INST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON INDUSTRY, SCIENCE AND TECHNOLOGY
COMITÉ PERMANENT DE L'INDUSTRIE, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 4 décembre 2001
La présidente (Mme Susan Whelan (Essex, Lib.)): Je déclare ouverte cette séance du comité tenue conformément au mandat que lui confère le paragraphe 108(2) du Règlement, soit une étude de la loi et des politiques sur la concurrence. Les thèmes de la première table ronde seront l'examen des fusions, l'article 96 et les seuils de préavis; l'article 45, problèmes et options; les pratiques de fixation des prix et abus de position dominante, problèmes et options; les industries spéciales et règles spéciales.
Bonjour, mesdames et messieurs. Je vous remercie d'être venus nous rencontrer ce matin. Je pense que vous trouverez très intéressantes les deux prochaines heures.
Si vous regardez autour de la table, je ne doute pas que vous reconnaîtrez beaucoup de visages. Le format de la réunion d'aujourd'hui est quelque peu différent de ce à quoi nous sommes accoutumés. Je vous assure que les députés autour de la table n'ont pas changé de parti, même s'ils n'occupent pas leur place habituelle. Nous avons réuni une assemblée distinguée et c'est un grand privilège pour nous de bénéficier dans cette tribune de la présence de certains parmi les plus grands experts du droit de la concurrence du pays.
• 0910
Bien que les membres du comité aient acquis une bonne
connaissance de ce domaine, ces tables rondes seront néanmoins une
bonne expérience pédagogique pour les membres et nous aideront à
compléter notre rapport intérimaire de juin 2000.
Nous avons esquissé plusieurs grands thèmes que nous souhaitons approfondir lors de cette table ronde, tout en sachant que certains d'entre eux sont un sujet de préoccupation plus immédiate et susciteront davantage de discussions que d'autres.
Il est possible que nous ne puissions pas aborder tous ces sujets aujourd'hui. Je propose d'en couvrir autant que nous le pouvons dans le temps prévu et nous vous encourageons à parler sans détour afin de stimuler un débat entre les participants.
Nos délibérations sont télévisées. Nous espérons que ces audiences serviront à instruire les Canadiens, non seulement en ce qui concerne le droit de la concurrence mais également le processus parlementaire. Les débats d'aujourd'hui formeront partie de la mémoire collective du comité. Ils nous aideront grandement à formuler nos propositions législatives futures.
Là-dessus, je vous remercie encore une fois d'être venus. Je signale que nous aurons du temps pour des discussions informelles lors d'un déjeuner léger qui nous sera servi plus tard dans cette salle.
Je commencerai par inviter chacune des participants à se présenter, ensuite de quoi je vous inviterai à intervenir sur le premier thème. Faites-moi signe lorsque vous souhaitez prendre la parole.
Nous allons donc faire un tour de table et inviter tout le monde à se présenter, en commençant par M. Russell.
M. Robert S. Russell (témoignage à titre personnel): Je suis Rob Russell, du cabinet Borden Ladner Gervais.
M. Brent St. Denis (Algoma—Manitoulin, Lib.): Brent St. Denis, député.
M. Thomas W. Ross (témoignage à titre personnel): Tom Ross, de la University of British Columbia.
M. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.): Walt Lastewka, député de St. Catharines.
M. Douglas West (témoignage à titre personnel): Doug West, économiste à la University of Alberta.
[Français]
Mme Jocelyne Girard-Bujold (Jonquière, BQ): Jocelyne Girard-Bujold, Jonquière.
[Traduction]
M. Calvin Goldman (témoignage à titre personnel): Calvin Goldman, du cabinet Davies Ward Phillips & Vineberg.
M. Donald McFetridge (témoignage à titre personnel): Don McFetridge, université Carleton.
M. Lawson Hunter (témoignage à titre personnel): Je suis Lawson Hunter, de Stikeman Elliott.
M. Tim Kennish (témoignage à titre personnel): Je suis Tim Kennish de Osler, du cabinet Hoskin & Harcourt, à Toronto.
M. Jeffrey R. Church (témoignage à titre personnel): Je suis Jeff Church, département de sciences économiques, Université de Calgary.
M. John Scott (témoignage à titre personnel): Je suis John Scott, de la Fédération canadienne des épiciers indépendants.
M. Joseph Volpe (Eglinton—Lawrence, Lib.): Joe Volpe, député, Toronto.
M. John Sotos (témoignage à titre personnel): John Sotos, Sotos Associates, Toronto.
M. Dan McTeague (Pickering—Ajax—Uxbridge, Lib.): Dan McTeague, député de la région de Toronto.
M. Deepak Obhrai (Calgary-Est, Alliance canadienne): Deepak Obhrai, député de Calgary.
[Français]
M. Stéphane Bergeron (Verchères—Les-Patriotes, BQ): Stéphane Bergeron, député de Verchères—Les-Patriotes, dans la région de Montréal.
[Traduction]
La présidente: Et M. Bagnell, député du Yukon, s'est également joint à nous.
Je ne sais pas qui veut commencer, mais j'inviterais la personne qui le fera à expliquer très brièvement le sujet de son intervention. Et puisque le grand public nous suit à la télévision, peut-être pourriez-vous le faire en des termes compréhensibles par le profane.
M. Joseph Volpe: Vous pouvez toujours commencer par la gauche.
La présidente: Dans ce cas, nous allons commercer par M. Russell.
M. Robert Russell: Puisque vous m'invitez à choisir mon thème, je commencerai par traiter de l'article 45. Vous êtes au courant des tables rondes tenues avec divers groupes et des divers rapports préconisant une modification de l'article 45 de la Loi sur la concurrence. Je considère que c'est là l'un des sujets les plus importants dont nous devons débattre aujourd'hui, car l'article 45 est la pierre angulaire de la Loi sur la concurrence. C'est sans doute la disposition la plus ancienne de notre législation, ayant été transférée du Code criminel et elle est à l'origine de nombre des appels à une réforme de notre législation lancés par les juristes et les économistes.
S'agissant de l'opportunité de modifier l'article 45, deux éléments prépondérants doivent être pris en compte. Premièrement, il y a l'historique de son application. Nous n'avons pas rencontré de grands succès avec cette disposition. Étant donné son libellé et la difficulté d'apporter les preuves requises, il est très difficile de l'invoquer contre les ententes injustifiables. Deuxièmement, sur ce même plan, nous sommes le seul pays du monde à exiger un tel niveau d'analyse pour obtenir une condamnation aux termes de l'article 45.
La plupart des juridictions, et je cite l'Europe, les États-Unis, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Afrique du Sud et d'autres, ont adopté une approche de condamnation automatique des cartels flagrants, tout en prévoyant un recours en droit civil—et cela a été proposé pour le Canada—à l'égard des alliances stratégiques qui peuvent être importantes pour notre économie.
Par exemple, lorsqu'il s'agit de mettre au point un vaccin, il se peut que deux sociétés pharmaceutiques doivent collaborer à la mise au point du vaccin et doivent en fixer le prix pendant une courte période afin de récupérer les coûts de recherche.
• 0915
Ce type d'entente serait examinée en tant qu'alliance
stratégique et pourrait être exonérée. Ce ne sera pas toujours le
cas, à moins que l'analyse économique démontre la nécessité de
recouvrer ces frais au moyen d'un accord de fixation des prix,
après le fait.
L'élément déterminant est que l'objectif premier d'un tel arrangement serait de mettre au point le vaccin. Il est évident que ce type d'alliance stratégique est dans l'intérêt public et il serait donc possible de l'autoriser selon un régime nouveau. Tous les autres pays ont examiné le cas des alliances stratégiques et apporté des modifications pour les permettre ou, dans le cas des États-Unis dont le droit est issu de la jurisprudence, prévu des exceptions permettant de nouer de telles alliances stratégiques.
La deuxième difficulté concernant l'article 45 est la nécessité de trouver un régime permettant une approche coordonnée, si vous voulez, dans une économie mondialisée.
Les alliances et accords stratégiques entre sociétés sont maintenant d'envergure internationale tout autant que nationale, et à moins d'avoir une approche coordonnée avec d'autres pays, nous découvrirons que le Canada ne pourra pas poursuivre certaines sociétés actives au Canada. C'est vrai de bon nombre des dispositions de la Loi sur la concurrence, mais dans le cas de celle-ci, à mon sens, il est particulièrement important de rechercher une approche coordonnée.
Encore une fois, c'est ce que d'autres pays ont fait. Ils ont recherché une approche coordonnée des dispositions équivalentes à notre infraction de complot et ont adapté leur législation dans ce but.
La présidente: Quelqu'un d'autre souhaite-t-il intervenir à ce stade?
Monsieur Goldman.
M. Calvin Goldman: Merci. C'est un plaisir que d'être parmi vous et de participer à cette table ronde. Je vous félicite de procéder de cette manière, soit nous inviter à nous prononcer en toute liberté et franchise sur les éléments que votre comité pourrait revoir.
J'aimerais, avec votre permission, revenir un peu en arrière et parler de la nécessité générale d'assurer que les ressources et le cadre institutionnel du Bureau de la concurrence soient aussi forts qu'ils doivent l'être pour que le bureau puisse exécuter efficacement son mandat dans les divers domaines que vous examinez. Il importe que le comité consacre du temps à cet aspect.
J'ai présenté une communication en juin, dont je serais ravi de vous fournir le texte, qui traite de toute la question de la réforme institutionnelle du Bureau de la concurrence lui-même.
Je ne m'attarderai pas sur ce point à ce stade, mais sachez que nous avons eu à ce sujet un vif débat. Lawson Hunter et d'autres faisaient partie du groupe. C'est un sujet qui a déjà été soulevé et qui, à mon sens, mérite l'examen du comité, notamment la question de savoir s'il ne faudrait pas une commission de la concurrence composée de peut-être trois commissaires, étant donné l'ampleur de la tâche qui repose aujourd'hui sur les épaules du seul commissaire.
Y ayant travaillé vers la fin des années 80 et jusqu'à la fin de 1989, lorsque le mandat commençait à être mis en place—et il n'était pas aussi large qu'aujourd'hui—je peux vous assurer que la tâche du responsable du Bureau de la concurrence est tellement lourde—et je le dis sans critiquer en rien la manière dont elle est exécutée aujourd'hui—qu'elle mérite un organe de trois personnes.
En ce qui concerne vos thèmes particuliers, j'ai déjà recommandé que, dans le domaine de l'examen des fusions, des échéances soient inscrites dans la loi de façon à ce que les gens d'affaires proposant des fusions, les tierces parties intéressées par des transactions et intervenant devant le bureau, et les membres du bureau lui-même sachent qu'il y a des délais fixes, et ce en remplacement des lignes directrices prescrivant de simples normes de service qui ont cours actuellement.
Cela assurerait la certitude décisionnelle et alignerait le processus canadien plus ou moins sur celui de la Commission européenne.
• 0920
J'ai proposé à cet égard un délai initial d'un mois, suivi par
une échéance de quatre mois. Si, après le premier mois, le bureau
n'ouvre pas une enquête approfondie, la fusion est considérée comme
approuvée. Si une enquête est ouverte, intervient ensuite un délai
fixe—comme c'est le cas aujourd'hui à la Commission européenne—de
quatre mois pour la mener à bien. Ce délai serait suivi par une
autre échéance fixe—dont je fais état dans la même étude—pour la
procédure du tribunal.
Par ailleurs, je souscris à ce que Rob Russell a dit sur l'importance de la modification de l'article 45. Je peux vous dire qu'ayant été responsable de l'application de l'article 32 de la loi, le prédécesseur de l'article 45, la nouvelle numérotation introduite en 1986, j'ai eu à m'en préoccuper pendant plus de 25 ans, sous ses diverses formes. J'ai été l'un des conseillers spéciaux du Procureur général du Canada dans la poursuite contre les sociétés pharmaceutiques en Nouvelle-Écosse, où nous avons cherché, dans nos interventions auprès de la Cour suprême du Canada au début des années 90, à clarifier la signification de «indûment», de façon à donner une plus grande certitude décisionnelle au public et au bureau. Et, à mon avis personnel, en dépit de toutes les bonnes intentions, l'article 45 mérite un examen prioritaire.
Les raisons en sont énoncées dans les trois rapports remis au bureau. L'article est à la fois sous-inclusif et sur-inclusif. Je veux bien expliquer cela plus avant, mais je suis sûr que vous connaissez ces arguments. Outre les ressources du bureau, et peut-être la réforme institutionnelle, j'en ferais la priorité.
J'aurais encore d'autres choses à dire, mais je vais peut-être m'en tenir là pour le moment.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Goldman.
Monsieur Hunter.
M. Lawson Hunter: Juste un mot sur l'article 45. À mon avis, vous devrez veiller à ne pas simplement donner du travail aux avocats. Je vais à l'encontre de mes propres intérêts en le disant, manifestement.
M. Tim Kennish: Ce n'est donc pas crédible.
M. Lawson Hunter: Tim dit que ce n'est donc pas crédible.
Je pense que vous devez réellement prendre garde à ce sujet. L'article 45, qui est le plus long de la loi, existe depuis plus de 112 ans. À mon avis, on tend à exagérer l'incertitude qu'il suscite, et je pense qu'il faut peser l'incertitude actuelle à la lumière de l'incertitude future. Évidemment, c'est là où interviennent les avocats, car plus une loi laisse place à l'incertitude, et plus les avocats ont de travail, et ce n'est pas nécessairement dans l'intérêt des entreprises.
Je m'inquiète de la séparation proposée entre une procédure civile et une procédure pénale. La raison en est... et pour ceux d'entre nous qui travaillent dans les tranchées de ce vignoble, si je puis mélanger les métaphores, que la création de cette approche double confère une latitude et un pouvoir incroyables au commissaire. Si vous imaginez une situation de complot qui pourrait relever soit de l'une soit de l'autre, faisant l'objet d'une enquête du bureau, le commissaire jouirait du pouvoir incroyable de dire, par exemple: «Si vous ne faites pas ce que je souhaite, je vous emmène du côté pénal.»
Je pense donc qu'il faut être très prudent à ce sujet-là aussi. Si vous allez modifier la disposition, je ne la retrancherais pas du droit pénal. Je garderai la procédure pénale exclusive, et même si l'infraction n'est pas automatique, j'en ferai quand même une infraction pénale, sachant que cela a relativement bien marché toutes ces années.
J'aimerais faire valoir un autre aspect, et les gens autour de la table m'ont déjà entendu le dire à maintes reprises. Lorsque j'étais le directeur, poste qui s'appelle aujourd'hui commissaire, au début des années 80, le gouvernement cherchait depuis 20 ans à modifier la loi, sans succès, et nous avons décidé de nous pencher sur les trois pierres angulaires de la loi à cette époque—l'article sur le complot, l'article sur les fusions, et celui sur la monopolisation, aujourd'hui appelé abus de position dominante. À cette époque, nous avons tenté de rédiger une infraction per se, et nous avons constaté qu'elle couvrirait énormément de choses que nous ne voulions pas englober. Nous avions donc une liste d'exemptions longue de deux ou trois pages, parce que cette notion capturait beaucoup trop de choses que l'on ne voulait pas réellement englober.
• 0925
L'exemple classique que les gens citaient toujours était
qu'avec une infraction per se, si je vendais des journaux au coin
de la rue—évidemment, plus personne ne fait cela de nos jours—et
disais à un autre vendeur: «Tu prends ce coin, et moi je prends
l'autre», ce serait une infraction, ce qui est manifestement
absurde.
Il faut donc être prudents. Les États-Unis, comme nous le savons, ont une infraction per se, mais elle n'est pas définie dans la loi et est laissée à la discrétion des juges. Il faut veiller à ce que les exemptions ne deviennent pas si nombreuses que l'on ne sait plus à quoi l'interdiction s'applique.
Enfin, lorsqu'on dit que la loi n'est pas assez rigoureuse, lorsque nous avons analysé les cas au début des années 80, lorsque nous cherchions à décider quoi faire, nous avons constaté que le gouvernement a perdu plus de causes qu'il n'en a gagnées parce qu'il ne parvenait pas à faire la preuve. Ce n'est pas qu'il ne pouvait pas prouver le caractère indu, il ne pouvait prouver qu'il y avait effectivement une entente. Or, cela est la pierre angulaire de l'article sur le complot. Il faut prouver qu'il y a entente. Donc, tout le débat sur la faiblesse de la loi ignore le fait que le gouvernement ne parvenait pas à prouver l'existence d'une entente, au départ.
Lorsqu'on voit que 150 millions de dollars d'amendes ont été imposées ces dernières années au titre de cet article, il ne faut pas prétendre trop vite que la loi n'est pas assez rigoureuse.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Hunter.
Monsieur Kennish.
M. Tim Kennish: Merci beaucoup.
Avant 1976, évidemment, toute la Loi sur la concurrence était de nature pénale. Je ne pense pas que quiconque pense que ce soit le meilleur principe à appliquer pour l'avenir, particulièrement dans des domaines tels que le monopole. Je suis donc fortement en faveur d'une refonte de l'article 45, de façon à restreindre son caractère pénal aux comportements collusoires caractérisés, tels que la fixation de prix, le partage de territoire et de clientèle et la limitation de la production.
Je reconnais la difficulté à définir ces termes, mais dans les cas les plus flagrants, il n'y a guère de place pour le doute. S'il est une activité qui mérite d'être condamnée en soi, c'est bien celle-ci. Nous avons des dispositions non discrétionnaires dans d'autres parties de la loi, où elles ne sont pas justifiées, mais je pense que dans ce cas-ci elles le sont.
Donc, la réforme envisagée ferait deux choses importantes. Premièrement, elle donnerait au gouvernement des outils plus efficaces pour poursuivre les types de comportement anticoncurrentiels les plus sérieux. Deuxièmement, elle permettra une analyse économique plus conséquente d'autres arrangements horizontaux qu'il n'y a pas lieu de sanctionner, c'est-à-dire de prendre en compte les gains d'efficience.
Il est admis que notre norme de justification est partiellement axée sur la règle de raison, mais elle ne permet aucune prise en compte des gains d'efficience. Or, l'efficience constitue l'un des objectifs du droit de la concurrence et il convient donc d'en tenir compte au moment de déterminer si une action ou un arrangement est condamnable.
La vie devient de plus en plus complexe. Il m'apparaît qu'il serait bon pour l'administration de la justice à l'avenir si l'on pouvait considérer ces arrangements dans la même optique que les fusions, avec toute la panoplie des outils d'analyse économique, comme dans le cas des fusions.
Dans de nombreux cas, une alliance stratégique n'est rien d'autre qu'un arrangement contractuel similaire à une fusion. Elle peut être dictée par des considérations fiscales qui la font préférer à un arrangement contractuel. Je suis donc en faveur de ces réformes.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Kennish.
Je me tourne maintenant vers M. Ross, qui a beaucoup écrit sur l'article 45 et la théorie du complot.
M. Thomas Ross: Merci, madame la présidente.
Je suis ravi d'intervenir. Je n'irai pas jusqu'à dire que je suis là au nom des économistes, mais je suis le premier économiste à prendre la parole. Et je ne suis pas ici pour défendre la cause des avocats et multiplier leurs heures facturables, mais je suis en faveur de la réforme de l'article 45. Cela fait quelque temps que je travaille là-dessus.
• 0930
Je n'ai pas besoin d'en dire beaucoup plus, car mes raisons
ont déjà été très bien énoncées par Rob Russell et Tim Kennish.
M. Hunter a tout à fait raison lorsqu'il dit que les problèmes que le bureau a rencontrés dans ses poursuites pour fixation de prix étaient dus à la difficulté de prouver une entente. Mais il y a certainement eu des cas où le problème résidait dans l'évaluation du caractère indu de l'amoindrissement de la concurrence. Il s'agit donc de clarifier cela en scindant la loi en deux volets—un volet pénal, ne comportant pas le mot «indûment» pour la fixation de prix flagrante, les cartels caractérisés, puis un volet civil couvrant les arrangements plus complexes.
Encore une fois, il y a eu des affaires où la notion de «indûment» a fait obstacle. Il est également raisonnable de réfléchir à ces arrangements entre sociétés qui ne sont pas tout à fait des fusions mais ne sont pas un comportement collusoire injustifiable, comme c'est le cas de beaucoup d'alliances stratégiques et coentreprises. Il y a l'exemple de Rob Russell d'une coentreprise pour la mise au point d'un vaccin. Nombre de ces arrangements sont merveilleusement efficients, d'une part, mais posent néanmoins des difficultés sur le plan de la concurrence, d'autre part. Il faut, dans leur cas, une évaluation plus nuancée, plus libérale, comme celle à laquelle les fusions sont soumises.
Il est assez étrange que deux entreprises ou concurrents qui fusionnent font l'objet d'un examen au civil, où ils peuvent expliquer les gains d'efficience et où leur proposition fait l'objet d'une analyse coûts-bénéfices, alors que si elles ne vont pas jusqu'à la fusion, le droit pénal leur est appliqué et leurs responsables sont passibles de prison et d'amendes.
Il me semble qu'il est temps de réformer l'article 45 de la manière qui a été préconisée.
La présidente: Madame Girard-Bujold, souhaitez-vous intervenir?
[Français]
Mme Jocelyne Girard-Bujold: Madame la présidente, je suis très heureuse d'entendre M. Ross dire que nous en sommes vraiment rendus au point où il faut modifier l'article 45. Comme M. Goldman l'a dit, cet article est mis en application depuis 25 ans. Or, je pense qu'aujourd'hui, il y a diverses façons d'obtenir des preuves. À l'époque de l'adoption de l'article 45, il fallait des écrits, mais aujourd'hui, avec Internet et tous les nouveaux moyens de communication, nous en sommes au point où il faut modifier cet article, comme le disait M. Ross.
M. Ross a ouvert la porte en disant que lui-même était en faveur que cet article soit scindé en deux, selon les aspects de droit civil ou de droit criminel qu'il comporte. J'aimerais donc lui demander sur quoi il fonde son argumentation pour dire que c'est la voie que doit emprunter le Bureau de la concurrence, qu'il doit s'orienter de ce côté.
[Traduction]
M. Thomas Ross: Je ne suis pas très sûr de bien comprendre la question, mais je vais essayer de l'interpréter.
Il est certainement difficile, comme beaucoup l'ont déjà dit, de tirer la ligne entre un comportement sujet à des poursuites pénales, qui est clairement criminel, sans la notion de «indûment»—donc un délit criminel pur et simple—et un comportement sujet à un examen au civil plus nuancé.
Tim Kennish et moi avons rédigé un article où nous formulons une proposition. Trois ou quatre autres propositions ont été présentées. La nôtre met l'accent sur la question de savoir si l'entente constitue essentiellement une fixation de prix ou si l'élément anticoncurrentiel ou la fixation de prix est secondaire à une entente plus large qui, elle-même, ne serait pas contraire à l'article 45. Si l'élément fixation de prix est secondaire, alors l'accord plus général serait soumis à la procédure civile et serait jugé à l'instar d'une fusion. Cela me paraît une approche possible.
• 0935
D'autres préconisent comme critère la notion de publicité de
l'accord. Si l'accord est public, il suit la procédure civile,
alors que s'il est secret il est considéré comme intrinsèquement
illégal. D'autres approches encore sont possibles.
Si l'on établit cette distinction entre accords entre concurrents, on peut sanctionner plus directement les pratiques de fixation de prix que l'on veut réprimer. Il s'agit de sanctionner les comportements collusoires caractérisés. Mais les entreprises, pour leur part, ne veulent pas être prises dans le filet de cette campagne agressive contre la fixation des prix. Il ne s'agit pas de prendre dans le filet les alliances stratégiques et les coentreprises.
Il y a quelques années, le Bureau de la concurrence a émis des lignes directrices sur les alliances stratégiques et coentreprises, pour essayer de rassurer les milieux d'affaires, leur montrer que nous ne faisions pas une chasse aux sorcières attaquant le moindre accord entre concurrents. Je ne pense pas que les milieux d'affaires aient été très satisfaits de ces lignes directrices. Ils n'ont guère été rassurés. Le bureau était en partie paralysé parce qu'il était aux prises avec une loi qui ne lui permettait pas de faire ce qu'il voulait réellement... c'est-à-dire ce qui était économiquement rationnel, dans les circonstances.
Donc, comme je l'ai dit, le moment est venu de modifier l'article 45.
J'espère que cela répond à votre question, madame.
La présidente: Monsieur Russell.
M. Robert Russell: J'ai quelques commentaires en réponse à votre question et à l'intervention de M. Hunter, sur plusieurs points.
Pour comprendre les éléments clés à réformer, il faut bien voir ceci: bien que M. Hunger dit que ce serait une manne pour les avocats, je dis au contraire, la manne existe déjà aujourd'hui. Si vous me confiez la défense d'une affaire mettant en jeu l'article 45, je vous en remercierai infiniment, car elle m'occupera pendant les prochaines années, avec de nombreuses heures facturables. C'est l'une des affaires les plus juteuses aujourd'hui, car la loi me donne tellement de moyens de défense que je vais pouvoir beaucoup m'amuser pendant quatre ans.
Mais voyons un peu l'historique de cet article depuis 1980. Un total de 51 accusations ont été portées et 29 ont abouti à un plaidoyer de culpabilité, car elles faisaient suite à des condamnations prononcées en Europe et aux États-Unis. Nous devons nous mettre à la remorque des régimes d'application étrangers pour obtenir des condamnations au Canada. Voilà le premier point.
Le deuxième point est que, sur les 22 affaires contestées, trois ont abouti à une condamnation. Est-ce que tous les avocats du ministère de la Justice ou ceux engagés à l'extérieur sont incompétents? Non. La norme de preuve est celle du droit pénal. Il faut prouver tous les éléments du dossier au-delà de tout doute raisonnable. Cette norme devrait être maintenue.
Lorsqu'on s'attaque à un comportement collusoire caractérisé, la norme doit être respectée, mais il ne faudrait pas avoir à prouver les effets économiques. C'est ce qui se passe dans tous les autres régimes du monde. L'interdiction per se signifie simplement que si je conclus un arrangement de fixation de prix, vous n'êtes pas obligé d'établir qu'il a un effet anticoncurrentiel, avec les frais énormes qu'exige une telle démonstration, laquelle devient le principal enjeu. Il suffit de prouver qu'il y a un accord. Ce n'est pas difficile. Il me faudra une semaine pour apporter cette preuve mais je passerai les quatre années suivantes à essayer de prouver les effets économiques. Voilà la réalité des poursuites en vertu de l'article 45, lorsqu'elles sont plaidées.
Donc, avec une interdiction absolue des ententes caractérisées, si vous vous livrez à la fixation des prix, vous commettez une infraction absolue, comme dans le cas du truquage des soumissions. Ce n'est pas nouveau. Si vous truquez les soumissions à un appel d'offres, il n'y a pas d'analyse des effets sur la concurrence, c'est un acte illégal en soi. Voilà donc la première approche.
La deuxième approche est celle esquissée par M. Ross et d'autres. Il existe des formes d'arrangements qui ne sont guère différents d'une fusion, et à l'égard desquels il faut se pencher sur les effets sur la concurrence pour voir s'ils sont licites ou non. C'est une catégorie autre que la fixation des prix caractérisée et ce genre de choses. Tous les autres régimes font cette distinction.
En ce qui concerne les questions administratives et procédurales, il y a toute une série de modèles, mais tous sont très similaires à ce que tous les spécialistes autour de la table ont proposé.
