JUST Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON JUSTICE AND HUMAN RIGHTS
COMITÉ PERMANENT DE LA JUSTICE ET DES DROITS DE LA PERSONNE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 24 octobre 2001
Le président (M. Andy Scott (Fredericton, Lib.)): La trente-deuxième séance du Comité permanent de la justice et des droits de la personne est ouverte. Nous allons examiner aujourd'hui le projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur les secrets officiels, la Loi sur la preuve au Canada, la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et d'autres lois, et édictant des mesures à l'égard de l'environnement des organismes de bienfaisance, en vue de combattre le terrorisme.
Je m'excuse de précipiter les choses pour entendre notre éminent témoin, M. Wilkinson, mais je crois comprendre que le temps que nous allons passer ensemble est limité, et les membres du comité, monsieur Wilkinson, sont impatients de vous entendre.
En guise de présentation je rappellerais que M. Paul Wilkinson est l'un des fondateurs du Centre pour l'étude du terrorisme et de la violence politique, en plus d'être l'auteur de nombreux ouvrages sur le sujet, notamment de Terrorism and the Liberal State, paru en 1977. C'est aussi un ancien directeur de l'Institut pour l'étude des conflits et du terrorisme, à Londres, et il vient d'être nommé conseiller spécial de Lord Lloyd, président d'un comité du gouvernement chargé de formuler la législation anti-terrorisme britannique.
Je voudrais informer notre invité que le comité commence tout juste la révision de ce projet de loi qui a été déposé en Chambre lundi dernier. Jusqu'à présent nous avons entendu madame la ministre, la Gendarmerie royale du Canada, le Service de renseignement de sécurité, le SCRS, et nous nous félicitons d'avoir maintenant l'occasion de vous entendre à votre tour. Si j'ai bien compris, vous avez déjà comparu devant le Sénat ce matin.
Je vais commencer par parler brièvement de notre emploi du temps pour que vous puissiez vous restaurer un peu—nous souhaitons que vous soyez en forme pour faire votre exposé. Mesdames et messieurs les membres du comité, je voudrais dire deux mots au sujet de ce dont nous allons nous occuper après avoir entendu M. Wilkinson et lui avoir posé quelques questions.
Premièrement, en ce qui concerne la poursuite de l'examen du projet de loi C-36, nous sommes parvenus à caser tous les témoins qui ont été proposés par les différents partis. Il ne reste qu'à s'entendre à propos des procureurs généraux des provinces, ce que nous ferons plus tard; toutefois, même en prenant en compte leur comparution, il nous sera possible d'entendre tous nos témoins avant le congé du Jour du Souvenir. Il faudra cependant que nous siégions un mardi soir, ce sur quoi nous sommes déjà tombés d'accord, et nous devrons en outre siéger deux jeudis après-midi. C'était l'option jugée la moins satisfaisante par tout le monde, mais il y aura toujours les comptes rendus pour ceux qui ne seront pas disponibles. Je pense donc que c'est la meilleure façon d'agir, si vous êtes d'accord, bien évidemment.
• 1245
Si tout le monde est prêt à collaborer, nous disposerons d'une
semaine entière pour examiner les amendements que nous pourrions
éventuellement juger utile d'apporter au texte. Si le gouvernement
choisit de proposer lui-même des amendements, il aura aussi une
semaine pour se préparer. Cela signifie que madame la ministre
reviendrait accompagnée de ses collaborateurs après le congé, comme
elle l'a laissé entendre, puis nous passerions, dans le courant de
la même semaine, à l'étude article par article du projet de loi.
Nous pourrons ainsi tenir notre engagement vis-à-vis la Chambre de
terminer l'examen du projet de loi C-15B avant la fin du mois de
novembre. C'est un emploi du temps chargé, mais nous avons prévenu
les Canadiens que nous allions mettre le paquet sur ce dossier, et
nous tenons notre promesse. Voilà ce que je voudrais vous proposer;
nous en discuterons plus longuement tout à l'heure après avoir
entendu notre éminent invité.
Après cette légère entorse à notre ordre du jour, monsieur Wilkinson, nous nous faisons un plaisir de vous écouter.
M. Paul Wilkinson (témoignage à titre personnel): Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs. C'est pour moi un grand honneur d'être reçu ici et de participer à vos discussions sur le projet de loi C-36. Permettez-moi, en guise d'entrée en matière, de dire quelques mots à propos de mon expérience dans l'étude de notre sujet.
Comme vous le savez, je suis professeur de relations internationales à l'université St. Andrews, mais mon domaine de recherche privilégié depuis plus de 30 ans a été l'étude du terrorisme, notamment les problèmes que pose la riposte des pays démocratiques et de la communauté internationale à la violence terroriste. L'institut que j'ai l'honneur de diriger à St. Andrews est un établissement universitaire indépendant. Il travaille par conséquent sur du matériel de source publique, dont nous possédons une riche collection, et j'engage les membres du comité à nous contacter s'ils pensent que nous avons de la documentation sur un groupe en particulier, ou une région du monde en particulier, qui pourrait s'avérer utile. Nous serons très heureux de vous accueillir au centre. Nous employons des recherchistes très actifs qui sont originaires de toutes les régions du monde. Je le répète, nous nous ferons un plaisir de vous accueillir. Je vous encourage par conséquent à accepter notre invitation.
J'aimerais commencer par rappeler brièvement la façon dont j'envisage les répercussions stratégiques sur la paix et la sécurité internationale des atrocités du 11 septembre, avant de discuter de certaines des conséquences sur la position du Canada et la législation canadienne, du point de vue d'un observateur universitaire étranger.
Il est clair que les terribles attentats du 11 septembre marquent un tournant majeur. Nous sommes indubitablement confrontés aujourd'hui à une menace stratégique d'envergure internationale. Dans le passé, en tous cas lorsque j'ai commencé à m'intéresser à ce domaine à la fin des années 60 et au début des années 70, le terrorisme était considéré comme un sujet d'intérêt spécifique aux pays qui avaient un problème sur leur propre territoire, un problème d'ordre public plutôt que stratégique. Nous sommes maintenant confrontés à des atrocités qui ont coûté la vie à plus de 5 500 personnes. Il s'agit de l'acte de terrorisme de masse le plus grave jamais perpétré par un groupe terroriste dans l'histoire du terrorisme moderne, où plus de gens ont perdu la vie en un seul jour qu'en 35 ans de terrorisme dans toute l'Europe de l'Ouest. Si l'on inclut l'Irlande du Nord, le Pays basque espagnol, les débordements dans le reste de l'Espagne, la Corse, la violence en Italie dans les années 70 et au début des années 80, l'Allemagne, les groupes actifs en France à la périphérie du territoire métropolitain, le nombre des morts dans l'ensemble de la région est inférieur au total des vies disparues à la suite des attentats en Amérique.
