher à répartir les torts pour expliquer ce qui s'est produit le 11 septembre. Que nous ayons ou non un part de responsabilité dans ce qui s'est produit, s'il y a quoi que ce soit que nous pouvons faire pour éviter que ne se reproduise une telle tragédie, nous devons évidemment le faire.
Nous avons jusqu'ici rejeté toute responsabilité à l'égard de ces événements, mais je ne voudrais pas que nous donnions ainsi l'impression à nos amis américains que nous refusons de faire face à la nouvelle réalité, ce qui n'est pas le cas. Le gouvernement a pris de nombreuses mesures en réaction aux événements survenus le 11 septembre. La plupart d'entre nous—que nous appartenions au gouvernement ou non—reconnaissent que le monde n'est plus le même que ce qu'il était avant cette tragédie.
• 1645
Je sais bien qu'il ne faut pas toujours se fier à ce qu'on lit
dans les médias parce qu'ils ont tendance à citer les gens hors
contexte, mais j'ai été un peu préoccupé lorsque j'ai lu que vous
auriez dit que l'an dernier, le Canada aurait arrêté 50 p. 100 de
plus de criminels provenant des États-Unis que les États-Unis
auraient arrêté de criminels en provenance du Canada. Vous auriez
aussi dit que la moitié des demandeurs de statut de réfugié
proviennent des États-Unis et que la majorité des armes à feu qui
sont utilisées lors de la perpétration de crimes au Canada sont
importées illégalement des États-Unis. Au sujet des citations qu'on
vous attribue, j'aimerais prendre l'analogie du marathon. La course
est longue et nous devons nous entraîner ensemble si nous voulons
la gagner. Si l'un des partenaires dit à l'autre qu'il n'est pas en
forme, il nous sera impossible de remporter le marathon parce que
nous ne pouvons pas le faire seul. Nous devons courir côte à côte.
Je voudrais donc vous faire amicalement part de mes inquiétudes au
sujet des citations qu'on vous attribue. À mon sens, il ne sert à
rien pour le Canada et les États-Unis d'échanger les accusations.
Jusqu'à hier, vous vous en étiez abstenu, et j'espère que vous
allez continuer à le faire.
M. John Manley: Je crois en effet que vos observations visent un but constructif. J'aimerais cependant préciser clairement...
Le président: Monsieur le ministre, l'analogie du marathon va vous suivre partout.
M. John Manley: Tous ceux qui souhaitent participer à un marathon avec moi peuvent le faire pourvu qu'ils courent suffisamment lentement.
L'important, comme vous le faites remarquer, monsieur Pallister, c'est que l'accent soit mis sur notre sécurité mutuelle. J'ai été beaucoup préoccupé par les renseignements faux qu'on a fait circuler. Comme je l'ai dit à la Chambre, la dernière légende urbaine aux États-Unis, c'est qu'au moins deux terroristes sont entrés aux États-Unis à partir du Canada. On semblerait en être venu à cette conclusion parce que ces terroristes avaient pris leur vol de correspondance à partir de Portland, au Maine, sans doute parce que les contrôles de sécurité sont moins rigoureux à Portland qu'à Boston. Les terroristes ont donc décidé de se rendre à Boston en passant par Portland.
Nous ne pouvons pas affirmer avec certitude qu'aucun d'entre eux était au Canada. Ce que nous avons cependant dit à plusieurs reprises c'est qu'aucune preuve ne permet d'affirmer le contraire. Lors de chacune des réunions auxquelles j'ai participé, je peux vous assurer que j'ai demandé à savoir si on avait de nouveaux renseignements permettant de croire à un lien avec le Canada et on m'a affirmé que non. Comme vous le faites remarquer, cela importe peu de toutes façons. Il ne sert à rien de blâmer qui que ce soit. Beaucoup de gens sont morts et je suppose qu'on pourrait blâmer beaucoup de gens pour cela. L'important est cependant de savoir comment éviter que ce genre de tragédie ne se reproduise.
Ce que j'ai dit hier se situe dans le contexte de l'avenir de nos échanges transfrontaliers. Il faut faire en sorte de faciliter les échanges commerciaux. Je regrette de prendre autant de temps pour répondre à cette question, mais je pense que vous avez abordé un point très important. Il faut faire en sorte que les marchandises et les grands voyageurs puissent traverser la frontière facilement. Il faut adopter le concept de la gestion des risques à la frontière étant donné que nous disposerons toujours de ressources limitées. Il ne s'agit pas de contrôler toutes les marchandises et toutes les personnes qui traversent la frontière.
C'est tout ce que je faisais ressortir hier. Certaines personnes aux États-Unis semblent croire que tous les camions provenant du Canada transportent des terroristes. J'ai voulu dissiper ce malentendu, mais j'ai voulu aussi faire ressortir le fait qu'il existe de bonnes raisons pour que nos deux pays cherchent à renforcer la sécurité aux frontières. Voilà pourquoi j'ai aussi dit que nous étions favorables à ce que les États-Unis augmentent les ressources affectées au contrôle de sa frontière avec le Canada. Le Canada affecte déjà trois fois plus de personnes à la frontière que les États-Unis. Si les États-Unis accroissent leurs ressources, il sera possible de favoriser les échanges commerciaux et d'augmenter les chances que nous arrêtions les criminels et les terroristes.
Le président: Je vous remercie.