Donc, faut-il inventer quelque chose de nouveau? Je réponds à M. Hunter, non, nous regardons ce qui se fait ailleurs dans le monde, regardons le succès des poursuites dans toutes les autres juridictions, et proposons un modèle qui conserve notre approche traditionnelle de la criminalisation des infractions caractérisées, une approche différente de celle de l'Europe.
En Europe, l'infraction est purement civile et il faut y considérer toute la série des exemptions prévues à l'article 81 pour déterminer ce qui n'est pas couvert. Au Canada, nous avons l'interdiction en soi des cartels caractérisés, dans tous les modèles proposés par les gens autour de cette table, mais nous recherchons une harmonisation au niveau des autres arrangements qui requièrent un examen des effets sur la concurrence.
Pour répondre à la question posée à l'autre bout de la table, c'est pourquoi nous proposons que le Tribunal de la concurrence se penche sur tous les autres arrangements exigeant la prise en compte des effets concurrentiels. Il est le seul tribunal spécialisé, car c'est là un autre problème avec les tribunaux généraux. Ils n'ont pas l'expérience, n'ont pas la capacité fondamentale d'examiner les effets concurrentiels. Si vous regardez les échecs de la poursuite dans ces affaires, c'est parce qu'elle n'a pas réussi à prouver l'existence d'une entente selon la norme de preuve pénale.
• 0940
Deuxièmement, les 150 millions de dollars d'amendes récemment
imposées sont le produit de l'effet de raccrochage. Nous avons
perçu 150 millions de dollars d'amendes au Canada après que
d'autres pays aient condamné ces cartels internationaux. Nous avons
obtenu des plaidoyers de culpabilité grâce à cela, mais ce n'est
pas une réussite de notre régime à nous.
La présidente: Je vais donner la parole à M. Goldman, M. Hunter, M. Obhrai, puis à M. McTeague.
M. Calvin Goldman: Merci, madame la présidente.
J'ai deux autres remarques concernant l'opportunité de revoir l'article 45. Premièrement, je suis d'accord avec M. Russell lorsqu'il dit que le Canada, par le passé, a été un pionnier de la modernisation du droit de la concurrence. En 1986, nous pouvions fièrement brandir la Loi sur la concurrence et vanter un certain nombre d'éléments de cette loi qui nous mettaient en avance sur d'autres pays.
Mais, comme M. Russell l'a dit, l'une des déficiences qui perdure est l'article 45, qui n'est pas adapté dans le cas des cartels caractérisés, flagrants. Nous ne sommes pas alignés à cet égard avec les autres pays, alors qu'une collaboration étroite avec ces autres juridictions s'impose sur le plan de la répression dans ce domaine. L'activité commerciale est de plus en plus internationale et ce ne sera pas un affront aux gens d'affaires que de leur dire que la fixation de prix caractérisée est une infraction absolue au Canada—un point c'est tout.
Deuxièmement, comme Yves Bériault l'a fait valoir dans un des trois rapports, le droit pénal exige la clarté et la prévisibilité. La clarté et la prévisibilité sont des attributs absolument fondamentaux dans l'élaboration et l'application d'une loi véritablement pénale comme l'article 45. Or, à mon avis, et de l'avis d'autres qui ont écrit sur le sujet, nous n'avons pas cette clarté et prévisibilité, en dépit de tout le bon travail effectué ces dernières années.
Je respecte certainement l'avis de M. Hunter lorsqu'il parle des nuances et de la nécessité d'avancer très prudemment de façon à ne pas aller trop loin, de trouver le juste équilibre, mais je pense également que c'est un projet réalisable, avec les efforts de ce comité et la bonne volonté de tous ceux qui ne demandent qu'à vous aider.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Goldman.
Monsieur Hunter, s'il vous plaît.
M. Lawson Hunter: J'aimerais dire quelques mots en réfutation.
Sur cette question des gains d'efficience et des effets des accords, il faut savoir que chaque fois que vous ajoutez ces notions d'efficience—et je m'excuse auprès de Tom et de Don et des autres économistes—vous engendrez une incertitude et vous compliquez les choses. L'une des vertus de l'article sur le complot, tel qu'il existe, est que les tribunaux ont tranché qu'il n'est pas nécessaire de tenir compte des avantages dérivés par les parties à l'entente pour décider ce qui est criminel et ne l'est pas.
Il faut donc faire très attention avant de jeter ce concept. Je ne conteste pas l'idée que certaines choses doivent être illégales en soi. Je mets simplement en garde contre une trop grande complexité.
Encore une fois, je vous fais part de mon avis sur l'historique des problèmes que nous avons rencontrés devant les tribunaux et les arbitres. Si les arbitres estiment... et c'était, je crois, le cas lorsque le droit des fusions et le droit des monopoles étaient pénaux dans ce pays. Lorsque des poursuites étaient intentées, les juges disaient: «Cela ne m'apparaît pas être un comportement criminel», et trouvaient un moyen pour prononcer un verdict de non-culpabilité. Les tribunaux trouvent donc un moyen d'agir de façon juste et équitable, même si la loi dit autre chose et que vous n'êtes pas d'accord avec le verdict.
Soyez donc très prudent à ce sujet. À mon sens, si vous voulez avoir un volet pénal et un volet civil, je n'introduirais pas la notion d'efficience. Je laisserais les choses comme elles ont été interprétées.
D'ailleurs, le commissaire, dans un discours qu'il a prononcé en octobre, a estimé que l'alinéa 45(1)b) érige la fixation de prix en infraction absolue.
• 0945
Rob, en ce qui concerne la durée d'une procédure relative à
l'article 45, vous avez manifestement trouvé une meilleure façon de
saigner vos clients que moi, car je constate que ce n'est pas long
du tout. Je constate qu'en fait les milieux d'affaires sont très
responsables et traitent avec le bureau. S'il y a des problèmes,
ils assument leurs responsabilités. C'est ce qui est arrivé dans
ces autres affaires. J'ai donc l'impression que vous êtes un peu
trop retors.
La présidente: Monsieur Hunter, nous essayons d'éviter les remarques trop personnelles et je ne veux pas savoir ce que font les clients des uns et des autres.
Nous avons pas mal de questions à poser et je demande aux membres de poser des questions ou de faire des remarques très concises.
Monsieur Obhrai, s'il vous plaît.
M. Deepak Obhrai: Merci.
Je suis nouveau à ce comité. Étant donné qu'il est télévisé, beaucoup de gens nous regardent.
Une voix: Ils se sont probablement endormis.
M. Deepak Obhrai: Exactement, car tous les gens ici sont avocats. Évidemment, ils ne peuvent pas facturer leurs heures, mais les interventions sont techniques.
J'ai deux questions. Ma première question est terre à terre, au niveau de ce que les gens qui nous regardent veulent savoir, c'est-à-dire est-ce que la Loi sur la concurrence actuelle protège les nouvelles compagnies aériennes comme WestJet et d'autres contre un transporteur dominant comme Air Canada? Est-ce que le régime actuel le fait ou non? Voilà ce qui intéresse les gens.
Ma deuxième question est en rapport avec ce qui a été dit ici sur l'élargissement de la juridiction...
La présidente: Monsieur Obhrai, nous essayons de nous limiter à une question à la fois, avec autant d'experts autour de la table. Nous faisons des tours de table complets. Ce n'est pas comme lorsque nous entendons des témoins. Écoutons donc les réponses à votre première question, sur une industrie particulière.
Je ne sais pas si M. Hunter veut répondre, étant donné qu'il est là...
M. Deepak Obhrai: Aurais-je l'occasion de poser ma deuxième question sur l'OMC?
La présidente: Nous reviendrons là-dessus. Nous avons quatre thèmes aujourd'hui.
Monsieur Hunter.
M. Lawson Hunter: Comme vous le savez, j'ai comparu devant le comité mardi dernier pour le compte d'Air Canada. Mon point de vue, en substance, est que dans la mesure où Air Canada subit le coût et la difficulté d'appliquer les règles spéciales qui lui ont été imposées suite à la fusion... Si vous étiez à l'intérieur et voyiez la difficulté et les efforts déployés pour respecter cette loi, vous arriveriez à la conclusion que la réponse est oui, c'est efficace, le commissaire est très vigilant et Air Canada se débat chaque jour pour essayer de comprendre ce qu'elle peut faire et ne pas faire dans le régime actuel.
La présidente: Pourriez-vous étendre votre réponse aux industries spéciales en général et à différents autres groupes?
Monsieur Scott, voulez-vous réagir à cela? Vos remarques ne doivent pas nécessairement porter sur le transport aérien.
M. John Scott: Je pensais que vous parliez de l'article 45, sur lequel je n'ai pas grand-chose à dire sinon pour reconnaître, comme d'autres collègues, que parfois le fait de faire ce genre de procès devant un tribunal judiciaire—et je ne suis pas avocat—qui n'est pas très familier de ce droit engendre davantage de difficultés qu'il n'en règle.
J'aurais des remarques sur plusieurs autres domaines, madame.
La présidente: En fait, la question de M. Obhrai était plutôt de savoir dans quelle mesure la Loi sur la concurrence couvre des industries spéciales.
M. John Scott: Je comprends.
La présidente: Avez-vous un avis à ce sujet?
M. John Scott: S'agissant de l'application de la loi, la question est de savoir si les gens vont ou non... Je pense que tous les éléments requis sont là. Ce sont les interprétations qui laissent beaucoup à désirer. Je ne pense pas qu'il faille des règles distinctes pour des industries distinctes. Mais je pense qu'il faut une application claire et cohérente de lignes directrices claires.
Manifestement, quelque chose m'échappe ici.
La présidente: Non, poursuivez. Nous sommes en train de distribuer un document.
M. Dan McTeague: C'est le projet de loi C-472.
La présidente: Merci, monsieur McTeague.
M. John Scott: Voulez-vous que je reprenne au début?
La présidente: Oui, recommencez, monsieur Scott. Veuillez m'excuser.
M. John Scott: Très bien.
J'aimerais dire trois ou quatre choses en rapport avec le secteur de l'épicerie, car j'y ai consacré une partie de ma vie professionnelle, pas toute ma carrière, et ce n'est pas ma seule expérience de la Loi sur la concurrence.
Tout d'abord, je suis d'accord avec M. Goldman pour dire que le bureau a besoin de ressources accrues. D'ailleurs, dans le préambule de la loi, je crois qu'il est dit expressément que le bureau doit disposer des ressources voulues pour remplir sa mission. Voilà le premier point.
Deuxièmement, s'agissant de notre expérience avec le bureau et l'application de la loi à notre secteur, que M. Goldman a caractérisé déjà en 1994 d'industrie suréquilibrée, je me demande comment il la qualifierait aujourd'hui, étant donné qu'elle est encore plus suréquilibrée. Ce qui se passe dans cette industrie, c'est qu'elle est tellement dominée par un si petit nombre de joueurs, un peu comme dans le secteur aérien, que nul n'ose venir s'en plaindre. Personne au bas de l'échelle n'ose se mouiller et personne en haut, notamment les fabricants, n'ose en parler.
• 0950
Il y a un an environ, le Forum des politiques publiques a
organisé des audiences à travers le pays sur la question de l'abus
de position dominante et a été surpris du petit nombre
d'interventions. La raison en est, je crois, que les audiences,
comme celle-ci, sont publiques et télévisées. Cela expose la
personne ou l'entreprise qui vient se plaindre à des mesures de
rétorsion, comme on en a déjà vues dans notre industrie comme dans
d'autres. C'est un problème très difficile.
À mon sens, il faut donc des lignes directrices très claires concernant l'abus de position dominante et se pencher de près sur quelques industries.
Le Bureau de la concurrence ne comprend pas nécessairement notre industrie. Je sais qu'au départ il ne comprenait pas celle du transport aérien. Il a besoin de ressources pour faire le travail. Une fois qu'il sera familiarisé, il comprendra la nécessité d'affiner les règles touchant l'abus de position dominante, les prix d'éviction et les fusions.
Juste une anecdote sur les fusions. Là aussi il faut une application cohérente. Lorsque les fusions dans le secteur de l'alimentation ont été approuvées il y a quelques années, pas mal de gens ont annoncé quelles en seraient les répercussions. Lorsque les fusions ont été approuvées—sous réserve de quelques contraintes de dessaisissement tellement mineures qu'elles en étaient presque risibles—nous avons demandé au bureau, en vertu de l'accès à l'information, le modèle économique qu'il a utilisé pour approuver les fusions. Eh bien, il n'y en avait pas.
Il est donc nécessaire, si vous allez approuver des fusions dans un certain délai, que ce soit de quatre mois comme le demande M. Hunter, ou dans notre cas, d'un an, d'assurer la clarté, madame la présidente, une réelle clarté et transparence afin que l'on sache ce qui justifiait telle fusion particulière dans telle situation particulière.
J'ai couvert beaucoup de terrain, mais j'ai beaucoup à dire. Je suis désolé.
La présidente: Pas de problème.
M. Russell souhaite répondre.
M. Robert Russell: Je veux répondre aux deux, car je suis en désaccord et avec M. Hunter et avec M. Scott. Vous vous demandez sans doute pourquoi.
Et je dois déclarer un intérêt à cet égard. J'ai comparu devant le comité permanent et devant le comité sénatorial concernant les changements adoptés il y a 18 mois touchant les compagnies aériennes, et ce pour le compte d'un certain nombre de transporteurs internationaux.
La différence entre les deux est que l'une est une industrie partiellement déréglementée, alors que le secteur de l'alimentation ne l'est pas. Il existe une différence fondamentale entre les deux sur le plan du droit de la concurrence.
Dans le cas des dispositions portant spécifiquement sur le transport aérien, certains éléments ont été introduits afin de définir clairement l'abus dans ce secteur. On a jugé qu'un tel code de conduite était nécessaire en raison de la crise qui régnait alors. Néanmoins, on pourrait arguer que la disposition sur l'abus couvrait déjà le transport aérien auparavant et c'est bien ce que font certains.
L'élément nouveau introduit est la disposition sur les installations essentielles. Nous étions le seul pays occidental à ne pas l'avoir. En gros, il s'agit d'une disposition qui garantit l'accès dans les industries tributaires d'un réseau et qui font l'objet d'une déréglementation, afin que la concurrence puisse exister. Par exemple, l'électricité fait l'objet d'une déréglementation au Canada. Il en est de même dans beaucoup d'autres secteurs et il faut, dans certains cas, des règles spéciales.
L'Allemagne en a introduites et d'autres pays aussi, en réponse à la déréglementation. Donc, certaines règles applicables aux compagnies aériennes, au moins, étaient nécessaires. La question est de savoir si elles sont suffisantes.
Le secteur du transport aérien canadien traverse manifestement une énorme crise en ce moment, et l'efficacité de la politique de concurrence doit être évaluée à la lumière de la politique de transport, car dans un secteur partiellement déréglementé, l'une ne peut être considérée indépendamment de l'autre.
Vous parlez de la distribution alimentaire; nous sommes aujourd'hui le pays occidental qui a les prix alimentaires les plus bas. C'est la conclusion d'une étude américaine et non pas canadienne. De tous les pays, c'est chez nous que l'achat du panier de nourriture exige le moins d'heures de travail.
• 0955
Le problème est que vous avez là un secteur hautement
concurrentiel, et il en résulte que les marges bénéficiaires sont
très faibles. Les supermarchés gagnent moins de 1 p. 100 de leur
chiffre d'affaires. Ils jouent donc sur les gros volumes, achètent
en masse. Peu importe d'où proviennent les bananes. Mais
l'efficience se répercute en amont. Les agriculteurs aujourd'hui
disent que le blé ne rapporte pas assez. Voilà la conséquence.
On se trouve ici à l'intersection de deux politiques gouvernementales. On ne va pas modifier la Loi sur la concurrence pour soulager les agriculteurs et stimuler la petite entreprise. Ce serait une erreur car dans le secteur alimentaire la Loi sur la concurrence produit les résultats attendus.
Dans la vallée de l'Annapolis—et je l'ai déjà signalé—deux grandes chaînes, Loblaws et Sobey's, se sont finalement implantées après qu'une petite entreprise familiale ait dominé la vallée pendant des années. Les prix alimentaires y étaient supérieurs de 20 p. 100 à ceux du reste du pays. Les grandes chaînes sont arrivées et il y a eu une guerre des prix qui a fait des dégâts. Les prix ont baissé de 20 p. 100. C'était il y a huit ans et ils ne sont pas remontés. Donc, s'agissant de la politique de concurrence, il faut savoir ce que l'on veut.
Comparez cela, les prix alimentaires les plus bas du monde, avec le prix du billet d'avion qui m'a amené ici ce matin, presque 800 $. Il y a deux ans, je dépensais à peine plus de 400 $ en classe affaires. Je ne voyage plus en classe affaires, car le prix du billet entre Ottawa et Toronto dépasse maintenant 1 000 $. Il y a ce contraste—une industrie partiellement déréglementée où il n'y a pas assez de concurrence et une industrie très efficiente qui donne les prix les plus bas aux consommateurs. Tout est là.
Nous sommes ici aujourd'hui pour parler de concurrence. Nous ne parlons pas de subventions aux agriculteurs ou de ce qu'il faut faire pour équilibrer la politique agricole dans notre pays.
La présidente: Monsieur Kennish.
M. Tim Kennish: J'espère que nous aurons l'occasion de revenir sur l'article 45 car j'en ai encore beaucoup à dire.
À ce stade, comme on l'a souvent souligné, la Loi sur la concurrence est une loi d'application générale. Je ne sais pas si c'est toujours exact, avec les dispositions spéciales touchant les agences de voyage, etc., mais je pense qu'elle devrait l'être. Certes, certaines industries requièrent un traitement spécial. Dans la mesure où elles sont réglementées, il y a un principe de conduite réglementé, dont l'effet est quelque peu incertain. Je pense qu'il serait utile de préciser son champ d'application, mais dans la mesure où une industrie est réglementée, elle n'est pas soumise à cette loi.
Je pense que le thème ou le principe qui sous-tend la Loi sur la concurrence, soit que la concurrence offre d'énormes avantages, est universellement valide. Je ne suis pas convaincu de la nécessité d'en exonérer des secteurs particuliers.
Je ne suis donc pas en faveur de réglementations sectorielles spécifiques, mais si l'on est convaincu qu'une industrie a besoin de dispositions spéciales, il est approprié d'avoir une loi ou une politique gouvernementale spécifique dans ces domaines. La Loi sur la concurrence, dans ce cas, ne s'appliquerait pas à eux.
La présidente: Monsieur Sotos.
M. John Sotos: Merci, madame la présidente.
Je ne suis ni économiste ni avocat spécialisé en droit de la concurrence...
M. Joseph Volpe: Ce sont là d'éminentes qualités.
M. Deepak Obhrai: Et pas de facturation.
M. John Sotos: Pas de facturation aujourd'hui.
Ma perspective est légèrement différente. Je me spécialise en franchisage. On peut considérer que le franchisage représente une industrie propre, un secteur à part.
Le franchisage représente 40 p. 100 de toutes les ventes au détail au Canada, mais il n'existe à ma connaissance aucun cours universitaire qui enseigne le franchisage et il n'existe certainement aucune faculté de droit qui enseigne un cours de franchisage. Ce dernier semble être un peu orphelin dans la vie commerciale canadienne. Or, des pratiques telles que le refus de vendre, la vente exclusive et liée y sont choses courantes; elles sont le pain quotidien du franchisage à l'heure actuelle. Il y a énormément d'abus.
Les franchiseurs peuvent exiger des franchisés qu'ils achètent des produits et services à des prix supérieurs à ceux du marché. Les franchisés ne peuvent y échapper, car ils ont englouti d'énormes investissements dans leur magasin ou leur affaire. Ils ont payé un droit de franchise initial, acheté du matériel, signé un bail. Ensuite, le franchiseur exige que le franchisé se fournisse exclusivement auprès de lui ou de ses fournisseurs attitrés. Eh bien, soit il s'exécute, soit il risque l'annulation de la franchise. Étant donné l'investissement qu'ils ont consenti, les franchisés n'ont réellement d'autres choix que de s'exécuter.
• 1000
Je pense que le Canada est seul parmi les pays occidentaux à
avoir une disposition de la Loi sur la concurrence exemptant
certaines formes de vente liée. Elle légalise ce qui serait
autrement illégal. C'est absolument anticoncurrentiel et n'est pas
nécessaire. Je parle ici de l'alinéa 77(5)d) de la Loi sur la
concurrence. Il ne me paraît pas approprié que quiconque oblige un
commerce à acheter des produits génériques auprès d'un fournisseur
donné à des prix ou dans des conditions non concurrentielles.
Je pense qu'il faudrait envisager de définir le «marché» sur le plan du franchisage. Le marché devrait être limité ou défini dans le système de franchisage par opposition à tous les autres secteurs. Il n'existe pas aujourd'hui de recours privé.
Une voix: Cela peut changer cet après-midi.
M. John Sotos: Oui, cela peut changer cet après-midi; je l'espère, en tout cas. D'autres pays—l'Australie, par exemple—ont un droit de recours privé. Cela n'existe pas au Canada jusqu'à présent.
La transparence des prix est proconcurrentielle et utile, pourtant elle est inexistante dans le domaine du franchisage. Quelqu'un qui investit dans une franchise aujourd'hui n'a pas la moindre idée de ce qu'il achète réellement. Le paiement prend deux formes. Vous payez une redevance de franchise, fixe, et ensuite vous avez toutes ces commissions secrètes et autres profits réalisés par de nombreux franchiseurs et qui varient de l'un à l'autre. Les acquéreurs d'une franchise n'ont pas idée de ce qu'ils achètent et ne peuvent réellement comparer les offres entre elles.
L'un des objectifs de la Loi sur la concurrence est d'avoir des concurrents vigoureux. Or, si l'on veut des concurrents vigoureux, il faut d'abord qu'ils existent, puis qu'ils soient forts, pas à genoux.
La présidente: Merci, monsieur Sotos.
J'ai moi aussi quelques remarques sur les intérêts spéciaux, avant de retourner aux questions et à l'article 45.
Monsieur Hunter.
M. Lawson Hunter: S'agissant des industries spéciales, il faut avoir conscience du problème constitutionnel. Si la Loi sur la concurrence couvre les compagnies aériennes, c'est parce que le gouvernement fédéral a compétence sur ce secteur, tout comme sur les banques. Ce sont des secteurs de l'économie sur lesquels le gouvernement fédéral exerce la compétence.
La décision de la Cour suprême confirmant la constitutionnalité de la nouvelle loi dans les années 80 reposait sur les pouvoirs civils. Elle était fondée sur la notion énoncée par Tim qu'il s'agit d'une loi générale d'application générale. Mais il faut être très prudent. Si vous commencez à réglementer le commerce alimentaire, je pense que la constitutionnalité en sera contestée.
Je ne partage pas non plus le point de vue de mes collègues en ce sens qu'il me paraît important d'avoir une interprétation de la loi propre à chaque industrie, mais ces distinctions seraient difficiles à énoncer dans la loi. Je pense que le commissaire devra le faire au moyen de lignes directrices par lesquelles il annoncera comment il va interpréter la Loi sur la concurrence dans tel ou tel secteur, afin que les milieux d'affaires acquièrent une certaine certitude par ce moyen. Si on le faisait par une loi, on aurait le risque qu'elle soit déclarée anticonstitutionnelle.
La présidente: Professeur McFetridge.
M. Donald McFetridge: Merci. J'aimerais revenir sur plusieurs points soulevés. Premièrement, je tiens tout d'abord à féliciter le comité et son personnel de son rapport intérimaire. Je le trouve bien fait. Je suis d'accord avec virtuellement tout son contenu, même s'il est possible de chipoter sur quelques points mineurs.
Je félicite également le comité d'avoir pris l'initiative de réformer ou modifier les articles 50, 61 et 75, qui appellent des changements depuis longtemps. Je suis heureux que le comité ait pris note de ces modifications proposées. D'autres encore pourraient être envisagées.
Pour ce qui est des deux questions le plus souvent abordées ce matin, la plupart des objections à l'article 45 intéressent l'infraction pénale absolue et on en a beaucoup parlé. Une possibilité serait de transférer tous ces autres types d'accords, qui ne visent pas principalement à fixer les prix ou à répartir le marché, dans le volet civil, avec d'un critère d'efficience. Lawson a déjà esquissé certains des problèmes à cet égard.
• 1005
L'analyse des gains d'efficience en droit de la concurrence
dans ce pays est loin d'être au point, c'est le moins que l'on
puisse dire. J'encourage le comité à réfléchir très soigneusement
au critère d'efficience qu'il va recommander—la façon dont vous
aimeriez que le tribunal analyse cet aspect—car nous savons ce qui
s'est passé avec un critère d'efficience vague. Nous avons connu
15 années ou plus de ballet à ce sujet et n'avons toujours rien de
praticable. Si vous allez opter pour une refonte de l'article 45,
j'aimerais que vous réfléchissiez au critère civil.
Une autre question posée est de savoir si la Loi sur la concurrence protège WestJet? À mon avis, la Loi sur la concurrence est destinée à protéger le processus concurrentiel et devrait le faire, c'est-à-dire assurer des conditions telles qu'une bonne société comme WestJet puisse survivre et prospérer.
La question de savoir si elle devrait protéger WestJet elle-même reste posée. Je pense qu'elle ne devrait probablement pas protéger une société particulière. Elle ne devrait pas voler au secours d'une société ou éviter qu'une société donnée soit meurtrie par la concurrence. Ce n'est pas son but. Je pense qu'il serait très mal venu de s'engager dans cette voie.
S'agissant de dispositions applicables à des industries spécifiques, je pense que la Loi sur la concurrence devrait être générale. Je recommande donc au comité de se concentrer sur les principes généraux. Je pense qu'il y a quantité de principes généraux dont le comité doit débattre et sur lesquels les parlementaires peuvent exprimer leurs opinions. Je ne pense pas que le comité ferait le meilleur usage de son temps en s'attardant sur les détails de la loi ou le traitement d'industries spéciales.
Enfin, s'agissant des lignes directrices et de la clarté, le Bureau de la concurrence vient de publier des lignes directrices sur l'abus de position dominante. Le travail d'élaboration de lignes directrices se fait. Notre expérience montre que les lignes directrices sont routinièrement—«routinièrement» est peut-être un mot trop fort, mais tant pis—ignorées dans des cas particuliers. Récemment, par exemple, le Bureau de la concurrence a abandonné ses lignes directrices sur les fusions dans l'affaire de Superior Propane.
On a vu d'autres cas où le tribunal a ignoré ses lignes directrices. Il est bon de discuter de ces questions et d'esquisser des scénarios et de voir ce que l'on pourrait faire. Mais penser que les lignes directrices et leur publication vont nécessairement réduire l'incertitude... Je pense que seule la jurisprudence peut le faire et nous en avons très peu.
La présidente: Merci.
Professeur West.
M. Douglas West: Merci.
J'ai un certain nombre de commentaires sur plusieurs des sujets abordés ce matin.
J'ai passé un an au bureau, occupant la chaire d'économie industrielle T.D. MacDonald, qui est une chaire tournante pour laquelle le bureau fait venir des économistes universitaires pour travailler avec eux sur des enjeux de politique, ainsi que sur des cas particuliers, avec aussi un rôle de conseil au commissaire.
J'ai été frappé par plusieurs choses pendant mon année au bureau. L'une était l'importance attachée aux lignes directrices, mais aussi la difficulté de ce travail avec les ressources dont le bureau disposait. Lorsque j'y étais, le bureau mettait la dernière main aux lignes directrices sur la propriété intellectuelle et avait mis en train les lignes directrices sur l'abus de position dominante. Il y avait en outre des révisions en cours aux lignes directrices sur les prix d'éviction. Il est question de mettre en chantier également une ligne directrice sur les alliances stratégiques. En plus, on parlait de réviser les lignes directrices sur les fusions, un débat en cours depuis des années.