On peut affirmer par conséquent que l'on vient de franchir le seuil du terrorisme de masse, et que l'on est confronté à un groupe manifestement déterminé à tuer le maximum de gens; en fait, si l'on se fie à leurs déclarations et à leur propagande, un aussi grand nombre d'Américains et de leurs alliés que possible. On se rend compte à cet égard combien sont démodés les propos d'un de mes collègues, Brian Jenkins, l'un des pionniers de l'étude du terrorisme aux États-Unis, qui soutenait que les terroristes veulent beaucoup de spectateurs, mais pas beaucoup de morts.
• 1250
Dans le cas des atrocités commises aux États-Unis, on a eu
affaire à un groupe qui ne nourrit aucun scrupule vis-à-vis la
létalité des moyens employés et nous avons par conséquent franchi
un grand pas vers l'utilisation par des groupes terroristes d'armes
de destruction massive. Nous n'en savons pas encore suffisamment
sur le bacille du charbon dispersé aux États-Unis et qui a fait
aussi surface dans plusieurs autres pays, par exemple en Argentine.
Nous ignorons toujours si c'est lié au réseau Al-Qaïda ou s'il
s'agit d'une initiative d'un ou de plusieurs autres groupes, ou
d'un État voyou. La question est très débattue. Toutefois, en se
fondant sur l'information dont on dispose au sujet des actions du
réseau Al-Qaïda de ben Laden on se rend compte que s'il disposait
d'un moyen de propager des armes chimiques, nucléaires ou
biologiques, il n'y a aucune raison de penser qu'il se laisserait
dissuader d'y recourir par des contraintes morales. La seule chose
qui l'en dissuadera c'est, selon moi, l'action déterminée de la
communauté mondiale, les efforts concertés de la communauté
internationale pour supprimer cette menace aux droits humains, à la
sécurité et au bien-être international.
En plus de l'impact terrible sur la vie des familles qui ont perdu des êtres chers dans ces attentats, l'une des principales conséquences a été de détériorer l'économie américaine et l'économie mondiale, pas uniquement l'industrie aéronautique, qui a visiblement été durement touchée, ni l'industrie du tourisme, mais aussi au niveau du bien-être général de l'économie mondiale et des perspectives de croissance et de développement économiques dans des régions du monde où un tel développement est désespérément nécessaire. Il ne faut pas oublier que cela a un impact mondial.
Il est clair également que le type de terrorisme auquel on a eu affaire lors des attentats du 11 septembre démontre non seulement la mondialisation du terrorisme, par son impact sur l'ensemble du système international, à travers la formation d'une coalition contre la terreur et l'engagement des hostilités en cours en Afghanistan, mais aussi, en partie, l'effet de la mondialisation des organisations terroristes. Le réseau Al-Qaïda est dans son essence une organisation transnationale, et c'est pourquoi dans mes remarques aux médias et dans mes conférences depuis le 11 septembre, j'ai souligné qu'envisager l'action militaire en Afghanistan comme une panacée, comme le seul moyen de mettre fin à cette campagne diabolique, serait démontrer une profonde incompréhension de la nature du phénomène.
L'action militaire peut effectivement, si elle permet la capture de Ben Laden, gravement perturber et affaiblir le réseau Al-Qaïda, mais cela ne signifie pas que l'on en aura fini avec la menace tentaculaire du réseau qui, comme on le découvre maintenant grâce aux efforts intensifs mais tardifs des services de renseignements et des corps policiers dans un grand nombre de pays, est présent dans au moins deux douzaines de pays. Tant que ces réseaux continueront d'exister, tant que certains de leurs membres seront en liberté, tant qu'ils bénéficieront de soutiens dans plusieurs pays, y compris au Canada, on risquera d'avoir de nouveaux attentats; et il serait malhonnête de ma part d'essayer de vous rassurer en racontant que nous avons été témoins du pire, que c'est terminé, que nous n'assisterons pas à d'autres attaques. Je ne vois aucune raison de nous reposer sur nos lauriers ou de prétendre que les initiatives qui ont été prises jusqu'ici par les enquêteurs de la justice criminelle, par les services de renseignements, par les militaires dans la région de l'Afghanistan, suffiront à nous immuniser contre d'autres attentats.
Vous trouverez peut-être intéressant de savoir que j'ai parcouru des milliers de kilomètres au cours des dernières semaines pour donner des cours et des conférences, notamment à Athènes, une ville qui, comme vous le savez, a toujours eu dans le passé de graves problèmes de terrorisme internes. Je me suis rendu compte que dans tous les avions que j'ai pris, il aurait été possible de pénétrer facilement dans le cockpit, qu'il n'y avait aucun obstacle susceptible d'empêcher quiconque de le faire. J'aurais pu porter une arme, car les mesures de sécurité dans les aéroports que j'ai fréquentés étaient scandaleusement insuffisantes, et j'aurais certainement très bien pu prendre le contrôle d'un appareil.
• 1255
Si l'on se souvient que les détournements d'avions suicides
ont été le moyen utilisé par ces gens-là pour provoquer un tel
carnage, j'avoue être préoccupé par la lenteur des réactions des
responsables de l'aviation dans tous les grands pays qui ont des
compagnies aériennes, y compris le Canada. Il faut, à coup sûr, un
certain temps pour redresser la situation de la sécurité au sol,
dans les aéroports. C'est plus complexe, cela demande beaucoup en
terme de formation des personnels, et parfois des gens plus
compétents pour faire le travail, comme on commence à s'en rendre
compte aux États-Unis en discutant de la façon dont la sécurité
dans les aéroports est effectivement assurée. Mais on n'a pas
besoin d'autant de temps pour régler le problème de la sécurité en
vol par la prise de précautions simples contre les détournements
suicides. On peut installer des cloisons blindées dans l'appareil,
on peut s'assurer que les gens, dans la cabine des passagers, ne
puissent pas pénétrer dans le cockpit, on peut utiliser les
services de policiers de l'air pour s'assurer que les pirates ne
s'en tirent pas en essayant de tuer ou de blesser les membres du
personnel de bord ou du personnel de cabine. Ces mesures ne sont
pas prises assez rapidement, même si je sais que certaines
compagnies ont déjà pris des initiatives à cet égard.
Je souhaitais le mentionner devant le comité, car je sais que vous avez les moyens de faire passer le message aux responsables de l'aviation canadienne ainsi qu'au gouvernement. Il est urgent, selon moi, que les gouvernements se rendent compte que ces failles, que le réseau Al-Qaïda a exploitées avec d'aussi terribles conséquences, continuent d'exister, et qu'il est temps que l'on prenne meilleur soin de l'aviation civile car, entre les mains de terroristes, un avion de ligne se transforme en bombe volante capable de tuer des centaines de milliers de gens.
Le président: Merci, monsieur Wilkinson.
Nous avons avec nous des députés de l'Alliance canadienne, du Bloc québécois, du NPD, de la Coalition PC/RD et du Parti libéral. Nous procédons de la façon suivante: chacun des partis dispose d'un temps de parole de cinq minutes pour la discussion. Les partis d'opposition ont généreusement renoncé à quelques minutes chacun, de manière à ce que l'on ait le temps de poser plus de questions.