Madame Lalonde, vous avez la parole.
Mme Francine Lalonde: Merci, monsieur le président.
Monsieur Manley, le temps nous est compté. Je vais tout de suite enchaîner une série de questions qui porteront davantage sur votre voyage au Moyen-Orient, sur les conclusions que vous en avez tirées et sur les choses sur lesquelles vous avez insisté, étant entendu qu'il y a toujours une marge de discrétion qui demeure dans les rapports que vous avez établis avec les dirigeants que vous avez rencontrés et qu'il y a des choses dont vous ne nous parlerez pas.
Cela étant dit, vous savez et vous avez sans doute vu que, pour élargir la coalition, le rôle de l'ONU est extrêmement important. Même pour les pays musulmans ou arabes, il serait plus facile de constituer une coalition, même politique, si l'ONU était un chapeau.
Vous avez sûrement parlé du rôle de l'Iran dans la préparation de la paix. Il faut observer que l'Iran n'a jamais soutenu les talibans, contrairement au Pakistan. Ils se retrouvent voisins et sont appelés à ouvrir leur frontière alors qu'ils ont déjà plus de 2 millions de réfugiés. Mais ils doivent sûrement jouer un rôle important dans la préparation de l'après.
Vous avez sûrement aussi entendu parler de la fatigue qui existe face aux bombardements sur ce pays qui est exsangue, qui était déjà détruit avant que les bombardements américains ne commencent, et de la nécessité qu'il y ait un passage à une autre phase, notamment à cause des besoins humanitaires. Il faut trouver une solution. Il y a celle des corridors et il y en a d'autres, mais il faut trouver une solution pour acheminer l'aide humanitaire, et vous en avez sûrement entendu parler.
Il y a une question dont vous n'avez peut-être pas parlé, mais sur laquelle j'aimerais vous entendre. C'est la question des femmes en Afghanistan. La perspective que l'Alliance du Nord soit l'allié principal cause des problèmes aux femmes afghanes, parce que l'Alliance du Nord s'était fait connaître par des gestes qui étaient inacceptables pour les femmes. Il y a donc quelque chose à prévoir à cet égard.
Il y a finalement la question des bombes à fragmentation. Il me semble que c'est le rôle d'un partenaire important dans une coalition que de dire à son partenaire—vous n'avez pas besoin de nous dire ici de grands oui—que ces bombes n'ajoutent rien au pouvoir des Américains, compte tenu de l'effroyable mauvaise image ou publicité que cela leur donne. C'est inacceptable. Ces bombes, dans leur nature, ressemblent aux mines antipersonnel, sans parler des rations alimentaires qui étaient de la même couleur.
Monsieur le ministre, je vous ai posé mes questions en vrac, mais...
M. John Manley: Il y a beaucoup de questions.
Le président: Beaucoup, mais vous devez y répondre en deux minutes.
M. John Manley: En deux minutes? C'est presque impossible.
Mme Francine Lalonde: Non, pas pour vous.
M. John Manley: D'accord, je vais essayer de répondre rapidement.
Je dirai que nous sommes certainement en faveur d'un rôle aussi important que possible pour l'ONU dans la coalition actuelle et peut-être surtout dans la situation de l'après-conflit en Afghanistan. Il faut reconnaître que même Oussama ben Laden a reconnu dernièrement le rôle de l'ONU, parce qu'il a dit qu'il allait attaquer l'ONU et Kofi Annan personnellement. Ce sont aussi des ennemis de ben Laden.
En ce moment, le rôle de l'ONU dans la question humanitaire est clairement essentiel. Elle peut jouer un rôle nécessaire en ce qui a trait aux corridors, par exemple, ou à d'autres façons d'aider la population civile de l'Afghanistan et les réfugiés. C'est un rôle primordial pour l'ONU en ce moment.
• 1655
Pour ce qui est de l'après-conflit, il y a déjà
M. Brahimi qui est en train d'essayer de
construire un programme pour la situation qu'il y aura
après le
conflit.
C'est aussi une préoccupation dont j'ai discuté en
Iran. Les Iraniens sont vraiment constructifs sur la question
de la gouvernance de l'Afghanistan après le conflit.
Comme le Canada, ils sont en faveur d'un rôle important pour
l'ONU. Ils sont prêts à
travailler à six
plus deux, c'est-à-dire les six pays à la frontière de
l'Afghanistan, plus la Russie et les États-Unis.
C'est quelque chose qui pourrait être
constructif et positif, et je crois que nous devons
l'accepter et l'encourager.
Dans les pays musulmans, il y aura certainement la question de la fatigue des bombardements. On veut tous que ça se termine le plus tôt possible, mais on sait aussi qu'il était nécessaire de faire un maximum de progrès. Je crois qu'on peut dire qu'on a fait du progrès, mais ça prendra du temps. On a déjà l'expérience de la campagne du Kosovo, où il a fallu 78 jours de bombardements avant qu'un changement ne survienne. C'est peut-être encore plus difficile en Afghanistan parce que les objectifs militaires y sont plus difficiles.
Donc, cela prendra du temps. La coalition, y compris les États-Unis, essaie de minimiser l'effet des bombardements sur la population civile, mais étant donné que les objectifs militaires comme les enclaves sont difficiles à trouver, il ne nous est pas nécessairement possible de définir les meilleurs moyens de s'attaquer à des problèmes comme ceux-là. Ce sont des objectifs qui sont normaux du point de vue militaire.