Ainsi, les économistes et d'autres personnes au bureau travaillent sur un certain nombre de lignes directrices, mais c'est un travail très long et qui exige beaucoup de ressources car, une fois qu'elles sont rédigées, il faut entreprendre une consultation publique et leur faire suivre tout ce processus. C'est très long et cela accapare beaucoup de ressources.
Évidemment, le manque de ressources fait que ces choses traînent. En particulier, les lignes directrices sur les fusions n'ont pas encore été révisées et elles remontent déjà à dix ans.
Voilà un problème. Un autre concerne le budget, s'agissant du contrôle d'application dans des cas particuliers.
• 1010
Selon mon expérience, un ou deux procès menés par le bureau,
surtout s'il s'agit de grosses affaires, pourraient pratiquement
absorber tout le budget du contentieux, qui est très mince. Cela
signifie que le bureau doit se montrer extrêmement sélectif
lorsqu'il décide des poursuites à intenter, particulièrement s'il
s'agit d'affaires risquant de devenir rapidement très complexes.
Je suis néanmoins en faveur des lignes directrices, même si elles prennent beaucoup de temps. Il faut beaucoup de temps pour les rédiger, les soumettre à une consultation et ensuite les communiquer au public.
Je pense que c'est dans les lignes directrices que l'on peut prendre en compte les problèmes spécifiques à une industrie. Je ne pense pas que la meilleure façon de procéder soit nécessairement de modifier la loi à cet effet. Il y a trop d'industries et il faudrait trop de modifications à la loi pour régler tous les cas.
Les lignes directrices peuvent beaucoup plus facilement être centrées sur une industrie donnée, énonçant la façon dont divers articles de la loi peuvent être appliqués dans son cas, et ce me semble donc être la meilleure façon de procéder.
Je crois que nous n'avons qu'un seul exemple où une ligne directrice porte spécifiquement sur une industrie. Il s'agit du projet de lignes directrices sur la réglementation des compagnies aériennes, qui est toujours en attente—elle n'a pas encore été finalisée, on attend pour cela le jugement de la cause en instance portant sur Air Canada.
Une voix: Il y a également les lignes directrices sur les fusions bancaires.
M. Douglas West: Oh, oui, les banques; c'est juste. Des lignes directrices sur les fusions bancaires avaient été émises juste avant l'annonce des fusions. C'est juste.
Permettez-moi encore de dire un petit mot sur la modification relative aux installations essentielles apportée à l'article 78. C'est une disposition propre aux compagnies aériennes et ne concerne pas les installations essentielles dans d'autres domaines.
L'article 78 énumère une liste d'agissements anticoncurrentiels qui n'est pas exhaustive, et on peut donc considérer qu'une affaire d'installations essentielles aux termes de l'article 79 constitue l'un des agissements non spécifiés couverts par l'article 78. Cela reste une possibilité, mais on peut aussi en faire un agissement anticoncurrentiel explicite.
La présidente: Merci.
Monsieur Scott, vous voulez intervenir.
M. John Scott: Désolé, je ne peux laisser passer ce qu'a dit M. Russell.
D'abord, je veux revenir à M. Hunter. Pour que les choses soient claires, je ne recherche pas de lignes directrices pour cette industrie. Je pense l'avoir précisé d'emblée. Et, non, nous ne voulons pas de réglementation en sus des articles sur la gestion de l'offre. C'est déjà assez difficile.
La présidente: Nous n'allons pas parler de cela aujourd'hui.
M. John Scott: Non.
Monsieur Russell, je ne vous connais pas, mais je vous félicite de votre connaissance de l'industrie. Je prononce souvent des discours sur l'efficience de cette industrie, dans toute l'Amérique du Nord et partout dans le monde. J'en suis très fier, et très fier d'en faire partie.
Néanmoins, la façon dont cette industrie a évolué n'est pas forcément avantageuse, aujourd'hui, pour le bien-être économique du Canada, particulièrement s'agissant de la distribution dans la région Atlantique, et à mon avis même ailleurs dans le pays, du fait que les petites et moyennes entreprises de produits alimentaires ne parviennent pas à se faire une place dans la chaîne d'approvisionnement. Il leur est très difficile d'accéder à la distribution.
Il y a donc là un étau. Dans cette mêlée où l'on cherche à arracher le moindre gain d'efficience, à le répercuter jusqu'au niveau de l'agriculteur, on évince les unités de base que des gens ont construites, ayant consacré leur vie à mettre au point de très bon produits avec lesquels vous et moi avons grandi et dont nous sommes très fiers.
Vous savez quoi? Ce sont des entreprises très efficientes, monsieur. Elles sont très efficientes. Oui, à l'autre extrémité de l'éventail, de notre côté, nos gens se font évincer, à divers degrés, selon le lieu.
Tout ne va donc pas bien. Oui, le secteur est très efficient, mais il arrive un moment où quelqu'un doit revoir cela et voir où se situe l'intérêt à long terme de l'économie canadienne et de la société canadienne. Le consommateur fait une affaire aujourd'hui, mais tous les économistes vous diront ce qui se passe lorsque seuls deux joueurs restent debout après la bagarre.
La présidente: M. Russell pourra répondre, et j'irai ensuite à M. Ross.
M. Robert Russell: Je pense que vous soulevez là une question très importante, mais moi je dis que la Loi sur la concurrence n'est pas la meilleure façon de régler ce problème.
• 1015
Permettez-moi de le dire, imposer des règles spéciales aux
détaillants canadiens, simplement leur imposer une taxe au lieu de
verser une subvention aux secteurs de l'économie qui peuvent en
avoir besoin, serait une erreur. C'est une erreur si vous regardez
le paysage de la distribution dans ce pays.
Regardez le paysage de la distribution au détail et son évolution au cours des 20 dernières années. Il vous intéressera peut-être de savoir que Wal-Mart est le plus grand distributeur de produits alimentaires au monde. Le fait que ses rayons d'épicerie ne dépassent pas 10 000 pieds carrés—et 10 000 pieds carrés, c'est déjà un petit supermarché—ne signifie pas que nous ne subissons pas la même ruée de concurrents américains dans ce pays.
Réfléchissez donc à où vous placez la taxe. Je ne sais pas... Et vous parlez de SERCA sur la côte Est. J'ai passé 20 ans dans l'industrie, dans le contentieux, et c'est à cela que je réponds. Il y a une grosse concentration dans SERCA, qui distribue aux hôpitaux et fait d'autres choses, et c'est le résultat potentiel d'une fusion car c'était un élément de quelque chose de plus grand.
Je crois savoir qu'il y a une tentative de régler le problème par un dessaisissement et il y avait un intérêt. Ce genre de choses arrive parfois.
Je n'ai pas été impliqué dans ce dont vous parlez, je le précise pour votre gouverne; c'était le client de quelqu'un d'autre dans cette salle, pas moi.
La présidente: Je vais passer à quelqu'un d'autre, monsieur Russell, car vous êtes intervenu inopinément. J'ai un ordre à suivre, et je vais donc passer à M. Ross, et ensuite au professeur Church, et nous reprendrons ensuite dans le même ordre.
M. Thomas Ross: Merci, madame la présidente.
Je serai très bref. Je voudrais joindre ma voix à ceux qui estiment qu'il ne faudrait pas inscrire quantité de dispositions spéciales pour des industries spéciales dans la Loi sur la concurrence. Chaque secteur présente des caractéristiques propres, bien sûr, mais dans l'ensemble les problèmes de concurrence sont assez génériques. Vous avez des problèmes de fixation de prix et vous avez des problèmes d'abus de position dominante. Dans tous les secteurs, il faut s'inquiéter des fusions, et donc en principe ces problèmes existent ou pourraient surgir dans toute industrie.
Comme M. Hunter et d'autres l'ont indiqué, s'il faut mieux préciser de quelle façon la Loi sur la concurrence s'applique à certaines industries, ma préférence serait de le faire au moyen de lignes directrices qui énonceraient l'interprétation du commissaire, dans le contexte d'une industrie donnée, de la manière dont les éléments fondamentaux de la Loi sur la concurrence s'appliquent. Cela dit, je suis d'accord avec Don McFetridge pour dire que le commissaire devra alors respecter ses propres lignes directrices, sinon elles n'auront guère d'intérêt. Elles ne guideront pas beaucoup.
Merci.
La présidente: Merci.
Professeur Church.
M. Jeffrey Church: Merci, madame la présidente.
Je veux me faire l'écho de ce qui a déjà été dit sur la qualité de votre rapport provisoire, qui est un document remarquable. Je félicite le comité d'entreprendre la réforme. J'ai plusieurs choses à dire.
Premièrement, comme Tom, Don et d'autres ici—Roger, au fond—j'ai moi aussi occupé la chaire T.D. MacDonald au bureau, et nous tous ressentons cette frustration de voir à quel point le budget du bureau est insuffisant, son manque de moyens pour intenter les poursuites qu'il faudrait. Cela signifie que certains éléments de la loi sont négligés, ne sont pas retenus au moment de décider des poursuites.
Le deuxième élément me ramène à la question de l'honorable député concernant l'infraction absolue et non absolue.
Je pense que l'approche à suivre consisterait à identifier les types de comportement qui n'ont aucune valeur sociale rédemptrice, qui sont simplement...
Une voix: Oui, on en trouve à la Chambre des communes.
Des voix: Oh, oh!
M. Jeffrey Church: Ce sont les comportements collusoires purs et ce genre de choses. S'agissant d'industries spéciales, de l'approche des industries spéciales, la Loi sur la concurrence établit un cadre d'analyse très général pour déterminer quels agissements conduisent à une concentration du pouvoir de marché—une réduction substantielle de la concurrence. Lorsqu'on parle d'industries spéciales et de projets spéciaux, il faut cerner quelle sorte de comportement, dans une industrie donnée, est tellement néfaste qu'il faut imposer une règle spéciale, ce qui en fait une infraction absolue dans le cadre législatif, au lieu d'avoir la flexibilité de l'analyse dans le cadre général de la Loi sur la concurrence.
Cela me paraît être une mauvaise idée. Je pense que nous avons un très bon cadre touchant l'abus de position dominante, qui s'applique à la plupart des industries, et les dispositions sur les fusions sont applicables également. Les lignes directrices sur l'abus qui viennent d'être publiées sont excellentes. Elles sont exceptionnelles. Il faut en féliciter le bureau.
Enfin, j'aimerais revenir un peu à la question des gains d'efficience et de l'approche à deux volets. Je pense qu'il existe toutes sortes d'arrangements pouvant être conclus par des entreprises auxquelles on voudrait appliquer l'approche du droit civil, avec la possibilité de leur dire: «Arrêtez de faire cela»—sans leur imposer d'amende, sans être obligé de prouver «au-delà de tout doute raisonnable». Nous voulons pouvoir leur dire que, selon la balance des probabilités, nous pensons que ce type d'accord ne va généralement pas dans le sens de l'efficience.
• 1020
Il s'agit donc d'avoir une piste civile et, dans cette piste
civile, une défense invoquant l'efficience, de façon à pouvoir
analyser l'effet sur la création de richesse dans l'économie.
Enfin, Don a évoqué le problème que nous avons avec la défense d'efficience en matière de fusions. Je pense que le moment est venu pour le comité de revoir l'article 96 et de réfléchir à ce qu'il signifie, à la façon dont on pourrait l'appliquer et, peut-être, donner quelques orientations, dans l'optique du Parlement, sur le critère d'efficience dans le contexte d'une fusion.
Merci, madame la présidente.
La présidente: Un certain nombre de députés veulent poser des questions. Je vais m'y prendre de façon un peu stratégique, en vous autorisant à poser une question, une seule, et sans long préambule.
M. Dan McTeague: D'accord. Je sais que vous me visez, madame la présidente.
La présidente: Monsieur McTeague.
M. Dan McTeague: Professeur, vous avez mentionné la défense de l'efficience. Peut-être savez-vous que mon projet de loi, le projet de loi C-248, a été introduit à la Chambre et fera l'objet d'un vote. Il semble y avoir quelque réticence à le mettre aux voix tant qu'un tribunal n'aura pas, encore une fois, rendu de décision finale sur la création d'un monopole potentiel dangereux.
Ma question s'adresse à vous et à tous les autres témoins. Je vous ai distribué un exemplaire du projet de loi C-472. Comme la plupart d'entre vous le savez, nous avons déjà déposé le même concernant l'essence, les produits alimentaires, les vitamines.
Merci beaucoup de cette introduction, Robert, car il me semble très intéressant que le Canada ait reçu...
La présidente: Question?
M. Dan McTeague: Je pense qu'il importe de situer le contexte, madame la présidente. Je sais que beaucoup de bonnes choses se trouvent là-dedans, mais elles n'y seraient pas s'il n'y avait eu tous ces efforts cristallisés dans quelques projets de loi et le travail de certains députés.
En ce qui concerne le projet de loi C-472, pourriez-vous me dire votre réaction, positive ou négative, ce qui vous plaît, ce qui vous déplaît dans ce texte, en tant que gabarit déjà à moitié employé dans le projet de loi C-23 touchant l'article 45?
La présidente: Monsieur Russell, il a semblé vous regarder droit dans les yeux.
M. Robert Russell: Le commissaire m'a commandé un rapport sur l'article 45 et j'ai examiné ce projet de loi. Vous pourrez trouver ce rapport sur le site Internet du bureau et je ne m'y attarderai donc pas.
Je pense que la contribution de la plupart des personnes ici présentes à ce travail consiste ce que je qualifierais de «retouche», soit des adaptations au niveau de la procédure pour trouver un modèle capable d'évolution. Mais je n'y vois pas de grande rupture. À notre avis, le projet de loi exigeait certaines améliorations et je le considère comme un élément du processus, plutôt que de critiquer l'approche suivie.
La présidente: Monsieur Kennish.
M. Tim Kennish: Je ne veux pas prolonger ce débat, mais M. Hunter souligne la pérennité de l'article 45, qu'il ne faudrait pas perturber, le fait qu'il existe depuis 112 ans. Je dois dire que je ne suis pas d'accord.
Pendant mes années de formation j'ai lu tout ce qui s'écrivait sur l'affaire Howard Smith, l'affaire des assurances Aetna ensuite, et il y a eu l'arrêt de la Cour suprême du Canada sur l'affaire des produits pharmaceutiques en Nouvelle-Écosse, avec une description très élégante de l'état du droit, mais qui est remplie de concepts plutôt obscurs d'application très difficile. Même le tribunal de première instance, lorsque l'affaire lui a été renvoyée, a rendu un jugement inattendu et a acquitté l'accusé dans des circonstances qui suscitent encore aujourd'hui des interrogations.
Je ne pense donc pas qu'il y ait beaucoup de certitude à trouver dans l'article 45 et je ne pense pas que ce soit une raison de préserver l'approche d'une disposition statutaire unique.
Je ne pense pas que le bulletin sur les alliances stratégiques ait donné aux milieux d'affaires les assurances qu'ils recherchaient, car il apparaît très clairement qu'il y a un risque d'une application simultanée des dispositions sur les fusions et aussi, potentiellement, des dispositions pénales de l'article 45 et même des dispositions sur la domination conjointe.
Quelqu'un a fait état de la difficulté d'appliquer la défense de l'efficience à l'article 96 concernant les fusions. Je suis d'accord. Mon espoir est que les gains d'efficience pourraient devenir simplement un facteur évalué comme élément des effets sur la concurrence d'un accord, lorsqu'il s'agit d'en décider la légalité.
Une dernière remarque, car je ne sais pas si cet aspect sera abordé autrement. D'aucuns ont préconisé la notification publique de certains accords restreignant la concurrence et que, dans ces conditions, les parties pourraient être assurées de ne pas être poursuivies.
• 1025
De manière générale, je pense qu'il n'est pas souhaitable que
des accords contraires à nos principes généraux soient autorisés en
se fondant simplement sur la théorie—qui me paraît naïve—que leur
divulgation publique dissuaderait autrui de traiter avec les
parties à ce genre d'arrangement restrictif.
L'expérience d'autres pays montre que les avocats savent rédiger ces accords de manière très ingénieuse, les décrivant de manière détournée et difficilement compréhensible ou enterrant leur déclaration auprès des autorités compétentes de telle manière que nul ne comprend réellement ce qui est divulgué.
Merci, madame la présidente.
La présidente: Monsieur Hunter, s'il vous plaît.
M. Lawson Hunter: M. McTeague est au téléphone et je vais attendre qu'il ait fini pour parler de son...
En ce qui concerne l'argument de Tim sur la notification, je suis on ne peut plus d'accord. Dans le pays qui a appliqué ce système pendant de nombreuses années, le Royaume-Uni, cela a été un véritable désastre et ils vont maintenant l'abandonner. C'est sans espoir. Cela me rappelle les accords de spécialisation que nous avons inscrits dans la loi dans les années 80, qui offraient une dérogation à l'article sur les complots. Nul ne s'en est jamais servi et certains des mécanismes prévus dans votre projet de loi connaîtraient, je pense, le même sort. Nul ne s'en servirait jamais.
En ce qui concerne votre projet de loi lui-même—et encore une fois, nous manquons de temps pour en discuter à fond—je pense que le paragraphe 45(1) est à la fois excessivement et insuffisamment inclusif. Je trouve que le mot «minimum» à l'alinéa 45(1)a) n'est pas judicieux. Il est trop restrictif. En revanche, je pense que l'alinéa 45(1)d) est trop ouvert, en ce sens qu'il rend illégales en soi toutes sortes de choses, ce qui n'est pas votre intention, j'en suis sûr.
Je pense que nous pourrions avoir une discussion à un autre moment sur la façon de resserrer un peu mieux ce texte.
La présidente: Merci, monsieur McTeague.
Monsieur Bagnell.
M. Larry Bagnell (Yukon, Lib.): Ma question s'adresse à M. Hunter. Elle est liée au débat que vous avez eu avec M. Russell sur la longueur de la procédure et le préjudice irréparable.
Si vous allez chez Wal-Mart et volez un article d'un dollar, cela ne va pas faire beaucoup de mal à Wal-Mart, mais il n'en demeure pas moins que c'est un crime; c'est une affaire de principe. La fixation de prix, à moins d'être exonérée, viole un principe, alors pourquoi faudrait-il prouver le préjudice économique?
M. Lawson Hunter: Je ne suis pas opposé à l'idée de faire de la fixation des prix une infraction absolue. Je dis que nous en sommes beaucoup plus proches que les gens ne le pensent. La plupart de mes clients, je le sais, se comportent comme si cela était le cas aujourd'hui, car ils savent qu'une enquête, sans même parler de poursuite, leur causerait tellement de tort qu'ils s'en abstiennent. Je ne suis pas opposé au concept.
Mais je dis qu'il faut veiller à ne pas capturer dans ce filet ce que l'on ne veut pas y prendre. Voilà le débat qui doit se dérouler. Mais je ne suis pas opposé au principe.
La présidente: Monsieur Strahl, vous avez une question.
M. Chuck Strahl (Fraser Valley, PC/RD): Merci, madame la présidente, et merci à tous les panélistes d'être venus nous rencontrer. Je trouve que le format est bon. J'aime bien les échanges libres que vous avez entre vous. Cela nous aide à mieux comprendre toutes ces questions.
Je considère, de façon générale, que les accords-cadres ne devraient pas distinguer entre les industries. C'est pourquoi il y a des accords-cadres dans le domaine du droit de la concurrence. Mais la réalité politique est qu'à l'heure actuelle les compagnies aériennes se trouvent dans la mire, car c'est le sujet politique chaud du jour. Il y a quelques années, c'était les banques et si elles étaient le sujet brûlant du jour, nous parlerions ici de mesures propres aux banques. Nous ne pouvons ignorer la réalité politique.
Ma question s'adresse spécifiquement à vous, monsieur Hunter, mais le point de vue de tout le monde m'intéresse. Le gouvernement a créé une sorte de monstre. Et je ne parle pas ici d'Air Canada...
Des voix: Oh, oh!
M. Chuck Strahl: Voyez-vous, le problème est que la réglementation gouvernementale et l'intervention du gouvernement dans le libre marché imposent des obligations à Air Canada, par exemple des conventions collectives qui l'empêchent expressément de faire ce que le marché lui dicterait autrement.
Canada 3000 a été pris dans toutes sortes de turbulences, mais a également souffert d'obligations que lui imposait la réglementation.
• 1030
Nous nous retrouvons donc avec une industrie lourdement
réglementée, de multiples façons, ce qui a des conséquences
économiques imprévues, non seulement pour le secteur en général
mais plus particulièrement pour Air Canada. Nous nous demandons
donc s'il faut des solutions spécifiques à cette industrie pour
sortir de ce pétrin dans lequel on nous a mis, un gâchis qui a mené
à la faillite six autres compagnies aériennes ces dernières années.
La question est donc de savoir s'il faut des mesures propres à ce secteur pour sortir de ce pétrin? On est allé d'une réglementation lourde, une abomination bureaucratique, à une situation intermédiaire où la réglementation est plus légère et laisse un peu de place au marché, et nous espérons passer à un système de libre marché qui n'autorise pas un acteur dominant à commettre des abus.
Nous sommes nombreux à dire que si l'on ne prend pas des mesures spécifiques, Air Canada va régner sur le ciel, car elle va simplement pousser... À moins de trouver cette solution de libre marché, il ne restera plus rien à sauver. Faut-il donc compter sur le commissaire pour élaborer les lignes directrices voulues ou bien devons-nous... Est-ce à la discrétion du commissaire? Avons-nous besoin de lignes directrices propres à cette industrie ou bien devons-nous demander au gouvernement de dégager le terrain et de laisser faire?
La présidente: Monsieur Hunter.
M. Lawson Hunter: Votre diagnostic est tout à fait juste. C'est un point sur lequel je suis d'accord avec Rob aujourd'hui, à savoir que dans le secteur aérien, ce panachage de réglementation et de jeu du marché engendre des problèmes incroyables; c'est manifestement le cas dans cette industrie.
Mais le gouvernement, et plus particulièrement le ministère des Transports, a suscité l'attente qu'il allait régler les problèmes au moment de la fusion d'Air Canada et de Canadian, une transaction qui a été orchestrée, à mon avis, par le gouvernement. Une fois que le gouvernement a créé cette attente, il devient très difficile de battre en retraite.
Si vous remontez au début des années 90, le ministère des Transports n'intervenait pas dans les affaires des compagnies aériennes. Les fusions, lorsqu'il y en avait, étaient examinées par le bureau. Je pense que vous avez tout à fait raison: soit il faut intervenir et réglementer le secteur—et si l'on va réglementer, il ne faut pas réglementer seulement Air Canada—ou bien il faut dégager le terrain, laisser faire le marché et voir ce qu'il en sortira.
Malheureusement, à l'heure actuelle, nous sommes dans cette situation intermédiaire réellement intenable et il va falloir faire quelque chose pour sortir de cette impasse.
M. Chuck Strahl: Par le biais du commissaire?
M. Lawson Hunter: Soit cela, soit reréglementer toute l'industrie et la remettre sous la tutelle de la LTC.
La présidente: Monsieur Strahl, plusieurs autres personnes souhaitent répondre.
Professeur Church, s'il vous plaît.
M. Jeffrey Church: Le secteur aérien est intéressant. Dans la plupart des industries, lorsque l'on déréglemente, on fait très attention de mettre en place des politiques gouvernementales et des règles qui vont favoriser la concurrence. C'est ce que l'on a essayé de faire dans le secteur des télécommunications ou d'autres industries, où l'on a limité la marge de manoeuvre de la firme dominante, en place, pour faciliter l'arrivée de concurrents.
J'ai l'impression que l'on n'a pas fait cela dans le secteur aérien où une firme dominante, Air Canada, était de longue date privilégiée par les politiques gouvernementales, et au moment de la déréglementation, rien n'a été fait pour rectifier ou neutraliser cette préférence. Il n'est donc pas surprenant que l'on se retrouve dans cette situation, où une compagnie favorite jouit de lignes et de financement et d'autres avantages préférentiels.
Escompter que la Loi sur la concurrence et le bureau puissent maintenant, 12 ou 15 ans plus tard, être l'instrument pour nous sortir de ce gâchis... Je ne pense pas qu'ils soient les bons instruments. Le problème, c'est la politique en matière de transport. Ce n'est pas la Loi sur la concurrence qui peut résoudre ce problème structurel majeur. Ce n'est pas à cela que sert la Loi sur la concurrence.
Lorsqu'on déréglemente, il importe de façon générale que l'autorité de réglementation intervienne activement et mette en place les politiques appropriées pour faciliter la concurrence. Cela n'a pas été le cas dans le secteur aérien.
Je ne pense pas qu'il faille attendre du commissaire qu'il sauve les consommateurs canadiens dans ce domaine. Il faut se tourner vers le gouvernement, vers la politique gouvernementale et vers Transports Canada. C'est là qu'il faut commencer.
La présidente: Monsieur Russell.
M. Robert Russell: Je dois dire que je suis en désaccord et avec Lawson et avec le professeur Church à ce sujet. Tout d'abord, l'origine des problèmes que nous avons ne réside pas dans la politique gouvernementale. Je dois dire que le ministre a fait ce qu'il pouvait dans le cadre d'un régime réglementaire international. Ce n'est pas un problème réglementaire proprement canadien. Nous ne pouvons unilatéralement autoriser le cabotage et d'autres choses au Canada, sans en connaître les effets.
• 1035
Donc, lorsque Air Canada dit—et je n'ai pas coutume de
défendre la compagnie—que l'on ne peut autoriser le cabotage sur
son marché sans négocier en même temps avec les États-Unis pour
qu'Air Canada puisse offrir des liaisons entre villes américaines,
c'est là une situation très difficile. La politique de transport,
en général, a des problèmes au niveau de la concurrence.
Prenez, par exemple, la LDCM. Vous ne la connaissez peut-être pas, mais nous avons une loi intitulée Loi dérogatoire sur les conférences maritimes qui met totalement ces dernières à l'abri de l'article 45, les conférences maritimes étant autorisées à fixer les prix dans le monde entier. Cela existe toujours—c'est contraire à la politique de concurrence—car tous les pays du monde, depuis l'époque où l'Angleterre était la grande puissance navale impériale, possèdent encore ces lois dans leurs statuts. La politique de transport et la concurrence ne font pas très bon ménage.
Je souligne bien que je ne suis pas en faveur de dispositions sectorielles, mais ce qui s'est passé ici, et la raison pour laquelle moi-même et mes clients y étaient favorables, est qu'il fallait des modifications à notre Loi sur la concurrence en raison de la crise dans le secteur aérien. Mais les dispositions qui ont été insérées étaient de double nature.
D'une part, il y a celles qui traitent des prix d'éviction et de la définition du «coût». Toutes les poursuites au Canada ont échoué parce que le coût n'est pas correctement défini. On a donc cherché à adapter le libellé de la loi pour régler ce problème.
Deuxièmement, il y avait les installations essentielles. Je ne pense pas... et j'ai été à l'origine de cette disposition... Les installations essentielles devraient figurer dans la loi à l'égard de toute industrie ayant des problèmes structurels qui exigent ce genre de disposition. C'est pourquoi on la retrouve dans le monde entier. En Allemagne, elle a été introduite non pas pour le secteur aérien mais suite à la déréglementation de l'électricité. L'industrie est un autre exemple.