Je donne tout de suite la parole à M. Toews pour cinq minutes.
M. Vic Toews (Provencher, Alliance canadienne): Merci de nous avoir fait un exposé. Je vous suis reconnaissant de nous consacrer de votre temps pour parler de cet important sujet.
Vos remarques voulant que nous ayons franchi le seuil du terrorisme de masse et qu'il semble y avoir une rupture, sur le plan psychologique comme sur le plan de l'action, dans le comportement de ces groupes terroristes, pour lesquels il n'est plus suffisant de tuer pour terroriser, mais qui veulent tuer beaucoup de gens pour parvenir à leurs fins, me paraissent perspicaces. Ces individus ne manifestent aucune retenue morale, et l'on ne peut par conséquent pas présumer qu'ils agiront d'une manière prévisible, au sens où ils se plieraient à n'importe quels préceptes moraux qui ont cours dans les démocraties occidentales.
Comme cette limite a été franchie, je présume que vous reconnaissez l'utilité foncière d'une loi antiterroriste durable. Il n'est tout simplement pas possible de dire que lorsque la bataille sera finie et qu'un terroriste en particulier aura été capturé, nous serons arrivés à nos fins et que le terrorisme sera anéanti. En réalité, le terrorisme restera un danger constant dont nous devrons nous occuper. Il y en a qui prétendent que les dispositions de notre loi antiterroriste sont de nature exceptionnelle et qu'elles devraient, par conséquent, être limitées dans le temps, autrement dit, qu'une mesure de temporisation devrait figurer dans la loi. Compte tenu de vos propos sur la menace permanente que fait peser le terrorisme, pensez-vous qu'une telle mesure de temporisation soit conseillée?
• 1300
Par ailleurs, nous sommes également très préoccupés, bien sûr, par
les répercussions sur les libertés civiques. Notre Commissaire à la
protection de la vie privée nous a informés que ce texte législatif
saperait, en fait, sa capacité à examiner confidentiellement les
certificats ministériels refusant aux Canadiens l'accès à
l'information personnelle. Je me demande si vous avez des
commentaires à propos de la façon dont les autres démocraties
occidentales aborde ce problème.
M. Paul Wilkinson: Merci.
Pour répondre à votre première question, monsieur, je dirais qu'à l'évidence, il est nécessaire d'avoir des législations nationales antiterroristes résolues, et qu'il serait imprudent de présumer qu'elles ne seront nécessaires que pour un, deux ou trois ans. On a entendu des estimations sans doute un peu trop optimistes de la rapidité avec laquelle nous pourrons venir à bout de la menace que fait peser le terrorisme sur les droits de la personne à l'échelle internationale. Je comprends que le président des États-Unis ait voulu laisser entendre que la situation évoluerait d'une manière tellement dynamique que nous pourrions en finir avec le terrorisme international. La lutte contre les stupéfiants devait aussi se développer suivant un calendrier plutôt ambitieux, si je ne me trompe.
Mon sentiment est que ce sera déjà une grande réussite de parvenir à démanteler le réseau Al-Qaïda qui a exécuté ces terribles attentats en Amérique. Il faut en faire la priorité des priorités, car cela représente la menace terroriste actuellement la plus dangereuse sur le plan international, sans aucun doute. Mais présumer qu'il est possible d'y parvenir tellement rapidement que l'on en verra le bout d'ici quelques années, que toutes les tentacules du réseau auront disparu et qu'il n'y aura plus ensuite à se soucier d'un quelconque terrorisme, serait, j'en ai peur, faire preuve d'un trop grand optimisme.
À l'époque où j'ai entrepris mes recherches dans ce domaine, il y a plus de 30 ans, je pensais, naïvement, passer deux ou trois ans à rédiger des livres et des articles et pouvoir ensuite consacrer mon temps à un sujet plus paisible, par exemple, à l'étude des problèmes de développement des Nations unies, qui m'intéressent énormément. Malheureusement, au moment où je terminais mes premières communications et mes premiers articles, les attentats contre des ambassades, les prises en otage de diplomates—phénomène qui s'est manifesté à une grande échelle tout particulièrement en Amérique latine—les attentats à la bombe contre diverses cibles dans plusieurs pays et les détournements d'avions pour des motifs politiques se sont multipliés au point où, en fait, il y eut pénurie d'universitaires spécialisés dans ces domaines; et je pense que c'est toujours le cas. Tout cela pour dire que le problème est beaucoup plus profondément enraciné dans notre système international qu'aucun d'entre nous ne l'a jamais soupçonné.
Il me semble ressortir très clairement des enquêtes criminelles préliminaires sur les attentats du 11 septembre que personne parmi nous, y compris les pays de l'Europe occidentale, leurs services de renseignements ou leurs corps policiers, n'avait la moindre idée du degré de préparation ou du nombre des cellules du réseau qui étaient implantées dans nos pays, qui se trouvaient effectivement à l'intérieur de nos frontières. Nous n'avons toujours pas vraiment réalisé que même les groupes qui sont principalement motivés par la prise du pouvoir dans des pays lointains ont utilisé les ressources de la mondialisation, du transport aérien international, des communications codées sur l'Internet avec leurs partisans et leurs cellules dans d'autres pays, pour agir globalement, pour être en mesure de transférer des fonds d'une partie du monde à une autre partie du monde, avec la plus grande facilité.
Il me semble que nous sommes confrontés à un phénomène complexe et qu'il serait irréaliste de croire que nous pourrons facilement nous en débarrasser dans un laps de temps relativement court. Il s'agit d'un problème de taille, qui pose le plus grand défi à nos services de renseignements et à nos corps policiers, à cause de la menace implicite que fait peser sur les droits de l'homme et sur le bien-être des populations ce terrorisme de masse, du fait du recours possible à des armes de destruction massive.
On parle donc d'un gigantesque problème. Et nous avons besoin de législations semblables, par leur contenu ou leur forme, au projet de loi C-36. J'ai examiné attentivement ce texte législatif pour voir s'il portait foncièrement atteinte à la protection des droits ou des libertés civiques qui sont tellement importants dans nos démocraties occidentales. J'ai conclu que ce projet de loi ne me parait menacer d'aucune manière les libertés fondamentales des citoyens ordinaires au Canada ou de n'importe où ailleurs. En revanche, il empêche les terroristes de se livrer librement à leurs activités. Et je n'ai jamais considéré qu'il s'agissait, en l'occurrence, d'un droit civique fondamental. Vous trouvez peut-être mes propos un peu cyniques, mais le fait est qu'il y a des gens qui étirent le concept des droits civiques au point où ils en arrivent presque à dire qu'il n'y plus de droits civiques quand on n'a pas la liberté de placer une bombe dans un avion ou la liberté de faire sauter une bombe sur la place du marché si on considère que sa cause est justifiée.
• 1305
Je suis d'avis que le problème du terrorisme pose un tellement
grand défi aux droits de l'homme dans le monde entier que nous
sommes maintenant tenus d'établir une distinction, sans toutefois
en arriver à faire un amalgame avec les conflits religieux ou entre
civilisations. Ce serait totalement absurde, et cela nous
entraînerait dans de terribles conflits beaucoup plus généralisés.