Finalement, je crois que la situation des femmes en Afghanistan ne pourrait pas devenir pire qu'elle ne l'est sous le régime des talibans. Je crois que la communauté internationale peut jouer un rôle important dans la création de modes de gouvernance après la guerre et dans l'établissement de méthodes visant à améliorer, à tout le moins, la situation des femmes. Les talibans empêchent les filles de s'instruire. C'est épouvantable.
[Traduction]
Le président: Madame Jennings, vous avez la parole.
Mme Marlene Jennings: Je vous remercie, monsieur le président.
J'aimerais vous remercier de votre exposé, monsieur le ministre. J'aimerais attirer votre attention sur deux ou trois points.
Étant donné que la résolution 1373 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies s'applique à tous les États membres des Nations Unies, il sera intéressant de voir dans 90 jours les mesures qui auront été prises par les Émirats arabes unis, l'Arabie Saoudite et la Syrie pour se conformer à cette résolution qui vise la lutte contre le terrorisme. Il ne s'agit que d'une observation de ma part.
J'aimerais revenir aux questions qu'a soulevées M. Pallister et au malentendu dont vous avez fait état. Je conviens avec vous que certains mythes existent aux États-Unis en ce qui touche l'efficacité des mesures de sécurité prises par le Canada, que ce soit dans le domaine notamment du renseignement de sécurité ou de l'application de la loi. Étant donné que vous discutez directement de ces questions avec les dirigeants américains, j'aimerais que vous nous disiez ce que vous comptez faire, à titre de ministre des Affaires étrangères, pour dissiper ces mythes qui font maintenant partie de la culture populaire aux États-Unis. Je sais bien que votre homologue est conscient du fait qu'il ne s'agit que d'un mythe—et les Américains renforcent actuellement les mesures de sécurité à leurs frontières pour que ces mesures soient aussi rigoureuses que les nôtres—, mais il n'en demeure pas moins que le mythe voulant que le Canada n'ait pas fait preuve jusqu'ici de beaucoup de rigueur dans ses mesures de sécurité est très répandu aux États-Unis.
• 1700
Qu'entend donc faire ce gouvernement le cas échéant pour faire
en sorte que ce mythe cesse de faire partie de la culture populaire
aux États-Unis?
M. John Manley: J'aimerais d'abord insister sur l'importance du mécanisme de surveillance prévu en vertu de la résolution 1373. Nous allons présenter notre rapport bien avant la date limite fixée et il appartiendra à la communauté internationale d'assurer un suivi et de veiller à ce que tous les États membres des Nations Unies déposent leurs rapports.
Quant au mythe qui existe aux États-Unis en ce qui touche le Canada, je faisais allusion ici au mythe voulant que des terroristes ayant participé aux événements survenus le 11 septembre soient entrés aux États-Unis à partir du Canada.
Mme Marlene Jennings: Oui, mais nous savons tous que ce mythe existait avant ces événements.
M. John Manley: Oui. Il se peut que des gens aux États-Unis croient que beaucoup de terroristes entrent aux États-Unis à partir du Canada, mais je crois que M. Pallister a fait ressortir certains points importants. Nous ne pouvons pas croire que le monde n'a pas changé le 11 septembre parce qu'il a effectivement changé. Quelle qu'ait été notre opinion jusqu'ici de nos mesures de sécurité, de nos services de renseignement de sécurité, des capacités de nos forces policières et militaires, nous devons maintenant revoir toute cette question à la lumière des événements survenus le 11 septembre. Ces événements pourraient se reproduire, et nous ne commençons qu'à nous faire une idée de l'envergure et de la diversité des attaques qui pourraient être lancées contre nos pays. Nous devons donc oeuvrer à dissiper ces mythes non seulement auprès du gouvernement américain, mais aussi auprès des membres du Congrès. Soit dit en passant, les parlementaires ont un rôle important à jouer à cet égard et pas seulement les ministres.
Nous devons transmettre deux messages aux Américains. Le premier est que le Canada n'est pas un foyer pour le terrorisme. Chaque boisseau de blé ou chaque chargement de bois d'oeuvre exporté vers les États-Unis ne contient pas des terroristes. J'ai déjà parlé de la vulnérabilité qu'on ressent chez les habitants de New York. Si nous ne parvenons pas à convaincre nos amis des États-Unis à quel point nous sommes conscients de la gravité de cette menace, nous courons le risque qu'ils nous considèrent tous comme une menace.
Voilà donc les deux messages que nous devons transmettre. Nous ne nions pas le fait qu'il y a beaucoup à faire étant donné que le 11 septembre a changé beaucoup de choses. J'aimerais cependant que nos interlocuteurs aux États-Unis se souviennent que la majorité des 19 terroristes sont entrés légalement aux États-Unis à partir d'autres pays que le Canada et qu'ils possédaient des documents valides émis par les autorités américaines.
Mme Marlene Jennings: Le problème réside dans le fait qu'un nombre important de législateurs américains considèrent le Canada comme une menace à leur sécurité précisément parce qu'ils ne disposent pas des renseignements justes sur la situation et parce qu'ils ne sont pas allés à l'extérieur des États-Unis. Il est assez inquiétant de savoir qu'un nombre important de législateurs américains n'ont pas de passeport américain et n'en ont jamais eu.