Ce que j'encourage donc le comité à faire, c'est de considérer les règles propres au secteur aérien et d'encourager d'en faire des règles d'application générale. Il se trouve que les crises précipitent le changement. Cela a déjà été le cas de la Loi sur la concurrence et le cas se reproduit. Il ne faut pas laisser la loi en l'état. Il ne s'agit pas d'appliquer à Air Canada des règles spéciales, la loi devrait permettre de combattre toute conduite répréhensible dans une industrie partiellement déréglementée.
La présidente: M. Goldman, puis M. Church.
Monsieur Goldman.
M. Calvin Goldman: Merci.
Je souscris à la déclaration générale que M. Hunter a faite à la fin de son intervention, à savoir que la législation en matière de concurrence, telle qu'elle existe dans de nombreux pays du monde, est conçue pour protéger le libre marché—pour arbitrer, en quelque sorte—et non pas pour réglementer. La réglementation est le fait de lois sectorielles et lorsqu'on mélange les deux, on risque de créer non seulement un méli-mélo mais aussi une série de matrices qui ne remplissent pas leur objectif.
Je veux donc lancer cette mise en garde contre une réglementation sectorielle trop spécifique par le biais de la Loi sur la concurrence. Si un marché ne semble pas fonctionner librement, ne pas être assez ouvert, et cela englobe l'absence de barrières à l'entrée à la frontière, dans les deux sens—c'est juste un exemple d'une entrave au libre marché—alors je souscris à ce que disait M. Hunter: les parlementaires devraient chercher à mettre en place un marché correctement réglementé pour tous les participants de toutes les industries, pas seulement d'une.
Merci.
La présidente: Monsieur Church.
M. Jeffrey Church: J'aimerais répondre à la remarque de M. Russell sur les installations essentielles.
Vous avez un problème en ce sens que la Loi sur la concurrence et l'autorité de réglementation ne sont pas très bien équipées pour assurer l'accès aux installations essentielles. Une installation essentielle, typiquement, est un équipement quelconque, un élément de réseau, quelque chose dont les concurrents ont besoin pour concurrencer l'entreprise dominante, qui est typiquement intégrée verticalement. Mais la question devient alors de savoir, à quel prix? À quel prix l'accès aux installations essentielles doit-il être donné?
Le Bureau de la concurrence n'a pas les ressources dont il a besoin pour faire son travail actuel, et il n'a certainement pas les ressources pour entreprendre le genre d'analyse du coût et des prix qui est nécessaire pour déterminer quel devrait être le prix de l'installation essentielle.
C'est pourquoi la doctrine de l'installation essentielle est raisonnable lorsqu'on passe d'une industrie réglementée à une industrie déréglementée et que l'on a une autorité de réglementation qui supervise ce processus de déréglementation, ou que les mesures voulues font l'objet d'une loi. Si vous prenez la province de l'Alberta, nous avons déréglementé l'électricité. La loi spécifie certains éléments auxquels les concurrents doivent avoir accès et il existe une autorité de réglementation qui en fixe le prix.
Merci.
La présidente: J'ai le professeur McFetridge, puis M. Volpe.
M. Donald McFetridge: Les questions de l'honorable député sur la situation actuelle du secteur aérien sont tout à fait judicieuses. Elles soulèvent le problème général de la lutte contre les prix d'éviction.
Le secteur aérien y est particulièrement exposé, mais M. Russell a raison, c'est le cas de la plupart des industries de transport. Si vous considérez les tarifs ferroviaires ou maritimes, il y a un grand écart entre le coût moyen et le coût marginal. Il y a donc une forte tendance à couper les prix. Le secteur du transport par autocar, et tous les modes de transport en général, ont ce problème en commun.
Cela ne signifie pas nécessairement qu'une loi générale sur les prix d'éviction ne peut s'appliquer à eux. Cela ne signifie pas nécessairement qu'il faut les réglementer ou qu'il faille avoir le type de réglementation ou de règles de concurrence que nous semblons adopter dans ce pays.
Je veux simplement distinguer entre deux façons de combattre les prix d'éviction. L'une est le pouvoir de rendre une ordonnance d'interdiction que possède la commissaire, pouvoir dont il demande le renforcement afin de pouvoir la rendre au préalable, avant même que la firme visée fasse quoi que ce soit. C'est une possibilité, et elle a l'avantage de protéger un concurrent donné et d'empêcher un préjudice immédiat.
Mais je pense que ce n'est certainement pas la bonne solution, ni dans le cas du transport ni d'aucune autre industrie. Je pense que le meilleur moyen de combattre les prix d'éviction est d'attendre et de sanctionner l'infraction. Là où nous avons un problème dans ce pays, c'est que cela n'apporte pas grand-chose, lorsqu'on constate qu'une infraction est commise, d'ouvrir une procédure en droit civil pour abus de position dominante et de dire «Voilà, ne recommencez pas», puis d'émettre une injonction. Ce genre de remède est simplement insuffisant.
Ce qu'il faudrait plutôt faire ici, dans la mesure du possible—et je pense que c'est possible—est d'utiliser la procédure civile et d'imposer des amendes. Et le comité voudrait peut-être même envisager des dommages-intérêts. Cela me semble être la meilleure solution. Donc si, après une enquête approfondie et une audience, le tribunal décide que vous avez pratiqué une tarification d'éviction, il y aura une véritable sanction.
Cela me paraît une bien meilleure approche, une approche beaucoup plus réfléchie.
Il faut bien voir néanmoins que cela ne garantit pas la sécurité de tous les concurrents sur le marché. Certains concurrents devront peut-être abandonner le marché, mais à long terme cela créera les conditions voulues pour que les concurrents efficients puissent survivre.
La présidente: Merci beaucoup.
Avant de vous donner la parole, monsieur Volpe, je vais aller au professeur West.
M. Douglas West: Merci.
Juste quelques remarques sur les prix d'éviction et en réponse à M. Russell, lorsqu'il dit qu'il conviendrait de considérer d'inscrire dans la loi les mesures récentes décidées à l'égard des compagnies aériennes. Je suis d'accord avec cela. Un certain nombre d'agissements anticoncurrentiels ont été ajoutés à l'article 78 et spécifiés dans le règlement sur le transport aérien, dont plusieurs sont en rapport avec les prix d'éviction. Donc, au cas où une compagnie accroît la capacité sur une ligne... si le tarif ne couvre pas le coût évitable de l'offre du service.
Donc, le règlement sur le transport aérien précise en quoi peut consister une tarification d'éviction. Ce libellé diffère sensiblement de ce que nous avions précédemment. À l'article 50, on ne trouve que les mots vagues «à des prix déraisonnablement bas», difficiles à interpréter du fait de l'absence de jurisprudence. Et l'article 50 présente d'autres problèmes déjà largement signalés. Il n'y a guère eu de poursuites aux termes de l'article 50, en partie à cause de son libellé.
L'autre problème se situe dans l'article 78. La définition du prix d'éviction qui y figure, soit des prix inférieurs au coût d'acquisition, ne correspond peut-être pas au genre de prix déloyaux que l'on observe le plus souvent.
• 1045
Il est donc réellement temps d'envisager une modification de
la loi, en particulier de l'article sur les prix d'éviction. J'aime
l'idée d'inscrire les prix d'éviction dans le volet civil et de
préciser le sens, l'agissement anticoncurrentiel, au lieu de
simplement parler de prix «déraisonnablement faible».
Cependant, je ne suis pas certain que cette notion doive figurer uniquement dans l'article sur l'abus de position dominante. Certes, on pourrait modifier le libellé dans cet article et en faire l'un des agissements anticoncurrentiels de la rubrique abus de position dominante, mais il est également possible que des prix d'éviction soient pratiqués par une entreprise qui n'est pas dominante dans son marché. Tout dépend de l'interprétation donnée.
Je pense donc que cet aspect mérite d'être étudié de plus près.
La présidente: Monsieur Volpe.
M. Joseph Volpe: Merci, madame la présidente. Comme d'autres, je suis impressionné par l'aréopage de spécialistes réunis autour de cette table aujourd'hui. La discussion n'a pas été entièrement académique. Nous avons autour de la table certains des meilleurs esprits les mieux au fait de ce domaine et je trouve cet exercice très instructif, en dépit de quelques faux pas que vous me permettrez de déplorer, lorsqu'une approche politique partisane a été adoptée sur un sujet particulier. J'ai trouvé cela également instructif.
Mais en guise de réfutation de cette position—et ce n'est pas de vous que je parle monsieur Hunter—il me semble que d'aucuns ici ont focalisé sur un problème qui obscurcit la situation, du moins à mes yeux. Il me semble que si l'on pouvait avoir des lignes directrices beaucoup plus spécifiques, couvrant spécifiquement certaines industries ainsi que des situations particulières, ce serait la meilleure solution. De l'avis de plusieurs personnes autour de la table, le commissaire et le bureau semblent raisonnablement bien équipés pour rédiger des lignes directrices ayant la spécificité voulue. Mais ce qui retient le commissaire et le bureau, c'est le manque de ressources, qui fait que le commissaire n'a pas la faculté d'engager une procédure dans tous les cas et doit opérer un choix.
Cela semble un facteur important—et M. McFetridge, je crois, l'a mentionné—car la validité de ces lignes directrices spécifiques devra probablement être déterminée par un tribunal, mais le manque de ressources empêche que certaines des décisions qui autoriseraient la spécificité soient portées devant la justice.
Si vous me pardonnez ce préambule un peu confus, ma question est de savoir si les modifications de la loi dont nous discutons depuis ce matin seraient nécessaires si les ressources étaient suffisantes?
La présidente: Monsieur Russell.
M. Robert Russell: Je vais vous donner un exemple très concret qui se situe en dehors de la sphère pénale. J'ai représenté le commissaire dans une affaire qui a traîné pendant trois ans. Il s'agissait d'une fusion, qui relève donc du droit civil et la poursuite aurait donc dû être un peu plus aisée.
La procédure a duré trois ans et une fois le réquisitoire déposé au tribunal, il y a eu 52 demandes d'intervention devant le tribunal, en dix mois. Presque chaque semaine, il y avait au moins trois comparutions dans cette affaire. La procédure a été arrêtée avant l'audience du fait d'une situation nouvelle apparue dans le marché.
Afin que vous compreniez le problème, je vais vous indiquer des montants. Le défendeur ou répondant a déclaré à la presse avoir dépensé plus de 10 millions de dollars sur ce dossier. Je ne vous en dirai pas plus, étant tenu par le secret professionnel, mais je peux vous dire que pendant cette procédure j'ai dû arrêter de travailler au moins trois fois par manque de crédits. Je représentais le commissaire dans une affaire d'une telle ampleur et je devais arrêter de travailler. Il y avait 600 000 documents. Aucune pause n'était prévue dans la procédure, mais il a fallu la suspendre par manque d'argent.
Donc, ce que dit M. Goldman, dont le propos a été repris autour de la table, est juste, à savoir que nous aurons beau parler de tout cela, en l'absence de ressources, rien n'aboutira.
Mais je peux vous dire une chose. Il en coûte encore plus cher d'intenter une procédure pénale, à cause de la norme de preuve pénale. Donc, la dépénalisation, à certains égards, et l'adoption d'une infraction absolue, devraient réduire le coût, car c'est un coût infligé à l'ensemble de la société. Ces poursuites coûtent cher.
M. Lawson Hunter: Monsieur Volpe, je trouve votre question très astucieuse. S'il faut répondre par oui ou non, je dirais que, probablement, si le bureau avait les ressources, nous n'aurions pas besoin de faire cela. Cette loi est une loi générale d'application générale, et son adaptation...
Je qualifie cette loi de loi doctrinale, qui tente de transposer la théorie de l'organisation industrielle, un domaine assez précis des sciences économiques, dans un régime légal. À mon avis, la loi actuelle est suffisamment générale pour que cela marche.
Je suis d'accord avec ce que quelqu'un a dit sur les installations essentielles. Rien n'empêche le commissaire aujourd'hui, en vertu des articles 78 et 79, d'intenter une poursuite portant sur l'accès aux installations essentielles. C'est d'ailleurs ce qu'il a fait dans l'affaire Interac.
C'est donc une très bonne question et je pense que le problème en est principalement une de ressources. Comme Cal l'a dit, la loi reste une loi économiquement sophistiquée et est reconnue comme telle dans le monde. Cela reste vrai aujourd'hui, et ce pourrait bien être principalement une question de ressources.
La présidente: Professeur McFetridge.
M. Donald McFetridge: Je suis d'accord avec Lawson pour juger la question extrêmement intéressante. J'aimerais ajouter quelques remarques.
Premièrement, nul ne souhaite réellement se retrouver en tribunal dans le seul but d'établir une jurisprudence pour les autres. C'est le genre de service public que nul ne souhaite réellement rendre. Mais je suis d'accord que si nous avions davantage de jurisprudence, nous n'aurions pas besoin d'autant de lignes directrices. On n'aurait pas besoin, par exemple, de spécifier, en rapport avec l'article 78, tous les agissements anticoncurrentiels ou abusifs auxquels une entreprise dominante peut se livrer. Cela aurait pu être exploré devant le tribunal et on pourrait se fier à la jurisprudence. Nous n'aurions pas à dresser une liste de tout ce qui peut être un acte anticoncurrentiel dans l'article sur l'abus de position dominante.
Beaucoup de gens autour de la table sont plus qualifiés que moi pour se prononcer là-dessus, mais j'ai l'impression que le droit évolue au fur et à mesure des jugements et s'affine par ce biais. Or, ce qui semble se passer au Canada, c'est qu'une décision laisse subsister pas mal d'incertitude, et ensuite plus rien ne se passe pendant huit ou dix ans.
Ainsi, de plus en plus d'affaires sont tranchées par la Cour suprême, que les jugements individuels laissent des incertitudes ou non. Je pense que nous serions en bien meilleure situation si ces jugements étaient affinés ultérieurement.
La présidente: Monsieur Goldman.
M. Calvin Goldman: Pour revenir à votre question, monsieur Volpe, j'estime que le bureau ne peut tout simplement pas être efficace sans ressources adéquates pour administrer une loi d'application générale dans un environnement de plus en plus déréglementé. Il a besoin de ressources de façon à pouvoir agir en bonne connaissance de cause. Cela ne signifie pas nécessairement intenter davantage de poursuites. Des ressources adéquates permettront au bureau de prendre des décisions plus éclairées, en concertation avec tous les intervenants, sur l'opportunité d'intenter une poursuite ou de rechercher un autre règlement.
Donc, les ressources sont indispensables—c'est le premier impératif—mais elles ne règlent pas tous les problèmes portés à l'attention de ce comité, notamment en rapport avec l'article 45. Quantité de questions restent encore en suspens, notamment celle de savoir si les dispositions touchant les prix d'éviction et discriminatoires, par exemple, devraient être dépénalisées. C'est un débat qui dure depuis des années, et l'on s'interroge également sur la portée à donner à la disposition sur l'abus de position dominante, entre autres. Les ressources ne règlent pas tous les problèmes, mais l'on n'arrivera effectivement à rien sans ressources adéquates.
La présidente: Monsieur Kennish.
M. Tim Kennish: Je veux relier la question des ressources à un autre sujet à notre ordre du jour, soit les seuils de fusion, car il y a là la possibilité de dégager quelques ressources.
Je trouve, personnellement, que le bureau révise trop de fusions. Si vous regardez les statistiques, comparé aux États-Unis, avec l'affaire Hart-Scott, nous passons davantage de temps sur les cas, nous en révisons davantage et procédons à un examen plus approfondi. Cela accapare énormément de temps. Or, une très petite proportion de ces fusions pose réellement des problèmes.
• 1055
Une solution—qui a été proposée mais n'est pas allée plus
loin par manque de moyens—est la majoration des seuils afin de les
aligner sur la valeur économique du seuil au moment de son
introduction en 1988. On a mis en place en 1988 un seuil de
35 millions de dollars pour la valeur des transactions. Ce montant
reste inchangé. Dans l'intervalle, l'érosion monétaire a été de
plus de 30 p. 100, et si l'on rajustait le seuil, 40 p. 100 des
fusions n'auraient plus besoin d'être examinées, ce qui libérerait
beaucoup de personnel pour faire un autre travail.
Certes, il y aurait une diminution correspondante des revenus tirés de la révision de ces fusions, puisque les frais de prénotification sont les mêmes quelle que soit l'ampleur de la fusion et la durée de l'examen. Mais je pense qu'il serait probablement justifié d'augmenter les frais pour les fusions restantes. Si ce simple ajustement permettait de libérer des ressources humaines, je pense qu'il serait justifié.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Kennish.
Trois autres personnes souhaitent intervenir et nous commençons à manquer de temps.
Monsieur Scott.
M. John Scott: Très brièvement, madame la présidente, et j'espère que le comité ne perd pas de vue l'idée lancée par M. West sur les prix d'éviction. J'ai trouvé que c'était une excellente suggestion.
J'aimerais revenir sur ce que M. McFetridge a dit, à savoir que toute l'administration des prix d'éviction pourrait bien entraîner des dégâts collatéraux. C'est ce que l'on constate dans toutes sortes d'industries. Il faut beaucoup de temps pour recenser l'effet d'une situation d'éviction et prendre des mesures. L'entreprise touchée coule avant l'intervention.
Je pense qu'il est temps de revoir cet aspect de très près et, je l'espère, dans les meilleurs délais.
La présidente: Jeffrey Church.
M. Jeffrey Church: Pour en revenir à la question de M. Volpe, les ressources sont un problème mais je pense que l'article 45 en est un autre. Je suis toujours étonné, lorsque je visite le site Internet du ministère de la Justice, de voir toutes les affaires de fixation de prix qu'il semble concocter. Même si on divise le chiffre par 20, pour rendre le chiffre proportionnel à la taille de l'économie canadienne par rapport à l'économie américaine, on est forcé de conclure soit que notre article 45 est très efficace, soit qu'il est très inefficace. J'ai l'impression, vu l'intention et l'accent mis sur les effets, que l'article 45 n'est pas efficace.
Des modifications s'imposent donc. Je pense que la scission en deux volets, infraction pénale contre infraction civile, à l'article 45, s'impose. Même si le bureau disposait de toutes les ressources voulues, la raison l'impose. D'autres changements aussi sont raisonnables. Il y a les prix d'éviction. Il faut manifestement un remède autre que l'ordonnance de cessation. Un remède axé sur des dommages-intérêts et des amendes semble une dissuasion raisonnable. On pourrait transférer cela dans le volet civil et éviter tous les problèmes des poursuites au pénal. Votre rapport provisoire envisage d'autres mesures que j'approuve.
La présidente: Calvin Goldman.
M. Calvin Goldman: Merci, madame la présidente. Pour illustrer, à votre intention, monsieur Volpe, et à celle des autres membres du comité, la raison pour laquelle des ressources adéquates aideraient et le secteur public et le secteur privé, si le bureau disposait de moyens adéquats dans le domaine de la révision des fusions, il lui serait beaucoup plus facile de respecter des échéances fixes, comme celle que j'ai proposée tout à l'heure—un mois, puis peut-être quatre mois, sans dépassement. Ce serait dans l'intérêt et du secteur public et du secteur privé, en particulier des entreprises désireuses de fusionner, et faciliterait les choses aux tierces parties. C'est bon pour tout le monde.
La présidente: Dernière intervention, professeur McFetridge, s'il vous plaît.
M. Donald McFetridge: Une remarque extrêmement judicieuse.
Une autre façon d'accroître les ressources pour le contrôle d'application et obtenir davantage de jurisprudence serait d'autoriser les poursuites privées et les recours privés au tribunal.
La présidente: Merci beaucoup, professeur McFetridge.
Je tiens à remercier les participants d'être venus nous rencontrer. Je suis désolée que tout le monde n'ait pu poser toutes ses questions. Nous n'avons pas eu le temps de couvrir tous les thèmes annoncés et nous devrons peut-être avoir une autre table ronde pour traiter plus particulièrement de la révision des fusions, et plus particulièrement de la défense invoquant les gains d'efficience, les pratiques de tarification et l'abus de position dominante, tous les problèmes et options. Nous les avons évoqués très brièvement, mais nous n'avons pas eu une discussion approfondie sur ces aspects. La discussion a été très intéressante et nous a beaucoup appris, mais je pense que nous devrons organiser une autre table ronde sur ces thèmes, si tous les participants sont d'accord.
• 1100
Notre discussion a dévié sur l'industrie alimentaire et je ne
peux clore cette session sans faire une mise au point.
La gestion de l'offre comporte un coût extrêmement faible pour les consommateurs. Toutes les études le prouvent, par comparaison avec les États-Unis. Si quelqu'un pense que les détaillants ne bénéficient pas des subventions agricoles, nous avons un désaccord.
Cela étant dit, nous allons suspendre la séance pendant cinq minutes avant d'entamer la table ronde suivante.
Merci encore une fois à nos participants.
La présidente: Nous allons reprendre nos travaux. Je remercie tout le monde ici d'avoir répondu à notre invitation. Nous espérons que vous trouverez intéressantes les deux prochaines heures.
Si vous regardez autour de la table, je suis sûre que vous verrez des visages très familiers. Le format de la réunion d'aujourd'hui est quelque peu différent de ce à quoi nous sommes accoutumés. Je vous assure que les députés autour de la table n'ont pas changé de parti, en tout cas par encore, même s'ils n'occupent pas leur place habituelle. Nous avons réuni une assemblée distinguée.
C'est un grand privilège pour nous de bénéficier dans cette tribune de la présence de certains parmi les plus grands experts du droit de la concurrence du pays. Bien que les membres du comité aient acquis une bonne connaissance de ce domaine, ces tables rondes seront néanmoins une bonne expérience pédagogique pour les membres, comme j'ai pu le constater lors de la séance précédente, et nous aideront à compléter, espérons-nous, notre rapport intérimaire de juin 2000.
Nous avons esquissé plusieurs grands thèmes que nous souhaitons approfondir lors de cette table ronde, en guise de lignes directrices. Cependant, nous savons que certains d'entre eux sont un sujet de préoccupation plus immédiate et susciteront davantage de discussion que d'autres. Il est possible que nous ne puissions pas aborder tous ces sujets aujourd'hui. C'est ce que nous avons constaté lors de la session précédente. Cependant, nous essaierons d'en couvrir autant que nous le pouvons dans le temps prévu et nous vous encourageons à parler sans détour afin de stimuler un débat entre tous les participants.
Nos délibérations sont télévisées. Nous espérons que ces audiences serviront à instruire les Canadiens, non seulement en ce qui concerne le droit de la concurrence, mais également le processus parlementaire. Les débats d'aujourd'hui formeront partie de la mémoire collective du comité et nous aideront grandement à formuler nos propositions législatives futures.
Là-dessus, je vous remercie encore une fois d'être venus. Les thèmes de cette table ronde seront: l'application de la loi—évaluation et recommandations; le Tribunal de la concurrence—l'examen des procédures et des recours; l'avenir du droit de la concurrence; et le rapport provisoire de juin 2000 sur la Loi sur la concurrence—invitation à faire des observations finales. Cela pourrait occuper en entier les deux heures et peut-être même deux jours, mais nous verrons comment les choses tourneront.
J'aimerais commencer par inviter les participants à se présenter, ensuite de quoi je vous invite à intervenir sur le premier thème. Faites-moi signe lorsque vous souhaitez prendre la parole. Ne vous inquiétez pas, si je ne vous vois pas, rien n'échappe à la vigilance de mes assistants, ils veillent toujours à me transmettre le message.
Nous allons commencer. Nous allons faire le tour de la table pour les présentations. Quelques-uns des participants de l'autre table ronde sont là également pour celle-ci.
M. Robert Russell: Rob Russell, du cabinet Borden Ladner Gervais.
M. Charlie Penson: Charlie Penson, critique de l'industrie pour l'Alliance.
M. Brent St. Denis: Je suis Brent St. Denis, député.
M. Jack Quinn (témoignage à titre personnel): Jack Quinn, du cabinet Blake, Cassels & Graydon.
M. Walt Lastewka: Walt Lastewka, député de St. Catharines.
M. Doug West: Doug West, département de sciences économiques de l'Université de l'Alberta.
[Français]
Mme Jocelyne Girard-Bujold: Jocelyne Girard-Bujold, députée de Jonquière.
[Traduction]
Mme Margaret Sanderson (témoignage à titre personnel): Margaret Sanderson, Charles River Associates.
M. George Addy (témoignage à titre personnel): George Addy, ancien commissaire, maintenant du cabinet Osler, Hoskin & Harcourt, à Toronto.
M. Stanley Wong (témoignage à titre personnel): Stanley Wong, Davis and Company.
M. Larry Bagnell: Larry Bagnell, député du Yukon.
M. Paul Crampton (témoignage à titre personnel): Paul Crampton, du cabinet Davies Ward Phillips & Vineberg. Contrairement à mes autres comparutions devant le comité, je suis ici à titre personnel.
M. Chuck Strahl: Chuck Strahl, député de Fraser Valley.
M. A. Neil Campbell (témoignage à titre personnel): Neil Campbell, McMillan Binch, de Toronto.
M. Roger Ware (témoignage à titre personnel): Roger Ware, professeur de sciences économiques, université Queen's.
M. Thomas Ross: Tom Ross, faculté de commerce, University of British Columbia.
La présidente: Merci à tous de vous être joints à nous.
Je ne sais pas si quelqu'un veut se lancer directement sur le thème de l'application de la loi: évaluation et recommandations.
Monsieur Addy.
M. George Addy: Merci, madame la présidente. Lorsque nous avons été invités, on nous a dit de ne pas rédiger de mémoire ou de présentation, mais j'ai pris la liberté de coucher quelques notes à mon propre usage, pour ne rien oublier.
• 1115
Sur le plan de l'application de la loi, nous disposons de
quelques statistiques. Je n'ai pas l'intention de les passer en
revue, mais j'aimerais revenir sur le thème que j'ai entendu
brièvement ce matin, soit l'établissement des priorités à
l'intérieur du bureau.
Le bureau a décidé de consacrer une bonne part de ses ressources à la révision des fusions. C'est assez compréhensible. Cette disposition est la plus récente de la loi et elle retient beaucoup l'attention des médias, etc. Mais nous avons maintenant 15 années d'expérience de ce mécanisme et je pense qu'il est temps de revoir certaines des dispositions touchant les fusions. Vous avez entendu certaines propositions ce matin. Je crois que M. Goldman proposait d'imposer des échéances. Lors d'une comparution antérieure devant le comité, j'avais moi-même proposé quelques changements dans ce sens.
Sur le plan de l'application de la loi, j'aimerais que le bureau prête davantage attention aux autres dispositions de la loi, et peut-être répugne un peu moins à prendre des risques sur le plan des fusions. Quelqu'un a également préconisé ce matin une majoration des seuils. Cela aussi serait utile.
Par ailleurs, toujours sur le plan de l'application de la loi, on déplore beaucoup dans les milieux d'affaires que la jurisprudence se limite à un petit nombre d'affaires et le manque d'information du public en général et des entreprises, des consommateurs et juristes sur la manière dont les décisions sont prises. Cette question a sans doute été davantage débattue que les recours privés, et je pense qu'il est temps d'instaurer un mécanisme officiel de publication des décisions.
L'Union européenne a un mécanisme selon lequel, même lorsqu'une transaction n'est pas contestée, une décision est publiée décrivant les modalités de l'étude effectuée par la commission, ses conclusions, quels éléments ont été jugés importants et non importants. Je pense que ce serait là un service d'information publique très utile que le bureau pourrait rendre.