Il s'agit foncièrement d'un affrontement entre ceux qui pensent que
le terrorisme, lequel de par sa nature suppose une attaque
délibérée contre les civils de façon complètement aveugle comme on
a pu le voir, constitue une forme légitime d'activité et ceux qui
pensent qu'il n'est jamais acceptable d'agir de la sorte, qu'il y
a toujours moyen de faire campagne en faveur de changements
politiques, en faveur de réformes, voire même en faveur d'un
changement radical de régime politique, sans lancer des attaques
délibérées contre la population civile. Et la population civile de
Delhi, d'Islamabad ou de Kaboul est tout aussi importante que la
population civile de New York ou de Montréal—soyons logiques avec
nous-mêmes à cet égard.
Les conventions des Nations unies, qui sont intégrées comme je m'en félicite dans votre projet de loi, n'établissent pas de distinctions entre les pays, ni entre les groupes religieux ou entre les groupes ethniques. Il est clair qu'elles visent les méthodes ou les activités terroristes. Je trouve que c'est aussi ce dont traite votre projet de loi. Il faut essayer de restreindre le terrorisme et, par voie de conséquence, de protéger le droit humain le plus fondamental, à savoir le droit à la vie.
Le président: Merci, monsieur Wilkinson.
Madame Venne, vous avez la parole pour cinq minutes.
[Français]
Mme Pierrette Venne (Saint-Bruno—Saint-Hubert, BQ): Merci, monsieur le président.
Hier, nous avons reçu ici un député de la Grande-Bretagne qui s'appelle Terry Davis, qui a parlé aux députés du Comité des affaires étrangères. Il leur a mentionné que la loi antiterroriste britannique menait à des abus, surtout dans les cas de manifestations. Entre autres, il faisait allusion à des Tibétains qui manifestaient pacifiquement et qui avaient été arrêtés brutalement. J'aimerais savoir si c'est aussi votre opinion. C'est ma première question.
Ma deuxième question porte sur le Terrorism Act 2000, que j'ai en main. Je n'ai pas la version 2001, malheureusement. Je l'avais quelque part, mais je me réfère à celui-ci parce qu'on dit dans le résumé que j'ai devant moi:
[Traduction]
-
La précédente loi antiterroriste était soumise à un examen annuel
par le Parlement. En ce qui concerne cette loi, ce ne sera
généralement plus le cas.
[Français]
On dit ensuite:
[Traduction]
-
Les principales dispositions de la loi ont un caractère permanent.
Il continuera, toutefois, d'y avoir un rapport annuel au Parlement
sur l'efficacité de la loi.
[Français]
D'après ce que je comprends, antérieurement à cette loi de 2000, il y avait apparemment un vote à la Chambre à tous les ans, et maintenant on décide que c'est devenu permanent. C'est un peu ce que l'on demande ici. Pourquoi ne pas avoir une clause d'extinction au tout début, dès maintenant, vu que c'est la première fois qu'on a ce genre de mesures, vu que c'est exceptionnel et vu que des pouvoirs exceptionnels considérables et des mesures extraordinaires sont prévus dans ce projet de loi antiterroriste? Nous demandons qu'il y ait ici cette chose qui existait, d'après ce que je comprends, et qui faisait l'objet d'un vote à chaque année dans ces lois, parce qu'il y avait, antérieurement à 2000, des mesures antiterroristes dans plusieurs lois.
• 1310
Pourquoi ne nous suggérez-vous pas de faire la
même chose, vu que nous commençons et que c'est la
première fois qu'on a ce genre de mesures législatives ici?
Étant très consciente que le terrorisme n'arrêtera pas demain matin et que ce n'est peut-être pas non plus dans un an qu'on pourra mettre tout ça de côté, je pense qu'entre-temps, pour ne pas apeurer la population, il serait peut-être bon de le faire de cette façon. J'aimerais avoir votre opinion là-dessus.
[Traduction]
M. Paul Wilkinson: Merci de ces très intéressantes questions.
Premièrement, je crains que vous ne soyez mal informée au sujet des types de manifestations qui tombent sous le coup du Terrorism Act 2000. La loi cible spécifiquement les activités terroristes, non pas les protestations; cela ressort clairement dans la façon dont la loi est appliquée depuis sa promulgation. Elle est en vigueur depuis mars dernier, et il y a de nombreux exemples de manifestations où l'on n'a pas eu recours à l'arsenal législatif antiterroriste. La raison en est qu'il existe une autre loi, en vigueur depuis très longtemps, qui couvre l'ordre public, les manifestations, etc. Il n'a jamais été prévu que la loi sur le terrorisme s'appliquerait à ce genre de dissidence ou de protestation tout à fait licites. Détrompez-vous, les gens qui peinturlurent les statues ou qui prennent part, au centre de Londres, à des manifestations anarchistes contre le capitalisme ne seront pas confondus avec des terroristes. En aucun cas.
En ce qui concerne la disposition de temporisation, l'ancien Prevention of Terrorism Act était, selon moi, un texte législatif très insatisfaisant à bien des égards. Cette loi avait été adoptée précipitamment en 1974 dans le prolongement des attentats à la bombe de l'IRA qui visaient des pubs de Birmingham. Comme elle avait été introduite précipitamment, diverses dispositions y furent ajoutées au fil du temps, ce qui la rendait quelque peu obscure et, à mon avis, plutôt moins utile qu'elle n'aurait dû l'être en tant que loi-cadre sur le terrorisme. Elle a fait l'objet, à cause de cela, d'abondantes critiques de la part de tous les partis au Parlement. Elle mobilisait toutefois suffisamment de partisans pour être préservée, à cause de la violence que généraient les conflits en Irlande du Nord et qui débordaient en Grande-Bretagne proprement dite. Aucun gouvernement ne se sentait assez sûr de lui pour l'abandonner purement et simplement. Les gouvernements se contentaient d'en modifier certaines dispositions ou d'y ajouter des articles, au gré des propositions formulées en fonction de l'évolution du terrorisme. Par exemple, la clause relative aux activités du terrorisme international en Grande-Bretagne fut ajoutée en 1985. Le Prevention of Terrorism Act s'est avéré un cadre législatif plutôt incohérent qui a accumulé quantité de nouvelles dispositions au long de son existence.
Il aurait, de toute façon, fallu remplacer ce texte, et une nouvelle loi était nécessaire. Les grands partis politiques britanniques ont convenu entre eux de mettre en place un comité d'enquête indépendant placé sous l'autorité de Lord Lloyd, un éminent juge de la Haute Cour, et chargé de faire le point sur les besoins à venir en matière de législation contre le terrorisme, dans le contexte de l'amélioration spectaculaire de la situation en Irlande du Nord, où le processus de paix avait débuté en 1993-1994. L'objectif était de réduire autant que faire se peut le nombre des mesures nécessaires et de veiller à ce que celles dont on aurait besoin soient moins draconiennes. Cette démarche a bénéficié d'un vaste soutien. L'enquête a débouché sur la publication d'un rapport en octobre 1996. J'ai eu l'honneur d'être un des conseillers en recherche du comité de Lord Lloyd et de rédiger le second volume du rapport portant sur l'histoire du terrorisme en Grande-Bretagne et sur les perspectives en matière de terrorisme.