• 1705
Le Canada tout entier et notamment le gouvernement canadien
doivent réexaminer les mesures de sécurité en place ainsi que les
ressources que nous consacrons à la mise en oeuvre de ces mesures,
mais je crains que les États-Unis nous considèrent déjà comme une
menace en raison des mythes auxquels nous avons fait allusion.
Quand les États-Unis ont décidé d'invoquer l'article 110 pour
exiger que les étrangers venant aux États-Unis soient munis d'un
visa, nous avons pu obtenir que cette mesure ne s'applique pas aux
Canadiens. Les Américains songent cependant à revenir sur cette
décision.
M. John Manley: La meilleure chose que nous puissions faire c'est d'adopter un ensemble complet de mesures afin de montrer aux Américains que nous prenons la menace terroriste au sérieux et que nous voulons y faire face rapidement.
Le 24 octobre, j'ai rencontré le gouverneur Ridge dans l'un des immeubles administratifs du Sénat. Je ne sais pas comment les parlementaires canadiens réagiraient si l'on découvrait le bacille du charbon dans leurs bureaux. Il faut comprendre la grande vulnérabilité de ces gens qui ne savent pas si l'air qu'ils respirent ne contient pas une substance mortelle. Je pense qu'il est assez naturel que les Américains souhaitent sceller leurs frontières pour se prémunir contre ces menaces.
Il nous faudra déployer des efforts extraordinaires pour convaincre les Américains que nous ne constituons pas une menace pour eux mais plutôt que notre amitié ainsi que le commerce transfrontalier sont des atouts qu'ils doivent chérir et dont ils doivent tenir compte au moment de prendre des décisions en matière de sécurité.
Le président: Madame McDonough, vous avez la parole.
Mme Alexa McDonough (Halifax, NPD): Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais féliciter le ministre d'avoir trouvé l'énergie nécessaire pour participer au marathon de New York à un moment où il doit dépenser beaucoup d'énergie.
Si vous me le permettez, monsieur le président, j'aimerais poser cinq brèves questions au ministre.
Monsieur le ministre, j'ai beaucoup aimé vous entendre dire hier qu'il nous faut gagner l'affection et la considération du peuple afghan si nous voulons vraiment remporter la guerre contre le terrorisme et si nous voulons également vraiment retrouver les coupables des attentats terroristes que nous soupçonnons se trouver en Afghanistan. Étant donné que nous savons que 7,5 millions d'Afghans risquent de mourir de faim ou de froid, que votre prédécesseur a dit s'inquiéter de ce quÂaucune initiative sérieuse n'ait été prise pour faire face à une crise humanitaire de cette envergure et que les travailleurs des Nations Unies sur le terrain en Afghanistan réclament une pause dans les bombardements pour permettre à l'aide humanitaire de rejoindre les Afghans, pourriez-vous nous expliquer pourquoi on ne tient pas compte de la gravité de la situation?
M. John Manley: L'intervention humanitaire devra d'abord prendre plusieurs formes et je pense que nous devons suivre les conseils à cet égard des Nations Unies.
La façon la plus évidente d'assurer l'arrêt des bombardements serait pour le régime taliban de remettre Oussama ben Laden aux autorités américaines pour qu'il soit traduit en justice. Les bombardements cesseraient immédiatement et l'aide humanitaire pourrait rejoindre les réfugiés et les autres Afghans. Si cela ne se produit pas, il nous faudra collaborer étroitement non seulement avec les Nations Unies, mais avec d'autres organismes, notamment des ONG sur le terrain, et il nous faudra trouver des méthodes innovatrices pour faire parvenir cette aide à ceux à qui elle est destinée. Nous avons mis à la disposition de la coalition un Airbus et des Hercules pour l'aider à acheminer l'aide humanitaire. Le Canada peut sans doute participer efficacement aux efforts déployés pour faire parvenir cette aide humanitaire aux Afghans. Toutes les mesures permettant de le faire doivent être examinées.
Mme Alexa McDonough: J'aimerais faire une observation avant de poser ma deuxième question. Le simple fait d'affirmer en réponse à ma question qu'il suffirait au régime taliban de livrer à la justice les coupables des attentats ne revient pas à résoudre la crise, mais simplement à énoncer une évidence.
Tous ceux qui sont conscients des conséquences géopolitiques de la crise à laquelle nous faisons face ainsi que de la dynamique politique ont insisté sur le fait qu'il fallait éviter de renforcer le mythe voulant qu'il s'agisse d'une guerre sainte, d'une croisade religieuse ou d'une lutte entre l'islam et la chrétienté. Étant donné qu'il est habituellement impérieux que tout le monde sache à quoi s'en tenir à ce sujet dans le monde, et en particulier en Afghanistan et au Pakistan, pourquoi la coalition militaire ne le montre-t-elle pas clairement en suspendant les bombardements pendant le Ramadan, ce qui permettrait à l'aide humanitaire d'atteindre ceux qui en ont désespérément besoin avant qu'ils ne meurent de faim ou de froid?