Le troisième sujet dont j'aimerais traiter et qui a été abordé brièvement ce matin est celui des ressources. S'agissant des répercussions sur les ressources du bureau si les seuils sont majorés, il importe, chaque fois qu'il est question des responsabilités confiées au Bureau de la concurrence, de songer également aux ressources requises.
Il y a un débat sur l'opportunité de scinder l'article 45 en une infraction absolue et une infraction civile. Si vous faites cela, il en coûtera plus cher au commissaire de poursuivre pour les infractions civiles. Dans le modèle pénal actuel, la responsabilité est scindée entre deux ministères, si bien que la poursuite émarge à deux budgets différents. Le Bureau de la concurrence se charge de l'enquête et le ministère de la Justice assure la poursuite. Si l'on va revoir le rôle du bureau, il faudra également réfléchir aux ressources dont il aura besoin pour s'acquitter de cette responsabilité supplémentaire.
Voilà les trois remarques que je voulais formuler au départ, madame la présidente.
La présidente: Merci, monsieur Addy.
J'ai M. Crampton et Mlle Sanderson.
M. Paul Crampton: Merci.
En ce qui concerne l'application de la loi, cinq éléments clés sont à prendre en considération. J'encourage le comité à relever le défi et à dresser un plan plus ambitieux de modernisation de la loi dans son rapport final au Parlement. J'espère que ce plan serait le point de départ d'un Livre blanc du gouvernement qui ouvrirait la prochaine ronde de modifications.
Parmi les cinq éléments clés, le premier est l'indépendance du commissaire. Cela est lié au problème des ressources et j'en parlerai plus en détail dans un moment.
Le deuxième élément est la nécessité de réformer les dispositions pénales alambiquées de la loi—pas seulement l'article 45, mais beaucoup d'autres dispositions touchant à la tarification, notamment les prix d'éviction, les prix discriminatoires et les prix imposés.
Le troisième est la nécessité de repenser les infractions civiles, qui pourraient être restructurées en une disposition renforcée relative à l'abus de position dominante.
Quatrièmement, il serait très utile que votre rapport final se prononce fermement en faveur du principe que la Loi sur la concurrence, en tant que loi-cadre, ne devrait pas être élargie afin d'y insérer tout un méli-mélo de modifications spécifiques à certaines industries.
• 1120
Le rapport provisoire semblait pencher en ce sens et cette
inclination était détectable également dans la communication que
vous avez faite, madame la présidente, à la conférence sur le droit
de la concurrence tenue il y a quelques mois.
Enfin, il est nécessaire de reconnaître que la politique de concurrence ne se limite pas à la seule Loi sur la concurrence. Il convient d'ouvrir la politique de concurrence afin qu'elle s'attaque au large éventail de restrictions à la concurrence qui sont le fait des gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux. Au total, ces dernières pénalisent beaucoup plus les consommateurs, les petites et grandes entreprises que toutes les entraves privées combinées.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Crampton.
Madame Sanderson.
Mme Margaret Sanderson: Merci, madame la présidente.
Comme introduction j'aimerais mentionner plusieurs choses dans le contexte de l'application de la loi.
On s'est beaucoup interrogé sur la question de savoir si le contrôle d'application est suffisant et George a parlé brièvement des priorités. S'agissant des priorités ces derniers temps, et de l'emploi des ressources du bureau, il me paraît parfaitement naturel que le bureau ait consacré une grande part de ses ressources à l'examen des fusions, étant donné la vague sans précédent de fusions intervenues ces dernières années et les pressions qui s'exercent lorsqu'une transaction internationale a déjà été approuvée en Europe et aux États-Unis.
Maintenant que cette vague de fusions commence à retomber, il sera intéressant de voir comment les ressources seront réaffectées. Il est vrai, dans ces conditions, que d'autres domaines d'activités, tels que les pratiques examinables en droit civil et les complots ont disposé de moins de moyens que dans d'autres pays.
Sur le plan des problèmes d'application, votre comité pourrait agir dans trois domaines. Il y a cette question de financement, dont on a déjà parlé. Il y a aussi celle des mécanismes de contrôle alternatif, comme les recours privés, dont j'espère avoir l'occasion de discuter ici. Je sais que les participants ont des points de vue très divergents sur le recours privé.
En substance, le recours privé, avec garanties de procédure, dans les infractions civiles, aiderait beaucoup le bureau en le soulageant d'une partie de sa charge de travail. En effet, des parties privées, souvent mieux informées, pourraient intenter des poursuites elles-mêmes.
L'autre plan d'action, toujours sur le plan du contrôle d'application, serait une réforme radicale de la procédure du tribunal. Il est impératif de rationaliser et d'améliorer très considérablement cette dernière. Je me fais en cela l'écho de M. Neil Campbell, de Hudson Janisch et du professeur Michael Trebilcock.
La raison pour laquelle ce processus coûte si cher à l'heure actuelle est la durée moyenne des instances dans les cas de fusion, sans parler des affaires d'abus de position dominante. Le Tribunal de la concurrence a entendu quatre affaires de fusion contestées. Le temps moyen mis par le bureau à rendre une décision dans ces transactions était d'environ huis mois et demi. La procédure du tribunal, pour sa part, a duré en moyenne 19 mois, du début jusqu'au jugement. D'ailleurs, ce n'est même pas le véritable chiffre car cela englobe une affaire actuellement en instance d'appel.
Si l'on considère l'affaire la plus récente, celle du dépotoir Ridge, pour laquelle un certain nombre de modifications de procédure ont été apportées, je crois savoir qu'il n'y a pas eu de communication préalable officielle. Le commissaire et les parties ont présenté un énoncé des faits mutuellement convenu. La question à trancher était étroitement cernée. Tous les documents ont également été déposés électroniquement. En dépit de tous ces aménagements, il a fallu au tribunal onze mois pour trancher la question de la responsabilité et six mois de plus pour annoncer la réparation, et cette dernière fait l'objet d'un appel.
• 1125
Sur le plan de l'application, si nous adoptons une approche
holistique et réfléchissons aux structures institutionnelles et aux
incitations mises en place, cela nous aidera à régler plusieurs
problèmes. Si nous pouvons, par exemple, établir un bon cadre
institutionnel, des procédures simplifiées au niveau du tribunal,
cela atténuera largement les problèmes de coût.
La présidente: Merci beaucoup, madame Sanderson.
Monsieur Campbell.
M. Neil Campbell: Merci, madame la présidente, et bonjour à tous. Merci de nous avoir invités pour cette discussion très intéressante, je l'espère.
En ce qui concerne l'exécution de la loi, permettez-moi d'évoquer quelques points qui me paraissent particulièrement importants. Je pense que le rapport provisoire du comité a déjà posé quelques gestes importants à cet égard, notamment dans le domaine des pratiques de tarification. Vous avez bénéficié du rapport détaillé du professeur Van Duzer, qui a fait ressortir que certaines de ces règles sont devenues économiquement un peu désuètes. C'est pourquoi l'activité d'exécution les concernant est plutôt faible.
Manifestement, le bureau, en établissant ses priorités internes, a posé le principe que les cartels sont un problème majeur, que les règles touchant les prix imposés et discriminatoires, par exemple, sont économiquement mal fondées et vont trop loin, et qu'il n'y a donc pas lieu d'en faire des priorités d'action.
Votre idée de moderniser et de dépénaliser plusieurs des dispositions de la loi intéressant les prix et de les transférer dans un cadre tel que le régime d'abus de position dominante me paraît judicieuse. On disposera ainsi d'un régime unique cohérent pour traiter de ces types de comportement, uniquement dans les cas où il y a des effets sur la concurrence et non dans les nombreuses situations où il n'y en a pas. Cela n'engendrera pas un flux énorme d'affaires, mais ce seront les affaires justifiant une intervention.
Je reprends à mon compte deux autres propositions déjà faites, car elles me paraissent très judicieuses. L'une est l'idée de M. Addy de publier les motifs des décisions particulières, y compris lorsque le commissaire décide de ne pas ouvrir une procédure formelle. Lorsqu'il décide d'engager une procédure devant le tribunal, tous les procès-verbaux sont publics. En revanche, lorsqu'il y a dépôt d'une plainte au Bureau de la concurrence et que ce dernier ne donne pas suite, en général parce qu'il ne pense pas que la loi a été enfreinte, il n'y a pas de décision motivée.
Une décision motivée est avantageuse pour tout le monde. Non seulement est-ce à l'avantage du plaignant, mais c'est également utile au public qui comprend ainsi comment le bureau applique la loi dans une situation donnée. Le fait de voir ce que le bureau a fait ou n'a pas fait est un garant de transparence.
De façon générale, je trouve que le bureau fait un excellent travail sur le plan de la transparence et des lignes directrices. C'est un travail qui se poursuit. Je pense que le bureau pourrait faire beaucoup plus sur le plan de la publicité des motifs de décisions spécifiques. Si vous pouviez l'encourager dans cette voie et veiller à ce qu'il dispose des ressources voulues pour cette activité, ce serait très utile.
Margaret Sanderson a fait allusion à une étude que j'ai corédigée il y a quelques années. Je pense qu'une bonne application de la loi, sur le plan des procédures formelles, dépend en partie d'une rationalisation et amélioration des procédures du Tribunal de la concurrence, sans pour autant priver la partie incriminée de ses moyens de défense. Il n'est pas nécessaire d'avoir une structure judiciaire aussi formelle que l'actuelle. Je pense qu'une structure de type tribunal administratif, tribunal expert, serait beaucoup plus utile. J'ai été l'un des seuls à déplorer le caractère formel et judiciaire de la procédure suivie par les juges de ce tribunal. Je préférerai un tribunal du type administratif, qui pourrait rendre les décisions plus rapidement sur la base d'avis experts.
Merci.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Campbell.
Monsieur Wong.
M. Stanley Wong: J'aimerais faire deux remarques générales pour commencer. L'une porte sur l'opportunité de modifications législatives. Je veux me faire l'écho des propos tenus lors de la table ronde précédente et certainement par d'autres autour de cette table. Nous avons tendance à penser que le Bureau de la concurrence et le commissaire pourront remédier à tous les maux de la terre. Il y a toujours une tendance au Parlement et au gouvernement à se décharger sur quelqu'un d'autre. Le gouvernement a pris l'engagement de ne pas déréglementer, en quelque sorte, le transport aérien. Il a décidé que la seule façon de régler les problèmes dans le cadre actuel est de donner le pouvoir au commissaire.
• 1130
Je pense que c'est très dangereux, pour toutes les raisons
avancées par mes collègues, car on transforme cette loi-cadre en
régime réglementaire confié à une autorité qui manque non seulement
des ressources voulues mais qui, franchement, est très mal équipée
pour faire ce travail. Pour paraphraser l'expression de mon
ex-collègue, le professeur McFetridge, agir ainsi c'est corrompre
la Loi sur la concurrence. J'exagère peut-être un peu, mais je suis
avocat, pas économiste.
Un autre élément dont les économistes et les avocats spécialisés en droit de la concurrence parlent toujours, c'est la concentration. Il ne faut pas perdre de vue—et Margaret Sanderson en a fait la remarque—que le contrôle d'application doit mettre en jeu tout le régime et non pas concentrer le pouvoir aux mains d'une seule personne. Je trouve cela très dangereux. Et ce n'est pas que j'aie des reproches à faire au commissaire. Il s'agit plutôt de savoir quel système nous voulons avoir.
À l'heure actuelle, nous avons un commissaire à la concurrence qui, de par la loi, est indépendant et fait rapport au ministre de l'Industrie mais n'accepte aucune instruction de ce dernier, sauf pour l'ouverture d'une enquête. C'est très dangereux et c'est pourquoi, à mon avis, le Parlement a modifié le régime en 1986 en instaurant le Tribunal de la concurrence, pour rééquilibrer. Nous avons aujourd'hui un pouvoir décisionnel aux mains d'une seule personne qui n'a pas réellement de comptes à rendre. Chaque fois qu'il y a une poursuite inaboutie, des pressions s'exercent immédiatement pour modifier la loi. Le commissaire a fièrement annoncé que nous avons maintenant un processus de modification permanent.
Franchement, je pense que l'on a déjà fait trop de rafistolage. Il ne faut pas perdre de vue qu'il s'agit d'une loi- cadre. Oui, il y a quelques problèmes structurels sur lesquels le comité devrait se pencher, mais dans une perspective globale et politique.
Revenant aux décisions judiciaires, je pense que nous en avons beaucoup trop peu. Cela signifie que la loi n'est pas éprouvée. Le ministère de la Justice américain et le Federal Trade Commissioner émettent des lignes directrices, mais elles sont basées sur la loi et la jurisprudence. Nous avons aussi des lignes directrices, mais pas de jurisprudence. Il est utile, lorsqu'on conseille des clients, de savoir ce que le commissaire pense, mais tellement d'articles de la loi n'ont fait l'objet d'aucune poursuite. C'est réellement entre vous et le commissaire.
Manifestement, lorsque vous représentez une partie, on souhaite que les choses se passent au mieux pour le client. On boucle le dossier, on fait de son mieux pour obtenir l'agrément ou une lettre de désistement du commissaire, mais sans que la décision soit jamais éprouvée.
Franchement, je pense que les interprétations de la loi données par le commissaire devraient être beaucoup plus souvent éprouvées. J'en aurai plus à dire sur ce sujet lorsque nous parlerons du Tribunal de la concurrence. Je suis membre du comité de liaison du tribunal et ce dernier est très préoccupé, tout comme le tribunal lui-même, par cela.
Je reviendrai sur ce thème de la nécessité d'une meilleure mise à l'épreuve des décisions d'exécution de la loi, par opposition au renforcement des pouvoirs du commissaire.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Wong.
Monsieur Addy, vous souhaitez répondre.
M. George Addy: Merci, madame la présidente.
J'aimerais relier entre eux deux commentaires, l'un de Mme Sanderson et l'autre de M. Wong, avec lesquels je suis pleinement d'accord. Cela nous ramène à toute la question du rôle du Bureau de la concurrence. J'ai déjà parlé, lors d'une comparution antérieure au comité, de la nécessité de trouver le juste équilibre—une notion au coeur des valeurs canadiennes—entre l'efficience d'un mécanisme d'application et le droit des Canadiens individuels, qu'ils soient consommateurs, entreprises, tout ce que vous voudrez, à la non-intervention de l'État.
La reddition de comptes est un élément essentiel de ce juste équilibre. Stan et Margaret ont tout à fait raison. La création du tribunal, et le rôle de celui-ci, sont primordiaux sur le plan de la reddition de comptes. C'est pourquoi je suis grand partisan du Tribunal de la concurrence. Oui, il faut améliorer sa procédure. Oui, il pourrait mieux gérer les affaires, indépendamment des règles.
La tendance est toujours de dire, remanions un peu les règles de procédure du tribunal et espérons que cela réglera le problème. Ce n'est pas toujours vrai. Cela peut aider, mais il faut également une gestion des affaires agressives de la part du tribunal. Par exemple, une affaire récente, mettant en jeu Air Canada, a été ajournée pendant six mois sans qu'aucune raison ne soit donnée.
• 1135
Je pense donc qu'il y a de la marge pour que le tribunal
intervienne de façon plus dynamique dans le traitement des
affaires. Il y a également de la marge pour envisager des délais
maximaux. Nous avons parlé de limites temporelles imposables au
commissaire et en ce qui concerne l'examen de fusions. Je pense que
le moment est venu d'imposer des limites temporelles au Tribunal de
la concurrence, et cela n'est pas inouï dans ce domaine
juridique-ci.
En guise d'exemple, en Afrique du Sud, la commission est tenue d'entreprendre une audition dans les 30 jours suivant le dépôt de la plainte et de donner ses motifs, soit de rendre une décision, dans les 15 jours suivant la fin de l'instruction et, enfin, de déposer officiellement ces motifs dans les 30 jours. Pourquoi ne pourrions-nous pas faire cela ici? Voilà une chose qui faciliterait selon moi le processus et qui nous aiderait dans le cas d'affaires qui se prolongent.
Traitement des affaires signifie également limitation du nombre de témoins. Cela vous intéresserait peut-être de savoir que dans l'affaire de Microsoft, que l'on connaît si bien, il n'y a eu que 24 témoins et la décision n'a fait que 46 pages. Dans l'affaire de Superior Propane, dont vous avez beaucoup entendu parler, il y a eu 91 témoins et une décision de 109 pages. Je considère, bien franchement, que cela ne constitue pas de la gestion dynamique d'affaires. Les gens se plaindront, le commissaire se plaindra, les défendeurs se plaindront, mais je pense qu'il y a ici un rôle pour le tribunal dans la gestion des affaires et que les membres du tribunal doivent se voir confier les pouvoirs requis.
D'après ce que je comprends de l'administration de la Cour fédérale, le rôle de ces personnes en tant que membres du tribunal est sur un pied d'égalité avec leur rôle en tant que juges de première instance à la Cour fédérale, alors il leur faut inscrire les audiences du tribunal dans leur emploi du temps lorsqu'elles sont à la Cour fédérale. Il y aurait peut-être lieu d'établir que ce doit être là du travail prioritaire pour les membres du tribunal de la Cour fédérale.
La présidente: Plusieurs personnes souhaitent réagir et il y a également un certain nombre de députés qui ont des questions à poser, mais je vais commencer par accorder la parole au professeur Ware, puis au professeur West.
M. Roger Ware: Merci, madame la présidente.
J'aimerais dire deux choses au sujet de la question de l'application de la loi à cette étape-ci. Premièrement, il a déjà été dit, mais cela vaut la peine d'être répété, que la meilleure politique en matière de concurrence est une politique de libre-échange, une politique de libre-échange et de libre-investissement. Il y a au moins deux affaires qui ont accaparé les ressources du Bureau de la concurrence et du Tribunal de la concurrence au cours des cinq dernières années et qui n'en seraient peut-être pas arrivées là si nous avions eu à l'égard de ces industries une approche plus ouverte à l'échelle du continent. Je veux parler, bien sûr, des lignes aériennes et de la vente au détail de livres.
J'ai voulu parler cela dans le contexte de l'application de la loi car si nous n'envisageons pas de structures efficientes continentales pour certaines de ces industries, alors nous allons nous voir obligés de consacrer davantage de ressources à la politique en matière de concurrence applicable à ces industries.
Deuxièmement, j'aimerais revenir sur ce qu'a dit Margaret Sanderson au sujet des actions privées. Il est clair qu'il s'agit là d'une question d'importance dans le contexte de l'application de la loi, car cela vient ajouter tout un ensemble, si vous voulez, de sources et de points de départ d'actions. Je tiens à souligner qu'il y a eu une tendance visant à décrire les actions d'initiative privée comme étant des moyens d'aider le commissaire, de mettre davantage de ressources dans sa poche et de faire une partie de son travail pour lui, mais ce n'est pas ainsi que je vois les choses en fait.
Je suis là-dessus du même avis que mon collègue, Michael Trebilcock, soit qu'il convient de considérer les actions privées dans un contexte beaucoup plus vaste, ces actions étant essentiellement une façon d'élargir la portée des affaires en matière de concurrence. Ces affaires de concurrence prendront de l'ampleur dans le sens que, comme l'a dit Stan Wong, nous n'aurons plus juste une personne responsable d'intenter une action devant le tribunal, nous aurons toutes sortes de raisons et de sources différentes de contestation, ce qui devrait alimenter une jurisprudence beaucoup plus riche dans laquelle puiser.
La présidente: Professeur West.
M. Douglas West: Merci.
J'ai eu, moi aussi, comme nombre de personnes assises autour de la table, des préoccupations quant à la durée du processus du tribunal. L'imposition au Tribunal de la concurrence de délais temporels pourrait sembler être une possibilité séduisante. La difficulté est que certaines, voire presque toutes les affaires qui sont portées devant le tribunal, sont extrêmement complexes quant aux types de comportement qui sont examinés, et l'exigence dans toutes ces affaires est que des rapports d'experts soient ordonnés et déposés.
• 1140
Or, il faut du temps pour faire le travail de recherche et de
rédaction de ces rapports. Ceux-ci s'appuient sur quantité de
données et de documents qui doivent être fournis par les parties.
Par conséquent, même si vous pouvez essayer d'écourter le processus
du tribunal même, il y a cette partie-là du processus qu'il est
très difficile de raccourcir, et cela peut prendre de quatre à six
mois, selon l'affaire.
L'une des choses intéressantes poursuivies dans l'affaire d'abus de position dominante d'Air Canada est que le processus du tribunal a été découpé en deux phases. Dans la première phase de l'instruction, le tribunal traite de la question générique des coûts évitables: ce qu'est un coût évitable, les questions d'opportunité de coût évitable, le moment où un coût devient évitable et quels revenus doivent intervenir dans la détermination. Il y a donc la phase un de l'audition que j'assimilerais à l'établissement des règles du jeu ou des règles dont il est question en matière de comportements qui seraient hors jeu dans le contexte de la Loi sur la concurrence et des règlements applicables aux lignes aériennes.
Ce genre d'approche pourrait sans doute faciliter le raccourcissement du processus. En aidant à établir quelles sont les règles du jeu, vous pouvez éviter cette partie du procès dans chaque affaire subséquente, à tout le moins lorsqu'il s'agit des mêmes motifs et de la même situation d'abus de position dominante. Je pense qu'il existe sans doute d'autres exemples, d'autres industries dans le cas desquelles le comportement faisant l'objet de la plainte pourrait être assimilé à, mettons, la pratique de prix d'éviction, et où il pourrait y avoir un certain nombre de plaintes à l'égard d'un comportement donné, mais la question est de savoir quelle est l'interprétation et de quelle façon le tribunal interpréterait dans un contexte donné des prix d'éviction. L'idée d'établir les règles du jeu dans d'autres industries et dans d'autres contextes me paraît censée.
La présidente: Merci beaucoup, professeur West.
Je vais donner la parole à M. Quinn et à M. Russell, après quoi j'autoriserai M. Penson à poser une question. Il y en a encore d'autres qui souhaitent intervenir, mais nous allons commencer par M. Quinn.
M. Jack Quinn: Il me semble, madame la présidente, que nous parlons déjà du processus du Tribunal de la concurrence. Je trouve que c'est une question intéressante que celle de la contribution que devrait faire le Parlement à ce que Margaret a appelé la simplification des règles du tribunal. Traditionnellement, les règles des cours et des tribunaux sont établies par leurs membres en vertu d'un processus public, mais cela a été considéré comme étant véritablement un exercice juridique technocratique.
Il me faut dire que je suis sensible à la proposition de George visant l'établissement de simples limites temporelles, stipulant que certaines décisions devront être rendues d'ici telle date. Nous avons ce processus, par exemple, au Tribunal canadien du commerce extérieur, dans le cadre duquel les décisions doivent être rendues dans des délais très serrés. Dans le cadre d'un tel processus, des directives précises doivent être données aux responsables, aux autorités chargées d'administrer la procédure, afin qu'ils rendent leur verdict dans le délai prescrit sur la base des meilleurs éléments de preuve à leur disposition.
Il y aura inévitablement des erreurs et une certaine injustice, mais la solution de rechange est de n'avoir aucun processus de tribunal sérieux du tout. Je m'occupe de ces affaires depuis la création du tribunal en 1986 et j'ai participé à ces affaires de fusions qui ont été contestées, et il y en a eu quatre. Je dirais que ces affaires ont abouti devant le tribunal parce que les parties ont réussi à trouver le moyen de clore les transactions, de tirer les profits des fusions avant la procédure de tribunal.
Combien de fusions n'ont pas débouché, n'ont pas été conclues à cause de résistance, d'incertitude et de l'incapacité de mettre à l'épreuve la décision d'application de la loi dans un délai qui était approprié du point de vue financier? Si la décision ne vient pas en l'espace de quelques mois, l'entente tombe. C'est là la réalité.
Il s'agit d'une chose avec laquelle il nous faut apprendre à composer. Nous ne pouvons pas retourner maintenant devant les membres du tribunal et dire tout simplement «Truquez votre processus et faites en sorte qu'il soit plus simple», car ce que l'on va retrouver va en gros être un modèle fondé sur la procédure, le procès en cour civile, que l'on connaît très bien. Il nous faut jeter ce modèle-là et commencer avec un modèle neuf, faut de quoi nous n'aurons jamais suffisamment de jurisprudence, comme Stan Wong l'a laissé entendre.
• 1145
C'est là la force du système américain. Certes, il s'y fait
beaucoup de poursuites, mais les gens savent quelle est la loi car
ils portent des affaires devant les tribunaux et mettent la loi à
l'épreuve.
Il y a à mon avis deux choses importantes en matière de politique d'application de la loi: tout d'abord il y a l'indépendance, et deuxièmement il y a l'imputabilité. Le commissaire doit être indépendant, doit disposer de ressources nécessaires à son travail, mais il doit également rendre des comptes. Cela veut dire qu'il nous faut pouvoir aller devant le tribunal et mettre à l'épreuve la décision du commissaire. C'est là une façon d'exiger qu'il rende des comptes.
Une autre chose qui a été proposée c'est qu'il y ait plus de transparence en ce qui concerne le processus décisionnel. Franchement, des efforts ont déjà été faits en ce sens. George a beaucoup fait, lorsqu'il était directeur, en vue de cet objet. Il y a au processus des limites inhérentes, car vous ne pouvez pas mettre à l'épreuve les faits, et ce sont des affaires qui sont fondées sur des faits. Ces affaires vont inévitablement basculer sur la base de très légères distinctions côté faits, et c'est là le problème.
Selon moi, donc, vous devriez, dans le cadre de votre rapport final, traiter du fait que nous n'avons en vérité dans ce pays aucune jurisprudence en matière de droit sur la concurrence. Nous n'en avons pas depuis que j'ai commencé à enseigner le droit en 1975. Quand allons-nous nous attaquer comme il se doit à cette question?
La présidente: Merci beaucoup.
Nous allons maintenant entendre M. Russell. Allez-y, je vous prie.
M. Robert Russell: Il me faut dire que je me sens poussé à me lancer dans le débat par certains des commentaires qui viennent d'être faits: la suggestion, d'un côté, que vous ne bricoliez pas la loi, puis que vous vous attaquiez à certains des éléments essentiels de la loi, comme si cela était chose simple.
Premièrement, quant au pouvoir discrétionnaire du commissaire, notre loi s'appuie sur un modèle qui utilise la discrétion administrative pour simplifier notre processus, mais dans tous les cas, cela est sujet à examen par un juge. Vous pouvez comparer cela avec ce qui se passe dans d'autres pays. Lorsque la commission en Europe émet une ordonnance, par exemple, équivalente à notre article 11, il n'y a absolument aucune intervention judiciaire. Dans le cas de la FTC, il n'est prévu absolument aucune intervention judiciaire quant à l'émission d'ordonnances semblables.
Il me faut donc dire que notre loi, au contraire, assure un très bon équilibre par rapport à la discrétion administrative en vue de simplifier le processus, tout en maintenant les poids et contrepoids qu'apporte le processus judiciaire. S'il existe dans le monde un modèle, c'est la structure de notre Loi sur la concurrence, que l'on ne devrait selon moi pas bricoler, car c'est cette loi qui nous permet d'aller aussi loin que nous le pouvons.
Voilà qui m'amène à la question des limites temporelles. Je trouve que l'argument qu'avancent les gens est un petit peu artificiel. Ce n'est pas qu'ils présentent les choses de façon artificielle, mais lorsqu'ils évoquent l'Europe parlant du délai de quatre mois, j'ai envie d'expliquer la façon dont les choses se passent ici.