• 1315
Le rapport a été étudié avec soin par les parlementaires. Un
document de consultation a également été publié, et le projet
législatif définitif ne fut pas déposé par le gouvernement
travailliste avant l'été 2000. Il fut à nouveau soumis au processus
parlementaire, faisant à nouveau l'objet d'un examen très
approfondi et de plusieurs modifications. Les avocats de la Chambre
des lords qui sont particulièrement au fait des questions des
droits de l'homme se sont assurés que le texte était conforme à la
Convention européenne sur les droits de l'homme, laquelle est
maintenant, comme vous le savez, intégrée au droit britannique à
travers le Human Rights Act.
On parle donc d'un texte législatif ayant fait l'objet d'un examen minutieux. Il ne comporte pas de pouvoirs réflexes, comme il en a déjà été introduit dans le passé face à certaines situations, et je m'en félicite. Je ne pense pas que ce soit une bonne idée d'adopter des dispositions à chaud. Un texte législatif doit être examiné attentivement, et c'est la raison pour laquelle j'apprécie le soin avec lequel vous et vos collègues du Sénat étudiez votre projet de loi.
Je suis effectivement convaincu que les dispositions de ce texte ont été très attentivement considérées. Il est logique par conséquent qu'elles soient assujetties, comme dams le cas de toute législation, au pouvoir souverain du Parlement, qui pourrait décider dans le futur qu'elles ne sont plus nécessaires. Le Parlement pourra à n'importe quel moment, s'il juge que ces dispositions ne sont plus pertinentes ou nécessaires, proposer qu'elles soient abandonnées. Notre Parlement dispose des pouvoirs constitutionnels nécessaires pour agir de la sorte. Toutefois, je me félicite que l'on ait prévu la préparation de rapports annuels sur l'application de la loi. On peut toujours penser qu'il s'agit d'une mascarade, destinée à satisfaire les défenseurs des libertés civiques; en fait, les rapports qui ont été produits, notamment dans les années 80, sur le Prevention of Terrorism Act, se sont avérés des plus critiques et ils ont proposé de nombreuses modifications de sa mise en oeuvre, ainsi que de nouvelles dispositions. Nombre de ces critiques furent entendues par le gouvernement, et suivies d'effets.
Je pense donc que ce serait une bonne idée de charger un magistrat indépendant ou un ombudsman—j'ignore comment vous procéderiez au Canada, mais vous devez avoir une personnalité indépendante qui pourrait assumer cette fonction—de la rédaction annuelle d'un rapport sur la manière dont la loi est appliquée après une période de rodage d'environ trois ans. Si je comprends bien, l'examen par le Parlement aura lieu trois ans après l'adoption du texte—c'est comme ça que j'interprète votre projet de législation. Si vous décidiez de supprimer cette loi avant cette échéance, sans que soit intervenu parallèlement un règlement global du problème du terrorisme, ce serait une initiative des plus irresponsables. Vous savez combien il a fallu de temps aux autorités dans le cas de l'attentat à la bombe contre l'avion d'Air India pour constituer un dossier permettant d'entreprendre une procédure judiciaire. Il est clair, par conséquent, qu'il s'avérerait très dommageable au combat contre le terrorisme de soumettre un tel processus à une mesure guillotine.
Mieux vaudrait, me semble-t-il, s'en remettre à l'avis du Parlement du Canada qui décidera, après réflexion, s'il souhaite un autre outil d'évaluation, peut-être sur une base annuelle, par un examinateur indépendant ou un examen annuel, voire biannuel, sous une autre forme. Quoi qu'il en soit, comme on a affaire à un parlement élu démocratiquement, je crois qu'en vertu de la constitution canadienne, il pourra décider qu'il n'est plus nécessaire d'avoir une telle loi, et la supprimer dans sa totalité ou en partie. Je ne saisis donc pas le bien-fondé de l'argument en faveur de l'insertion d'une disposition de temporisation dans le texte de loi, vu la souplesse de la constitution canadienne et vu la responsabilité dont ont toujours fait preuve les législateurs canadiens. Je n'imagine pas les législateurs canadiens rendre permanent ou proroger quelque chose qu'ils ne jugent plus nécessaire.
Le président: Merci.
Je donne la parole à M. Blaikie pour cinq minutes.
M. Bill Blaikie (Winnipeg—Transcona, NPD): Dans le prolongement de la discussion sur la disposition de temporisation, la présence d'une telle mesure dans la loi ne signifie pas que celle-ci sera nécessairement abandonnée. Cela signifie simplement que si le gouvernement souhaite proroger la loi, il devra agir délibérément en ce sens. Une disposition de temporisation ne présume pas que le texte de loi sera effectivement supprimé. Ce n'est qu'un moyen de contraindre le gouvernement en place à réaffirmer son attachement à la mesure législative en la votant à nouveau, ou à la changer; ce n'est pas quelque chose qu'un examen parlementaire impose au gouvernement. Ce n'est pas une discipline imposée au gouvernement.
• 1320
Monsieur le président, notre invité pourrait-il nous
parler—je n'ai pas le temps de soulever toutes les questions que
je voudrais—des différences entre le projet de loi canadien et la
loi britannique et dire à quoi il attribue ces éventuelles
différences. Certains prétendent que la loi canadienne est déjà
différente. Les fonctionnaires qui sont venus nous informer ont
laissé entendre que le projet de loi était déjà différent à cause
de la Charte canadienne des droits et libertés qui fait que les
dispositions relatives au soutien intellectuel du terrorisme ou à
l'appartenance à diverses organisations, que l'on retrouve dans la
loi britannique, ne sont pas dans le texte législatif canadien.
Dans la même veine, quels effets aura sur la loi britannique la législation européenne sur les droits de l'homme qui a, je crois, été adoptée—ou ratifiée ou promulguée, quelle que soit l'expression appropriée—après que cette loi a été votée? Envisage-t-on d'apporter des modifications à la loi britannique à la lumière des textes législatifs européens sur les droits de l'homme?
M. Paul Wilkinson: Je vous remercie de vos deux questions.
En ce qui concerne la première, on constate une grande similarité entre les mesures proposées dans le projet de loi C-36 et le Terrorism Act 2000. Par exemple, l'énumération des organisations terroristes, chose que fait, comme vous le savez, le Congrès américain depuis 1997 quand, incidemment, plusieurs organisations qui trouvaient les temps un peu durs pour fonctionner sous la forme d'organisations de financement du terrorisme en Amérique ont transféré leurs activités de l'autre côté de la frontière, au Canada. On peut avancer qu'en durcissant notre attitude, on ne fait que chasser les réseaux de soutien dans un autre pays et que l'on crée ainsi un problème ailleurs. Mais je répondrais que nous devrions pouvoir compter sur nos voisins et nos amis dans la communauté internationale pour qu'ils durcissent leur propre législation, afin de se mettre en règle avec la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, et qu'ils suppriment les lacunes dans leurs législations. Il n'existerait plus alors de pays sûrs dans lesquels il serait possible de recueillir des fonds ou de gérer le soutien aux organisations terroristes.