M. John Manley: Le problème qui se pose c'est que la suspension des bombardements pendant le Ramadan compromettrait la campagne elle-même. Plus vite cette campagne sera menée à bien, plus vite on pourra faire parvenir l'aide humanitaire aux populations qui en ont besoin. Par le passé, des guerres entre pays musulmans n'ont pas été suspendues en raison du Ramadan. Les consultations menées auprès de nombreux pays musulmans n'ont pas abouti à la conclusion qu'il était absolument nécessaire de suspendre la campagne pour des raisons religieuses pendant la durée du Ramadan. Ce qui revêt encore plus d'importance, c'est que la suspension des bombardements compromettrait les objectifs militaires de la campagne soit en permettant à ben Laden de s'échapper, soit en permettant à l'ennemi de reprendre ses forces et de se réapprovisionner en matériel militaire, ce qui lui permettrait de poursuivre la lutte.
Mme Alexa McDonough: Le risque réel qui se pose, à mon avis, est que nous gagnions certaines batailles, mais que nous perdions la guerre, laquelle vise à faire en sorte que le monde soit plus sûr et que nous nous débarrassions des terroristes. Il faut éviter de créer les conditions qui alimenteront le terrorisme et le fanatisme dans le monde.
Je voudrais revenir à la question soulevée par ma collègue du Bloc au sujet du rôle des femmes. J'aimerais savoir plus précisément si le Canada insiste pour que les femmes participent aux négociations portant sur la mise sur pied d'un gouvernement qui remplacera celui des Talibans. Il ne s'agit pas simplement de dénoncer les conditions de vie horribles des femmes, mais de veiller à ce que les femmes un peu instruites d'Afghanistan qui savent très bien s'exprimer participent à l'édification du régime qui suivra celui des Talibans. C'est d'autant plus important qu'elles ont été exclues jusqu'ici de la vie politique. Le Canada réclame-t-il donc la participation des femmes aux discussions et aux négociations portant sur la constitution du gouvernement qui remplacera les Talibans?
M. John Manley: Oui, et c'est une question que je compte pouvoir aborder avec M. Brahimi la semaine prochaine au cours de l'assemblée générale. Nous nous préoccupons depuis plusieurs années du sort qui est réservé aux femmes en Afghanistan. Comme vous le savez peut-être, c'est l'objet d'un film portant sur la condition des femmes en Afghanistan qui met en vedette une comédienne d'Ottawa. Il en a été question hier dans le New York Times tout de suite après l'article sur le marathon. Je ne voudrais pas banaliser la question. Nous attachons beaucoup d'importance à cette question et c'est par l'intermédiaire des Nations Unies qu'on pourra le mieux faire avancer la cause des femmes en Afghanistan.
• 1715
Comme j'ai dit plus tôt, il faudra consacrer beaucoup de temps
et d'énergie à discuter de la forme que prendra le régime qui
remplacera celui des Talibans tant dans le contexte des six plus
deux que dans le contexte des Nations Unies. Nous voulons favoriser
la participation de l'ensemble du peuple afghan aux discussions
portant sur cette question et c'est le processus que l'ONU devrait
favoriser. Cela supposera l'inclusion de tous les groupes ethniques
aux structures gouvernementales.
J'extrapole un peu ici, mais le Canada pourrait jouer un rôle semblable à celui que nous avons joué au Kosovo. Nous participons au Kosovo à la force militaire qui maintient l'ordre depuis la fin du conflit et nous avons joué un rôle important dans les institutions de régie, dans les administrations municipales et au sein des forces policières.
Le président: Je vous remercie, monsieur le ministre.
Madame Augustine, vous avez la parole.
Mme Jean Augustine: J'ai trois questions à vous poser, monsieur le ministre, et je les poserai l'une après l'autre.
Vous avez fait remarquer que la collaboration entre le Canada et les États-Unis n'avait jamais été aussi forte. Je sais qu'on s'inquiète davantage aux États-Unis de la sécurité de la frontière avec le Canada. S'inquiète-t-on davantage aux États-Unis de la sécurité de la frontière avec leurs voisins du sud? Compte-t-on conclure un accord de sécurité trilatéral auquel participeraient le Mexique, le Canada et les États-Unis? Où en sont les discussions à cet égard?
Ma deuxième question concerne le renforcement de la solidarité et ce qui pourrait se passer à la réunion des ministres des Affaires étrangères des Nations Unies. Ces changements radicaux dont vous parlez seront-ils à l'ordre du jour? Et quels changements prévoyez-vous?
Enfin, vous avez parlé d'obtenir le maximum de soutien pour la campagne contre le terrorisme et c'était en fait le but de votre mission. Que pensez-vous de la situation au Moyen-Orient et du processus de paix? Je remarque que les journaux ont fait plusieurs commentaires dont certains n'étaient pas très flatteurs. Peut-être pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez.
M. John Manley: Mon personnel ne les inclut pas dans mes coupures de presse.
Mme Jean Augustine: Pourriez-vous nous parler des impressions que vous avez eues en allant d'un pays à l'autre?