Lorsque vous avez une fusion, vous ne faites pas votre demande tant que vous n'avez pas eu de très nombreuses discussions avec la commission pour établir les choses. Ici, nous déposons la demande, puis nous discutons, et c'est assez artificiel.
Je m'occupe à l'heure actuelle d'un tel dossier, avec Hewlett-Packard et Compaq. Ces deux sociétés ont fait une demande en Europe—il en a été question dans la presse—à cause de toutes les réunions qui ont lieu avant. Ce n'est pas que vous êtes hésitant ou inquiet, mais le processus en Europe prévoit que vous discutiez d'abord et que vous déposiez votre demande après. Ici, on fait le contraire: on fait le dépôt d'abord et ensuite on en discute.
Très simplement, ce n'est en vérité pas différent de ce qui se passe chez nous, si vous regardez les délais d'ensemble pour examiner une fusion dans ce pays. Dire que l'on ne suit pas les mêmes délais, même si elles ne sont pas inscrites dans la loi elle-même, est faux.
Enfin, pour ce qui est de la procédure judiciaire, tout le monde est en train de dire qu'il s'agit là d'un problème. C'est un gros problème, que j'ai illustré tout à l'heure en citant les 52 demandes faites en l'espace de dix mois. Et il n'était question que d'enquêtes préalables. C'était épouvantable; 52 demandes. Et c'est épouvantable, contrairement à ce qu'a dit M. Campbell, non pas parce qu'il y a trop de contrôle judiciaire, mais parce que ce que nous avons fait au départ a été de dire, ayons cette souplesse pour le tribunal, n'ayons pas un ensemble de règles pures et dures comme c'est le cas du tribunal, et, partant, personne ne connaît les règles en matière de communication préalable, d'où la multiplication des demandes. Il nous faut chaque fois faire appel au juge.
Ma suggestion, donc, c'est qu'il nous faudrait examiner certains de ces modèles qui ont réussi sur le plan réglementation, comme au CRTC et dans les tribunaux, pour trouver un modèle de procédure simplifié, au lieu d'aller dans l'autre sens en nous éloignant des modèles judiciaires, qui sont en fait plus efficients au départ, grâce au traitement des affaires, par exemple, dont a parlé M. Addy.
Il s'agit là d'une évolution qui est en cours dans les tribunaux depuis maintenant près de deux décennies. Il nous faut l'adopter ici.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Russell.
Monsieur Penson, votre question porte-t-elle sur le premier thème?
M. Charlie Penson: Oui.
La présidente: Allez-y.
M. Charlie Penson: Je suis, en tant que profane, un peu intimidé par tous les experts juridiques que nous avons autour de la table ici, mais il me semble qu'il est très difficile d'essayer de remplacer la concurrence par une politique en matière de concurrence. Je pense que c'est M. Ware qui a fait état de cela.
À l'heure actuelle, tout le monde est excité par l'industrie aérienne et ce qui se passe de ce côté-là, mais il me semble que nombre de ces problèmes sont causés par les règlements, par les conditions imposées à l'industrie et qui font qu'il est très difficile pour une compagnie aérienne de fonctionner.
Pour en arriver à la partie application de la loi, monsieur Wong, je pense que vous avez très bien expliqué pourquoi il nous faut davantage de jurisprudence en la matière. Cela réglerait-il le problème si le tribunal devait à un moment donné dire «Sur la base de ce que nous avons vu par le passé, nous n'entendrons pas cette affaire. Nous avons déjà de nombreuses fois tranché en la matière, alors pourquoi y revenir»?
Si tel était le cas, la question que j'aurais pour tous les membres du panel serait la suivante: Est-il nécessaire d'avoir un commissaire à ce stade-là? Ne pourrait-on pas tout simplement recourir au tribunal et élaborer un processus grâce auquel ces affaires, par voie d'accès privé ou autre, pourraient tout simplement être portées directement devant un organe judiciaire ou semi-judiciaire ou autre afin qu'une certaine jurisprudence puisse s'accumuler là? S'il s'agit d'un sujet différent, alors l'affaire pourrait être entendue, mais s'il s'agit d'un sujet qui a fait l'objet de nombreuses affaires précédentes qui ont été entendues, alors la demande serait refusée.
La présidente: Je vais commencer par M. Wong, et j'ai déjà sur ma liste M. Crampton, M. Campbell, Mme Sanderson et M. Addy.
Monsieur Wong.
M. Stanley Wong: Permettez que je dise quelque chose en réponse à M. Penson.
Premièrement, pour ce qui est du processus décisionnel du tribunal, sur le plan procédure, le tribunal devra toujours prendre les affaires pour lesquelles des demandes lui sont faites, que ce soit le commissaire ou une partie qui ait demandé une détermination. Ce serait alors une rapide décision du genre: «Cette affaire n'est pas différente de la dernière. Voici la décision».
Le deuxième point nous ramène un petit peu au projet de loi C-23. Je sais que nous ne sommes pas ici pour examiner cela, mais un commentaire qui a été fait par plusieurs intervenants, dont l'Association du Barreau canadien, était que lorsque vous demandez un renvoi au tribunal, vous ne devriez pas être limité au seul commissaire ou au consentement du commissaire ou d'une partie privée. Si une partie privée fait l'objet d'une enquête, elle devrait pouvoir dire au commissaire: «Monsieur le commissaire, nous ne sommes pas d'accord avec vous sur le fond. Allons au tribunal pour tirer cette question au clair. Que cela vous plaise ou non, je vais demander une décision». C'est là une partie de la raison à cela, car à l'heure actuelle, notre système prévoit que ce soit le commissaire qui décide s'il veut porter l'affaire devant un tribunal ou devant les cours. Et nous donnons de plus en plus de pouvoirs au commissaire pour qu'il ne soit pas obligé de faire cela.
La présidente: Merci, monsieur Wong.
Il nous faut poursuivre, monsieur Penson.
M. Charlie Penson: Est-il même nécessaire d'avoir un commissaire?
M. Stanley Wong: Oh, absolument.
La présidente: Merci, monsieur Penson.
Monsieur Crampton, s'il vous plaît.
M. Paul Crampton: Merci, madame la présidente.
Avant d'aller trop loin dans la question du Tribunal de la concurrence, j'aimerais faire un certain nombre de remarques au sujet de la question de l'application de la loi.
Premièrement, en ce qui concerne l'indépendance du bureau et ses ressources, qui sont des questions interreliées, l'on revient sans cesse à l'aspect indépendance. Cette question refuse de disparaître. Il en est question, à l'échelle internationale, dans le rapport de l'OCDE et dans l'examen de la communication mondiale, Rating the Regulators. Elle a été soulevée dans la presse canadienne, en dépit des efforts déployés par le commissaire pour prendre du recul par rapport au gouvernement dans différents secteurs, y compris celui du transport aérien.
Cette question nous ramène à la confiance du public à l'égard du système, de l'administration et de l'application de la loi. C'est peut-être davantage une question de perception que d'une réalité, mais la perception devient réalité. Ce qui arrive c'est que cela augmente l'incertitude à l'égard de l'administration et de l'application de la loi et augmente l'imprévisibilité du processus. Cela a, à son tour, des conséquences néfastes pour ce qui est de l'évaluation faite par les gens d'affaires des risques, et pas seulement ceux associés à la poursuite d'initiatives et de transactions au Canada, mais également ceux posés par le consentement d'investissements au Canada, lorsque des investisseurs étrangers sont en train de se demander où ils vont investir leur argent.
La résolution de la question de l'indépendance ferait beaucoup pour résoudre un autre problème qui a affligé le bureau, soit celui des ressources humaines. Si le commissaire se voyait accorder le statut de sous-ministre grâce à une modification de l'article 7 de la loi—«sous-ministre» au sens de la Loi sur l'administration financière—il aurait son propre budget, et il aurait vraisemblablement la marge de manoeuvre nécessaire pour désigner des catégories d'emplois uniques au bureau.
• 1155
Il y a à l'heure actuelle au bureau des agents de commerce et
il existe des agents de commerce ailleurs. De ce fait, la capacité
du commissaire d'attirer et de garder de bons éléments dans des
postes d'agent commercial est limitée par le plafond imposé par le
gouvernement en matière de postes d'agent commercial. Il en est de
même avec la catégorie EX, qui recouvre le personnel plus chevronné
du bureau. En conséquence, l'écart entre ce que le bureau peut
payer et le revenu des économistes et des avocats dans le secteur
privé—et il existe un marché très dynamique pour leurs
services—est limité.
Si donc le commissaire avait le statut de sous-ministre ou d'administrateur général indépendant, il aurait sans doute la marge de manoeuvre nécessaire pour augmenter le traitement correspondant aux différents postes au bureau et serait ainsi en mesure d'attirer et de garder de bons éléments.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Crampton.
Je demanderai à tout le monde d'essayer d'être un petit peu plus bref, sans quoi nous n'aurons jamais le temps de faire un examen approfondi de la deuxième question.
Monsieur Campbell, s'il vous plaît.
M. Neil Campbell: Merci, madame la présidente.
Pour répondre à la question de M. Penson, oui, nous avons beaucoup besoin du commissaire. Plusieurs commentaires ont été faits au sujet de l'accès privé et, madame la présidente, je ne propose pas d'y revenir beaucoup aujourd'hui, car vous m'avez déjà entendu me prononcer là-dessus pour le compte d'un groupe, mais j'aimerais néanmoins souligner que les coûts pour qu'un plaignant fasse aboutir une affaire sont très importants et que c'est encore plus un problème dans le cas des petites et moyennes entreprises. Il leur faudra donc définitivement pouvoir continuer de faire appel au commissaire comme point de premier contact pour les affaires de concurrence. Je ne pense pas que des actions privées soient une solution au problème de ressources ni même au problème d'imputabilité.
La deuxième chose dont j'aimerais traiter est la question de l'imputabilité du commissaire. Je ne suis pas du même avis que M. Wong lorsqu'il dit que le commissaire n'est pas particulièrement redevable. Je pense pour ma part que le commissaire est aujourd'hui l'un des fonctionnaires les plus redevables du gouvernement du Canada, et cela découle en partie du serment qu'il doit prêter en vertu de la loi, et en partie de ce que M. Russell a décrit relativement à votre capacité de l'amener devant les tribunaux dans le cadre d'un examen judiciaire. Cela découle également du fait que six résidents, quels qu'ils soient, peuvent l'obliger à mener une enquête et intervenir auprès du ministre de l'Industrie pour lui demander de rouvrir une enquête qui a été interrompue. Cela découle également de tous les contrôles organisationnels gouvernementaux entourant le commissaire et la façon dont il fonctionne en tant que membre du ministère de l'Industrie. Je conviens qu'il lui faut de l'indépendance pour ce qui est des cas d'application de la loi, mais il lui faut également être très imputable dans le contexte, si vous voulez, de l'ensemble de l'infrastructure gouvernementale canadienne.
Un autre aspect très important de cette imputabilité vient du comité ici réuni, qui met le commissaire sous le feu des projecteurs depuis trois années déjà. Nous avons eu de nombreuses études et le commissaire est venu comparaître, a répondu à nos questions et a justifié ce qu'il fait et ce qu'il ne fait pas sur une base quasi-mensuelle, je pense, et je tiens à vous en féliciter. Vous jouez un rôle très important et vous devriez continuer de lui demander comment il s'acquitte des responsabilités qui lui reviennent en vertu de la politique et de l'administration générale de la loi.
Il est un domaine dans lequel je pense qu'il y a un problème, que M. Quinn a souligné et que d'autres ont évoqué: si nous ne parvenons pas à faire du Tribunal sur la concurrence un meilleur endroit pour le commissaire et pour l'intimé d'obtenir une décision impartiale et objective, alors nous avons un problème d'influence dans le contexte d'une fusion ou d'une enquête en matière d'abus de position dominante, où c'est souvent l'avis du commissaire qui l'emporte, surtout dans le cas de parties qui s'inscrivent dans un petit marché et qui ont du mal à composer avec les coûts et le temps qu'il faut consacrer à une action devant un tribunal. C'est pourquoi il est important de simplifier le processus judiciaire.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Campbell.
Madame Sanderson.
Mme Margaret Sanderson: Pour enchaîner, l'une des raisons pour lesquelles l'on s'interroge au sujet de l'indépendance concerne le fait que le système d'arbitrage ne fonctionne pas du côté civil. Ce qui se passe, en gros, dans le cas des fusions et des affaires pour lesquelles la vitesse compte, c'est que dans le cas des plaintes de type doléances en matière de prix d'éviction, le commissaire craint que le processus ne soit pas suffisamment rapide. C'est pourquoi il recherche des pouvoirs supplémentaires, transformant son propre bureau en enquêteur et en arbitre. Dès qu'un seul organe joue les deux rôles, alors l'on va s'inquiéter de l'aspect indépendance.
• 1200
Si donc l'on pouvait régler la question du modèle d'arbitrage,
si l'on pouvait amener le tribunal à jouer un rôle plus efficace et
plus actif en tant que vérificateur indépendant, alors cela
permettrait un équilibre sur le plan procédure... Comme Rob le
disait, il est très important qu'il y ait cet équilibre entre un
processus rapide et la pleine et régulière application de la loi
pour les différentes parties.
La difficulté survient si nous insistons trop sur la pleine et régulière application de la loi, ce qui demande énormément de temps et pour laquelle nous avons ce modèle judiciaire. Stan dit que je déclare toujours en guise de préface à mes remarques «Je ne suis pas avocate», mais en tant qu'économiste, vous vous demandez parfois si le processus a pour véritable objet de déterminer la vérité. Si nous pouvions régler ce côté-là des choses, cela ferait beaucoup pour régler les questions d'indépendance et ainsi de suite.
La présidente: Merci beaucoup, madame Sanderson. Je suis certaine que cela va alimenter la discussion.
Monsieur Addy, s'il vous plaît.
M. George Addy: Merci, madame la présidente.
En réponse à votre question, monsieur, oui, nous avons besoin d'un commissaire, d'après moi, et nous avons besoin d'un commissaire qui est indépendant. Je ne pense pas que les choses aient changé depuis mon époque. Le commissaire est indépendant aujourd'hui dans l'exercice de la fonction application de la loi. Il n'est pas indépendant d'un point de vue institutionnel. Le sous-ministre administre son équipe, et le budget en matière de personnel et d'organisation est donc assujetti aux priorités du ministère de l'Industrie. S'agissant de son indépendance, je pense que beaucoup de gens vous auront dit qu'il nous faut lui assurer et une indépendance institutionnelle et une indépendance en matière d'application de la loi.
Une partie du débat dont nous entendons parler dans la presse et qui concerne la question de savoir si son bureau est ou non politiquement indépendant découle de cette confusion de rôles qui a été carrément débattue plus tôt ce matin. Nous avons un scénario dans le cadre duquel nous n'en sommes pas tout à fait au modèle cadre ni à celui de la réglementation, et nous demandons donc au commissaire, dans l'exercice de ses pouvoirs, de rester entre les deux.
Une partie de la préoccupation qui a été exprimée concerne le fait que la perception est que, étant donné le manque d'imputabilité du côté processus, ce qu'a abordé Margaret, il y a peut-être un certain manque d'indépendance. Une partie de cela est attribuable à cette confusion de rôles. Nous avons en définitive transformé le commissaire en organe de réglementation des lignes aériennes.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Addy.
Nous traiterons peut-être du projet de loi C-23 plus tard aujourd'hui ou cette semaine, et ce sera intéressant.
Monsieur Strahl, allez-y, je vous prie.
M. Chuck Strahl: J'aimerais m'attarder sur l'une de vos recommandations, monsieur Addy, concernant la décision de publier les affaires qu'entend le commissaire ou les demandes qui lui sont faites. À première vue, ce me semble être une bonne idée. Je ne suis pas suffisamment au courant.
Permettez que je pose ma série de questions. Si le commissaire tranche dans une affaire, si je puis dire, ou donne les raisons pour lesquelles il a décidé de ne pas aller de l'avant avec une affaire, cela porte-t-il atteinte à un droit futur en matière d'accès privé? En d'autres termes, que se passe-t-il si quelqu'un dit tout simplement «Peu m'importe ce que dit le commissaire» et que nous lui donnons le droit à l'accès privé et qu'il recourt au tribunal? Si j'étais avocat dans une telle affaire, je pense que je dirais «Eh bien, le commissaire s'est déjà prononcé là-dessus, alors c'est réglé». Ce me semble être un argument extrêmement puissant. Voilà pour ce qui est de la première question.
Deuxièmement, la publication de ces résultats contribuerait-elle à l'établissement de la jurisprudence? En publiant des déclarations du commissaire du genre «Mon opinion professionnelle est que cela ne constitue pas un comportement anticoncurrentiel, pour les raisons que voici», cela établit-il la jurisprudence ou bien est-ce une bombe nucléaire pour la jurisprudence? Cela élimine-t-il la possibilité d'établir une jurisprudence, le commissaire ayant tranché sans pour autant que ce soit quelque chose de légal—c'est juste une opinion—auquel cas l'on n'en arrive pas à une jurisprudence?
Enfin, que feriez-vous dans les cas où un dossier est déposé, le commissaire s'y penche, il y a des négociations de part et d'autre et les parties s'entendent sur les marches du palais, si je puis dire? Juste avant que l'on ne passe à l'étape suivante, le commissaire réussit à convaincre l'une des parties en disant «Si vous faites cette seule chose, alors tout ira bien et je n'aurai pas à poursuivre l'affaire, mais si vous ne faites pas ce que je dis, alors je n'aurai pas le choix». Vous vous retrouvez avec un commissaire qui a tout ce pouvoir d'influence, si ce n'est que cela.
• 1205
En rendant une décision et en la publiant, il dit «C'était à
cela près. J'ai failli plumer Wal-Mart ou Air Canada, mais ils se
sont rangés de mon point de vue et ils ont changé d'avis». Cela
viendrait-il subitement geler ces demandes pour lesquelles les gens
disent tout simplement «Si vous allez faire cela, je vais recourir
à l'accès privé, et ce sera la bagarre», encore une fois parce que
le commissaire a trop de pouvoirs?
La présidente: Monsieur Strahl, plusieurs personnes veulent intervenir ici et répondre.
Nous allons commencer par M. Ross.
M. Thomas Ross: Merci, madame la présidente. Quelqu'un voudra peut-être répondre de façon plus directe à la question de M. Strahl, alors je suis prêt à céder ma place.
La présidente: Très bien. Passons donc au suivant.
J'ai M. Addy, qui sera suivi du professeur Ware.
M. George Addy: Merci.
Le modèle auquel je pensais est celui qu'ils ont adopté en Europe. Lorsqu'une fusion est examinée, même si elle n'est pas contestée, il y aura une décision de 20 ou 30 pages. La décision fera état du scénario factuel, expliquera la logique, les motifs, l'analyse et étayera la conclusion rendue. On a par la passé toujours posé la question suivante: Qu'en est-il des renseignements sensibles du point de vue commercial? Eh bien, ils s'occupent de cela en Europe, alors ce n'est pas une entrave. Voilà le modèle.
Quant à savoir si cela pourrait entraver des actions privées, cela est exclu. Comme l'a dit M. Quinn, ces affaires sont tellement ancrées sur des faits qu'un avocat astucieux pourra aisément réfuter la suggestion qu'une telle action puisse être exclue. D'autre part, cela n'est pas obligatoire. Les tribunaux ne sont pas liés. Si vous estimez que la décision du commissaire dans une affaire semblable à la vôtre, mais non pas la vôtre, était erronée, eh bien, vous avez toujours la possibilité de défendre votre position devant le tribunal. Ces décisions ne lieraient donc pas le tribunal, et je ne pense pas qu'elles bâillonneraient les actions privées.
Quant à savoir si un règlement sur les marches du palais augmenterait son pouvoir ou sa discrétion plus que ce n'est le cas aujourd'hui, je ne suis pas du tout de cet avis-là. En fait, d'un point de vue politique, je pense que le commissaire a pris la bonne approche en disant «Lorsque j'ai des règlements de ce genre-là, je vais procéder par voie d'une ordonnance par consentement devant le tribunal». Je pense que c'est là la bonne façon de procéder.
La présidente: Professeur Ware, suivi de M. Crampton.
M. Roger Ware: Je réagissais en fait, comme M. Ross, à un point soulevé précédemment.
La présidente: Pourriez-vous patienter un instant avec votre réponse?
M. Roger Ware: Bien sûr.
La présidente: Dans ce cas, la parole est maintenant à M. Crampton, suivi de M. Russell.
M. Paul Crampton: J'aimerais tout simplement répondre à votre question.
Je ne pense pas que ce serait une mauvaise chose d'augmenter la transparence pour ce qui est des motifs de la décision du commissaire de ne pas contester. À la fin des années 80, lorsque je travaillais au Bureau de la concurrence, nous avions des notes d'information et des communiqués de presse beaucoup plus détaillés. Au sein du bureau, nous les considérions comme étant des précédents très utiles pour promouvoir l'uniformité du processus décisionnel. Après que je sois parti pour me lancer dans la pratique, j'ai constaté que là aussi on les considérait comme étant des précédents utiles, car c'était tout ce que nous avions.
Votre question revenait à demander si cela ne minerait pas légèrement les chances du plaignant privé si le commissaire avait déjà transmis en donnant ses raisons? Il se pourrait qu'il y ait un peu de cela, mais je ne pense pas que cela justifie ne pas donner à quelqu'un l'avantage de connaître les raisons du directeur, car cela favoriserait un degré élevé de certitude quant aux affaires futures dans la même industrie. Un plaignant privé ne serait pas trop négativement touché par cela, car le tribunal aurait montré qu'il n'est pas du tout hésitant s'agissant du renvoi ou de l'adoption d'une position différente de celle du commissaire. Je ne suis donc pas très préoccupé par cela.
La présidente: Monsieur Russell.
M. Robert Russell: Il n'y a aucun doute que la transparence est un objectif louable et il s'agit en fait de l'un des principes de base que vous verrez tout à fait en haut de la page Web du bureau. Je pense que la question posée est celle de savoir si le niveau de transparence est suffisant à l'heure actuelle. Il y a un débat autour de cela, et je tiens simplement à ce que vous le sachiez.
Dans les affaires de fusions, le bureau publie en effet les différents éléments de sa décision. Ce que disent les gens c'est qu'il n'y a pas forcément suffisamment d'analyse de base pour nous permettre de juger de l'affaire suivante. La question, cependant, est de savoir combien de renseignements confidentiels ayant donné lieu à l'analyse vous pouvez divulguer. Et nous parlons ici des renseignements les plus confidentiels que puisse avoir une entreprise, quelle qu'elle soit. Nous parlons de documents de conseil d'administration et d'affaires très sensibles. Il est très difficile de rédiger une décision renvoyant à certaines de ces questions confidentielles clés et d'être pleinement transparent.
• 1210
Je pense que le commissaire vous dirait aujourd'hui qu'il
s'efforce d'être aussi transparent qu'il pense pouvoir l'être, mais
je peux vous dire que lorsque vous êtes assis dans une salle en
train de négocier le règlement, vous parlez également de ce qui
peut être publié, et cela peut être une entrave quant à la
solution. Si vous devez vous défaire d'un élément d'actif
essentiel, si vous divulguez trop de renseignements, cela devient
une braderie, ce qui rend plus difficile le règlement du problème.
Si vous allez me donner un cent pour mon élément d'actif ou
100 millions de dollars pour ce même élément, il y aura des
négociations différentes en vue d'un règlement.
Je tenais tout simplement à souligner qu'il y a tout un jeu d'équilibre à faire ici. Ce n'est pas chose facile. En règle générale, le commissaire s'efforce d'être aussi transparent que possible, mais vous verrez la partie dire «Ne divulguez pas tous les renseignements confidentiels concernant mon entreprise». C'est cet équilibre qu'il importe de déterminer dans chaque cas.
La présidente: Je vais revenir maintenant au professeur Ross.
M. Thomas Ross: Merci, madame la présidente. Je serai bref. Je voulais tout simplement soulever quelques points relativement à ce dont les gens discutent ici.
Je suis ravi d'entendre cette discussion au sujet de l'importance de l'indépendance du bureau. Cela est important, et Paul Crampton vous a donné quantité de raisons qui devraient vous pousser à réfléchir longuement à ce qu'il serait possible de faire pour renforcer cette indépendance. C'est une chose à laquelle réfléchissent depuis longtemps certains analystes des lois antitrust au Canada.
Il y a des questions qui se posent tant du côté de l'indépendance financière du bureau que du côté de son indépendance politique, et peut-être qu'il y aurait moyen pour le comité de faire quelque chose de part et d'autre. Une partie du problème relève peut-être tout simplement de mauvais concours de circonstances.
L'une des choses qui ont contribué à cette perception dont a fait état Paul Crampton, voulant que le bureau ne soit pas politiquement indépendant, est l'intervention d'autres ministères gouvernementaux dans les deux gros dossiers de ces dernières années, soit la fusion des banques et l'affaire des lignes aériennes, et les ministres responsables d'autres ministères y ont joué des rôles très importants. Cela n'arriverait pas dans le cas de la plupart des industries.
Ces industries étaient en un sens très spéciales et, malheureusement, les questions de grosse concurrence visant ces deux industries ont été soulevées de façon très rapprochée, et les gens ont donc réagi en disant «Vous voyez? Le commissaire ne fait pas vraiment la pluie et le beau temps en matière de concurrence. Quel que soit le ministre concerné, c'est lui qui va prendre les grosses décisions importantes». C'est en partie tout simplement un coup de malchance dans le cas de ces industries, et cela se trouve reflété dans certaines des évaluations étrangères de l'indépendance du bureau et du commissaire canadiens.
Il nous faut avoir un bon cadre stable qui permette au commissaire d'être et d'être perçu comme étant indépendant, et financièrement et politiquement. Cela nous ramène à la question des ressources, car, comme Paul et les autres l'ont dit, le bureau doit pousser pour recruter et garder de bons éléments. En tant qu'économiste, je suis particulièrement préoccupé par la qualité du travail économique qui se fait au bureau. J'aime beaucoup les gens qui y sont, mais je ne pense pas qu'ils soient suffisamment nombreux, et il n'y a pas non plus un assez grand nombre de personnes au niveau le plus élevé, de sorte qu'ils finissent par devoir faire appel à des gens comme moi et d'autres ici pour les conseiller sur différents dossiers, alors qu'il serait préférable qu'ils disposent de cette capacité à l'interne. L'indépendance est donc une chose importante.
Je tenais à faire une remarque en partie pour appuyer une déclaration de Neil Campbell. Neil Campbell a évoqué la possibilité d'un autre modèle administratif. Bien que je n'aie pas décidé pour moi-même si nous voudrions un autre modèle administratif, il a été dit qu'un tel modèle ne permettrait peut-être même pas la même reddition de comptes. Il me semble que si vous aviez une commission davantage administrative, la reddition de comptes serait maintenue si ses décisions étaient examinables sur appel. C'est ainsi que cela fonctionne lorsque la Federal Trade Commission rend des décisions; ces décisions sont toutes sujettes à appel. Je ne pense donc pas que vous perdriez côté imputabilité du fait d'avoir une commission légèrement plus puissante. C'est là une remarque toute théorique.
Je vais m'arrêter là. Merci.
La présidente: Merci beaucoup, professeur Ross.
Professeur Ware.
M. Roger Ware: Je voulais faire un commentaire au sujet de la rapidité de la prise de décision. Il est important de faire une distinction entre, mettons, les propositions visant à imposer des limites de temps au tribunal, ce à quoi je serais en vérité plutôt favorable... Même dans des affaires d'abus de position dominante, cela guiderait le tribunal et l'encouragerait à organiser son traitement des affaires de façon utile et productive et déboucherait sans doute sur des rapports plus concis, ce qui ferait le bonheur de tout le monde.