Vos mécanismes de sauvegarde relatifs à l'examen de la législation ne sont pas appliqués de la même façon qu'en Grande-Bretagne. Je crois que dans le cas des certificats liés à la sécurité nationale que peuvent émettre les ministres, notre système est différent du vôtre. Les juges sont habilités à entendre les plaintes formulées par des gens qui s'opposent à ce recours aux certificats qui assurent l'immunité et peuvent se déclarer en faveur du plaignant, auquel cas le ministre est obligé de divulguer l'information. Je ne suis pas certain qu'il y ait un mécanisme dans votre système judiciaire qui permette de procéder ainsi. Cela ne semble pas être explicite dans le projet de loi lui-même. Il s'agit peut-être de quelque chose qui devrait être envisagé.
Cela me semble toutefois une différence assez mineure par rapport à l'orientation globale de la législation, c'est-à-dire par rapport à son insistance sur les moyens de supprimer le financement, par rapport à l'insistance sur le recours à la loi non seulement pour traiter les organisations susceptibles de planifier des actes terroristes au Canada, mais aussi pour couvrir les activités d'organisations terroristes étrangères. Je pense que tous ces aspects sont très similaires.
Comme je l'ai mentionné, l'énumération des organismes visés est une autre mesure similaire que l'on retrouve dans les deux textes. Je sais que la chose est controversée au Canada. J'ai lu plusieurs articles dans la presse ce matin qui semblent démontrer que les gens n'y sont pas très favorables. J'ai l'impression que la question est mal comprise. La publication de cette liste ne signifie pas que la loi s'appliquera uniquement aux organisations désignées. Toute organisation, si je comprends bien votre projet de législation sur le terrorisme, qui se livre à une activité terroriste ou qui appuie une activité terroriste pourrait tomber sous le coup de cette loi, qu'elle figure ou non sur la liste. Elle pourrait être ajoutée à la liste à une date ultérieure.
• 1325
Il y a un très grand avantage à posséder une telle liste.
Quand on essaie de supprimer le financement du terrorisme qui est,
après tout, la pierre angulaire pour l'acquisition des armes et des
types de services que le réseau Al-Qaïda a pu se procurer dans le
monde entier, il est important que l'on puisse effectivement
enrayer les mouvements de fonds à destination de l'organisation
terroriste. Si vous n'avez pas de liste, vous risquez d'avoir à
démontrer devant un tribunal qu'une somme d'argent spécifique qui
est passée, disons, d'une banque à Ottawa à une banque en Inde ou
au Pakistan, a été effectivement utilisée par une personne, dans ce
pays, pour acheter un nombre donné d'armes et d'explosifs. C'est
quelque chose d'extrêmement difficile à prouver, alors que si vous
pouvez montrer qu'une organisation terroriste désignée a été
impliquée aussi bien dans le fonctionnement du réseau de soutien
qui a procuré cet argent ou dans l'acheminement de l'argent vers
une organisation terroriste qui est une organisation désignée, vous
pouvez réellement appliquer les mesures financières que la
Convention des Nations unies nous demande d'appliquer. Cela
rationalise la procédure.
Il va de soi que certaines organisations seront suffisamment intelligentes pour changer de nom. Elles l'ont déjà fait en Amérique. Certaines ont passé la frontière. D'autres ont délocalisé leurs activités surtout en Europe. On a pu s'apercevoir après l'adoption du Terrorism Act 2000 que plusieurs organisations avaient tout simplement mis fin, à Londres, à certaines de leurs principales activités liées à la collecte de fonds et qu'elles avaient déménagé en des lieux où le cadre législatif est plus permissif. Je suis sûr que cela produira, mais dans la mesure où nous rendons plus difficile pour les terroristes d'utiliser nos pays démocratiques comme refuges, et si nous les empêchons d'exploiter nos libertés afin d'aider le terrorisme, je pense que nous contribuons à la lutte contre le terrorisme et je me prononce donc en faveur de cette disposition dans votre projet de loi. Les similitudes me semblent compenser largement les différences.
En ce qui concerne le deuxième grand problème que vous avez soulevé, la question de la disposition de temporisation, de la révision de la loi et ainsi de suite, je ne pense pas qu'il soit important que les parlementaires aient la possibilité et le pouvoir d'examiner l'une ou l'autre des mesures individuelles ou même l'ensemble de la législation chaque fois qu'ils jugent que le besoin s'en fait sentir. Ce qui me préoccupe plus à propos d'une disposition de temporisation s'appliquant à des pouvoirs spécifiques, c'est le risque qu'elles soient abrogées juste au moment où les enquêtes menant à des poursuites judiciaires efficaces pour combattre le terrorisme sont sur le point d'aboutir.
Nous avons trop tendance, dans les pays occidentaux, à considérer que l'objectif majeur est de recueillir des renseignements. Nous avons naturellement besoin de renseignements pour capturer les membres de cellules terroristes et les traduire en justice. Mais, sous un certain angle, la recherche de renseignements peut devenir une quasi-obsession, c'est-à-dire qu'une fois que l'on a trouvé des sources, une fois que les renseignements rentrent, on fait en sorte que l'information continue d'arriver. Ne nous laissons pas entraîner sur la dangereuse pente qui consiste à soumettre ces renseignements à un tribunal, à essayer de monter un dossier susceptible d'aboutir à une accusation. Nous devons nous montrer plus audacieux en la matière. En Angleterre, l'une de nos principales faiblesses à l'égard du terrorisme est que nous avons toujours été meilleurs à recueillir le renseignement qu'à faire avancer les dossiers devant la justice criminelle ou à faire condamner les gens qui ont effectivement organisé des actes terroristes. C'est certainement le point faible de notre démarche passée.
Le président: Merci, monsieur Wilkinson.
La parole est à M. MacKay pour cinq minutes.
M. Peter MacKay (Pictou—Antigonish—Guysborough, PC/RD): Merci, monsieur le président.
Monsieur Wilkinson, nous sommes honorés d'accueillir ici quelqu'un possédant une telle expertise du domaine qui nous préoccupe. Je souhaite que vous poursuiviez vos travaux encore longtemps. Je crains que vous ayez raison lorsque vous dites qu'il est peu probable que le problème disparaisse dans l'avenir prévisible; quoi qu'il en soit, votre présence est des plus appréciées.