M. John Manley: Pour ce qui est du Canada, des États-Unis et du Mexique, je vais rencontrer mon homologue, M. Castañeda, à New York, sans doute ce week-end
Cela m'amène à un autre sujet, que je voudrais aborder un instant, et c'est toute la question du périmètre. J'ai essayé d'en parler un peu à New York hier car je crois que nous avons un problème de terminologie à cet égard. Une chose qui m'a fait réagir à propos de cette question c'est l'idée selon laquelle la frontière entre le Canada et les États-Unis devrait être traitée de la même façon que la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Je ne suis pas de cet avis. Cela soulève des problèmes assez différents. Le volume des échanges est différent, de même que les caractéristiques de la frontière, et la politique d'immigration américaine n'est pas la même en ce qui concerne la frontière mexicaine que la frontière du Nord. Je vois de nombreuses possibilités de trilatéralisme avec les États-Unis et le Mexique dans le contexte de l'ALENA, mais la question des frontières n'est pas dans le même contexte et c'est une des raisons pour lesquelles, lorsqu'on parle d'un périmètre nord-américain, je veux le temps d'y réfléchir. Si ce périmètre représente quelque chose comme le NORAD, je serais beaucoup plus à l'aise, car je saurais de quoi nous parlons.
• 1720
Je dirais donc qu'en ce qui concerne les frontières, les
mesures trilatérales ne seront sans doute pas très satisfaisantes.
Sur les autres plans, il y a beaucoup de choses que nous pouvons
faire.
Il y a toutefois une autre question de frontière sur laquelle le Canada pourrait obtenir une coopération trilatérale, non pas avec le Mexique, mais avec l'Europe. Un grand nombre des personnes qui arrivent en Amérique du Nord et sur lesquelles nous avons besoin d'obtenir des renseignements supplémentaires arrivent par avion de pays d'Europe. La coopération avec les États-Unis pour l'examen des documents avant l'arrivée de ces personnes au Canada est un objectif que nous devrions poursuivre. C'est en rapport avec le périmètre, si vous voulez utiliser cette expression, car on pourrait qualifier cela de circonférence ou d'un autre terme. Je crois que nous pourrions avoir une coopération trilatérale sur cette question.
En ce qui concerne la réunion des Nations Unies et les changements de cap, il faudra surveiller de très près, au cours des deux prochaines semaines, la réunion importante qui doit avoir lieu à Crawford, entre le président Bush et le président Poutine. Depuis le 11 septembre, toute l'atmosphère des relations internationales doit être considérée dans le contexte de la menace terroriste. Cette menace est partagée par des pays qui étaient en conflit par le passé, mais qui ont eux-mêmes été victimes du terrorisme.
Ce thème est souvent revenu sur le tapis au cours de mes visites au Moyen-Orient. Les Iraniens ont dit qu'ils avaient également été victimes du terrorisme et que, pour cette raison, ils s'étaient empressés de dénoncer les attaques contre New York et Washington. Les Syriens partagent les mêmes sentiments. Si l'on bâtit une coalition, ce n'est donc pas purement pour une question de principe, mais aussi parce que nous avons affaire à des pays qui ont des intérêts stratégiques très différents mais dont l'intérêt immédiat est le même, à savoir la lutte contre la menace terroriste.
Pour illustrer les changements majeurs qui se produisent actuellement, il suffit de voir à quel point les Russes sont prêts à travailler de concert avec les États-Unis sur certains dossiers. Depuis les attaques du 11 septembre, je pense qu'on a constaté des signes positifs du côté des relations entre les États-Unis et la Chine. Je pense que nous sommes au seuil d'un processus d'établissement d'une plus grande harmonie dans le contexte de la situation générale au Moyen-Orient et des relations là-bas.
Quant à la campagne contre le terrorisme et aux réactions qu'elle a suscitées, il est vrai qu'il y a eu des moments la semaine dernière où je me suis senti comme un chien dans un jeu de quilles. Certains de mes hôtes ont un message très simple: les États ne devraient pas appuyer des groupes qui ont recours à la violence, surtout contre des civils, pour réaliser leurs objectifs politiques. Certains de ces pays, aux prises avec des groupes spécifiques qu'ils considèrent comme des groupes de libération ou de lutte contre l'occupation, trouvent cela tout simplement inacceptable.
Je ne pense pas que les victimes du terrorisme se soucient de faire cette différence. Mon message dans chaque cas était le suivant: si nous voulons lutter contre le terrorisme, il nous faut pouvoir compter sur votre influence auprès de certains de ces groupes pour enrayer tout acte de violence. Cela s'applique à la Syrie comme à Beyrouth. Je suis arrivé en Syrie un peu avant l'arrivée de Tony Blair. Les Syriens ne m'ont pas particulièrement maltraité sur le plan médiatique mais vous avez peut-être lu des comptes rendus en provenance de Beyrouth, à la suite de la conférence de presse conjointe avec Tony Blair à Damas, au cours de laquelle le président Assad n'a pas apprécié recevoir exactement le même message que je lui avais transmis. Nous étions donc au diapason quant à nos messages.
Il est impossible d'aller en Israël ou en territoire palestinien et de satisfaire les deux côtés. Les deux parties ont des points de vue fondamentalement divergents. Le Canada, et il le fait depuis les années 40, essaie d'appliquer une politique objective fondée sur le droit international et sur les résolutions du Conseil de sécurité et de l'Assemblée générale des Nations Unies, mais c'est une position qui ne plaît pas toujours à tout le monde. Je regrette que certains soient parfois en désaccord avec les positions que nous adoptons, mais je pense que ces positions sont justes. Elles n'ont pas perdu de leur valeur avec le temps, et voilà pourquoi je continue volontiers d'en faire la promotion.