Mais c'est une erreur, si l'on va jusqu'à dire, mettons, en matière de prix d'éviction, que les pouvoirs d'interdiction que nous avons maintenant et que nous songeons à élargir, parce qu'ils peuvent intervenir si rapidement, sont forcément souhaitables. Il y a ici un modèle d'application de rechange, et mon collègue, Don McFetridge, en a un petit peu parlé ce matin. Il est tout à fait possible d'inscrire dans la loi une disposition d'application contre la pratique de prix prédateurs et qui s'appuie sur la procédure normale du tribunal, sans qu'il faille recourir à des mesures de redressement par voie d'injonction. À condition de prévoir des amendes et des désincitatifs suffisamment onéreux pour que les gens ne veuillent pas risquer la condamnation, il n'y a aucune raison que cela ne débouche pas sur une application efficace et efficiente de la loi.
• 1215
Il n'est pas nécessaire que ce soit rapide pour être efficace.
En d'autres termes, nous créons des pénalités, et tout l'objet de
l'application est de décourager les gens de faire de vilaines
choses. Si vous les découragez, il n'est pas nécessaire d'aller au
tribunal.
Quelques bonnes décisions en matière de prix prédateurs, peu importe le temps qu'auront demandé les affaires, créeraient peut-être les bons incitatifs en vue de la position d'application de la loi que nous voulons avoir à l'égard des prix prédateurs. Nous n'avons pas besoin des pouvoirs de réglementation du commissaire pour réussir cela.
La présidente: Merci beaucoup, professeur Ware.
J'ai sur ma liste M. Campbell, M. Wong et M. Crampton, après quoi M. Bagnell aimerait poser une question.
M. Neil Campbell: Merci, madame la présidente. J'aimerais dire trois choses, rapidement.
Premièrement, il y a un thème qui mijote et selon lequel la jurisprudence est tout simplement intrinsèquement bonne et qu'il faudrait en avoir beaucoup. Cela me préoccupe, car c'est une façon très coûteuse de faire des lois, comparativement à la législation qui est façonnée par voie de règlements ou de lignes directrices, qui comporte des imperfections mais qui peut également dans de nombreux domaines jouer un rôle beaucoup plus efficient et rapide.
La vraie question pour le comité devrait être la suivante: comment faire pour veiller à avoir des décisions en matière d'application de la Loi sur la concurrence qui soient bonnes et saines du point de vue économique? S'il y a beaucoup de comportements marginaux, alors, certes, nous voulons remettre les choses en ordre... Mais les choses peuvent être remises en ordre soit par voie de litige, soit si le commissaire obtient de l'intéressé qu'il change de comportement, sachant que s'il ne le fait pas il risque un procès. Le commissaire est sans cesse en train de régler des affaires en recourant à d'autres solutions, et cela est extrêmement rentable pour nous tous.
Nous devrions donc nous concentrer—et nous avons ici ce matin certains des meilleurs économistes du pays—sur la question de savoir quels sont les instruments légaux justes et économiquement indiqués, et la jurisprudence devrait découler de là, le commissaire appliquant la loi de façon régulière sur la base d'affaires bien fondées. Il se peut que nous n'ayons tout simplement pas dans certains domaines un très grand nombre d'affaires fondées.
Passant maintenant à mon deuxième point, soit les prix d'éviction, il s'agit là d'une question très difficile. Elle intéresse manifestement au plus haut point le comité. C'est l'un des domaines les plus difficiles à cerner lorsqu'il s'agit de démêler comportements proconcurrence et comportements anticoncurrence. En tant que consommateurs, nous sommes tous bénéficiaires de bas prix dans toute situation où il y a une guerre de prix. Ce n'est que dans de rares circonstances, comme diraient les économistes ici présents... et Roger Ware dirait, je pense, que c'est courant mais non pas fréquent, vu ce qu'il vous a déjà dit jusqu'ici. Nous pouvons regarder autour et il n'existe pas beaucoup de cas réels de prédation dans le sens où vous évincez quelqu'un d'un marché pour pouvoir récupérer des profits de monopole plus tard. Il nous faut en la matière veiller à ce que la loi vous permette de traiter de ces affaires-là sans être exagérément dissuasifs.
Je ne serais donc en vérité pas favorable à un processus de dissuasion axé sur de fortes pénalités, car, au contraire d'une situation de cartel, caractérisée de façon inhérente par de mauvais comportements, une concurrence agressive en matière de prix est en règle générale une bonne chose. Vous êtes engagé sur une piste plus solide dans votre rapport intérimaire où vous envisagez un traitement plus raffiné de la prédation dans le contexte des dispositions de la loi en matière d'abus de position dominante, car il s'agit réellement d'une catégorie à l'intérieur de ce type de monopolisation.
Le troisième point que j'aimerais couvrir, rapidement, concerne les ressources. Madame la présidente, vous constaterez que le bureau a fait rapport, dans pas mal de détail, au sujet des ressources dont il dispose et de son rendement dans le contexte de l'examen des fusions. Il a établi des repères et a fait rapport aux parties prenantes. Il me semble qu'il y a là un modèle qui pourrait être élargi, si vous y encouragiez peut-être le bureau, à d'autres volets de son activité, qu'il s'agisse du domaine pénal, des affaires civiles ou de l'aspect pratiques loyales. Il pourrait faire plus pour rendre compte à vous et au public de ses activités d'application, ce qui nous aiderait tous à notre tour à déterminer quelles ressources sont peut-être bel et bien justifiées.
Merci.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Campbell.
Monsieur Wong, s'il vous plaît.
M. Stanley Wong: J'aimerais parler un petit peu plus du tribunal. Une observation que j'aimerais faire est que je ne me souviens pas si le président du tribunal a jamais été invité à comparaître devant le comité. Je comprends que cela ne serait pas du tout approprié dans le contexte de sa fonction judiciaire, mais, si je ne m'abuse, les présidents de tribunaux indépendants sont invités. Le président du CRTC et d'autres ont été invités.
• 1220
Franchement, cela fait partie du problème. Le président du
tribunal porte un certain nombre de chapeaux. Nous avons tendance
à nous adresser aux juges au tribunal en disant «votre Seigneurie»,
puis les gens ordinaires sont appelés «Docteur un tel» ou «Madame
ou Monsieur un tel». Cela fait donc partie du problème que nous
avons au fil des ans créé avec le tribunal.
De façon plus générale, les décisions du tribunal prennent beaucoup trop longtemps. Le récent modèle d'excellence n'est à mon avis pas un modèle d'excellence. La plus récente affaire de consentement, pour laquelle il y a eu des déclarations de faits convenues et un degré élevé de collégialité entre les avocats de part et d'autre, a demandé environ 18 mois, et ce sur la base de consentement. Il fallait compter 18 à 20 mois pour une fusion. C'est beaucoup trop long. C'est absolument ridicule.
Je dis cela ayant travaillé comme avocat-conseil dans la première affaire de fusion, qui a, cela m'ennuie de le dire, demandé huit ans à régler. C'est une honte. C'était le record avant l'affaire de Rob, avec 26 à 28 décisions interlocutoires concernant des contestations invoquant la Constitution.
En gros, le tribunal a une très courte histoire et nous ne pouvons pas regarder en arrière et demander «Bon sang, comment se fait-il qu'ils n'ont pas bougé plus vite?» Chaque fois qu'il y a un nouvel organisme d'arbitrage, l'on s'attend à ce que la loi soit mise à l'épreuve.
Cela étant dit, je pense que le tribunal doit faire plus, et il a essayé de faire plus. Je vais vous donner un exemple. Comme je l'ai mentionné, je siège au comité de liaison du barreau du tribunal, et nous nous occupons activement de simplifier les procédures. Un ensemble de procédures portant sur le volet non-fusions va bientôt être publié dans la Gazette, mais il nous a fallu plusieurs années pour en arriver là.
Franchement, nombre de mes collègues dans cette salle et ailleurs ont lutté avec acharnement, disant «Ce n'est pas cela la justice. La justice c'est pouvoir convoquer autant de témoins que vous le voulez, faire un plaidoyer aussi long que vous le voulez et obtenir tous les ajournements que vous voulez». Je pense que l'hésitation de la part du tribunal à faire plus est attribuable à cette impression de barreau privé disant que le modèle est comme une cour.
Le problème est mal compris. Ce n'est pas une question de justice parfaite ou de justice imparfaite. La question, dans ce genre de domaine, est de savoir quel est le meilleur modèle. La limitation du nombre de témoins dans ce genre de situation pourrait très bien ne pas relever de justice imparfaite. Par exemple, dans les cas de fusions, avoir 55 témoins qui disent «Je serai fini s'il y a une fusion» n'est pas sur ce quoi la décision sera fondée. Il vous faut des preuves appuyées sur des sondages. Il vous faut des preuves économiques. La justice parfaite ne requiert pas la comparution de 50 témoins.
J'aimerais simplement mentionner un certain nombre de choses dont il a été question au comité de liaison du tribunal et qui à mon sens ne nécessiteraient pas de changement à la loi. Premièrement, il y a l'idée que les décisions soient rendues au bout de huit semaines. C'est sans doute une assez bonne idée, un petit peu comme cela se passe au TCCE, où cela demande 30 jours. Voilà le genre d'idée dont il a été question.
Une autre possibilité serait de limiter les témoins. Je sais qu'il y aura tout un tollé lorsque cela arrivera. Une idée serait 12 témoins chacun à moins d'une autorisation du tribunal. Je suis certain que nombre de mes collègues, ceux dans cette salle qui sont avocats-plaideurs, réagiront en disant «C'est absolument horrible. Comment pourriez-vous faire cela? C'est refuser la justice naturelle».
La troisième chose serait d'exercer un contrôle agressif côté conférences préparatoires en disant, essentiellement, «Après la déposition par le commissaire, vous avez 30 jours pour répondre». Les gens disent «Eh bien, je ne peux pas. Il me faut plus de 30 jours». Franchement, une fois rendus à cette étape de la véritable demande, il y a beaucoup de négociations. Vous savez quels sont les éléments à contrer. Vous connaissez les questions.
Quatrièmement, il y a une chose que le tribunal devrait faire davantage, et il le sait. Je l'ai certainement dit à mon comité, et je ne vais pas vous rapporter ce qui y a été dit. Ce que moi j'ai dit c'est qu'il faut être en mesure de dire aux parties «Je veux des experts sur cette question-ci et sur cette question-là, et vous feriez mieux de trouver des experts dans ce domaine», au lieu de dire «Faites ce que voulez, faites ce que vous voulez, et vous vous pourrez ensuite répondre et vous vous pourrez répondre aussi». Dans ce domaine, ce n'est pas de cette façon que l'on traite les affaires. Dans ce domaine, il faut être extrêmement agressif, poussant à la roue dès le premier jour où l'affaire arrive au tribunal.
Le tribunal peut faire cela sans qu'il soit nécessaire de modifier le processus. Chaque fois que vous avez une modification, cela crée davantage de jurisprudence sur son sens réel. Le cadre est assez bon pour que le tribunal apporte ces changements.
La présidente: Monsieur Wong, avant que l'on ne passe au suivant, êtes-vous en train de dire que c'est là quelque chose que le comité devrait recommander, ou bien pensez-vous que c'est une chose que le commissaire pourrait très bien faire de son côté?
M. Stanley Wong: Vous voulez parler de ces changements?
La présidente: Je veux dire le tribunal, pas le commissaire.
M. Stanley Wong: Eh bien, le tribunal peut le faire de son côté, mais je pense que vous devriez envisager... Je comprends qu'il y a cette question de convoquer des juges pour qu'ils comparaissent devant le comité, mais, après tout, le juge McKeown est le président du tribunal. Bien franchement, je ne vois aucune raison pour laquelle il ne pourrait pas être invité à venir vous rencontrer, peut-être à huis clos. Il doit en tout cas rendre compte au ministre de l'Industrie relativement à son budget et il relève du budget du ministre de l'Industrie. Je ne vois aucune raison pour laquelle vous ne devriez pas entendre les explications directement de sa bouche au lieu que cela passe par moi ou par le commissaire.
La présidente: Très bien. Formidable.
M. Crampton, Mme Anderson, puis M. Bagnell aura une question.
M. Paul Crampton: Merci.
J'aimerais revenir sur la question des prix d'éviction et des pratiques de prix criminelles en général. Les opinions que je vais vous résumer sont exposées dans le détail dans un papier que j'ai écrit récemment. Si j'ai bien compris, certains d'entre vous l'avez. Si d'autres voudraient l'avoir, sentez-vous bien libres de m'en demander une copie à la fin de la réunion.
• 1225
Je conviens avec Neil, Roger et d'autres que les cas de
véritables prix d'éviction anticoncurrentiels sont rares. Le
problème, comme vous l'aurez tous vu ici au comité et comme nous en
avons discuté à d'autres occasions, est qu'il se présente de temps
à autre un cas de comportement anticoncurrentiel véritable.
L'actuelle loi n'habilite tout simplement pas le commissaire à
s'attaquer de façon efficace à ce genre de comportement lorsque le
cas se présente.
La principale raison à cela est qu'il faudrait que le commissaire appuie sa position sur un fardeau de la preuve criminel, c'est-à-dire hors de tout doute raisonnable, ce qui est très difficile à faire, surtout en ce qui concerne les branches réduction sensible de la concurrence du délit de pratique de prix d'éviction. Il existe en gros quatre délits. Deux concernent les branches limitation de la concurrence, et deux ont trait à l'intention subjective—encore une fois une chose qu'il est très difficile de prouver hors de tout doute raisonnable. Le processus pénal est par ailleurs très lent et encombrant.
En conséquence, la façon la meilleure et la plus efficace de traiter des cas de prix d'éviction, ainsi que de discrimination de prix géographiques et de maintien de prix verticaux, est de révoquer les actuelles dispositions de la loi et de traiter de ce genre de comportement en vertu de dispositions renforcées en matière d'abus de position dominante. Par «renforcées», j'entends qu'il vous faudrait créer une pénalité administrative du genre de celles qui sont déjà prévues dans les dispositions de la loi visant les pratiques commerciales dolosives. Il vous faut créer ce genre de pénalité dans le cadre des dispositions de la loi en matière d'abus de position dominante, ce pour maintenir l'effet dissuasif de la loi.
Je pense que le commissaire a déjà comparu devant vous et qu'il a dit qu'il n'acceptait pas la recommandation du rapport Van Duzer visant la décriminalisation complète des prix d'éviction, car il est d'avis que cela est nécessaire pour maintenir en droit pénal l'effet dissuasif. Eh bien, si vous inscriviez dans les dispositions en matière d'abus de position dominante un pouvoir d'imposition de pénalité civile, cela maintiendrait l'effet dissuasif de la loi. Et si vous modifiiez encore les dispositions en matière d'abus de position dominante pour éliminer les mots «entièrement ou à toutes fins utiles», alors le critère en ce qui a trait à l'aspect anticoncurrentiel serait tout simplement un amoindrissement considérable de la concurrence, ce qui est le même critère que ce que vous avez déjà dans les dispositions visant les prix d'éviction.
Les dispositions en matière d'abus de position dominante auraient donc un seuil anticoncurrentiel semblable ainsi qu'un pouvoir de dissuasion semblable, sous forme d'amendes administratives, à ce que renferme à l'heure actuelle la disposition pénale, sauf que vous n'auriez pas à composer avec le fardeau de la preuve du système pénal. Voilà quelle serait selon moi la façon la plus efficace de traiter non seulement des prix d'éviction mais également de la discrimination par les prix et d'autres pratiques de prix encore.
Pour ce qui est de la collusion, cela devrait être couvert par le nouvel article 45. Si j'ai bien compris, vous avez traité de l'article 45 ce matin, alors je ne vais pas traiter de cela dans le détail, sauf pour vous avertir que si vous décidez d'endosser l'approche à deux pistes—que je défens énergiquement depuis 1990, lorsque nous avons commencé à examiner cela au Bureau de la concurrence, et lorsqu'il a pour la première fois été question de la constitutionnalité de l'actuel article 45—vous devriez éviter de recommander une disposition pénale absolue fondée sur les effets de l'accord. Vous devriez vous concentrer sur l'objet ou la nature de l'entente plutôt que sur ses effets, car si vous recommandez un critère fondé sur les effets de l'accord, ce sera beaucoup trop inclusif.
Il existe de nombreuses ententes qui ont un effet sur les prix ou sur les clients par voie de conséquence, mais qui ne sont pas des accords de fixation des prix en tant que tels. Si vous vous limitez à interdire les accords destinés à fixer des prix, c'est-à-dire des accords dont le but est de fixer des prix, par opposition à des accords qui ont incidemment un effet sur les prix, alors vous approcherez beaucoup plus des comportements véritablement criminels.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Crampton.
Je vais laisser tout le monde réfléchir à cela un instant et accorder maintenant la parole à Mme Sanderson, qui souhaitait intervenir plus tôt.
Mme Margaret Sanderson: J'allais juste souligner quelques points. Tout d'abord, je souhaitais souligner que le processus du tribunal est en vérité un processus très efficient par voie de consentement.
• 1230
Si vous examiniez par exemple 10 affaires, côté consentement,
vous constateriez qu'elles ont en moyenne pris 2,4 mois au
tribunal. Le délai le plus long a été de sept mois.
L'affaire que M. Wong a soulevée à la fin de son intervention était l'affaire Waste. C'est lorsqu'il y a contestation qu'il y a problème, et je tenais tout simplement à souligner cela.
Si le comité envisage de mettre en place des délais, il voudra peut-être réfléchir à la question de savoir s'il veut également appliquer ces délais dans le contexte du processus d'examen du bureau.
La dernière chose que j'aimerais dire est qu'il devrait y avoir une reconnaissance qu'au fur et à mesure du renforcement du processus du tribunal et de l'amélioration du mécanisme d'arbitrage par le biais du tribunal, nous ne devrions pas en même temps donner au commissaire le pouvoir d'éviter le tribunal. Je pense que les pouvoirs d'injonction provisoires qui ont été accordés au commissaire dans le contexte des lignes aériennes sont un cas spécial, mais si l'on veut séparer l'enquête de l'arbitrage, alors il faudrait avoir un tribunal revitalisé. Cela ne sert à rien de conférer en même temps au commissaire des pouvoirs qui lui permettent d'éviter le tribunal.
La présidente: Monsieur Addy.
M. George Addy: Je voulais juste souligner une chose, madame la présidente, aux fins de votre rapport final ou de vos délibérations futures. Je me ferai l'écho des commentaires faits plus tôt par l'un des participants ce matin quant à l'utilité de la présente tribune pour la tenue d'un débat sur les orientations futures en matière de lois et de politiques dans ce domaine.
Lorsque vous empruntez ce chemin et examinez le modèle bifurqué pour l'article 45, la disposition en matière de conspiration, je vous avertirai du fait qu'en vertu de l'actuelle loi, toute activité contenue dans la partie criminelle de la loi peut servir de base pour une demande de dommages. Si vous retirez une quelconque partie de telles activités pour la verser dans la partie civile de la loi, cela ne sera plus susceptible d'une réclamation possible de dommages. C'est peut-être là une chose que vous voudriez faire intervenir dans vos délibérations.
La présidente: Merci beaucoup.
M. Bagnell va maintenant poser sa question avant que je ne donne la parole aux autres.
M. Larry Bagnell: Merci.
Cette question s'adresse à quiconque souhaite y répondre. Je suis dans l'ensemble favorable à la plupart des propositions de changements, des amendements, que nous sommes en train d'examiner. De fait, je trouve parfois que ce devrait être plus fort encore. Je suis également favorable à l'augmentation des ressources mises à la disposition du bureau.
J'aimerais poser la même question que M. Volpe a adressée au panel précédent. Si le bureau disposait de sensiblement plus de ressources, ce que demandent certains, nous serait-il nécessaire d'avoir la plupart de ces discussions portant sur ces changements? Si vous voulez être vraiment courageux, vous pourriez tout simplement préciser quel élément est le plus important. Je pense que les deux sont importants.
La présidente: Monsieur Quinn.
M. Jack Quinn: Côté application, je pense que ce serait une importante contribution que de porter davantage d'affaires devant le tribunal. Dans toute la réflexion au sujet du genre de processus que nous voudrions avoir au tribunal, typiquement, il y a l'idée d'imposer un modèle de procès traditionnel à part entière. Ce genre d'activité d'application n'est pas approprié dans un contexte de droit public.
Dans le contexte d'actions privées, les parties ont la liberté de dépenser autant d'argent qu'elles le veulent pour défendre leurs intérêts, alors il y a une concurrence naturelle à ce niveau-là. Une partie de la résistance du bureau à l'idée de la multiplication des affaires est attribuable au montant d'argent que celles-ci consomment. Le processus devient ainsi un genre de perle qui n'a pas de prix affiché. Les avocats réclament toujours davantage de protection, de mesures de sauvegarde, d'audiences et de réexamens.
Ce n'est pas vraiment là ce qui devrait intéresser le Parlement. Le Parlement devrait se demander quelle part des ressources publiques il peut se permettre de répartir parmi de nombreux objectifs tout à fait louables pour ce genre de dossier? Il faut qu'il y ait une détermination à ce niveau-là.
Je suis certain que ce qu'a dit Neil Campbell au sujet du fait que la jurisprudence coûte cher est tout à fait juste dans un sens large et absolu mais, ici, il me semble, la question est vraiment une question de politique publique, soit celle de savoir combien de ressources nous allons consacrer à ces affaires et dans quelle mesure nous allons laisser les avocats déterminer cela par opposition aux objectifs de politique publique que nous visons.
• 1235
Je pense donc qu'accorder davantage de ressources au bureau
sans traiter du processus du tribunal ne nous fera pas beaucoup
avancer sur le chemin que nous essayons de parcourir.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Quinn.
Je vais maintenant donner la parole à Mme Sanderson.
Mme Margaret Sanderson: J'ai travaillé au bureau pendant dix ans, et je ne pense pas que lui jeter davantage d'argent vienne régler le problème.
Si nous conservions le modèle que nous avons aujourd'hui, comme l'ont préconisé plusieurs personnes, vous pourriez avoir une situation comme l'affaire de Superior Propane où le commissaire peut diriger dix économistes en tant qu'experts. Autrement, et George a évoqué cela, le U.S. Department of Justice... parce que la cour a dit, je ne veux pas que ce soit encore une autre affaire de type IBM ou Microsoft; vous pouvez en avoir une seule. Je pense qu'il nous faut changer ce processus, sans quoi la quantité de ressources dont nous disposons à cette fin l'emportera, et de loin, comme l'a dit Jack, sur ce que le contribuable moyen considérerait comme étant un budget raisonnable, étant donné les objectifs très louables en matière de politique gouvernementale qui se font concurrence.
La présidente: Monsieur Wong.
M. Stanley Wong: Je suis en faveur de l'octroi de plus de ressources au commissaire, mais ce n'est là qu'une partie de l'équation. La partie de l'équation qui me préoccupe vraiment concerne, notamment, l'aspect fusions, où il y a des exigences en matière de dépôt de préavis, 14 jours pour le formulaire court et 42 jours pour le formulaire long. Mais il vous faut expliquer à votre client «Oh, en passant, vous pourrez boucler après, mais le commissaire n'aura pas fini son examen».
S'il classe l'affaire, comme nombre d'entre vous le savent—mais peut-être que ce n'est pas le cas de tous—il a une procédure interne. Il est louable qu'il ait annoncé ses normes: 14 jours pour les affaires non complexes, 10 semaines pour les affaires complexes et cinq mois pour les affaires très complexes. Bien sûr, vous comprendrez le fait qu'une partie du jeu est de veiller à ce que vous ne soyez pas classé au mauvais endroit, alors il y a souvent des bagarres avec les agents du bureau quant à la façon dont vous allez être classé.
Le problème est qu'il est facile de comprendre cela si vous êtes avocat, mais comment expliquer cela à votre client? Lui dites-vous «En passant, vous pouvez attendre 14 jours et essayer de conclure, mais ce ne sera pas final parce qu'il mène toujours son enquête»? Ce qu'il nous faut faire c'est aligner la norme en matière d'examen avec les exigences en matière de préavis.
Aux États-Unis, bien sûr, une fois les 30 jours écoulés, cela passe généralement et c'est fini. Bien sûr, il se présente des affaires extrêmement complexes qui exigent dès le départ beaucoup de négociations. Le problème maintenant pour toute affaire typique est que vous ne savez pas en partant comment elle sera classée, et il vous faut alors jouer le jeu de la classification.
Le fait de disposer de plus de ressources permettra au commissaire de rendre plus rapidement des décisions dans les affaires de fusion, d'en arriver plus vite à une conclusion s'il s'agit d'une plainte de conduite, et d'en arriver à un règlement plus rapide si vous êtes la personne visée par l'enquête. L'une quelconque des parties, si elle n'aime pas le résultat, peut porter l'affaire devant la tribune d'arbitrage appropriée, en supposant qu'elle y ait droit, pour que l'affaire soit tranchée de façon indépendante.
La présidente: Merci, monsieur Wong.
Monsieur Campbell, je vous prie.
M. Neil Campbell: Merci, madame la présidente.
En ce qui concerne la question de M. Bagnell, je pense qu'il y a un consensus quasi unanime quant au principe voulant que le bureau soit mieux doté. La vraie question est celle de savoir comment nous pouvons savoir s'il dispose ou non de suffisamment de ressources.
Ma propre interprétation de ce que le bureau a maintenant rapporté relativement au dossier des fusions est qu'il en est arrivé à un stade où il est assez bien financé en la matière. Les frais aux usagers lui ont assuré des fonds. Suite à mes tentatives visant à comprendre, à partir des données publiées, s'il avait besoin de ressources côté affaires civiles, toutes les autres pratiques examinables m'ont amené à conclure qu'il n'y avait pas suffisamment de données pour en être certain.
Je devine que des ressources seraient utiles à ce niveau-là et allégeraient certains problèmes. Plus particulièrement, comme vous m'avez entendu le dire au nom d'un groupe, je pense que ce serait là l'endroit logique où vérifier si le bureau s'occupe véritablement des affaires des petites entreprises, affaires pour lesquelles des actions privées ne seront à mon sens pas une solution de rechange réaliste. Il vous faut veiller à ce que le bureau soit doté de suffisamment de ressources pour pouvoir s'occuper de l'affaire de concession exclusive de vente en marché local dans l'ouest du Canada ou de l'affaire de ventes liées dans la région de l'Atlantique ou autres.
• 1240
Je pense qu'il y a un ou deux domaines dans lesquels des
ressources supplémentaires ne seraient pas la réponse. Je vous
encouragerais, comme plusieurs l'ont déjà fait, à envisager la
décriminalisation des pratiques de prix. Je pense que ce que vous
avez conclu dans votre rapport intérimaire, après avoir entendu un
certain nombre d'économistes et sur la base des constats du
professeur Van Duzer, est que ces lois sont dépassées et ne collent
pas avec une saine politique économique.
En passant, brièvement, je dirais la même chose quant à votre déclaration dans votre rapport intérimaire concernant la nécessité de moderniser le refus de vendre et les prix à la livraison, pour englober un critère de réduction sensible de la concurrence pour la même raison, pour leur donner une solide fondation économique.