Pour revenir à la question des certificats, vous avez fait allusion au fait que vous avez cette possibilité en Grande-Bretagne, mais que c'est soumis à un contrôle judiciaire. Dans la loi actuelle, dans sa présente mouture, les raisons que le procureur général, dans notre modèle législatif, peut invoquer pour interdire la divulgation de renseignements sont liées à la protection des relations internationales, de la défense nationale ou de la sécurité. C'est à la fois dans la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels, et cela préoccupe énormément ces deux officiels du Parlement qui ont déclaré, essentiellement, qu'ils seraient non seulement marginalisés, mais complètement court-circuités si le ministre décidait que l'information ne serait pas donnée. Il semble que c'est donner de la disposition une interprétation plutôt large.
• 1330
Que diriez-vous si on «temporisait» au moins cette
disposition?
Et j'ai une question plus directe et plus pratique concernant la nécessité, comme vous le constatez dans votre pays et dans le nôtre, de recruter des gens qui connaissent certaines cultures et certaines langues, dans le but de recueillir des renseignements, aussi bien à l'intérieur du pays qu'à l'étranger, afin de faciliter l'infiltration d'organisations telle que Al-Qaïda. Ils ressembleraient à ce que l'on appelle communément des informateurs dans le domaine du crime organisé. Est-ce un domaine sur lequel on se concentre en Grande-Bretagne? Pensez-vous qu'à travers le monde, on va faire appel à des gens ayant ce type de connaissances?
En corollaire à cela, il y a la nécessité de coordonner tous ces efforts par l'intermédiaire des ministères de l'Immigration, des corps de police nationaux, des forces armées, du M16 ou du SCRS dans notre cas. Est-ce généralement ce qui se passe sur le plan intérieur et à l'étranger, vu la nécessité de partager généralement les renseignements comme première mesure importante dans la lutte contre le terrorisme mondial?
M. Paul Wilkinson: Merci de m'avoir posé ces questions.
Il est particulièrement difficile de répondre à la première, car ma connaissance du fonctionnement interne du système politique canadien est loin d'être aussi bonne que celle des gens qui sont dans cette pièce. J'aimerais quand même dire deux choses.
Premièrement, nous devons être conscients des risques liés à la divulgation de renseignements sensibles qui pourraient mettre en danger nos sources de renseignement. Nous avons très peu de chances de gagner cette difficile bataille du renseignement contre le terrorisme, que vous avez évoquée dans la deuxième partie de votre question, si nous ne disposons pas d'un service de renseignement véritablement secret. Autrement dit, si tout ce qu'ils font, leurs méthodes et leurs sources de renseignements sont révélés au grand jour, vous pouvez être assuré que les terroristes en tireront des leçons et changeront leurs méthodes. Je vois souvent des informations de presse qui me font dresser les cheveux sur la tête, parce qu'on dit exactement aux terroristes comment les renseignements ont été obtenus, parce qu'on leur donne des indices sur un événement précis, qu'on leur dit comment leurs mouvements et leurs liens avec une organisation terroriste ont été découverts.
M. Peter MacKay: Je pense que cela consterne probablement les protecteurs du renseignement, comme nos commissaires ou nos juges, dans une large mesure.
M. Paul Wilkinson: Je sais.
En ce qui me concerne, je ne crois pas qu'au Canada, vous devriez utiliser le modèle de responsabilité administrative du SCRS et la structure de contrôle du milieu du renseignement en place au sein du gouvernement canadien pour tenter de compenser l'absence d'un système permettant ouvertement de remettre en question l'utilisation des certificats assurant l'immunité. Mais je pense que ces certificats, dans le contexte de la sécurité nationale, sont, sous une forme ou sous une autre, un élément essentiel de la réussite dans la bataille du renseignement. Il s'agit juste de trouver, au sein du système canadien, un moyen de contrôler l'application de telles dispositions et leur remise en question par des gens qui ont une responsabilité parlementaire et qui doivent rendre des comptes. Comment procéder pour y parvenir? C'est une question que, j'en suis sûr, le Parlement du Canada est en mesure de régler.
À propos de la deuxième question que vous avez posée, je crains que, comme les autres services de renseignements, les services britanniques aient démontré une certaine incompétence dans la collecte de renseignements humains sur Al-Qaïda et ses organisations affiliées. Bien que la plupart des critiques, concernant la faillite des services de renseignements immédiatement après les attentats du 11 septembre, aient été adressées aux Américains, je pense que l'on s'est rendu compte depuis qu'il s'agissait d'un problème mondial. On a affaire à une organisation qui s'est montrée très astucieuse pour camoufler ses communications, qui a recouru à des moyens de communication modernes les plus sophistiqués pour dissimuler ses signaux.
• 1335
Nous devons donc faire appel aux renseignements humains, comme
vous l'avez justement souligné. Je suis tout à fait d'accord pour
reconnaître l'importance que vous y accordez dans la deuxième
partie de votre question. Et nous devons recruter des gens
crédibles pour infiltrer l'organisation au niveau du recrutement,
pour, éventuellement, gagner plus tard à notre cause certains
membres de l'organisation et pour faire en sorte que ceux qui sont
arrêtés par les autorités dans certains pays deviennent des témoins
à charge. C'est seulement de cette façon que l'on pourra obtenir
des renseignements très fiables sur les intentions et les plans de
l'organisation, pour effectivement contre-carrer les attentats
avant qu'ils ne se produisent, arrêter les groupes de conspirateurs
et avoir les renseignements qui permettront de les condamner et de
les enfermer là où ils ne pourront plus faire de mal à personne.
C'est l'objectif que nous devons nous fixer, à savoir disposer
d'une capacité de collecte de renseignements proactive, nous
donnant les moyens de faire face à ce type de mouvement.
En Europe de l'Ouest, nous avons du retard. Nous commençons tout juste à nous rendre compte de l'étendue de ces réseaux dans le monde occidental et à quel point nous avons échoué, qu'il s'agisse de surveiller les mouvements de personnes ou d'être au courant de préparatifs qui ont duré plusieurs années, et pas seulement quelques semaines. L'opération avait été méticuleusement planifiée.
Une chose qui stupéfait toutefois, quand on y réfléchit, c'est qu'une école de pilotage ait accepté d'inscrire et de garder comme élèves des gens qui, manifestement, souhaitaient uniquement apprendre à manoeuvrer un avion en vol. Ces gens-là n'étaient pas intéressés à apprendre les techniques d'atterrissage ou de décollage. Voilà où la population peut être d'un grand secours, où son intelligence peut l'amener à penser qu'il y a quelque chose de louche. Le fait que ces gens-là étaient prêts à débourser des sommes importantes pour suivre ces cours de pilotage n'aurait pas dû empêcher les responsables d'informer les autorités qu'ils avaient des raisons de soupçonner quelque chose de louche.
On a tendance à considérer les lois comme une panacée, et nous savons que c'est faux. Ce qui compte, c'est la façon dont elles sont appliquées. Et leur application ne dépend pas uniquement des gens chargés officiellement de leur exécution, aussi compétents, bien informés, dévoués et patriotiques qu'ils soient. Leur application dépend également de la coopération de la population. Dans une société ouverte, il n'est pas possible de remporter la bataille contre le terrorisme sans qu'il existe un soutien authentique de la population et une adhésion aux mesures qui seront prises. Je pense que parmi les choses qui détermineront l'efficacité de ce projet de loi C-36, c'est avant tout le degré de soutien que la population sera prête à lui accorder et la coopération avec les autorités pour communiquer des renseignements et ainsi contribuer à la capture des gens qui commettent des actes de terrorisme.