• 1725
Il n'y a pas de solution possible à ce qui constitue une
blessure ouverte en permanence au Moyen-Orient, à moins que les
parties s'assoient ensemble pour négocier et s'entendre entre
elles. Auparavant, il faudra que la violence cesse et que l'on
procède aux pourparlers plutôt qu'aux échanges de tir. C'est le
message qu'on m'a envoyé livrer au nom du Canada et je pense que la
plupart d'entre nous y croient.
Le président: Monsieur Casey.
M. Bill Casey: Merci, monsieur le président.
Actuellement, tous les efforts portent sur le militaire afin de traduire en justice les auteurs des attentats du 11 septembre. Mais quant à nous, nous pouvons tirer une véritable leçon de ce qui s'est passé, car un petit groupe peut nous attaquer et causer d'énormes dégâts. Il me semble qu'il faudra tôt ou tard aller au-delà du militaire. Allons-nous arrêter une stratégie contre la haine et la colère qu'entretiennent d'autres parties du monde à l'égard de notre civilisation ou de notre approche à la civilisation, ou allons-nous maintenir constamment une force policière, une bataille militaire? Allons-nous redéployer les ressources de l'aide étrangère davantage que nous ne l'avons fait par le passé? C'est une décision fondamentale qu'il nous faut prendre, parce que des petits groupes peuvent désormais nous attaquer, nous sommes vulnérables, et ils n'ont plus besoin d'armée pour le faire.
Le Canada est au 17e rang dans la liste des 22 pays qui offrent de l'aide extérieure. Au conseil des ministres, discute-t-on actuellement d'un renouveau de la politique canadienne à cet égard, et a-t-on engagé un débat là-dessus avec les autres pays? Au moment où l'on discute de l'action militaire, y a-t-il un débat parallèle et essaie-t-on de voir l'étape suivante, la façon d'apaiser la haine et la colère qui ont été à l'origine de tout cela?
M. John Manley: Je pense que nous avons montré aussi bien par nos réalisations au Moyen-Orient qu'en Bosnie et au Kosovo que nous pouvons offrir de l'aide dans le secteur de l'enseignement, du matériel didactique, dans le cadre de nos programmes d'APD. Nous sommes particulièrement bien placés dans le monde pour apporter une contribution de ce genre car on sait que nous formons une société fondée sur la conciliation des différences et le respect de différentes cultures. Mais ce que vous dites s'applique très nettement au Moyen-Orient, où l'on constate de nombreux exemples d'incitation à la haine, dans les médias, et parfois dans les manuels scolaires et parfois à l'occasion de discours politiques. Il faut exercer une influence modératrice. C'est en partie le résultat de l'APD mais aussi de la diplomatie.
M. Bill Casey: Le monde va maintenant consacrer des centaines de milliards, des billions peut-être, à cet effort. Nous avons sans doute déjà perdu cette somme en activité commerciale, en intervention militaire et en ce que coûtera la reconstruction de l'Afghanistan. N'aurait-il pas mieux valu investir ces sommes autrement ces dernières années? Tient-on ce débat ou se concentre-t-on encore sur l'intervention militaire?
M. John Manley: À l'heure qu'il est, rien ne sert de se tourner vers le passé et de se demander s'il y a une explication logique au fait que 19 jeunes gens ont percuté des immeubles avec des avions et si l'on aurait pu remédier aux causes si l'on avait suivi une autre politique ces dernières années. Il ne s'agit pas ici d'être raisonnable. Leur raisonnement n'est pas celui que l'on aurait lors d'un débat normal. Ils ont pris des mesures extraordinaires pour commettre des actes spectaculaires d'une horreur indicible pour la majorité des être sensés de la planète, ce qui les place dans une catégorie différente.
• 1730
Comme je l'ai dit tout à l'heure, il ne faut pas négliger les
plaies ouvertes de la planète, les conflits non résolus, les
problèmes horribles de la pauvreté, du manque de débouchés ou de
développement économique. Prenons soin toutefois de ne pas
confondre la nécessité de lutter contre ces problèmes et une forme
quelconque de justification—ce n'est pas ce que vous dites, je le
sais—pour les actes du 11 septembre. Ce n'est pas la même chose et
nous devons dénoncer et combattre les actes de terrorisme tout en
faisant preuve de compassion et d'humanité pour guérir les
blessures qui causent tant de souffrances à tant de gens.
Le président: Monsieur Harvard.
M. John Harvard (Charleswood St. James—Assiniboia, Lib): Merci.
Merci, monsieur le ministre. Vous n'avez pas compté votre temps. Votre récente visite dans plusieurs pays du Moyen-Orient illustre amplement le fait que le Canada s'occupe sérieusement des problèmes mondiaux issus du terrorisme. Je vous en remercie.
Nous tous, vous en conviendrez, souhaitons le départ des talibans mais à l'issue des nombreux entretiens que vous avez eus pendant votre visite récente, peut-on raisonnablement penser que les talibans peuvent être évincés du pouvoir sans une importante intervention militaire au sol?
M. John Manley: Je ne suis pas sûr que ce soit à moi qu'il faille poser cette question. Je ne suis pas un expert militaire. Même dans les pays où j'ai entendu des inquiétudes à propos de bombardements contre ce qui semble être un pays islamique, il n'y a guère de sympathie pour les talibans; il y a par contre beaucoup d'intérêt pour le genre de régime qui sera installé dans le pays après le conflit et c'est pourquoi on est en faveur de la destitution des talibans. Vous pouvez peut-être donc en déduire que l'on s'attend à ce que la campagne réussisse. On s'intéresse déjà à la suite des événements. Par contre, je ne peux pas vous donner d'avis militaire sur la campagne.