Ensuite, sans vouloir entamer ce matin tout un débat sur l'article 45, je n'ai pas encore vu d'arguments convaincants établissant qu'il existe ici un réel problème qui doit être corrigé au moyen d'une refonte de la loi. Il nous faut veiller à ce que le bureau soit appuyé comme il se doit, mais je pense qu'il peut avoir gain de cause, et c'est d'ailleurs le cas, avec des affaires de conspiration dans des cadres tant larges que restreints, surtout dans l'environnement contemporain, avec l'actuel programme d'immunité, qui lui permet d'approuver les accords qu'il lui était si difficile d'entériner dans les années 80. Les statistiques d'avant 1992 ne sont en réalité pas pertinentes quant à votre décision d'intervenir ou non dans ce domaine. Merci.
Merci.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Campbell.
Monsieur Addy.
M. George Addy: Merci, madame la présidente.
Pour répondre à la question, je pense que le processus d'application et que l'application même de la loi bénéficieraient du consentement au bureau du commissaire de plus de ressources. Il y a une question qui sous-tend la plus grosse question, notamment quel est le rôle du commissaire, le rôle que les gens cherchent à financer? Il se pose bien évidemment toujours la question générale soulevée par Margaret, soit combien nous autres Canadiens voulons investir dans l'application de la loi en matière de concurrence face à toutes les autres priorités en matière de politique publique.
Quant à la question du rôle, je pense que nous en sommes ici à un point critique, à une fourche. Nous sommes au bord du précipice ou autre, selon votre perspective, quant au rôle que nous voulons voir le commissaire exécuter. Souhaitons-nous que le commissaire soit l'organe de réglementation des compagnies aériennes? Souhaitons-nous que le commissaire soit responsable de la réglementation des allocations d'étalage dans les épiceries d'ici six mois? Dès lors que nous nous engageons dans ce genre de discussion, il nous va falloir traiter des ramifications côté ressources. Il serait très coûteux de maintenir au bureau du personnel compétent et qualifié chargé de faire des calculs de coûts quotidiens en matière de tarifs aériens. Il nous faut déterminer si c'est là le modèle que nous voulons.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Addy.
Il y a plusieurs personnes qui souhaitent intervenir, et la parole sera d'abord au professeur West, suivi du professeur Ross.
M. Douglas West: Merci.
J'aimerais faire un commentaire qui rejoint une remarque de M. Crampton tout à l'heure, et il s'agit davantage d'un commentaire sur ce que dit le rapport intérimaire au sujet des dispositions en matière de prix. Lorsque j'étais au bureau, beaucoup de plaintes, venant de diverses sources, concernaient, typiquement, le comportement d'une grosse société, possiblement une société avec des poches très profondes, lorsque celle-ci pénétrait un nouveau marché dans lequel elle n'avait jusqu'alors pas eu de présence. Ce pouvait être une société dominante ayant des opérations dans diverses régions géographiques, mais qui entrait dans un nouveau secteur. Vous pouviez recevoir des plaintes de sociétés existantes, implantées dans ces marchés, au sujet du comportement du nouvel entrant.
Les actuelles dispositions en matière d'abus de position dominante couvriraient ce genre de comportement, mais il s'agit en quelque sorte d'une zone grise, car la société qui entre sur le nouveau marché ne sera peut-être pas en fait dominante à l'intérieur de ce marché. Les dispositions en matière d'abus de position dominante visent la société qui contrôle entièrement ou à toutes fins utiles une classe ou une catégorie d'activités. Vous pourriez bien sûr essayer de saisir ces types de comportement dans le cadre de la disposition en matière d'abus de position dominante. Il n'est pas clair que c'était là l'objet visé, mais il y a selon moi beaucoup de plaintes au sujet de ce type de comportement.
J'essaie de rattacher cela à cette idée d'essayer d'apporter des changements aux dispositions en matière de prix d'éviction et de verser cela du côté civil. Cela aussi, je l'ai dit plus tôt. Je pense qu'il est important d'envisager la possibilité de créer un nouvel article traitant de prix d'éviction, mais pas forcément en empruntant le libellé actuel de la disposition en matière d'abus de position dominante.
La présidente: Merci beaucoup, professeur West.
Professeur Ross.
M. Thomas Ross: Merci.
J'aurais plusieurs remarques à faire, madame la présidente. Premièrement, j'aimerais dire quelque chose au sujet de la question générale de savoir si le simple fait de verser davantage d'argent au bureau réglerait les choses. Il y a ici trois aspects sur lesquels nous nous attardons tous et qui visent de bonnes politiques, lois et mesures d'application en matière de concurrence.
Premièrement, vous voulez que la loi colle avec le contexte économique. C'est en quelque sorte une règle économique. En fait, certaines des propositions dont nous discutons visent à modifier la loi pour qu'elle cadre mieux avec le contexte économique.
Vous voulez manifestement un processus qui permette du bon travail d'arbitrage et décisionnel au plus bas coût possible, et certaines des suggestions en matière de procédure qui ont été faites visent justement à faciliter cela.
• 1245
Troisièmement, bien sûr, il vous faut y consacrer les
ressources nécessaires. L'augmentation des ressources mises à la
disposition du bureau rend donc possible certaines des autres
choses, mais cela ne diminue aucunement notre nécessité d'examiner
la loi, l'aspect économique et le processus.
J'aimerais également ajouter très rapidement quelque chose à une remarque qu'a faite George Addy tout à l'heure et qui est très juste. Cela rejoint également une chose dont parlait Neil Campbell, soit que si nous déplaçons certaines actions du volet pénal au volet civil de la Loi sur la concurrence, il est vrai qu'en vertu de l'actuelle loi, nous supprimerons le droit privé de demande en dommages-intérêts, que vous pouvez aujourd'hui invoquer si vous êtes victime d'un acte criminel. George a souligné cela parlant de la création d'un volet civil à l'article 45. Neil parlait de verser certaines des autres pratiques en matière de prix au volet civil. C'est cela. Je pense que cela plaide tout simplement en faveur d'un meilleur accès à des dommages-intérêts pour les délits du côté civil. Je ne pense pas que ce soit un argument en faveur de leur maintien du côté pénal. Il nous faut tout simplement ouvrir la possibilité d'actions privées, incluant possiblement des dommages ou en tout cas le remboursement des coûts occasionnés par certains de ces autres délits.
La présidente: Merci beaucoup, professeur Ross.
Il y a encore plusieurs personnes qui souhaitent intervenir, après quoi j'aurai moi-même des questions.
Monsieur Crampton.
M. Paul Crampton: Permettez-moi de commencer par réagir au point qu'a soulevé le professeur West, après quoi je répondrai à la question de M. Bagnell.
En ce qui concerne votre scénario, je pense que si nous faisions ce que je suggérais—soit éliminer les mots «contrôler à toutes fins utiles» toute une classe ou catégorie d'affaires ou toute partie d'une telle classe ou catégorie—alors vous n'auriez plus que le critère de la réduction sensible de la concurrence, auquel cas ou vous réduisez sensiblement la concurrence ou vous ne le faites pas. Je pense que cela réglerait le cas de votre scénario.
Pour ce qui est de votre question, M. Bagnell, je ne pense pas qu'une augmentation des ressources consenties suffirait, seule, pour régler les problèmes dont il est question ici. Vous pourriez accorder au bureau autant de ressources que vous le voulez, mais cela ne réglerait pas le problème fondamental posé par le fait qu'il est très difficile d'établir hors de tout doute raisonnable qu'il y a eu pratique de prix d'éviction. Si une personne choisissait de faire une contestation en vertu de l'article 45—on parle ici de comportement criminel endurci, la plupart des gens plaidant coupable—toutes les ressources du monde n'aideraient pas le commissaire à établir les faits en dehors de tout doute raisonnable. Il y a d'ailleurs de fortes chances qu'il ne soit pas en mesure de le faire.
Je pense donc qu'il vous faut définitivement modifier la loi afin qu'elle soit plus efficace face aux comportements anticoncurrentiels ainsi que pour contrer l'effet de refroidissement qu'exerce à l'heure actuelle la loi sur une vaste gamme de comportements proconcurrence, qu'il s'agisse des pratiques de prix dont nous parlons, qui sont dans la grande majorité des cas très favorables à la concurrence, de coopération horizontale, qui, encore une fois, dans la grande majorité des cas favorise la concurrence dès lors que vous sortez de cette catégorie limitée de comportement criminel de cartel.
Au sujet de ce dernier point, votre rapport intérimaire laisse entendre que si l'on opte pour l'approche à deux volets, la disposition en matière de comportement criminel proprement dit pourrait être limitée à la fixation des prix et à la restriction de la production. Je vous encouragerais à élargir cette liste pour y inclure la distribution de marchés—et par là j'entends la distribution géographique des marchés et de la clientèle—ainsi que certains types de boycott collectif, par exemple ceux en faveur de collusion ou de l'exclusion du marché de nouveaux entrants.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Crampton.
Je demanderai à tout le monde d'être un petit peu plus bref. Nous allons manquer de temps, et M. Lastewka et Mme Girard-Bujold ont toujours des questions.
Monsieur Russell.
M. Robert Russell: Je vais parcourir rapidement les différents points. Je pense que la réponse à la question qui nous a été soumise dans le cadre de cette dernière séance aujourd'hui est que non, les ressources ne sont pas la solution dont nous parlons. Elles font partie de la solution, et il y a plusieurs dispositions. Il s'agit dans le cas de chaque disposition de faire une pondération pour voir si cela se tient. À l'heure actuelle, il y a des problèmes avec cet article, et une bonne application de la loi est impossible à cause de son libellé.
Cela répond cependant à la question rhétorique que voici: Pourquoi n'avons-nous pas au Canada une affaire Microsoft? Dix-sept États américains, le gouvernement fédéral des États-Unis et l'Europe ont tous examiné cela. Personne ne prétend que l'incidence et que la situation économique au Canada sont différentes. J'avance cela comme question rhétorique, et j'avance également la réponse: nous ne disposons pas des fonds nécessaires pour engager une telle action pour pratiques abusives ici au Canada.
Deux choses, maintenant, très rapidement. Premièrement, la question des délais. Il importe d'en faire un examen approfondi et de les prolonger. Si vous dirigiez une enquête pour le commissaire, comme je l'ai déjà fait, vous sauriez que cela a à peu près l'ampleur d'une affaire de fraude commerciale. Et dire que cela va être réglé en l'espace d'un mois, comme ce serait le cas d'une affaire dont serait saisi le TCCE, ne tient tout simplement pas compte de l'envergure de l'examen qui doit être entrepris dans le cas d'une affaire qui va être renvoyée ou au procureur général ou au tribunal.
• 1250
Ce n'est donc pas simple. Ces affaires peuvent être énormes,
comme peuvent l'être la documentation, l'enquête et
l'interrogatoire des témoins. Imposer des contraintes temporelles
artificiellement à ce qui constitue en définitive une enquête
policière, bien que cela s'inscrive dans l'arène commerciale, n'est
à mon sens pas sage.
Enfin, j'aimerais vous soumettre une proposition concrète relativement aux règles du tribunal. Nous ne disposons à l'heure actuelle pas d'une bonne structure pour faire évoluer les règles dans ce domaine. Les cours ont des comités des règles qui sont créés aux termes de lois. Ils réunissent divers participants—avocats et juges. Dans ce cas-ci, ce serait des économistes et des représentants du Bureau de la concurrence qui devraient faire rapport, comme cela se passe du côté des tribunaux. Je siège deux fois par an à un sous-comité du comité des règles en Ontario. On y remanie sans cesse les règles afin de les peaufiner. S'il vous fallait tenir compte de tout un énorme bagage pour envisager une refonte des règles, il vous serait trop difficile d'avancer.
Si la loi prévoyait une structure concrète en vue de l'examen permanent des règles du tribunal, alors vous constateriez que nombre des problèmes—et je suis d'accord avec ce qu'a dit M. Wong lorsqu'il en a fait une liste partielle—seraient simplifiés et ne supposeraient pas la bagarre qu'il vous a exposée.
La présidente: Merci.
Madame Sanderson.
Mme Margaret Sanderson: J'allais tout simplement aborder le dernier point à l'ordre du jour. Je vais faire vite.
Vous nous avez invités à faire des commentaires sur le rapport intérimaire, et je tiens à souligner que le rapport intérimaire est excellent, mais je crains qu'il arrive en situation de crise—lorsqu'une compagnie aérienne est sur le point de faire faillite ou lorsque quelqu'un n'a pas assez de pouvoir ou de ressources pour faire quelque chose—que l'on adopte des solutions à des problèmes précis qui aillent en fait à l'encontre de certains des principes clairement énoncés dans le rapport intérimaire. J'ose espérer que le comité, lorsqu'il examinera ces propositions en situation de crise, se rapportera aux excellents principes qui y sont documentés.
La présidente: Merci, madame Sanderson. Il nous faudra attendre de voir ce qui va se passer là.
Professeur Ware.
M. Roger Ware: Merci.
J'aimerais tout d'abord réagir à la proposition de Paul Crampton visant l'élimination des mots «réduction sensible de la concurrence» à l'article 79. Je pense qu'il importe d'être prudent ici, car si l'on supprimait ces mots, cela viendrait en un sens miner toute la méthodologie d'enquête pour les affaires d'abus de position dominante. Ce cadre méthodologique, qui a évolué dans le temps par suite des affaires que nous...
La présidente: Professeur Ware, il semble qu'il y ait une certaine confusion. M. Crampton est en train de dire qu'il n'a pas dit cela. Je l'inviterai peut-être à tirer cela au clair.
M. Paul Crampton: Non, je n'ai pas dit cela.
M. Roger Ware: Excusez-moi, c'était «contrôle à toutes fins utiles».
M. Paul Crampton: Oui, et vous vous retrouverez avec une réduction sensible des critères en matière de concurrence.
M. Roger Ware: Oui, excusez-moi, Paul. Je voulais parler de l'élimination des mots «contrôle à toutes fins utiles» d'une classe ou d'une catégorie d'activités.
Ce que je veux dire ici c'est que le tribunal a interprété cette expression comme étant un critère de puissance commerciale, de telle sorte que nous commençons chaque enquête en établissant si la partie accusée jouit ou non d'une puissance commerciale.
Si l'on élimine cette expression, allons-nous éliminer le critère de la puissance commerciale? Je ne le pense pas. Les choses ne sont donc pas claires pour moi et nous souhaiterions à tout le moins pouvoir y réfléchir davantage.
Le deuxième point, étant donné que je sais que je vais manquer de temps, est que je pense que le comité ferait peut-être bien, dans son rapport final, de faire une déclaration au sujet de la fonction de l'efficience en droit sur la concurrence. Je sais que cette question a été abordée ce matin, et je me ferai l'écho des propos de mon collègue en disant qu'en ce qui concerne les dispositions de la loi en matière de fusions, nous avons à l'heure actuelle beaucoup de difficulté à comprendre quel est l'objet de la loi en matière de reconnaissance d'efficience économique. Il me semble qu'il est quelque peu prématuré d'essayer d'élargir la notion d'efficience à d'autres articles de la loi—l'article 45, les articles portant sur les pratiques examinables—tant que nous ne savons pas, ou en tout cas tant que l'on ne nous aura pas dans une certaine mesure reconfirmé, ce qu'est la vision du Parlement quant à la fonction de l'efficience dans la Loi sur la concurrence.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Ware.
Monsieur Campbell.
M. Neil Campbell: Madame la présidente, j'aimerais tout simplement réagir brièvement au commentaire de M. Crampton concernant la difficulté de prouver un cas de cartel dans notre monde moderne qui, si j'ai bien compris, est notre monde des quelques dernières années, car le monde a énormément changé. Le programme d'immunité du bureau joue un rôle pratique important dans la quasi-totalité de ces cas à l'heure actuelle, et cela a très bien fonctionné. Cela s'aligne sur un programme identique qui a très bien réussi aux États-Unis.
Après que Hoffmann-La Roche ait plaidé coupable et payé 50 millions de dollars il y a deux ans et que certaines autres sociétés aient versé des montants d'argent conséquents, M. McTeague, je pense, a déclaré que son enfant de trois ans aurait sans doute pu faire le coup, le bureau ne faisant que suivre. Je présume que son talentueux enfant de cinq ans est aujourd'hui une formidable jeune personne.
Mais le bureau obtient en fait des résultats remarquables dans le domaine. Songez aux plus grosses multinationales au monde qui sont venues, qui ont écouté très attentivement le Canada, après les États-Unis, et qui ont payé de lourdes pénalités et dont des représentants ont plaidé coupable à des crimes au Canada: c'est tout à fait remarquable. Je pense que le bureau est un organe de maintien de l'ordre très crédible sur la scène mondiale s'agissant de cartels.
Il a également fait de l'excellent travail en matière de cartels locaux ici au Canada. Il a mis des gens en prison. Il a obtenu des verdicts de culpabilité. Je pense que la difficulté avec la réforme de l'article 45 n'est pas tant qu'il y a désaccord quant au mal des cartels purs et durs. La difficulté est de savoir si vous pouvez inscrire dans la loi une définition qui ne soit pas trop inclusive.
C'est comme le vieux dicton du juge de la Cour suprême des États-Unis au sujet de la pornographie, «Je la reconnais lorsque je la vois». Je pense que c'est la même chose ici. Nous reconnaissons tous un cartel pur et dur lorsque nous en voyons un, mais si vous regardez le projet de loi C-472, par exemple, et si vous l'appliquez à quantité de choses que nous tous ne considérerions pas comme étant des cartels purs et durs, alors ils y seraient néanmoins englobés. Je vous encouragerai donc à faire preuve d'une grande prudence dans toute refonte de l'article 45.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Campbell.
Monsieur Lastewka.
M. Walt Lastewka: Merci, madame la présidente.
J'aimerais moi aussi remercier tous les témoins d'être venus ici aujourd'hui, car les deux dernières tables rondes ont été absolument excellentes. J'essaie de résumer un peu ce que nous avons entendu aujourd'hui.
D'un côté, on nous a parlé d'augmenter le financement et d'examiner le côté financement. Certaines personnes ont parlé de maintenir en place pendant plus longtemps les ressources et les personnes nécessaires. D'un autre côté, nous avons parlé du processus—x témoins et tel ou tel délai. Mai ce qui m'a le plus intrigué—et cela a été soulevé dans le cadre des deux tables rondes—c'est la nécessité de pouvoir s'appuyer sur de bonnes lignes directrices et de bons exemples.
Je vais tout simplement citer certains des participants.
Il a été dit qu'il est nécessaire que les choses soient claires et qu'il y ait des exemples, et qu'il nous faut établir les règles du jeu. Monsieur Russell, vous m'avez ici volé ma question, et je vous remercie de vos remarques au sujet du comité des règles. Il a également été dit que si vous jetez de l'argent sur un mauvais système, vous vous retrouverez toujours avec un mauvais système.
Le commentaire que je vous soumets donc est qu'il nous faut réparer le système, mais il nous faut le faire de façon continue. Je pense que c'est M. Ware qui a mentionné l'évolution que connaît le monde depuis trois, quatre ou cinq ans. Il nous faut avoir en place quelque chose de permanent qui nous permette d'améliorer le système, après quoi l'argent qui y sera consacré sera dépensé à bon escient. Ma crainte est que si nous ne réparons pas le système, nous n'allons pas optimiser notre investissement.
J'aimerais connaître vos réactions.
La présidente: Monsieur Addy, s'il vous plaît.
M. George Addy: Merci, madame la présidente.
J'aimerais réagir à cela, puis ajouter un autre commentaire au sujet du rapport intérimaire.
J'ai trouvé les observations de M. Lastewka tout à fait à propos. Personnellement, je ne pense pas que le système soit irréparable. Je pense qu'il s'agit d'un système que nous pouvons sans cesse améliorer grâce à un certain processus. Je conviens avec vous que nous pouvons élaborer un processus, et les tables rondes du comité font partie de ce processus. Nous devrions faire cela de façon continue. Je pense donc que vous avez raison.
Deuxièmement, je tiens à féliciter le comité d'avoir, dans son rapport intérimaire, dressé la scène—le contexte de marché à l'intérieur duquel ce comportement de marché est en train d'être évalué, les décisions d'application de la loi sont en train d'être prises et le pouvoir discrétionnaire du commissaire est en train d'être exercé.
Le rythme, comme vous l'indiquez dans votre rapport... et, bien franchement, je ne pense pas que nous ayons consacré suffisamment de temps à réfléchir à ce que ces changements signifient véritablement. Vous dites dans votre rapport intérimaire que le cycle de marché pour les produits est beaucoup plus court qu'il ne l'était il y a dix ans. L'innovation est beaucoup plus rapide. Les transactions se font en l'espace de quelques nanosecondes, comparativement aux contrats d'antan écrits à la plume sur parchemin. Le rythme du marché est aujourd'hui si rapide que le défi posé aux organismes d'application de la loi est extrêmement difficile.
• 1300
Lorsque vous administrez une opération du genre, vous êtes
sans cesse préoccupé par deux choses. Vous vous inquiétez de ce que
Paul a, je pense, appelé dans certains de ses mémoires les erreurs
de «type un», où vous n'avez pas pris les mesures d'application que
vous auriez dû prendre. Vous vous inquiétez également des erreurs
de «type deux» où vous avez pris, dans une affaire tout à fait
bénigne, des mesures d'application susceptibles de nuire à ces
parties ou de refroidir le marché. Relever de tels défis dans
l'environnement qui existe aujourd'hui dans le monde des affaires
est extrêmement difficile et il serait peut-être bon que le comité
envisage de souligner ce défi pour le commissaire dans son rapport
intérimaire.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Addy.
J'ai sur ma liste M. Crampton, M. Russell, après quoi nous passerons à Mme Girard-Bujold.
M. Paul Crampton: Merci. J'aimerais tout simplement réagir brièvement à quelques points soulevés par Roger et à un point dont Neil a fait état.
Roger, je ne pense pas du tout que nous abandonnerions le critère de la puissance commerciale si nous options pour un critère de réduction sensible de la concurrence à l'article 79 et abandonnions l'élément «contrôle à toutes fins utiles». C'est le critère que nous employons dans le cas des fusions et d'autres affaires qui reposent exclusivement sur un élément de réduction sensible de la concurrence. Je pense que le tribunal, lorsqu'il a exposé la nécessité d'un critère de puissance commerciale dans les dispositions en matière de position dominante, n'est jamais allé plus loin pour préciser quel degré de puissance commerciale il fallait. Mais je pense que la plupart d'entre nous serions d'accord là-dessus.
En fait, la Cour suprême du Canada nous a dit qu'il nous faut un degré supérieur de puissance commerciale à cause de la présence de ces mots «contrôler entièrement ou à toutes fins utiles». Par conséquent, si nous éliminons cette expression, nous aurons tout simplement l'exigence générale en matière de puissance commerciale que nous avons dans le contexte de toutes les autres dispositions de la loi qui renferment ce critère de réduction sensible de la concurrence, ce qui est un plus bas seuil anticoncurrentiel, et qui est le même que celui qui figure à l'heure actuelle dans la disposition en matière de prix d'éviction. Vous ne perdriez donc rien en optant pour les dispositions en matière d'abus de position dominante.
Quant à votre commentaire voulant qu'il soit prématuré d'étendre la considération de l'efficience à d'autres parties de la loi, je ne suis pas de votre avis. Je ne vois aucune raison pour laquelle on devrait traiter un type d'arrangement horizontal, comme par exemple une fusion, différemment, sur le plan de l'analyse, d'un quelconque autre type d'arrangement horizontal, comme par exemple une alliance stratégique. Je pense que les deux devraient être traités de la même façon.
En dehors, donc, de ce qui serait le nouveau volet pénal en vertu d'une approche remaniée à deux volets pour les conspirations, je pense que vous voudriez avoir en gros la même disposition en matière d'efficience, et une disposition semblable en ce qui concerne l'abus de position dominante. Mais la nature de cette disposition en matière d'efficience devrait être différente de celle que nous avons à l'heure actuelle à l'article 96, qui n'a jamais fonctionné pendant près de dix ans, lorsque le Bureau de la concurrence avait une interprétation favorable aux entreprises, et qui ne fonctionnera certainement pas aujourd'hui, maintenant qu'il n'y a plus cette interprétation favorable à l'entreprise. Les critères de l'efficience...
La présidente: Je regrette, mais il nous faut maintenant passer au suivant.
Monsieur Russell.
M. Robert Russell: Je pense que ce qui a été souligné est la nécessité d'une amélioration constante. C'est, je pense, ce qu'on vous a dit pendant les deux sessions, soit qu'il y a plusieurs aspects de la loi qui devront continuer d'être améliorés.
J'aimerais conclure en remerciant le comité de nous avoir intégrés à un chapitre très excitant de la politique en matière de concurrence. Je trouve, madame la présidente, que le processus suivi nous a permis d'espérer que les changements dont la loi a besoin pourront venir en l'espace de mois et d'années et non de décennies, ce qui a été l'histoire de ce vieux texte de loi poussiéreux que la plupart des juges dans ce pays continuent de méconnaître. Vous venez de faire monter cela d'un cran.
Félicitations aussi pour les projets de loi d'initiative parlementaire. Même si je trouve peut-être qu'ils ne sont pas ce qu'il faut, cela vient stimuler le débat et la discussion autour de ces dispositions très importantes d'un texte de loi qui a une incidence générale sur notre économie, et le processus dans lequel nous avons tous ici été engagés est très excitant.
Merci.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Russell.
Madame Girard-Bujold, pour un bref commentaire.
[Français]
Mme Jocelyne Girard-Bujold: Merci, madame la présidente.
J'ai bien apprécié ces deux tables rondes ce matin. La première table ronde touchait plus spécifiquement l'article 45. Vous savez que j'ai proposé à la Chambre une motion qui touche le mot «indûment» à l'intérieur de l'article 45.
• 1305
Je dois dire que j'ai aussi trouvé très intéressant ce
que vous, les experts, êtes venus dire au comité lors
de la deuxième table
ronde, qui touchait l'application de
la loi, l'évaluation et les recommandations.
J'ai une question à poser au professeur Ware. Dans votre exposé, vous avez dit que pour une meilleure politique de la concurrence, il fallait que le Bureau de la concurrence ait une approche plus ouverte, une structure de niveau continental.
Qu'est-ce que vous vouliez dire par cela? Qu'est-ce qu'une approche de cette nature permettrait? Comment cela pourrait-il permettre que la Loi sur la concurrence soit plus efficace?
[Traduction]
La présidente: Professeur Ware, vous aurez le mot de la fin.
M. Roger Ware: Je me rends bien compte que ceci déborde peut-être de la juridiction du comité et de cette tribune, mais je voulais simplement dire que la plupart des compagnies qui ont de grosses affaires devant le tribunal fonctionnent dans une sphère internationale et qu'une politique commerciale internationale ouverte est à bien des égards une meilleure façon de créer la concurrence que le recours à l'application de ces lois en matière de concurrence et, j'ajouterais, d'une politique ouverte en matière d'investissement étranger.
La présidente: Merci beaucoup, professeur Ware.
Je tiens à remercier tous les participants. Les recherchistes et moi-même essayons tout simplement de déterminer ce que nous n'avons pas couvert aujourd'hui. Ce domaine est si vaste et il y a tant de choses dont il faut parler dans le contexte de la Loi sur la concurrence. Nous tous trouvons cela très intéressant. Je vous remercie tous et chacun d'avoir pris le temps, en dépit de vos emplois du temps chargés, de venir aujourd'hui participer à ce travail, et j'ose espérer que vous pourrez rester pendant un petit moment encore pour poursuivre la discussion avec nous de façon informelle en déjeunant.
Merci beaucoup. Je rappelle aux membres du comité que nous nous réunissons cet après-midi à 15 h 30.
La séance est levée.