Le président: Merci.
La dernière question sera pour M. McKay.
M. John McKay (Scarborough-Est, Lib.): Si vous le permettez, j'aimerais poser trois ou quatre questions sur les parallèles et les différences entre le Terrorism Act 2000 et notre texte.
J'aimerais savoir si, en Grande-Bretagne, il y a eu une discussion au sujet de l'alinéa 1(1)c):
-
le recours à la menace a pour objet d'avancer une cause politique,
religieuse ou idéologique.
Cela ressemble à notre texte. On peut se demander qu'est-ce que ça peut bien faire? À quoi cela peut-il servir? C'est juste une chose de plus que doit prouver le procureur de la Couronne. Est-ce que cela a de l'importance, car la question, au fond, c'est l'influence ou l'intimidation? Je serais intéressé d'avoir votre opinion.
Ma deuxième question porte sur les avantages et les désavantages d'une supervision parlementaire, notamment en ce qui a trait à l'élaboration de listes. Je suis d'avis qu'un grand nombre d'organisations ou d'entités peuvent facilement être inscrites sur la liste. Ce sont les quelques autres qui posent un peu plus problème. Elles peuvent tout simplement représenter un groupe d'excentriques.
Ma troisième question concerne certaines dispositions particulières que vous avez dans votre loi, qui, manifestement, doivent être fondées, mais qui me frappent en tant que Canadien comme un ensemble de dispositions plutôt curieuses. Le paragraphe 13(1) stipule:
-
Une personne dans un lieu public commet un délit si elle
-
a) porte un vêtement, ou
-
b) porte, transporte ou exhibe un article d'une manière ou dans des
circonstances telles qu'elle provoque un soupçon raisonnable.
C'est une intéressante infraction au Code criminel. Ensuite, il y a le paragraphe 12(2):
-
Une personne commet un délit si elle organise, gère ou aide à
organiser ou à gérer une réunion où elle sait
-
c) qu'une personne qui appartient ou qui prétend appartenir à une
organisation proscrite va prendre la parole.
• 1340
Je peux donner un grand nombre d'exemples où une personne
comme moi, qui organise des réunions pour certains de mes électeurs
tamouls, peut par inadvertance tomber dans le piège parce que des
gens appartenant à certaines organisations peuvent se trouver parmi
les participants. Je suis donc également curieux de connaître le
raisonnement derrière ce type de dispositions.
Pouvez-vous me donner des précisions sur les discussions qui ont peut-être eu lieu en Grande-Bretagne à propos de ces dispositions qui, pour parler franchement, me paraissent un peu curieuses?
M. Paul Wilkinson: Merci.
Concernant votre premier point, l'utilisation du mot idéologique—et vous noterez que le mot religieux figure ici également—je pense que l'on a cherché à s'assurer que si quelqu'un conteste que l'on qualifie de politiques les motifs invoqués comme justification du recours à la terreur, cette personne sera quand même couverte par la loi. Il faut se rappeler que dans la période qui a suivi l'adoption du Prevention of Terrorism Act, c'est-à-dire depuis 1974, la législation britannique a dû tenir compte du fait que, dans les années 80, il y a eu une explosion de groupes qui prétendaient être d'inspiration religieuse ou avoir une justification philosophique quelconque, et non des motifs politiques laïques. Si l'on a élargi la définition de cette manière, c'est pour couvrir ce genre de situation.
En ce qui concerne les gens qui transportent certains articles dans des lieux publics, je pense que cela reflète le problème que pose continuellement les débordements de la violence en Irlande du Nord. La situation s'est beaucoup améliorée, et la percée annoncée hier est une très bonne nouvelle pour le processus de paix. Mais il faut se rappeler qu'il y a des groupes qui s'opposent toujours à ce processus, aussi bien des terroristes loyalistes que des groupes dissidents du côté républicain. Par le passé, ils ont souvent profité d'événements comme l'enterrement d'un camarade ou une manifestation quelconque pour organiser une action terroriste. Cela a entraîné des morts. Ce qui paraît insignifiant peut devenir très grave dans certaines circonstances, et c'est la raison pour laquelle, je crois, cela figure dans la loi.
Le dernier point que vous avez soulevé, je m'excuse, le dernier élément particulier de la loi...
M. John McKay: J'ai soulevé la question de la supervision parlementaire, en ce qui concerne l'établissement des listes. Je ne pense pas que votre loi le prévoie. Ici, la question de savoir si le Parlement doit effectivement avoir un droit de regard sur l'établissement de la liste et la suppression des organisations qui y figurent est très débattue.
M. Paul Wilkinson: En Grande-Bretagne, on a prévu une procédure d'appel. Un groupe qui considère avoir été injustement inclus peut soumettre son cas au Proscription Appeals Board et, s'il est en mesure de démontrer qu'il a été erronément accusé de soutenir le terrorisme ou une activité terroriste, son nom sera radié.
Le Parlement a, bien sûr, la possibilité de débattre de tout changement annoncé par le ministre de l'Intérieur. C'est déjà arrivé. Quand la première liste a fait son apparition, en février de cette année, les députés ont eu la possibilité de contester l'inscription de certains groupes. J'ai reçu de la correspondance à ce sujet, car même si notre matériel documentaire est de sources publiques, nous disposons d'une énorme quantité de renseignements sur l'activité de divers groupes à travers le monde. Il est intéressant de noter que, d'ores et déjà, le processus de contestation est en gestation. Selon moi, vous ne devriez pas craindre que les parlementaires cessent d'examiner ces questions, même si cela n'est pas explicitement mentionné dans la loi. Il est pris pour acquis par les parlementaires, dans le système britannique, comme dans le vôtre, qu'ils peuvent mettre en cause tout ce qui existe dans la législation ou qui concerne l'application des lois.
Le président: Merci, monsieur McKay.
Je vous remercie, monsieur Wilkinson. Nous savons à quel point vous êtes occupé et nous apprécions d'autant que vous nous ayez consacré un peu de votre temps.
Chers collègues, nous nous réunirons à nouveau à 15 h 30 dans l'une des salles des comités télévisés. J'aimerais également attirer votre attention, pour qu'il n'y ait pas confusion, sur le fait que nos réunions sur le projet de loi C-15B, qui commenceront ce soir à 17 h 30, se dérouleront en bas, dans la pièce 112-N. Nous avons changé de salle, car il ne nous était pas possible d'utiliser celle des comités télévisés pour notre réunion de ce soir sur le projet de loi C-15B.
• 1345
Nous traiterons des affaires dont j'espérais pouvoir discuter
maintenant, à la fin de notre réunion de ce soir sur le projet de
loi C-15B.
La séance est levée.