M. John Harvard: Mais je conclus de ce que vous venez de dire que même après le renversement des talibans, nous—je veux dire pas seulement le Canada mais bien la coalition—n'allons pas simplement rentrer chez nous et que nous maintiendrons une présence dans cette partie du monde, militairement et autrement, pendant très longtemps.
M. John Manley: Il faudra certainement une force internationale après le conflit pour maintenir l'ordre ou des efforts de la communauté internationale pour créer l'infrastructure, les institutions et le type de régime qui seront nécessaires. Dans ces domaines, nous avons un rôle à jouer.
M. John Harvard: Laissez-moi vous poser cette question, monsieur le ministre. Après le départ des talibans, est-il raisonnable de croire qu'ils seront remplacés par des dirigeants afghans qui accepteront de travailler avec d'autres pays pour lutter contre le terrorisme et instaurer la stabilité que nous souhaitons voir dans ce pays, déchiré par la guerre depuis si longtemps?
M. John Manley: Si la communauté internationale prend les moyens nécessaires pour créer un environnement stable et des débouchés économiques pour le peuple afghan en collaborant sans doute avec une forme quelconque de force internationale nécessaire au maintien de l'ordre, alors oui, tout à fait. Actuellement, nous sommes aux prises avec un gouvernement renégat qui a échoué lamentablement et qui s'était maintenu au pouvoir par la force et le trafic de la drogue. S'il peut être remplacé par une entité qui assure la civilité, des chances pour tous et le développement économique, je crois qu'il ne sera plus nécessaire pour les Oussama ben Laden de ce monde de trouver un refuge quelque part.
M. John Harvard: D'après ce que vous savez de ce que l'on appelle l'Alliance du nord, qui semble être le deuxième groupe en puissance en Afghanistan—actuellement, elle n'est pas à l'égal des talibans—pensez-vous qu'elle compte des éléments qui peuvent offrir le genre de leadership politique stable et responsable dont Kaboul a besoin?
M. John Manley: Je pense que la communauté internationale devra traiter avec tous les groupes ou toutes les forces de l'Afghanistan, sans quoi le conflit risque de perdurer, comme l'enseigne l'histoire de ce pays. Si l'un de nos objectifs à terme est d'assurer la stabilité et offrir de l'espoir aux habitants de l'Afghanistan, il faudra que la communauté internationale intervienne. Il ne s'agit pas simplement de substituer l'Alliance du nord aux talibans.
M. John Harvard: Ce que je crains, monsieur le ministre, c'est qu'Oussama ben Laden parvienne à convaincre le monde musulman que l'expulsion des talibans n'est pas vraiment une attaque contre eux ni contre l'Afghanistan, mais contre le monde islamique. Ne sommes-nous pas ici au bord d'un précipice où une très grande prudence s'impose? Citant Mme McDonough, je crois que nous risquons de gagner la bataille mais de perdre la guerre.
M. John Manley: C'est tout à fait juste. Il faut à tout prix maintenir la position qui est la nôtre: il ne s'agit pas d'une guerre contre l'Islam ni contre un groupe en particulier. Il ne faut pas oublier que le Canada et les autres membres de la coalition ont sacrifié des efforts et des vies pour protéger la minorité musulmane de Bosnie, que la dernière grande opération de l'OTAN a été la protection de la minorité musulmane du Kosovo, que nous avons apporté de l'aide et du soutien aux collectivités musulmanes lorsqu'elles en ont eu besoin. Très honnêtement, je pense qu'il s'agit ici aussi d'une campagne d'aide aux collectivités musulmanes. De tous les musulmans que j'ai rencontrés lors de mes déplacements au Moyen-Orient, aucun ne m'a dit penser que les talibans représentent leur foi d'une manière quelconque. C'est un message qu'il ne faut cesser de rappeler.
La pierre de touche sera l'expression de cette promesse après le conflit. Il faudra le faire même si nous n'arrivons pas à capturer Oussama ben Laden ou à constater sa mort. Il faut qu'il sache que tant qu'il vivra il ne sera pas en sécurité et sera poursuivi avec acharnement jusqu'au bout du monde. En revanche, assurons-nous de répondre aux besoins des victimes non seulement de ses actes à lui mais aussi de ce gouvernement renégat qui a exploité son pouvoir pour subjuguer une population et vendre de la drogue en Iran et en Europe occidentale.
Le président: Merci beaucoup, monsieur le ministre. Nous avons largement dépassé 17 h 30, heure à laquelle vous deviez nous quitter. Je vais donc interrompre les délibérations.
Je vous remercie d'avoir pris le temps de venir devant le comité. Merci également du temps et de l'effort que vous avez consacrés à votre tournée pour essayer de trouver une solution juste à ces questions d'une extrême complexité. Nous avons tous remarqué, monsieur le ministre, que vous semblez avoir été pris à partie par les deux camps. Nous en avons conclu que vous avez sans doute tenu le discours qu'il fallait dans les circonstances. Merci beaucoup, monsieur le ministre.
M. John Manley: Merci à vous.
Le président: Nous nous reverrons à 9 heures jeudi matin, chers collègues. La séance est levée.